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Tribunal de la Concurrence

Canada Coat of Arms / Armoiries du Canada

Competition Tribunal

Référence : CarGurus, Inc c Trader Corporation, 2016 Trib conc 15

N° de dossier : CT-2016-003

N° de document du greffe : 46

EU ÉGARD À la Loi sur la concurrence, LRC 1985, ch C-34 et ses modifications;

ET EU ÉGARD À une demande de CarGurus, Inc visant à obtenir, en vertu de l'article 103.1, la permission de présenter une demande en vertu des articles 75, 76 et 77 de la Loi sur la concurrence.

ENTRE :

CarGurus, Inc

(demanderesse)

et

Trader Corporation

(défenderesse)

Competition Tribunal Seal / Sceau Tribunal de la Concurrence

Décision rendue sur la foi des documents au dossier.

Devant le membre judiciaire : juge D. Gascon (président)

Date des motifs et de l'ordonnance : Le 14 octobre 2016

MOTIFS ET ORDONNANCE REJETANT UNE DEMANDE DE PERMISSION


I.  APERÇU

[1]  Le 15 avril 2016, CarGurus, Inc (« CarGurus ») a présenté une demande au Tribunal de la concurrence en vertu de l'article 103.1 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, ch C-34 (la « Loi ») en vue d'obtenir la permission de présenter une demande en vertu des articles 75, 76 et 77 de la Loi portant respectivement sur le refus de vendre, le maintien des prix et l'exclusivité. Si cette permission est accordée, CarGurus veut obtenir une ordonnance obligeant Trader Corporation (« Trader ») à accepter CarGurus en tant que client et à lui fournir certaines données de ses annonces de véhicules selon des conditions de commerce normales, et interdisant à Trader de poursuivre les pratiques faisant l'objet de la demande de CarGurus.

[2]  Le 4 mai 2016, Trader a présenté, par lettre, une demande d'autorisation à déposer une preuve par affidavit dans le cadre de ses déclarations par écrit en réponse (la « réponse ») à la demande de permission de CarGurus. Le 9 juin 2016, le Tribunal a accueilli partiellement la demande de Trader visant à déposer certains éléments de preuve par affidavit dans le cadre de sa réponse. Le 23 juin 2016, Trader a déposé sa réponse, et CarGurus a par la suite déposé sa réplique (la « réplique ») le 30 juin 2016.

[3]  Afin d'appuyer sa demande de permission, CarGurus a déposé un affidavit fait sous serment le 14 avril 2016 par Mme Martha Blue, première vice-présidente, Développement des affaires, chez CarGurus (l'« affidavit Blue »). En pièce jointe à l'affidavit Blue, CarGurus a déposé un autre affidavit fait sous serment par Mme Blue le 3 mars 2016 (l'« affidavit Blue sur le droit d'auteur »), qui a été déposé dans le contexte d'un litige en cours sur le droit d'auteur entre CarGurus et Trader devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario (la « procédure sur le droit d'auteur »).

[4]  Dans sa réponse, Trader a déposé un affidavit fait sous serment le 23 juin 2016 par M. Roger Dunbar, vice-président du marketing chez Trader (l'« affidavit Dunbar »). Trader s'est également fondée sur plusieurs affidavits déposés dans la procédure sur le droit d'auteur et que CarGurus a joints à l'affidavit Blue, notamment un affidavit de M. Dunbar, fait sous serment le 22 décembre 2015 (l'« affidavit Dunbar sur le droit d'auteur »).

[5]  Conformément aux paragraphes 103.1(1) et (6) de la Loi, le Tribunal s'est fondé sur ces affidavits et sur les observations écrites des parties pour rendre une décision quant à la présente demande de permission.

[6]  CarGurus soutient avoir fourni suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour convaincre le Tribunal qu'il y a une possibilité raisonnable qu'elle soit directement et sensiblement gênée dans son entreprise en raison des pratiques de Trader, et que ces pratiques pourraient faire l'objet d'une ordonnance en vertu des articles 75, 76 ou 77 de la Loi. Trader s'oppose à la demande de CarGurus et veut obtenir une ordonnance pour la faire rejeter, avec dépens. Trader fait valoir que CarGurus n'a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour satisfaire chacune des exigences énoncées aux articles 75, 76 ou 77 ainsi qu'aux paragraphes 103.1(7) et 103.1(7.1) de la Loi.

[7]  Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que CarGurus s'est acquittée du fardeau qui lui incombe, selon le paragraphe 103.1(7), pour demander un recours en vertu des dispositions relatives au refus de vendre et à l'exclusivité de la Loi, ni selon le paragraphe 103.1(7.1) en ce qui concerne le recours demandé en vertu de la disposition relative au maintien des prix [1] .

II.  CONTEXTE

A.  LES PARTIES

a.  CarGurus

[8]  CarGurus possède et exploite des sites Web qui permettent aux acheteurs potentiels d'automobiles de rechercher et de comparer des annonces de véhicules d'occasion et neufs dans une zone géographique, et de communiquer avec les vendeurs de ces véhicules. Dans le contexte de la présente demande, CarGurus appelle ces sites Web des « marchés numériques ». CarGurus a lancé son site Web aux États-Unis (cargurus.com) en 2007 et a annoncé le lancement de son site canadien (c.-à-d. cargurus.ca) le 26 mai 2015.

[9]  CarGurus affirme offrir des services d'annonce de véhicules à des concessionnaires gratuitement et utilise un modèle d'abonnement à bas prix. Elle transmet des prospects aux concessionnaires, puis assure un suivi auprès d'eux pour leur offrir des services additionnels. CarGurus soutient que c'est cette offre à faible coût qui l'a propulsée au rang de concurrent très prospère aux États-Unis.

b.  Trader

[10]  Trader exploite un marché numérique pour les véhicules au Canada et offre d'autres services connexes. Sur ses sites Web autotrader.ca et autohebdo.net, Trader annonce un inventaire de véhicules neufs et d'occasion à vendre au Canada. Elle tire son inventaire d'annonces de véhicules de vendeurs privés et de concessionnaires. Elle n'achète pas de véhicules et n'en vend pas, mais agit comme intermédiaire entre les acheteurs et les vendeurs.

[11]  En plus d'offrir ses services d'annonce, Trader offre des « services de saisie ». Si un concessionnaire s'abonne au service de saisie de Trader, cette dernière envoie l'un de ses employés, ou un entrepreneur ayant cédé ses droits de propriété intellectuelle à Trader, visiter le concessionnaire, consulter celui-ci, obtenir des renseignements et prendre des photos des véhicules. Le représentant de Trader organise ensuite ces renseignements et ces photos du véhicule et télécharge les données à afficher sur l'un ou plusieurs des sites Web de Trader et du concessionnaire (les « annonces de véhicules de Trader »).

[12]  Trader rend ses annonces de véhicules accessibles à d'autres marchés numériques concurrents grâce à un processus d'annonce connu dans l'industrie sous le nom de « convention de syndication ».

[13]  L'accès aux annonces de véhicules de Trader est la question principale faisant l'objet de la présente demande de permission déposée par CarGurus.

B.  LES FAITS PERTINENTS

a.  L'industrie

[14]  CarGurus et Trader mènent toutes deux leurs activités dans le domaine de la mise en vente des automobiles en ligne. Elles se font concurrence en offrant des marchés numériques qui permettent aux consommateurs de rechercher des annonces de véhicules neufs et d'occasion à vendre par des concessionnaires et des vendeurs privés. Les consommateurs utilisent les marchés numériques pour obtenir des renseignements sur la disponibilité des véhicules, leurs caractéristiques et leurs prix dans le cadre du processus de recherche et d'évaluation menant à l'achat d'un véhicule. Cependant, même si les consommateurs effectuent leur recherche en ligne, l'achat réel des véhicules se fait encore habituellement lorsqu'ils visitent les lieux du concessionnaire automobile ou du vendeur privé.

[15]  Les renseignements relatifs aux annonces de véhicules disponibles sur les marchés numériques comprennent normalement, pour chaque véhicule, la marque, le modèle, l'année, le prix, des photos et d'autres détails. Il est inhabituel de mettre un véhicule en vente sans photo.

[16]  La mise en vente en ligne de véhicules fait intervenir le marché en aval où les marchés numériques comme ceux où CarGurus et Traders offrent leurs services, ainsi qu'un marché en amont pour la prestation des données sur les annonces de véhicules (les « annonces de véhicules ») utilisées par ces marchés numériques pour rendre les services. CarGurus décrit les marchés numériques comme une plateforme bilatérale reliant les vendeurs de véhicules et les acheteurs potentiels, où les deux parties profitent de l'augmentation de la taille du groupe qui se trouve de l'autre côté de la plateforme.

[17]  Les annonces de véhicules sont habituellement fournies par les fabricants originaux de l'équipement (c.-à-d. les fabricants automobiles), les concessionnaires, les vendeurs privés et les marchés numériques eux-mêmes. Des entités, que l'on appelle des fournisseurs de source (les « fournisseurs de source ») dans l'industrie, reçoivent aussi les annonces de véhicules des concessionnaires et fournissent les flux de données de ces annonces aux marchés numériques.

[18]  CarGurus, Trader et les autres exploitants de marchés numériques regroupent les données des annonces de véhicules des fabricants automobiles, des concessionnaires et des vendeurs privés et les rendent accessibles aux consommateurs par l'intermédiaire de moteurs de recherche sur leurs sites Web respectifs.

[19]  CarGurus estime qu'il existe approximativement 10 entreprises au Canada qui exploitent des marchés numériques, y compris Trader. Elle allègue également que Trader est le principal fournisseur d'annonces de véhicules aux marchés numériques. Bien que CarGurus n'inclue pas Kijiji comme concurrent sur les marchés numériques, Kijiji se présente comme étant le plus grand marché numérique d'automobiles au Canada dans ses documents publicitaires.

[20]  Comme les consommateurs veulent avoir accès à des renseignements complets sur les véhicules lorsqu'ils magasinent une automobile, il y a un lien direct entre les annonces de véhicules, le trafic sur un site Web, les demandes d'information particulière que les consommateurs adressent aux concessionnaires concernant un véhicule (ce que les concessionnaires appellent des « listes de clients potentiels »), et les revenus qui découlent des marchés numériques. Selon CarGurus, la capacité de fournir des listes de clients potentiels aux concessionnaires est la base de son modèle de revenu.

b.  Lien entre CarGurus et Trader

[21]  Trader affirme détenir un droit d'auteur à l'égard des photos de véhicules qui sont incluses dans son inventaire des annonces de véhicules et, plus particulièrement, à l'égard des annonces de véhicules de Trader.

[22]  En mai 2015, Trader a découvert que les photos de véhicules contenues dans ses annonces de véhicules étaient affichées sur le site Web de CarGurus et a avisé celle-ci qu'elle détenait un droit d'auteur à l'égard de ces photos. En juillet 2015, Trader a envoyé à CarGurus une ébauche de convention de syndication concernant la fourniture future possible des annonces de véhicules Trader à CarGurus. Cette dernière a refusé les conditions de la convention de syndication proposée par Trader, alléguant que certaines de ses dispositions l'auraient empêchée de faire concurrence à Trader sur le marché canadien.

[23]  Il n'y a eu aucune autre communication entre les parties entre juillet et décembre 2015.

[24]  En décembre 2015, Trader a intenté la procédure sur le droit d'auteur, cherchant à obtenir des déclarations portant que CarGurus avait violé son droit d'auteur à l'égard de quelque 217 856 photos ajoutées à un site Web géré par Trader, ainsi que des dommages- intérêts préétablis pour ces violations.

[25]  Le 8 décembre 2015, CarGurus a retiré de son site Web plus d'un million de photos provenant d'annonces de véhicule qui n'avaient pas été obtenues auprès des fournisseurs de source.

[26]  Le litige entre CarGurus et Trader demeure en suspens, et la question centrale à trancher dans cette procédure sur le droit d'auteur est celle de savoir si les photos de véhicules contenues dans les annonces de véhicules de Trader bénéficient réellement de la protection du droit d'auteur.

