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Competition   Tribunal  Tribunal de la concurrence

 

VERSION PUBLIQUE

 

Référence : Audatex Canada, ULC c CarProof Corporation, 2015 Trib Conc 28

No de dossier : CT-2015-010

No de document du greffe : 82

 

 

AFFAIRE CONCERNANT la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, dans sa version modifiée;

 

ET AFFAIRE CONCERNANT une demande présentée par Audatex Canada ULC afin dobtenir une ordonnance en vertu de larticle 103.1 accordant lautorisation de présenter une demande en vertu de larticle 75 de la Loi sur la concurrence.

 

 

Competition Tribunal Seal / Sceau du Tribunal de la concurrence
 

 


E N T R E:

 

Audatex Canada, ULC

 

(demanderesse)

et

CarProof Corporation, Trader Corporation et

Marktplaats B.V.

 

(défenderesses)

 

 

 

Décision rendue sur le fondement du dossier.  

Devant le membre judiciaire :  Monsieur le juge Gascon (Président)

Date des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance : le 16 décembre 2015

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE REJETANT UNE DEMANDE D’AUTORISATION


I.  APERÇU

 

[1]  Le 1er octobre 2015, Audatex Canada, ULC (« Audatex ») a déposé une demande auprès du Tribunal de la concurrence en vertu de l’article 103.1 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34 (la « Loi »), en vue d’obtenir l’autorisation de présenter une demande concernant un refus de vendre aux termes de l’article 75 de la Loi. Si l’autorisation est accordée, Audatex demande une ordonnance en vertu du paragraphe 75(1) de la Loi enjoignant CarProof Corporation (« CarProof »), Trader Corporation (« Trader ») et Marktplaats B.V. (« Marktplaats ») (collectivement, les « défenderesses ») d’accepter Audatex en tant que client et de fournir des données sur les ventes de véhicules automobiles canadiens à Audatex à des conditions de commerce normales.

 

[2]  Le 6 novembre 2015, CarProof, Trader et Marktplaats ont chacune déposé des observations écrites en réponse à la demande d’autorisation d’Audatex. À la suite d’une ordonnance rendue le 29 octobre 2015, le Tribunal a accordé à CarProof et à Marktplaats l’autorisation de déposer une preuve par affidavit dans le cadre de leurs observations écrites, conformément aux modalités énoncées dans l’ordonnance.

 

[3]  Le 17 novembre 2015, Audatex a déposé une réplique, qui comprenait les preuves par affidavit en réponse ainsi que des observations écrites. Audatex n’avait pas demandé l’autorisation du tribunal pour présenter une preuve par affidavit supplémentaire. La question de l’admissibilité de la contre-preuve sera traitée ci-dessous, dans la partie II.D des présents motifs.

 

[4]  À l’appui de sa demande d’autorisation, Audatex présenté un affidavit souscrit le 1er octobre 2015 par M. Gabor Toth, le directeur des finances et de l’exploitation d’Audatex  (l’« affidavit de M. Toth »). Dans sa réponse, Audatex a aussi ajouté des affidavits souscrits le 17 novembre 2015 par M. Jason Brady, le premier vice-président, avocat-conseil général et secrétaire de la société mère d’Audatex, Solera Holdings Inc (l’« affidavit de M. Brady » ) et par M. Alberto Cairo, chef de cabinet de Solera pour l’Amérique du Nord (l’« affidavit de M. Cairo »). Avec leurs réponses respectives, CarProof a présenté un affidavit souscrit le 5 novembre 2015 par M. Paul Antony, président du conseil d’administration de CarProof  (l’« affidavit de M. Antony ») et Marktplaats a présenté un affidavit souscrit le 5 novembre 2015 par M. Neil Scott, directeur des Affaires commerciales avec eBay GmbH (l’« affidavit de M. Neil »).

 

[5] Conformément aux paragraphes 103.1(1) et (6) de la Loi, et sous réserve de la décision ci-après, le Tribunal s’est appuyé sur ces affidavits et les observations écrites des parties pour rendre sa décision concernant la présente demande d’autorisation.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[6]  Audatex prétend qu’elle a fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour convaincre le tribunal qu’il y a une possibilité raisonnable que ses travaux soient directement et considérablement touchés par le refus de vendre des défenderesses, et qu’un tel refus puisse faire l’objet d’une ordonnance en vertu de l’article 75 de la Loi. CarProof, Trader et Marktplaats demandent collectivement une ordonnance refusant l’autorisation à Audatex et rejetant la demande, avec dépens, étant donné qu’Audatex n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour chacune des exigences énoncées aux articles 75 et 103.1(7) de la Loi.

Elles invitent, en outre, le Tribunal à exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser l’autorisation conformément au paragraphe 103.1(7).

 

[7]  Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu qu’Audatex se soit acquittée de son fardeau, en vertu du paragraphe 103.1(7), de demander une réparation en vertu de la disposition de la Loi sur le refus de vendre. Par conséquent, la demande d’autorisation d’Audatex sera rejetée.

 

II.  CONTEXTE

 

  1. Les parties

 

  1. Audatex

 

[8]  Audatex est une société de l’Alberta qui fournit des données et des solutions logicielles pour les compagnies d’assurance automobile et les ateliers de réparation d’automobiles dans le but de rationaliser le processus de règlement des réclamations relatives à des accidents de la route, tant pour l’estimation du coût des réparations que pour le calcul de la valeur marchande des automobiles. Dans le cadre des activités qu’Audatex décrit comme son « entreprise principale », elle offre deux services à ses clients : l’« estimation de la valeur de la perte totale » et l’« estimation de la valeur de la perte partielle ». La société affiliée d’Audatex, Audatex North America, Inc (« Audatex North America »), offre des services semblables aux États-Unis.

 

  1. Les services de l’estimation de la valeur de la perte totale

 

[9]  Les services d’Audatex de l’estimation de la valeur de la perte totale renvoient à la détermination de la valeur marchande des automobiles endommagées pour les clients de sa compagnie d’assurance. Pour fournir ces services, Audatex s’appuie sur des données sur les ventes de véhicules automobiles canadiens. Ces données sur les ventes de véhicules automobiles sont des renseignements sur une automobile qui sont contenus dans une annonce d’une automobile à vendre. Ces annonces comprennent presque toujours l’année, la marque et le modèle de l’automobile, aussi bien que le prix demandé. Le kilométrage, les caractéristiques, le type de transmission et la couleur de l’automobile, entre autres détails, sont généralement aussi compris dans les données sur les ventes des véhicules automobiles. Les données sur les ventes des véhicules automobiles sont le produit pour lequel Audatex cherche à obtenir une ordonnance enjoignant qu’elles soient fournies.

 

[10]  Lorsqu’une automobile est endommagée dans un accident, Audatex examine les données sur les ventes de véhicules automobiles pour les annonces d’automobiles qui ont des caractéristiques semblables au véhicule automobile endommagé, et qui sont dans une proximité géographique étroite. En utilisant des algorithmes exclusifs, Audatex génère une estimation de la valeur de la perte totale pour le véhicule endommagé. Audatex prépare ensuite un rapport pour la compagnie d’assurance, qui comprend des renseignements provenant des listes de données qui sous-tendent l’estimation de la valeur de la perte totale (le « rapport d’estimation »). L’estimation de la valeur de la perte totale effectuée par Audatex est un critère selon lequel les assureurs déterminent s’il est préférable d’effectuer des réparations sur une automobile ou, si le coût de la réparation est supérieur à la valeur au marché de l’automobile, de fournir au titulaire de la police la valeur de la perte totale en espèces.

 

  1. L’estimation de la valeur de la perte partielle

 

[11] Les services d’estimation de la valeur de la perte partielle d’Audatex renvoient aux estimations de la valeur de la réparation du véhicule offerts à la fois à ses clients de la compagnie d’assurance et à ses clients des ateliers de réparations. L’estimation de la valeur de la perte partielle ne nécessite pas les données sur les ventes de véhicules automobiles en question.

 

[12]  En termes de revenus, l’affidavit de M. Toth signale qu’environ un quart des revenus d’Audatex dans son « entreprise principale » provient de ses services d’estimation de la valeur de la perte totale fournis à ses clients des compagnies d’assurance. Un tiers provient de ses services d’estimation de la valeur de la perte partielle vendus à ces clients des compagnies d’assurance. Les 45 % restants des revenus d’Audatex proviennent de l’achat de ses services d’estimation de la valeur de la perte partielle par les ateliers de réparations de véhicules automobiles.

 

b.  Les défenderesses

 

[13]  Le siège social de CarProof est situé en Ontario et son activité principale est la vente de rapports d’historique détaillés des véhicules (les « RHV »). Tel qu’il a été déclaré dans l’affidavit de M. Antony, ces RHV sont utilisés par les vendeurs et les acheteurs de voitures pour obtenir des renseignements détaillés sur l’historique d’un véhicule.

 

[14]  Afin de préparer son RHV, CarProof utilise différentes sources de données comme sources de renseignements. Celles-ci comprennent des « estimations de la valeur de réparations des dommages » fournies par les ateliers de réparation à la suite d’un accident. Audatex, HyperQuest, Inc (« HyperQuest ») (une société américaine affiliée d’Audatex) [CONFIDENTIEL], toutes recueillent ces données des estimations de réparation dans le cadre de leurs activités d’assurance respectives. CarProof achète ces données des estimations de réparation au moyen de permis obtenus d’Audatex North America [CONFIDENTIEL].

 

[15]  En tant que sous-produit de ses activités de RHV et en tant que source de revenus supplémentaire, CarProof octroie des sous-licences pour les données qu’elle recueille à d’autres participants du secteur.

 

[16]  Les données sur les ventes de véhicules automobiles sont une autre source importante de données utilisée par CarProof pour ses activités de RHV. Comme c’est le cas pour les données de l’estimation de la réparation, CarProof octroie des permis aux données sur les ventes de véhicules automobiles provenant de nombreuses sources aux États-Unis et au Canada, y compris Trader et Marktplaats. L’affidavit de M. Antony indique que [CONFIDENTIEL]. Toutefois, comme il le fait avec d’autres sources de données, CarProof se penche sur l’utilisation des données sur les ventes de véhicules automobiles en tant que source supplémentaire de revenus par l’octroi de sous-licences pour certaines de ces données à d’autres participants de l’industrie. CarProof n’a jamais fourni de données sur les ventes de véhicules automobiles à Audatex.

