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Tribunal de la Concurrence

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Competition Tribunal

TRADUCTION OFFICIELLE

 

Référence : Commissaire de la concurrence c. Air Canada et autres, 2012 Trib. conc. 21

No de dossier : CT-2011-004

No de document du greffe : 176

 

DANS L’AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, dans sa version modifiée;

 

ET DANS L’AFFAIRE du projet de coentreprise transfrontalière entre Air Canada et United Continental Holdings, Inc.;

 

ET DANS L’AFFAIRE de l’« Accord de coopération en matière de commercialisation » entre Air Canada et United Air Lines, Inc.;

 

ET DANS L’AFFAIRE de l’« Accord en vue de l’expansion de l’alliance stratégique entre Air Canada et United Air Lines, Inc. »;

 

ET DANS L’AFFAIRE de l’« Accord d’alliance stratégique Air Canada/Continental » entre Air Canada et Continental Airlines Inc.;

 

ET DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par le commissaire de la concurrence en vue d’obtenir une ou plusieurs ordonnances fondées sur les articles 90.1 et 92 de la Loi sur la concurrence

 

E N T R E :

 

Competition Tribunal Seal / Sceau du Tribunal de la concurrence Le commissaire de la concurrence

(demandeur)

 

et

Air Canada, United Continental Holdings Inc.,

United Airlines Inc et Continental Airlines Inc.

(défenderesses)

et

WestJet (partenariat de l’Alberta)

(intervenante)

 

 

Date de l’audience : le 7 septembre 2012

Juge présidant : le juge Rennie (président)

Date des motifs et de l’ordonnance : le 14 septembre 2012

Motifs et ordonnance signés par : M. le juge Rennie (président)

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE CONCERNANT LA TENEUR DES RENSEIGNEMENTS VISÉS PAR LA COMMUNICATION PRÉALABLE QUE DOIT FOURNIR LE COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

 

[1] Les défenderesses ont présenté une requête conjointe en vue de contraindre le commissaire de la concurrence à répondre aux engagements, refus et questions dont les réponses ont été différées auxquels il n’a pas été donné suite. Elles sollicitent également une ordonnance modifiant l’ordonnance du 6 mars 2012 établissant un calendrier. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal rendra une ordonnance enjoignant au commissaire de répondre à l’une des 21 questions contestées.

 

I. LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[2] La première question soulevée par la présente requête porte sur la mesure dans laquelle les renseignements communiqués au Bureau de la concurrence (le « Bureau ») par des organismes gouvernementaux canadiens ou étrangers au cours de l’enquête qu’il a menée sont protégés par le privilège d’intérêt public. La deuxième, est celle de savoir si les renseignements que le Bureau a recueillis au cours de son enquête auprès de tiers, dont WestJet — intervenante dans la présente instance —, peuvent également bénéficier d’un privilège de non-divulgation au cours des interrogatoires préalables. La dernière question que le Tribunal doit trancher est celle de savoir si le commissaire a mal répondu ou a refusé à tort de répondre à certaines questions concernant les gains d’efficacité et la concurrence que l’avocat de la défenderesse lui a posées lors des interrogatoires préalables.

 

I. L’ANALYSE

 

Première question : Le privilège d’intérêt public et les organismes gouvernementaux/de réglementation

 

[3] La Cour d’appel fédérale et le Tribunal de la concurrence ont reconnu l’existence d’une catégorie de documents, créés ou recueillis cours d’une enquête du Bureau de la concurrence, qui sont protégés par le privilège d’intérêt public et qui ne doivent pas être communiqués au cours de l’enquête préalable (voir, par ex., Directeur des enquêtes et recherches c. D & B. Companies of Canada Ltd. (1994), 58 C.P.R. (3d) 353, [1994] A.C.F. no 1643, autorisation d’appel à la CSC refusée, 24423 (21 novembre 1994), et Commissioner of Competition v. United Grain Growers Ltd., 2002 Comp. Trib. 35). Dans sa jurisprudence antérieure, le Tribunal a examiné le concept du privilège d’intérêt public à la lumière de renseignements recueillis auprès de plaignants et de participants du marché lors des enquêtes du Bureau. Depuis, le Tribunal a jugé que les renseignements recueillis auprès d’organismes gouvernementaux bénéficient également d’un privilège de non-divulgation au cours des interrogatoires préalables, étant donné que le litige portait sur la communication de ces renseignements (voir United Grain Growers).