C.  ARGUMENTS DES PARTIES

a.  CarGurus

[27]  Dans sa demande de permission, CarGurus soutient que Trader adopte le comportement anticoncurrentiel ci-dessous afin d'exclure CarGurus du marché en aval des marchés numériques au Canada ou de nuire à son expansion (le « comportement de Trader ») :

  • Trader fait preuve de discrimination envers CarGurus en ce qui concerne les annonces de véhicules que Trader gère en refusant d'autoriser la diffusion des annonces de véhicules selon les conditions de commerce normales offertes aux autres marchés numériques;
  • Trader refuse d'autoriser CarGurus à diffuser des annonces de véhicules provenant des concessionnaires qui demandent à Trader de le faire;
  • Trader ordonne aux tiers de ne pas autoriser CarGurus à diffuser leurs annonces en menaçant ces tiers de cesser de diffuser leurs annonces;
  • Trader fait valoir à tort qu'elle détient un droit d'auteur et a intenté un procès relativement à des milliers de photos non protégées par un droit d'auteur dans le but d'évincer CarGurus des marchés numériques.

[28]  Sur ce dernier point, CarGurus ajoute que même si le droit d'auteur revendiqué par Trader était établi, le refus de celle-ci de fournir ses photos protégées par un droit d'auteur va également à l'encontre de la Loi puisqu'un tel refus est plus qu'un simple exercice d'un droit d'auteur en raison de ses effets cumulatifs sur le pouvoir de marché de Trader dans le cadre de la fourniture de contenu aux marchés numériques.

[29]  CarGurus soutient qu'en raison du comportement de Trader, elle a été directement et sensiblement gênée dans son entreprise et a connu une diminution considérable des listes de clients potentiels produites pour les concessionnaires, une réduction de son taux de conversion (c.-à-d. le pourcentage de visiteurs sur le site Web de CarGurus qui ont communiqué avec au moins un concessionnaire concernant une voiture à vendre) et une diminution de l'affichage détaillé des pages de CarGurus entraînant une diminution correspondante du revenu publicitaire. CarGurus estime que le comportement de Trader a fait diminuer son revenu de 39 % (75 000 dollars américains) jusqu'à maintenant et que ce montant devrait s'élever à 3,7 millions de dollars américains d’ici la fin de 2017.

[30]  CarGurus ajoute que le comportement de Trader pourrait faire l'objet d'une ordonnance du Tribunal en vertu des articles 75, 76 et 77 de la Loi.

Article 75

[31]  CarGurus allègue tout d'abord que les cinq éléments de l'article 75 sur le refus de vendre sont remplis de la manière suivante :

  • CarGurus est sensiblement gênée dans son entreprise et ne peut exploiter son entreprise du fait qu'elle est incapable de se procurer les annonces de véhicules de Trader et de les inclure sur son site Web aux conditions de commerce normales (par le truchement d'une convention de syndication);
  • CarGurus est incapable de se procurer des annonces de véhicules de façon suffisante en raison du fait que les annonces de véhicules de Trader sont sous le contrôle exclusif de Trader et que Trader contrôle au moins 42,5 % de toutes les annonces de véhicules fournies au Canada;
  • CarGurus accepte de respecter les conditions de commerce normales imposées par Trader pour la diffusion de ses annonces de véhicules en signant une convention commerciale raisonnable fondée sur les conditions de commerce normales que Trader impose aux autres marchés numériques;
  • Les annonces de véhicules, et plus particulièrement les annonces de Trader, ne sont pas en quantités limitées et sont régulièrement fournies par Trader aux marchés numériques;
  • Le refus de vendre de Trader a pour effet de nuire à la concurrence dans le marché en aval des marchés numériques, car le comportement de Trader nuit à l'expansion du site Web innovateur et axé sur le consommateur de CarGurus dans le marché.

Article 76

[32]  En ce qui a trait à l'article 76 sur le maintien des prix, CarGurus soutient que le comportement de Trader pourrait être visé par l'alinéa 76(3)a) puisque Trader exploite une entreprise de fourniture d'un « produit » (c.-à-d. annonces de véhicules). En outre, CarGurus fait valoir que s'il est accepté que Trader détient un droit d'auteur à l'égard des photos qui figurent dans ses annonces de véhicules, le comportement de Trader pourrait également être visé par l'alinéa 76(3)c), car Trader détiendrait des droits et privilèges exclusifs conférés par le droit d'auteur.

[33]  CarGurus soutient que le comportement de Trader enfreint le sous-alinéa 76(1)a)(ii) parce que Trader refuse de fournir ses annonces de véhicules à CarGurus dans le but de l'empêcher de faire concurrence sur le marché en aval des marchés numériques. CarGurus allègue que Trader agit ainsi en raison de la politique de bas prix que CarGurus applique pour divers services, y compris la « valeur marchande instantanée » produite par les algorithmes mathématiques de CarGurus, et d'autres caractéristiques innovatrices.

[34]  Par ailleurs, CarGurus soutient que le comportement de Trader relève aussi du sous- alinéa 76(1)a)(ii) parce qu'elle a pris « quelque autre mesure discriminatoire » à l'endroit de CarGurus en lui refusant l'accès à ses annonces de véhicules et en refusant de lui vendre ses annonces aux conditions de commerce normales qu'elle impose aux autres marchés numériques.

[35]  CarGurus allègue également que Trader a incité Dealer Dot Com (« DDC ») et d'autres fournisseurs de source à ne pas diffuser les annonces de véhicules de Trader à CarGurus s'ils voulaient faire affaire avec elle, enfreignant donc également le paragraphe 76(8) de la Loi.

[36]  Enfin, CarGurus soutient que le comportement de Trader a nui à son entrée et à son expansion dans le marché en aval des marchés numériques au Canada, entraînant ainsi, ou étant susceptible d'entraîner une diminution ou une prévention importante de la concurrence.

Article 77

[37]  Concernant l'article 77 sur l'exclusivité, CarGurus soutient qu'à titre d'élément de seuil, Trader est un « fournisseur important » d'annonces de véhicules au Canada puisqu'elle est le seul fournisseur des annonces de véhicules de Trader. Elle estime également que les dispositions relatives à l'exclusivité incluses dans les conventions conclues entre Trader et les concessionnaires et les fournisseurs de source empêchent ces concessionnaires et autres fournisseurs de source d'autoriser CarGurus à diffuser leur inventaire d'annonces de véhicules sans le consentement de Trader, que celle-ci refuse d'accorder.

[38]  CarGurus fait valoir qu'en conséquence, l'exclusivité de Trader nuit à l'entrée et à l'expansion de CarGurus dans le marché en aval des marchés numériques au Canada. Elle affirme que cela a entraîné, et est susceptible d'entraîner une diminution importante de la concurrence dans le marché.

b.  Trader

[39]  Trader s'oppose à la demande de permission de CarGurus. Elle soutient que CarGurus n'a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour donner lieu à une croyance légitime qu'elle a été directement et sensiblement gênée dans son entreprise par les actes de Trader, ou que Trader a adopté un comportement qui pouvait faire l'objet d'une ordonnance en vertu des articles 75, 76 ou 77 de la Loi.

Article 75

[40]  En ce qui concerne le refus de vendre, Trader soutient qu'au moment d'évaluer l'alinéa 75(1)a), il convient de se demander si la demanderesse a [TRADUCTION] « d'autres options d'approvisionnement » et fait valoir que lorsque la demanderesse a accès à une autre source d'approvisionnement qu'elle choisit de ne pas utiliser, on ne peut pas dire qu'une concurrence insuffisante entre les fournisseurs est la [TRADUCTION] « raison principale » du refus. Relativement à l'autre source d'approvisionnement, Trader soutient que CarGurus peut obtenir des annonces de véhicules auprès d'autres fournisseurs de source et/ou produire son propre contenu (y compris des photos). À titre d'exemple, elle mentionne Kijiji comme entreprise ayant offert une concurrence et ayant pris de l'expansion en obtenant des renseignements pour les annonces de véhicules auprès d'autres fournisseurs de source. Elle allègue également que rien n'empêche CarGurus d'offrir les mêmes services de saisie que Trader.

[41]  Trader indique en outre que CarGurus a connu une croissance exponentielle, même après que Trader ait revendiqué son droit d'auteur à l'égard des photos et intenté une procédure sur le droit d'auteur.

[42]  Selon l'interprétation que fait Trader de l'alinéa 75(1)b), l'incapacité d'un demandeur de « se procurer le produit de façon suffisante » doit avoir un lien de causalité avec « l'insuffisance de la concurrence entre les fournisseurs de ce produit sur le marché ». Elle soutient que cette disposition exige que « l'insuffisance de la concurrence entre les fournisseurs » soit la [TRADUCTION] « raison principale » pour laquelle le demandeur est incapable d'obtenir le produit de façon suffisante. Trader cite également l'affaire B-Filer Inc. et al. c La Banque de Nouvelle-Écosse, 2006 Trib conc 42 (« B-Filer »), où il est mentionné que « toute inférence selon laquelle l’insuffisance de la concurrence a mené à un refus de vendre peut être réfutée par une preuve montrant l’existence d’une raison commerciale objectivement justifiable » expliquant le comportement de la défenderesse. À cet égard, Trader soutient que la violation flagrante de son droit d'auteur par CarGurus constitue une raison commerciale objectivement justifiable.

[43]  En ce qui concerne les critères énoncés à l'alinéa 75(1)c), Trader affirme qu'il est habituel pour elle et un partenaire potentiel de syndication de négocier les conditions de leur convention de syndication. Elle soutient qu'elle est prête à diffuser son contenu protégé par un droit d'auteur à d'autres marchés numériques concurrents et qu'elle le fait régulièrement. Elle ajoute qu'en choisissant d'enfreindre un droit d'auteur plutôt que de négocier, CarGurus n'accepte pas de respecter les conditions de commerce normales et habituelles de Trader.

[44]  Trader se fonde sur la décision rendue par le Tribunal dans Stargrove Entertainment Inc c Universal Music Publishing Group Canada, 2015 Trib conc 26 (« Stargrove ») pour appuyer sa position selon laquelle CarGurus ne peut simplement pas se prévaloir du recours prévu à l'alinéa 75(1)d), car le comportement reproché met en cause un refus d'octroyer une licence pour du contenu protégé par un droit d'auteur.

[45]  Trader soutient enfin que CarGurus n'a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour démontrer que le comportement allégué de Trader aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence, comme l'exige l'alinéa 75(1)e). Elle affirme que le marché pertinent est (dans son sens le plus étroit) le marché en aval des marchés numériques, ce qui inclut de nombreux sites Web comme Kijiji, eBay Motors U.S., Edmunds, Canadian Black Book, Cars.com, Wheels.ca, Auto123.com et AutoExpert. Elle fait remarquer que Trader et CarGurus ne sont que deux des nombreux concurrents sur le marché.

Article 76

[46]  Pour ce qui est du maintien des prix, Trader soutient que CarGurus ne s'est pas acquittée du fardeau qui lui incombait selon les paragraphes 76(1) et 76(8) de la Loi.

[47]  Trader affirme qu'étant donné la décision rendue dans La commissaire de la concurrence c Visa Canada Corporation et MasterCard International Incorporated, 2013 Trib. conc 10 (« Visa »), le paragraphe 76(1) exige la « revente » d'un produit qui est « identique ou essentiellement le même » que le produit pour lequel le prix est prétendument maintenu. À cet égard, elle soutient que CarGurus modifie bien souvent le contenu de Trader avant de le rediffuser et que l'article 76 ne vise pas la fourniture d'un [TRADUCTION] « produit d'intrant ».

[48]  Trader ajoute que CarGurus n'a pas présenté d'élément de preuve, mis à part de fausses allégations sans fondement selon lesquelles Trader a incité des fournisseurs à refuser de fournir ses annonces à CarGurus comme l'exige le para 76(8).

