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Tribunal de la Concurrence

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Competition Tribunal

Référence : Le Commissaire de la concurrence c. Administration aéroportuaire de Vancouver, 2017 Trib Conc 8

N° de dossier : CT-2016-015

N° de document du greffe : 118

EU ÉGARD À une demande présentée par le commissaire de la concurrence en vue d’obtenir une ou plusieurs ordonnances en vertu de l’article 79 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, ch C-34, et ses modifications;

ET EU ÉGARD À une requête de l’administration aéroportuaire de Vancouver visant à contester le caractère adéquat et l’exactitude des résumés.

ENTRE:

Le commissaire de la concurrence

(demandeur)

et

L’administration aéroportuaire de Vancouver

(défenderesse)

Competition Tribunal Seal / Sceau Tribunal de la Concurrence

Date de l’audience : 26 juin 2017

Devant le membre judiciaire : le juge M. Phelan

Date des motifs et de l’ordonnance : 4 juillet 2017

MOTIFS ET ORDONNANCE REJETANT UNE REQUÊTE CONTESTANT LE CARACTÈRE ADÉQUAT ET L’EXACTITUDE DES RÉSUMÉS


I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’une requête visant à obliger la production de résumés complets, adéquats et exacts des documents à l’égard desquels le commissaire de la concurrence (le commissaire) a revendiqué un privilège d’intérêt public. La question a été circonscrite, comme on peut le voir ci- dessous.

II.  CONTEXTE

[2]  Le commissaire a communiqué à la défenderesse, l’autorité aéroportuaire de Vancouver (AAV), des résumés des faits (les résumés) qu’il a obtenus dans le cadre de son enquête menant à la présente procédure en vertu de l’article 79 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, ch C-34 (abus de position dominante). Le commissaire a revendiqué un privilège d’intérêt public à l’égard des renseignements obtenus dans le cadre de l’enquête, soit des notes d’entrevue, des affidavits, des courriels, des lettres, des mémoires, des cahiers de notes et des présentations.

[3]  L’AAV a contesté le privilège d’intérêt public revendiqué par le commissaire. Cela a donné lieu à la décision du président, le juge Gascon, datée du 24 avril 2017, confirmant le privilège revendiqué par le commissaire à l’égard d’environ 1 200 documents. Cette décision fait l’objet d’un appel.

La décision du 24 avril contenait un examen détaillé des questions relatives au droit à une instruction équitable et à l’équité procédurale.

[4]  La première version des résumés a été communiquée le 13 avril 2017. L’AAV n’était pas satisfaite du niveau de détails des résumés et a présenté une requête afin de contester le caractère adéquat et l’exactitude de ceux-ci.

[5]  Dans sa décision du 24 avril, le juge Gascon a indiqué que ce type de requête était habituellement présenté après la communication préalable du représentant du commissaire :

[TRADUCTION]

176 [...] Si, après avoir examiné les résumés et après la communication préalable du commissaire, l’AAV croit que les résumés ne sont pas complets ou ne révèlent pas certains renseignements importants, elle pourra présenter une demande au Tribunal afin qu’un membre judiciaire qui ne statue pas sur le fond de l’affaire les examine en vue de déterminer leur caractère adéquat et leur suffisance. [...]

[6]  Quant à savoir si une requête pouvait être présentée avant la communication préalable, le juge Gascon, dans le contexte d’une conférence de gestion de l’instance, a déclaré ceci :

[TRADUCTION]

Les principes de l’équité procédurale obligent le Tribunal à autoriser un défendeur à présenter une telle requête avant la communication préalable lorsque ce dernier allègue, comme c’est le cas en l’espèce, que le présumé caractère inadéquat et/ou l’inexactitude des résumés porte atteinte à ses droits de connaître la preuve pesant contre lui et d’avoir une possibilité adéquate de préparer sa cause.

