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Tribunal de la Concurrence

Competition Tribunal

TRADUCTION OFFICIELLE

 

Référence : Le commissaire de la concurrence c. Reliance Comfort Limited Partnership 2014 Trib conc 9

No de dossier : CT‑2012‑002

No de document du greffe : 184

 

 

DANS L’AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C‑34, dans sa version modifiée;

 

ET DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par le commissaire de la concurrence sur le fondement de l’article 79 de la Loi sur la concurrence;

 

ET DANS L’AFFAIRE de certaines politiques et procédures de Reliance Comfort Limited Partnership;

 

 

E N T R E :

 

Le commissaire de la concurrence

(demandeur) et

Reliance Comfort Limited Partnership

(défenderesse) et

National Energy Corporation

(intervenante)

 

Date de l’audience : 20140602

Devant le membre judiciaire : Monsieur le juge Rennie (président)

Date des motifs et de l’ordonnance : le 13 juin 2014

Motifs et ordonnance signés par : Monsieur le juge Donald J. Rennie

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE REJETANT LA REQUÊTE DE RELIANCE EN PRODUCTION D’AFFIDAVITS DE DOCUMENTS SUPPLÉMENTAIRES ET PLUS COMPLETS


 

[1] Le 20 décembre 2012, sur le fondement de l’article 79 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C‑34, le commissaire de la concurrence (le « commissaire ») a déposé un avis de demande contre la défenderesse, Reliance Comfort Limited Partnership (« Reliance »). La demande du commissaire sera instruite dans environ sept mois, et les parties, ainsi que l’intervenante, National Energy Corporation (« National Energy »), ont échangé des affidavits de documents. Dans sa requête, Reliance demande au Tribunal d’ordonner au commissaire et à National Energy d’effectuer un examen raisonnable des enregistrements sonores en leur possession et de produire ceux qui se rapportent à l’instance. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal rejette la requête de Reliance.

 

I. Contexte

 

 

[2] Le 20 décembre 2012, le commissaire a déposé sur le fondement de l’article 79 de la Loi sur la concurrence un avis de demande contre Reliance. Il soutient que celle‑ci a mis en œuvre des politiques et procédures d’exclusion en matière de retour de chauffe-eau, dont une politique relative au numéro de référence de retour (la « politique NRR »), qui imposent des frais élevés à ses concurrents et empêchent ses clients de changer de fournisseur. Il fait valoir que, selon la politique NRR, le client qui souhaite retourner un chauffe‑eau doit d’abord obtenir de Reliance un numéro de référence de retour (« NRR ») et remplir un formulaire de retour de chauffe‑eau de manière satisfaisante pour celle‑ci. Le commissaire ajoute que, dans le cadre de cette politique, les concurrents ne peuvent pas obtenir le NRR pour le compte des clients de Reliance, ce numéro n’est pas communiqué aux clients qui appellent cette dernière en faisant participer un concurrent à la conversation, et Reliance ne reconnaît pas les conventions de mandat entre ses clients et ses concurrents.

 

[3] Dans sa demande, le commissaire sollicite une ordonnance interdisant à Reliance de mettre en œuvre des politiques et procédures d’exclusion en matière de retour de chauffe‑eau, lui enjoignant de prendre d’autres mesures nécessaires pour contrer les effets de sa pratique d’agissements anti-concurrentiels et lui imposant une sanction administrative pécuniaire de 10 000 000 $.

[4] Dans la réponse qu’elle a déposée le 12 août 2013, Reliance nie les allégations du commissaire et avance qu’elle a élaboré les pratiques et les procédures de retour en litige en partie pour protéger et sensibiliser les consommateurs contre le comportement malhonnête de concurrents qui donnent des indications fausses et trompeuses lors des ventes à domicile. Elle rappelle que le commissaire de la concurrence par intérim a reçu en décembre 2012 une plainte signée par six personnes selon laquelle certaines entreprises avaient donné des indications de cette nature dans le cadre de la vente à domicile de contrats de location de chauffe‑eau résidentiels.

 

[5] Le 6 novembre 2013, le Tribunal a accordé l’autorisation d’intervenir dans le présent litige à National Energy, un locateur de chauffe‑eau résidentiels électriques et au gaz naturel exerçant ses activités au Québec et en Ontario.