[49]  En ce qui concerne l'argument de CarGurus selon lequel Trader avait pris « quelque autre mesure discriminatoire » à son endroit, Trader mentionne que dans la décision Stargrove, cette expression a été interprétée comme voulant dire [TRADUCTION] « traiter une personne différemment d'une autre sans justification appropriée ». Trader soutient qu'elle n'a pas traité CarGurus différemment d'un autre concurrent puisqu'elle a fourni à CarGurus sa convention de syndication habituelle et qu'elle prévoyait tenir des négociations. Dans la mesure où elle aurait traité CarGurus différemment, ce n'est que parce que celle-ci avait [TRADUCTION] « mutilé » le contenu protégé par un droit d'auteur de Trader.

[50]  Trader prétend aussi que la demande de CarGurus ne contient aucun élément de preuve démontrant que Trader était motivée par une politique de bas prix de CarGurus. De plus, elle nie être motivée par toute politique de bas prix présumée puisqu'elle est d'avis que la structure de prix de CarGurus est simplement différente et ne constitue pas réellement une politique de « bas prix » comparativement au modèle de Trader.

Article 77

[51]  Concernant l'exclusivité, Trader fait valoir que CarGurus n'a pas présenté d'élément de preuve pour appuyer une réclamation en vertu de l'alinéa a) ou b) à l'égard de la définition d'« exclusivité » contenue au paragraphe 77(1) de la Loi.

[52]  Trader soutient qu'elle n'a pas de contrôle exclusif sur les annonces de véhicules et que bon nombre de ses clients (c.-à-d. concessionnaires automobiles) annoncent leurs véhicules sur le site de Trader ainsi que sur d'autres marchés numériques. Trader n'oblige pas les concessionnaires à faire affaire exclusivement ou principalement avec elle. Par ailleurs, Trader n'empêche pas CarGurus de créer son propre équivalent des sources de données de Trader en partenariat avec les concessionnaires.

[53]  Trader soutient que la demande de CarGurus ne contient aucun élément de preuve et ne fournit aucune inférence raisonnable pour donner à penser que Trader a incité les concessionnaires à respecter exclusivement les conditions en offrant de fournir des renseignements selon des conditions plus favorables en retour. Elle affirme que rien ne prouve que les concessionnaires aient reçu un avantage financier pour faire affaire exclusivement avec Trader.

[54]  Comme dans son argument relatif à l'article 75, Trader soutient qu'il est tout simplement impossible de se prévaloir d'un recours en vertu de l'article 77 lorsque l'exclusivité présumée touche un refus d'octroyer une licence de propriété intellectuelle.

[55]  En ce qui concerne la question de l'incidence directe et sensible sur l'entreprise de CarGurus, Trader affirme que CarGurus n'a soulevé qu'une simple spéculation selon laquelle son entreprise a été sensiblement touchée, et a fondé son analyse sur ses propres projections non certifiées des revenus sans fournir de fondement à ces projections et sans indiquer si elles étaient raisonnables sur le plan commercial. Elle soutient également que la ligne de fond des mesures sur lesquelles s'est fondée CarGurus présume qu'elles violeraient le droit d'auteur de Trader.

[56]  Enfin, Trader soutient que si le Tribunal conclut que CarGurus satisfait aux exigences relatives à la demande de permission, le Tribunal devrait néanmoins refuser d'exercer son pouvoir discrétionnaire et d'accorder la permission demandée. À cet égard, elle allègue qu'il n'est pas raisonnable, sur le plan commercial, que la violation du droit d'auteur de Trader par CarGurus soit récompensée par une ordonnance du Tribunal qui équivaudrait à une licence obligatoire.

III.  ANALYSE

A.  Le critère relatif à la permission

[57]  Le paragraphe 103.1(7) de la Loi établit le critère à respecter pour pouvoir présenter une demande en vertu des articles 75 et 77 de la Loi, et le paragraphe 103.1(7.1) en fait de même pour les demandes en vertu de l'article 76 de la Loi.

Ils sont libellés ainsi :

103.1(7) Le Tribunal peut faire droit à une demande de permission de présenter une demande en vertu des articles 75 ou 77 s’il a des raisons de croire que l’auteur de la demande est directement et sensiblement gêné dans son entreprise en raison de l’existence de l’une ou l’autre des pratiques qui pourraient faire l’objet d’une ordonnance en vertu de ces articles.

103.1(7) The Tribunal may grant leave to make an application under section 75 or 77 if it has reason to believe that the applicant is directly and substantially affected in the applicant’s business by any practice referred to in one of those sections that could be subject to an order under that section.

103.1(7.1) Le Tribunal peut faire droit à une demande de permission de présenter une demande en vertu de l’article 76 s’il a des raisons de croire que l’auteur de la demande est directement gêné en raison d’un comportement qui pourrait faire l’objet d’une ordonnance en vertu du même article.

103.1(7.1) The Tribunal may grant leave to make an application under section 76 if it has reason to believe that the applicant is directly affected by any conduct referred to in that section that could be subject to an order under that section.

[58]  Le paragraphe 103.1(7) prévoit que le Tribunal peut faire droit à une demande de permission de présenter une demande en vertu des articles 75 ou 77 s’il « a des raisons de croire que l’auteur de la demande est directement et sensiblement gêné dans son entreprise en raison de l’existence de l’une ou l’autre des pratiques qui pourraient faire l’objet d’une ordonnance en vertu de ces articles ». Le paragraphe 103.1(7.1) est similaire, mais n'utilise pas le terme « sensiblement ».

[59]  L'approche adoptée pour autoriser une demande de recours en vertu de l'article 75 a récemment été décrite en détail dans l'affaire Audatex Canada, ULC c CarProof Corporation, 2015 Trib conc 28 (« Audatex »), aux paragraphes 42-47. Le Tribunal résume également cette approche dans Stargrove, aux paragraphes 17-21 à l'égard d'une demande relative aux articles 75, 76 et 77. J'adopte ces principes aux fins de la présente demande de permission.

[60]  Comme il est indiqué dans ces décisions, les demandes de permission en vertu de l'article 103.1 de la Loi exigent que le Tribunal détermine si la demande est appuyée par suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour donner lieu à une croyance légitime que le demandeur pourrait avoir été gêné directement (et sensiblement, dans le cas des articles 75 et 77) dans son entreprise en raison de la pratique alléguée, et que cette pratique alléguée pourrait faire l'objet d'une ordonnance. Bien que le rôle du Tribunal à l'étape de la demande soit d'exécuter une fonction d'examen et que les éléments de preuve soient évalués selon une norme moins élevée que celle de la prépondérance des probabilités, les éléments de preuve doivent néanmoins démontrer plus qu'une simple possibilité que le demandeur puisse être directement et sensiblement gêné dans son entreprise (Symbol Technologies Canada ULC c Barcode Systems Inc, 2004 CAF 339 [« Barcode CAF »], au para 19).

[61]  En ce qui concerne la première partie du critère établi au paragraphe 103.1(7) (c.-à-d. « directement et sensiblement gêné »), il vaut la peine de citer la décision Audatex, au paragraphe 45 :

[TRADUCTION] En ce qui concerne l'aspect de « sensibilité », certains termes comme « important » sont des synonymes acceptables lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a eu un effet « sensible », qui s'évalue en fin de compte par un examen des circonstances en cause (Canada (Director of Investigation and Research) c Chrysler Canada Ltd (1989), 27 CPR (3d) 1 (Trib conc), confirmé par 38 CPR (3d) 25 (CAF), au para 64). Dans la décision Nadeau sur le fond, M. le juge Blanchard a précisé que « le demandeur n'a pas besoin de démontrer qu'il est gêné par le refus au point d'être incapable de mener ses activités. Il doit plutôt établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il est sensiblement gêné dans son entreprise » (Nadeau Poultry Farm Limited c Groupe Westco Inc et al, 2009 Trib conc 6 (« Ordonnance définitive Nadeau »), au para 131, confirmé par 2011 CAF 188).

que « le demandeur n'a pas besoin de démontrer qu'il est gêné par le refus au point d'être incapable de mener ses activités. Il doit plutôt établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il est sensiblement gêné dans son entreprise » (Nadeau Poultry Farm Limited c Groupe

[62]  En ce qui concerne la deuxième partie du critère (si le comportement pourrait « faire l'objet d'une ordonnance »), tous les éléments de la pratique doivent être abordés (Barcode CAF), au para 19), et le Tribunal doit être convaincu que [TRADUCTION] « chacun des éléments énoncés au paragraphe 75(1) pourrait être satisfait si la demande était étendue sur le fond » (B-Filer Inc c The Bank of Nova Scotia, 2005 Trib conc 38 (« B-Filer Leave ») au para 53). À l'étape de la demande de permission, il est entendu que la question de savoir si une ordonnance « pourrait » être rendue se pose dans le cadre d’une demande de permission qui ne repose pas sur un dossier de preuve complet (The Used Car Dealers Association of Ontario c Bureau d’assurance du Canada, 2011 Trib conc 10 (« Used Car Dealers »), au para 32).

[63]  Comme la présente demande de permission déposée par CarGurus ne porte pas seulement sur l'article 75, mais aussi sur l'article 76 concernant le maintien des prix et l'article 77 concernant l'exclusivité, j'ajouterais simplement que les éléments de preuve précis qui pourraient se justifier de la même façon au regard de ces deux dispositions doivent être axés sur les éléments particuliers à trancher par le Tribunal conformément à ces pratiques commerciales restrictives. L'approche prévue à ces dispositions demeure orientée par les principes établis dans Audatex et dans B-Filer Leave.

B.  Demande de CarGurus en vertu des articles 75 et 77

[64]  Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que CarGurus s'est acquittée de son fardeau pour obtenir la permission de demander un recours en vertu de l'article 75 ou de l'article 77, car elle n'a pas démontré qu'il y avait une raison de croire qu'elle avait rempli la première partie du critère, notamment, qu'elle a été ou qu'elle pourrait être sensiblement gênée dans son entreprise par le comportement de Trader. Je conclus plutôt que CarGurus n'a pas présenté suffisamment d'éléments de preuve convaincants et non spéculatifs pour me donner des motifs raisonnables de croire que l'effet du comportement de Trader sur son entreprise pourrait raisonnablement être considéré comme un effet « sensible ».

[65]  Il est bien établi que l'entreprise à prendre en considération dans le cadre d'une demande de permission en vertu de l'article 75 de la Loi est l'ensemble de l'entreprise du demandeur et pas simplement la gamme de produits touchée par le refus de vendre (Sears Canada Inc c Parfums Christian Dior Canada Inc, 2007 Trib conc 6, au para 21). L'importance de l'effet doit donc être mesurée par rapport à l'ensemble de l'entreprise. En outre, la jurisprudence du Tribunal concernant les demandes de permission exige que l'effet examiné et pris en considération soit l'effet attribuable ou lié aux entités dont les produits sont refusés. En effet, le paragraphe 103.1(7) énonce que le demandeur doit être directement et sensiblement gêné « en raison [...] des pratiques ».

[66]  Je suppose, aux fins de la présente décision, que CarGurus est « directement » gênée dans son entreprise par le comportement de Trader.

a.  Preuve présentée par CarGurus sur l'importance

[67]  L'argument de CarGurus concernant la première partie du critère relatif à la permission se trouve aux paragraphes 84 à 93 de son mémoire des faits et du droit et au paragraphe 27 de son mémoire de réponse. La preuve à l'appui de cet argument est énoncée aux paragraphes 46 à 54 de l'affidavit Blue et aux paragraphes 120 à 124 de l'affidavit Blue sur le droit d'auteur.

[68]  CarGurus soutient que le retrait des photos de Trader et son incapacité à afficher les annonces de véhicules de Trader a entraîné une diminution du trafic sur son site et de la diffusion de listes de clients potentiels aux concessionnaires, ce qui a eu un effet négatif sur ses revenus. Elle fait valoir qu'elle a été sensiblement gênée dans son entreprise de la manière suivante :

  • Le nombre de clients potentiels que CarGurus peut fournir aux concessionnaires a considérablement diminué;
  • CarGurus a perdu 60 % des clients potentiels pour les concessionnaires dont les annonces de véhicules sont liées à Trader;
  • CarGurus a perdu approximativement 25 % de son volume global de clients potentiels;
  • Le taux de conversion de CarGurus (c.-à-d. le pourcentage de visiteurs sur le site Web de CarGurus qui ont communiqué avec au moins un concessionnaire concernant une voiture en vente) a diminué de 16 %;
  • L'affichage détaillé des pages de CarGurus a diminué de 31 %, entraînant une diminution correspondante de 31 % de ses revenus publicitaires.

