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Tribunal de la Concurrence

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Competition Tribunal

TRADUCTION OFFICIELLE

 

Référence : Commissaire de la concurrence c Direct Energy Marketing Limited, 2014 Trib. conc. 17

No de dossier : CT-2012-003

No de document du greffe : 136

 

 

DANS L’AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, dans sa version modifiée;

 

ET DANS L’AFFAIRE d’une demande déposée par le Commissaire de la concurrence aux termes de l’article 79 de la Loi sur la concurrence;

 

ET DANS L’AFFAIRE de certaines politiques et procédures de Direct Energy Marketing Limited.

 

 

E N T R E :

 

CT Seal - Sceau TC Le commissaire de la concurrence

(demandeur) et

Direct Energy Marketing Limited

(défenderesse) et

National Energy Corporation

(intervenante)

 

Date de l’audience : le 8 octobre 2014

Juge présidant : M. le juge Rennie (président)

Date des motifs et de l’ordonnance : le 17 octobre 2014

 

 

 

 

MOTIFS D’ORDONNANCE ET ORDONNANCE CONCERNANT LA TENEUR DES RENSEIGNEMENTS VISÉS PAR LA COMMUNICATION PRÉALABLE QUE DOIVENT FOURNIR LE COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE ET DIRECT ENERGY


[1] Le commissaire de la concurrence (le « commissaire ») a présenté une requête visant à contraindre Direct Energy Marketing Limited (« Direct Energy ») à répondre aux engagements, refus et questions dont les réponses ont été différées auxquels elle n’a pas donné suite. Le commissaire sollicite également une ordonnance modifiant l’ordonnance du 9 décembre 2013 établissant un calendrier. Direct Energy a, elle aussi, présenté une requête visant à contraindre le commissaire à répondre aux engagements, refus et questions dont les réponses ont été différées auxquels il n’a pas donné suite.

 

[2] Lors de l’audition de ces requêtes, le 8 octobre 2014, les parties se sont manifestement entendues pour régler plusieurs points en litige. La présente décision ne concerne que les points non réglés que les avocats ont soulevés ce jour-là. Ils se sont aussi entendus pour que leurs représentants respectifs soient mis à disposition pour d’autres interrogatoires. Chacune des parties s’est réservé le droit de solliciter une ordonnance pour le cas où les renseignements récemment communiqués lors des étapes de la communication et des interrogatoires préalables ne répondraient pas aux points en litige.

 

I. LA REQUÊTE DE DIRECT ENERGY

 

[3] Dans son avis de demande, le commissaire allègue que Direct Energy s’est livrée à une pratique d’agissements anti-concurrentiels en donnant effet à des politiques et procédures d’exclusion en matière de retour des chauffe-eau, notamment l’obtention d’un numéro d’autorisation pour le retour (le « NAR »). Selon cette politique, le client qui souhaite retourner un chauffe-eau que lui loue Direct Energy doit d’abord obtenir auprès d’elle un NAR, puis l’autoriser par écrit à retirer le chauffe-eau.

 

[4] Dans son avis de demande, le commissaire sollicite, en plus d’autres mesures, une ordonnance condamnant Direct Energy à payer la somme de 15 millions de dollars à titre de sanction administrative pécuniaire (la « SAP »), soit la sanction maximale prévue au paragraphe 79(3.1) de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34.

 

[5] Dans sa réponse, Direct Energy nie les allégations du commissaire et affirme que sa politique visant l’obtention d’un NAR servait de riposte commercialement justifiée face aux pratiques commerciales trompeuses couramment appliquées par les vendeurs à domicile et d’autres vendeurs travaillant pour les concurrents de Direct Energy.

 

[6] Lors de l’interrogatoire du représentant du commissaire, Direct Energy a demandé à en savoir davantage sur le comportement trompeur de ses concurrents au sein des marchés géographiques en cause. Le commissaire a refusé de communiquer ces renseignements en invoquant l’argument de la pertinence et le privilège d’intérêt public.

 

[7] Direct Energy soutient que le moment, la fréquence et le lieu du comportement trompeur des concurrents sont des données nécessaires pour comprendre sa politique visant l’obtention d’un NAR et la raison pour laquelle cette politique est une réaction justifiée devant tel comportement. Elle ajoute qu’avec les renseignements et documents précis et détaillés se rapportant à ce comportement trompeur, elle sera directement en mesure de se défendre contre la demande du commissaire.

