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Tribunal de la concurrence

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Competition Tribunal

TRADUCTION OFFICIELLE

Référence: Le commissaire de la concurrence c Administration aéroportuaire de Vancouver, 2017 Trib conc 18

N° de dossier: CT-2016-015

N° de document du greffe: 432

DANS L’AFFAIRE d’une demande du commissaire de la concurrence en vue d’obtenir au moins une ordonnance en vertu de l’article 79 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, dans sa version modifiée;

ET DANS L’AFFAIRE d’une conférence de gestion de l’instance et d’une requête de l’Administration aéroportuaire de Vancouver visant à obtenir des ordonnances l’autorisant à procéder à un interrogatoire préalable et à modifier le calendrier de la demande.

ENTRE:

Le commissaire de la concurrence

(demandeur)

et

Administration aéroportuaire de Vancouver

(défenderesse)

Competition Tribunal Seal / Sceau Tribunal de la Concurrence

Date de la conférence de gestion de l’instance : 30 novembre 2017

Devant le membre judiciaire : M. le juge D. Gascon (président)

Date de l’ordonnance et des motifs : 6 décembre 2017

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE ACCUEILLANT EN PARTIE LA REQUÊTE DE LA DÉFENDERESSE VISANT À PROCÉDER À UN INTERROGATOIRE PRÉALABLE ET À MODIFIER LE CALENDRIER


I.  APERÇU

[1]  La présente ordonnance porte sur un débat dont le Tribunal est constamment saisi dans de nombreuses demandes présentées par le commissaire de la concurrence (« le commissaire ») concernant la tension continue entre le privilège d’intérêt public invoqué par le commissaire afin de se protéger contre la communication obligatoire de documents qu’il a obtenus ou préparés dans le cadre de ses enquêtes, et l’incidence défavorable que l’utilisation et l’application de ce privilège peuvent avoir sur l’équité de la procédure du Tribunal ainsi que sur le droit et la capacité d’un défendeur de présenter une défense pleine et entière en réponse au dossier du commissaire.

[2]  Le 22 novembre 2017, l’Administration aéroportuaire de Vancouver (« l’AAV ») a demandé une conférence de gestion de l’instance (« CGI »), afin de discuter du non-respect allégué des obligations qui incombent au commissaire en matière de communication, à la suite de l’ordonnance concernant le calendrier et de l’ordonnance de confidentialité rendues par le Tribunal dans la présente affaire. Le Tribunal a tenu une CGI le 23 novembre 2017, puis une deuxième le 30 novembre 2017. Entre-temps, suivant une directive donnée par le Tribunal le 24 novembre 2017 (« la directive de novembre »), l’AAV a choisi de déposer une requête officielle devant le Tribunal en vue d’obtenir, entre autres, une ordonnance obligeant le commissaire à produire son représentant pour un autre interrogatoire préalable et modifiant l’ordonnance établissant le calendrier en vigueur dans la présente affaire (« la requête »).

[3]  Essentiellement, l’AAV soutient qu’étant donné que le commissaire a maintenant renoncé à son privilège d’intérêt public à l’égard de certains documents, qui n’ont été fournis à l’AAV que le 24 novembre 2017 (« les documents pour lesquels le privilège a été levé »), celle-ci a le droit d’interroger au préalable le représentant du commissaire au sujet de ces documents. L’AAV demande également que le calendrier pour le règlement de la demande soit modifié et prolongé, afin de lui accorder suffisamment de temps pour procéder à cet interrogatoire préalable, pour examiner les documents pour lesquels le privilège a été levé et pour préparer sa réponse. Sur ces deux fronts, l’AAV affirme que les considérations d’équité et son droit de présenter une défense pleine et entière contre le dossier du commissaire exigent l’octroi des réparations demandées. L’AAV a déposé ses demandes ainsi que la requête dans le contexte de la demande présentée contre elle par le commissaire au titre des dispositions relatives à l’abus de position dominante de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34 (« la demande »).

[4]  Les demandes et la requête de l’AAV soulèvent deux questions. Premièrement, celle de savoir si l’AAV a le droit, dans les circonstances et à cette étape de l’instance, de procéder à un autre interrogatoire préalable du représentant du commissaire au sujet des documents pour lesquels le privilège a été levé. Deuxièmement, celle de savoir si l’AAV a droit à un délai supplémentaire pour examiner les documents pour lesquels le privilège a été levé et préparer sa réponse, y compris les documents sur lesquels elle entend se fonder, ses déclarations de témoins et ses rapports d’experts.

[5]  Pour les motifs qui suivent, les demandes et la requête de l’AAV seront accueillies en partie; celle-ci aura un droit restreint de procéder à un autre interrogatoire préalable du représentant du commissaire, et le calendrier pour le règlement de la demande sera modifié. Je prends acte du fait que le commissaire accepte de produire son représentant pour une journée supplémentaire d’interrogatoire préalable, en lien avec les documents pour lesquels le privilège a été levé. Après avoir examiné les documents déposés par l’AAV ainsi que la correspondance récente des avocats des deux parties, et après les avoir entendus lors de la CGI du 30 novembre 2017, je suis donc prêt à ordonner l’interrogatoire préalable supplémentaire du représentant du commissaire, selon les paramètres établis dans la présente ordonnance. Je suis également d’accord avec l’AAV pour dire qu’étant donné la communication tardive, par le commissaire, des documents pour lesquels le privilège a été levé, conjuguée au nombre de documents en jeu, les considérations d’équité commandent que l’AAV se voie accorder plus de temps pour examiner et résumer l’information afin d’être en mesure de préparer adéquatement sa réponse. À mon avis, cela peut se faire de manière équitable et équilibrée en ajustant les étapes restantes de la communication préalable à l’audience énoncées dans l’ordonnance concernant le calendrier rendue le 21 juillet 2017 (« l’ordonnance de juillet concernant le calendrier ») et en modifiant légèrement les dates d’audience déjà fixées pour la présente affaire.