 

[6] Des procédures judiciaires sont en cours entre Reliance et National Energy devant d’autres tribunaux et, le 10 septembre 2013, Reliance a déposé une nouvelle déclaration modifiée contre National Energy et sa société mère, Just Energy Group Inc. (« Just Energy »), devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Reliance soutient que National Energy et Just Energy ont donné au public des indications fausses ou trompeuses, et elle réclame des dommages‑intérêts de 50 000 000 $ et des dommages-intérêts punitifs de 10 000 000 $. Dans leur nouvelle défense et demande reconventionnelle modifiée, National Energy et Just Energy nient ces allégations, soutiennent entre autres que c’est Reliance qui a donné aux consommateurs ontariens des indications fausses ou trompeuses sur National Energy, et réclament elles aussi des dommages-intérêts de 50 000 000 $ et des dommages‑intérêts punitifs de 10 000 000 $.

 

II. Les enregistrements sonores

 

[7] Dans le cadre de son enquête, le commissaire a obtenu des mandats de perquisition qui ont permis au Bureau de saisir en tout quelque 227 446 enregistrements sonores chez National Energy, morEnergy et Ontario Consumer Home Services (« OCHS »). Selon les dispositions de ces mandats, les éléments de preuve électroniques doivent rester sous le contrôle des agents
responsables des éléments de preuve de cette nature jusqu’à ce qu’on les ait examinés, afin de veiller à ce que les documents protégés et ceux qui ne sont pas visés par les mandats de perquisition ne soient communiqués à personne d’autre.

 

[8] Dans le contexte de l’instance en cours devant le Tribunal, les parties ont échangé des affidavits de documents, et le commissaire a communiqué à Reliance environ 144 000 pièces, dont 23 000, y compris 300 fichiers sonores, provenant de National Energy. Ces fichiers sonores étaient joints à des courriels envoyés ou reçus par des employés de National Energy. Celle‑ci a produit 69 625 documents tirés de ses propres archives, dont 1 400 fichiers sonores.

 

[9] Les avocats de la défenderesse ont examiné un échantillon de 140 enregistrements sonores prélevé sur les 300 que le commissaire avait produits. Environ 10 % des enregistrements sonores examinés étaient des plaintes de clients. Un autre examen mené par les avocats de Reliance, et portant sur un échantillon aléatoire de 360 des enregistrements sonores produits par National Energy, a permis d’établir que les plaintes de clients comptaient aussi pour environ 10 % des éléments de l’échantillon.

 

III. Les requêtes en production d’affidavits de documents supplémentaires et plus complets

 

[10] Reliance a déposé deux requêtes respectivement contre le commissaire et National Energy. L’une vise à obtenir une ordonnance qui enjoindrait à cette dernière d’effectuer un [traduction] « examen raisonnable » de ses enregistrements sonores, et de produire ceux qui sont pertinents. Reliance demande qu’il soit ordonné aussi au commissaire d’effectuer un [traduction] « examen raisonnable » des enregistrements sonores saisis dans les bureaux de National Energy, de morEnergy et d’OCHS. Dans son mémoire des faits et du droit, Reliance dit d’un [traduction] « examen raisonnable » qu’il comprend un [traduction] « échantillonnage au moyen de recherches par mots-clés, tel que celui que Reliance a réalisé sur sa propre base d’enregistrements sonores » (au par. 74).

 

[11] À l’audience, l’avocat de Reliance a préparé, à la demande du Tribunal, un projet d’ordonnance énonçant le détail des mesures souhaitées par sa cliente. Selon ce projet d’ordonnance, Reliance demande au Tribunal d’ordonner :

 

  • à National Energy et au commissaire de signifier des affidavits de documents supplémentaires et plus complets au plus tard le 19 septembre 2014;

 

  • à National Energy d’examiner les enregistrements sonores compris dans sa base d’enregistrements d’appels entrants et sortants, et au commissaire d’examiner les enregistrements sonores saisis auprès de National, morEnergy et OCHS;

 

  • à National Energy de rechercher parmi les enregistrements sonores les enregistrements de plaintes formulées contre ses vendeurs à domicile ou ses agents de ventes par téléphone, et au commissaire de rechercher dans les documents saisis les enregistrements sonores de plaintes formulées contre des vendeurs à domicile ou des agents de ventes par téléphone de National Energy, de morEnergy et d’OCHS;

 

  • à National Energy et au commissaire de produire les enregistrements après les avoir classés par sujet, ces deux parties pouvant utiliser des outils et des procédés électroniques tels que l’échantillonnage de données, des critères de recherche ou d’autres critères de sélection.