[7]  À la suite de cette décision concernant la conférence de gestion d’instance, l’AAV a déposé la présente requête. Avant la date initiale de l’audience, le commissaire a communiqué des résumés révisés qui réglaient largement les présumées lacunes cernées par l’AAV, mais a refusé d’identifier ses sources, soi-disant parce qu’il craignait que cela compromette des renseignements protégés. Un ajournement de l’audience initiale a été accordé afin de permettre à l’AAV d’examiner les résumés révisés.

[8]  Malgré les compromis importants qui ont été faits par le commissaire, l’AAV a choisi de déposer la présente requête avant la communication préalable.

[9]  L’AAV se plaint que les résumés n’identifient pas suffisamment les sources de manière à lui permettre d’associer les déclarations à une source particulière. Par exemple, elle se plaint qu’en utilisant l’expression [TRADUCTION] « une entreprise de transport aérien basée au Canada a déclaré » dans les résumés, l’AAV ne peut pas établir si les déclarations sont faites par le même transporteur lorsque la même expression est utilisée à nouveau dans d’autres déclarations différentes. L’AAV va même jusqu’à dire que lorsque deux déclarations sont diamétralement opposées, elle ne peut pas savoir s’il s’agit du même transporteur qui se contredit ou s’il s’agit de transporteurs différents qui font ces déclarations.

[10]  À partir de tels exemples, l’AAV ajoute qu’elle est incapable de faire une communication préalable adéquate et qu’elle se voit autrement refuser l’équité dans ce processus de litige.

[11]  L’AAV ne croit pas que le fait qu’on lui fournisse plus de détails sur les sources règle sa préoccupation concernant les résumés ou rendra ceux-ci adéquats. Elle n’admet pas l’exactitude des résumés, mais ne la conteste pas pour l’instant.

[12]  La veille de la nouvelle date d’audience, le commissaire a déposé un dossier supplémentaire auquel l’AAV s’est opposée. Une fois qu’il est devenu clair que la preuve a été présentée pour démontrer les compromis que le commissaire a faits dans sa communication, l’objection de l’AAV s’est quelque peu dissipée.

J’ai jugé que le dossier supplémentaire a été admis pour la seule fin de démontrer ce qui s’était passé entre les parties.

III.  DÉCISION

[13]  Un examen des résumés révisés montre que la communication des faits réunis par le commissaire contenait des renseignements tant utiles qu’inutiles au commissaire. Les faits visent tous les sujets pertinents et sont catégorisés en fonction de ceux-ci. La période visée par la communication débute au commencement de l’enquête et se poursuit jusqu’à aujourd’hui. De plus, les renseignements proviennent de tous les types de participants au marché et sont identifiés d’après le type de participants.

[14]  Lors de l’examen de cette requête, il vaut la peine de commencer par quelques principes. Les renseignements en cause sont protégés par un privilège d’intérêt public, un privilège générique, et il s’agit de renseignements qui, autrement, ne seraient pas communiqués.

[15]  Le Tribunal de la concurrence et les tribunaux ont élaboré un régime de communication conçu pour équilibrer le privilège d’intérêt public et l’équité. Dans l’affaire Canada (Commissioner of Competition) v United Grain Growers Ltd, 2002 Trib conc 35 au paragraphe 90, 21 CPR (4th) 140 [UGG], sur laquelle l’AAV se fonde, le juge Lemieux a précisé les droits que l’AAV avait à : la communication d’un « résumé agrégé des principaux faits pertinents réunis durant l’enquête du commissaire ». Il a également examiné le processus de communication préalable et le rôle limité que devrait jouer le privilège d’intérêt public, mais a mis l’accent sur l’importance de ne pas révéler les sources d’information.

[16]  Les commentaires du juge Lemieux sont conformes à une décision rendue par le juge McKeown dans Canada (Competition Act, Director of Investigation and Research) v Canadian Pacific Ltd, 78 CPR (3d) 421, [1997] CCTD No 42 (QL) [CP citée dans CCTD]. Cette affaire est étroitement similaire à la présente espèce et elle est persuasive, voire contraignante. Je ne peux faire mieux que de répéter les paragraphes essentiels :

[TRADUCTION]

8 Enfin, CP affirme que le résumé contient plusieurs failles empêchant d’associer adéquatement les sources aux déclarations et aux renseignements. CP soutient avoir le droit de savoir de quelles catégories (définies adéquatement) d’informateurs les déclarations contenues dans le document sont tirées.