II.  CONTEXTE

[6]  Le contexte procédural pertinent peut se résumer de la manière suivante.

[7]  Le commissaire a déposé son avis de demande le 29 septembre 2016 afin de solliciter une réparation à l’encontre de l’AAV aux termes de l’article 79 de la Loi. Conformément à l’ordonnance initiale concernant le calendrier rendue par le Tribunal dans la présente affaire, le commissaire a signifié à l’AAV son affidavit de documents et ses affidavits supplémentaires (collectivement « les AD »), dans lesquels sont énumérés tous les documents pertinents pour la demande qui étaient en sa possession ou sous son contrôle. Les AD du commissaire divisaient ces documents en trois annexes : (i) l’annexe A pour les documents qui ne contiennent pas de renseignements confidentiels; (ii) l’annexe B pour les documents qui, selon le commissaire, contiennent des renseignements confidentiels et à l’égard desquels aucun privilège n’est invoqué ou pour lesquels le commissaire a renoncé au privilège pour les besoins de la demande; (iii) l’annexe C pour les documents qui, selon les affirmations du commissaire, contiennent des renseignements confidentiels et pour lesquels au moins un privilège (c.-à-d. secret professionnel de l’avocat, privilège relatif au litige ou privilège d’intérêt public) est invoqué.

[8]  Le commissaire a déclaré avoir fourni à l’AAV, parmi les documents produits avec ses AD, tous les documents pertinents et non visés par un privilège qu’il avait en sa possession ou sous son contrôle (« les documents produits »).

[9]  En mars 2017, l’AAV a contesté le privilège d’intérêt public invoqué par le commissaire à l’égard des documents contenus dans l’annexe C des AD. Cette contestation a donné lieu à une décision du Tribunal, datée du 24 avril 2017 (Le commissaire de la concurrence c Administration aéroportuaire de Vancouver, 2017 Trib conc 6 [« la décision relative au privilège »]). Dans cette décision, j’ai confirmé la revendication d’un privilège d’intérêt public par le commissaire à l’égard d’approximativement 1 185 documents. Selon l’AAV, ces documents comprenaient plus de 475 affidavits, courriels, notes d’entrevue, lettres, notes de service, blocs-notes et présentations. L’AAV a interjeté appel de la décision relative au privilège, et la Cour d’appel fédérale a mis l’affaire en délibéré.

[10]  Dans le cadre de l’instance, le commissaire a communiqué à l’AAV des résumés des faits qu’il a obtenus auprès de sources tierces durant son enquête, lesquels se trouvent dans l’annexe C qui contient les documents à l’égard desquels il a revendiqué un privilège d’intérêt public (« les résumés »). La première version des résumés a été produite le 13 avril 2017. Comme elle n’était pas satisfaite du niveau de détails des résumés, l’AAV a déposé une requête afin de contester le caractère adéquat et l’exactitude de ceux-ci. Avant l’instruction de cette requête le 6 juin 2017, le commissaire a communiqué à l’AAV des résumés révisés et réorganisés totalisant quelque 200 pages.

[11]  Le 4 juillet 2017, le Tribunal a rendu sa décision concernant la requête d’AAV relative aux résumés (Le commissaire de la concurrence c Administration aéroportuaire de Vancouver, 2017 Trib conc 8 [« la décision relative aux résumés »]). Dans sa décision, le juge Phelan a rejeté la requête de l’AAV et a conclu que cette dernière n’avait pas établi le bien-fondé d’une communication supplémentaire et plus poussée des résumés, même dans une forme limitée ou selon un accès limité.

[12]  Le 21 juillet 2017, après les observations des parties, le Tribunal a rendu l’ordonnance de juillet concernant le calendrier, qui tenait compte de l’entente conclue entre les parties relativement à l’interrogatoire préalable et aux étapes de la communication préalable à l’audience, et qui a reporté le début de l’audience de la mi-novembre 2017 au 29 janvier 2018.

[13]  Les 23 et 24 août 2017, le représentant du commissaire, M. Rushton, a été interrogé au préalable par l’AAV, pendant deux jours complets, concernant les renseignements contenus dans les documents produits et dans les résumés.

[14]  En septembre 2017, l’AAV a déposé une autre requête devant le Tribunal afin d’obliger le commissaire à répondre à plusieurs questions auxquelles il avait refusé de répondre durant l’interrogatoire préalable de son représentant. Le 26 octobre 2017, le Tribunal a rendu sa décision concernant cette requête de l’AAV (Le commissaire de la concurrence c Administration aéroportuaire de Vancouver, 2017 Trib conc 16 [« la décision relative au refus de répondre »]), l’accueillant en partie et ordonnant au représentant du commissaire de répondre à quelques questions conformément aux lignes directrices énoncées dans cette décision. Le Tribunal a récemment été informé qu’à la suite des réponses supplémentaires fournies par le commissaire après la décision relative au refus de répondre, l’AAV avait choisi de ne pas procéder à un autre interrogatoire préalable du représentant du commissaire, lequel était initialement prévu pour le début de novembre 2017.

[15]  Le 15 novembre 2017, conformément à l’ordonnance de juillet concernant le calendrier, le commissaire a signifié à l’AAV huit déclarations de témoins, un rapport d’expert et les documents sur lesquels il s’était fondé. Au total, environ 100 documents étaient joints aux déclarations de témoins du commissaire. Cependant, en ce qui concerne les documents pour lesquels le privilège d’intérêt public a été levé, le commissaire n’a fourni que ceux sur lesquels il avait l’intention de se fonder. Autrement dit, le commissaire n’a initialement pas fourni à l’AAV tous les documents pertinents provenant d’un témoin en particulier, mais seulement le sous-ensemble de documents pertinents sur lequel il a choisi de se fonder.