[69]  CarGurus estime qu'en plus de cette réduction du nombre de clients potentiels, du taux de conversion et du nombre de pages vues, le comportement de Trader a fait diminuer son revenu de 39 % (75 000 dollars américains) jusqu'à la fin de mars 2016 et que ce montant devrait s'élever à 3,7 millions de dollars américains d’ici la fin de 2017.

[70]  Il semble que CarGurus suppose une corrélation directe (et linéaire) entre le nombre de clients potentiels, le nombre de clients potentiels provenant de son site Web, le nombre de pages vues et les revenus qu'elle tire de ces indicateurs.

b.  Lacunes de la preuve de CarGurus

[71]  La preuve présentée par CarGurus concernant l'effet sensible comprend cinq grands problèmes.

[72]  Premièrement, il n'y a aucun élément de preuve fiable sur la proportion de l'inventaire total d'annonces de véhicules de CarGurus que représentent les annonces de véhicules de Trader supprimées du site Web de CarGurus et que Trader aurait refusé de fournir.

[73]  L'affidavit Blue (aux paragraphes 33-34, 49 et 56) et l'affidavit Blue sur le droit d'auteur (aux paragraphes 67 et 71) indiquent que Trader domine et possède une part de marché de 42,5 %, mais ne fournissent aucune explication claire quant à la façon dont ces chiffres ont été calculés et quant à ce qu'ils représentent réellement.

[74]  Un examen du dossier amène le Tribunal à conclure que le nombre de 42,5 % représente la part de marché estimée de Trader dans le marché en aval où les marchés numériques offrent leurs services. Il semble que, sans son évaluation de l'effet sensible attribué au comportement de Trader, CarGurus suppose que cette part de marché de 42,5 % dans le marché en aval puisse être utilisée comme une approximation de la part de marché de Trader pour la fourniture d'annonces de véhicules dans le marché en amont. Cependant, aucun élément de preuve n'est présenté sur la fourniture globale d'annonces de véhicules qui permettrait au Tribunal de vérifier si cette supposition peut être prouvée, ni sur la proportion du total d'annonces de véhicules dans le marché de la mise en vente des automobiles en ligne qui provient de Trader. Aucun élément de preuve n'est présenté non plus sur la proportion d'annonces de véhicules fournies à CarGurus qui provenaient de Trader et de ses annonces.

[75]  Autrement dit, l'affidavit Blue ne fournit pas d'information sur le nombre réel d'annonces de véhicules perdues par CarGurus à la suite du refus de Trader de fournir ses annonces de véhicules, ni sur la proportion de l'inventaire total d'annonces de véhicules de CarGurus provenant de Trader. L'affidavit Blue ne fait que mentionner que Trader possède une grande part de marché s'élevant à 42,5 %. Il ne décrit pas le volume d'annonces de véhicules de Trader disponible ou qui a été fourni par Trader (avant que CarGurus décide de supprimer les photos de Trader de son site Web).

[76]  Je comprends qu'à certains égards, les renseignements seront inévitablement incomplets à l'étape de la demande de permission (Use Car Dealers, au para 32). Cependant, des renseignements suffisants et crédibles sur l'ampleur de la fourniture du produit en question et sur la proportion que représente la fourniture refusée par le fournisseur sont des éléments fondamentaux et essentiels dont a besoin le Tribunal pour pouvoir rendre une décision quant à savoir si les éléments de preuve lui permettent d'avoir une croyance légitime d'effet direct et sensible aux termes du paragraphe 103,1(7) de la Loi (Audatex, au para 68). Comme il est mentionné dans Audatex, le Tribunal avait habituellement accès à ce type d'éléments de preuve dans les cas où il a décidé d'accorder une permission en vertu de l'article 103.1 de la Loi. Dans l'affaire Nadeau Poultry Farm Limited c Groupe Westco Inc et al, 2008 Trib conc 7 (« Ordonnance d'autorisation Nadeau ») par exemple, la preuve relative à l'effet sensible a été jugée suffisante par le Tribunal, car la demanderesse avait fourni des chiffres démontrant que l'inventaire exact des défendeurs représentait 48 % de l'ensemble des activités de transformation du poulet de Nadeau. Cela a permis au Tribunal de mesurer avec fiabilité l'incidence de l'interruption voulue de fourniture, qui n'avait pas encore eu lieu dans cette affaire.

[77]  En l'espèce, les éléments de preuve ne démontrent pas clairement au Tribunal la proportion d'annonces représentée par Trader dans l'entreprise de CarGurus ou dans l'ensemble du marché en amont. Comme il a été mentionné, l'élément de preuve principal présenté sur ce point concerne la part de marché que Trader possèderait dans le marché en aval des marchés numériques où Trader et CarGurus se font concurrence.

[78]  Je fais une pause ici pour souligner que même la part de marché de 42,5 % utilisée par CarGurus soulève des préoccupations importantes, car ce chiffre semble fondé sur une estimation du marché où le concurrent Kijiji n'a pas été pris en compte. Pourtant, la preuve au dossier montre que Kijiji pourrait être, de loin, le plus grand joueur parmi les marchés numériques au Canada. Selon les propres données de CarGurus contenues à la pièce 10 de l'affidavit Blue, Kijiji semble être le plus grand fournisseur d'annonces de véhicules en ligne, étant 2,5 fois plus grand que Trader en termes de total de visiteurs uniques, et encore plus grand si des indicateurs comme le nombre total de pages vues ou le nombre total de visites sont pris en considération. D'autres éléments de preuve indiquent que Kijiji se décrit comme le plus grand fournisseur d'annonces de véhicules au Canada. Ni l'affidavit Blue ni l'affidavit Blue sur le droit d'auteur ne fournissent une explication satisfaisante des raisons pour lesquelles CarGurus a exclu cette entité de son estimation de la part de marché. Si Kijiji avait été incluse dans le marché en aval des marchés numériques, l'estimation de la part de marché de Trader de 42,5 % diminuerait d'au moins la moitié. Le Tribunal a du mal à comprendre comment Kijiji a pu être complètement exclue des calculs et des estimations de CarGurus concernant la part de marché sans que les raisons soient expliquées plus en détail.

[79]  Le deuxième problème relatif à la preuve de CarGurus porte sur la diminution de revenu réelle et prévue indiquée par CarGurus, qui ne représente pas une diminution réelle des revenus existants ou prévus de CarGurus. CarGurus est un nouvel arrivant sur les marchés numériques du Canada et les éléments de preuve qu'elle a présentés sur la diminution de ses revenus illustrent essentiellement des réductions par rapport à des projections qu'elle avait initialement faites de ses nouvelles activités.

[80]  Le seul élément de preuve financier fourni par CarGurus se trouve à la pièce 11 de l'affidavit Blue. La pièce 11 ne contient pas d'état des résultats, mais reproduit plutôt deux ensembles différents de projections mensuelles de revenus. Elle présente d'abord les projections de revenu originales « Canada 2015-2017 » de CarGurus, établies en décembre 2015 et couvrant la période allant jusqu'en décembre 2017 (les « projections initiales »). Elle inclut également les projections mensuelles établies en avril 2016 couvrant la même période et qui sont censées illustrer l'incidence du refus de Trader de fournir ses annonces de véhicules (les « projections révisées »). Enfin, la pièce 11 indique les revenus réels générés par les activités de CarGurus sur les marchés numériques pour une période de six mois, jusqu'au mois de mars 2016.

[81]  La réduction de 75 000 dollars américains des revenus réels à compter de mars 2016 et la perte prévue estimée de 3,7 millions de dollars américains jusqu'à la fin de 2017 illustrent la différence entre les revenus réels et les revenus prévus, ou entre les deux ensembles de projections établies par CarGurus. Il ne s'agit pas de réductions réelles des revenus. La diminution de revenus qui, selon CarGurus, est une preuve de l'« effet sensible » sur son entreprise illustre essentiellement des projections qui ne sont pas de la même ampleur que ce qui était initialement envisagé et prévu.

[82]  Je souligne également que CarGurus n'a rien fourni au Tribunal pour étayer ces projections de ventes prévues. En effet, ni la pièce 11 ni le reste de l'affidavit Blue n'offrent de contexte ou d'explication concernant la façon dont les projections de CarGurus ont été établies, le fondement de ces projections et la façon dont les annonces de véhicules de Trader ont été prises en considération.

[83]  Je suis d'accord avec CarGurus qu'elle est seulement tenue de fournir « suffisamment d'éléments de preuve crédible » pour convaincre le Tribunal qu'il y a une possibilité raisonnable qu'elle puisse être directement et sensiblement gênée dans son entreprise par un refus de vendre. Je suis également conscient du fait que CarGurus n'a pas à attendre de subir un dommage avant de présenter une demande en vertu de l'article 103.1 de la Loi (Ordonnance d'autorisation Nadeau, au para 25). Par contre, elle doit fournir suffisamment d'éléments de preuve convaincants, même pour un dommage anticipé. Si elle veut se fonder sur des projections pour établir un effet sensible sur son entreprise conformément au paragraphe 103.1(7), elle doit tout de même les étayer d'éléments de preuve clairs et convaincants, ce qu'elle n'a pas fait. Une partie qui se fonde sur des projections a le fardeau, à tout le moins, de présenter le fondement de ces projections.

[84]  Le cas présent est bien différent de l'affaire Ordonnance d'autorisation Nadeau, où le Tribunal a jugé que les éléments de preuve relatifs à l'effet sensible étaient suffisants. Dans Ordonnance d'autorisation Nadeau, l'approvisionnement n'avait pas encore cessé, mais il y avait néanmoins suffisamment d'éléments de preuve mesurables des effets anticipés du refus. Nadeau avait fourni des chiffres démontrant le nombre exact de produits détenus par les défendeurs ainsi que des éléments de preuve financiers solides démontrant la proportion des produits fournis par Nadeau qui provenaient réellement des fournisseurs de poulet ayant l'intention de cesser l'approvisionnement. Cela a permis au Tribunal de disposer d'éléments de preuve fiables concernant l'importance du refus à venir sur l'entreprise de Nadeau.

[85]  Ce type d'éléments de preuve n'a pas été fourni par CarGurus en l'espèce.

[86]  Dans Mrs. O's Pharmacy c Pfizer Canada Inc, 2004 Trib conc 24 (« Mrs. O's Pharmacy »), le Tribunal a indiqué que de simples projections et prévisions ne constituent pas des éléments de preuve crédibles et convaincants de l'existence d'effets sensibles sur l'entreprise de la demanderesse. De même, CarGurus n'a pas fourni de données précises sur la fourniture d'annonces de véhicules provenant en réalité de Trader dans le marché en amont, ni aucune donnée précise sur ses propres ventes perdues ou pertes de revenu, sauf dans la pièce II de l'affidavit Blue.

[87]  Il vaut la peine de souligner qu'à l'étape de la demande permission, il doit y avoir des éléments de preuve crédibles pour donner au Tribunal des motifs de croire qu'il existe une relation causale entre la conduite du défendeur et les conséquences commerciales subies par le demandeur. Lorsque seulement des projections ou des prévisions non étayées sont utilisées, le lien de causalité devient hypothétique, car de nombreux facteurs peuvent intervenir dans la croissance ou la stagnation d'une nouvelle entreprise (Mrs. O's Pharmacy, au para 25). Je conclus que les « projections » présentées par CarGurus ne constituent qu'une simple possibilité d'effet sensible et sont hypothétiques. Dans une situation comme celle en l'espèce où l'effet nuisible envisagé du comportement de Trader est présenté par une série de projections pour lesquelles les hypothèques sont inconnues, je ne suis pas convaincu que la preuve de CarGurus puisse être considérée comme étant suffisante.