 

[17]  Trader est domiciliée au Canada et elle est propriétaire des sites Web canadiens www.autotrader.ca et www.autohebdo.net (collectivement « AutoTrader »). AutoTrader offre des services d’annonces classées de ventes automobiles en ligne qui, moyennant des frais, permettent à chacun de mettre une automobile en vente. Dans le cours de ses affaires, Trader a autorisé certaines données sur les ventes des véhicules automobiles à Audatex North America, conformément à une entente appelée [traduction] l’« entente sur l’octroi de licences pour les données » (l’« entente Trader »). L’entente Trader a pris fin en août 2015 et n’est plus en vigueur.

 

 

[18]  Le siège social de Marktplaats est situé à Amsterdam et exploite le site Web www.kijiji.ca (« Kijiji »). Kijiji est un service d’annonces classées en ligne qui permet aux concessionnaires, moyennant des frais, et à tous les autres, gratuitement, de mettre une automobile en vente. Les annonces sur les véhicules sont en direct sur Kijiji et sont publiquement disponibles pour un temps limité seulement. Toutefois, [CONFIDENTIEL]. L’affidavit de M. Neil indique que Marktplaats appelle cela [CONFIDENTIEL] la [traduction] « liste confidentielle et exclusive des données ». Marktplaats a récemment conclu une entente sur l’octroi de licences pour les données avec CarProof en ce qui concerne sa liste de données confidentielle et exclusive. [CONFIDENTIEL] L’affidavit de M. Neil atteste qu’Audatex n’a jamais été un client de Marktplaats.

 

B.  Les faits pertinents

 

[19]  Audatex se plaint qu’elle n’a plus accès aux données sur les ventes des véhicules automobiles d’AutoTrader et de Kijiji de Trader et de Marktplaats. En septembre 2009, Audatex North America avait conclu l’entente Trader, aux termes de laquelle Audatex recevait les données sur les ventes de véhicules automobiles canadiens de la part de Trader. Elle avait un [CONFIDENTIEL], qui était automatiquement renouvelé selon des modalités [CONFIDENTIEL] supplémentaires à moins que l’une des parties ne donne au moins [CONFIDENTIEL] de préavis de cessation avant la fin de la période d’application. Le 24 mars 2015, Trader a envoyé à Audatex North America une lettre l’informant de sa résiliation de l’entente Trader à compter du 31 août 2015. Depuis cette date, Audatex ne reçoit plus de donnée sur les ventes de véhicules automobiles de la part de Trader. L’affidavit de M. Toth affirme que le motif de la résiliation de l’entente Trader était que Trader a conclu une entente exclusive à long terme l’engageant à fournir ses données sur les ventes de véhicules automobiles à CarProof.

 

[20]  En ce qui concerne les données sur les ventes des véhicules automobiles de Kijiji, l’affidavit de M. Toth indique qu’Audatex utilisait un script informatisé pour accéder aux renseignements précis et pertinents sur l’estimation de la valeur des véhicules depuis le site en ligne de Kijiji. Audatex n’a jamais eu d’accord d’approvisionnement officiel avec Marktplaats. À compter de novembre 2014, Audatex a tenté, sans succès, de conclure une entente avec Marktplaats pour accéder aux données sur les ventes de véhicules automobiles canadiens. En juillet 2015, Kijiji a demandé qu’Audatex cesse sa pratique consistant à accéder aux données sur Kijiji, que Marktplaats a qualifiée dans l’affidavit de M. Neil de [traduction] « récupération de données », ce qui est contraire aux conditions d’utilisation de Kijiji. L’affidavit de M. Toth confirme qu’Audatex s’est conformée à la demande de Marktplaats. Par la suite, et tel que discuté plus en détail dans l’affidavit de M. Brady, Audatex a poursuivi des discussions avec CarProof en ce qui concerne la possibilité d’une entente pour accéder aux données sur les ventes de véhicules automobiles de Kijiji. Celles-ci ont fini par échouer. L’affidavit de M. Toth atteste qu’en août 2015, Audatex a appris que Marktplaats avait déjà conclu un accord exclusif d’approvisionnement avec CarProof en ce qui concerne les données sur les ventes de véhicules automobiles de Kijiji.

 

[21]  Audatex prétend que l’accès aux données sur les ventes de véhicules automobiles d’AutoTrader et de Kijiji est essentiel pour son entreprise. Selon l’affidavit de M. Toth, Audatex a généré au-delà de [CONFIDENTIEL] rapports d’estimation au cours de l’exercice 2015 et, étant donné que cet algorithme nécessite au moins [CONFIDENTIEL] données sur les ventes de véhicules automobiles comparables pour générer chaque rapport d’estimation, Audatex doit avoir l’accès à environ [CONFIDENTIEL] données sur les ventes de véhicules automobiles par mois.  Sans accès aux données sur les ventes de véhicules automobiles canadiens ou d’AutoTrader ou de Kijiji, M. Toth affirme qu’Audatex n’est pas en mesure d’avoir un nombre suffisant de « nouvelles » données par mois, ce qui cause les rapports d’estimation à [CONFIDENTIEL]. Selon M. Toth, cela empêche considérablement Audatex de continuer à fournir ses services d’estimation de la valeur d’une perte totale.

 

[22]  Selon M. Toth, Audatex a récemment acquis des données sur les ventes de véhicules automobiles canadiens de trois entreprises différentes; [CONFIDENTIEL]. Cependant, ces inscriptions combinées sont inférieures de [CONFIDENTIEL] aux nouvelles données mensuelles dont Audatex a besoin pour continuer à exploiter ses services d’estimation de la valeur de la perte totale. En août 2015, Audatex a également entamé des négociations avec le groupe Boost Motor, mais a été informée que Boost avait conclu une entente exclusive à long terme l’engageant à fournir des données sur les ventes de véhicules automobiles à CarProof.

 

[23]  Audatex a tenté de négocier un accord satisfaisant de sous-licence avec CarProof pour avoir accès aux données sur les ventes de véhicules automobiles d’AutoTrader et de Kijiji, mais aucune entente n’a été conclue. L’affidavit de M. Toth, l’affidavit de M. Brady, l’affidavit de M. Cairo et l’affidavit de M. Antony contiennent des détails sur les échanges entre les parties, sur les modalités contractuelles discutées et sur les points de désaccord. Il n’est pas nécessaire de donner des précisions sur ces négociations aux fins de la présente demande. Il suffit de dire que CarProof cherchait à obtenir des conditions contractuelles d’Audatex, perçues par Audatex comme étant au-delà des termes régissant le simple octroi de sous-licences pour les données sur les ventes de véhicules automobiles. CarProof a considéré celles-ci comme faisant partie intégrante de l’entente à conclure avec Audatex et comme reflétant les multiples facettes de la nature de leur relation d’affaires. [CONFIDENTIEL]

 

 

 

 

[24]  Je note également qu’en août 2015, CarProof a intenté une procédure judiciaire contre HyperQuest aux États-Unis, demandant d’avoir accès aux données des estimations des réparations de HyperQuest et alléguant que HyperQuest avait renié une entente qu’elle avait conclue avec CarProof en juillet 2014.

 

C.  Les arguments des parties

 

[25]  Audatex soutient que le refus de CarProof, de Trader et de Marktplaats de fournir les données sur les ventes de véhicules automobiles d’AutoTrader et de Kijiji a une incidence directe et sensible sur son entreprise. Les défenderesses le contestent.

 

[26]  Audatex prétend, en outre, que CarProof a délibérément et stratégiquement conclu des ententes exclusives avec un certain nombre de fournisseurs de données sur les ventes de véhicules automobiles, y compris les fournisseurs principaux Trader et Marktplaats, éliminant ainsi la concurrence dans l’offre des données sur les ventes de véhicules automobiles canadiens. Ces contrats exclusifs ont empêché Audatex, malgré ses efforts, de négocier l’accès à ce type de données à l’avenir. Tandis qu’Audatex a été en mesure de négocier des ententes d’accès aux données sur les ventes de véhicules automobiles canadiens de quelques petits fournisseurs, elle soutient qu’elle n’est pas en mesure d’obtenir une offre suffisante du produit des autres fournisseurs. Audatex plaide qu’elle avait proposé de satisfaire aux conditions de commerce normales de CarProof et de les dépasser, mais que CarProof était axée sur l’extraction de concessions d’Audatex sans aucun lien et de ses sociétés affiliées aux États-Unis en tant que condition préalable pour fournir les données sur les ventes de véhicules automobiles canadiens à Audatex. De plus, Audatex soutient qu’elle est prête à obtenir les données sur les ventes de véhicules automobiles de Trader et de Marktplaats, selon les conditions de commerce normales, conformément à la gamme des valeurs du marché attribuée à ces données. Enfin, Audatex soutient que, si elle n’est pas en mesure de faire concurrence efficacement, Mitchell, décrite dans l’affidavit de M. Toth comme le seul concurrent important d’Audatex, perdra sa principale contrainte concurrentielle. Il y aura donc des répercussions négatives sur la concurrence en termes des services de l’estimation de la valeur totale de la perte et des services de l’estimation de la perte partielle, étant donné que ce marché serait réduit à un seul concurrent important. Pour ces motifs, Audatex soutient qu’une ordonnance pourrait être émise en vertu de l’article 75.

 

[27]  CarProof, Trader et Marktplaats répondent que le produit pour lequel Audatex cherche une réparation n’est pas les données sur les ventes de véhicules automobiles elles-mêmes, mais une licence pour utiliser les renseignements confidentiels et de nature exclusive des données de Trader et de Marktplaats. Les défenderesses ne fournissent leurs données sur les ventes de véhicules automobiles qu’au moyen de permis et, selon le ratio dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Warner Music Canada Ltd, 1997, 78 CPR 3d 321 Trib conc, les permis ne sont pas des produits pour l’application de l’article 75 de la Loi, étant donné qu’ils ne sont pas [traduction] « en offre suffisante ». Trader et Marktplaats soutiennent en outre que l’incapacité alléguée d’Audatex à obtenir des produits suffisants est attribuable à la conduite prétendument anticoncurrentielle de CarProof, et non à un manque de concurrence parmi les fournisseurs. CarProof affirme qu’elle était plus que disposée à octroyer une sous-licence pour les données disponibles sur les ventes de véhicules automobiles à Audatex selon des modalités équitables et raisonnables et conformes aux pratiques du secteur, et prétend que ses négociations avec Audatex reflètent la relation complexe entre les parties et l’ubiquité des échanges de valeurs à facette multiple dans le secteur. Les défenderesses ont également soutenu qu’Audatex ne fournit pas de renseignements concernant la taille du marché en aval qui, selon ses allégations, sera influencé par le refus de vendre ni concernant la taille de Mitchell et sa puissance commerciale en l’absence de la participation d’Audatex, ni concernant le nombre et la taille des concurrents sur ce marché. Par conséquent, le Tribunal ne pouvait pas avoir de motifs de croire qu’une ordonnance pourrait être émise en vertu de la disposition sur le refus de vendre.