[16]  Le 21 novembre 2017, le commissaire a informé l’AAV du fait que, [TRADUCTION] qu’« après un examen plus poussé des circonstances particulières de l’affaire, et dans le but d’instruire rapidement cette affaire conformément à l’ordonnance concernant le calendrier », il renoncerait à son privilège d’intérêt public à l’égard de tous les documents pertinents liés au témoignage des divers témoins, même s’il ne s’était pas « fondé » sur certains de ces renseignements.

[17]  Le 24 novembre 2017, le commissaire a donc fourni aux avocats de l’AAV une clé USB contenant les documents pour lesquels le privilège a été levé, soit 1 011 documents qui étaient sous le contrôle du commissaire au 31 août 2017, à l’égard desquels le commissaire avait initialement invoqué un privilège d’intérêt public ou pour lesquels il renonçait alors à ce privilège. Le 29 novembre 2017, le commissaire a également communiqué la désignation de confidentialité (c.-à-d. niveau de confidentialité A ou B) des documents pour lesquels le privilège a été levé. Il a de plus confirmé qu’au 15 novembre 2017, il avait produit à l’AAV, en pièces jointes aux déclarations de ses témoins, 104 documents qu’il avait reçus après le 31 août 2017 et pour lesquels il avait invoqué un privilège d’intérêt public, privilège auquel il renonçait alors.

[18]  Le Tribunal comprend qu’en fournissant les documents pour lesquels le privilège a été levé, le commissaire a alors renoncé à son privilège d’intérêt public à l’égard de tous les renseignements pertinents – tant favorables que défavorables – fournis par les témoins qui ont comparu en son nom, y compris les renseignements sur lesquels il ne s’est pas fondé.

[19]  Dans la correspondance datée du 4 décembre 2017 reçue des avocats de l’AAV et du commissaire, conformément aux directives du Tribunal, les parties ont établi les points de convergence et de divergence concernant les questions soulevées par l’AAV dans sa requête et abordées lors de la CGI du 30 novembre 2017. Les parties ont réussi à s’entendre quant à la réparation subsidiaire demandée par l’AAV dans sa requête, à savoir un calendrier révisé pour le reste des étapes de la communication préalable à l’audience en l’espèce ainsi que pour l’audience, mais il reste toujours des points de divergence concernant l’interrogatoire préalable supplémentaire du représentant du commissaire et les décisions à rendre par le Tribunal relativement aux différentes réparations demandées par l’AAV dans sa requête.

III.  ANALYSE

A.  Droit de l’AAV de procéder à un interrogatoire préalable supplémentaire

[20]  L’AAV soutient d’abord que les considérations d’équité lui donnent le droit d’interroger au préalable le représentant du commissaire au sujet des documents pour lesquels le privilège a été levé. Elle fait valoir qu’un interrogatoire préalable supplémentaire est justifié, étant donné que le commissaire a renoncé à son privilège d’intérêt public à l’égard d’un grand nombre de documents qui sont pertinents dans le cadre du procès. L’AAV affirme qu’elle mérite le droit de relancer le processus d’interrogatoire préalable et qu’on lui accorde plus de temps pour préparer sa réponse, étant donné la quantité de documents pour lesquels le privilège a été levé et la proximité du procès.

[21]  Bien qu’il soit d’avis qu’un autre interrogatoire préalable de son représentant n’est ni justifié ni approprié, le commissaire est toutefois prêt, dans le but que cette affaire procède rapidement, à produire son représentant pour une journée supplémentaire d’interrogatoire préalable en décembre. Il soutient qu’un tel interrogatoire préalable devrait se limiter aux questions qui ne découlent pas des déclarations de ses témoins ou du rapport d’expert ainsi qu’à celles sur lesquelles l’AAV n’aurait pas pu interroger le commissaire auparavant. En outre, le commissaire est d’avis que toute étape consécutive à un tel interrogatoire (p. ex., une requête relative au refus de répondre) devrait également être traitée rapidement afin de respecter le calendrier révisé et de tenir l’audience durant la période de cinq semaines prévue dans l’ordonnance de juillet concernant le calendrier.

[22]  Avant de passer à l’interrogatoire préalable supplémentaire restreint auquel le commissaire a consenti, je me dois de faire les remarques suivantes.

[23]  Dans la décision relative au privilège, j’ai confirmé que le privilège d’intérêt public du commissaire était un privilège générique. Bien que cette décision soit actuellement portée en appel par l’AAV, la présente demande est instruite en fonction du privilège d’intérêt public reconnu au commissaire. Dans la décision relative au privilège comme dans la décision relative au refus de répondre, j’ai examiné la « façon unique » dont le privilège d’intérêt public du commissaire avait évolué, et j’ai mentionné les trois « mécanismes de protection » mis en place par le Tribunal et confirmés par les cours pour atténuer l’impact défavorable d’une divulgation limitée, de même que la norme rigoureuse (p. ex., des circonstances impérieuses ou un intérêt concurrent impérieux) à laquelle il doit être satisfait pour lever le privilège (décision relative au privilège, par. 81; décision relative au refus de répondre, par. 79). À l’aide de ces mécanismes de protection, le Tribunal et les cours ont élaboré un « régime de communication conçu pour équilibrer le privilège d’intérêt public et l’équité » (décision relative aux résumés, par. 15).

[24]  Dans la présente demande, la preuve documentaire a déjà été communiquée et les interrogatoires préalables ont déjà eu lieu, conformément au régime particulier élaboré par le Tribunal et les cours. Les résumés préparés par le commissaire ont été jugés adéquats par le Tribunal dans la décision relative aux résumés, cette décision n’a pas été portée en appel par l’AAV, et celle-ci a procédé à un interrogatoire préalable, pendant deux jours, du représentant du commissaire, en fonction des documents produits et des résumés.