 

[12] Reliance soutient que les fichiers sonores se rapportent aux questions en litige dans la présente instance, qui sont celles de savoir i) si la situation du marché constitue une justification commerciale valable pour mettre en œuvre sa politique NRR; ii) si ses politiques et ses procédures de retour constituent une pratique d’agissements anti‑concurrentiels; et iii) si ces politiques et ces procédures empêchent ou diminuent sensiblement la concurrence. Selon Reliance, il n’est ni justifié ni conforme au principe de proportionnalité que le commissaire et National Energy refusent catégoriquement d’examiner les enregistrements sonores en leur possession.

 

[13] Reliance fait en outre remarquer que le commissaire sollicite la sanction administrative pécuniaire maximale ainsi que d’importantes restrictions de ses pratiques commerciales.

 


 

[14] Le commissaire s’oppose aux mesures que demande Reliance. Il soutient que l’examen réclamé n’est pas réaliste et exigerait une dépense excessive de ressources, vu le nombre des documents déjà produits, la faible valeur probante des fichiers sonores et le fait qu’il est en train d’établir un résumé des informations émanant de tiers, lequel comprendra tous les renseignements pertinents obtenus d’OCHS et de morEnergy et qu’il communiquera avant l’interrogatoire de son représentant.

 

[15] M. Jeffrey Chamberlain, agent spécialisé en droit de la concurrence, déclare dans son affidavit que les enregistrements sonores saisis représentent environ 466 giga-octets de données et une durée totale de quelque 70 000 heures, de sorte qu’il faudrait 40 ans à un agent spécialisé en droit de la concurrence pour les passer en revue. De plus, l’Unité des éléments de preuve électroniques du Bureau de la concurrence ne possède pas de logiciel capable d’effectuer une recherche phonétique dans des enregistrements sonores, et il pourrait lui falloir jusqu’à un an pour en acquérir un et le déployer.

 

[16] Le commissaire avance en outre qu’il ne peut effectuer l’examen de la manière proposée par Reliance, puisqu’il est lié par les conditions des mandats de perquisition, lesquels obligent les agents du Bureau de la concurrence d’examiner chaque minute de chaque fichier sonore pour s’assurer que les documents protégés et les documents non visés par ces mandats ne soient pas communiqués irrégulièrement.

 

[17] Le commissaire fait également remarquer que des enregistrements sonores supplémentaires de clients se plaignant du comportement de concurrents de Reliance ne seraient d’aucune utilité puisque cette dernière a admis posséder de multiples documents faisant état de telles plaintes. En fait, il déclare dans son mémoire qu’il a [traduction] « des raisons de croire que ce comportement trompeur s’est produit et (dans certains cas) continue de se produire en Ontario et au Québec ». Plus important encore, il soutient que la question du comportement trompeur n’est pas importante dans le cadre de la présente instance car, selon lui, la Cour d’appel fédérale enseigne, dans l’arrêt Canada (Commissaire de la concurrence) c. Tuyauteries Canada Ltée, 2006 CAF 233, autorisation de pourvoi devant la CSC refusée par 31637 (10 mai 2007), qu’un comportement trompeur de la part d’autres entités ne peut jamais constituer une justification commerciale légitime.

[18] National Energy demande aussi au Tribunal de rejeter la requête de Reliance. Elle soutient également que cette requête repose sur une interprétation erronée du rôle de la justification commerciale, ajoutant qu’on ne peut permettre à Reliance de créer une telle justification après coup en recourant à des éléments de preuve tirés de documents internes de National Energy dont elle ne disposait pas au moment des faits. National Energy, à l’instar du commissaire, avance que Reliance n’a pas expliqué pourquoi il est nécessaire de produire des documents supplémentaires, étant donné le grand nombre de pièces – quelque 8 000 – déjà en sa possession qui font état de plaintes de clients.