[28]  Enfin, les défenderesses soutiennent que le Tribunal devrait, dans tous les cas, exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder une autorisation d’intenter un recours. Marktplaats affirme que la conduite d’Audatex en récupérant les données sur le site Web de Kijiji devrait l’empêcher de demander une ordonnance en vertu de l’article 75, comme cela obligerait Marktplaats à faire affaire avec une partie qui a sciemment violé ses droits en contrevenant aux conditions d’utilisation de Kijiji. Marktplaats prétend également qu’Audatex a été l’artisan de son propre malheur en raison de son échec apparent d’agir en temps opportun pour obtenir une licence de Marktplaats (et d’autres concédants). Selon elle, le Tribunal ne devrait pas permettre que le processus privé de demande en vertu de l’article 75 soit utilisé en tant que mécanisme pour que des concurrents inefficaces ou en échec s’ingèrent dans le processus concurrentiel.

 

D.  La preuve par affidavit en réplique

 

[29]  Il existe un désaccord entre les parties concernant la recevabilité de la preuve par affidavit en réplique d’Audatex dans le cadre de la présente demande d’autorisation.

 

[30]  Au nom des défenderesses, CarProof demande que l’affidavit de M. Brady et l’affidavit de M. Cairo, déposés dans le cadre de la réponse d’Audatex, soient radiés du dossier. CarProof prétend que l’article 120 des Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/94-290 (les « Règles ») prévoit qu’une personne peut signifier uniquement une réplique, et non un [traduction] « dossier de réplique », à l’étape de la demande d’autorisation. Contrairement à l’article 115 (qui permet expressément à un demandeur de déposer une preuve par affidavit) ou à l’article 119 (qui permet au défendeur de déposer des éléments de preuve avec l’autorisation du tribunal), l’article 120 n’envisage pas le dépôt d’une preuve par affidavit supplémentaire dans le cadre d’une réplique par un demandeur d’une demande d’autorisation. S’appuyant sur l’ordonnance rendue par le juge Blanchard dans Nadeau Ferme Avicole Limitée c Groupe Westco Inc et autres, 2008 Trib conc 6 (l’« ordonnance Nadeau permettant de signifier et déposer une réplique »), au paragraphe 4, CarProof soutient qu’une réplique doit se limiter à un argument juridique, à l’exclusion d’une preuve supplémentaire par affidavit.

 

[31]  Audatex répond que l’article 120 prévoit expressément qu’un demandeur d’autorisation en vertu de l’article 103.1 signifie une « réplique » et que, contrairement à l’article 119, l’article 120 n’exige pas que le demandeur demande l’autorisation d’inclure une preuve par affidavit dans la réplique. Audatex soutient que le droit de réplique accordé par l’article 120 serait dépourvu de sens s’il n’autorisait pas à un demandeur, au moyen d’une preuve en réplique, de répondre aux allégations qui ont été faites sur les faits par un défendeur. Audatex indique que l’« ordonnance Nadeau permettant de signifier et déposer une réplique » est antérieure à l’article 120 et renvoie à B-Filer Inc c La Banque de la Nouvelle-Écosse, CT-2005-06, où le demandeur a été autorisé à déposer une preuve par affidavit en réplique. Audatex plaide que le fait d’autoriser la preuve par affidavit en réplique ne causerait aucune injustice ni aucune iniquité à CarProof et que le droit d’un demandeur de déposer une preuve en réplique non répétitive qui réponde aux allégations factuelles est bien établi. Audatex prétend également que la suppression de la preuve en réplique priverait injustement et inéquitablement Audatex du droit de réplique aux observations factuelles des défenderesses, et priverait également le Tribunal de précieux éléments de preuve pour prendre sa décision.

 

[32]  Je suis partiellement en désaccord avec Audatex et conclus que certaines parties de la preuve par affidavit en réplique ne peuvent pas être accueillies et doivent être radiées.

 

[33]  L’article 120 précise simplement que « [la] personne qui présente la demande de permission en vertu de l’article 103.1 de la Loi peut [...] signifier une réplique [...] à chacune des personnes à l’égard desquelles une ordonnance pourrait être rendue [...] ». Contrairement au libellé des articles 115 et 119, aucune mention n’est faite de la preuve par affidavit ni même de la possibilité de demander une autorisation de signifier une preuve par affidavit dans le contexte d’une réplique. L’allégation d’Audatex selon laquelle l’article 120 prévoit le droit de déposer tout un dossier en réplique, qui contient une réplique par affidavit, est sans fondement. Dans le contexte des demandes d’autorisation, le fait de signifier un affidavit en réplique n’est ni explicitement ni implicitement envisagé par les Règles. En fait, étant donné le libellé explicite des articles 115 et 119, la seule interprétation raisonnable de l’article 120, c’est qu’aucune preuve par affidavit en réplique ne doit être présentée. À mon avis, c’est conforme à la nature d’une demande d’autorisation en vertu de l’article 103.1 de la Loi, qui est censé être un processus expéditif (Symbol Technologies Canada ULC c Barcode Systems Inc, 2004 CAF 339 (« Barcode CAF »), au paragraphe 19). La signification unilatérale par Audatex de la preuve par affidavit avec sa réplique n’est donc pas admissible en vertu des Règles.

 

[34]  Je mentionne toutefois que l’article 2 permet au Tribunal « dans des cas particuliers [de] modifier ou compléter les [...] règles ou dispenser de l’observation de tout ou partie de celles-ci en vue d’agir sans formalisme et en procédure expéditive dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent. » Audatex aurait donc pu demander l’autorisation du Tribunal, en vertu de l’article 2, de signifier une preuve par affidavit de réplique au moyen d’une requête. Alternativement, Audatex aurait pu adresser une lettre plus informelle au Tribunal, conformément aux exigences de l’article 81. Audatex ne l’a pas fait. Elle a simplement décidé de déposer un dossier de réplique.

 

[35]  Audatex défend sa position en invoquant que le [traduction] « droit général d’un demandeur de déposer une preuve en réplique non répétitive qui réponde aux allégations factuelles du défendeur est bien établi ». Dans le contexte de processus expéditifs tels qu’une demande d’autorisation en vertu de l’article 103.1 de la Loi, ce n’est que partiellement exact. L’exercice d’un tel « droit » exige une autorisation. Par analogie, je renvoie aux demandes en vertu de la Partie V des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (« les RCF »), selon laquelle aucun « droit » de signifier une preuve par affidavit en réplique n’est envisagé après que les parties aient déposé leurs affidavits respectifs. Les demandes régies par la Partie V des RCF sont des procédures sommaires qui sont censées être traitées sans délai. Conformément à l’article 312 des RCF, une partie (que ce soit un demandeur ou un défendeur) doit obtenir l’autorisation de la Cour fédérale afin de déposer des affidavits supplémentaires. Dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le Tribunal devra tenir compte de facteurs tels que la question de savoir si la preuve que l’on cherche à produire était disponible au moment où la partie a signifié ses premiers affidavits, ou aurait pu être disponible en faisant preuve de diligence raisonnable, la question de savoir si la preuve sera utile à la Cour et va dans le sens de l’intérêt de la justice, et si la preuve entraînera un préjudice important ou grave pour les autres parties (Forest Ethics Advocacy Association c Office national de l’énergie, 2014 CAF 88, au para 6; Rosenstein c Atlantic Engraving Ltd, 2002 CAF 503, aux para 8, 9). Étant donné qu’une partie est tenue de présenter la meilleure preuve à la première occasion, le pouvoir discrétionnaire de la Cour de permettre le dépôt de documents additionnels devrait être exercé avec une grande circonspection (Mazhero c Conseil canadien des relations industrielles, 2002 CAF 295, au para 5).

 

[36]  À mon avis, dans le contexte d’un processus sommaire tel qu’une demande d’autorisation en vertu de l’article 103.1 de la Loi, ces principes s’appliquent avec encore plus de vigueur.

 

[37]  Cela dit, il est important de prendre du recul et d’examiner la demande de CarProof de radier la preuve par affidavit de réplique d’Audatex dans le contexte de cette demande d’autorisation en particulier. En l’espèce, le Tribunal a permis à CarProof et à Marktplaats de déposer une preuve par affidavit, dans le cadre de leurs réponses respectives, limitée à certains faits précis et discrets qui satisfont à l’exception prévue par l’article 119(3) (Audatex Canada ULC, c CarProof Corporation, 2015 Trib conc 13 (« Ordonnance concernant l’affidavit d’Audatex »), au para 16). Dans le cas de CarProof, c’était en rapport avec [traduction] « [les] sources alternatives de données à la disposition d’Audatex dans le secteur; la nature exclusive et confidentielle des données pour lesquelles Audatex cherche à avoir un permis; et les modalités selon lesquelles CarProof a mis les données à la disposition d’Audatex et le refus allégué d’Audatex de respecter les termes de l’échange pertinents » (Ordonnance concernant l’affidavit d’Audatex, au para 28). Dans le cas de Marktplaats, c’était limité à [traduction] « la nature confidentielle et exclusive des données pour lesquelles Audatex cherche à obtenir un permis de Marktplaats; et l’entente sur l’octroi de licences de données entre CarProof et Marktplaats » (Ordonnance concernant l’affidavit d’Audatex, au para 29).

 

[38]  Dans ces circonstances, et gardant à l’esprit les principes énoncés ci-dessus, je crois que, conformément à l’article 2, le Tribunal aurait pu compléter l’application de l’article 120 et permettre à Audatex de signifier une preuve par affidavit en réplique à cette preuve factuelle précise. Tandis qu’Audatex aurait dû demander au Tribunal l’autorisation de le faire avant ou au moment du dépôt de sa preuve par affidavit en réplique, je suis convaincu que le Tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour envisager l’application de l’article 2 à cette étape. Toutefois, la preuve par affidavit en réplique d’Audatex ne pouvait être accueillie que dans la mesure où elle répondait à la preuve factuelle déposée par CarProof et Marktplaats et pour laquelle une autorisation particulière et adaptée a été accordée par le Tribunal. C’est ce qu’Audatex a fait pour la plus grande partie de sa preuve par affidavit en réplique, mais ce n’est pas le cas pour ces paragraphes de l’affidavit de M. Cairo qui traitent du dommage important d’Audatex et de l’effet de ne pas avoir les données sur les ventes de véhicules automobiles sur les activités d’Audatex. Les défenderesses ont rédigé des observations par écrit sur cette question, mais ni l’affidavit de M. Antony ni l’affidavit de M. Neil ne fournissent de preuve factuelle concernant les activités d’Audatex. Par conséquent, je ne peux conclure que les parties de l’affidavit de M. Cairo traitant de cette question constituent une bonne preuve par affidavit en réplique dans le cadre de la présente instance. Je note en outre que l’affidavit de M. Cairo ne précise pas si cette preuve supplémentaire concernant le dommage était ou aurait pu être à disposition d’Audatex avant qu’elle ne dépose sa demande le 1er octobre 2015.