[25]  Lorsque le commissaire a signifié les documents sur lesquels il entend se fonder et ses déclarations de témoins le 15 novembre 2017 (comme l’exigeait l’ordonnance de juillet concernant le calendrier), le troisième mécanisme de protection obligeait le commissaire à renoncer à son privilège d’intérêt public applicable aux documents et aux communications des témoins fournissant des sommaires de déposition, s’il voulait invoquer ces renseignements au procès (requête relative au refus de répondre, par. 86). C’est ce qu’il a fait. Comme je l’ai indiqué dans la décision relative au refus de répondre, le commissaire pourrait aussi être tenu, selon les circonstances, de renoncer à son privilège d’intérêt public à l’égard de tous les renseignements pertinents – tant favorables que défavorables au commissaire – fournis par un témoin comparaissant en son nom, y compris les renseignements qu’il n’a pas invoqués, si les circonstances et les considérations d’équité l’exigent (requête relative au refus de répondre, par. 87; directive de novembre, p. 3). C’est ce que le commissaire a choisi de faire lorsqu’il a fourni à l’AAV les documents pour lesquels le privilège a été levé.

[26]  En agissant comme il l’a fait, le commissaire a ainsi renoncé à son privilège à l’étape où, selon le régime élaboré par le Tribunal et confirmé par les cours, il était tenu et avait le droit de le faire.

[27]  Je suis convaincu que les mécanismes de protection spéciaux mis en place par le Tribunal pour répondre aux préoccupations relatives au droit à une audience équitable découlant de la limite imposée par le privilège d’intérêt public du commissaire à l’égard d’une divulgation complète des communications et des documents pertinents ont bien fonctionné en l’espèce. Je constate que, dans sa requête, l’AAV n’a pas déposé d’élément de preuve du contraire.

[28]  Le fait que le commissaire a maintenant renoncé à son privilège d’intérêt public en conformité avec les mécanismes de protection élaborés par le Tribunal ne veut pas dire, à mon avis, que le processus d’interrogatoire préalable déjà terminé peut automatiquement être relancé à cette étape tardive de l’instance. Si c’était le cas, cela aurait tendance à faire perdre tout son sens au privilège d’intérêt public du commissaire et au processus élaboré par le Tribunal pour assurer un équilibre adéquat entre la protection d’un tel privilège et le droit d’un défendeur à une audience équitable. Selon l’état actuel du droit, le privilège d’intérêt public du commissaire est reconnu, et le commissaire n’est pas tenu de communiquer, jusqu’à ce qu’il dépose ses déclarations de témoins, les documents à l’égard desquels il a invoqué le privilège. Cela signifie qu’il n’est pas obligé de communiquer les documents visés par le privilège lors de l’interrogatoire préalable, bien qu’il soit tenu de fournir des résumés adéquats et exacts de leur contenu. La raison est que, pour protéger adéquatement l’identité de sources d’information visées par le privilège, la renonciation n’est accordée qu’à la dernière étape de l’instance, près de la date du procès.

[29]  Dans ce contexte, je suis d’accord avec le commissaire pour dire que les documents pour lesquels le privilège a été levé ne peuvent être considérés comme constituant de « nouveaux renseignements » en tant que tels. Ils contiennent plutôt de l’information qui se trouve dans les résumés, lesquels ont été jugés adéquats par le Tribunal pour les besoins de l’interrogatoire préalable. Le représentant du commissaire a effectivement été interrogé au préalable pendant deux jours au sujet des documents produits et des résumés.

[30]  Je conviens et reconnais que, dans certaines situations, un défendeur pourrait convaincre le Tribunal qu’un interrogatoire préalable supplémentaire du représentant du commissaire est nécessaire après que le commissaire a renoncé à son privilège d’intérêt public, même à la dernière étape du dépôt des déclarations des témoins. Cela serait le cas, par exemple, lorsque la production des documents complets démontrerait que les résumés sous-jacents étaient inadéquats ou inexacts. Cependant, pour que le Tribunal en arrive à une telle conclusion et relance le processus d’interrogatoire préalable qui est déjà terminé, il faut plus qu’une déclaration générale sur un possible manquement à l’équité procédurale. Le Tribunal doit être convaincu par des éléments de preuve appropriés et adéquats.

[31]  Autrement dit, il faudrait que des éléments de preuve me soient présentés pour que je conclue que le défaut de procéder à un autre interrogatoire préalable concernant les documents pour lesquels le privilège a été levé est inéquitable sur le plan procédural et préjudiciable à la capacité de l’AAV de présenter une défense pleine et entière en réponse à la demande sous-jacente du commissaire. C’est particulièrement le cas dans un contexte où, comme en l’espèce, une requête contestant le caractère adéquat des résumés a été déposée et rejetée par le Tribunal. Je constate effectivement que les avocats de l’AAV ont été incapables de me présenter un précédent appuyant un droit général de procéder à un interrogatoire préalable supplémentaire du représentant du commissaire dans les circonstances où le commissaire a renoncé à son privilège d’intérêt public au moment où les déclarations de ses témoins sont signifiées et lorsque des résumés adéquats ont été fournis, conformément aux mécanismes de protection élaborés par le Tribunal et confirmés par les cours.

[32]  Je conclus qu’en l’espèce, l’AAV n’a pas présenté d’élément de preuve établissant l’existence de circonstances spéciales qui appuieraient la délivrance d’une ordonnance obligeant le représentant du commissaire à se soumettre à un nouvel interrogatoire préalable pour répondre à des questions concernant les documents pour lesquels le privilège a été levé. Comme l’AAV a déjà procédé à un interrogatoire préalable en fonction de résumés qui ont été jugés équitables et adéquats par le Tribunal, il incombait à l’AAV de démontrer la nécessité de mener un autre interrogatoire préalable du représentant du commissaire et d’expliquer pourquoi un tel interrogatoire fondé sur les documents pour lesquels le privilège a été levé serait justifié. L’AAV ne s’est pas acquittée de ce fardeau. Aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer comment et en quoi les résumés étaient inadéquats ou inexacts ni pour appuyer l’allégation de l’AAV selon laquelle la production des documents pour lesquels le privilège a été levé à cette étape de l’instance nuisait à sa capacité de préparer sa réponse et rendait la procédure fondamentalement inéquitable. À mon avis, les documents pour lesquels le privilège a été levé sont nombreux et probablement très importants et probants, mais l’AAV n’a pas soulevé de faits précis ni démontré comment et en quoi elle subirait un préjudice s’il n’y avait aucun autre interrogatoire préalable concernant les documents pour lesquels le privilège a été levé.

