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Tribunal de la Concurrence

Canada Coat of Arms / Armoiries du Canada

Competition Tribunal

Référence : Kobo Inc c Commissaire de la concurrence, 2014 Trib conc 14

N° de dossier : CT-2014-02

N° de document du greffe : 247

AFFAIRE CONCERNANT le dépôt et l’enregistrement d’un consentement au titre de l’article 105 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, dans sa version modifiée;

ET AFFAIRE CONCERNANT un renvoi devant le Tribunal en vertu du paragraphe 124.2(2) de la Loi sur la concurrence.

ENTRE :

Kobo Inc

(demanderesse)

et

Le commissaire de la concurrence,

Hachette Book Group Canada Ltd,

Hachette Book Group Inc,

Hachette Digital Inc,

HarperCollins Canada Limited,

Holtzbrinck Publishers, LLC,

Simon & Schuster Canada, une division de CBS Canada Holdings Co

(défendeurs)

Competition Tribunal Seal / Sceau Tribunal de la Concurrence

Date de l’audience : Le 25 juin 2014

Devant le membre judiciaire : Monsieur le juge en chef Crampton

Date des motifs et de l’ordonnance : Le 8 septembre 2014

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE


I.  INTRODUCTION ET APERÇU

[1]  Les présents motifs expliquent le fondement de l’ordonnance ci-jointe rendue à la suite d’un renvoi adressé par le commissaire de la concurrence dans le cadre de la procédure susmentionnée, au titre du paragraphe 124.2(2) de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34 (la « Loi »).

[2]  La question de droit posée dans le présent renvoi est la suivante :

Quelle est la nature et quelle est l’étendue de la compétence du Tribunal en vertu du paragraphe 106(2) et, à cet égard, que signifie l’expression « les modalités ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal » au paragraphe 106(2) de la Loi?

[3]  Pour les motifs qui suivent, j’arrive à la conclusion que la compétence du Tribunal en matière de demande déposée aux termes du paragraphe 106(2) se limite à évaluer ce qui suit :

  1. Si les modalités d’un consentement ne relèvent pas du ou des types d’ordonnances que le Tribunal est en droit de rendre en ce qui concerne la pratique commerciale en question susceptible de contrôle. (Les modalités qui ne relèvent pas d’un ou de plusieurs types précis d’ordonnances pouvant être rendues par le Tribunal au sujet d’une certaine pratique commerciale susceptible de contrôle ne pourraient pas faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal, au sens du paragraphe 106(2).)
  2. Si le consentement a) précise chacun des éléments de fond de la pratique commerciale en question susceptible de contrôle; et b) comporte soit (i) un accord explicite entre le commissaire et la ou les défenderesses indiquant que chacun de ces éléments a été respecté, soit (ii) une déclaration selon laquelle le commissaire a conclu que chacun de ces éléments a bien été respecté, ainsi qu’une déclaration de la ou des défenderesses indiquant qu’elles ne contestent pas cette conclusion.
  3. Si les modalités du consentement sont inapplicables ou si elles ne vont entraîner aucune obligation exécutoire, par exemple, parce qu’elles sont trop vagues.

[4]  Les personnes qui présentent une demande en vertu du paragraphe 106(2) doivent se limiter à établir au moins un de ces trois éléments. Il ne leur est pas loisible d’essayer d’établir que l’un ou plusieurs des éléments de fond de la pratique commerciale susceptible de contrôle n’ont pas été respectés, ou qu’une exception ou un moyen de défense énoncé dans la Loi s’applique. Le Tribunal n’a pas compétence pour examiner ces éléments en vertu du paragraphe 106(2).

[5]  Par conséquent, dans le cours de la présente procédure, il est loisible à Kobo Inc (« Kobo ») d’essayer d’établir (i) que l’une ou plusieurs des modalités du consentement qui fait l’objet de la présente procédure ne relèvent pas du ou des types d’ordonnances que le Tribunal est autorisé à rendre au titre de l’article 90.1 de la Loi; (ii) que l’une des conditions, ou les deux, décrites ci-dessus aux alinéas 3(ii)a) et b) n’a pas été remplie; ou (iii) qu’une ou plusieurs des modalités du consentement sont inapplicables ou ne vont entraîner aucune obligation exécutoire, par exemple, parce qu’elles sont vagues ou ambiguës. Si Kobo souhaite présenter des éléments de preuve factuels afin d’établir l’un ou l’autre de ces éléments, il peut le faire.

[6]  Toutefois, il n’est pas loisible à Kobo d’essayer d’établir, au moyen d’éléments de preuve factuels ou autre, que l’un ou plusieurs des éléments de fond énoncés à l’article 90.1 de la Loi ne sont pas respectés, y compris qu’il y a un accord ou un arrangement – conclu ou proposé – entre des personnes dont au moins deux sont des concurrents. Les différends relatifs à ces éléments de fond et à d’autres, comme la question de savoir si un accord est susceptible d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence, dépassent la portée du paragraphe 106(2).

II.  LÉGISLATION PERTINENTE

[7]  L’article 105 de la Loi prévoit la signature de consentements et l’enregistrement de ces consentements par le Tribunal. Voici la teneur de cet article :

105.(1) Le commissaire et la personne à l’égard de laquelle il a demandé ou peut demander une ordonnance en vertu de la présente partie — exception faite de l’ordonnance provisoire prévue à l’article 103.3 — peuvent signer un consentement.

105. (1) The Commissioner and a person in respect of whom the Commissioner has applied or may apply for an order under this Part, other than an interim order under section 103.3, may sign a consent agreement.

(2) Le consentement porte sur le contenu de toute ordonnance qui pourrait éventuellement être rendue contre la personne en question par le Tribunal.

(2) The consent agreement shall be based on terms that could be the subject of an order of the Tribunal against that person.

(3) Le consentement est déposé auprès du Tribunal qui est tenu de l’enregistrer immédiatement.

(3) The consent agreement may be filed with the Tribunal for immediate registration.

(4) Une fois enregistré, le consentement met fin aux procédures qui ont pu être engagées, et il a la même valeur et produit les mêmes effets qu’une ordonnance du Tribunal, notamment quant à l’engagement des procédures.

(4) Upon registration of the consent agreement, the proceedings, if any, are terminated, and the consent agreement has the same force and effect, and proceedings may be taken, as if it were an order of the Tribunal.

[8]  En vertu du paragraphe 106(2), un tiers peut demander au Tribunal de modifier ou d’annuler un consentement. Cette disposition prévoit ce qui suit :

(2) Toute personne directement touchée par le consentement — à l’exclusion d’une partie à celui-ci — peut, dans les soixante jours suivant l’enregistrement, demander au Tribunal d’en annuler ou d’en modifier une ou plusieurs modalités. Le Tribunal peut accueillir la demande s’il conclut que la personne a établi que les modalités ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal.

(2) A person directly affected by a consent agreement, other than a party to that agreement, may apply to the Tribunal within 60 days after the registration of the agreement to have one or more of its terms rescinded or varied. The Tribunal may grant the application if it finds that the person has established that the terms could not be the subject of an order of the Tribunal.

[9]  Afin de mieux comprendre les interprétations contradictoires du paragraphe 106(2) qui sont avancées dans le présent renvoi par le commissaire de la concurrence (le « commissaire ») et par Kobo, il est utile de garder à l’esprit les conditions de fond énoncées à l’article 90.1. Cette disposition prévoit ce qui suit :

90.1 (1) Dans le cas où, à la suite d’une demande du commissaire, il conclut qu’un accord ou un arrangement — conclu ou proposé — entre des personnes dont au moins deux sont des concurrents empêche ou diminue sensiblement la concurrence dans un marché, ou aura vraisemblablement cet effet, le Tribunal peut rendre une ordonnance :

90.1 (1) If, on application by the Commissioner, the Tribunal finds that an agreement or arrangement — whether existing or proposed — between persons two or more of whom are competitors prevents or lessens, or is likely to prevent or lessen, competition substantially in a market, the Tribunal may make an order

(a) interdisant à toute personne — qu’elle soit ou non partie à l’accord ou à l’arrangement — d’accomplir tout acte au titre de l’accord ou de l’arrangement;

a) prohibiting any person — whether or not a party to the agreement or arrangement — from doing anything under the agreement or arrangement; or

(b) enjoignant à toute personne — qu’elle soit ou non partie à l’accord ou à l’arrangement — de prendre toute autre mesure, si le commissaire et elle y consentent.

b) requiring any person — whether or not a party to the agreement or arrangement — with the consent of that person and the Commissioner, to take any other action.

[10]  Il est également utile de garder à l’esprit les fins de la Loi, lesquelles sont énoncées à l’article 1.1. Cette disposition prévoit ce qui suit :

1.1 La présente loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans le but de stimuler l’adaptabilité et l’efficience de l’économie canadienne, d’améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada, d’assurer à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l’économie canadienne, de même que dans le but d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits.

1.1 The purpose of this Act is to maintain and encourage competition in Canada in order to promote the efficiency and adaptability of the Canadian economy, in order to expand opportunities for Canadian participation in world markets while at the same time recognizing the role of foreign competition in Canada, in order to ensure that small and medium-sized enterprises have an equitable opportunity to participate in the Canadian economy and in order to provide consumers with competitive prices and product choices.

III.  FAITS

[11]  Le 7 février 2014, un consentement (le « consentement ») signé entre le commissaire et divers éditeurs de livres (les « défenderesses ») a été déposé et enregistré auprès du Tribunal de la concurrence (le « Tribunal ») au titre de l’article 105 de la Loi.

[12]  Les défenderesses sont Hachette Book Group Canada Ltd et certaines de ses sociétés affiliées, Holtzbrinck Publishers, LLC (faisant affaire sous le nom de Macmillan), HarperCollins Canada Limited et Simon & Schuster Canada, une division de CBS Canada Holdings Co.

[13]  L’un des attendus du consentement est ainsi formulé : « le commissaire prétend qu’à la suite d’un accord ou d’un arrangement, les défenderesses se sont livrées à des activités ayant eu pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans le marché du livre numérique au Canada, contrevenant à l’article 90.1 de la Loi » [TRADUCTION].

[14]  De manière générale, le consentement porte sur des accords de distribution conclus entre les défenderesses et des détaillants de livres numériques. Le consentement interdit notamment aux défenderesses d’entraver, de gêner ou d’empêcher, directement ou indirectement, un détaillant de livres numériques dans sa volonté de fixer, de modifier ou de réduire le prix de détail de livres numériques pour la vente aux consommateurs au Canada, ou dans sa volonté de consentir des remises ou de faire de la promotion commerciale afin d’encourager les consommateurs au Canada à acheter des livres numériques. Le consentement interdit aussi aux défenderesses de conclure avec un détaillant de livres numériques un accord ayant pour résultat de produire de tels effets. Ces interdictions s’appliquent pour une période de 18 mois, à compter du quarantième jour suivant la date d’enregistrement du consentement.

