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Tribunal de la Concurrence

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Competition Tribunal

TRADUCTION OFFICIELLE

Référence : Commissaire de la concurrence c. Toronto Real Estate Board, 2014 Trib. conc. 10

No de dossier : CT-2011-003

No de document du greffe : 438

 

DANS L’AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34, dans sa version modifiée;

 

ET DANS L’AFFAIRE d’une demande déposée par le commissaire de la concurrence en vertu de l’article 79 de la Loi sur la concurrence;

 

ET DANS L’AFFAIRE de certaines règles, politiques et la prestation de services de courtage immobilier résidentiel du système interagences du Toronto Real Estate Board.

 

 

CT Seal - Sceau TC E N T R E :

 

Le commissaire de la concurrence

(demandeur) et

Le Toronto Real Estate Board

(défendeur) et

L’Association canadienne de l’immeuble

(intervenante)

 

 

Décision rendue sur dossier

Juge présidant : Mme la juge Simpson

Date des motifs et de l’ordonnance : le 18 juin 2014

Motifs et ordonnance signés par : Mme la juge Sandra J. Simpson

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE STATUANT SUR UNE REQUÊTE EN VUE DE SUSPENDRE OU AJOURNER L’AUDIENCE FIXÉE AU 14 OCTOBRE 2014 EN VUE DU NOUVEL EXAMEN


I. LA REQUÊTE

 

[1] Le Toronto Real Estate Board (le « TREB ») a présenté une requête en sursis ou en ajournement de l’exécution des ordonnances du 7 et du 23 avril 2014 par lesquelles le Tribunal de la concurrence (le « Tribunal ») avait établi un calendrier en attendant que la Cour suprême du Canada statue sur la demande d’autorisation d’appel présentée par le TREB relativement à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale daté du 3 février 2014 et, dans l’éventualité où la Cour suprême autorise l’appel, en attendant l’issue du pourvoi. Le TREB a demandé que la requête soit jugée sur dossier.

 

[2] Le commissaire de la concurrence (le « commissaire ») s’est opposé à la requête, mais a reconnu qu’elle devrait être jugée sur dossier.

 

[3] L’intervenante, l’Association canadienne de l’immeuble (l’« ACI »), n’a pas déposé de document en lien avec la requête, mais a indiqué, par courriel daté du 9 juin 2014, qu’elle appuyait la requête du TREB.

 

 

II. LE CONTEXTE

 

 

[4] Les faits relatés ci-après ne sont pas contestés; ils sont tirés, avec certaines modifications, du mémoire des faits et du droit du TREB daté du 23 mai 2014.

 

[5] En mai 2011, le commissaire a déposé contre le TREB (la « demande ») une demande fondée sur l’article 79 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34, en vue d’obtenir réparation auprès du Tribunal.

 

[6] La demande a été instruite sur une période de six semaines, à l’automne 2012 (l’« audience initiale »). Le Tribunal a rejeté la demande par une ordonnance motivée, datée du 15 avril 2013.

 

[7] Le commissaire a fait appel de la décision du Tribunal devant la Cour d’appel fédérale. Celle-ci a accueilli l’appel par un arrêt motivé, daté du 3 février 2014. Elle a ordonné au Tribunal de procéder à un nouvel examen sur le fond (le « nouvel examen »).

 

[8] Le 26 février 2014, la juge Simpson a tenu une conférence de gestion d’instance pour régler, à titre préliminaire, les aspects logistiques du nouvel examen. Durant la conférence, elle a indiqué que le Tribunal envisageait pour le nouvel examen une audience étalée sur deux semaines, à compter du 14 octobre 2014. Toutefois, le Tribunal devait d’abord s’assurer de la présence des avocats.

 

[9] Le 31 mars 2014, le TREB a déposé une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canada (la demande d’« autorisation »). Le commissaire a déposé sa réponse le 28 avril 2014, et le TREB a déposé sa réplique le 5 mai 2014.