[88]  Le troisième problème concernant la preuve de CarGurus relative à l'existence d'un effet sensible est qu'il est allégué avoir lieu ou être susceptible d'avoir lieu dans un contexte où CarGurus prévoit que ses revenus augmenteront continuellement jusqu'à la fin de décembre 2017. En pratique, cela complique encore plus l'évaluation par le Tribunal des effets nuisibles importants allégués.

[89]  Que l'on examine les projections initiales ou les projections révisées contenues à la pièce 11 de l'affidavit Blue, il est prévu que les revenus de CarGurus augmenteront de façon stable tous les mois jusqu'en décembre 2017. Cela est vrai même pour les projections révisées des revenus, où le refus allégué de fournir les annonces de véhicules de Trader et, plus généralement, le comportement de Trader sont pris en considération. Les éléments de preuve fournis par CarGurus indiquent que, selon les projections initiales, les revenus mensuels devraient augmenter passer de 22 000 dollars en décembre 2015 à 301 000 dollars en décembre 2016, puis à 762 000 dollars en décembre 2017. Les projections révisées représentent entre 50 % et 60 % des prévisions initiales, mais il est néanmoins prévu que les revenus de CarGurus passeront de 192 000 dollars en décembre 2016 à 392 000 dollars en décembre 2017. Même selon ces projections, qui sont censées illustrer l'incidence du refus de fournir les annonces de véhicules de Trader, il est prévu que les revenus générés par l'entreprise de CarGurus sur les marchés numériques augmenteront chaque mois durant cette période, bien que plus lentement que dans les prévisions initiales de décembre 2015.

[90]  Je comprends qu'il est évidemment plus difficile de démontrer qu'un refus de fournir ou qu'une autre pratique gêne sensiblement une entreprise lorsque le défendeur n'a jamais fourni de produit au demandeur. Toutefois, il faut néanmoins fournir une certaine base crédible pour ses assertions. Je souligne qu'il ne s'agit pas d'une situation où des projections étayées d'augmentations de revenu ne se sont finalement pas matérialisées en raison d'un refus de fournir. Le cas de CarGurus vise des projections révisées qui n'ont pas encore été confirmées et qui ne se sont pas encore réalisées.

[91]  Je suis d'accord avec CarGurus et je reconnais que, dans son évaluation de l'effet sensible, le Tribunal effectue essentiellement une analyse axée sur l'absence hypothétique. Comme le Tribunal l'a récemment expliqué en détail dans The Commissioner of Competition c The Toronto Real Estate Board, 2016 Trib conc 7 (« TREB »), aux paras 477-483, une approche axée sur « l'absence hypothétique » consiste à comparer une situation en présence du comportement contesté avec un scénario qui l'aurait probablement emporté s'il n'y avait pas eu un tel comportement. Par conséquent, le fait que CarGurus ait ou aurait réussi à accroître ses revenus malgré le comportement de Trader, ou qu'elle prévoit le faire, ne constitue pas en soi un obstacle au cas de CarGurus. Cependant, même en utilisant une approche axée sur « l'absence hypothétique », je ne suis pas convaincu qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour conclure en l'existence d'un « effet sensible » en l'espèce.

[92]  Le critère ne consiste pas simplement à savoir si l'entreprise de CarGurus aurait connu une croissance importante si ce n'avait été du comportement de Trader. Le Tribunal doit également déterminer si les projections de diminution de revenu attribuables au comportement de Trader sont suffisantes pour conclure que l'entreprise de CarGurus pourrait être gênée de manière importante ou considérable. Étant donné l'incertitude de ces projections et le manque de données pour les étayer, et compte tenu des augmentations prévues des revenus, je ne suis pas convaincu que des éléments de preuve non hypothétiques appuient une telle conclusion. Je ne suis pas convaincu non plus que la preuve de CarGurus démontrant des projections d'augmentation continue des revenus pour un nouvel arrivant dans le domaine, malgré le refus de vendre ou l'exclusivité faisant l'objet de la plainte, donne lieu à un motif raisonnable de croire qu'elle est sensiblement gênée dans son entreprise.

[93]  Le quatrième problème concernant la preuve de CarGurus relative à l'existence d'un effet sensible est lié aux revenus réels déclarés par CarGurus depuis qu'elle est entrée sur les marchés numériques du Canada. Les données limitées fournies par CarGurus n'indiquent pas que le comportement de Trader a causé un effet nuisible.

[94]  Bien que CarGurus affirme dans l'affidavit Blue que la diminution de 31 % du nombre de pages vues en décembre 2015 attribuable à la perte des photos de Trader correspond à une diminution de 31 % des revenus publicitaires, ce n'est pas ce qu'indiquent les revenus réels déclarés par CarGurus. Bien au contraire.

[95]  On observe plutôt une augmentation des revenus publicitaires au cours des mois suivant la cessation de la fourniture des annonces de véhicules de Trader. La pièce 11 de l'affidavit Blue indique que les revenus mensuels de CarGurus provenant des revenus d'abonnement des concessionnaires sont en fait passés de 2 602 dollars en octobre 2015, à 10 471 dollars en décembre 2015, puis à 43 895 dollars en mars 2016. Il est également troublant de noter que ces revenus ont augmenté en janvier, en février et en mars 2016 comparativement au mois précédent et qu'ils étaient quatre fois plus élevés en mars 2016 qu'en décembre 2015.

[96]  En plus de la pièce 11 de l'affidavit Blue, d'autres éléments de preuve fournis par CarGurus laissent croire que, même après le refus de Trader en décembre 2015, les revenus mensuels de CarGurus ont continué à augmenter. Selon l'affidavit Blue, les revenus publicitaires mensuels de CarGurus sont passés de 16 000 dollars en décembre 2015 à 80 000 dollars en mars 2016, malgré le comportement de Trader. Durant cette période de quatre mois, le nombre de concessionnaires canadiens ayant des publicités sur le site de CarGurus est passé de 39 à 137, et le montant moyen payé par les concessionnaires est passé de 400 $/mois à 500 $/mois.

[97]  Ainsi, les revenus réels indiquent une croissance continue sur les six premiers mois suivant l'arrivée de CarGurus dans ce nouveau secteur d'activité.

[98]  Je reconnais que ces éléments de preuve ne visent que quelques mois, mais cela donne à penser que d'autres sources d'approvisionnement en annonces de véhicules demeurent et demeureront accessibles à CarGurus auprès de fournisseurs de source et d'autres sources potentielles. Cela démontre également que, même sans les annonces de véhicules de Trader, CarGurus a continué à accroître ses revenus. Il s'ensuit donc que cela affaiblit l'assertion de CarGurus selon laquelle elle est ou est susceptible d'être sensiblement gênée dans son entreprise. En outre, même les projections financières révisées en avril 2016 qui jouent apparemment un rôle dans le comportement de Trader faisant l'objet de la présente demande de permission démontrent une croissance continue des ventes et des revenus, mois après mois, entre maintenant et la fin de 2017.

[99]  Il se peut que les projections révisées ne soient pas aussi optimistes que les projections initiales établies avant décembre 2015, mais une telle augmentation prévue des revenus fait en sorte qu'il est beaucoup plus difficile pour moi de croire légitimement que CarGurus est ou pourrait être sensiblement gênée dans son entreprise par le comportement de Trader. Comme les éléments de preuve financiers fournis par CarGurus démontrent que les revenus réels ont augmenté mois après mois depuis son arrivée sur le marché et ont continué à croître depuis le refus allégué de vendre et les pratiques d'exclusivité qui sont censées avoir nui à son entreprise, je ne peux pas conclure que CarGurus a été « sensiblement gênée » dans son entreprise.

[100]  Enfin, CarGurus affirme que la différence entre ses projections révisées et les projections initiales illustre l'incidence du comportement de Trader. Le problème est que, lorsqu'on examine le peu d'éléments de preuve sur les revenus réels de CarGurus, on remarque que la différence entre les projections initiales et les revenus réels déclarés jusqu'à la fin de mars 2016 était similaire à la différence entre les deux ensembles de projections, même avant que l'effet allégué du comportement de Trader n'entre en jeu. Si l'on regarde les données de novembre 2015 déclarées par CarGurus (lorsqu'elle avait encore accès aux annonces de véhicules de Trader), les revenus réels représentaient seulement 68 % des projections initiales de CarGurus, et les revenus de décembre 2015, 47 %. Ils se sont ensuite maintenus entre 62 % et 65 % pour les trois premiers mois de 2016. Autrement dit, l'écart entre les revenus réels et les projections initiales de CarGurus est du même ordre avant et après le comportement de Trader et le refus de fournir les annonces de véhicules de Trader.

[101]  Cela laisse entendre que la différence (ou la diminution alléguée des revenus) établie par CarGurus pourrait bien découler de projections inexactes de ses sources de revenus plutôt que d'une diminution attribuable à la perte des annonces de véhicules de Trader. Ces éléments de preuve affaiblissent également l'assertion de CarGurus selon laquelle la baisse des revenus prévus (et l'effet sensible allégué sur l'entreprise de CarGurus) pourrait être attribuable au comportement de Trader. Autrement dit, la différence entre les revenus réels et les prévisions ne semble pas avoir de lien avec la fourniture des annonces de véhicules de Trader ou l'absence de celles-ci.

c.  Conclusion concernant les articles 75 et 77

[102]  Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que, lorsque tous les éléments de preuve présentés par CarGurus sont pris en compte, cela constitue une preuve crédible suffisante pour fournir au Tribunal des motifs raisonnables de croire que CarGurus pourrait être directement et sensiblement gênée dans son entreprise par le comportement de Trader. Il ne suffit pas que la preuve démontre une simple possibilité que l'entreprise puisse être sensiblement gênée. La norme de preuve exige « l’existence de motifs raisonnables de croire » (National Capital News Canada c Milliken, 2002 Trib conc 41, aux paras 9-10). Une simple assertion de diminution de la croissance prévue des revenus, comparée à une projection antérieure non étayée, n'en revient pas à fournir une base à une croyance légitime d'effet sensible réel ou probable dans l'évaluation des demandes de permission en vertu du paragraphe 103.1(7) (Audatex, aux paras 80-84).

[103]  De plus, selon les faits de l'espèce, le fait que les propres projections de CarGurus montrent une croissance continue de son entreprise malgré les chiffres révisés attribuables au comportement de Trader donne plutôt à penser que CarGurus s'attend à être en mesure de trouver des annonces de véhicules provenant d'autres sources que Trader.

[104]  Cette conclusion est fatale à la demande de CarGurus en vertu des articles 75 et 77 et scelle de sort de la demande de permission concernant ces deux dispositions de la Loi. Comme CarGurus n'a pas rempli l'exigence voulant qu'elle soit « directement et sensiblement gênée dans son entreprise », il n'est pas nécessaire de déterminer si CarGurus a présenté suffisamment d'éléments de preuve pour satisfaire à la deuxième partie du critère relatif à l'autorisation, notamment la question de savoir si chacun des éléments du paragraphe 75(1) ou de l'article 77 était rempli et si une ordonnance pouvait être rendue en vertu des dispositions sur le refus de vendre ou sur l'exclusivité.

C.  Demande de CarGurus en vertu de l'article 76

[105]  Concernant l'article 76 sur le maintien des prix, le paragraphe 103(7.1) régissant les demandes de permission en vertu de cette disposition exige seulement que la partie soit « directement gênée » par le comportement allégué susceptible d'examen. Aux fins de la présente demande de permission, cette exigence est clairement remplie.