[33]  Par ailleurs, je souligne que, même à l’extérieur d’un processus aussi unique que celui en l’espèce, où un privilège d’intérêt public est en cause et où il existe des mécanismes de protection spéciaux, il est exceptionnel de relancer un interrogatoire préalable la veille de la date prévue d’un procès. Une fois que la date du procès est fixée dans une affaire, [TRADUCTION] « la procédure préalable au procès ne doit pas être relancée si le demandeur ne démontre pas qu’il y a eu un changement important et imprévu dans les circonstances ou qu’une injustice manifeste est susceptible de se produire si cette procédure n’est pas relancée » (Vigoren c Nystuen, 2006 SKCA 47, par. 41-42; Dufour c Saskatoon StarPhoenix Group Inc, 2007 SKQB 293, par. 21-22).

[34]  Dans les instances devant la Cour fédérale, en règle générale, l’interrogatoire préalable « n’est pas une procédure indéfinie et illimitée » (John Labatt Ltd c Molson Breweries, A Partnership (1996), 69 CPR (3d) 126 (CF 1re inst) (« John Labatt »), par. 8). Il s’agit plutôt d’un moyen permettant à une partie de mieux se préparer au procès. Mais, comme tout autre instrument, il faut l’utiliser comme il convient afin d’obtenir les meilleurs résultats, et la Cour ne devrait pas permettre que cela retarde indûment l’instance (John Labatt, par. 8). Pour décider de l’opportunité de relancer un interrogatoire préalable, les tribunaux doivent examiner s’il y a eu un retard à l’étape du dépôt de la requête, si un interrogatoire préalable poussé a déjà eu lieu et si de nouvelles questions sont soulevées (Taylor c R, [1992] 1 FC 316 (CF 1re inst) (« Taylor »), par. 22). Ainsi, relancer un interrogatoire préalable constitue un « recours extraordinaire » qui devrait être justifié par des « circonstances spéciales » afin de mieux desservir « les fins de la justice » (Taylor, par. 22). Rien dans la jurisprudence soumise par l’AAV à l’appui de sa requête ne contredit ces principes.

[35]  J’ajouterais qu’en renonçant à son privilège à l’égard des documents pour lesquels le privilège a été levé uniquement au moment de la signification de ses déclarations de témoins, le commissaire ne peut pas être considéré comme ayant utilisé ce privilège afin d’obtenir un avantage tactique dans le litige ou d’une manière qui serait fondamentalement incompatible avec le rôle qui lui est conféré, soit d’agir en conformité avec l’intérêt public. En fait, le commissaire a suivi les mécanismes de protection mis en place par le Tribunal et confirmés par les cours. Rien dans la preuve n’étaye l’allégation selon laquelle les actes du commissaire avant le procès sont [TRADUCTION] « motivés par des considérations d’ordre tactique » ou constituent un procès par embuscade (R c Gordon, [1999] OJ No 1425 (CJ Ont), par. 35-37).

[36]  Cela étant dit, étant donné l’acceptation précise du commissaire, je conviens qu’un autre interrogatoire préalable de son représentant peut être ordonné en l’espèce, selon les conditions qui suivent. Puisque l’AAV a déjà interrogé au préalable le représentant du commissaire pendant deux jours complets, et étant donné le nombre de documents pour lesquels le privilège a été levé (bien qu’il ne soit pas négligeable, il représente néanmoins seulement une fraction des documents produits par le commissaire en l’espèce), je suis convaincu qu’une journée supplémentaire d’interrogatoire préalable du représentant du commissaire est suffisante et raisonnable pour aborder les questions soulevées dans les documents pour lesquels le privilège a été levé.

[37]  En outre, comme les interrogatoires préalables sont censés être achevés avant que l’une des parties ne puisse bénéficier des déclarations de témoins ou des rapports d’experts de la partie adverse, je conviens également que l’interrogatoire préalable du représentant du commissaire ne doit pas porter sur des questions découlant des déclarations de témoins ou du rapport d’expert du commissaire. Je précise que seulement l’information en la possession et sous le contrôle du commissaire peut faire l’objet de questions dans le cadre de l’interrogatoire préalable et que l’AAV ne peut demander au représentant du commissaire de spéculer sur ce qu’un tiers peut avoir voulu dire durant une entrevue avec le Bureau.

[38]  Enfin, compte tenu des étapes restantes de la communication préalable à l’audience et du calendrier révisé ordonné ci-dessous, je conclus que cet interrogatoire préalable supplémentaire d’une journée du représentant du commissaire doit se faire avant le 15 décembre 2017 et que toute requête découlant de cet interrogatoire doit être déposée au plus tard le 18 décembre et instruite par le Tribunal avant le 21 décembre. Je suis convaincu que, si les parties déploient des efforts de bonne foi, les avocats peuvent s’entendre sur des dates mutuellement convenables permettant de respecter ces délais serrés.

[39]  Il est bien établi que le Tribunal se situe très près de « l’extrémité judiciaire de l’échelle », si ce n’est à l’extrémité même, où les fonctions et les processus ressemblent davantage à ceux des cours de justice et commandent la plus grande mesure d’équité procédurale. De plus, le droit à une audience équitable signifie le droit de connaître la preuve à réfuter et le droit à une possibilité véritable de présenter une preuve à l’appui de sa propre position (The Commissioner of Competition c Direct Energy Marketing Limited, 2014 Trib conc 17, par. 16; décision relative au privilège, par. 169). Par ailleurs, la nature et la portée du devoir d’équité procédurale varient selon le contexte et les différentes situations factuelles dont le Tribunal est saisi, de même que selon la nature des litiges qu’il doit régler (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, par. 25- 26; décision relative au privilège, par. 165-170; décision relative au refus de répondre, par. 44).