 

[4] Les défenderesses soutiennent que les détails des conversations que le Bureau a pu avoir avec Transports Canada, le ministère américain des Transports, le ministère américain de la Justice et tout autre organisme de réglementation canadien ou étranger devraient être communiqués parce que rien dans les circonstances ne justifie l’application du privilège. Plus précisément, contrairement aux concurrents, distributeurs et fournisseurs qui risquent de faire l’objet de mesures de représailles s’il est révélé qu’ils ont parlé au Bureau, les autorités de réglementation sont à l’abri de ce risque.

 

[5] J’estime, comme le juge Lemieux dans la décision United Grain Growers, que le fait de limiter la protection conférée par le privilège d’intérêt public aux seuls renseignements recueillis auprès de ceux qui craignent des représailles restreindrait trop la raison d’être du privilège. La raison d’être du privilège vise aussi la non-divulgation de renseignements, sous réserve des contraintes découlant de leur utilisation lors de l’audience, afin d’encourager ceux qui ont des renseignements à communiquer à être francs et sincères dans leurs discussions avec le Bureau (voir United Grain Growers, au para 60). La raison d’être du privilège repose en partie sur l’importance que l’on accorde à la nature la relation entre les parties (voir les quatre conditions énoncées par Wigmore pour que des communications soient visées par un privilège et qu’on ne puisse les divulguer : [traduction] « (1) Les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées; (2) le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des relations entre les parties; (3) les relations doivent être de la nature de celles qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenues assidûment; (4) le préjudice permanent que subiraient les relations par la divulgation des communications doit être plus considérable que l’avantage à retirer d’une juste décision » (cités dans l’arrêt Slavutych c. Baker et autres, [1976] 1 R.C.S. 254, p. 260). Retenir l’argument des défenderesses reviendrait à appliquer le privilège uniquement dans la mesure où le Tribunal estimerait qu’une partie risque d’être victime d’intimidation ou d’être lésée. Il s’agit d’une thèse nouvelle à laquelle je n’adhère pas.

 

[6] Les défenderesses ont cependant le droit d’obtenir du commissaire, avant les interrogatoires préalables, un résumé complet qui fait la synthèse des renseignements recueillis auprès de tiers, favorables ou non à la position du commissaire (voir, par ex., Directeur des enquêtes et recherches c. Canadien Pacifique Ltée. (1997), 78 C.P.R. (3d) 421, [1997] D.T.C.C. no 42, et Commissaire de la concurrence c. Toronto Real Estate Board, 2012 Trib. conc. 8). En l’espèce, les défenderesses ont reçu un résumé des renseignements recueillis auprès de tiers et un résumé actualisé des renseignements recueillis auprès de tiers (collectivement, les « résumés »).

 

[7] Bien que, dans certains cas bien précis, un intérêt concurrent plus impérieux puisse l’emporter sur le privilège d’intérêt public, j’estime que les défenderesses n’ont pas satisfait à la norme exigeante qui s’applique (voir Commissioner of Competition v. Sears Canada Inc., 2003 Comp. Trib. 19, et United Grain Growers, au para 51). L’argument qu’elles invoquent se fonde essentiellement sur le caractère inadéquat des résumés, qui comportent, à leur avis [traduction] « de graves lacunes ».