 

[39]  Par conséquent, les parties suivantes de la preuve d’Audatex en réplique (et les parties de son mémoire des faits et du droit s’appuyant sur ces éléments de preuve) ne peuvent pas être admises au dossier et ne seront pas prises en considération par le Tribunal : les paragraphes 15 à 19 de l’affidavit de M. Cairo. Toutefois, étant donné que les autres parties de l’affidavit de M. Cairo, de même que l’ensemble de l’affidavit de M. Brady, répondent à de nouvelles preuves factuelles déposée par CarProof et Marktplaats, je vais exercer mon pouvoir discrétionnaire pour permettre que ces éléments de preuve fassent partie du dossier dans la présente instance.

 

[40]  J’ai un dernier commentaire. Dans la présente instance, la demande de déposer une preuve par affidavit en réplique n’a pas été faite au moyen d’une requête en bonne et due forme. En revanche, Car Proof et Marktplaats ont toutes les deux envoyé des lettres au Tribunal soulignant les sujets qu’elles souhaitaient aborder dans leur preuve par affidavit. Un tel processus est tout à fait conforme à l’article 2, et le Tribunal l’a accepté. Toutefois, ce faisant, le Tribunal n’avait pas beaucoup de détails sur le contenu des affidavits destinés à être déposés. À l’avenir, il serait utile pour le Tribunal si les défendeurs qui demandent l’autorisation de déposer une preuve par affidavit en réponse à un dossier de demande d’autorisation déposent, avec leur demande, une ébauche de la preuve par affidavit qu’ils cherchent à produire. En l’espèce, cela aurait permis au Tribunal de mieux évaluer plus rapidement si la preuve envisagée était visée par les principes et les directives énoncées dans l’Ordonnance concernant l’affidavit d’Audatex. De même, si un demandeur demande une autorisation ou une autorisation du Tribunal, en vertu de l’article 2, de déposer une preuve par affidavit en réplique, il serait utile pour le tribunal d’avoir une ébauche de la preuve par affidavit destinée à être produite. Une telle preuve par affidavit en réplique devra généralement se limiter aux questions abordées dans la preuve par affidavit du défendeur.

 

III.  ANALYSE

 

  1. A. Le critère applicable à la demande dautorisation

 

[41]  Le paragraphe 103.1(7) de la Loi énonce le critère pour une demande d’autorisation présentée en vertu de l’article 75 de la Loi. Il se lit comme suit :

 


103.1(7) Le Tribunal peut faire droit à une demande de s de présenter une demande en vertu des articles 75 ou 77 s’il a des raisons de croire que l’auteur de la demande est directement et sensiblement gêné dans son entreprise en raison de l’existence de l’une ou l’autre des pratiques qui pourraient faire l’objet d’une ordonnance en vertu de ces articles.


103.1(7) The Tribunal may grant leave to make an application under section 75 or 77 if it has reason to believe that the applicant is directly and substantially affected in the applicant’s business by any practice referred to in one of those sections that could be subject to an order under that section.

 


[42]  Le critère à suivre pour une demande d’autorisation dans les affaires qui portent sur un refus de vendre a été formulé pour la première fois par Madame la juge Dawson dans National Capital News Canada c Milliken, 2002 Trib conc 41 (« Milliken »), au para 14. Il a par la suite été adopté par la Cour d’appel fédérale en 2004 dans Barcodes CAF lors de l’examen d’un appel de la décision du Tribunal d’accorder une autorisation. Le critère a été suivi depuis lors par le Tribunal dans les affaires en rapport avec l’article 103.1. En vertu de ce critère, le Tribunal doit déterminer deux éléments : la question de savoir si la demande d’autorisation est appuyée par des éléments de preuve crédibles suffisants pour qu’on puisse croire de bonne foi que 1) le demandeur a pu être directement et sensiblement gêné dans son entreprise en raison du refus de vendre; et 2) si la pratique pourrait faire l’objet d’une ordonnance en vertu de l’article 75. Il n’y a pas de litige entre les parties que c’est le critère à appliquer dans la présente demande d’autorisation.

 

[43]  Dans Barcode CAF, la Cour d’appel fédérale a en outre fait remarquer que les demandes d’autorisation doivent être tranchées de façon sommaire, et qu’au moment de décider s’il faut ou non accorder une autorisation, le rôle du Tribunal fait office d’examen préalable, en fonction de la suffisance des éléments de preuve avancés (Barcode CAF, au para 24). La preuve est examinée selon une norme de preuve qui est moins élevée que la norme de la prépondérance de la preuve (Barcode CAF, au para 17). Cependant, il ne suffit pas que la preuve montre une simple possibilité que l’entreprise soit directement et sensiblement gênée. La norme de preuve exige « qu’il doit avoir des motifs raisonnables de croire » (Milliken, aux para 9, 10).

 

[44]  Bien que le critère soit une norme de preuve moins élevée que la preuve selon la norme de la prépondérance des probabilités, « il est important de ne pas confondre la norme de preuve peu élevée applicable à la demande d’autorisation avec le type de preuve devant être présentée au Tribunal et prise en considération par lui pour trancher cette demande » (Barcode CAF, au para 18). Comme l’a indiqué le juge Rothstein dans cette décision-là, le refus de vendre en question n’est pas « simplement le refus d’un fournisseur de vendre un produit à un client intéressé » (Barcode CAF, au para 18). Il doit respecter les éléments décrits à l’article 75, qui doivent tous être abordés par le tribunal avant d’accorder une autorisation.

 

[45] En ce qui concerne la première partie du critère en vertu du paragraphe 103.1(7) (« directement et sensiblement gêné par un refus de vendre »), on devrait accorder leur sens ordinaire aux termes « directement » et « sensiblement ». Pour la composante « sensible », des termes comme « important » sont des synonymes acceptables pour déterminer s’il y a eu ou non une incidence « importante », qui est en fin de compte évaluée en examinant les circonstances en question (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Chrysler Canada Ltée (1989), 27 CPR (3d) 1 (Trib conc), conf. 38 CPR (3d) 25 (CAF), au para 64). Dans la décision Nadeau sur le fond, monsieur le juge Blanchard a précisé que « [la demanderesse] n’a pas à démontrer que le refus de vendre la gêne au point de ne pas pouvoir exploiter une entreprise; il lui faut plutôt prouver suivant la prépondérance des probabilités qu’elle est gênée de façon importante ou notable » (Nadeau Ferme Avicole Limitée c Groupe Westco Inc et al, 2009 Trib conc 6 (« Ordonnance définitive dans l’affaire Nadeau »), au para 131, conf. 2011 CAF 188). La composante « directe » n’a pas été interprétée, mais son sens ordinaire invoque un lien entre le refus de l’offre et l’incidence sur l’entreprise d’un demandeur.

 

 

[46]  Pour ce qui est de la deuxième partie (la question de savoir si le refus « pourrait faire l’objet d’une ordonnance »), tous les éléments du refus de vendre énoncés au paragraphe 75(1) de la Loi doivent être considérés (Barcode CAF, au para 18). Afin d’accorder une autorisation, le Tribunal doit être convaincu que : « chacun des éléments prévus au paragraphe 75(1) pourrait être respecté lorsque la demande est entendue sur le fond » (B-Filer Inc c La Banque de la Nouvelle-Écosse, 2005 Trib conc 38 (« Demande B-Filer »), au paragraphe 53). Le Tribunal peut examiner chaque élément brièvement pour respecter la nature expéditive de la procédure d’autorisation et, « [pourvu] que chaque élément paraisse être pris en considération, la décision discrétionnaire du Tribunal de faire droit ou non à la demande d’autorisation sera traitée avec déférence par [la Cour d’appel fédérale] » (Barcode CAF, au para 19).

 

[47]  À l’étape de l’autorisation, la question de savoir si le comportement susceptible d’examen « pourrait » faire l’objet d’une ordonnance est envisagée dans le cadre d’une demande qui n’est pas étayée par un dossier complet (The Used Car Dealers Association of Ontario c Bureau d’assurance du Canada, 2011 Trib conc 10 (« Used Car Dealers »), au para 32). Madame la juge Simpson a ajouté dans Used Car Dealers qu’en appliquant cette partie du critère et en examinant si une ordonnance est possible, il n’est pas nécessaire de présenter « des preuves concluantes » sur chaque point et qu’« il est possible de tirer des déductions raisonnables lorsque les motifs qui les étayent sont mis de l’avant, et en s’appuyant sur des preuves circonstancielles » (Used Car dealers, au para 34).

 

[48]  Le paragraphe 75(1) de la loi énonce cinq éléments à respecter pour un refus de vendre en vertu de cette disposition. Il se lit comme suit :


75.(1) Lorsque, à la demande du commissaire ou d’une personne autorisée en vertu de l’article 103.1, le Tribunal conclut :

 

  • a) qu’une personneestsensiblementgênée dansson entrepriseou nepeutexploiterune entreprisedu faitqu’elle estincapablede seprocurerunproduitde façonsuffisante,où quece soitsurunmarché, aux conditions de commerce normales;

 

  • b) quelapersonnementionnée àl’alinéaa)estincapable dese procurerleproduitde façonsuffisante enraison de l’insuffisance de laconcurrenceentrelesfournisseursde ce produit surce marché;

 

  • c) que lapersonne mentionnée àl’alinéaa)accepteetesten mesurederespecterlesconditions de commerce normales imposées parleou les fournisseurs de ce produit;

 

  • d) queleproduitestdisponible en quantitéamplementsuffisante;

 

  • e) que lerefus de vendreaou auravraisemblablementpoureffetdenuireà laconcurrence dans un marché, leTribunalpeutordonnerqu’un ouplusieursfournisseurs dece produitsurle marché enquestionacceptentcettepersonne comme clientdans undélaidéterminé aux conditionsdecommerce normalesà moins que,au cours de cedélai, dansle cas d’un article, les droits dedouanequiluisontapplicablesne soientsupprimés, réduits ouremisde façon àmettrecette personnesurun piedd’égalitéavecd’autres personnes quisontcapablesde seprocurerl’article en quantité suffisante auCanada.