[106]  Je dois maintenant me tourner vers la deuxième partie du critère qui exige que je sois convaincu que chacun des éléments de la disposition sur le maintien des prix puisse être rempli. Pour les raisons qui suivent, je conclus que CarGurus n'a pas démontré le bien-fondé de sa demande de permission de recourir à l'article 76. En bref, je ne suis pas convaincu, selon la preuve qui m'est présentée, que tous les éléments énoncés à l'article 76 pourraient être remplis si la demande était instruite sur le fond.

a.  Éléments de l'article 76

[107]  Le principal objectif des dispositions sur le maintien des prix contenues à l'article 76 de la Loi est de permettre une meilleure concurrence parmi les revendeurs/concessionnaires en les libérant des contraintes de prix qui leur seraient autrement imposées par leurs fournisseurs. L'article 76 établit trois pratiques commerciales distinctes susceptibles d'examen. La première est le maintien des prix à la revente (sous-alinéa 76(1)a)(i)). La deuxième est le refus de fournir un produit en raison de son régime de bas prix (sous-alinéa 76(1)a)(ii)). La troisième est le fait de persuader un fournisseur de refuser de fournir un produit en raison d'un régime de bas prix (paragraphe 76(8)). Dans les trois cas, le comportement ne peut faire l'objet d'une ordonnance que s'il a eu, a ou aura vraisemblablement pour « effet de nuire » à la concurrence dans un marché.

[108]  La demande de CarGurus porte sur la deuxième et la troisième pratique visée par l'article 76. Chacune d'entre elles contient essentiellement cinq exigences de base. Pour qu'un comportement soit susceptible d'examen, il faut : 1) que la personne exploite une entreprise de production ou de fourniture d'un produit au Canada (ou qu'elle soit décrite aux alinéas 76(3)b) ou c)); 2) que cette personne refuse directement ou indirectement de fournir le produit ou qu'elle prenne une mesure discriminatoire; 3) que la personne qui se voit refuser le produit ait une politique de bas prix; 4) qu'il y ait un refus de fournir ou une autre mesure discriminatoire motivé, du moins principalement, par une telle politique de bas prix; et 5) qu'il y ait un effet nuisible réel ou probable sur la concurrence dans un marché. Dans le cas du paragraphe 76(8), il doit également y avoir incitation d'un autre fournisseur.

[109]  Conformément au critère relatif à l'autorisation, CarGurus a le fardeau de démontrer que chacun de ces éléments de la pratique de maintien des prix pourrait être rempli si la demande était instruite sur le fond. Les termes « pourrait être » connotent la probabilité et pas seulement une simple possibilité (Barcode Systems Inc. C Symbol Technologies Canada ULC, 2004 Trib conc 1 (« Barcode »), au para 13).

[110]  Je ne suis pas convaincu que CarGurus a satisfait au seuil relatif à la présentation d'une demande en vertu de l'article 76 de la Loi pour au moins trois des éléments de l'article 76 : le fait que CarGurus doit avoir une politique de bas prix; le fait que le refus de fournir les annonces de véhicules de Trader est attribuable à la politique de bas prix de CarGurus; et l'effet nuisible réel ou probable sur la concurrence dans le marché en aval des marchés numériques où CarGurus fait concurrence.

b.  Politique de bas prix

[111]  Tout d'abord, je conclus qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles démontrant l'existence de la politique de bas prix alléguée de CarGurus et que CarGurus est un concurrent à bas coût.

[112]  Afin d'appuyer une demande en vertu du sous-alinéa 76(1)a)(ii) ou du paragraphe 76(8), CarGurus doit d'abord présenter des éléments de preuve sur sa propre politique de bas prix. En l'espèce, la preuve offerte à cet égard est limitée et, au mieux, imprécise et incertaine, et donc non convaincante. CarGurus ne fait qu'énoncer dans l'affidavit Blue et dans l'affidavit Blue sur le droit d'auteur qu'elle offre ses services gratuitement ou à un prix moins élevé que Trader. Étonnamment, aucun élément de preuve important n'a été fourni sur le prix réel offert par CarGurus, malgré le fait que l'existence d'une politique de bas prix soit un élément clé de sa demande en vertu de l'article 76.

[113]  L'information relative aux prix de CarGurus se trouve aux paragraphes 27 et 28 de l'affidavit Blue et aux paragraphes 55 à 60 de l'affidavit Blue sur le droit d'auteur. Au paragraphe 27, Mme Blue indique que le montant facturé par CarGurus varie selon la taille du concessionnaire, le nombre d'annonces et la taille du marché. Dans le paragraphe suivant, elle mentionne que CarGurus avait 39 clients et qu'ils payaient en moyenne 400 $ par mois.

[114]  La politique de bas prix envisagée par l'article 76 exige, à tout le moins, la présentation d'une preuve de « bas prix » et d'une « politique ». Puisque le sous-alinéa 76(1)a)(ii) et le paragraphe 76(8) parlent de « politique » plutôt que de « pratique », je reconnais que l'intention énoncée par le demandeur d'offrir des bas prix à l'avenir peut constituer une politique de bas prix, même lorsque cette personne n'a pas encore mis cette intention en oeuvre. Cependant, l'élément de « bas prix » doit être étayé par des éléments de preuve qui démontre, par exemple, que le prix du demandeur est plus bas que les prix proposés par un fournisseur, qu'il est moins élevé que le prix que le demandeur facture pour des produits similaires ailleurs, ou qu'il est plus bas que le prix d'autres revendeurs facturent habituellement pour des produits similaires. CarGurus n'a pas fourni de tels éléments de preuve.

[115]  Le seul élément de preuve important concernant les prix a en fait été fourni dans l'affidavit Dunbar où M. Dunbar a présenté des chiffres indiquant que les prix de CarGurus n'étaient pas plus bas que ceux de nombreux de ses concurrents sur les marchés numériques.

[116]  Il s'agit d'une situation bien différente de celle des affaires Used Car Dealers ou Stargrove où les éléments de preuve fournis démontraient clairement que les demanderesses dans ces affaires offraient sans aucun doute leurs produits respectifs à un prix plus bas que celui de leurs concurrents (7 $ par annonce dans Used Car Dealers, et 5 $ par CD dans Stargrove).

[117]  Je ne suis pas convaincu que les éléments de preuve dont je dispose concernant la prétendue politique de bas prix de CarGurus constituent une preuve suffisamment crédible pour permettre au Tribunal d'avoir des motifs raisonnables de croire que CarGurus pourrait remplir satisfaire à cet élément de l'article 76 et qu'une ordonnance pourrait être rendue en vertu de cette disposition. Il incombait à CarGurus de fournir des éléments de preuve relativement à cet élément de l'article 76 et, en fait, CarGurus était la mieux positionnée pour démontrer l'existence de sa propre politique de bas prix. Elle ne l'a pas fait.

c.  Élément de causalité

[118]  Deuxièmement, je conclus qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles démontrant que le refus allégué de Trader de fournir ses annonces de véhicules est attribuable à une politique de bas prix de CarGurus ou motivé par celle-ci.

[119]  Le sous-alinéa 76(1)a)(ii) ne s'applique qu'aux refus de fournir imposés « en raison de la politique de bas prix » d'une personne ou d'une catégorie de personnes. Il doit donc exister un lien de causalité entre la politique de bas prix et le refus de fournir ou la mesure discriminatoire. Historiquement, dans les décisions rendues en vertu de l'ancienne disposition criminelle relative au maintien des prix contenue dans l'ancien article 61 de la Loi, les Tribunaux ont conclu que la seule raison du refus de fournir devait être la politique de bas prix du revendeur (R c Griffith Saddlery & Leather Ltd (1986), 14 CPR (3d) 389 (Cour provinciale de l'Ontario), au para 24; R c Andico Manufacturing Ltd (1983), 4 CPR (3d) 476 (MBQB), au para 47). Cependant, quelques décisions ultérieures se sont écartées de l'exigence voulant que la politique de bas prix soit la seule préoccupation principale réelle. Deux décisions relatives à l'industrie des biens immobiliers ont effectivement laissé entendre que la politique de bas prix de la personne pouvait être la raison principale derrière le refus de fournir ou une raison incidente, ou une raison parmi tant d'autres, peu importe la priorité (R c 41813 Alberta Ltd (4 février 1994), No 9201-13366 (ABQB); R c Royal LePage Real Estate Services Ltd (28 octobre 1994), No 9201-14125 (ABQB)). Autrement dit, la politique de bas prix devait être une cause immédiate du refus de fournir, mais d'autres causes immédiates pouvaient exister. Cette approche semble avoir été retenue par le Bureau de la concurrence dans ses Lignes directrices sur le maintien des prix publiées en 2014 (Canada, Bureau de la concurrence, Maintien des prix (article 76 de la Loi sur la concurrence) (15 septembre 2014) (les « Lignes directrices ») à la section 3.1.3).

[120]  Il s'agit de la première fois que le Tribunal doit interpréter les termes « en raison de » la politique de bas prix dans le contexte de la nouvelle disposition civile relative au maintien des prix maintenant décrite à l'article 76 de la Loi. Je note que les termes « en raison de » sont aussi utilisés à l'article 75 sur le refus de vendre, où une réparation peut être accordée si une personne est incapable de se procurer un produit de façon suffisante « en raison de » l'insuffisance de la concurrence entre les fournisseurs. Dans le contexte de l'article 75, ces mots ont été interprétés par le Tribunal comme voulant dire que l'insuffisance de la concurrence doit être la « raison principale » du refus (Nadeau Poultry Farm Ltd c Groupe Westco Inc, 2009 Trib conc 6, confirmé par 2011 CAF 188 (« Nadeau »), aux paras 228-229 et 247; Canada (Director of Investigation and Research) c Xerox Canada Inc (1990), 33 CPR (3d) 83 (Trib conc), au para 83).

[121]  Une approche similaire doit l'emporter en vertu de l'article 76. Je suis donc d'avis que pour faire accueillir une demande en vertu du sous-alinéa 76(1)a)(ii) ou du paragraphe 76(8), le demandeur doit démontrer que la politique de bas prix est la raison principale du refus, même s'il ne s'agit pas de la seule raison. Autrement dit, il doit s'agir de la raison impérieuse du refus.

[122]  En l'espèce, aucun élément de preuve direct n'a été fourni par CarGurus, comme une correspondance de Trader ou des notes internes reflétant les discussions à ce sujet avec Trader, montrant que le refus de Trader de fournir ses annonces de véhicules est motivé ou causé d'une quelconque façon par la politique de bas prix de CarGurus. J'ajouterais que non seulement CarGurus n'a pas fourni d'élément de preuve direct concernant le mobile de Trader, son allégation à cet égard a été carrément contredite par M. Dunbar dans l'affidavit Dunbar, où M. Dunbar a nié que Trader était motivée d'une quelconque façon par la politique de bas prix de CarGurus.

[123]  Il s'agit là, encore une fois, d'une situation différente de celle de Stargrove où les défendeurs dans cette demande de permission n'avaient pas présenté d'élément de preuve pour réfuter les allégations et où le Tribunal a jugé que Stargrove avait elle-même fourni quelques éléments de preuve circonstanciels du mobile des fournisseurs concernés (Stargrove, aux paras 38-39).

[124]  Le Tribunal peut évidemment tenir compte d'éléments de preuve circonstanciels lorsqu'il n'y a pas de preuve directe (Used Car Dealers, aux paras 44-48). Cependant, de tels éléments de preuve circonstanciels doivent quand même constituer « des preuves crédibles suffisantes pour qu’on puisse croire de bonne foi que la pratique en question pourrait faire l’objet d’une ordonnance » (Used Car Dealers, au para 48). Dans Used Cars Dealers, la demanderesse a déployé des efforts pour fournir une preuve des préoccupations concernant le fait que la politique de bas prix était le facteur principal de la cessation de l'approvisionnement. L'affidavit soumis en l'espèce porte sur les éléments de preuve circonstanciels relatifs à la différence de prix, aux actes d'un concurrent et aux liens qui donnaient au demandeur des motifs de croire que le refus de fournir était attribuable à sa politique de bas prix (Used Cars Dealers, aux paras 46-47). L'affidavit soumis visait à fournir des éléments de preuve sur les motifs du refus de fournir et mentionnait notamment l'absence d'autres motifs pour mettre fin à l'approvisionnement. La demanderesse fait valoir qu'en l'absence d'un autre motif, on pouvait tirer une conclusion négative raisonnable d'un tel silence et que la politique de bas prix pouvait être considérée comme le facteur principal du refus.

