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Tribunal de la Concurrence

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Competition Tribunal

Référence : Safa Enterprises Inc. c. Imperial Tobacco Company Limited, 2013 Trib. conc. 19

N° de dossier : CT-2013-007

N° de document du greffe : 23

DANS L’AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34, et ses modifications;

ET DANS L’AFFAIRE d’une demande de Safa Enterprises Inc., faisant affaire sous le nom de My Convenience Store, en vue d’obtenir une ordonnance fondée sur l’article 103.1 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34, et ses modifications, pour lui permettre de présenter une demande en vertu de l’article 76 de la Loi sur la concurrence.

ENTRE:

Safa Enterprises Inc.

(demanderesse)

et

Imperial Tobacco Company Limited

(défenderesse)

Competition Tribunal Seal / Sceau Tribunal de la Concurrence

Rendue en fonction du dossier de l’affaire Juge président : M. le juge Rennie

Date de l’ordonnance et des motifs : le 9 décembre 2013

Motifs et ordonnance signés par : Monsieur le juge Donald J. Rennie

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE


I.  INTRODUCTION

[1]  Safa Enterprises Inc. (la « demanderesse » ou « Safa ») sollicite la permission de présenter une demande en vertu de l’article 76 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34 (la « Loi »). Safa a également demandé par requête l’autorisation d’être représentée par son gérant, M. Adnan Mustafa.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de permission est rejetée.

II.  CONTEXTE

[3]  La demanderesse fait affaire sous le nom de My Convenience Store à Vancouver, en Colombie-Britannique. Elle vend divers produits, notamment des produits du tabac. La demanderesse s’approvisionne directement en produits du tabac auprès d’Imperial Tobacco Company Limited (la « défenderesse » ou « Imperial »), en vue de leur revente dans son magasin.

[4]  Imperial approvisionne également New Hasty Market, un autre dépanneur installé à proximité de la demanderesse. Imperial demande toutefois à New Hasty Market un prix moindre pour ses produits du tabac parce qu’il fait partie du [TRADUCTION] « Programme de prix préférentiels » (« PPP ») d’Imperial. Les prix des produits du tabac vendus au New Hasty Market sont par conséquent moins élevés que ceux de la demanderesse, qui affirme que cette situation lui a fait perdre des clients.

[5]  La demanderesse a tenté à diverses reprises de participer au PPP d’Imperial. Imperial a récemment informé la demanderesse qu’elle pouvait participer à son [TRADUCTION] « Programme à terme de bas prix » lui permettant d’obtenir des remises sur certaines marques. Toutefois, dans une lettre datée du 17 janvier 2013, Imperial a fait savoir à la demanderesse qu’elle n’était pas admissible à l’inscription au PPP.

[6]  Le 19 septembre 2013, Safa a sollicité la permission, en vertu de l’article 103.1 de la Loi, de présenter une demande fondée sur l’article 76, la disposition relative au maintien des prix. Elle a également demandé par requête l’autorisation d’être représentée par son gérant.

III.  REQUÊTE EN AUTORISATION D’ÊTRE REPRÉSENTÉE PAR UN DIRIGEANT

[7]  Safa a déposé sa requête en vertu de l’article 34 des Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/2008-141, et de l’article 120 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[8]  Dans un affidavit déposé au soutien de la requête, l’unique actionnaire et administratrice de la demanderesse, Mme Raina Adnan, explique que la demanderesse n’a pas les moyens de retenir les services d’un avocat. Des états financiers non vérifiés sont joints à l’affidavit. Mme Raina Adnan ajoute que son époux, M. Adnan Mustafa, a une formation commerciale et qu’il veillera à représenter l’entreprise avec professionnalisme à l’audience du Tribunal.

[9]  Parmi les facteurs servant à établir s’il convient d’accorder l’autorisation, figurent la capacité de l’entreprise de retenir les services d’un avocat, la complexité des questions juridiques en jeu, l’aptitude du représentant envisagé à s’acquitter promptement de la tâche et le fait que le représentant envisagé comparaîtra ou non à la fois à ce titre et comme témoin (The Commissioner of Competition c. Fabutan Corporation, 2005 Comp. Trib. 45).

[10]  La défenderesse ne s’est pas opposée à la requête de la demanderesse et, compte tenu des circonstances, il convient de faire droit à cette requête. Le Tribunal conclut qu’une preuve convaincante démontre que la demanderesse n’a pas les moyens de retenir les services d’un avocat et que M. Mustafa est en mesure de représenter celle-ci promptement et judicieusement.