75.(1) Where, on application by the Commissioner or a person granted leave under section 103.1, the Tribunal finds that

 

  • (a) apersonissubstantiallyaffectedin hisbusinessoris precluded fromcarryingonbusinessdueto hisinabilityto obtain adequatesupplies ofa productanywherein a marketonusualtradeterms,

 

  • (b) the person referredto inparagraph (a)isunable toobtainadequate supplies of theproductbecause ofinsufficientcompetitionamongsuppliers oftheproductinthe market,

 

  • (c) thepersonreferredto inparagraph (a)iswillingand ableto meettheusualtrade termsofthe supplierorsuppliersofthe product,

 

  • (d) the productisin amplesupply, and

 

  • (e) therefusalto dealis havingoris likelytohave an adverse effecton competition in amarket,theTribunal mayorderthatone ormoresuppliers ofthe productin the marketacceptthe person asa customerwithina specifiedtime on usualtradeterms unless, within thespecifiedtime, inthecase ofan article,anycustoms duties onthe article areremoved,reduced orremittedandtheeffectoftheremoval, reduction orremissionisto place theperson on an equalfootingwith otherpersonswho areable toobtainadequatesupplies ofthearticlein Canada.


 

[49]  S’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve portant sur l’un des éléments du paragraphe 75(1), l’autorisation ne peut être accordée (Brandon Gray Internet Services Inc c Autorité canadienne pour les enregistrements Internet, 2011 Trib conc 17 (« Gray »)). Dans cette affaire-là, une [traduction] « simple déclaration de foi » sur l’effet négatif sur la concurrence dans le marché (tel que la simple déclaration que le non-renouvellement aura pour effet de réduire la concurrence), sans aucune preuve à l’appui, n’a pas été considérée comme suffisante par le Tribunal, et par conséquent, l’autorisation n’a pas été accordée (Gray, au para 13). Bref, si un demandeur d’une autorisation ne fournit pas de preuve convaincante pour démontrer que chaque élément du paragraphe 75(1) pourrait être respecté, l’autorisation sera refusée.

 

[50]  J’ajoute une autre remarque. Bien que les articles 75 et 103.1 prévoient un droit privé d’action pour les refus de vendre, ils font partie de la Loi et doivent être examinés dans le contexte de cette législation et ce qu’elle vise à protéger et à accomplir. Comme l’a indiqué le juge Rothstein dans Barcode CAF, « [l]’objet fondamental de la Loi sur la concurrence, tel qu’il est défini à l’article 1.1, est “de préserver et de favoriser la concurrence au Canada », et l’objet de l’article 75 confirme cette intention » (Barcode CAF, au para 14). Il a élaboré sur ce point plus loin dans ses motifs, réitérant l’objet de la Loi de préserver et de favoriser la concurrence et ajoutant que « [l’objet n’est pas] d’offrir un recours pour régler un différend entre un fournisseur et un client qui n’a aucune incidence sur la préservation ou l’encouragement de la concurrence ». (Barcode CAF, au para 23).

[51]  Dans Barcode CAF, monsieur le juge Rothstein renvoyait plus précisément à l’exigence de l’alinéa 75(1)e) d’un effet négatif sur la concurrence dans un marché. Cependant, je note que les préoccupations générales au sujet de la concurrence et à la dimension liée au marché de la disposition sur le refus de vendre se reflètent également dans le libellé de l’alinéa 75(1)b) qui stipule que l’incapacité de se procurer un produit de façon suffisante à cause de « l’insuffisance de la concurrence entre les fournisseurs de ce produit sur ce marché. » On a tenu qu’une concurrence insuffisante signifie que les conditions de la concurrence sur le marché de l’offre du produit doivent être la « raison principale » pour laquelle il n’y a pas suffisamment d’offre (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Xerox, 1990 SDC 1146, au para 83; Ordonnance définitive dans l’affaire Nadeau, au para 229; Nadeau Ferme Avicole Limitée c Groupe Westco Inc et al, 2011 CAF 188, au para 61).

 

[52]  Ces deux volets de l’article 75 (c’est-à-dire, les alinéas 75(1)b) et e)) tiennent compte du fait que la disposition n’a pas pour raison d’être de trancher les différends contractuels privés ayant trait à l’offre d’un produit dans les circonstances où le refus de vendre ne résulte pas d’une concurrence insuffisante et n’a pas de répercussions sur le marché.

 

 

 

 

 

 

 

 

B.  L’exigence de l’effet direct et sensible

 

[53]  Je passe maintenant à la première partie du critère, à savoir si la preuve dont le Tribunal est saisie est suffisante pour le convaincre qu’il y a des raisons de croire les allégations d’Audatex selon lesquelles elle est directement et sensiblement gênée dans son entreprise par une pratique visée à l’article 75. Il y a deux aspects à cette exigence : un effet direct et sensible sur l’entreprise d’Audatex de l’entreprise, et un lien de causalité avec le refus de vendre allégué des défendeurs.

 

[54]  Il est bien établi que l’entreprise qui doit être prise en considération lors d’une demande d’autorisation en vertu de l’article 75 de la Loi est l’ensemble de l’entreprise du demandeur, et non seulement la gamme de produits touchés par le refus de vendre (Sears Canada Inc c Parfums Christian Dior Canada Inc, 2007 Trib conc 6 (« Sears »), au para 21). L’importance de l’effet doit donc être mesurée par rapport à l’ensemble de l’entreprise. En outre, la jurisprudence élaborée par le Tribunal dans le cadre de demandes d’autorisation reflète aussi que l’effet à examiner et à prendre en considération est l’impact attribuable ou lié aux entités dont l’offre est refusée. En effet, le paragraphe 103.1(7) fait référence au fait que le demandeur est directement et sensiblement gêné « en raison de l’existence de l’une ou l’autre des pratiques ».

 

[55]  J’ai supposé qu’aux fins de la présente décision, Audatex est « directement » gênée dans son entreprise par le refus des défenderesses mais, pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu qu’Audatex a fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour donner lieu à une croyance de bonne foi qu’elle est ou peut être sensiblement gênée dans son entreprise par le refus des défenderesses de fournir les données sur les ventes de véhicules automobiles. Je trouve plutôt qu’Audatex a omis de présenter suffisamment de preuves non spéculatives et convaincantes pour me donner des motifs raisonnables de croire que l’incidence du refus sur ses services d’estimation de la valeur de la perte totale et d’estimation de la valeur de la perte partielle peut raisonnablement être considéré comme « importante », même si seule son « entreprise principale » a été prise en considération.

 

a.  La preuve d’Audatex

 

[56]  Audatex prétend que son entreprise est directement et sensiblement touchée du moment où elle n’est pas en mesure de recevoir les données sur les ventes de véhicules automobiles d’AutoTrader et de Kijiji de CarProof, de Trader ou de Marktplaats. L’affidavit de Toth les décrit comme étant les seules sources de données suffisamment grandes pour permettre à Audatex de produire [CONFIDENTIEL] rapports d’estimation pour ses clients. Essentiellement, Audatex soutient que le refus de fournir a une incidence sur la totalité de ses services d’estimation de la valeur de la perte totale où les données sur les ventes de véhicules automobiles sont nécessaires et que, tel qu’il est décrit dans le paragraphe ci-dessous, il a aussi des répercussions sur ses services d’estimation de la valeur de la perte partielle et, par conséquent, la totalité de ses « activités principales ».

 

[57]  Les paragraphes 42 à 45 de l’affidavit de M. Toth résument l’allégation de préjudice sensible d’Audatex :

 

 

  • 42 Compte tenu de la nécessité des données sur les ventes de véhicules automobiles et de l’insuffisance des autres sources de données d’Audatex, le service d’estimation de la perte totale d’Audatex commencera bientôt à avoir des problèmes importants de rendement si l’accès à des données suffisantes sur les ventes de véhicules automobiles canadiens n’est pas rétabli.

 

 

  • 43 Étant donné que le rendement d’Audatex plonge bien en deçà des niveaux de service acceptés dans ses ententes avec les clients, ses clients pourront mettre fin à leurs contrats.De plus, l’incertitude de la situation fera probablement en sorte que les clients d’Audatex qui sont dans le processus de renouvellement de contrat changent d’avis sur la décision de demeurer avec Audatex.En fait [CONFIDENTIEL].Audatex est préoccupée par le fait que la situation actuelle va avoir une incidence négative sur ces négociations.

 

  • 44 Une fois qu’Audatex n’est plus en mesure de fournir les services d’estimation de la perte totale, toutes les recettes et tous les profits générés par ce service seront perdus.Tel qu’énoncé dans la pièce jointe « 3 », le service d’estimation de la perte totale d’Audatex, qui génère environ un quart de ses recettes et profits, diminuera rapidement à zéro puisqu’Audatex ne peut plus répondre au niveau de service prévu dans ses ententes avec les clients.Étant donné que les clients des compagnies d’assurance d’Audatex peuvent, et, je crois, en toute probabilité, souhaitent, annuler leur service d’estimation de la perte partielle au moment de l’annulation ou de la perte de leur service de l’évaluation de la perte totale, je m’attends à ce que plus d’un tiers des recettes et des profits d’Audatex soient aussi gravement gênés.Enfin, sans que les clients des compagnies d’assurance utilisent eux-mêmes ou délèguent aux ateliers de réparation automobile de conclure des contrats avec Audatex, je crois que le reste des recettes et des profits provenant des ateliers de réparation automobile, continueront aussi de diminuer.

 

  • 45 Autrement dit, l’ensemble de l’entreprise d’Audatex est en danger.

 

[traduction]

 

 

[58]  L’affidavit de Toth précise que l’accès à suffisamment de données sur les ventes de véhicules automobiles canadiens est essentiel pour l’entreprise d’Audatex, et qu’Audatex a besoin d’accès à environ [CONFIDENTIEL] de données sur les ventes de véhicules automobiles par mois pour ses services d’estimation de la perte totale (dont environ [CONFIDENTIEL] seraient des nouvelles données). L’affidavit de Toth ajoute que ses données récemment acquises à partir de [CONFIDENTIEL] représentent ensemble un manque à gagner mensuel de l’ordre de [CONFIDENTIEL] sur les nouvelles données.