 

[8] Direct Energy affirme aussi que les renseignements sollicités ne sont pas protégés par le privilège d’intérêt public car, conformément à l’article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés (Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R-U)), elle a droit à la divulgation complète des renseignements pertinents, puisqu’une instance visant l’application du paragraphe 79(3.1) de la Loi sur la concurrence entraîne des conséquences véritablement pénales compte tenu de l’ampleur de la SAP. Subsidiairement, Direct Energy affirme que la somme de 15 millions de dollars réclamée par le commissaire à titre de SAP fait reposer sur celui-ci une obligation de divulgation plus contraignante. Ces arguments, ainsi que la pertinence des renseignements demandés et le fait que l’identité de l’un des concurrents ayant fourni des renseignements au commissaire est déjà connue, font pencher la balance en faveur de Direct Energy, et son droit d’opposer une défense pleine et entière l’emporte sur le privilège d’intérêt public invoqué par le commissaire.

 

[9] En réponse, le commissaire affirme avoir produit un long résumé des renseignements obtenus auprès de tiers (le « résumé »), ainsi que des résumés actualisés, dans lesquels il révèle des renseignements sur le comportement trompeur de participants sur le marché. En outre, l’avocat du commissaire soutient que son client a maintes fois reconnu avoir des motifs de croire que le comportement trompeur a eu lieu et, dans certains cas, continue d’avoir lieu dans les provinces de l’Ontario et du Québec. Autrement dit, le commissaire ne fera pas valoir à l’audience principale que le comportement trompeur n’est pas présent dans le marché, et il confirmera qu’il perdure depuis 2008.

 

[10] Le commissaire arrive donc à la conclusion que Direct Energy dispose de tous les renseignements dont elle a besoin pour bâtir sa défense, mais il ajoute que, en tout état de cause, les renseignements demandés, par exemple la fréquence précise du comportement allégué, n’ont aucun lien avec l’argument fondé sur la justification commerciale.

 

[11] Direct Energy ne m’a pas convaincu que les renseignements demandés devaient être communiqués. Premièrement, le résumé produit par le commissaire contient des renseignements pertinents sur le comportement des concurrents de Direct Energy. Le commissaire reconnaît avoir l’obligation d’actualiser les renseignements. Il n’est pas allégué que les résumés sont incomplets ou qu’ils dissimulent irrégulièrement des renseignements qui seraient normalement communiqués. Direct Energy a aussi le loisir de demander au Tribunal de faire en sorte qu’un juge ne siégeant pas dans la présente affaire examine les documents et s’assure du caractère approprié et de l’exactitude des résumés produits.

 

[12] En outre, Direct Energy pourra se fonder sur les concessions du commissaire relativement à l’existence du comportement trompeur allégué. Elle pourra également souligner que le commissaire a fait exécuter en 2013 des mandats de perquisition à l’encontre de ceux qui se seraient livrés à des pratiques trompeuses, et que le comportement a rendu l’intervention du gouvernement de l’Ontario nécessaire, laquelle a mené au dépôt du projet de loi 55 : Loi de 2013 renforçant la protection du consommateur ontarien.

 

[13] Deuxièmement, je suis d’accord avec l’avocat de l’intervenante, la National Energy Corporation, pour dire que la preuve qui présente le plus d’intérêt dans la présente instance est celle dont disposait Direct Energy durant les périodes pertinentes, et plus précisément, à l’époque où elle a mis en application les politiques en cause. À l’époque pertinente, Direct Energy ne disposait pas des renseignements et des documents recueillis par le commissaire lors d’une enquête sur le comportement de certains de ses concurrents. Par sa demande, Direct Energy semble chercher à obtenir des renseignements qui lui permettraient d’étayer sa défense, notamment sa défense de justification commerciale, même si ces renseignements n’étaient pas à sa disposition à l’époque. Le caractère raisonnable de la réaction de Direct Energy au marché repose principalement sur la compréhension qu’elle-même avait du marché (Commissaire de la concurrence c Tuyauteries Canada ltée, 2006 CAF 233, aux para 68 à 91, autorisation d’appel devant la CSC refusée, 31637 (le 10 mai 2007)).