 

[10] Dans sa demande d’autorisation, le TREB a soulevé les deux questions suivantes d’importance nationale et d’intérêt public devant la Cour suprême :

[traduction]

  • a) Étant donné les décisions contradictoires rendues par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Commissaire de la concurrence c. Tuyauteries Canada Ltée et dans l’affaire concernant le TREB, quel est le critère applicable permettant de dire s’il existe une « pratique d’agissements anti-concurrentiels » au sens de l’alinéa 79(1)b) de la Loi sur la concurrence?

 

  • b) Une entreprise doit-elle prendre part à la concurrence dans le marché pertinent pour contrôler ce marché au sens de l’alinéa 79(1)a) de la Loi sur la concurrence?

 

[11] Une autre conférence de gestion d’instance relativement à l’audience prévue pour le nouvel examen a eu lieu devant la juge Simpson le 1er avril 2014, soit le lendemain du dépôt par le TREB de sa demande d’autorisation d’appel. À la suite de cette conférence, la juge Simpson a rendu deux ordonnances concernant le calendrier. La première, datée du 7 avril 2014, faisait état de la disponibilité des avocats et fixait la date du début de l’audience au 14 octobre 2014. La deuxième, datée du 23 avril 2014, a été rendue sur consentement et fixait le détail du calendrier et du déroulement de l’audience relative au nouvel examen.

 

 

III. LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[12] Quel critère convient-il d’appliquer à une requête en sursis ou en ajournement de l’exécution des ordonnances établissant le calendrier (dont l’effet sera de suspendre ou d’ajourner l’audience prévue pour le nouvel examen) dans l’attente d’une décision statuant sur la demande d’autorisation d’appel et le pourvoi éventuel?

 

[13] L’application du bon critère permet-il de faire droit au sursis ou à l’ajournement?

 

 

(i) PREMIÈRE QUESTION EN LITIGE LE CRITÈRE APPLICABLE

 

 

[14] Dans la décision D & B Companies of Canada Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches), [1994] C.C.T.D. no 17, D & B Companies »), le juge Rothstein, en sa qualité de juge présidant la séance du Tribunal, a estimé que la partie ayant présenté la requête en ajournement devait satisfaire au critère à trois volets exposé dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, avant que le tribunal n’ajourne l’audience relative à la demande du commissaire. L’ajournement avait été demandé dans l’attente de l’issue d’un appel, devant la Cour d’appel fédérale, formé contre une ordonnance interlocutoire du Tribunal qui portait sur la communication préalable à l’audience.

 

[15] Le juge Rothstein a formulé les motifs suivants, à la page 3 de sa décision. Sa décision a ensuite été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt D & B Co. of Canada Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches) (1994), 58 C.P.R. (3d) 342 (C.A.F.).

 

[traduction] […] Bien que les principes régissant les suspensions d’instance ne puissent être appliqués pour statuer sur toute requête en ajournement, un ajournement en attendant l’appel a certainement le même effet qu’une suspension d’instance en attendant l’appel. L’avocat de la défenderesse a admis qu’il lui restait la possibilité de demander une suspension à la Cour d’appel fédérale. Je ne vois pas pourquoi le Tribunal, en examinant cette demande d’ajournement, appliquerait des principes distincts de ceux de la Cour fédérale à propos de la demande de suspension, étant donné que, dans l’un et l’autre cas, il s’agit des mêmes procédures. J’estime que les principes applicables aux suspensions d’instance, qui sont les mêmes que ceux régissant les injonctions interlocutoires, doivent être appliqués dans le cas d’une demande d’ajournement en attendant l’issue de l’appel.

 

[16] Le commissaire s’appuie sur cette décision pour affirmer que le TREB n’a pas satisfait au critère à trois volets qui l’oblige à démontrer qu’une question sérieuse se pose, que le TREB subira un préjudice irréparable et que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du TREB. En particulier, il dit que le TREB n’a pas démontré qu’il subirait un préjudice irréparable.

 

[17] Le TREB, pour sa part, soutient que la Cour d’appel fédérale ne se fonde plus sur ce critère à trois volets pour statuer sur les requêtes en ajournement de ses propres procédures en attendant l’issue d’un autre appel. Selon le TREB, l’arrêt Mylan Pharmaceuticals ULC c. AstraZeneca Canada, Inc., 2011 CAF 312 (« Mylan ») rendu récemment par la Cour d’appel fédérale fait désormais autorité.