[15]  D’autres modalités du consentement interdisent aux défenderesses de conclure avec des détaillants de livres numériques des accords comportant certains types de clauses de la nation la plus favorisée, et ce, pour une période de quatre ans et six mois à compter de la date d’enregistrement du consentement.

[16]  En outre, le consentement exige des défenderesses qu’elles prennent des mesures pour que soient résiliés, plutôt que reconduits ou prorogés, les accords conclus avec des détaillants de livres numériques qui renferment certains types de dispositions. En lieu et place d’une résiliation, le consentement autorise les défenderesses à prendre d’autres mesures afin de remplir leurs obligations.

[17]  Le 21 février 2014, Kobo a déposé, au titre du paragraphe 106(2) de la Loi, un avis de demande (l’« avis de demande ») afin que soient rendues, notamment :

  1. une ordonnance annulant le consentement;
  2. subsidiairement, une ordonnance modifiant les modalités du consentement, afin d’éliminer certaines obligations qui incombent aux défenderesses.

[18]  Dans le cadre de l’une de ses principales activités commerciales, Kobo est un détaillant de livres électroniques. Kobo développe aussi et vend au détail des dispositifs de lecture numériques et crée des logiciels d’application gratuits permettant la lecture de livres numériques sur des ordinateurs et des appareils mobiles.

[19]  Dans l’exposé des motifs et des faits importants qu’il a joint à titre d’annexe A de l’avis de demande, Kobo déclare que l’effet du consentement est de « modifier rapidement et radicalement les relations contractuelles que Kobo entretient avec quatre grands éditeurs, à savoir Simon & Schuster, Macmillan, HarperCollins et Hachette » [TRADUCTION].

[20]  Après avoir décrit le fondement de son exposé selon lequel il est « une personne directement touchée par le consentement » au sens du paragraphe 106(2) de la Loi, Kobo prétend que le consentement ne porte pas sur le contenu d’une ordonnance qui pourrait éventuellement être rendue par le Tribunal, comme l’exige cette disposition, étant donné que le Tribunal n’a ni la compétence « minimale » [TRADUCTION] ni le pouvoir de « réparation » [TRADUCTION] pour rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 90.1(1).

[21]  Conformément à une ordonnance rendue par le juge Rennie et datée du 18 mars 2014, l’enregistrement du consentement a été suspendu « jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande déposée par Kobo en vertu de l’article 106 de la Loi » [TRADUCTION].

[22]  Le 15 avril 2014, le commissaire a déposé, au titre du paragraphe 124.2(2) de la Loi, un avis de renvoi dans lequel il formulait la question énoncée au paragraphe 2 ci-dessus. Étant donné que la question posée est une question de droit, aucun élément de preuve n’a été déposé par l’une ou l’autre partie. Toutefois, le commissaire et Kobo ont tous deux inclus dans leurs recueils de jurisprudence et de doctrine respectifs des extraits semblables des procès-verbaux des réunions du Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes (le « Comité »), réunions au cours desquelles le libellé de ce qui constitue maintenant les articles 105 et 106 de la Loi a été examiné, modifié et arrêté. Les parties conviennent que ces procès-verbaux ont été soumis à bon droit au Tribunal.

IV.  RÉSUMÉ DES POSITIONS DES PARTIES

A.  Le commissaire

[23]  Le commissaire soutient que la compétence du Tribunal prévue au paragraphe 106(2) de la Loi se limite à examiner le contenu d’un consentement afin de déterminer si les modalités :

  1. sont des modalités qui pourraient figurer dans une ordonnance rendue par le Tribunal;
  2. sont vagues ou ambiguës au point de ne pouvoir être appliquées, ou de n’entraîner aucune obligation exécutoire.

[24]  Pour plus de certitude, le commissaire fait valoir que, dans le cadre d’une procédure engagée en vertu du paragraphe 106(2), le Tribunal n’a pas compétence pour examiner les faits qui sous-tendent un consentement ou des questions de droit, ou des questions mixtes de fait et de droit qui auraient été en cause si l’affaire avait été instruite comme une affaire contestée. Cela comprend la question de savoir si les éléments de fond énoncés au paragraphe 90.1(1) ont été respectés.

[25]  Dans son exposé oral, le commissaire a précisé sa position en déclarant que le libellé du paragraphe 106(2) renvoie à des modalités d’un certain genre qui ne pourraient pas faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal en vertu des dispositions de fond relatives à la pratique commerciale pertinente susceptible de contrôle, c’est-à-dire les modalités qui excèdent les limites de la Loi, en ce sens qu’il s’agit de modalités que le Tribunal ne pourrait imposer (soulignement ajouté – Transcription, 15 juin 2014, aux pp 56 et 81 (la « transcription »)).

B.  Kobo

[26]  Kobo soutient que la bonne façon d’interpréter le paragraphe 106(2) est de permettre au Tribunal d’examiner les faits et d’évaluer les éléments de preuve afin de s’assurer qu’il aurait eu compétence pour rendre l’ordonnance si l’affaire avait été instruite comme une affaire contestée. Kobo estime que la mesure de cet examen et de cette évaluation variera, en fonction de l’article de la Loi à l’égard duquel le consentement est déposé, des allégations contenues dans la demande présentée en vertu du paragraphe 106(2), et des circonstances précises de chaque affaire.

[27]  En d’autres termes, Kobo soutient que le paragraphe 106(2) autorise le Tribunal à ne pas se limiter à comparer le contenu du consentement avec les types d’ordonnances que le Tribunal peut imposer en vertu de son pouvoir de réparation, allant jusqu’à lui permettre d’évaluer si l’ordonnance repose sur un fondement sérieux. Le Tribunal pourrait ainsi « vérifier le fondement » [TRADUCTION] du consentement, notamment en évaluant si un ou plusieurs éléments de fond relatifs à cette pratique commerciale susceptible de contrôle ont été respectés. Par exemple, dans le cours de la présente procédure, Kobo souhaiterait présenter des observations portant sur la question de savoir s’il y a « un accord ou un arrangement — conclu ou proposé — entre des personnes dont au moins deux sont des concurrents », comme l’exige le paragraphe 90.1(1).

[28]  Pour plus de certitude, Kobo a précisé dans son exposé oral qu’elle ne souhaite pas présenter des observations portant sur la question de savoir si le comportement reproché aux défenderesses « empêche ou diminue sensiblement la concurrence dans un marché, ou aura vraisemblablement cet effet », ainsi que l’exige également le paragraphe 90.1(1). Toutefois, Kobo a déclaré qu’il devrait être loisible au Tribunal d’évaluer cette question lorsque l’affaire s’y prête (Transcription aux pp 106 et 165–176).

V.  ANALYSE

[29]  Le commissaire affirme que la position de Kobo :

  1. serait incompatible avec l’objectif global de la Loi;
  2. contrecarrerait l’intention du législateur visant à modifier la Loi, comme en témoigne l’historique législatif des articles 105 et 106;
  3. serait incompatible avec l’économie générale de la Loi;
  4. ne saurait être étayée par une interprétation franche du paragraphe 106(2) de la Loi.

[30]  De manière générale, je suis d’accord avec le commissaire, même si j’ai conclu que la bonne façon d’interpréter le paragraphe 106(2) n’est pas aussi restrictive qu’il l’affirme.

A.  L’objectif global de la Loi

[31]  Les parties ne semblent pas contester le fait que la Loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence, non pas pour elle-même, mais pour atteindre les quatre principaux objectifs énoncés à l’article 1.1, repris à la section B ci-dessus (Canada (Commissaire de la concurrence) c Premier Career Management Group Corp, 2009 CAF 295, au para 60).

[32]  Dans l’exercice de son mandat législatif, le commissaire jouit d’une présomption selon laquelle il agit de bonne foi et dans l’intérêt public lorsqu’il prend des mesures conformément à la Loi (Commissaire de la concurrence c Pearson Canada Inc, 2014 CF 376, au para 43). Le commissaire dispose également d’un large pouvoir discrétionnaire afin de régler les questions concernant les modalités qu’il estime opportunes, à condition qu’il le fasse dans les limites de la Loi. Les règlements permettent de régler les différends de manière efficace et ils fournissent à un organisme de réglementation un moyen de parvenir à une réparation souple prévue pour veiller aux intérêts du public et à ceux de la personne dont le comportement fait l’objet d’une enquête (British Columbia (Securities Commission) c Seifert, 2007 BCCA 484, au para 31). La conclusion de règlements qui répondent rapidement et de manière certaine et irrévocable aux préoccupations en matière de concurrence, et qui fournissent aux acteurs du marché des précisions sur les modalités des règlements, est compatible avec les fins générales de la Loi. Là encore, il ne semble pas y avoir de désaccord entre les parties en ce qui concerne ces propositions générales, auxquelles je souscris.

[33]  Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la pertinence, dans le cadre du présent renvoi, de la présomption selon laquelle les mesures prises par le commissaire, y compris la conclusion de consentements, sont de bonne foi et dans l’intérêt public. Le commissaire semble être d’avis que cette présomption appuie son point de vue selon lequel toute ambiguïté concernant l’étendue de la compétence du Tribunal prévue au paragraphe 106(2) devrait être levée en faveur d’une interprétation plus restrictive. Je reconnais que cette position n’est pas dénuée de fondement. Néanmoins, je suis d’accord avec Kobo pour dire qu’il y a des limites quant au point jusqu’auquel cette présomption peut être considérée. À mon avis, tout problème d’incompatibilité entre cette présomption et l’historique législatif clair du paragraphe 106(2), l’économie générale de la Loi ou une interprétation franche du paragraphe 106(2) devrait être résolu au détriment de la présomption.

[34]  En ce qui concerne l’exposé du commissaire, les parties semblent s’accorder sur le fait que les termes du paragraphe 106(2) devraient être lus « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie générale de la Loi, l’objet de la Loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 SCR 27, au para 21; Commissaire de la concurrence c Sears Canada Inc, 2005 Trib conc 2, au para 223; Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21, art. 10).

[35]  Compte tenu de ce qui précède, le commissaire soutient que l’interprétation du paragraphe 106(2) faite par Kobo contrecarrerait l’objectif de la Loi d’au moins trois façons.

[36]  Premièrement, comme c’était le cas pour l’ancienne procédure d’obtention d’une ordonnance par consentement, laquelle sera approfondie plus loin à la section E (ii) des présents motifs, le commissaire affirme que l’interprétation de Kobo engendrerait des coûts supplémentaires et retarderait le règlement des préoccupations relatives à la concurrence. Le commissaire soutient que cela aurait pour effet de limiter le nombre de questions auxquelles le commissaire pourrait répondre. Plus important encore, les retards pourraient faire persister les problèmes, ce qui nuirait à la concurrence, aux entreprises canadiennes et aux consommateurs canadiens.

[37]  Je reconnais que l’interprétation de Kobo aurait de tels effets. Cependant, je suis d’avis que le commissaire exagère l’ampleur des effets défavorables. De manière générale, il ne m’apparaît pas évident que ces effets seraient, à eux seuls, plus importants que les effets défavorables imprévus sur la concurrence et sur l’économie canadienne dans son ensemble qui pourraient être établis par un tiers dans le cadre d’une procédure engagée en vertu du paragraphe 106(2), selon l’interprétation de Kobo.