 

[19] National Energy soutient qu’un examen coûterait cher et constituerait une très lourde tâche. Dans son affidavit du 22 mai 2014, le dirigeant principal de l’information de Just Energy explique que les conversations téléphoniques entre les clients actuels ou éventuels de National Energy et les employés de son centre d’appels sont enregistrées et stockées dans un système d’enregistrement vocal. Selon lui, National Energy ne peut rechercher dans ce système les conversations qui portent sur un sujet déterminé, mais peut seulement rechercher et extraire des conversations en fonction de critères tels que le numéro de téléphone ou la date. Il déclare sous serment qu’il faudrait à une personne environ 442 ans pour écouter les fichiers sonores couvrant la période de 2003 à aujourd’hui. Il ajoute que l’examen des enregistrements sonores stockés depuis 2010 coûterait environ 9 200 000 $.

 

[20] National Energy affirme en outre que l’examen effectué par Reliance est vicié, en ce sens qu’il n’a pas capté des appels téléphoniques potentiellement pertinents et qu’il a donné lieu à la production d’enregistrements d’appels non pertinents.

 

[21] Reliance soutient qu’elle a pu procéder à un examen raisonnable de sa base d’enregistrements de conversations entre ses clients et les employés de ses centres d’appels en filtrant d’abord les communications à l’aide de scripts SQL (Structured Query Language) [langage d’information structuré], ce qui lui a permis de prélever un sous-ensemble d’environ 360 000 enregistrements. Ce sous-ensemble a ensuite été examiné avec l’aide d’un fournisseur externe de logiciel de recherche phonétique. Reliance fait valoir que cet examen de sa base d’enregistrements sonores, dont la taille est plus de cinq fois supérieure à celle de National Energy, lui a pris moins de 15 semaines et lui a permis de repérer de 8 000 à 10 000 enregistrements sonores pertinents.

 

[22] Reliance ajoute qu’une ordonnance enjoignant au commissaire et à National Energy de procéder à l’examen raisonnable demandé ne retarderait pas la procédure, puisqu’elle ne sollicite la production d’enregistrements sonores pertinents que pour la période qui suit les interrogatoires préalables (soit au plus tard 19 septembre 2014).

 

IV. Analyse

 

[23] L’article 60 des Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/2008‑141, dispose que l’affidavit de documents doit contenir une liste des documents qui sont pertinents quant aux questions soulevées et qui sont ou étaient en la possession de la partie. Les enregistrements sonores comptent parmi les documents devant figurer dans cette liste (voir l’article premier).

 

[24] Selon l’article 34 des mêmes Règles, le Tribunal peut en cas de besoin recourir aux Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Aux termes de l’article 230 de ces dernières, la Cour peut dispenser une partie de la production pour examen de documents qu’« il serait trop onéreux de […] produire du fait de leur nombre ou de leur nature ». Certaines décisions de la Cour fédérale enseignent que lorsque celle-ci examine la légitimité d’une question posée lors d’un interrogatoire préalable ou de la demande de production d’un document, elle doit mettre en balance, en particulier, la probabilité de l’utilité de la réponse, d’une part, et le temps, la peine, les dépenses et les difficultés que représente son obtention, d’autre part (voir : Anglehart Sr. c. Canada, 2011 CF 825; et Reading & Bates Construction Co. et al. c. Baker Energy Resources Corp. et al. (1988), 24 C.P.R. (3rd) 66). C’est donc dire que « [l]orsque, d’une part, la valeur probante et l’utilité de la réponse pour la partie qui procède à l’interrogatoire semblent tout au plus minimales, et lorsque, d’autre part la partie interrogée devrait surmonter d’énormes difficultés et consacrer beaucoup de temps et d’effort à la recherche de la réponse, le tribunal ne devrait pas l’obliger à répondre » (voir : Reading & Bates Construction Co. et al. c. Baker Energy Resources Corp. et al. (1988), 24 C.P.R. (3rd) 66).

[25] Dans une décision antérieure, j’ai rappelé aux avocats en l’espèce l’existence du principe de proportionnalité et que celui-ci guide l’examen de la pertinence (voir : Commissaire de la concurrence c. Reliance Comfort Limited Partnership, 2013 Trib. conc. 18, au par. 8). La Cour suprême du Canada a récemment souligné l’importance de ce principe dans l’arrêt Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7.

 

[26] Les parties ont convenu à l’instruction de la requête de Reliance que le principe de proportionnalité s’applique en l’espèce.