 

[18] Dans Mylan, la société AstraZeneca priait la Cour d’appel fédérale d’ajourner son audience jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada ait statué sur un pourvoi formé dans une autre affaire. S’appuyant sur l’arrêt D & B Companies de la Cour d’appel fédérale, Mylan a fait valoir que la société AstraZeneca devait satisfaire au critère à trois volets énoncé dans l’arrêt RJR-MacDonald. Toutefois, la Cour a estimé que ce critère ne s’appliquait que si la Cour interdisait les actes d’un autre organisme. Elle a précisé que, lorsqu’elle devait décider de reporter ou non ses propres audiences dans l’attente d’un appel, c’était « l’intérêt de la justice » qui devait primer. La question qui se pose donc en l’espèce est celle de savoir si le Tribunal peut et devrait adopter cette approche.

 

[19] À mon sens, bien que la Cour d’appel fédérale ait indiqué dans Mylan que le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire de gérer les ajournements ou les suspensions de ses propres instances en attendant l’issue d’un appel, et cela en recourant à tout critère ou facteur qu’il juge pertinent, dont le critère à trois volets, il semble aussi qu’il est loisible au Tribunal de suivre l’arrêt de principe de la Cour et de tenir compte de l’intérêt de la justice. J’estime, compte tenu des circonstances de la présente affaire, qu’il est trop contraignant d’exiger du TREB qu’il démontre l’existence d’un préjudice irréparable. Je n’entends donc pas appliquer le critère à trois volets dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire.

 

 

(ii) DEUXIÈME QUESTION EN LITIGE L’AJOURNEMENT DEVRAIT-IL ÊTRE ACCORDÉ?

 

 

[20] Selon le commissaire, l’ajournement ou le sursis ne devrait pas être accordé pour les raisons suivantes :

 

 

  • (i) La situation n’a pas changé depuis que les ordonnances établissant le calendrier ont été rendues. À l’époque, le Tribunal était au courant qu’une demande d’autorisation d’appel avait été présentée.

 

  • (ii) Le TREB n’a pas dit qu’il demandera l’autorisation de produire de nouveaux éléments de preuve, de sorte que rien ne permet de croire les ressources judiciaires seront indûment mobilisées dans l’éventualité d’un refus d’ajournement.

 

  • (iii) Il est peu probable que la Cour suprême du Canada autorise l’appel, et elle statuera sur cette question d’ici le milieu de l’été 2014.

 

  • (iv) Un préjudice anti-concurrentiel est en cours et il est urgent d’y remédier.

 

 

[21] Le TREB affirme que l’ajournement devrait être accordé parce que le travail des parties aura été inutile si l’appel est autorisé et parce que, s’il est refusé, le retard ne sera pas important.

 

[22] J’ai examiné chacun des points de son argument, et mes observations sont les suivantes :

 

 

(i) Le changement de situation

 

 

[23] À mon avis, le fait que la date d’audience pour le nouvel examen avait été fixée lorsque le Tribunal a été informé qu’une demande d’autorisation d’appel avait été déposée ne change rien à la situation. Le Tribunal savait aussi qu’un ajournement ou une suspension pouvaient être demandés; le TREB s’est engagé à agir rapidement, et c’est ce qu’il a fait.

 

 

(ii) Les ressources judiciaires

 

 

[24] Les ordonnances établissant le calendrier tiennent compte de la présentation de requêtes au cours de l’été (le 17 juillet et le 21 août) si de nouveaux éléments de preuve sont proposés. On ignore toujours si ces requêtes seront nécessaires; il n’est donc pas certain que des ressources judiciaires seront mobilisées inutilement si l’appel est autorisé. Toutefois, si l’ajournement est refusé, j’imagine que les juges qui présideront l’audience prévue pour le nouvel examen prendront, durant les mois d’été, certaines mesures préparatoires, lesquelles seront inutiles si la demande d’autorisation d’appel est accueillie. Cependant, comme il est impossible de le savoir pour le moment, je n’ai pas considéré cette éventualité comme un facteur important.