[38]  Deuxièmement, le commissaire soutient que l’interprétation de Kobo créerait de l’incertitude au regard des questions relatives à la concurrence résolues par voie de consentement. Comme c’était le cas à l’époque de la procédure d’obtention d’ordonnance par consentement abordée plus loin, cette incertitude ainsi que l’absence de révocabilité auraient un effet paralysant sur la volonté des parties de conclure des consentements avec le commissaire.

[39]  Je suis d’accord. Comme nous le verrons à la section E (ii) ci-dessous, les parties reconnaissent que cela constituait un élément important du « préjudice » [TRADUCTION] associé à l’ancienne procédure d’obtention d’une ordonnance par consentement auquel le législateur cherchait à remédier lorsqu’en 2002 il a édicté les dispositions actuelles relatives au consentement (Transcription aux pp 101–102 et 166).

[40]  Il me paraît évident que si, comme le laisse entendre Kobo, les personnes directement touchées par le consentement peuvent contester le fondement de la conclusion du commissaire selon laquelle un ou plusieurs des éléments de fond de la pratique commerciale pertinente susceptible de contrôle ont été respectés, cela pourrait avoir un plus grand effet paralysant sur les entreprises nationales et internationales que celui connu sous le régime des dispositions relatives à l’obtention d’une ordonnance par consentement.

[41]  Cela s’explique par le fait que la portée du pouvoir d’examen dont dispose le Tribunal serait certainement plus large qu’elle ne l’était sous le régime de ces dernières dispositions. Conformément à ces dispositions, le Tribunal s’est simplement attaché à s’assurer de deux choses, à savoir : (i) que « les mesures proposées dans l’ordonnance par consentement sont suffisamment bien définies pour être efficaces et exécutoires » [TRADUCTION], et (ii) que « les mesures proposées permettent d’éviter la diminution sensible de la concurrence qui autrement pourrait surgir » [TRADUCTION] pour les activités en question susceptibles de contrôle (Commissaire de la concurrence c Ultramar Ltée, 2000 Trib conc 4, au para 33 (« Ultramar »)). Dans ce contexte, l’empêchement ou la diminution sensible de la concurrence était présumé. Il n’était pas loisible aux tiers de contester la conclusion du commissaire en ce qui concerne l’élément de fond ou d’autres éléments énoncés dans les dispositions relatives à la pratique commerciale en question susceptible de contrôle. (Ultramar, précitée; Commissaire de la concurrence c Trilogy Retail Enterprises LP, 2001 Trib conc 29, aux para 20–21 (« Trilogy »)).

[42]  Si une ou plusieurs des conclusions du commissaire au sujet des éléments de la pratique commerciale restrictive pertinente faisaient l’objet d’un différend aux termes du paragraphe 106(2), l’éventail de questions complexes déployé dans le cours de la procédure moyenne sous le régime de cette disposition serait beaucoup plus large que sous le régime de l’ancienne procédure d’obtention d’une ordonnance par consentement. Compte tenu notamment de l’expérience vécue sous l’ancien régime d’obtention d’une ordonnance par consentement, il est tout à fait raisonnable de penser que cela aurait probablement un effet paralysant sur un large éventail d’activités commerciales susceptibles de contrôle qui pourraient autrement faire progresser un ou plusieurs objectifs énoncés à l’article 1.1 de la Loi. Contrairement à la position de Kobo, le commissaire n’a pas besoin de produire de « preuve convaincante » [TRADUCTION] à ce sujet. Cela relève de l’expertise du Tribunal en tant que tribunal administratif spécialisé.

[43]  Je reconnais que les différends à l’égard de certains éléments de fond, des moyens de défense ou des exceptions établis dans la partie VIII de la Loi ne créent pas nécessairement une grande incertitude. Un exemple pourrait être celui de l’exigence prévue à l’alinéa 75(1)c) selon laquelle une personne qui cherche à se procurer un produit particulier établit qu’elle accepte et qu’elle est en mesure de respecter les conditions de commerce normales imposées par le fournisseur du produit. Un autre exemple pourrait être celui de l’exception prévue au paragraphe 90.1(7) au sujet des accords conclus entre des sociétés affiliées. Cependant, les parties n’ont pas été en mesure d’identifier les principes à partir desquels le paragraphe 106(2) pourrait être interprété d’une manière qui ferait en sorte que seuls ces types d’éléments de fond, de moyens de défense ou d’exceptions pourraient être examinés en vertu du paragraphe 106(2), tout en excluant du champ d’application du paragraphe 106(2) les autres dispositions de fond de la partie VIII, dont la plupart peuvent donner lieu à des différends très complexes. L’interprétation du paragraphe 106(2) d’une manière qui permettrait au Tribunal de tirer de telles conclusions « au cas par cas » [TRADUCTION], comme l’a suggéré Kobo, nuirait gravement à l’intention du législateur visant à remédier au préjudice susmentionné, en établissant un cadre plus prévisible pour le contrôle par le Tribunal des règlements négociés.

[44]  Compte tenu de ce qui précède, je suis d’accord avec la position du commissaire selon laquelle l’interprétation du paragraphe 106(2) avancée par Kobo contrecarrerait sérieusement les principaux objectifs de la Loi, énoncés à la section 1.1, en raison des importants effets défavorables potentiels que cela aurait sur la concurrence (en retardant le règlement) et sur les activités commerciales qui favoriseraient ces objectifs.

[45]  Troisièmement, le commissaire affirme qu’en raison de l’effet paralysant accru décrit plus haut, un plus grand nombre d’affaires seraient réglées par voie d’engagement plutôt que de consentement, compromettant alors la capacité du commissaire à faire appliquer les règlements négociés qui seraient autrement enregistrés en vertu de l’article 105 de la Loi.

[46]  Je conviens que cela serait également incompatible avec les objectifs de la Loi, et que l’expérience vécue sous le régime de l’ancienne procédure d’obtention d’une ordonnance par consentement, laquelle est examinée plus en détail dans la section qui suit, témoigne de la probabilité de ce résultat.

B.  L’historique législatif des articles 105 et 106

[47]  Avant les modifications qui ont été adoptées en 2002 en vertu du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi sur la concurrence et la Loi sur le Tribunal de la concurrence, 37e législature, 1re session, 2002 (le « projet de loi C-23 »), l’article 105 de la Loi donnait au Tribunal le pouvoir de rendre des ordonnances par consentement. À l’époque, le libellé de l’article 105 de la Loi était le suivant :

105. Lorsqu’une demande d’ordonnance est faite au Tribunal en application de la présente partie et que le [commissaire] et la personne à l’égard de laquelle l’ordonnance est demandée s’entendent sur le contenu de l’ordonnance en question, le Tribunal peut rendre une ordonnance conforme à cette entente sans que lui soit alors présentée la preuve qui lui aurait autrement été présentée si la demande avait fait l’objet d’une opposition.

105. Where an application is made to the Tribunal under this Part for an order and the [Commissioner] and the person in respect of whom the order is sought agree on the terms of the order, the Tribunal may make the order on those terms without hearing such evidence as would ordinarily be placed before the Tribunal had the application been contested or further contested.

[48]  Les articles 33 à 36 des Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/87-373 (les « anciennes règles »), énonçaient les procédures à suivre dans le cadre des demandes présentées en vertu de l’article 105 de la Loi. Conformément à l’alinéa 34(3)b), celles-ci comprenaient une exigence de déposer un résumé exposant l’effet prévu que l’ordonnance aurait sur la concurrence si le projet d’ordonnance était adopté. Ce résumé a pris le nom d’« étude d’impact de l’ordonnance par consentement » [TRADUCTION].

[49]  Malgré le rôle limité que le législateur a conféré au Tribunal en ce qui concerne les demandes d’ordonnance par consentement, la retenue avec laquelle la position du commissaire a été prise en compte et l’hypothèse selon laquelle les ordonnances par consentement « permettront d’atteindre les objectifs visés, comme l’affirme le [commissaire] » [TRADUCTION] (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Imperial Oil Limited, [1990] CCTD No 1 à la p 9 (QL)), la procédure d’obtention d’une ordonnance par consentement a fini par faire l’objet de critiques tous azimuts et a été remplacée par la procédure de consentement actuelle.

[50]  Les parties s’entendent pour dire que le « préjudice » auquel le législateur cherchait à remédier en 2002 en établissant une procédure de consentement enchâssée aux articles 105 et 106 comprenait les coûts importants, les retards et l’incertitude associés à l’ancienne procédure d’obtention d’une ordonnance par consentement. Ces problèmes découlaient principalement du fait que cette procédure « offrait aux tiers beaucoup trop de mesures incitatives, beaucoup trop de façons d’intervenir et de prolonger la procédure […] » [TRADUCTION] (exposé oral de Kobo, transcription aux pp 101–102 et 166).

[51]  On ne conteste pas le fait que ces problèmes ont dissuadé les entreprises de participer à la procédure d’obtention d’une ordonnance par consentement, ont mené à la négociation d’« engagements » avec le commissaire qui n’étaient peut-être pas exécutoires, et ont fait naître une opinion répandue selon laquelle la procédure d’obtention d’une ordonnance par consentement « ne fonctionnait pas et devait être corrigée » [TRADUCTION].

[52]  Toutefois, les parties sont en désaccord quant à l’intention du législateur lorsqu’il a adopté le libellé actuel des articles 105 et 106.

[53]  Lorsque les modifications de 2002 ont été présentées en première lecture au Parlement dans le cadre du projet de loi C-23, le libellé proposé aurait permis le dépôt de consentements en vue d’un enregistrement immédiat, sans examen du Tribunal. Il n’y avait aucune disposition qui aurait permis à des tiers de demander l’examen de ces accords.

[54]  De plus, le libellé initialement proposé pour le paragraphe 105(2) prévoyait que le consentement « porte sur le contenu de toute ordonnance qui pourrait éventuellement être rendue contre la personne par le Tribunal, et il peut également comporter d’autres modalités, qu’elles puissent ou non être imposées par le Tribunal ». (Non souligné dans l’original.)

[55]  Prises ensemble, ces dispositions reflétaient un important rajustement des rôles respectifs du commissaire et du Tribunal, ce qui a fait l’objet de vives critiques. En bref, plusieurs parties qui ont témoigné devant le Comité ont essentiellement déclaré que les modifications, telles qu’elles avaient été initialement rédigées, auraient accordé un trop grand pouvoir au commissaire et auraient réduit la compétence du Tribunal à une simple formalité. Entre autres choses, elles ont laissé entendre que la capacité du commissaire à déposer des consentements afin de « [les] enregistrer immédiatement » éliminerait en pratique le rôle de contrôle joué par le Tribunal à l’égard de ces règlements. Elles se sont également demandé pourquoi le commissaire devrait détenir un plus large pouvoir de réparation que le Tribunal, comme en témoigne le libellé souligné dans le paragraphe qui précède. En outre, elles se sont dites préoccupées par le fait que les modifications proposées retireraient complètement aux tiers toute possibilité d’intervenir.