 

[8] Il m’apparaît que le point central de la requête des défenderesses est le caractère inadéquat des résumés du commissaire, mais j’estime que de telles lacunes ne permettent pas à elles seules de l’emporter sur l’intérêt qu’a le public à la protection des renseignements demandés. La question de savoir si un autre facteur peut avoir préséance sur le privilège d’intérêt public est, dans le cas qui nous occupe, théorique, étant donné que les défenderesses n’ont démontré, ni dans leur dossier ni lors des débats, l’existence de défauts, d’éléments inadéquats ou de lacunes qui permettraient de remettre en question le caractère adéquat des résumés. De plus, si les défenderesses croyaient que des renseignements normalement communiqués avaient été irrégulièrement exclus de ces résumés, il leur était loisible de demander au Tribunal de faire le nécessaire pour qu’un juge qui ne fait pas partie de la formation désignée pour ce dossier examine les documents et les résumés pour s’assurer de leur caractère adéquat et de l’exactitude de ces derniers. Or, aucune demande de ce genre n’a été présentée.

 

[9] Dans ces conditions, le commissaire n’est pas tenu de donner suite aux [traduction] « Questions auxquelles le commissaire a refusé de répondre en raison du privilège d’intérêt public/article 29 relatif aux organismes de réglementation » figurant à l’annexe B soumise par l’avocat des défenderesses lors de l’instruction de la requête conjointe.

 

Deuxième question : Le privilège d’intérêt public et WestJet et autres

 

[10] WestJet a obtenu l’autorisation d’intervenir le 20 octobre 2011 et, après avoir signifié un affidavit de documents aux parties, un de ses représentants a été contre-interrogé conformément à l’ordonnance par laquelle le Tribunal l’avait autorisée à intervenir (Commissaire de la concurrence c. Air Canada, 2011 Trib. conc. 21). WestJet a transmis aux défenderesses tous les documents qu’elle avait fournis au Bureau au cours de l’enquête qu’il avait menée, de sorte que l’audition de la requête conjointe des défenderesses ne visait donc que le commissaire.

 

[11] Dans leur requête conjointe, les défenderesses sollicitent une ordonnance visant à contraindre le commissaire à produire toutes les notes d’entrevue et les autres notes relatives à des entrevues ou à d’autres communications intervenues entre WestJet et le Bureau, ainsi qu’un dossier judiciaire mis sous scellés. Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce et en particulier de la quantité de renseignements qui ont déjà été communiqués aux défenderesses en ce qui concerne WestJet, les défenderesses n’ont pas démontré en l’espèce qu’un intérêt concurrent plus impérieux l’emporte sur le privilège d’intérêt public. Aucune autre mesure n’est donc nécessaire en ce qui concerne les questions A-16 et A-22.

 

[12] Les préoccupations que les défenderesses peuvent avoir au sujet du caractère adéquat des résumés soumis par le commissaire au sujet de WestJet devraient, comme l’a souligné l’avocat des défenderesses lors de l’instruction de la requête conjointe, être soumises par la voie d’une requête demandant au Tribunal de faire le nécessaire pour s’assurer qu’un juge qui ne fait pas partie de la formation désignée pour ce dossier examine les documents et les résumés.

 

[13] La question A-14, qui demande au commissaire de [traduction] « préciser à quel moment le Bureau a parlé pour la première fois de la présente affaire avec WestJet et d’indiquer si la discussion initiale était l’initiative du Bureau ou de WestJet », concerne la façon dont le commissaire a mené son enquête. Les défenderesses n’ont pas démontré la pertinence de cette question (voir la décision Director of Investigation and Research v. Southam Inc. (1991), 38 C.P.R. (3d) 68, à la page 73).

 

[14] Les renseignements demandés à la question U-8 ([traduction] « Préciser les renseignements que le Bureau affirme ne pouvoir communiquer au sujet de Porter et produire tous les renseignements recueillis auprès de Porter »), à la question R-40-42 ([traduction] « Produire les documents et les communications sous quelque forme que ce soit fournis par des contacts commerciaux ») et à la question R-114-115 ([traduction] « Produire les lettres envoyées par des membres du public ») sont protégés par le privilège d’intérêt public et ne peuvent être communiqués au cours des interrogatoires préalables. La commissaire affirme que tous les renseignements pertinents, y compris ceux fournis par Porter, se trouvent dans les résumés. Je suis conscient qu’il peut être difficile d’obtenir des éléments de preuve démontrant le caractère inadéquat ou l’omission de certains points en vue de contester les résumés; or, les défenderesses n’ont mentionné aucun type de preuve qui pourrait logiquement être présent compte tenu de la nature du dossier et des questions en litige. La comparaison avec le résumé produit par WestJet fait ressortir certaines différences quant à la teneur des renseignements communiqués, sans toutefois démontrer que ces différences sont significatives. Là encore, il était loisible aux défenderesses de demander qu’un juge examine le caractère adéquat et l’exactitude des résumés.