[40]  Je suis convaincu qu’avec l’interrogatoire préalable déjà effectué et en autorisant une journée supplémentaire d’interrogatoire préalable du représentant du commissaire au sujet des documents pour lesquels le privilège a été levé ainsi qu’un délai supplémentaire pour préparer sa réponse, on respecte amplement le droit de l’AAV à une audience équitable et à une défense pleine et entière, et qu’aucun manquement à l’équité procédurale ne découlera du retard dans la production, par le commissaire, des documents pour lesquels le privilège a été levé. En outre, l’AAV aura l’occasion, au procès, de contre-interroger les témoins du commissaire à l’égard du contenu des documents pour lesquels le privilège a été levé.

B.  Modification de l’ordonnance concernant le calendrier

[41]  Je passe maintenant à la demande de l’AAV visant à prolonger le délai pour lui permettre de préparer sa réponse et à modifier l’ordonnance de juillet concernant le calendrier.

[42]  Je suis d’accord avec l’AAV pour dire qu’en l’espèce, les règles de l’équité procédurale et les intérêts de la justice exigent que cette dernière bénéficie d’un délai raisonnable pour examiner les documents pour lesquels le privilège a été levé et pour préparer sa réponse. Le délai qui lui a été accordé pour signifier la liste des documents sur lesquels elle entend se fonder et ses déclarations de témoins et pour signifier et déposer ses rapports d’experts doit donc être prolongé afin de permettre à l’AAV (y compris non seulement ses avocats, mais aussi ses représentants et tout expert auquel elle peut avoir fait appel) d’examiner les documents et de déterminer comment leur contenu peut influer sur son dossier et sa stratégie générale au procès.

[43]  Le commissaire a signifié ses déclarations de témoins accompagnés de tous les documents sur lesquels il entend se fonder le 15 novembre 2017, mais a seulement décidé de renoncer à son privilège d’intérêt public à l’égard de plus de 1 000 documents dans la semaine suivante. Il a produit les documents pour lesquels le privilège a été levé neuf jours plus tard et a communiqué la désignation de confidentialité le 29 novembre 2017, entraînant ainsi des retards pour l’AAV dans le processus de communication préalable à l’audience et dans la réception de l’information pertinente pour la préparation de son dossier. Étant donné les questions soulevées par l’AAV dans sa requête relative au refus de répondre, et en particulier dans sa demande 117, et compte tenu de la décision relative au refus de répondre, je suis d’avis que le commissaire aurait dû savoir ou prévoir que l’AAV demanderait tous les renseignements pertinents provenant de ses témoins. Je suis également d’avis que le commissaire aurait dû savoir qu’il serait tenu d’indiquer en temps opportun le niveau de confidentialité (niveau A ou B) des documents à l’égard desquels il renoncerait à son privilège d’intérêt public.

[44]  Je reconnais que le commissaire a finalement décidé de renoncer volontairement à son privilège d’intérêt public à l’égard de tous les documents pertinents et que l’AAV n’a donc pas été tenue de demander une ordonnance au Tribunal afin d’obtenir une telle réparation. Cependant, le fait demeure qu’en raison de la réponse tardive du commissaire, l’AAV a eu accès tardif aux renseignements pour lesquels le privilège a été levé. Cela nécessite une prolongation du délai pour signifier sa réponse.

[45]  Je suis également convaincu que cette prolongation de délai est justifiée en l’espèce, en raison de la quantité et de la nature des documents pour lesquels le privilège a été levé.

[46]  Je ne conteste pas que, lorsque le commissaire a signifié ses déclarations de témoins à l’AAV le 15 novembre 2017, il n’était tenu que de fournir l’ensemble des documents sur lesquels il avait l’intention de se fonder et de renoncer à son privilège d’intérêt public à l’égard de ces documents, le cas échéant (directive de novembre, p. 3). C’est ce qu’il a fait. Par contre, le commissaire savait qu’il pouvait aussi être tenu, selon les circonstances, de renoncer à son privilège d’intérêt public à l’égard de tous les renseignements pertinents – lui étant favorables ou non – fournis par un témoin comparaissant en son nom. Il appartenait à l’AAV de soulever la question auprès du commissaire et du Tribunal si elle croyait que le commissaire ne respectait pas ses obligations lorsqu’il a signifié ses documents, ce qu’elle a fait dans sa correspondance avec le commissaire et dans ses demandes au Tribunal.

[47]  Dans le contexte de l’espèce, les considérations d’équité exigent clairement que l’on accorde à l’AAV plus de temps pour examiner et résumer les renseignements contenus dans les documents pour lesquels le privilège a été levé et pour préparer son dossier, car le processus de communication a été écourté à son détriment. Il appartient au Tribunal, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et à la lumière des circonstances, de déterminer combien de temps lui accorder. Il n’existe pas de formule magique pour déterminer comment mener cet exercice de pondération ni comment mesurer l’incidence d’une communication tardive sur le droit d’un défendeur à une audience équitable. Par contre, le Tribunal se montre généralement prudent et veille à ce que les considérations d’équité procédurale ne soient pas sacrifiées au profit de l’efficacité et de la célérité du procès.

[48]  Ayant examiné les observations écrites et orales présentées par les avocats des deux parties, je suis convaincu qu’il existe des motifs sérieux de modifier l’ordonnance de juillet concernant le calendrier pour ce qui est des étapes restantes de la communication préalable à l’audience et des dates d’audience fixées dans la présente affaire, et qu’une prolongation du délai de quatre semaines, soit jusqu’au 12 janvier 2018, est nécessaire et raisonnable afin de donner à l’AAV suffisamment de temps pour préparer adéquatement sa réponse.