 

[27] Pour ce qui est du contexte particulier de l’enquête électronique, le protonotaire Short, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, a adopté un critère de proportionnalité à huit volets pour ce type d’enquête (Warman c. National Post Co., 2010 ONSC 3670, au par. 82) :

 

[traduction]

 

  • 1) la précision des demandes formulées dans le cadre de l’enquête préalable;

 

  • 2) la probabilité d’obtenir des renseignements cruciaux;

 

  • 3) la possibilité d’obtenir les renseignements d’autres sources;

 

  • 4) le but dans lequel la partie interrogée conserve les données demandées;

 

  • 5) l’avantage relatif de l’obtention des renseignements pour les parties;

 

  • 6) le coût total de la production;

 

  • 7) la capacité relative de chaque partie à maîtriser les coûts et son intérêt à le faire;

 

  • 8) les ressources dont dispose chaque partie.

 

 

[28] Le principe de proportionnalité trouve également place parmi les principes de Sedona Canada en matière d’administration de la preuve électronique :

2. Dans toute instance, les parties devraient s’assurer que les étapes suivies dans le cadre de l’administration de la preuve sont proportionnelles, eu égard à (i) la nature
et l’importance du litige, incluant l’importance et la complexité des questions en litige, des intérêts et des montants en jeu; (ii) la pertinence des informations sur support électronique disponibles; (iii) l’incidence des informations sur support électronique sur le processus décisionnel du tribunal dans chaque instance; et aux (iv) coûts, fardeau et délais que les parties devront assumer afin de gérer les informations sur support électronique.

 

[29] Selon les principes de Sedona, la partie interrogée peut s’acquitter de ses obligations en utilisant des outils et des procédés électroniques tels que l’échantillonnage de données et l’utilisation de critères de recherche ou de sélection pour recueillir les informations sur support électronique potentiellement pertinentes. En outre, les parties devraient prévoir et respecter les règles du tribunal saisi du litige, tout en évaluant les incidences que toute décision pourrait avoir sur les instances connexes introduites devant d’autres tribunaux.

 

[30] Mon examen s’inscrit dans le cadre de la jurisprudence et des principes que j’ai exposés plus tôt, ainsi que du paragraphe 9(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. 1985, ch. 19, lequel dispose que, dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, il appartient au Tribunal d’agir sans formalisme, en procédure expéditive.

 

[31] Les parties et l’intervenante ont des opinions divergentes quant à l’application d’une justification commerciale à la présente espèce et au sens de cette notion. Pour l’instant, il n’est pas nécessaire que le Tribunal réponde à cette question, et je pars du principe, aux seules fins de la présente requête, qu’il est permis à Reliance d’invoquer la justification commerciale de la manière dont elle souhaite le faire. Il appartiendra au Tribunal de décider, à une étape ultérieure et après que les parties auront eu la possibilité de développer pleinement leurs arguments, si les thèses respectives du commissaire, de National Energy et de Reliance sont fondées ou non.

 

[32] Cependant, il est tout à fait évident que la production des enregistrements sonores pertinents causerait de grandes difficultés au commissaire de la concurrence et exigerait de lui un temps et des efforts considérables. Qui plus est, il a, dans une certaine mesure, les mains liées par les conditions afférentes aux mandats de perquisition en vertu desquels il a pris possession des enregistrements sonores en cause.

[33] L’argument que Reliance a avancé à l’instruction de la requête, à savoir qu’il serait possible pour le commissaire d’effectuer un examen ciblé vu les modalités des mandats de perquisition et la preuve de National Energy, repose sur des conjectures, et l’avocat de Reliance a admis que M. Chamberlain n’avait pas été interrogé sur cette question.

 

[34] Le commissaire a aussi expliqué que Reliance recevra, avant l’interrogatoire préalable de son représentant, un résumé des renseignements émanant de tiers, qui comprendra tous les éléments d’information, tant favorables que défavorables à sa cause, concernant le comportement trompeur de ses concurrents. Les avocats de Reliance ont admis à l’audience qu’ils avaient produit de 8 000 à 10 000 fichiers distincts se rapportant à 19 questions différentes – dont la moitié portent sur les tactiques de vente trompeuses alléguées de National Energy.

 

[35] Cependant, Reliance fait valoir qu’elle a besoin de plus de documents faisant état de plaintes de consommateurs parce qu’il est important pour elle de mesurer l’étendue du comportement trompeur pour pouvoir justifier d’un point de vue commercial ses politiques et sa défense.