 

[59]  Selon M. Toth, les services d’Audatex d’estimation de la perte totale représentent environ un quart des recettes et des profits de son « entreprise principale », et le refus des défenderesses touchera l’ensemble de ce secteur d’activité. De plus, on prétend que ces services inextricablement liés aux services d’estimation de la valeur de la perte partielle d’Audatex. L’affidavit de M. Toth décrit le lien étroit entre ces deux services en disant que la vaste majorité des clients d’Audatex des compagnies d’assurance utilisent les deux services. [CONFIDENTIEL], ceux qui n’utilisent pas les deux services n’utilisent que les services d’estimation de la perte totale. Faisant référence aux ententes d’Audatex avec deux clients des compagnies d’assurance, l’affidavit de M. Toth précise que les clients qui achètent deux services le font conformément à un seul contrat groupé qui leur permet de mettre fin à l’ensemble du contrat si Audatex omet de fournir l’un ou l’autre des services au niveau de service convenu. Étant donné qu’il est plus facile d’avoir affaire à un fournisseur de services à la fois pour les services d’estimation de la perte totale et ceux d’estimation de la perte partielle, M. Toth s’attend à ce que les clients des compagnies d’assurance puissent mettre fin totalement à l’utilisation des services d’Audatex si cette dernière n’est pas en mesure de fournir un service d’estimation de la perte totale. L’affidavit de M. Toth atteste que cela entraînera une perte supplémentaire d’environ un tiers des recettes et des profits d’Audatex.

 

[60]  L’affidavit de M. Toth ajoute ensuite que, si un assureur laisse tomber Audatex en tant que fournisseur, la motivation pour que les ateliers de réparation d’automobiles qui traitent avec l’assureur demeurent avec Audatex est affaiblie, voire complètement éliminée. M. Toth s’attend à ce que, avec la perte de clients des compagnies d’assurance, les ateliers de réparation d’automobiles d’Audatex seront moins incités à demeurer ses clients, dissipant ainsi le restant des recettes et des profits d’Audatex dans ses services d’estimation de la valeur de la perte partielle. À cet égard, l’affidavit de Toth renvoie au modèle de l’atelier de réparation automobile d’Audatex. Par conséquent, l’affidavit de M. Toth affirme que la totalité de l’« entreprise principale » d’Audatex est directement et sensiblement gênée par le refus de vendre de CarProof. M. Toth ajoute en outre que sans les données sur les ventes de véhicules automobiles provenant de sites d’AutoTrader et de Kijiji, les compagnies d’assurances et de leurs titulaires de polices remettront en question la légitimité des rapports d’estimation, et ne feront plus confiance aux conclusions des rapports d’estimation. L’affidavit de Toth renvoie à [CONFIDENTIEL] concernant cette question.

 

[61]  Essentiellement, l’affidavit de M. Toth affirme qu’Audatex sera directement et sensiblement gênée dans son entreprise dans deux phases. Premièrement, le refus aura une incidence sur les services d’estimation de la perte totale où les données sur les ventes des véhicules automobiles sont directement utilisées. Deuxièmement, les répercussions néfastes s’étendront à ses services d’estimation de la valeur de la perte partielle même si les données sur les ventes de véhicules automobiles ne sont pas nécessaires pour ces services. Je vais examiner ces deux allégations dans l’ordre.

 

b.  L’effet sur les services d’estimation de la valeur de la perte totale d’Audatex

 

[62]  Le refus de fournir dont se plaint Audatex concerne un produit, les données sur les ventes des véhicules automobiles. L’affidavit de M. Toth indique que ces données ne sont utilisées que pour les services d’estimation de la valeur de la perte totale d’Audatex, qui constitue l’un de ses secteurs d’activité. Afin de déterminer s’il y a suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour avoir une croyance de bonne foi qu’Audatex peut être directement et sensiblement gênée dans son entreprise par le prétendu refus de fournir les données sur les ventes de véhicules automobiles, le Tribunal doit donc d’abord examiner les éléments de preuve sur l’ampleur de la fourniture refusée et l’incidence du refus sur Audatex dans le contexte de l’ensemble de ses activités.


[63] 
L’affidavit de M. Toth affirme qu’Audatex est engagée dans la fourniture de « solutions en matière de données et de logiciels » aux compagnies d’assurance et aux ateliers de réparation automobile. L’affidavit de Toth atteste ensuite que :

 

13 55 % des revenus d’Audatex de ses demandes de règlement relatives aux sinistres proviennent des clients des compagnies d’assurance, y compris les évaluateurs indépendants, les revenus provenant des ateliers de réparation automobile composent le reste. 40 % des recettes des compagnies d’assurance d’Audatex proviennent de ses services d’estimation de la valeur de la perte totale. Autrement dit, en ce qui concerne le total des recettes provenant de l’entreprise principale d’Audatex, environ un quart est composé des clients des compagnies d’assurances en ce qui concerne les services d’estimation de la valeur de la perte totale, un tiers est composé de clients des compagnies d’assurance en ce qui concerne les services d’estimation de la valeur de la perte partielle, et 45 % se compose des ateliers e réparation automobiles en ce qui concerne les services d’estimation de la valeur de la perte partielle […].

 

[traduction]

 

[Non souligné dans loriginal.]

 

[64]  Les tableaux financiers mentionnés dans l’affidavit de Toth se limitent à la Pièce 3 contenant une page intitulée [traduction] « État des résultats par secteur d’activité » pour l’année qui s’est terminée le 30 juin 2015. Elle renvoie à un total de recettes d’environ [CONFIDENTIEL] à [CONFIDENTIEL], et distingue entre la perte partielle et la perte totale. Les pourcentages mentionnés dans l’affidavit de Toth sont tirés des chiffres dans la pièce jointe 3. L’affidavit de Toth parle de l’« entreprise principale » d’Audatex, mais je constate qu’il n’y a aucune indication de ce que cette « entreprise principale » représente dans les activités qui touchent aux « solutions en matière de données et de logiciels », ni de quelle est sa part de l’ensemble des entreprises d’Audatex. Il n’y a aucune autre mention, dans l’affidavit de Toth (ni dans les affidavits de Brady ou de Cairo), à des chiffres ou des états financiers d’Audatex en ce qui concerne l’ensemble des entreprises.

 

[65]  Autrement dit, l’affidavit de Toth ne fournit pas de preuve claire sur l’ensemble des entreprises d’Audatex ni sur l’emplacement relatif de son « entreprise principale » dans l’offre d’Audatex des solutions en matière de données et de logiciels. Je fais remarquer en outre que la référence d’« environ un quart » utilisée par l’affidavit de Toth pour tenir compte de la proportion de ses services « d’estimation de la valeur de la perte totale » est en fait de 22 % (c’est-à-dire, 40 % des 55 %). Ce chiffre de 22 % correspond effectivement à la proportion des activités d’estimation de la valeur de la perte totale de ses clients des compagnies d’assurance et des évaluateurs indépendants par rapport au total des recettes de [CONFIDENTIEL] déclarées sur la déclaration des profits et pertes jointe à l’affidavit de Toth à la pièce jointe 3. Lorsque le volet [CONFIDENTIEL] des recettes est exclu, cette proportion est indiquée comme constituant 23 % à la pièce jointe 3. Mais il n’y a aucune indication de ce que cet « environ un quart » (ou, en fait, 22 à 23 %) des « entreprises principales » d’Audatex constituerait en fait en tant que proportion de l’entreprise globale d’Audatex.

 

[66]  En outre, je constate que « environ un quart » (ou 22 à 23 %) représente la totalité des services d’estimation de la valeur de la perte totale d’Audatex. L’affidavit de Toth ne fournit pas de renseignements sur la fourniture réelle par AutoTrader et Kijiji automobile des données sur les ventes de véhicules automobiles qu’Audatex a perdues de Trader, Marktplaats et/ou CarProof, ni sur la proportion du total des achats par Audatex des données sur les ventes de véhicules automobiles représentées par les défenderesses. L’affidavit de Toth ne fait qu’affirmer que, jusqu’à tout récemment, Audatex s’appuyait « principalement » sur les données sur les ventes de véhicules automobiles d’AutoTrader et de Kijiji. L’affidavit de Toth ne décrit pas le total des données sur les ventes de véhicules automobiles d’AutoTrader qui étaient fournies par Trader (lorsque l’entente Trader avec Audatex était en vigueur) et qu’elle a perdues à la fin du mois d’août 2015. Pour ce qui est des données sur les ventes de véhicules automobiles de Kijiji, l’affidavit de M. Neil indique qu’Audatex n’a jamais été cliente de Marktplaats, et il n’y a aucun renseignement non plus au sujet de l’ampleur des données sur les ventes de véhicules automobiles de Kijiji auxquelles Audatex avait accès avec son « script informatisé » avant l’avis qu’elle a reçu en juillet 2015 de cesser d’utiliser les données de Kijiji. Les seules données financières fournies reflètent les revenus d’Audatex pour la totalité de ses services d’estimation de la valeur de la perte totale. Par conséquent, il est impossible pour le tribunal de savoir précisément quelle est la quantité refusée des données sur les ventes de véhicules automobiles d’AutoTrader et de Kijiji nécessaires réellement pour les activités d’Audatex d’estimation de la perte totale.

 

[67]  L’affidavit de M. Toth affirme toutefois qu’il faut à Audatex [CONFIDENTIEL] données sur les ventes de véhicules automobiles par mois. Il estime en outre qu’AutoTrader affiche 1,1 million d’annonces par mois, et Kijiji en affiche 760 000. On peut soutenir que le Tribunal pourrait déduire de ces chiffres que le produit fourni par les défenderesses « pourrait » rendre compte d’environ [CONFIDENTIEL] du total des données sur les ventes de véhicules automobiles d’Audatex, en supposant qu’Audatex avait effectivement utilisé tout le produit potentiel disponible de ces deux sources. En partant de cette information, la perte de l’offre des données sur les ventes de véhicules automobiles d’AutoTrader et de Kijiji pourrait représenter environ [CONFIDENTIEL] du total de l’activité d’Audatex d’estimation de la valeur de la perte totale, qui constitue elle-même seulement environ le quart (22 à 23 %) du total des recettes de son « entreprise principale ».