[49]  Je souligne qu’en juillet 2017, l’AAV a accepté l’échéancier révisé établi par l’ordonnance de juillet concernant le calendrier. À ce moment-là, le Tribunal avait rendu sa décision relative au privilège et avait confirmé le privilège d’intérêt public général du commissaire. L’AAV avait déposé son appel à l’encontre de cette décision devant la Cour d’appel fédérale. L’AAV était au courant qu’il existait environ 1 200 documents à l’égard desquels le commissaire invoquait un privilège d’intérêt public et elle connaissait les mécanismes de protection décrits par le Tribunal dans la décision relative au privilège. En effet, le commissaire avait utilisé le premier mécanisme de protection en fournissant les résumés, et l’AAV avait utilisé le deuxième en contestant le caractère adéquat de ceux-ci. En outre, le Tribunal avait rejeté la requête de l’AAV contestant le caractère adéquat des résumés dans sa décision relative aux résumés. L’AAV savait également qu’elle bénéficierait du troisième mécanisme de protection (à savoir la renonciation au privilège par le commissaire au moment de la signification des déclarations de témoins de celui-ci), qu’elle pourrait ensuite soulever auprès du Tribunal tout défaut allégué du commissaire de se conformer à ses obligations en matière de divulgation, et qu’elle avait la possibilité de soulever l’argument selon lequel il existe des circonstances impérieuses pour contester et contourner le privilège invoqué par le commissaire. Avec ces renseignements en main, l’AAV a accepté, dans l’ordonnance de juillet concernant le calendrier, un délai strict de 30 jours pour répondre à la preuve principale du commissaire. Dans ce contexte, je suis convaincu qu’il est juste et équitable d’accorder à l’AAV un délai supplémentaire de quatre semaines pour préparer sa réponse à la suite de la réception tardive des documents pour lesquels le privilège a été levé.

[50]  Aux termes de l’article 139 des Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/2008-141, les dates et les autres exigences prévues par ordonnance dans le cadre de la gestion de l’instance, comme l’ordonnance de juillet concernant le calendrier, doivent être rigoureusement respectées, et il doit y avoir des « motifs sérieux » pour modifier de telles ordonnances. C’est le cas en l’espèce. Je suis d’autant plus convaincu qu’après avoir établi un équilibre entre les intérêts opposés en jeu, une prolongation du délai peut être accordée à l’AAV tout en respectant la période de cinq semaines actuellement réservées pour le procès dans la présente affaire, si l’on accélère les étapes restantes de la communication préalable à l’audience, notamment la période prévue pour la réponse du commissaire, et si l’on réorganise légèrement le calendrier d’audience.

[51]  Je tiens à formuler l’observation supplémentaire suivante. Dans le cadre du processus d’interrogatoire préalable en l’espèce, ce n’est pas la première fois que les actes ou les positions du commissaire ont donné lieu à des retards dans la communication de l’information à l’AAV. Premièrement, pour faire suite aux préoccupations soulevées par l’AAV et au dépôt de sa requête contestant le caractère adéquat des résumés, le commissaire a révisé et élargi sa première version des résumés. Cela a entraîné un certain retard dans la communication de résumés adéquats à l’AAV. Cependant, je reconnais que tout manquement allégué à l’équité procédurale découlant de cette communication tardive des résumés a été réparé par la prolongation du délai pour l’interrogatoire préalable et pour les étapes de la communication préalable à l’audience dans l’ordonnance révisée de juillet concernant le calendrier.

[52]  Deuxièmement, l’interrogatoire préalable du représentant du commissaire a mené à la requête de l’AAV visant à contester le refus de répondre à certaines questions ainsi qu’à la décision du Tribunal relative au refus de répondre, dans laquelle il a conclu que la réponse « générique » du commissaire n’était pas « suffisante pour satisfaire aux critères d’équité, de célérité et d’efficacité de l’instruction qui devraient généralement s’appliquer à l’interrogatoire préalable dans le cadre d’instances devant le Tribunal » (décision relative au refus de répondre, par. 48) et que d’autres réponses devaient être données par le commissaire. La communication incomplète par le commissaire à l’étape de l’interrogatoire préalable de vive voix a donc aussi entraîné quelques retards dans la réception par l’AAV des renseignements pertinents auxquels elle avait droit.

[53]  Et maintenant, il y a ce retard dans la communication des documents pour lesquels le privilège a été levé.

[54]  L’équité procédurale entraîne des obligations pour toutes les parties, y compris le commissaire, et il faut soupeser la célérité de la procédure du Tribunal par rapport au droit à l’équité (décision relative au refus de répondre, par. 45). Les parties devraient toujours garder ce principe à l’esprit, et le Tribunal n’hésitera pas à intervenir et à modifier le calendrier de ses travaux si les circonstances le justifient. En l’espèce, je suis convaincu que les mesures contenues dans la présente ordonnance sont suffisantes pour protéger les droits procéduraux de l’AAV. Par contre, il pourrait y avoir des situations où l’accumulation des retards dans le processus de communication peut forcer le Tribunal à modifier de façon plus importante les calendriers d’audience s’il en arrive à la conclusion que les considérations d’équité l’obligent à accorder plus de temps au défendeur pour préparer sa réponse ainsi que pour présenter une défense pleine et entière.

C.  Autres questions

[55]  Dans sa correspondance du 4 décembre 2017, l’avocat de l’AAV a soutenu que le Tribunal devrait suspendre sa décision relativement à quelques questions soulevées dans sa requête. Je ne suis pas d’accord. Je suis plutôt d’avis qu’il ne serait pas dans l’intérêt de l’administration appropriée et ordonnée de la justice de laisser en suspens les questions soulevées par l’AAV dans sa requête ou de reporter la décision du Tribunal sur les diverses réparations demandées par l’AAV, étant donné l’imminence de l’audience sur le fond de la présente affaire et le calendrier serré des étapes restantes de la communication préalable à l’audience. Il ne serait donc pas dans l’intérêt de la justice ni de l’équité de l’instance du Tribunal d’ajourner indéfiniment toute question soulevée dans la requête de l’AAV.