9 À mon avis, la demande de CP n’est pas appropriée. Le Tribunal reconnaît depuis longtemps qu’un intérêt public protège les sources d’information fournies au directeur durant ses enquêtes. Une pratique s’est formée dans le cadre des procédures du Tribunal selon laquelle le directeur fournit aux défendeurs des résumés des faits qu’il a obtenus. Cependant, afin de protéger l’identité des sources, le directeur n’est pas tenu de fournir ces renseignements, sauf dans une forme agrégée, comme l’a indiqué clairement le juge Reed dans Southam, la première affaire où des résumés ont été fournis par le directeur.

Il y a lieu de noter que l’ordonnance précédente n’exigeait pas de résumés pour chaque entrevue; des renseignements regroupés suffisaient.

10 C’est précisément ce que le directeur a fait en l’espèce. Toutefois, afin d’accroître l’utilité des résumés, le directeur a choisi de fournir une liste des catégories de personnes interrogées auprès de qui il avait obtenu les renseignements. À mon avis, le fait d’exiger au directeur de diviser davantage ses catégories de la manière proposée par CP révèlerait très probablement les sources d’information ou, du moins, réduirait considérablement les sources possibles. Cela va clairement à l’encontre de l’intention derrière la prestation de résumés agrégés des faits. De même, le fait d’exiger au directeur de révéler le nombre d’entrevues qu’il a menées dans chaque catégorie pourrait avoir pour effet de révéler l’identité des personnes interrogées ou de compromettre considérablement leur anonymat.

11 L’objectif des résumés est de communiquer aux défendeurs les faits connus du directeur. Ces renseignements sont mis en évidence dans les résumés du directeur, même si les catégories de source ne sont pas aussi précises ou homogènes que CP le voudrait, ou même s’il n’est pas parfaitement clair qu’une déclaration donnée est tirée d’une certaine catégorie de personnes interrogées. À cette étape, CP n’a pas besoin de savoir à qui appartiennent les opinions énoncées dans les résumés avec un plus grand niveau de certitude que celui déjà fourni le directeur. Cela va dans la lignée de la décision rendue par le Tribunal dans l’affaire Nielsen, où il a déclaré ce qui suit :

Bien qu’il puisse être utile pour le défendeur de savoir ce que chaque personne à qui le directeur a parlé avait à dire, car cela réduirait probablement la durée de préparation du cas, la question de savoir si de tels renseignements sont rendus disponibles est principalement une question de commodité; la nature des questions ne fait pas en sorte qu’un cas dépende de l’opinion de quelques participants de l’industrie. Si jamais cela était le cas, le défendeur saurait sans aucun doute qui sont les participants en question.

12 CP a le droit de savoir que le directeur a recueilli des opinions et des points de vue sur un sujet pertinent. Avec ces opinions et points de vue en main, CP est en mesure de préparer son cas en déterminant s’il s’opposera à ces opinions ou points de vue. À mon avis, il n’est pas nécessaire à ce moment-là que CP soit en mesure d’évaluer le poids ou l’importance des opinions incluses dans les résumés du directeur. Si, à l’instruction de la demande, le directeur choisit de se fonder sur une opinion ou un point de vue contenu dans le résumé, il renoncera à son privilège à l’égard de l’information et la source de la déclaration devra être révélée aux défendeurs rapidement.