[125]  Même si certains détails dans l'affidavit permettaient d'appuyer la croyance de l'auteur selon laquelle le refus pourrait avoir été motivé par les bas prix de la demanderesse, le Tribunal n'était toutefois pas convaincu par ces éléments de preuve circonstanciels et ne pouvait pas conclure qu'il existait des éléments de preuve crédibles suffisants pour établir qu'il était possible que la suppression du service résultait de la politique de bas prix (Used Cars Dealers, au para 61). Le Tribunal a donc rejeté la demande de permission.

[126]  En l'espèce, non seulement CarGurus n'a pas fourni d'élément de preuve direct de la motivation de Trader, mais il n'y a pas non plus d'élément de preuve circonstanciel démontant le mobile de cette dernière. Aucun effort ni aucune tentative n'a été fait pour présenter des éléments de preuve circonstanciels afin d'appuyer la proposition selon laquelle le refus de Trader de fournir ses annonces de véhicules résultait de la politique de bas prix de CarGurus.

[127]  Il vaut la peine de citer les éléments de preuve fournis par CarGurus concernant l'élément de l'article 76. Ceux-ci se trouvent aux paragraphes 40 à 42 de l'affidavit Blue et se lisent ainsi :

40. [TRADUCTION] Comme il est mentionné au paragraphe 110 du premier affidavit, je crois que Trader considère CarGurus comme son plus grand concurrent parce que le site Web de CarGurus est innovateur et que CarGurus apporte une valeur considérable aux concessionnaires et au public, comme le montrent les affaires de celle-ci aux États-Unis. La cote de valeur marchande instantanée de CarGurus attire beaucoup de client et de pages de détails sur les véhicules vues non seulement sur son site Web, mais aussi sur les sites Web des concessionnaires selon le classement de CarGurus. Cela offre aux concessionnaires une valeur que Trader ne peut pas fournir.

41. De plus, CarGurus offre ces services gratuitement ou pour un prix moins élevé que Trader. Par exemple, la trousse de base de CarGurus, qui est offerte aux concessionnaires gratuitement, comprend la diffusion de l'inventaire des concessionnaires sur le site Web de CarGurus et jusqu'à 10 photos, et permet aux utilisateurs du site Web de CarGurus d'envoyer des courriels anonymes à ces concessionnaires concernant leurs véhicules à vendre.

42. Je crois que la façon différente dont Trader traite CarGurus et son refus de vendre aux conditions normales habituellement imposées aux autres marchés numériques découle de la politique de bas prix de CarGurus et de la crainte qu'a Trader que l'expansion de CarGurus sur le marché canadien l'oblige à faire concurrence en offrant des produits et des services plus innovateurs et en réduisant ses prix.

[Non souligné dans l'original]

[128]  Des propos similaires sont tenus au paragraphe 99 du mémoire des faits et du droit de CarGurus et aux paragraphes 107 et 108 de son avis de demande proposé. J'observe qu'au paragraphe 110 de l'affidavit Blue sur le droit d'auteur, il est question des caractéristiques innovatrices de CarGurus et de la façon dont celles-ci lui permettent de prendre de l'expansion sur le marché, mais qu'il n'est fait aucune mention de la politique de bas prix de CarGurus.

[129]  Je souligne qu'il s'agit là de l'ensemble des éléments de preuve fournis par CarGurus concernant l'élément de causalité de l'article 76. En effet, dans son mémoire de réponse, lorsqu'elle mentionne les éléments de preuve à l'appui d'une croyance légitime à cet égard, CarGurus fait uniquement mention du paragraphe 107 de son mémoire et des paragraphes 41 et 42 de l'affidavit Blue. Aucun autre élément de preuve n'a été fourni pour appuyer les déclarations de CarGurus concernant le mobile de Trader ou le lien de causalité entre la politique de bas prix de CarGurus et le refus de Trader de lui fournir ses annonces de véhicules.

[130]  Plus précisément, l'affidavit Blue ne fait aucune mention des efforts ou des tentatives de CarGurus pour obtenir des éléments de preuve démontrant que sa politique de bas prix est la cause ou la motivation du comportement de Trader. Ayant si peu d'éléments de preuve et d'assertions, je ne peux que conclure qu'il n'y a pas d'élément de preuve crédible suffisant pour appuyer l'élément de causalité contenu à l'article 76. Il est vrai qu'il s'agit là de questions factuelles qui seraient abordées plus en détail dans une demande sur le fond. Cependant, un demandeur doit toujours fournir au moins un niveau minimal d'éléments de preuve crédibles sur cet élément de la pratique pour voir sa demande accueillie. Je suis bien entendu conscient qu'à l'étape de la demande de permission, et avant l'interrogatoire préalable, les moyens dont dispose CarGurus pour trouver de tels éléments de preuve sont plus limités. Toutefois, il s'agit quand même d'un fardeau qui lui incombe si elle veut obtenir une permission. Même à l'étape de la demande de permission, un demandeur ne peut pas simplement répéter le libellé de la Loi, fournir aucun élément de preuve à l'appui et s'attendre à ce que de telles déclarations non étayées soient suffisantes pour donner au Tribunal la croyance légitime qu'il doit avoir.

[131]  Les déclarations contenues aux paragraphes 40 à 42 de l'affidavit Blue m'amènent à faire deux autres observations.

[132]  Premièrement, Mme Blue indique au paragraphe 42 qu'elle « croit » que le comportement de Trader découle de la politique de bas prix de CarGurus. La croyance de l'auteur d'un affidavit ne suffit pas pour établir le niveau de preuve requis par les paragraphes 103.1(7) ou 103.1(7.1). La demanderesse devait fournir des éléments de preuve crédibles suffisants pour amener le Tribunal à avoir une croyance légitime qu'une ordonnance pouvait être rendue. La croyance du Tribunal ne peut reposer uniquement sur les seules croyances du demandeur. Elle doit être fondée sur les éléments de preuve du demandeur.

[133]  Dans l'affaire Brandon Gray Internet Services Inc c Autorité canadienne pour les enregistrements Internet, 2011 Trib conc 17 (« Gray »), le Tribunal a effectivement indiqué qu'une « déclaration générale » concernant l'effet nuisible sur la concurrence dans le marché (comme une simple déclaration selon laquelle la cessation de la fourniture entraînera une diminution de la concurrence), sans élément de preuve pour l'appuyer, ne suffisait pas et a donc rejeté la demande de permission (Gray, au para 13).

[134]  Ma deuxième observation est la suivante. Je trouve qu'il est troublant de remarquer que les paragraphes 40 à 42 de l'affidavit Blue et toutes les autres mentions faites par CarGurus du motif du comportement de Trader et de son refus de fournir ses annonces de véhicules ne mentionnent jamais que la politique de bas prix de CarGurus pourrait être le facteur principal du comportement de Trader. En fait, l'affidavit Blue sur le droit d'auteur, étant la source de l'affidavit Blue, ne mentionne même pas la politique de bas prix de CarGurus. De plus, dans chaque phrase où CarGurus mentionne cette question dans sa preuve, elle fait toujours allusion tant à sa politique de bas prix qu'à ses caractéristiques innovatrices supérieures.Il n'est jamais question uniquement du rôle principal de la politique de bas prix de CarGurus. En effet, les paragraphes 40 à 42 de l'affidavit Blue mentionnent d'abord les caractéristiques innovatrices de CarGurus comme étant le facteur qui semble influer sur le comportement de Trader, et utilisent l'expression [TRADUCTION] « de plus » pour introduire la préoccupation concernant la politique de bas prix.

[135]  Il s'agit d'une lacune fondamentale de la preuve de CarGurus.

[136]  L'article 76 est la disposition sur le maintien des prix de la Loi. Son objectif est d'offrir un recours en cas de refus de fournir ou de mesure discriminatoire motivé par une politique de bas prix. Elle vise à atténuer les restrictions qu'un fournisseur peut imposer à la capacité des revendeurs de faire concurrence au niveau du prix lorsque ces restrictions ont, ou sont susceptibles d'avoir, un effet nuisible sur la concurrence. On ne peut recourir à cette disposition pour sanctionner le refus d'un fournisseur qui peut être motivé par d'autres mobiles. Il se peut que le fournisseur refuse de fournir un produit en raison d'un autre comportement qui pourrait être considéré comme étant anticoncurrentiel. Il se peut aussi que le fournisseur refuse de fournir un produit ou prenne une mesure discriminatoire à l'endroit d'une personne en raison de ses pratiques ou de ses produits de marketing innovateurs perturbateurs. Mais ce ne sont pas là les comportements visés par l'article 76. L'article 76 s'applique aux refus ou aux mesures discriminatoires motivés principalement par une politique de bas prix.

Si le législateur avait voulu, à l'article 76, interdire un refus de fournir principalement motivé par les pratiques innovatrices d'une personne, il l'aurait indiqué. Mais il ne l'a pas fait. L'article 76 vise strictement une politique de bas prix. D'autres dispositions de la Loi, comme celle relative à l'abus de position dominante, peuvent être invoquées pour contester une pratique anticoncurrentielle visant à éliminer ou à discipliner un nouvel arrivant innovateur. Mais cela ne constitue pas un motif justifiant une demande en vertu de l'article 76.

[137]  La politique de bas prix doit être la cause principale du refus ou de la mesure discriminatoire du fournisseur. Le Tribunal reconnaît, comme l'a indiqué le Bureau de la concurrence dans ses Lignes directrices, que la politique de bas prix d'une personne n'a pas besoin d'être la seule raison du refus ou de la mesure discriminatoire. Cependant, une telle politique de bas prix doit être la raison principale orientant et motivant la décision du fournisseur. Même si un certain nombre d'autres facteurs contribuant au refus sont présents, des éléments de preuve doivent quand même être présentés pour démontrer que la politique de bas prix joue un rôle important et principal dans le refus de fournir.

[138]  En l'espèce, je ne crois pas que la preuve me permette de présumer raisonnablement que la politique de bas prix de CarGurus pourrait être la cause principale du refus de Trader de fournir ses annonces, plutôt que le fait que CarGurus soit un concurrent innovateur perturbant. En liant systématiquement sa supposée politique de bas prix et ses caractéristiques innovatrices à titre de mobiles censés influer sur le comportement de Trader, CarGurus ne me permet pas de conclure que la politique de bas prix pourrait être la cause principale du comportement de Trader. En fait, la preuve de CarGurus donne à penser que la raison principale du comportement de Trader sont les caractéristiques innovatrices de CarGurus plutôt que sa politique de bas prix.

[139]  Il s'agit des mots que CarGurus a choisi d'utiliser dans ses éléments de preuve et dans l'affidavit Blue. Considérant la preuve devant moi, je ne suis donc pas convaincu que CarGurus a satisfait à la norme de preuve exigée concernant l'élément de causalité de l'article 76. Il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour me permettre d'avoir une croyance légitime que la politique de bas prix de CarGurus, laquelle est distincte des autres caractéristiques innovatrices et concurrentielles qu'elle peut avoir, pourrait être la motivation principale et le facteur primordial derrière le comportement de Trader et son refus de fournir ses annonces de véhicules.

[140]  J'observe pour conclure qu'en plus, il y a beaucoup d'éléments de preuve au dossier démontrant que la raison du comportement de Trader et de son refus de fournir ses annonces de véhicules est en fait son allégation de violation du droit d'auteur par CarGurus et le litige en cours intenté contre CarGurus dans la procédure relative au droit d'auteur. Il se pourrait que l'allégation de Trader puisse être rejetée par la Cour supérieure de justice l'Ontario et que ses allégations de violation du droit d'auteur liées aux photos de Trader ne soient pas accueillies par la Cour. Cependant, à cette étape et compte tenu des éléments de preuve dont je dispose dans la présente demande de permission, l'existence de la procédure relative au droit d'auteur offre un motif commercial objectif expliquant le refus de Trader de fournir ses annonces de véhicules à CarGurus et constitue un autre facteur indiquant une absence d'éléments de preuve crédibles suffisants pour démontrer que le refus de Trader est motivé par la politique de bas prix de CarGurus.

d.  Effet nuisible sur la concurrence

[141]  Troisièmement, je ne suis pas convaincu qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour avoir une croyance légitime que le comportement de Trader pourrait avoir un effet nuisible réel ou probable sur la concurrence dans un marché.