IV.  DEMANDE DE PERMISSION DE PRÉSENTER UNE DEMANDE EN VERTU DE L’ARTICLE 76

[11]  Le paragraphe 103.1(7) de la Loi dispose :

Le Tribunal peut faire droit à une demande de permission de présenter une demande en vertu des articles 75 ou 77 s’il a des raisons de croire que l’auteur de la demande est directement et sensiblement gêné dans son entreprise en raison de l’existence de l’une ou l’autre des pratiques qui pourraient faire l’objet d’une ordonnance en vertu de ces articles.

The Tribunal may grant leave to make an application under section 75 or 77 if it has reason to believe that the applicant is directly and substantially affected in the applicants’ business by any practice referred to in one of those sections that could be subject to an order under that section.

[12]  Dans National Capital News Canada c. Milliken, 2002 Trib.conc. 41, le Tribunal a interprété le paragraphe 103.1(7) comme suit (au paragraphe 14) :

Par conséquent, me fondant sur le sens ordinaire des termes utilisés au paragraphe 103.1(7) de la Loi et sur la jurisprudence à laquelle je me suis reportée, je conclus que la norme appropriée en vertu du paragraphe 103.1(7) consiste à se demander si la demande de permission est appuyée par des éléments de preuve crédibles suffisants pour qu’on puisse croire de bonne foi que le demandeur a pu être directement et sensiblement gêné dans son entreprise à cause d’une pratique susceptible d’examen et que cette pratique pourrait faire l’objet d’une ordonnance.

[13]  La Cour d’appel fédérale a par la suite adopté ce critère dans l’arrêt Symbol Technologies Canada ULC. c. Barcode Systems Inc., 2004 CAF 339.

[14]  Dans la présente affaire, la demanderesse sollicite la permission de présenter une demande en vertu de l’article 76. Le Tribunal peut faire droit à cette demande si, aux termes du paragraphe 103.1(7.1), il « a des raisons de croire que l’auteur de la demande est directement gêné en raison d’un comportement qui pourrait faire l’objet d’une ordonnance en vertu du même article [76] ».

[15]  Bien que le paragraphe 103.1(7.1) soit d’un libellé différant quelque peu de celui du paragraphe 103.1(7), il ressemble suffisamment à celui-ci pour que les principes énoncés par la juge Dawson dans Milliken, précitée, lui soient applicables. J’en conclus qu’en application du paragraphe 103.1(7.1), le Tribunal doit établir si la demande de permission est appuyée par des éléments de preuve crédibles suffisants pour qu’on puisse croire de bonne foi que la demanderesse a pu être directement gênée en raison d’un comportement qui pourrait faire l’objet d’une ordonnance en vertu de l’article 76.

[16]  La question à trancher est celle de savoir s’il existe des éléments de preuve crédibles suffisants pour conclure qu’il y a des motifs raisonnables de croire que le comportement d’Imperial pourrait faire l’objet d’une ordonnance en vertu de l’article 76.

[17]  Aux fins de l’examen de la présente demande de permission, il faut prendre en considération tous les éléments de l’article 76 (voir l’arrêt Barcode, précité, aux paragraphes 18 et 19). Pour ce qui est par exemple de la nécessité d’un effet préjudiciable à la concurrence dans le marché, prévue à l’alinéa 76(1)b), l’auteur de la demande doit fournir certains éléments de preuve concernant l’effet du comportement sur la concurrence dans le marché, et le Tribunal doit prendre ces éléments en considération (voir l’arrêt Barcode, précité, au paragraphe 23). La charge de preuve au stade de la demande de permission est toutefois peu élevée.

[18]  Dans la présente affaire, la demanderesse affirme que la défenderesse a pris à son endroit une mesure discriminatoire au sens du sous-alinéa 76(1)a)(ii) :

76. (1) Sur demande du commissaire ou de toute personne à qui il a accordé la permission de présenter une demande en vertu de l’article 103.1, le Tribunal peut rendre l’ordonnance visée au paragraphe (2) s’il conclut, à la fois :

76. (1) On application by the Commissioner or a person granted leave under section 103.1, the Tribunal may make an order under subsection (2) if the Tribunal finds that

a) que la personne visée au paragraphe (3), directement ou indirectement :

(a) a person referred to in subsection (3) directly or indirectly

[…]

(ii) soit a refusé de fournir un produit à une personne ou catégorie de personnes exploitant une entreprise au Canada, ou a pris quelque autre mesure discriminatoire à son endroit, en raison de son régime de bas prix;

(ii) has refused to supply a product to or has otherwise discriminated against any person or class of persons engaged in business in Canada because of the low pricing policy of that other person or class of persons; and

b) que le comportement a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché.