[56]  En réponse à ces commentaires, le commissaire a proposé deux changements importants aux modifications proposées. Le premier était de supprimer le libellé du paragraphe 105(2) qui aurait permis que le consentement « [puisse] également comporter d’autres modalités, qu’elles puissent ou non être imposées par le Tribunal ». Le deuxième consistait à ajouter ce qui est devenu le paragraphe 106(2), afin de permettre aux tiers de demander à ce qu’une ou plusieurs modalités d’un consentement soient annulées ou modifiées, et afin de conférer au Tribunal la compétence d’accueillir la demande « s’il conclut que la personne a établi que les modalités ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal ».

[57]  Le commissaire souligne que son prédécesseur, Konrad von Finckenstein, a expliqué ces changements comme suit :

En ce qui concerne la procédure de consentement, des préoccupations ont été exprimées au sujet du paragraphe 105(2), concernant les termes éventuels d’un consentement entre le commissaire et une personne à l’égard de laquelle une ordonnance du Tribunal a été demandée ou pourrait l’être. On craint que cette disposition ne soit trop vaste.

Nous ne partageons pas cette opinion. Notre intention était d’adopter une disposition nous permettant d’aborder les problèmes de concurrence avec souplesse. Quoi qu’il en soit, étant donné les préoccupations soulevées, le Bureau propose de modifier le paragraphe 105(2) à la page 29, pour qu’il se lise comme suit :

Le consentement porte sur le contenu de toute ordonnance qui pourrait éventuellement être rendue contre la personne en question par le Tribunal.

Autrement dit, le reste de l’article, indiquant « il peut également comporter d’autres modalités, qu’elles puissent ou non être imposées par le Tribunal », serait retiré.

Pour que ce changement ait du sens, le Bureau recommande aussi de modifier l’article 106 qui permettrait à toute partie directement touchée par un consentement de déposer une demande au Tribunal afin de modifier ce consentement pour la raison que ses modalités n’auraient pu faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal.

Ceci pourrait se faire en ajoutant le nouveau paragraphe suivant à l’article 106, après la ligne 27 à la page 30 :

(2) Toute personne directement touchée par le consentement — à l’exclusion d’une partie à celui-ci — peut, dans les soixante jours suivant l’enregistrement, demander au Tribunal d’en annuler ou d’en modifier une ou plusieurs modalités. Le Tribunal peut accueillir la demande s’il conclut que la personne a établi que les modalités ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal.

À mon avis, cela rationaliserait les dispositions relatives au consentement et résoudrait l’objection qui a été soulevée.

(Chambre des communes, Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie, 37e législature, 1re session, séance no 50 (7 novembre 2001), à 1630 (Konrad von Finckenstein).)

[58]  Le commissaire a également mentionné un échange qui s’est tenu entre M. von Finckenstein et l’honorable Chuck Strahl, un membre du comité. Au cours de cet échange, M. Strahl a fait référence à la procédure sous le régime du Tunney Act des États-Unis, 15 USC, au paragraphe 16, qui octroie aux tribunaux américains un assez large pouvoir de réparation sur les projets d’ordonnances par consentement rendues en vertu des lois antitrust des États-Unis. Dans sa réponse à la question de M. Strahl, M. von Finckenstein a commencé par déclarer que les modifications proposées n’étaient pas fondées sur le modèle du Tunney Act. Il a ensuite précisé ce qui suit à l’égard du consentement :

[...] il faut que cela corresponde totalement aux limites de pouvoir du Tribunal. C’est quelque chose que le Tribunal aurait pu faire, mais nous pouvons nous épargner la nécessité de faire un procès si les deux parties s’entendent sur une solution équitable. Dans ce cas, nous signons le document, nous l’enregistrons et la chose est réglée.

Si la décision touche une tierce partie et qu’elle pénalise quelqu’un à qui nous n’avions pas pensé — ce qui est peu probable, mais qu’il faut quand même concevoir... cette tierce partie aurait à notre avis le droit de demander que la décision soit renversée, si nous avions fait quelque chose que le tribunal ne pouvait pas faire.

Si le tribunal avait pu faire la même chose, la situation est exactement celle que nous avons ici : nous avons quelque chose qui relève de la compétence du Tribunal [...]

Ce qu’il faut, c’est un mécanisme de contrôle. Si une mesure est prise qui ne relève pas du champ de compétence du Tribunal de la concurrence, elle ne devrait pas pouvoir être prise par ordonnance de consentement, étant donné que ces ordonnances sont tout à fait destinées à remplacer un procès en bonne et due forme. Mais leur résultat devrait être quelque chose qui aurait pu être ordonné par le Tribunal.

(Non souligné dans l’original.)

(Chambre des communes, Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie, 37e législature, 1re session, séance no 50 (7 novembre 2001), à 1720 (Konrad von Finckenstein).)

[59]  Étant donné que les seules modifications apportées par le Comité étaient celles suggérées par M. von Finckenstein, le commissaire soutient qu’on peut en déduire que le législateur a décidé de ne faire aucune modification aux dispositions relatives au consentement qui auraient fait suite aux « propositions » formulées par d’autres personnes ayant témoigné devant le Comité. Il affirme que, lorsque le législateur met l’accent sur une question et fait un choix parmi les diverses propositions législatives, la décision qu’il prend doit être respectée.

[60]  Les parties reconnaissent qu’aucune modification, ni à la Chambre des communes ni au Sénat, n’a été apportée aux articles 105 et 106 à la suite des changements faits par le Comité.

[61]  Le commissaire est d’avis que le législateur a implicitement décidé de limiter le pouvoir de réparation du Tribunal à évaluer si un consentement comporte des « modalités » qui pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal, c’est-à-dire des « modalités qui pourraient figurer dans une ordonnance rendue par le Tribunal » [TRADUCTION], par opposition à des modalités qui « ne relèvent pas du champ de compétence » du Tribunal. Par ailleurs, le commissaire soutient que le Tribunal a aussi la compétence d’examiner les modalités d’un consentement afin de déterminer si elles « sont vagues ou ambiguës au point de ne pouvoir être appliquées, ou de n’entraîner aucune obligation exécutoire » [TRADUCTION]. J’aborderai ce point plus en détail dans mes observations finales, à la section F des présents motifs.

[62]  Kobo affirme que le législateur n’a pas voulu que la raison du commissaire derrière la signature de consentements ne fasse pas l’objet d’une vérification par le Tribunal. Pour appuyer cette position, Kobo se fonde sur le passage suivant extrait du témoignage de M. von Finckenstein, repris au paragraphe 58 ci-dessus :

Ce qu’il faut, c’est un mécanisme de contrôle. Si une mesure est prise qui ne relève pas du champ de compétence du Tribunal de la concurrence, elle ne devrait pas pouvoir être prise par ordonnance de consentement, étant donné que ces ordonnances sont tout à fait destinées à remplacer un procès en bonne et due forme. Mais leur résultat devrait être quelque chose qui aurait pu être ordonné par le Tribunal.

[63]  Kobo fait valoir que cette déclaration prévoit un examen à la fois des modalités de redressement d’un projet de consentement, mais aussi du fondement de ces modalités. Kobo affirme que l’idée consistait à faire en sorte qu’un consentement ne devrait pas être conclu s’il n’avait pas pu être conclu à la suite d’un procès – lequel doit comprendre un examen de la compétence de fond ou compétence « minimale » [TRADUCTION].

[64]  Kobo affirme que l’échange qui suit, tenu entre M. von Finckenstein et M. Strahl, illustre bien l’intention selon laquelle l’examen du Tribunal prévu au paragraphe 106(2) est censé porter sur le motif du consentement dans son ensemble, et non sur les modalités particulières de celui- ci :

M. Konrad von Finckenstein : Nous pouvons entamer des procédures contre la société. La société peut venir nous dire, pourquoi ne pas s’entendre? Nous préparons un consentement, nous le rédigeons, nous l’enregistrons et il équivaut à un jugement du Tribunal. Si une autre personne est directement touchée et déclare que nous n’aurions pas dû procéder de la sorte, que c’est quelque chose que le Tribunal ne peut pas imposer, elle dispose de 60 jours pour contester le consentement devant le Tribunal.

M. Chuck Strahl : Si l’on prend un exemple des plus actuels, c’est-à-dire celui des lignes aériennes, supposons qu’il y ait un genre de consentement provisoire entre deux parties, mais que nous ayons oublié de penser à une petite société qui assure la liaison entre Victoria et Abbotsford. Si elle pense que cela compromet en quelque sorte son avenir et que cela va à l’encontre de la loi, elle pourrait alors présenter une demande dans les limites de cette période de grâce, la période des 60 jours?

M. Konrad von Finckenstein : Si elle peut prouver qu’elle est probablement touchée par le consentement et que nous avons agi en dehors des limites de la loi, oui, certainement.

(Souligné par Kobo.)

(Chambre des communes, Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie, 37e législature, 1re session, séance no 60 (4 décembre 2001), à 1655.)

[65]  Kobo ajoute que l’emploi du terme « prouver » par M. von Finckenstein reflète également le fait que le paragraphe 106(2) était destiné à servir de mise en opposition des faits, dans laquelle des éléments de preuve au sujet du motif du consentement dans son ensemble seraient recueillis.

[66]  En ce qui concerne la suggestion du commissaire selon laquelle le législateur a expressément rejeté les « propositions » formulées par diverses personnes ayant témoigné devant le Comité, Kobo affirme qu’aucun autre témoin n’a fait de proposition précise aux fins de modification. Au lieu de cela, Kobo soutient que le Comité a entendu les différentes préoccupations qui ont été soulevées au sujet du libellé des articles 105 et 106, tel qu’il a été initialement proposé, et a proposé un compromis. Selon Kobo, ce compromis consistait à faire en sorte que le commissaire conserve de vastes pouvoirs lui permettant de déposer des consentements et de les enregistrer automatiquement auprès du Tribunal, tout en prévoyant une « soupape » [TRADUCTION] qui, selon au moins une personne qui a témoigné devant le Comité, s’avérerait utile. Cette soupape était le pouvoir du Tribunal de procéder à une vérification sérieuse du motif derrière le projet de consentement dans son ensemble.

[67]  Encore une fois, Kobo se fonde sur certaines déclarations faites par M. von Finckenstein dans son témoignage repris au paragraphe 58 ci-dessus, à savoir :

[I]l faut que cela corresponde totalement aux limites de pouvoir du Tribunal [...] Si la décision touche une tierce partie et qu’elle pénalise quelqu’un à qui nous n’avions pas pensé — [...] cette tierce partie aurait à notre avis le droit de demander que la décision soit renversée, si nous avions fait quelque chose que le tribunal ne pouvait pas faire.

(Souligné par Kobo.)