 

[68]  Je remarque que, dans ses observations en réponse, Audatex n’a pas clarifié la question de son « entreprise principale » ni la proportion représentée par ses services d’estimation de la valeur de la perte totale dans l’ensemble de ses activités, malgré les arguments avancés par les défenderesses dans leurs réponses et les préoccupations soulevées au sujet des renseignements fournis par Audatex sur l’ampleur de ses activités. Ce sont des éléments de preuve que seule Audatex aurait pu fournir. Je comprends qu’à certains égards les renseignements seront inévitablement incomplets à l’étape de la demande d’autorisation (Used Car Dealers, au paragraphe 32). Cependant, des renseignements suffisants et crédibles sur l’entreprise du demandeur même et sur la proportion représentée par les fournisseurs qui refusent de fournir sont des éléments fondamentaux et essentiels dont le Tribunal a besoin afin d’être en mesure de croire de bonne foi à un effet direct et sensible conformément au paragraphe 103.1(7) de la Loi.

 

[69]  Je m’arrête pour souligner que ce type de preuve était généralement à la disposition du Tribunal dans les cas où il a décidé d’accorder une demande d’autorisation en vertu de l’article 103.1 de la Loi. Dans Nadeau Ferme Avicole Limitée c Groupe Westco Inc et autres, 2008 Trib conc 7 (« Ordonnance Nadeau autorisant le dépôt d’une demande ») par exemple, le Tribunal a conclu que la preuve d’un effet sensible était suffisante. La demanderesse avait fourni des chiffres montrant que la quantité exacte de l’offre par les défenderesses représentait 48 % de l’ensemble des entreprises de transformation du poulet de la demanderesse. Cela a permis au Tribunal d’avoir une mesure fiable de l’impact de l’incidence de l’interruption prévue de l’approvisionnement, qui n’avait pas encore eu lieu dans ce cas-là. En l’espèce, les éléments de preuve n’indiquent pas clairement au Tribunal la proportion de l’approvisionnement représentée par les défenderesses dans l’activité de l’estimation de la valeur de la perte totale d’Audatex, et ce que représente l’activité d’estimation de la valeur de la perte totale dans le cadre de l’ensemble des activités d’Audatex (au-delà de son « entreprise principale »). Le seul chiffre dont dispose le Tribunal est l’« environ un quart » (en fait, 22 à 23 %) pour les services d’estimation de la valeur de la perte totale d’Audatex.

 

c.  L’effet sur les services d’estimation de la valeur de la perte partielle d’Audatex

 

[70]  Audatex prétend également que, même si les données sur les ventes de véhicules automobiles fournies par les défenderesses ne sont utilisées que pour ses services d’estimation de la valeur de la perte totale, et que ces services d’estimation de la valeur de la perte totale ne représentent qu’environ un quart (22 à 23 %) de son « entreprise principale », le refus aura une incidence également sur ses services d’estimation de la valeur de la perte partielle qui représentent les 77 à 78 % restants de son « entreprise principale ». Ces services d’estimation de la valeur de la perte partielle sont vendus à la fois aux clients des compagnies d’assurance (33 %) et aux ateliers de réparation (45 %). Étant donné que les données sur les ventes de véhicules automobiles refusées à Audatex ne sont pas utilisées en tant que source de données pour les services d’estimation de la valeur de la perte partielle d’Audatex, une preuve crédible suffisante doit être produite pour illustrer comment le refus d’approvisionnement peut finir par avoir une incidence sur cet autre secteur d’activité qui représente trois fois les recettes générées par les services d’Audatex d’estimation de la valeur de la perte totale.

 

[71]  S’appuyant sur les ententes-cadres de services d’Audatex avec le [CONFIDENTIEL], qui envisagent la prestation de services à la fois d’estimation de la valeur de la perte totale et de celle de la perte partielle en tant que services regroupés, M. Toth déclare que toutes les activités d’Audatex avec les compagnies d’assurance, que ce soit les services d’estimation de la valeur de la perte totale ou les services de l’estimation de la valeur de la perte partielle, seront touchés par le refus de vendre. L’affidavit de M. Toth mentionne que certains clients des compagnies d’assurance achètent les deux types de services par l’entremise d’un seul contrat groupé [traduction] « qui leur permet de mettre fin à l’ensemble du contrat » si Audatex ne fournit pas les deux services. Ensuite, l’affidavit de Toth ajoute que « souvent », ses clients des ateliers de réparation sont mandatés pour traiter avec Audatex par l’entremise des clients des sociétés d’assurance. Donc, si un assureur laisse tomber Audatex en tant que client, M. Toth [traduction] « s’attend à ce que les ateliers de réparation d’automobiles commencent à donner des avis de résiliation ». L’affidavit de Toth fait référence plus loin aux « ateliers de réparation d’automobile en général » choisissant un fournisseur de services en fonction de préférences de la compagnie d’assurance. De cette suite d’événements, l’affidavit de Toth tire la conclusion que [traduction] « les revenus d’Audatex provenant à la fois des services d’estimation de la valeur de la perte totale et ceux d’estimation de la valeur de la perte partielle sont compromis si elle ne peut plus accéder à des données sur les ventes de véhicules automobiles suffisantes pour fournir des services d’estimation de la valeur de la perte totale ».

 

[72]  Audatex s’appuie sur ces éléments de preuve de l’affidavit de Toth pour prétendre que le refus d’approvisionnement aura des répercussions sur l’ensemble des services d’estimation de la valeur de la perte partielle fournis aux clients des compagnies d’assurance (qui représentent un tiers de son « entreprise principale »), aussi bien que le total des services d’estimation de la valeur de la perte partielle fournis aux clients des ateliers de réparation automobile (qui représentent 45 % de son « entreprise principale »). Les clients des ateliers de réparation n’utilisent pas les services d’estimation de la valeur de la perte totale d’Audatex.

 

[73]  Je ne suis pas convaincu que cela constitue une preuve crédible suffisante à l’appui d’une croyance de bonne foi qu’Audatex peut être « directement et sensiblement gênée » dans ses autres secteurs d’activités de services d’estimation de la valeur de la perte partielle aux clients des compagnies d’assurance et, encore moins, aux ateliers de réparation. Je ne puis trouver dans l’affidavit de M. Toth des éléments qui permettraient au Tribunal d’avoir des motifs raisonnables de croire que le refus de fournir des données sur les ventes des véhicules automobiles pourrait avoir une telle incidence sur un secteur d’activités qui représente plus de trois quarts de l’« entreprise principale » d’Audatex, et où les données refusées sur les ventes de véhicules automobiles ne sont pas exigées. Mis à part les scénarios décrits par M. Toth, il n’y a pas d’exemples ni de preuve circonstancielle à l’appui des allégations avancées.

 

[74]  L’affidavit de M. Toth affirme que : [traduction] « il est plus simple et plus efficace de traiter avec un fournisseur de services pour les services d’estimation de la valeur de la perte totale ainsi que les services d’estimation de la valeur de la perte partielle », mais M. Toth n’offre pas de preuve crédible à l’appui de ce lien. Aucune preuve des clients des compagnies d’assurance n’a été présentée sur ce point. L’affidavit de M. Toth se fonde uniquement sur le libellé du contrat qui fait allusion aux services regroupés. Il n’y a également aucune référence à des expériences de clients de compagnies d’assurance qui ont mis fin à leur contrat dans son ensemble, ou qui menacent de le faire en raison du mauvais rendement ou d’autres problèmes dans l’un des deux services. De même, aucune preuve n’a été fournie sur les expériences passées de résiliations de contrat par les clients des compagnies d’assurance ni leur effet sur les services d’estimation de la valeur de la perte partielle acquis par les ateliers de réparation. Aucune preuve n’a été présentée non plus concernant l’incitation pour les ateliers de réparation d’automobiles qui traitent avec un assureur précis de demeurer avec Audatex seulement aussi longtemps que l’assureur fait affaire avec Audatex; ni concernant des situations où des clients des ateliers de réparations ont invoqué cette possibilité en tant que motif de mettre fin à leurs affaires avec Audatex.

 

[75]  Je suis d’accord avec les défenderesses pour affirmer que les allégations d’Audatex à l’égard de ses services d’estimation de la valeur de la perte partielle sont fondées sur des hypothèses. Je conclus que l’affidavit de Toth ne repose sur une chaîne complexe d’hypothèses en cascade qui sont fondées sur ce qui pourrait se produire à l’avenir en ce qui concerne l’entreprise d’Audatex autre que les services d’estimation de la valeur de la perte totale, avec aucune preuve crédible à l’appui. Les allégations sont essentiellement fondées sur une interprétation de certaines dispositions contractuelles. L’affidavit de M. Toth ne contient aucune preuve selon laquelle les clients des compagnies d’assurance clients ont exprimé des préoccupations au sujet des répercussions que pourrait avoir l’absence de donnée sur les ventes de véhicules automobiles d’AutoTrader ou de Kijiji sur leurs activités d’estimation de la valeur de la perte partielle. Comme l’a signalé CarProof dans ses observations, M. Toth n’indique pas un seul client de compagnie d’assurance (ni aucun client d’atelier de réparation) qui a menacé de mettre fin à son entente avec Audatex, malgré le fait qu’Audatex ne reçoit plus de donnée sur les ventes de véhicules automobiles d’AutoTrader et qu’elle ne peut plus utiliser son script informatisé pour accéder aux données sur les ventes de véhicules automobiles de Kijiji. De même, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle des ateliers de réparation d’automobiles choisissent généralement un fournisseur de services en fonction des préférences des compagnies d’assurance, il n’y a pas de preuve précise d’un atelier de réparation ayant une telle pratique ou indiquant une intention d’y mettre fin pour ce motif.

 

[76]  Il est intéressant de remarquer que les services d’estimation de la valeur de la perte partielle représentent 77-78 % de l’« entreprise principale » d’Audatex (selon la pièce jointe 3 de l’affidavit de M. Toth), et les données sur les ventes de véhicules automobiles qui constituent le fondement de la plainte d’Audatex ne sont pas un produit requis pour cette entreprise. Pour appuyer une allégation selon laquelle le refus de fournir ces données aurait une incidence sur ce secteur d’activités au point que l’entreprise serait sensiblement gênée et que l’ensemble de l’entreprise d’Audatex est en péril nécessiterait plus que les affirmations d’ordre général contenues dans l’affidavit de Toth.

 

[77]  Il convient de souligner que, à l’étape de la demande d’autorisation, il suffit que la preuve démontre une possibilité raisonnable que l’entreprise d’Audatex puisse avoir été directement et sensiblement gênée. Toutefois, en ce qui concerne l’effet sur les services d’estimation de la valeur de la perte partielle d’Audatex, je conclus que la preuve présentée par Audatex n’équivaut qu’à une simple possibilité et constitue de la spéculation. Dans une situation comme celle-ci, où les effets néfastes sur le refus de l’offre sont envisagés par le biais d’une série d’événements indirects touchant un secteur d’activité qui représente la grande majorité de l’« entreprise principale » d’Audatex, je ne suis pas convaincu que la preuve d’Audatex soit suffisante.