(b) the conduct has had, is having or is likely to have an adverse effect on competition in a market.

[mes soulignements]

[emphasis added]

[19]  Une certaine controverse existe sur la question de savoir si l’article 76 impose à un demandeur de démontrer que son régime de bas prix est le seul motif du refus de fournir un produit ou de la mesure discriminatoire, ou s’il lui suffit de démontrer que, bien que de nombreuses causes immédiates justifient le refus ou la mesure, son régime est l’une de ces causes.

[20]  Il n’est pas nécessaire de trancher cette question à l’étape de la demande de permission, et si l’un quelconque des faits énoncés dans l’affidavit peut satisfaire aux exigences du sous-alinéa 76(1)a)(ii), par exemple quant à la preuve d’un lien entre la mesure discriminatoire et le régime de bas prix de la demanderesse, le bénéfice du doute doit jouer en faveur de la partie qui demande la permission (voir l’arrêt Barcode, au paragraphe 27). En l’espèce, la demanderesse a joint à sa demande des lettres que la défenderesse lui a envoyées, qui ne permettent pas de comprendre clairement pourquoi la demanderesse ne satisfaisait pas aux conditions d’admissibilité.

[21]  Certains éléments de preuve font voir que Safa a offert à bas prix dans le passé les produits du tabac de la défenderesse. Dans un courriel daté du 14 novembre 2012 et adressé à M. Rob Laing, le représentant des comptes d’Imperial auprès de la demanderesse, M. Mustafa a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

Comme nous l’avons mentionné lors de votre visite, les prix que nous demandions pour les produits du tabac d’Imperial étaient déjà parmi les plus bas à Vancouver. [...] Notre voisin [...] a pour politique de vendre les produits à notre prix coûtant, ou à un prix inférieur au prix coûtant, pour nous forcer à cesser nos activités et nous croyons qu’Imperial Tobacco le soutient ou l’aide indirectement en ce sens vu que nous sommes en concurrence directe.

[22]  Monsieur Mustafa déclare également ce qui suit au paragraphe 48 de son affidavit :

[TRADUCTION]

Le comportement d’[Imperial], quant au régime de bas prix, a eu, a et aura pour effet de nuire au commerce de [la] demanderesse et à la concurrence dans le marché.

[23]  La demanderesse explique dans sa réplique, au paragraphe 47, qu’elle a dû réduire ses prix, au prix coûtant ou à un prix inférieur au prix coûtant, [TRADUCTION] « parce que [son] concurrent direct a pu participer au PPP » :

[TRADUCTION]

En ce qui concerne le régime de bas prix de la demanderesse, [Safa] veut maintenir le prix des produits d’[Imperial] plus bas que celui offert par son concurrent direct (NHM) afin d’augmenter le volume de ses ventes, mais cela ne peut pas être fait si le coût d’acquisition [pour Safa] des produits d’[Imperial] est égal ou supérieur au prix de vente de ces produits par NHM. Les prix offerts par [Safa] pour les produits, notamment du tabac, d’autres entreprises sont parmi les plus bas à Vancouver.

[24]  Toutefois, c’est le régime de bas prix de l’auteur de la demande de permission, et non d’Imperial, qui importe au stade actuel. Le régime de la demanderesse, précédemment décrit, n’est pas celui que le législateur avait à l’esprit en rédigeant l’article 76 de la Loi. Le préjudice que cette disposition vise à réparer serait (pour l’illustrer par notre affaire) celui découlant le refus d’Imperial d’approvisionner Hasty New Market parce que celle-ci revend ses produits à un prix auquel elle s’objecte.

[25]  Compte tenu des circonstances, bien que le Tribunal soit conscient de la situation difficile de la demanderesse, il conclut qu’au vu du dossier dont il dispose, il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que le comportement d’Imperial pourrait faire l’objet d’une ordonnance en vertu de l’article 76. La demande sera par conséquent rejetée.

[26]  La demande sera toutefois rejetée sous réserve de tout droit.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ORDONNE CE QUI SUIT :

[27]  La requête de la demanderesse sollicitant l’autorisation d’être représentée par un dirigeant est accueillie.

[28]  La demande de permission de présenter une demande en vertu de l’article 76 est par la présente rejetée, sans frais et sous réserve de tout droit.

FAIT à Ottawa, ce 9e jour de décembre 2013.

SIGNÉ au nom du Tribunal par son président.

(s) Donald J. Rennie

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COMPARUTIONS

Pour la demanderesse

Safa Enterprises Inc.

Adnan Mustafa

Pour la défenderesse

Imperial Tobacco Company Limited

Michelle Lally

Adam Hirsh

 

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