[68]  Kobo affirme que sa position est renforcée par les propos suivants de M. von Finckenstein :

Le commissaire peut essentiellement signer un consentement avec n’importe quelle personne, tant qu’il est compatible avec la loi. Toute personne directement touchée par ce consentement qui considère qu’il n’est pas compatible avec la loi dispose de 60 jours pour le contester devant le Tribunal.

(Chambre des communes, Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie, 37e législature, 1re session, séance no 60 (4 décembre 2001), à 1655.)

[69]  Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation de Kobo quant au témoignage de M. von Finckenstein et à l’historique législatif global relatif au libellé actuel des articles 105 et 106 de la Loi.

[70]  À mon avis, il est très clair, d’après l’historique législatif, y compris le témoignage de M. von Finckenstein, que le législateur n’avait pas l’intention de conférer au Tribunal la compétence d’entendre et de trancher les questions de fait relatives au fondement des conclusions tirées par le commissaire à propos des éléments de fond des pratiques commerciales susceptibles de contrôle, ou des exceptions et des moyens de défense prévus par la Loi à l’égard de ces pratiques commerciales.

[71]  Comme le reconnaît Kobo, les modifications apportées en 2002 aux articles 105 et 106 visaient notamment à rationaliser la procédure de règlement et à la rendre plus rapide et plus prévisible (Rona Inc c Commissaire de la concurrence, 2005 Trib conc 18, au para 77).

[72]  Lorsque le projet de loi C-23 a été présenté en première lecture à la Chambre des communes, le libellé initialement proposé pour ces deux articles était très explicite sur ce point. Comme il a été mentionné précédemment, le libellé ne permettait pas au Tribunal de procéder à un examen, de sa propre initiative ou sur demande d’un tiers. De plus, le libellé initialement proposé pour le paragraphe 105(2) prévoyait que le consentement « porte sur le contenu de toute ordonnance qui pourrait éventuellement être rendue contre la personne par le Tribunal, et il peut également comporter d’autres modalités, qu’elles puissent ou non être imposées par le Tribunal ». (Non souligné dans l’original.)

[73]  Les seuls changements apportés par la suite aux modifications proposées pour les articles 105 et 106 étaient, mot pour mot, les deux changements suggérés par M. von Finckenstein. Contrairement à ce qu’a laissé entendre Kobo, aucun compromis ne permettait de répondre aux autres préoccupations soulevées par d’autres personnes ayant témoigné devant le Comité. Cela comprend, notamment, la préoccupation selon laquelle il existe une « soupape » [TRADUCTION] permettant au Tribunal de faire face aux situations imprévues ou extraordinaires, y compris aux effets imprévus sur un tiers qui ne découleraient pas nécessairement de « modalités [qui] ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal ». Cela comprend également la proposition préconisant que le paragraphe 105(4) soit formulé de sorte à prévoir qu’un consentement serait enregistré à l’échéance du délai de 30 jours à partir de la date à laquelle il a été déposé auprès du Tribunal, « à moins qu’un membre juriste du Tribunal n’estime qu’il y a des motifs de ne pas enregistrer le consentement étant donné que l’on a des soupçons raisonnables de partialité, de mauvaise foi ou de conflit d’intérêts de la part du commissaire, ou encore d’excès de compétence ». (Chambre des communes, Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie, 37e législature, 1re session, séance no 48 (6 novembre 2001), à 1030 (Mark Katz).) Évidemment, même si ce qui précède nous permet d’en déduire que le législateur a rejeté l’idée que le Tribunal a compétence pour examiner ces questions, il pourrait être loisible à une partie de saisir la Cour fédérale de ces questions en présentant une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7 (Air Canada c Canada (Commissaire de la concurrence), 2002 CAF 121, au para 40 (« Air Canada »), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 29202 (19 décembre 2002)). Le commissaire a effectivement reconnu cette possibilité lors de l’audition du présent renvoi (Transcription aux pp 41 et 210).

[74]  Les deux modifications proposées par M. von Finckenstein et acceptées par le Comité avaient pour effet de miner la capacité du commissaire à ajouter aux consentements des modalités qui ne pourraient pas être imposées par le Tribunal, et de conférer aux tiers la capacité de demander au Tribunal l’annulation ou la modification d’une ou plusieurs des modalités du consentement. La compétence du Tribunal, prévue au paragraphe 106(2), de faire droit à la demande se limitait aux situations dans lesquelles le demandeur « a établi que les modalités ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal ».

[75]  La meilleure preuve relative à la signification du dernier libellé repose dans le témoignage de M. von Finckenstein, étant donné que c’est lui qui a proposé le libellé, et donc le texte initial des articles 105 et 106, lorsque le projet de loi C-23 a été présenté en première lecture.

[76]  À mon avis, il ressort clairement du témoignage de M. von Finckenstein que l’expression « a établi que les modalités ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal » devait se comprendre comme suit : « a établi que les modalités du consentement ne relèvent pas du ou des types d’ordonnances que le Tribunal est autorisé à rendre concernant la pratique commerciale en question susceptible de contrôle » [TRADUCTION]. Autrement dit, lorsque le législateur a adopté, mot pour mot, les propositions de M. von Finckenstein après avoir entendu son témoignage très précis, il semble qu’il voulait simplement que les modalités qui ne relèvent pas de l’un ou de plusieurs types précis d’ordonnances concernant une certaine pratique commerciale susceptible de contrôle ne puissent faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal, au sens du paragraphe 106(2). J’estime que l’historique législatif n’appuie pas l’interprétation élargie de cette disposition avancée par Kobo.

[77]  La meilleure preuve de la nature limitée de l’examen envisagé par M. von Finckenstein, et, par conséquent, du législateur lorsqu’il a accepté les modifications proposées et qu’il n’a pas répondu aux autres préoccupations soulevées, repose dans la formulation soulignée dans la citation extraite du témoignage recueilli par le Comité, au paragraphe 58 ci-dessus. Cela comprend les expressions « totalement aux limites de pouvoir du Tribunal », « quelque chose que le tribunal ne pouvait pas faire » et « ne relève pas du champ de compétence du Tribunal ». Je suis d’avis que ces expressions, ainsi que les termes « en dehors des limites de la loi » dans l’extrait repris au paragraphe 64 ci-dessus, se rapprochent davantage de l’interprétation restrictive décrite plus haut que de l’interprétation élargie adoptée par Kobo.

[78]  L’interprétation plus restrictive que j’ai adoptée se rapproche également davantage de l’intention de M. von Finckenstein de rationaliser le rôle de contrôle joué par le Tribunal et d’éviter la tenue d’un procès. À mon avis, il est très peu probable qu’il aurait exprimé la volonté d’éviter la tenue d’un procès, s’il avait envisagé la possibilité que la compétence du Tribunal comprenne la capacité d’examiner le fondement du consentement. À ce jour, l’expérience acquise concernant les demandes contestées en vertu de la partie VIII de la Loi révèle que même l’examen d’un seul élément de fond de la partie VIII de la Loi peut nécessiter beaucoup de temps et d’argent.

[79]  Enfin, je rejette l’idée formulée par Kobo selon laquelle l’emploi du terme « prouver » par M. von Finckenstein (dans l’extrait repris au paragraphe 64 ci-dessus) reflète le fait que le paragraphe 106(2) était destiné à servir de mise en opposition des faits, dans laquelle des éléments de preuve au sujet du motif du consentement dans son ensemble seraient recueillis. À mon avis, le contexte dans lequel M. von Finckenstein a fait cette déclaration laisse supposer qu’il employait le terme « prouver » au sens d’« établir », c’est-à-dire de démontrer selon la prépondérance des probabilités.

C.  L’économie générale de la Loi

[80]  Le commissaire fait valoir que son interprétation du paragraphe 106(2) est étayée par l’économie générale de la Loi et, plus précisément, par une analyse des dispositions relatives au consentement elles-mêmes, par diverses autres dispositions dans lesquelles le législateur a clairement fait part de son intention de conférer au Tribunal un plus vaste pouvoir d’examen, et par les dispositions de la Loi relatives à l’accès privé.

[81]  De façon générale, je conviens que l’économie générale de la Loi favorise une interprétation restrictive en ce qui concerne les pouvoirs d’examen du Tribunal prévus au paragraphe 106(2), même si elle n’est pas aussi restrictive que le prétend le commissaire.

[82]  En ce qui concerne les dispositions relatives au consentement, le commissaire fait remarquer que l’article 105 n’octroie pas au Tribunal le pouvoir d’examiner le contenu des consentements qui sont déposés ni les fondements factuel et juridique des consentements. Au contraire, conformément au paragraphe 105(3), les consentements sont déposés auprès du Tribunal qui est tenu de les enregistrer immédiatement.

[83]  En outre, le commissaire souligne que, même si le paragraphe 105(2) prévoit qu’un consentement doit porter sur le contenu de toute ordonnance qui pourrait éventuellement être rendue « contre la personne en question » par le Tribunal, l’expression « contre la personne en question » n’est pas reprise au paragraphe 106(2). Le commissaire soutient qu’on peut en déduire que le législateur a pris la décision réfléchie de ne pas inclure au paragraphe 106(2) le même libellé que celui utilisé au paragraphe 105(2). Il soutient que cela prouve que le législateur avait l’intention d’éliminer du champ d’application du paragraphe 106(2) la question de savoir si le consentement pouvait faire l’objet d’une ordonnance « contre la personne en question ».

[84]  Le commissaire fait également ressortir les différences importantes entre le libellé du paragraphe 106(2) et celui de l’alinéa 106(1)a), qui porte sur les demandes présentées par le commissaire ou par une partie à un consentement ou à une ordonnance, en ce qui a trait à la modification ou à l’annulation du consentement ou de l’ordonnance. Plus précisément, alors que cette dernière disposition prévoit un examen par le Tribunal des « circonstances ayant entraîné le consentement ou l’ordonnance », aucun libellé de ce genre ne figure au paragraphe 106(2). Le paragraphe 106(2) s’attache uniquement aux « modalités » du consentement et à la question de savoir si ces modalités pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal. Le commissaire soutient que si le législateur avait eu l’intention d’octroyer au Tribunal un plus vaste pouvoir d’examen en vertu du paragraphe 106(2), il l’aurait fait, comme il l’a fait dans l’alinéa 106(1)a).

[85]  Kobo affirme que les termes « contre la personne en question » n’ont pas été inclus au paragraphe 106(2), car il était inutile de le faire, étant donné que dans le cadre de la dernière disposition, le demandeur est une partie étrangère à l’accord. Kobo soutient qu’étant donné que le paragraphe 106(1) est la disposition qui porte sur les droits de la personne mentionnée au paragraphe 105(2), l’ajout des termes « contre la personne en question » au paragraphe 106(2) l’aurait inutilement rendu ambigu.

[86]  Je souscris à ces deux observations formulées par Kobo. Toutefois, je n’accepte pas la position de Kobo selon laquelle cette interprétation laisse nécessairement supposer que le paragraphe 106(2) prévoit un examen par le Tribunal du fondement du consentement.

[87]  À mon avis, l’ordonnance envisageait au paragraphe 106(2) est celle mentionnée au paragraphe 105(2), à savoir l’ordonnance contre la personne mentionnée au paragraphe 105(1), qui est une partie au consentement.