 

[15] S’agissant de la question A-33, qui vise à obtenir des renseignements au sujet de l’examen, par le Bureau, du fusionnement A++, je conclus que le commissaire devrait répondre à cette question, qui se rapporte à la présente instance. De plus, la production d’un résumé, comme dans le cas d’autres renseignements pertinents recueillis par le Bureau au cours de son enquête, ne compromettrait pas le privilège d’intérêt public.

 

Troisième question : Autres questions

 

[16] Il y a lieu d’établir une distinction entre les questions relatives à la position que le commissaire se propose d’adopter et les questions relatives aux faits sur lesquels repose cette position. Dans la décision Canada (Director of Investigation and Research) v. NutraSweet Co., [1989] C.C.T.D. no 54 (QL), le Tribunal a jugé que [traduction] « lors de la communication préalable, ce sont les faits qui doivent être communiqués, et non la conclusion que, selon la thèse défendue par l’une ou l’autre partie, les faits en question commandent ». La partie qui interroge a le droit de poser des questions pertinentes fondées sur les actes de procédure, mais elle n’a pas le droit de chercher à obtenir une opinion sur les questions économiques (Director of Investigation and Research v. Washington (1996), 70 C.P.R. (3d) 317).

 

[17] La conclusion concernant la présence ou l’absence de concurrence réelle sur des liaisons transfrontalières spécifiques est une conclusion qui, bien que fondée sur les faits, sera probablement tirée au moyen de preuves d’experts (Southam, à la page 76). Les questions concernant les obstacles à l’entrée et l’existence d’une entrée réelle dans le passé relativement aux liaisons transfrontalières sont également complexes. Dans la mesure où le commissaire a déjà communiqué tous les faits se rapportant à ces questions — comme il était tenu de le faire —, il ne sera pas tenu de donner suite aux questions U-22, U-35, A-34 et A‑44.

[18] Je conviens avec le commissaire que les questions U-37 et U-39, qui lui demandent de préciser [traduction] « quels gains d’efficacité “ne sont pas réels” et pourquoi » et d’indiquer [traduction] « les gains d’efficacité qui ont déjà été réalisés grâce aux aspects non anti-concurrentiels des accords d’alliance stratégique et de la coentreprise transfrontalière », obligent les défenderesses à fournir de nouveaux renseignements au sujet des gains d’efficacité. Ces renseignements seront communiqués au commissaire à un stade ultérieur de la procédure, conformément aux principes régissant les fardeaux de preuve en matière de gains d’efficacité, et ils feront l’objet de rapports et de témoignages d’experts. Aucune autre mesure n’est nécessaire en ce qui concerne ces questions.

 

PAR CONSÉQUENT, POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ORDONNE CE QUI SUIT :

 

[19] Le commissaire de la concurrence est tenu de répondre à la question A-33 au plus tard le 21 septembre 2012.

 

[20] Les dépens suivront l’issue de la cause.

 

 

 

FAIT à Montréal, ce 14e jour de septembre 2012.

SIGNÉ au nom du Tribunal par le président.

 

(s) Donald J. Rennie

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


 

COMPARUTIONS :

 

Pour le demandeur :

 

Le commissaire de la concurrence Jonathan Hood

Nicholas Cartel

 

Pour les défenderesses :

 

Air Canada

 

Eliot N. Kolers Mark E. Walli James Wilson

 

United Continental, Inc., United Air Lines, Inc., Continental Airlines, Inc. Randall Hofley

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