[17]  Selon cette décision, l’AAV n’a le droit de connaître que les renseignements agrégés. L’AAV revendique toutefois bien plus que cela et veut obtenir en fait des renseignements très précis. À cette étape, il n’est pas nécessaire de divulguer l’auteur des opinions reflétées dans les résumés avec plus de précision que ce qui a déjà été fourni. En outre, il n’est pas important pour l’instant d’évaluer le poids ou l’importance des opinions et des points de vue inclus dans les résumés, malgré l’affirmation de l’AAV selon laquelle elle doit le faire avant la communication préalable. Essentiellement, CP prévoit que l’identité de la source n’est pas pertinente à cette étape.

[18]  L’AAV n’a fourni aucun élément de preuve démontrant qu’elle a besoin les renseignements précis qu’elle demande sur l’identité de la source d’information. Le fardeau de prouver ce point lui incombe, et elle ne s’en est pas acquittée. Au mieux, l’AAV a soutenu qu’elle ne pouvait pas faire une communication préalable appropriée. Avec grand respect, je ne suis pas convaincu par cet argument voulant qu’elle soit dans une telle position. Aucun des exemples fournis ne démontre que l’AAV ne peut pas faire une communication préalable appropriée. De plus, l’AAV n’a pas établi que les renseignements concernant l’identité des sources sont pertinents à cette étape des procédures.

[19]  L’AAV soutient qu’elle ne peut pas faire de communication préalable sur le fondement des résumés uniquement. Cependant, la communication préalable est fondée non seulement sur les résumés, mais aussi sur d’autres documents produits ainsi que sur les propres connaissances de l’AAV. Rien ne prouve que l’AAV ne puisse pas faire une communication préalable appropriée avec tous ces renseignements.

[20]  L’AAV allègue que la non-communication d’une meilleure identification de la source va à l’encontre de l’équité procédurale. Elle soutient qu’il y a un certain élément d’équité renforcé en jeu, mettant en cause l’assertion de privilège d’intérêt public.

[21]  La question du niveau d’équité procédurale dû à l’AAV a été abordée par le juge Gascon dans la décision du 24 avril (voir en particulier les paragraphes 171 et 173). Il s’agit du niveau normal d’équité procédurale applicable aux circonstances.

[22]  Rien ne prouve qu’il y ait eu manquement à l’équité procédurale. Je ne suis pas convaincu par l’argument de l’AAC selon lequel un tel manquement a été établi à cette étape.

[23]  Comme le commissaire l’a souligné, un défendeur n’a pas le droit de connaître l’identité d’une source, particulièrement à cette étape des procédures. L’identité peut être divulguée avant le procès si le commissaire se fonde sur la source comme élément de preuve.

[24]  À cette étape des procédures, l’intérêt public requiert que l’on n’identifie pas les sources d’information ou que l’on ne donne pas de renseignements permettant d’identifier ces sources. Dans les circonstances actuelles, personne ne suggère que l’AAV n’a pas une bonne base de connaissances concernant les traiteurs du marché aéroportuaire ou les transporteurs situés au Canada (ou groupes de transporteurs) pouvant avoir des besoins en matière de restauration à l’aéroport international de Vancouver. Ces segments du marché sont petits, et les joueurs semblent bien connus de tous.

IV.  CONCLUSION

[25]  L’AAV n’a pas établi le bien-fondé d’une communication plus précise des sources d’information, même dans une forme limitée ou selon un accès limité.

[26]  Le commissaire a rempli ses obligations (et en a possiblement fait plus) en matière de communication. Il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale dans la forme et le contenu des résumés pour l’instant.

POUR LES MOTIFS PRÉCITÉS, LE TRIBUNAL ORDONNE CE QUI SUIT :

[27]  Par conséquent, la présente requête est rejetée avec dépens.

FAIT à Ottawa, ce 4e jour de juillet 2017.

SIGNÉ au nom du Tribunal par le membre judiciaire.

(s) Michael Phelan


AVOCATS :

Pour le demandeur :

Le commissaire de la concurrence

Jonathan Hood

Katherine Rydel

Ryan Caron

Pour la défenderesse :

L’administration aéroportuaire de Vancouver

Calvin S. Goldman, c.r.

Julie Rosenthal

 

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