[88]  Cette interprétation est la plus plausible et la plus valable, en ce sens qu’elle produit un résultat qui est raisonnable, juste, rationnel et compatible avec une interprétation harmonieuse et cohérente de l’économie générale prévue aux paragraphes 105(2) et 106(2) dans leur ensemble (Sullivan, Ruth, Sullivan on the Construction of Statutes (Fifth Ed, Markham: LexisNexis, 2008, aux pp 1, 3, 223 et 325).

[89]  L’interprétation du commissaire ne présente pas ces caractéristiques, étant donné qu’elle aurait pour effet incongru que le Tribunal n’aurait pas le pouvoir de faire respecter les exigences prévues au paragraphe 105(2).

[90]  Une autre interprétation, qui présente ces caractéristiques et est conforme à l’intention évidente du législateur d’établir un régime rapide et prévisible pour l’enregistrement et l’examen des règlements négociés, comme en témoignent aussi bien l’historique législatif que la lecture des articles 105 et 106 dans leur ensemble, serait plus appropriée et préférable.

[91]  À mon avis, ce résultat souhaitable peut être facilement obtenu en interprétant le paragraphe 106(2) comme conférant au Tribunal la capacité de s’assurer, par la lecture du consentement, y compris de ses attendus, que les modalités du consentement pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal à l’égard de la ou des personnes visées au paragraphe 105(1), et comme l’exige le paragraphe 105(2).

[92]  Le Tribunal peut s’assurer de cela assez rapidement en déterminant les deux points suivants : Premièrement, que les éléments devant être établis avant qu’il n’ait compétence d’enregistrer l’accord et de rendre une ordonnance à l’égard de la ou des personnes qui ont signé le consentement aient été clairement définis dans l’accord ou dans ses attendus. Deuxièmement, que le consentement comporte soit (i) un accord explicite entre le commissaire et la ou les personnes visées au paragraphe 105(1) indiquant que chacun de ces éléments a été respecté, soit (ii) une déclaration selon laquelle le commissaire a conclu que chacun de ces éléments a été respecté, ainsi qu’une déclaration de la ou des personnes susmentionnées indiquant qu’elles ne contestent pas cette conclusion.

[93]  Ce qui précède permettrait non seulement d’obtenir le résultat souhaitable que je viens de décrire, mais permettrait également d’atteindre l’objectif important de s’assurer que le public est au courant des questions décrites au paragraphe précédent. Je suis d’avis qu’une interprétation du paragraphe 106(2) qui permettrait que ces questions soient cachées au public risquerait de miner la confiance du public à l’égard de l’administration et de l’application de la Loi.

[94]  L’interprétation décrite ci-dessus est également adaptée à la position de Kobo selon laquelle, si la compétence du Tribunal prévue au paragraphe 106(2) est aussi limitée que le suggère le commissaire, alors certains consentements pourraient en effet ne faire l’objet d’aucun examen. Selon Kobo, cela s’explique par le fait que les dispositions de la Loi relatives à certaines pratiques commerciales susceptibles de contrôle accordent au Tribunal le pouvoir de rendre toute ordonnance sur laquelle le commissaire et une personne visée par l’ordonnance se sont entendus. Plus particulièrement, l’effet combiné des alinéas 90.1(1)a) et 90.1(1)b) autorise le Tribunal à enjoindre à toute personne – qu’elle soit ou non partie à l’accord horizontal ou à l’arrangement contesté – de prendre toute autre mesure, si le commissaire et elle y consentent. Il en va de même à l’égard de l’effet combiné des dispositions de l’alinéa 92(1)e), qui porte sur les fusionnements réalisés, ainsi que de l’effet combiné des dispositions de l’alinéa 92(1)f), qui porte sur les fusionnements proposés.

[95]  Dans le cours d’une procédure engagée en vertu du paragraphe 106(2) et impliquant ces types d’affaires, il se peut très bien que le Tribunal n’ait rien à examiner, pour ce qui est d’évaluer si les modalités du consentement relèvent du type d’ordonnance que le Tribunal est autorisé à rendre. Cependant, le Tribunal conserverait la tâche importante de se prononcer sur les deux questions mentionnées au paragraphe 92 ci-dessus. Comme je l’explique plus loin, il serait également chargé de veiller à ce que les modalités du consentement soient exécutoires. En effet, le commissaire a reconnu lors de l’audition du présent renvoi que cette dernière tâche incomberait au Tribunal en l’espèce (Transcription à la p 61).

[96]  L’interprétation de l’économie générale du consentement que j’ai adoptée permettrait également de répondre à la position de Kobo selon laquelle l’interprétation du commissaire quant à l’étendue de la compétence du Tribunal prévue au paragraphe 106(2) ferait obstacle à l’examen du Tribunal consistant à déterminer si les modalités du consentement sont visées par l’alinéa 90.1(1)a). Je suis d’accord avec Kobo pour dire que l’interprétation adoptée par le commissaire empêche le Tribunal de déterminer si les modalités d’un consentement interdisent effectivement à une personne « d’accomplir tout acte au titre de l’accord ou de l’arrangement », comme l’exige l’alinéa 90.1(1)a). Cela s’explique par le fait que le Tribunal n’aurait pas compétence pour examiner la nature fondamentale de cet accord, y compris l’identité des parties intéressées. Il demeure entendu que la position du commissaire, position que je rejette, est que ce type de renseignement n’a pas à être communiqué au Tribunal.

[97]  De la même façon, l’interprétation que j’ai adoptée répondrait à la position semblable de Kobo concernant l’exigence prévue au paragraphe 79(3) selon laquelle une ordonnance doit se limiter aux modalités qui, selon le Tribunal, « porteront atteinte aux droits de la personne visée par cette ordonnance ou à ceux des autres personnes touchées par cette ordonnance que dans la mesure de ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objet de l’ordonnance ». Cela s’explique par le fait que les deux éléments décrits dans le paragraphe 92 ci-dessus fourniraient au Tribunal les renseignements dont il a besoin afin de déterminer comme il convient l’objet de l’ordonnance, et afin de prendre sa décision, dans le cours d’une procédure engagée en vertu du paragraphe 106(2) concernant un consentement et impliquant un comportement qui satisferait les conditions de l’article 79.

[98]  Kobo avance une position similaire au sujet des limitations énoncées aux paragraphes 77(2) et 77(3), ainsi que de l’exception prévue au paragraphe 81(2). Aux fins des présents motifs à l’appui de l’ordonnance, cette position semble être de la même nature que la position de Kobo selon laquelle le paragraphe 106(2) confère au Tribunal une large compétence afin d’examiner s’il existe un fondement suffisant pour permettre au commissaire de signer un consentement – y compris en tenant une audience et en statuant sur les observations portant sur la question de savoir si les éléments de fond de la pratique commerciale en question susceptible de contrôle ont bel et bien été respectés.

[99]  À mon avis, rien dans la Loi n’indique clairement ou ne laisse supposer que la compétence du Tribunal prévue au paragraphe 106(2) est aussi étendue que Kobo le suggère, ou qu’elle est plus large que l’interprétation que j’ai adoptée, si l’on se fonde principalement sur les conclusions que j’ai tirées concernant le régime établi dans les articles 105 et 106, l’historique législatif de ces dispositions et l’objectif global de la Loi.

[100]  Je reconnais que la façon dont j’interprète l’étendue de la compétence du Tribunal prévue au paragraphe 106(2) n’est peut-être pas assez solide, dans le cas de tiers qui sont directement touchés par un consentement visant à obtenir réparation en vertu de cette disposition, pour corriger les effets défavorables imprévus que l’accord pourrait avoir sur eux. De l’avis de ces personnes, une approche plus équitable et plus équilibrée aurait peut-être été de conférer au Tribunal la compétence d’atténuer ces effets dans le cas où une personne qui a présenté une demande de réparation a établi de prime abord l’existence d’un effet fort, involontaire et défavorable à cet égard. Cependant, malgré le fait que cette préoccupation (concernant les effets involontaires sur des tiers) ait été soulevée au cours des audiences du Comité, elle n’a pas été retenue par le législateur ni abordée dans le libellé actuel du paragraphe 106(2), mis à part dans la mesure prévue par mon interprétation de cette disposition. Il faut respecter la décision implicite du législateur de limiter la compétence du Tribunal tel que je l’ai établi. En tant qu’entité administrative créée par la loi, le Tribunal aura pour seuls pouvoirs ceux que le législateur a décidé de lui conférer (Air Canada, précitée au paragraphe 43).

[101]  Il est entendu que je ne lis pas les commentaires de monsieur Frank Lacobucci, juge en chef à l’époque, dans l’affaire opposant American Airlines, Inc et le Tribunal de la concurrence (1988), 54 DLR (4e) 741, à 749 (CAF) American Airlines »), étant donné que, selon moi, les considérations d’équité mentionnées au paragraphe 9(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, LRC 1985, c 19 (2e suppl) (la « Loi sur le TC ») imposent une interprétation plus large du paragraphe 106(2) que celle que j’ai adoptée. Cette affaire concernait la portée des droits de participation des intervenants dans le cadre des procédures dont est saisi le Tribunal, ce qui constitue une question totalement différente de celle en litige dans cette affaire. Le paragraphe 9(2) dit : « Dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, il appartient au Tribunal d’agir sans formalisme, en procédure expéditive. » Le juge en chef Lacobucci s’est fondé sur cette disposition, ainsi que sur son interprétation du sens ordinaire du terme « observations » au paragraphe 9(3) de la Loi sur le TC, et sur l’intention du législateur lorsqu’il a adopté le paragraphe 9(3), pour conclure que le pouvoir inhérent du Tribunal d’autoriser les interventions sur les modalités qu’il estime pertinentes ne devrait pas être limité à la façon décidée en premier lieu par le juge Strayer. Selon moi, les considérations d’équité mentionnées au paragraphe 9(2) ne peuvent l’emporter sur les conclusions que j’ai tirées dans le contexte différent de cette affaire, en ce qui concerne le régime établi dans les articles 105 et 106, l’historique législatif de ces dispositions et l’objectif global de la Loi.

[102]  En résumé, les différents arguments avancés par Kobo quant à l’économie générale de la Loi n’étayent pas de manière convaincante le point de vue selon lequel le paragraphe 106(2) devrait être interprété de façon plus large que celle que j’ai adoptée. Cela comprend les arguments avancés par Kobo en ce qui concerne l’interrelation entre les articles 105 et 106, ainsi que le libellé des alinéas 90.1(1)a), 90.1(1)b), 92(1)e), 92(1)f) et du paragraphe 77(3).