 


(iii) La demande d’autorisation et le temps à prévoir

 

 

[25] À mon sens, il est raisonnable de penser que la demande d’autorisation présentée par le TREB sera examinée en septembre 2014. Je ne me prononcerai pas sur son issue.

 

 

(iv) Le préjudice anti-concurrentiel et le retard

 

 

[26] Si la demande d’autorisation d’appel est accordée et que le pourvoi est accueilli, le commissaire n’aura pas droit à réparation aux termes de la loi actuelle et il ne sera donc pas remédié au préjudice qu’il allègue.

 

[27] Si la demande d’autorisation d’appel est accordée et que le pourvoi est rejeté, l’audience prévue pour le nouvel examen aura finalement lieu. On ignore toutefois si la demande dont est saisi le Tribunal sera accueillie, de sorte que le préjudice est simplement allégué et n’a pas été établi.

 

[28] Si la demande d’autorisation d’appel est refusée, l’audience relative au nouvel examen aura lieu au début de 2015 au plus tard. Là encore, on ne peut prédire son issue devant le Tribunal. Enfin, j’estime que la période d’octobre jusqu’au début de 2015 ne constitue pas un retard significatif.

 

 

(v) Les ressources des parties

 

 

[29] Les témoignages à jour des témoins déjà appelés par le commissaire doivent être déposés le 1er août; le TREB et l’ACI doivent quant à eux déposer les témoignages à jour de leurs témoins au début de septembre. Cela signifie que la mise à jour de tous les témoignages — soit les déclarations de tous les témoins experts et ordinaires (ils sont 18 en tout) — devra être effectuée au cours des mois de juillet et d’août. Si la demande d’autorisation d’appel est accordée, l’audience prévue pour le nouvel examen sera reportée, et une mise à jour de la preuve devra être effectuée une deuxième fois si la Cour suprême rejette le pourvoi. Si le pourvoi est accueilli, la mise à jour de la preuve aura été inutile puisqu’il n’y aura pas d’audience en vue du nouvel examen.

 

[30] Après avoir tenu compte de tous ces aspects, de l’article 139 des Règles du Tribunal de la concurrence ainsi que du paragraphe 9(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. 1985, ch. 19 (2e suppl.), j’estime que les frais et les efforts importants consacrés à l’examen des transcriptions et des témoignages découlant de l’audience initiale ainsi qu’à l’exercice de mise à jour des témoignages, qui pourraient n’être jamais utilisés ou qui pourraient nécessiter une seconde mise à jour permettent de réparer le préjudice continu et le retard invoqués par le commissaire si l’ajournement est accordé. Par conséquent, l’intérêt de la justice commande de faire droit à la demande d’ajournement.

 

[31] Toutefois, il n’est pas opportun en l’espèce de condamner le commissaire aux dépens.

 

 

ORDONNANCE

 

[32] L’ordonnance du 7 avril 2014 établissant le calendrier est par la présente annulée, et l’audience fixée au 14 octobre 2014 en vue du nouvel examen est reportée sine die. Il sera nécessaire de fixer une nouvelle date d’audience si la demande d’autorisation d’appel est refusée ou si la Cour suprême du Canada rejette le pourvoi interjeté par le TREB.


[33] L’ordonnance du 23 avril 2014 établissant le calendrier est par la présente annulée et une ordonnance nouvelle mais comparable sera rendue si la demande d’autorisation d’appel est refusée ou si la Cour suprême du Canada rejette le pourvoi interjeté par le TREB.

 

FAIT à Toronto, ce 18e jour de juin 2014.

 

SIGNÉ au nom du Tribunal par le juge responsable de la gestion de la présente instance.

 

 

(s) Sandra J. Simpson

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


AVOCATS :

 

Pour le demandeur :

Le commissaire de la concurrence John F. Rook

Andrew D. Little Emrys Davis

 

 

Pour le défendeur :

Le Toronto Real Estate Board Donald S. Affleck

David N. Vaillancourt Fiona Campbell

 

 

Pour l’intervenante :

 

L’Association canadienne de l’immeuble Sandra Forbes

James Dinning

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