 

d.  Conclusion sur l’effet direct et sensible

 

[78]  Le Tribunal ne dispose essentiellement que d’une allégation de l’incidence sur les activités d’estimation de la valeur de la perte totale. Même si le Tribunal devait accepter que le total de l’entreprise d’estimation de la valeur de la perte totale peut être considéré comme étant directement gêné par le refus des défenderesses de fournir les données sur les ventes de véhicules automobiles (malgré le fait que ces fournitures ne représentent qu’une partie des données sur les ventes de véhicules automobiles utilisées par Audatex dans cette entreprise), et même si le Tribunal devait accepter que l’« entreprise principale » d’Audatex représente son entreprise totale (malgré le manque de preuve claire à ce sujet), je ne suis pas convaincu que, dans l’ensemble, les chiffres et les éléments de preuve fournis constituent une preuve crédible suffisante pour permettre au Tribunal de croire raisonnablement qu’Audatex peut être directement et sensiblement gênée dans son entreprise.

 

[79]  Selon la preuve soumise par Audatex, les produits des activités ordinaires provenant des services d’estimation de la valeur de la perte totale en cause ne représentent qu’environ un quart (dans les faits 22 % à 23 %) du chiffre d’affaires de son « entreprise principale ». De plus, comme il est mentionné ci-dessus, les éléments de preuve soumis quant à l’incidence du refus de vendre sur les autres services d’estimation de la valeur de la perte partielle portent à croire que cette incidence est à tout le moins spéculative. À mon avis, cette preuve est insuffisante pour démontrer qu’Audatex pourrait être sensiblement gênée dans son entreprise en raison du refus de vendre allégué. Une incidence telle que celle qui a été démontrée ne peut être assimilée à celle que le Tribunal estime généralement suffisante pour faire droit aux demandes pour autorisation d’intenter un recours en vertu du paragraphe 103.1 (7).

 

[80]  Dans les motifs accueillant la demande d’autorisation dans l’affaire Barcode, une preuve a été présentée selon laquelle un séquestre intérimaire des biens, de l’actif et des entreprises de Barcode a été nommé et 50 % des employés avaient été mis à pied dans l’entreprise directement gênée par le refus d’approvisionnement (Symbol Technologies Canada ULC c Barcode Systems Inc, 2004 Trib conc 1, aux para 14-16). Dans Demande B-Filer, le Tribunal a été convaincu par la preuve des demanderesses qu’elles pourraient être sensiblement gênées dans leur entreprise étant donné que 50 % de leurs revenus étaient dépendants des services bancaires fournis par la défenderesse (Demande B-Filer, au para 54). Dans l’Ordonnance Nadeau permettant de signifier et déposer une réplique, la preuve a démontré que l’approvisionnement en poulets vivants fourni par les défenderesses représentait 48 % de l’ensemble de l’entreprise de la demanderesse et que le refus d’approvisionnement prévu aurait une incidence directe sur la production de la demanderesse de poulet transformé. Dans Used Car Dealers, l’affidavit a montré que les activités précises en question et fournies par la défenderesse représentaient plus de 50 % du revenu net de la demanderesse (au para 31).

 

[81]  À l’inverse, dans Construx Engineering Corporation c General Motors du Canada, 2005 Trib conc 21 (« Construx »), l’autorisation a été refusée. Madame la juge Simpson a conclu que « la preuve présentée par Construx ne fournit pas assez de renseignements sur l’entreprise et sur les répercussions que les politiques [...] ont eues sur son exploitation » (au para 8), et que le Tribunal ne pouvait pas évaluer l’importance des ventes du produit acheté de la défenderesse, même s’il y avait une affirmation générale qu’elles représentaient 38 % du total des ventes au cours d’une période donnée. Madame la juge Simpson a souligné plusieurs lacunes, y compris l’absence d’éléments de preuve sur la nature ou le volume de produits de transport vendus, le total des ventes annuelles, et ce que les pertes provenant de la défenderesse signifiaient pour l’ensemble de l’entreprise (Construx, aux paragraphes 5 et 8).

 

 

[82]  Dans Broadview Pharmacy c Wyeth Canada Inc, 2004, Trib  conc 22 (« Broadway »), l’autorisation a été refusée par le juge Blais étant donné que les pertes alléguées étaient « hypothétiques et [...] attestées par aucun document » (Broadway, au paragraphe 21). Dans cette affaire-là, la demanderesse craignait de perdre ses clients « qui seront incapables de faire exécuter des ordonnances multiples comprenant les produits que fabrique la défenderesse » (Broadway, au para 21). Mais aucun chiffre n’a été présenté pour établir quelles seront les répercussions, réelles ou potentielles, de la perte des produits de la défenderesse, et aucune preuve n’a été présentée à l’appui de l’affirmation selon laquelle le défaut de pouvoir délivrer à un patient tous les médicaments lui ayant été prescrits signifie que la demanderesse n’exécutera aucune des ordonnances de ce patient. Les demandes d’autorisation dans Mrs. O’s Pharmacy c Pfizer Canada Inc, 2004 Trib conc 24 aux para 23, 24, Broadview Pharmacy c Pfizer Canada Inc, 2004 Trib conc 23, au paragraphe 18 et Paradise Pharmacy Inc et Rymal Pharmacy Inc c Novartis Pharmaceuticals Canada Inc, 2004 Trib conc 21, au para 23, ont toutes été rejetées par monsieur le juge Blais pour les mêmes motifs : il n’y avait pas de preuves directes et non spéculatives concernant l’incidence du refus sur l’entreprise des demanderesses. Dans Sears, il a été conclu que le préjudice allégué tel que le fait que la position de négociation des fournisseurs d’autres marques serait améliorée n’était qu’une simple hypothèse, en l’absence d’une preuve qui montre que c’était fondé sur l’expérience de l’auteure de l’affidavit ou sur des commentaires formulés par des membres du personnel affectés à d’autres marques (Sears, au paragraphe 35).

 

[83]  Je suis d’accord avec Audatex qu’elle n’est tenue de fournir que « suffisamment de preuve crédible » pour convaincre le Tribunal qu’il y a une possibilité raisonnable que ses activités puissent être directement et sensiblement gênées par un refus de vendre. Et je suis aussi d’accord avec Audatex qu’elle n’a pas à attendre jusqu’à ce que des préjudices se soient bien produits avant de présenter une demande en vertu du paragraphe 103.1 de la Loi (Ordonnance Nadeau permettant de signifier et déposer une réplique, au para 25). Mais une preuve suffisante et convaincante est nécessaire, même pour un préjudice prévu. Dans l’Ordonnance Nadeau permettant de signifier et déposer une réplique, l’approvisionnement n’avait pas encore cessé, mais il y avait suffisamment d’éléments de preuve mesurables des effets anticipés du refus, qui s’élevait à 48 % de l’entreprise.

 

[84]  En l’espèce, l’approvisionnement par AutoTrader et Kijiji des données sur les ventes de véhicules automobiles à Audatex s’est déjà arrêté, mais le préjudice allégué par Audatex continue d’être prévu. Il n’y a aucune preuve de perte de ventes ou de perte de revenus (que ce soit dans le secteur de l’estimation de la valeur de la perte totale ou celui de l’estimation de la valeur de la perte partielle), même si Audatex n’a pas accès aux données sur les ventes de véhicules automobiles de Kijiji depuis la mi-juillet 2015 et aux données sur les ventes de véhicules automobiles d’AutoTrader depuis la fin d’août 2015, qu’elle dit être « essentielles » pour ses activités. Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincu que la preuve fournie par Audatex s’élève au niveau de preuve crédible suffisante nécessaire pour donner au Tribunal une croyance de bonne foi qu’Audatex peut être directement et sensiblement gênée dans son entreprise en raison de son incapacité d’obtenir les données sur les ventes de véhicules automobiles de Trader, Marktplaats et/ou CarProof. La preuve présentée par Audatex ne suffit pas pour le moment pour satisfaire au fardeau qui lui incombe de démontrer un effet sensible.

 

[85]  J’ajoute que ma conclusion n’aurait pas été différente même si les paragraphes radiés de l’affidavit de M. Cairo avaient été admis dans le cadre de la preuve par affidavit en réplique d’Audatex. À mon avis, ils n’auraient pas ajouté suffisamment d’éléments de preuve crédibles de préjudice pour atteindre le seuil d’une gêne « directe et sensible » énoncée au paragraphe 103.1(7) de la Loi.

 

[86]  Cette conclusion porte un coup fatal à la demande d’Audatex.

 

 

C.  Les facteurs énumérés à l’article 75

 

[87]  Étant donné qu’Audatex n’a pas réussi à satisfaire au critère d’être « directement et sensiblement gênée dans son entreprise », ce premier élément du critère en vertu de l’article 103.1 est dispositif de la demande d’autorisation. Compte tenu de cette conclusion, il n’est donc pas nécessaire d’examiner si Audatex a présenté une preuve suffisante pour satisfaire au deuxième volet du critère, à savoir, si chacun des éléments du paragraphe 75(1) pourrait être satisfait et si une ordonnance pourrait être rendue en vertu de la disposition sur le refus de vendre.

 

 

IV.  CONCLUSION

 

[88]  Le Tribunal conclut que la demande d’autorisation n’est pas appuyée par une preuve crédible suffisante qui donne lieu à une croyance de bonne foi qu’Audatex est ou peut être directement et sensiblement gênée dans son entreprise par le refus d’approvisionnement des défenderesses. Par conséquent, la demande d’autorisation d’Audatex de présenter une demande en vertu de l’article 75 de la Loi est rejetée.

 

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS, LE TRIBUNAL ORDONNE DONC CE QUI SUIT :

 

[89]  La demande d’autorisation d’Audatex de présenter une demande en vertu de l’article 75 de la Loi est rejetée.

 

[90]  Les dépens sont adjugés aux défenderesses.

 

 

DATÉ à Ottawa, ce 16ème jour de décembre 2015.

SIGNÉ au nom du Tribunal par le président.

 

(s) Denis Gascon


 

AVOCATS

 

Pour la demanderesse :

 

Audatex Canada, ULC

 

Donald B. Houston

Julie K. Parla

Jonathan Bitran

 

Pour les défenderesses :

 

CarProof Corporation Adam Fanaki

 

Trader Corporation Michael Koch

 

eBay Canada Limited Davit Akman

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