 

[14] Bien que ces éléments suffisent pour régler cet aspect de la requête, Direct Energy n’a pas établi qu’un intérêt rival plus impérieux l’emporte sur l’élément d’intérêt public en l’espèce. Ainsi que l’écrivait la juge Dawson dans la décision Commissaire de la concurrence c Sears Canada Inc., 2003 Trib. conc. 19, au paragraphe 40, il doit exister des circonstances impérieuses qui l’emportent sur le privilège d’intérêt public (voir aussi Commissaire de la concurrence c United Grain Growers Ltd., 2002 Trib. conc. 35, aux para 51 à 54). Le fait que la SAP maximale prévue dans une disposition soit demandée ne constitue pas à lui seul une telle circonstance impérieuse. Il s’agit d’un facteur à considérer dans le contexte global, lequel inclut les renseignements communiqués à ce jour par le commissaire, l’intérêt marginal que présentent les renseignements demandés, les renseignements supplémentaires qui seront fournis par le commissaire, sans oublier les concessions qu’il a faites relativement à l’existence des pratiques du marché qui sous-tendent la justification commerciale. Quand ces considérations sont mises dans la balance, l’intérêt public dans le maintien du privilège n’est pas supplanté.

 

[15] Toutefois, si, à l’audience principale, le commissaire souhaite se fonder sur les renseignements actuellement protégés par le privilège d’intérêt public, et s’il veut que le Tribunal en tienne compte, il ne pourra plus invoquer ce privilège en ce qui les concerne (voir par exemple Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Superior Propane Inc. (1998), 85 CPR (3d) 188, au para 8).

 

[16] Le droit d’un défendeur à une audition équitable signifie qu’il a le droit d’être informé des arguments et de la preuve qu’il devra réfuter et celui d’avoir une occasion valable de présenter sa propre preuve au soutien de ses arguments (Commissaire de la concurrence c Canada Pipe Company, 2003 Trib. conc. 15, au para 53). En l’espèce, compte tenu des faits qui lui sont propres, Direct Energy a le droit, après réception des déclarations des témoins du commissaire, d’obtenir les renseignements pertinents que ces témoins fournissent au commissaire et qui concernent le comportement trompeur des concurrents de Direct Energy sur les marchés pertinents et aux périodes pertinentes, selon ce qu’indiquent les actes de procédure, même si le commissaire n’entend pas s’appuyer sur ces autres renseignements à l’audience. Il s’agit simplement de l’expression du droit de Direct Energy de mener un contre-interrogatoire valable.

 

II. LA REQUÊTE DU COMMISSAIRE

 

[17] Dans sa requête, le commissaire a fait valoir que Direct Energy n’avait pas fait connaître sa position sur plus de 60 questions dont les réponses devaient être différées, avait refusé de répondre à environ 30 questions pertinentes et avait refusé de fournir toutes les données pertinentes relativement à des périodes précises. À l’audience, l’avocat du commissaire a expliqué que Direct Energy avait convenu de fournir une base de données et qu’elle avait répondu ou répondrait à plusieurs questions. Il ne reste donc que cinq questions à régler.

 

[18] La première est la question no 244, où il était demandé au représentant de Direct Energy si cette entreprise savait que l’ordonnance par consentement lui interdisait, notamment, comme c’est encore le cas, d’empêcher ses concurrents de débrancher et de retourner les chauffe-eau. Direct Energy a refusé à raison de répondre à cette question vu qu’elle exige d’interpréter un document juridique. En outre, c’est la conduite d’une partie qui peut le mieux indiquer la manière dont elle interprète le document.

 

[19] Il n’est pas nécessaire de répondre à la question no 281 car elle présentait de manière inexacte le contenu du document en cause.

 

[20] Les questions nos 592 et 630 ne sont plus litigieuses car, à l’audience, les parties ont reconnu que les courriels pertinents auraient fait partie des documents que Direct Energy était tenue de produire.

 

[21] S’agissant de la question no 71, où il était demandé au représentant de Direct Energy de fournir des renseignements sur le sens de certains termes employés dans une entente, l’examen de la transcription révèle qu’il ne s’agissait pas d’une question pour laquelle un refus de répondre était officiellement inscrit.

 

III. LES DÉPENS

 

[22] Les parties se sont échangé des renseignements après le dépôt de leurs requêtes respectives, ce qui montre, à mon sens, que chacune des requêtes était partiellement fondée, à tout le moins. Chacune des parties obtient en partie gain de cause sur les autres points en litige. Les dépens suivront l’issue de la cause.

 

FAIT à Ottawa, ce 17e jour d’octobre 2014.

SIGNÉ au nom du Tribunal par le président.

(s) Donald J. Rennie

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COMPARUTIONS

 

Pour le demandeur :

 

Le commissaire de la concurrence Jonathan Hood

Pour la défenderesse :

 

Direct Energy Marketing Limited Donald B. Houston

 

Pour l’intervenante :

 

National Energy Corporation Adam Fanaki

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