[142]  Aux fins de l'analyse de l'effet nuisible (soit en vertu de l'alinéa 76(1)b) sur le maintien des prix, soit en vertu de l'alinéa 75(1)e) sur le refus de vendre), il est reconnu que le marché pertinent est le marché auquel le demandeur participe, notamment les marchés numériques.

[143]  Dans l'affaire B-Filer, le Tribunal a indiqué que l’alinéa 75(1)e) « exige [...] une évaluation de la compétitivité réelle ou probable d’un marché dans lequel une entreprise se livre à un refus de vendre et une autre dans ce marché où cette pratique est absente » (B- Filer, au para 200). Le Tribunal a également pris en considération le concept « d'effet de nuire à la concurrence dans le marché » dans Nadeau. Il a conclu que pour déterminer si un refus de vendre est susceptible d'avoir un effet nuisible, il fallait examiner une série d'indicateurs qui pouvaient varier d'un cas à l'autre. Dans Nadeau, ces facteurs comprenaient la part de marché et la concentration du marché (nécessitant une évaluation du produit pertinent et des marchés géographiques), les obstacles à l'entrée sur le marché, l'incidence sur les prix, l'effet sur les coûts des concurrents, l'incidence sur la qualité et la variété du produit, l'interdiction possible de fournir à d'autres entreprises de transformation dans le marché et l'incidence d'une élimination possible de la demanderesse sur le marché.

[144]  Dans chacune des affaires B-Filer, Visa et Nadeau, le Tribunal a indiqué qu'à son avis, même si le seuil d'établissement d'un effet « nuisible » sur la concurrence est moins élevé que celui lié à la réduction « importante », il faut tout de même présenter des éléments de preuve démontrant que le refus de vendre ou le maintien des prix aurait pour effet de créer ou d'intensifier le « pouvoir de marché » d'un fournisseur. Pour que le refus de vendre ait un effet nuisible sur un marché, le Tribunal a indiqué que « ce refus doit avoir eu pour effet de préserver ou de rehausser le pouvoir de marché des autres participants ou de créer un pouvoir de marché pour l’un d’eux » (B-Filer, au para 208). Autrement dit, « sans pouvoir de marché, il ne peut y avoir d’effet nuisible dans un marché » (Nadeau, au paragraphe 369; Visa, au para 350).

[145]  Une évaluation de l'effet nuisible sur la concurrence exige donc que l'on tienne compte de la question de savoir si le refus a pour effet de préserver, de rehausser ou de créer un pouvoir de marché pour les autres participants. Dans Canada (Director of Investigation and Research) c NutraSweet Co. (1990), 32 CPR (3d) 1, le Tribunal a mentionné que « l'on interprète généralement le pouvoir de marché comme signifiant la capacité de fixer des prix plus élevés que les niveaux concurrentiels pendant une longue période ». Dans ce cas, le Tribunal a reconnu que cette approche conceptuelle valide n'en est pas une facile à appliquer. Il a jugé que les facteur qui doivent être pris en considération lors de l'évaluation du pouvoir de marché varient d'un cas à l'autre, mais incluent habituellement des indicateurs comme la part de marché et les obstacles à l'arrivée sur le marché (Nadeau, au paragraphe 368). Le pouvoir de marché a également été défini dans la jurisprudence comme étant la [TRADUCTION] « capacité de fixer des prix plus élevés que les niveaux concurrentiels et de maintenir à ce niveau pendant une longue période sans subir d'érosion par un nouvel arrivant ou l'expansion d'entreprises existantes » et la [TRADUCTION] « capacité d’exercer avec profit une influence sur les prix, la qualité, la variété, le service, la publicité, l’innovation et les autres dimensions de la concurrence » (TREB, au para 165).

[146]  En l'espèce, l'affidavit Blue contient très peu d'éléments de preuve pour démontrer l'effet nuisible du comportement de Trader sur la concurrence. Au paragraphe 59 de l'affidavit, Mme Blue indique simplement ce qui suit : [TRADUCTION] « Si Trader continue ses pratiques actuelles, le pourcentage de marché qu'elle contrôle ne fera qu'augmenter avec le temps, à mesure qu'elle conclut des ententes d'exclusivité avec d'autres concessionnaires et fournisseurs de source, bannissant CarGurus du marché. » Comme il en a été question précédemment, elle mentionne à divers endroits la prétendue part de marché de 42,5 % détenue par Trader. Aucune évaluation précise n'a été effectuée par CarGurus sur le marché géographique ou le marché de produit en cause.

[147]  Le Tribunal pourrait retenir l'hypothèse prudente voulant que le marché pertinent en l'espèce soit le marché le plus étroit dans lequel CarGurus mène ses activités, notamment les marchés numériques canadiens. En supposant que c'est le cas, la preuve au dossier montre qu'il existe au moins 10 entreprises ou concurrents au Canada qui offrent des services sur les marchés numériques et se font concurrence dans ce « marché » en aval, notamment Kijiji et Trader, qui sont les deux principaux joueurs. Les éléments de preuve fournis ne permettent pas au Tribunal de mesurer clairement la taille du marché en aval qui, selon CarGurus, sera touché par le refus de fournir de Trader, ou le pouvoir de marché des participants en l'absence de CarGurus. Cependant, si l'on examine la pièce 10 de l'affidavit Blue, la preuve indique que le marché des marchés numériques est assez concurrentiel et compte deux principaux concurrents (Kijiji et Trader) ainsi qu'une série de petits participants.

[148]  D'après les renseignements sur le nombre et la taille des concurrents dans la pièce 10, il semble évident que CarGurus est un concurrent plutôt mineur pour l'instant. Il n'y a pas non plus d'élément de preuve sur la part de marché ou la taille relative que CarGurus aimerait atteindre dans un avenir rapproché si ce n'était du comportement de Trader. Il ne s'agit donc pas d'une situation où un concurrent important serait éliminé par le comportement de Trader. En fait, les projections de CarGurus indiquent plutôt que, même si elle n'a pas accès aux annonces de véhicules de Trader, elle continuera à prendre de l'expansion et augmentera sans doute sa présence et sa part de marché dans le domaine, bien qu'à un rythme plus lent.

[149]  Je ne suis donc pas convaincu que CarGurus a fourni suffisamment d'éléments de preuve crédibles démontrant que le refus de Trader de fournir ses annonces de véhicules pourrait préserver, rehausser ou créer un pouvoir de marché pour un participant des marchés numériques. La situation n'est pas similaire à celle de l'affaire Nadeau où des éléments de preuve avaient été fournis pour démontrer que le refus prévu de fournir supplanterait un concurrent important dans le marché en aval (Nadeau) et l'éliminerait comme principal concurrent des joueurs de premier plan dans le domaine.

[150]  Comme le Tribunal l'a mentionné dans Audatex, l'exigence relative à l'existence d'un effet nuisible réel ou probable sur la concurrence est un élément clé des recours privés disponibles en vertu des articles 75 et 76 de la Loi. Le Tribunal a déclaré ce qui suit au paragraphe 50 de cette décision :

[TRADUCTION] Bien que les articles 75 et 103.1 prévoient un droit d'action pour les refus de vendre, ils font partie de la Loi et doivent être pris en considération dans le contexte de cette loi et de ce qu'elle vise à protéger et à accomplir. Comme l'a indiqué le juge Rothstein dans Barcode CAF « [l]'objet fondamental de la Loi sur la concurrence, tel qu'il est défini à l'article 1.1 [...] est "de préserver et de favoriser la concurrence au Canada", et l'objet de l'article 75 confirme cette intention » (Barcode CAF, au para 14). Il a élaboré sur ce point dans ses motifs, mentionnant à nouveau que l'objet de la Loi est de préserver et de favoriser la concurrence au Canada, « et non d'offrir un recours pour régler un différend entre un fournisseur et un client qui n'a aucune incidence sur la préservation ou l'encouragement de la concurrence » (Barcode CAF, au para 23).

[151]  L'obligation d'avoir un effet nuisible sur la concurrence reflète le fait que les dispositions d'application privée de la Loi ne sont pas là pour arbitrer des différends contractuels privés liés à la fourniture d'un produit dans des circonstances où un refus de fournir n'a pas d'incidence sur le marché. L'effet nuisible sur la concurrence doit être plus qu'une incidence sur l'entreprise de CarGurus, comme le prévoit déjà l'exigence voulant que le demandeur soit sensiblement gêné par le refus de fournir. La preuve présentée doit avoir une dimension marchande. Comme le Tribunal l'a mentionné au paragraphe 368 de l'affaire Nadeau, l'obligation selon laquelle la pratique doit « vraisemblablement avoir pour effet de nuire » signifie qu'il est obligatoire d'établir la probabilité qu'un effet nuisible soit probable et pas simplement possible.

[152]  Dans le cas présent, CarGurus est un nouvel arrivant. Les éléments de preuve nécessaires pour démontrer qu'il pourrait y avoir un effet nuisible sur la concurrence dans ces circonstances sont plus difficiles à trouver. Par contre, il incombe tout de même au demandeur de présenter suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour permettre au Tribunal d'avoir une croyance légitime que cette exigence de l'article 76 peut être satisfaite. Compte tenu de la structure du marché pour les marchés numériques au Canada, de la présence de deux grands concurrents et de nombreux autres petits participants, ainsi que de la taille relativement petite, mais croissante de CarGurus, je ne suis pas convaincu que suffisamment d'éléments de preuve crédibles aient été fournis par CarGurus pour appuyer une croyance légitime que le fait d'éloigner celle-ci des marchés numériques ou de limiter son expansion pourrait avoir un effet nuisible sur la concurrence sur le marché.

e.  Conclusion concernant l'article 76

[153]  Pour toutes ces raisons, je conclus que le Tribunal ne « pouvait » pas rendre une ordonnance en vertu de l'article 76 pour obliger Trader à fournir ses annonces à CarGurus lorsque la demande est instruite sur le fond, car un nombre insuffisant d'éléments de preuve ont été présentés pour au moins trois éléments de la disposition relative au maintien des prix.

IV.  CONCLUSION

[154]  Pour les raisons susmentionnées, la demande de permission de CarGurus n'est pas étayée de suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour donner lieu à une croyance légitime qu'elle pourrait ou qu'elle est sensiblement gênée dans son entreprise par le refus allégué de fournir ou l'exclusivité de Trader. Par conséquent, la demande de permission de présenter une demande en vertu des articles 75 et 77 de la Loi est rejetée.

[155]  De même, le Tribunal conclut qu'il ne pouvait pas rendre d'ordonnance en vertu de l'article 76 de la Loi, car les éléments de preuve présentés à l'égard d'au moins trois éléments de la disposition sur le maintien des prix ne sont pas suffisants pour donner lieu à une croyance légitime que CarGurus était en mesure de les respecter.

POUR LES MOTIFS PRÉCITÉS, LE TRIBUNAL ORDONNE CE QUI SUIT :

[156]  La demande de permission de présenter une demande en vertu des articles 75, 76 et 77 de la Loi est rejetée.

[157]  Des dépens sont adjugés à la défenderesse Trader contre la demanderesse CarGurus en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

FAIT à Ottawa, ce 14e jour d'octobre 2016. SIGNÉ au nom du Tribunal par le président

(s) Denis Gascon


AVOCATS :

Pour la demanderesse :

CarGurus, Inc

Nikiforos Iatrou

Bronwyn Roe

Pour la défenderesse :

Trader Corporation

Michael Koch

Peter Ruby

Hannah Arthurs

 



[1] Le Tribunal souhaite indiquer qu'il était prêt à rendre sa décision à la mi-septembre, mais qu'à la suite des directives communiquées le 14 septembre et le 4 octobre 2016, il a accepté de suspendre temporairement sa décision compte tenu des discussions entre les parties visant à régler le différend.

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