[103]  Cela comprend également la position de Kobo selon laquelle son interprétation élargie du paragraphe 106(2) est conforme à l’intention manifeste du législateur de rationaliser la procédure de règlement et de la rendre plus rapide et plus prévisible. Cette position de Kobo repose sur le fait que le régime de consentement établi dans les articles 105 et 106, tel que Kobo l’interprète, permet d’atteindre ces objectifs. Selon Kobo, il le fait (i) en établissant un seuil élevé pour les offres à commandes de tiers, en exigeant qu’ils soient directement touchés par le consentement; (ii) en imposant aux tiers d’établir que les modalités du consentement en question ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal; (iii) en prévoyant l’enregistrement automatique du consentement, sans que le commissaire ait besoin de présenter des preuves; les tiers qui souhaiteraient éviter les effets immédiats de l’accord doivent alors obtenir un sursis du Tribunal; (iv) en exigeant des tiers qu’ils contestent les consentements dans un délai de 60 jours; (v) en concentrant l’examen effectué devant le Tribunal non plus sur l’évaluation de l’efficacité du règlement pour remédier à la diminution ou à l’empêchement sensible de la concurrence, mais sur la vérification du fondement du consentement.

[104]  Je ne suis pas d’accord avec l’exposé de Kobo selon lequel l’effet combiné de ces cinq changements, tel que les interprète Kobo, simplifierait considérablement l’enquête menée par le Tribunal, et permettrait d’atteindre le juste équilibre prévu par le législateur, si l’interprétation du paragraphe 106(2) faite par Kobo était adoptée. Comme il a été mentionné aux paragraphes 40 à 44 ci-dessus, l’interprétation élargie du paragraphe 106(2) faite par Kobo risque de donner lieu à des différends longs et complexes à l’égard de la totalité ou de la plupart des éléments de fond de presque toutes les pratiques commerciales susceptibles de contrôle à la partie VIII de la Loi, ainsi qu’à l’égard d’un grand nombre de limitations, de moyens de défense et d’exceptions.

[105]  Le bon sens et, bien entendu, l’expérience vécue sous le régime de l’ancienne procédure d’obtention d’une ordonnance par consentement laissent supposer que cela minerait sérieusement, voire réduirait à néant, divers objectifs que le législateur visait au moment d’établir le régime actuel de consentement. Cela comprend le fait de rationaliser le rôle de contrôle jouait par le Tribunal à l’égard des règlements négociés, le fait de rendre la procédure de consentement plus prévisible et plus rapide que l’ancienne procédure d’obtention d’une ordonnance par consentement, et le fait de supprimer l’effet paralysant que cette procédure a eu sur l’activité commerciale au Canada. Cela comprenait aussi le fait d’encourager les gens d’affaires à négocier des règlements déposés auprès du Tribunal, de sorte que le Tribunal jouera un plus grand rôle de contrôle des règlements négociés que celui qu’il avait à l’époque où l’aversion du milieu des affaires à l’égard des ordonnances par consentement a mené à la pratique courante de négocier des règlements qui ne nécessitaient pas le contrôle du Tribunal.

[106]  Le fait qu’il n’y ait eu que deux demandes présentées à ce jour en vertu du paragraphe 106(2) ne contribue nullement au dossier de Kobo, étant donné qu’il y aurait pu en avoir beaucoup plus si l’interprétation de cette disposition avancée par Kobo avait déjà été adoptée par le Tribunal. De plus, il y a toujours de sérieux risques que se produisent les divers effets défavorables décrits dans le paragraphe qui précède.

[107]  Par ailleurs, je suis d’accord avec le commissaire pour dire que l’interprétation élargie du paragraphe 106(2) faite par Kobo ralentirait de manière considérable la procédure de négociation et d’enregistrement des règlements. Cela s’explique notamment par le fait que le commissaire serait effectivement tenu de mener une enquête plus approfondie avant d’aboutir à un règlement, et ce, afin de se préparer aux éventuelles poursuites engagées par un tiers en vertu du paragraphe 106(2).

[108]  Je suis également d’accord avec la position du commissaire selon laquelle si le législateur avait voulu conférer au Tribunal le type de compétence élargie en matière d’examen prévue au paragraphe 106(2) que propose Kobo, il aurait pu l’indiquer clairement, comme il l’a fait à l’alinéa 106(1)a), au paragraphe 106.1(6), au paragraphe 104.1(7) avant son abrogation en 2009 et au paragraphe 74.11(1). L’application du principe d’interprétation des lois expressio unius est exlusio alterius ne permettrait pas une interprétation du paragraphe 106(2) qui conférerait au Tribunal une telle compétence (Air Canada, précitée aux para 43–44).

[109]  Comme je l’ai souligné au paragraphe 84 ci-dessus, l’alinéa 106(1)a) envisage l’examen par le Tribunal des « circonstances ayant entraîné le consentement ou l’ordonnance ». Je suis d’accord avec le commissaire pour dire que l’absence de libellé semblable au paragraphe 106(2) traduit l’intention du législateur de s’abstenir de conférer au Tribunal une compétence semblable en vertu de cette dernière disposition.

[110]  Le paragraphe 106.1(6) autorise le Tribunal, sur demande du commissaire, à modifier ou à annuler un consentement signé entre deux parties privées, « dans les cas où il conclut qu’il a ou aurait vraisemblablement des effets anticoncurrentiels ». Si le législateur avait l’intention, en vertu du paragraphe 106(2), d’octroyer au Tribunal un pouvoir semblable, ou le pouvoir de modifier ou d’annuler un consentement à la lumière des constatations faites à l’égard de ces questions ou d’autres questions de fond, il l’aurait indiqué de façon plus évidente, comme il l’a fait au paragraphe 106.1(6).

[111]  En ce qui concerne l’ancien paragraphe 104.1(7), cette disposition autorisait le Tribunal, sur demande d’une personne à l’égard de laquelle une ordonnance temporaire avait été rendue par le commissaire en vertu de l’ancien paragraphe 104.1(1), à modifier ou à annuler l’ordonnance dans certaines circonstances. Cela comprenait le fait d’annuler l’ordonnance lorsqu’il n’était pas certain qu’une ou plusieurs des conditions de fond décrites à l’alinéa 104.1(1)b) avaient été remplies, y compris probablement le fait que « la concurrence subira vraisemblablement un préjudice auquel le Tribunal ne pourra adéquatement remédier », l’élimination d’une personne en tant que concurrent, et les pertes importantes de parts de marché ou de recettes subies. À l’instar du paragraphe 106.1(6), cela constitue un autre exemple du législateur indiquant clairement dans quelles circonstances il a voulu conférer au Tribunal la compétence de prendre des décisions sur les questions de fond relatives aux pratiques commerciales susceptibles de contrôle. Le fait que le législateur n’ait pas inclus un tel libellé au paragraphe 106(2), et ait limité le Tribunal à évaluer si « les modalités [du consentement] ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal », laisse supposer qu’il n’avait pas l’intention de conférer au Tribunal la compétence de revenir sur le fondement des décisions prises à l’égard des éléments de fond de la partie VIII de la Loi.

[112]  En ce qui concerne le paragraphe 74.11(1), cette disposition autorise le Tribunal, sur demande du commissaire, à rendre une ordonnance d’interdiction temporaire lorsqu’il constate « l’existence d’une preuve prima facie convaincante établissant qu’une personne a ou a eu un comportement susceptible de contrôle visé à [la partie VII.1 de la Loi] ». Si le législateur avait voulu conférer au Tribunal la compétence de modifier ou d’annuler un consentement en vertu du paragraphe 106(2) après avoir établi l’existence d’une preuve prima facie que l’un des éléments de fond d’une pratique commerciale susceptible de contrôle n’a pas été respecté, il aurait sans doute inclus un tel libellé dans cette disposition. Le fait qu’il ne l’ait pas fait permet d’en déduire que le Tribunal n’a pas cette compétence (Air Canada, précitée aux paras 43–44).

[113]  Enfin, je suis d’accord avec la position du commissaire selon laquelle l’interprétation du paragraphe 106(2) proposée par Kobo serait incompatible avec les dispositions de la Loi relatives à l’« accès privé ».

[114]  Conformément au paragraphe 103.1(1), toute personne peut demander au Tribunal la permission de présenter une demande en vertu de l’article 75, 76 ou 77. Toutefois, conformément au paragraphe 103.1(4), le Tribunal ne peut être saisi d’une demande portant sur certains types de questions. Cela comprend les cas où la question (i) fait l’objet d’une enquête du commissaire, (ii) porte sur une question qui fait l’objet d’une demande que le commissaire a présentée au Tribunal en vertu des articles 75, 76 ou 77, ou (iii) a fait l’objet d’une enquête qui a été abandonnée à la suite d’une entente intervenue entre le commissaire et la personne à l’égard de laquelle une ordonnance pourrait être rendue en vertu d’un ou de plusieurs de ces articles.

[115]  Conformément à ces dispositions, le législateur semble avoir décidé que même pour les pratiques commerciales susceptibles de contrôle à l’égard desquelles l’accès privé au Tribunal est autorisé, cet accès ne devrait pas être autorisé dans les cas où le commissaire mène une enquête ou a réglé la question au moyen d’une entente. Je suis d’accord avec le commissaire pour dire que l’interprétation du paragraphe 106(2) faite par Kobo serait incompatible avec ce régime, étant donné qu’elle permettrait à une partie privée qui ne peut pas, en vertu du paragraphe 103.1(4), déposer une demande auprès du Tribunal de demander une réparation identique ou semblable en vertu du paragraphe 106(2). Pour reprendre l’exemple du commissaire, si la société ABC Co se plaignait auprès du Bureau du fait que XYZ Co se livre à un « maintien des prix » anticoncurrentiel, comme le prévoit l’article 76 de la Loi, la société ABC Co ne pourrait pas, en vertu du paragraphe 103.1(4), demander réparation auprès du Tribunal. Toutefois, d’après l’interprétation du paragraphe 106(2) faite par Kobo, la société ABC Co pourrait outrepasser cela en demandant une modification du règlement, si celui-ci avait été enregistré comme un consentement. L’interprétation du paragraphe 106(2) que j’ai adoptée permettrait de réduire de façon considérable la possibilité qu’un résultat incohérent de ce genre se produise.

D.  Le sens ordinaire du paragraphe 106(2)

[116]  Le commissaire soutient que le sens ordinaire du terme « modalités » correspond aux « obligations découlant d’une ordonnance », lesquelles diffèrent des conclusions de fait, des conclusions mixtes de fait et de droit, et des décisions juridiques.

[117]  Cela étant dit, le commissaire reconnaît que, dans le cadre de procédures contestées en vertu de la partie VIII, aucune ordonnance ne pourrait être rendue par le Tribunal sans que ce dernier ait tiré les conclusions de fait et les conclusions de fait et de droit nécessaires afin d’étayer l’ordonnance. Cependant, le commissaire soutient que cela n’a aucune incidence dans le cadre de consentements négociés, étant donné que le paragraphe 106(2) porte uniquement sur les « modalités » d’un consentement.

[118]  Pour sa part, Kobo soutient que l’expression « ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance » transmet clairement l’intention du législateur selon laquelle le Tribunal devrait aller au-delà du libellé du consentement, afin de déterminer quel serait le fondement d’une ordonnance. Autrement dit, Kobo soutient que cette expression prévoit une évaluation de la question de savoir si le Tribunal aurait eu compétence pour accorder la réparation en premier lieu. Il est d’avis que cela comprend non seulement l’évaluation des éléments de fond de la pratique commerciale en question susceptible de contrôle, mais également la question de savoir si l’une ou l’autre des exceptions s’applique.