 

[36] Il est évident que Reliance dispose déjà d’une pléthore de documents faisant état de plaintes relatives à National Energy, qu’elle a tirés de ses propres sources ou obtenus du Bureau d’éthique commerciale ou du gouvernement provincial. De plus, le commissaire a déjà produit des éléments d’information pertinents sur ce sujet et il en produira d’autres en établissant un résumé des renseignements émanant de tiers.

 

[37] En outre, le commissaire a déjà dit avoir des raisons de penser que certains des concurrents de Reliance ont eu un comportement trompeur. Cependant, les avocats de Reliance ont déclaré à l’instruction de la requête que [traduction] « cette question restera litigieuse tant que [le commissaire] n’aura pas admis que ce type de comportement sévit sur l’ensemble du marché, et que National Energy réalise toutes ses ventes de cette façon, de sorte que celles‑ci sont anti-concurrentielles ».

[38] Dans la présente demande, le commissaire de la concurrence allègue que Reliance s’est rendue coupable d’un abus de position dominante en appliquant un certain nombre de politiques différentes, dont sa politique de retour et les frais de résiliation. National Energy n’est pas partie à cette instance, où elle joue le rôle d’intervenante, et elle a déjà produit près de 69 625 documents. Le litige opposant National Energy et Reliance devant la Cour supérieure de justice ne sera pas transporté devant notre Tribunal.

 

[39] En outre, l’examen que Reliance a effectué sur une période de 15 semaines a permis de relever de 8 000 à 10 000 enregistrements sonores pertinents, ce qui représente de 2,2 % à 2,8 % environ du sous-ensemble des 360 000 documents sonores. Reliance a néanmoins produit la totalité de ces 360 000 enregistrements, malgré le fait que quelque 80 % d’entre eux n’ont pas été examinés. Cela illustre l’ampleur du travail en cause et le degré d’éléments pertinents à attendre d’un examen si vaste, qui n’a pas empêché Reliance de communiquer la totalité des 360 000 documents. Il est à noter que Reliance n’a pas dévoilé le montant des frais qu’elle a déboursés relativement à ses 15 semaines d’examen d’enregistrements sonores – ce que, bien sûr, elle n’était pas tenue de faire.

 

[40] Compte tenu des éléments susmentionnés, je conclus que la requête de Reliance contre le commissaire devrait être rejetée avec dépens, et je parviens à une conclusion semblable au sujet de sa requête contre National Energy.

 

[41] Il ressort de la preuve que National Energy ne dispose pas d’un système de mise en file d’attente des appels semblable à celui qu’emploie Reliance. Il appert que les plaintes de clients qui ne concernent pas une question de service ou d’entretien sont acheminées vers l’un des quelque 70 à 80 employés du centre d’appels de National Energy, et que l’on ne peut faire des recherches dans la base d’enregistrements de cette dernière en fonction de critères de contenu. National Energy a établi qu’un examen lui coûterait cher et que, selon toute probabilité, il causerait des délais.

 

[42] Il est évident que le principe de proportionnalité, si on l’applique en tenant compte des facteurs susmentionnés, joue aussi en faveur de National Energy. L’examen des enregistrements sonores exigerait de cette dernière des dépenses et un temps considérables – qui dépasseraient les limites de la proportionnalité. Vu les faits de l’espèce, il me paraît disproportionné d’obliger une intervenante à consacrer de trois à quatre mois, sur les sept qui restent avant le début de l’audience, ainsi que des dépenses très élevées, à la recherche de plaintes éventuelles dans une base d’enregistrements de conversations téléphoniques dans laquelle il est impossible de faire des recherches en fonction de critères de contenu.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ORDONNE CE QUI SUIT :

 

[43] Les requêtes de Reliance sont rejetées avec dépens.

 

 

FAIT à Ottawa, ce 13e jour de juin 2014.

SIGNÉ au nom du Tribunal par le président.

 

 

(s) Donald J. Rennie

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, traductrice


COMPARUTIONS :

 

Pour le demandeur

 

Le commissaire de la concurrence Jonathan Hood

Pour la défenderesse :

Reliance Comfort Limited Partnership Brendan Wong

Denes A. Rothschild Pour l’intervenante :

National Energy Corporation

 

Adam Fanaki Elisa Kearney Derek D. Ricci

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