[56]  Le calendrier modifié du procès qui a été proposé sur consentement des parties montre qu’il est possible d’accepter la demande de prolongation de l’AAV tout en respectant le cadre de cinq semaines déjà établi pour l’audience.

[57]  Je conclus qu’avec la prolongation de quatre semaines du délai accordé à l’AAV pour préparer sa réponse, le calendrier révisé du procès et l’occasion fournie à l’AAV d’interroger à nouveau le représentant du commissaire pendant une journée supplémentaire dans le cadre des paramètres établis dans la présente ordonnance, on atteint un équilibre approprié. À mon avis, cela répond adéquatement aux préoccupations soulevées par l’AAV concernant un possible manquement à l’équité procédurale découlant de la communication tardive des documents pour lesquels le privilège a été levé, en plus d’accorder à l’AAV suffisamment de temps pour se préparer et achever les étapes restantes de la communication préalable à l’audience. À ce stade-ci, aucun motif ne permet de croire qu’un autre ajournement de l’audience pourrait être envisagé.

[58]  Enfin, je fais observer que, dans le contexte de la présente ordonnance, je ne suis pas tenu de déterminer quelle réparation l’AAV pourrait être en mesure de demander à l’issue de son appel de la décision relative au privilège qui est actuellement devant la Cour d’appel fédérale.

IV.  CONCLUSION

[59]  Pour les motifs qui précèdent, les demandes et la requête de l’AAV sont accueillies en partie; celle-ci aura le droit restreint de procéder à un autre interrogatoire préalable du représentant du commissaire, et le calendrier pour le règlement de la demande sera modifié. Je prends acte du fait que le commissaire accepte de produire son représentant pour une journée supplémentaire d’interrogatoire préalable, en lien avec les documents pour lesquels le privilège a été levé. Après avoir examiné les documents déposés par l’AAV ainsi que la correspondance la plus récente entre les avocats des deux parties, et après les avoir entendus lors de la CGI du 30 novembre 2017, je suis prêt à ordonner l’interrogatoire préalable supplémentaire du représentant du commissaire, selon les paramètres établis dans la présente ordonnance. Je suis également d’accord avec l’AAV pour dire qu’étant donné la communication tardive, par le commissaire, des documents pour lesquels le privilège a été levé, conjuguée au nombre de documents en jeu, les considérations d’équité commandent que l’AAV se voie accorder plus de temps pour examiner et résumer l’information afin d’être en mesure de préparer adéquatement sa réponse. À mon avis, cela peut se faire en ajustant les étapes restantes de la communication préalable à l’audience énoncées dans l’ordonnance de juillet concernant le calendrier et en modifiant légèrement les dates d’audience déjà fixées pour la présente affaire, et ce, en s’inspirant de celles établies dans le calendrier révisé accepté par les parties.

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT, LE TRIBUNAL ORDONNE CE QUI SUIT :

[60]  La requête de l’AAV est accueillie en partie.

[61]  L’AAV est autorisée à procéder à un autre interrogatoire préalable du représentant du commissaire, pour une durée maximale d’une journée et selon les paramètres établis dans la présente ordonnance. Les parties sont tenues d’achever cet interrogatoire préalable au plus tard le 15 décembre 2017.

[62]  Toute requête découlant d’un tel interrogatoire préalable doit être déposée avant 16 h le 18 décembre 2017 et être instruite par le Tribunal avant le 21 décembre.

[63]  L’ordonnance de juillet concernant le calendrier est par les présentes modifiée, et le calendrier révisé des étapes restantes de la communication préalable à l’audience dans la présente demande est maintenant le suivant :

12 janvier 2018

Signification par la défenderesse des documents sur lesquels elle entend se fonder et des déclarations de témoins, et signification et dépôt des rapports d’expert, le cas échéant

29 janvier 2018

Date limite pour le dépôt de toute demande de reconnaissance

29 janvier 2018

Signification par le demandeur de la liste des documents en réplique et des déclarations de témoins, et signification et dépôt des rapports d’experts en réplique, le cas échéant

31 janvier 2018

Dernière journée pour le dépôt de requêtes liées à la preuve

31 janvier 2018

Date limite pour fournir au Tribunal des documents à utiliser à l’audience (p. ex., recueils de jurisprudence et de doctrine, déclarations des témoins et livres conjoints de documents)

2 février 2018

Date limite pour répondre aux demandes de reconnaissance

2 février 2018

Instruction de requêtes liées à la preuve

[64]  L’instruction de la présente demande débutera à 9 h 30 le 6 février 2017, dans la salle d’audience du Tribunal de la concurrence située au 90, rue Sparks, bureau 600, Ottawa (Ontario). Le calendrier de l’audience sera le suivant :

6-9 février 2018

Première semaine d’audience (quatre jours à Ottawa). Il est entendu que les experts du commissaire ne témoigneront pas avant la deuxième semaine.

13-16 février 2018

Deuxième semaine d’audience (quatre jours à Ottawa)

20-23 février 2018

Troisième semaine d’audience (quatre jours à Vancouver)

28 février – 2 mars 2018

Plaidoirie (trois jours à Ottawa)

[65]  Les autres réparations demandées par l’AAV dans sa requête sont rejetées.

[66]  Comme l’AAV a partiellement eu gain de cause dans ses demandes et sa requête, les dépens suivront l’issue de la cause.

FAIT à Ottawa, ce 6e jour de décembre 2017.

SIGNÉ au nom du Tribunal par le président.

(s) Denis Gascon


AVOCATS AU DOSSIER :

Pour le demandeur :

Le commissaire de la concurrence

Antonio Di Domenico

Jonathan Hood

Katherine Rydel

Ryan Caron

Pour la défenderesse :

Administration aéroportuaire de Vancouver

Calvin S. Goldman, c.r.

Michael Koch

Julie Rosenthal

Ryan Cookson

Rebecca Olscher

 

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