[119]  Kobo affirme aussi que l’exigence prévue au paragraphe 106(2) selon laquelle le tiers doit être une « personne directement touchée par le consentement » n’aurait aucun sens si le législateur avait eu l’intention de limiter ce tiers à un exercice de simple comparaison des modalités d’une ordonnance avec les pouvoirs de rendre des ordonnances du Tribunal, en vue de déterminer si les modalités relèvent de ces pouvoirs. Kobo soutient qu’il serait insensé d’exiger à un tiers de répondre aux critères rigoureux consistant à établir qu’il est directement touché par le consentement, puis de limiter ce tiers à l’exercice comparatif décrit à la phrase qui précède. Par ailleurs, Kobo soutient que le législateur aurait pu atteindre le même objectif en autorisant le Tribunal à annuler ou à modifier, de son propre chef, un consentement s’il estimait que l’une ou plusieurs des modalités d’un accord ne relevaient pas des types d’ordonnances que le Tribunal est autorisé à rendre. Elle ajoute que la seule raison pour laquelle le législateur aurait exigé des tiers qu’ils satisfassent au critère élevé selon lequel ils doivent démontrer qu’ils sont directement touchés par une ordonnance serait afin de limiter le nombre d’affaires qui nécessiteraient des examens de faits, comme le prévoit le reste du paragraphe 106(2).

[120]  En outre, en se fondant sur les autorités qui ont interprété le terme « établir » au sens de « prouver » dans certains contextes (R. c Oakes, [1986] 1 RCS 103 aux pp 117–118; R. c Wholesale Travel, [1991] 3 RCS 154 à la p 197), Kobo soutient que l’expression « a établi » au paragraphe 106(2) tient compte du fait que le législateur prévoyait que les demandes présentées en vertu de cette disposition serviraient de « mise en opposition des faits, dans laquelle des éléments de preuve seraient recueillis » [TRADUCTION]. Elle affirme que le terme « établir » est employé environ 25 fois ailleurs dans la Loi, comme synonyme de « prouver ».

[121]  Je ne trouve pas que les arguments du commissaire ni ceux de Kobo soient particulièrement utiles ou convaincants pour appuyer les interprétations qu’ils ont chacun avancées au sujet de la signification des termes utilisés au paragraphe 106(2). Il me semble évident que le libellé du paragraphe 106(2) est quelque peu ambigu. À mon avis, une simple analyse de cette formulation n’apporte rien de plus à l’analyse effectuée dans les parties E(i), (ii) et (iii) des présents motifs.

[122]  Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec l’idée du commissaire selon laquelle sa position est appuyée par la décision du Tribunal dans l’affaire Burns Lake Native Development Corp et al c Commissaire de la concurrence, 2006 Trib conc 16. Le commissaire a notamment mis l’accent sur le paragraphe 78 de cette décision. Cependant, le Tribunal a simplement déclaré :

[78] Le paragraphe 105(3) de la Loi énonce qu’un consentement doit être déposé afin d’être « enregistr[é] immédiatement ». Étant donné que le Tribunal n’a ni le temps ni le mandat d’examiner un consentement et étant donné que la Loi n’exige pas le dépôt, il n’y a aucune raison de conclure que des éléments de preuve doivent être présentés lorsqu’un consentement est déposé auprès du Tribunal qui est tenu de l’enregistrer.

[TRADUCTION]

[123]  Je suis d’avis que ces observations ne devaient pas avoir d’incidence sur l’étendue de la compétence du Tribunal en vertu du paragraphe 106(2).

VI.  CONCLUSION

[124]  En raison de ce qui précède, j’en conclus que la compétence du Tribunal dans le cadre d’une demande présentée en vertu du paragraphe 106(2) se limite à l’évaluation des trois éléments suivants :

[125]  Premièrement, le Tribunal peut évaluer si les modalités d’un consentement relèvent ou non du ou des types d’ordonnances que le Tribunal est autorisé à rendre à l’égard de la pratique commerciale en question susceptible de contrôle. Les modalités qui ne relèvent pas de l’un ou de plusieurs types précis d’ordonnances pouvant être rendues par le Tribunal à l’égard d’une certaine pratique commerciale susceptible de contrôle ne pourraient pas faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal, au sens du paragraphe 106(2). Autrement dit, elles ne seraient pas comprises dans les limites de ce que Kobo a considéré comme la compétence de réparation du Tribunal.

[126]  Deuxièmement, le Tribunal peut évaluer si le consentement a) précise chacun des éléments de fond de la pratique commerciale en question susceptible de contrôle; et b) comporte soit (i) un accord explicite entre le commissaire et la ou les défenderesses indiquant que chacun de ces éléments a été respecté, soit (ii) une déclaration selon laquelle le commissaire a conclu que chacun de ces éléments a été respecté, ainsi qu’une déclaration de la ou des défenderesses indiquant qu’elles ne contestent pas cette conclusion. Le Tribunal peut modifier ou annuler un consentement dans les cas où il estime que l’une ou l’autre de ces conditions n’a pas été remplie.

[127]  Cependant, il n’est pas loisible à une personne présentant une demande en vertu du paragraphe 106(2) d’essayer d’établir que l’un ou plusieurs des éléments de fond de la pratique commerciale susceptible de contrôle n’ont pas été respectés, ou qu’une exception ou un moyen de défense énoncé dans la Loi s’applique. Le Tribunal n’a pas compétence pour examiner ces questions en vertu du paragraphe 106(2).

[128]  Troisièmement, les personnes présentant une demande en vertu du paragraphe 106(2) peuvent établir qu’une ou plusieurs des modalités d’un consentement sont inapplicables ou ne vont entraîner aucune obligation exécutoire, par exemple, parce qu’elles sont trop vagues. Selon moi, les décisions antérieures rendues par le Tribunal à l’égard de cette compétence continuent de s’appliquer dans le cas des consentements déposés en vertu de l’article 105 de la Loi. En bref, le Tribunal peut évaluer si les accords qui sont déposés en vertu de cet article, et qui ont la même force et le même effet que s’il s’agissait d’ordonnances du Tribunal (art 105(4)), sont suffisamment clairs pour être justiciables et exécutoires (Ultramar, précitée aux paras 33 et 45- 50; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Imperial Oil Limited, [1990] CCTD no 1 (QL) (« Imperial Oil »)). Autrement dit, le Tribunal peut décider si les modalités d’un consentement sont « exprimées de façon suffisamment claire pour permettre à une personne partie à ce consentement de connaître à un niveau de certitude jugé acceptable la mesure dans laquelle les activités menées » [TRADUCTION] contreviennent ou non au consentement (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Palm Dairies Ltd, [1986] CCTD no 10 (QL) à la p 12). À cet égard, le Tribunal peut aussi s’assurer que ces modalités ne nécessiteront pas un contrôle permanent de la part du Tribunal (Imperial Oil, précitée à la p 43).

[129]  Par conséquent, dans le cours de la présente procédure, il est loisible à Kobo d’essayer d’établir que l’une ou plusieurs des modalités du consentement sont inapplicables ou ne vont entraîner aucune obligation exécutoire, par exemple, parce qu’elles sont trop vagues. Il est également loisible à Kobo de tenter d’établir que le consentement ne respecte pas les deux points décrits au paragraphe 126 ci-dessus. Si Kobo souhaite présenter des éléments de preuve factuels afin d’établir l’un ou l’autre de ces points, il peut le faire. Toutefois, il n’est pas loisible à Kobo d’essayer d’établir que l’un ou plusieurs des éléments de fond énoncés à l’article 90.1 de la Loi ne sont pas respectés, y compris qu’il y a un accord ou un arrangement – conclu ou proposé – entre des personnes dont au moins deux sont des concurrents. Les différends relatifs à ces éléments de fond et à d’autres, comme la question de savoir si un accord est susceptible d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence, dépassent la portée du paragraphe 106(2).

ORDONNANCE

  1. Pour les raisons évoquées dans les motifs de l’ordonnance joints à la présente, les réponses aux questions posées dans le cadre du présent renvoi sont les suivantes :

Que signifie l’expression « les modalités ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal » au paragraphe 106(2) de la Loi?

  1. L’expression du paragraphe 106 citée ci-dessus signifie « les modalités qui ne relèvent pas du ou des types d’ordonnances que le Tribunal a la compétence de rendre à l’égard de la personne visée au paragraphe 105(1) de la Loi, conformément aux dispositions de la Loi relatives aux pratiques commerciales susceptibles de contrôle qui sont mentionnées dans le consentement » [TRADUCTION].

Quelle est la nature et quelle est l’étendue de la compétence du Tribunal en vertu du paragraphe 106(2)?

  1. En plus d’évaluer si les modalités d’un consentement ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal, comme cela est décrit plus haut, le Tribunal peut évaluer si le consentement a) précise chacun des éléments de fond de la pratique commerciale en question susceptible de contrôle; et b) comporte soit (i) un accord explicite entre le commissaire et la ou les défenderesses indiquant que chacun de ces éléments a été respecté, soit (ii) une déclaration selon laquelle le commissaire a conclu que chacun de ces éléments a été respecté, ainsi qu’une déclaration de la ou des défenderesses indiquant qu’elles ne contestent pas cette conclusion.
  2. Le Tribunal peut également évaluer si une ou plusieurs des modalités d’un consentement sont inapplicables ou ne vont entraîner aucune obligation exécutoire, par exemple, parce qu’elles sont trop vagues.
  3. Le Tribunal peut modifier ou annuler un consentement lorsqu’elle répond par l’affirmative aux questions mentionnées aux paragraphes 2 et 4 de la présente ordonnance, ou par la négative à une question mentionnée au paragraphe 3 de la présente ordonnance. Il demeure entendu que l’étendue de la compétence du Tribunal prévue au paragraphe 106(2) se limite à ce qui est décrit ci-dessus, à savoir évaluer si l’un ou plusieurs des éléments de fond d’une pratique commerciale susceptible de contrôle ont bien été respectés, ou si une exception ou un moyen de défense énoncé dans la Loi s’applique.
  4. Aucuns dépens n’ont été demandés dans le cadre du présent renvoi, et aucuns dépens ne sont adjugés.

FAIT à Ottawa, ce 8e jour de septembre 2014.

SIGNÉ au nom du Tribunal par le président.

(s) juge en chef Paul Crampton


COMPARUTIONS

Pour la demanderesse :

Kobo Inc

Nikiforos Iatrou

Mandy L. Seidenberg

Bronwyn Roe

Pour les défendeurs :

Le commissaire de la concurrence

John Syme

Parul Shah

Esther Rossman

Hachette Book Group Canada Ltd, Hachette Book Group, Inc,

Hachette Digital, Inc

James Gotowiec

HarperCollins Canada

Katherine Kay

 

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