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Tribunal de la Concurrence

Canada Coat of Arms / Armoiries du Canada

Competition Tribunal

VERSION PUBLIQUE

TRADUCTION OFFICIELLE

Référence : La commissaire de la concurrence c. CCS Corporation et autres, 2012 Trib. conc. 14

N° de dossier : CT-2011-002

N° de document du greffe : 223

DANS L’AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34, modifiée;

ET DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par la commissaire de la concurrence en vue d’obtenir une ordonnance fondée sur l’article 92 de la Loi sur la concurrence;

ET DANS L’AFFAIRE de l’acquisition de Complete Environmental Inc. par CCS Corporation

ENTRE :

La commissaire de la concurrence

(demanderesse)

et

CCS Corporation, Complete Environmental Inc., Babkirk Land Services Inc., Karen Louise Baker, Ronald John Baker, Kenneth Scott Watson, Randy John Wolsey et Thomas Craig Wolsey

(défendeurs)

Competition Tribunal Seal / Sceau Tribunal de la Concurrence

Dates des audiences : 16–18 nov., 22–25 nov., 29 nov.-2 déc. et 13–14 déc. 2011

Membres : Madame la juge S. Simpson (présidente), Monsieur le juge en chef P. Crampton et

M. W. Askanas

Date des motifs et de l’ordonnance : 29 mai 2012

Motifs et ordonnance signés par : Madame la juge S. Simpson (présidente), Monsieur le juge en chef P. Crampton et M.W. Askanas

Motifs concordants signés par : Monsieur le juge en chef P. Crampton

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE


TABLE DES MATIÈRES

PARAGRAPHE

  1. Résumé5

  2. Introduction 6

  3. Les parties7

  4. Les thèses des parties9

La commissaire 9

Les défendeurs  9

  1. La preuve 10

  2. Les faits concernant l’industrie 10

L’élimination aux sites d’enfouissement sécuritaires  11

La biorestauration – Méthode  13

  1. Les questions en litige 14

Première question - L’acquisition de Complete par CCS constitue-t-elle un fusionnement?  15

Deuxième question - En quoi consiste la dimension du produit du marché pertinent?  17

L’analyse   17

La preuve sur le recours à la restauration  19

La preuve sur le stockage et la gestion des risques  26

Les conclusions sur le marché du produit 27

Troisième question - En quoi consiste la dimension géographique du marché pertinent?  28

La région contestable  29

Tout le NECB   31

Le polygone de Babkirk  35

Quatrième question - Le fusionnement est-il proconcurrentiel?  36

Cinquième question - Quel est le cadre analytique dans un cas d’empêchement de la concurrence?  37

Sixième question - L’empêchement de la concurrence est-il sensible?  38

  1. L’analyse fondée sur l’« absence hypothétique » 38

Introduction  38

Premier scénario – La vente de Complete à SES 40

Deuxième scénario – Les vendeurs exploitent Babkirk  46

Les documents des vendeurs  47

Les DAR  52

Le plan d’exploitation  54

L’installation Babkirk allait-elle concurrencer CCS?  56

Conclusions  58

  1. Quels sont les facteurs d’évaluation pertinents? 63

  1. Conclusions 67

Septième question - Dans les cas où est invoquée la défense fondée sur les gains en efficience, quel est le fardeau de preuve qui incombe à la commissaire et au défendeur?  68

Huitième question - CCS a–t-elle réussi à établir le bien-fondé de sa défense fondée sur les gains en efficience?  74

Quels sont les gains en efficience allégués?  74

L’évaluation des gains en efficience allégués  78

Quels sont les effets pour les besoins de l’article 96 de la Loi?  84

Les gains en efficience admissibles surpassent-ils et neutralisent-ils les effets?  92

Neuvième question - Quelle est la mesure de redressement appropriée – la dissolution ou le dessaisissement?  94

  1. Les dépens 99

  2. L’ordonnance100

  3. Annexes : 101

Annexe « A » – Carte indiquant les sites d’enfouissement sécuritaire

Annexe « B » – La preuve

Annexe « C » – Carte du NECB, de la région contestable et du polygone de Babkirk

  1. Les motifs concordants de Monsieur le juge en chef P. Crampton 106

  1. L’acquisition de Complete par CCS constitue-t-elle un fusionnement? 106

  2. La définition du marché 109

  3. Le cadre analytique dans une affaire portant sur l’empêchement de la concurrence 110

  4. Les situations où les gains en efficience peuvent être pris en considération 117

  5. La défense fondée sur les gains en efficience 118

  1. Le cadre conceptuel 118

  2. Les effets socialement défavorables 119

  3. Les effets non quantifiables ou qualitatifs 123


I.  RÉSUMÉ

[1]  Le Tribunal juge, suivant la prépondérance des probabilités, que le fusionnement aura vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence sur le marché à l’égard de la fourniture de services d’enfouissement sécuritaires pour les déchets dangereux solides des producteurs gaziers et pétroliers dans un marché géographique qui correspond, minimalement, à la région que M. Kahwaty, témoin-expert de CCS, a qualifié de [TRADUCTION]« région contestable ».

[2]  Le Tribunal conclut que CCS est un monopoleur dans le marché géographique et qu’elle exerce une importante puissance commerciale que le fusionnement lui permet de maintenir.

[3]  Quoique M. Baye, témoin-expert de la commissaire, ait affirmé que la baisse vraisemblable des prix pourrait varier considérablement en l’absence du fusionnement, le Tribunal conclut que le fusionnement a pour effet d’empêcher une baisse d’au moins 10 % des redevances moyennes pour déversement.

[4]  L’entrée sur le marché n’est pas réalisée sans un investissement important de temps et sans incertitude. Le Tribunal conclut qu’il faudrait vraisemblablement consacrer un minimum de trente mois pour entrer effectivement sur le marché, à compter de la sélection du site jusqu’à ce que la construction soit terminée et qu’un site d’enfouissement sécuritaire puisse être exploité dans le marché pertinent.

[5]  Le Tribunal juge également qu’en l’absence du fusionnement, les vendeurs n’auraient probablement pas vendu l’installation Babkirk au cours de l’été 2010, mais l’auraient exploitée eux-mêmes et auraient terminé la construction d’un nouveau site d’enfouissement sécuritaire d’une capacité de 125 000 tonnes, au plus, en octobre 2011. Ce site d’enfouissement sécuritaire aurait probablement été exploité à titre de complément de l’entreprise de biorestauration des vendeurs jusqu’en octobre 2012 au plus tard.

[6]  Le Tribunal conclut également que l’entreprise de biorestauration des vendeurs n’aurait probablement pas été rentable et qu’en octobre 2012, les vendeurs auraient probablement modifié leur plan d’affaires de manière à ce que l’accent soit principalement mis sur la partie de leur entreprise consacrée à l’enfouissement sécuritaire ou ils auraient vendu l’installation Babkirk à un exploitant de sites d’enfouissement sécuritaires. Dans les deux cas, les activités exercées à l’installation Babkirk auraient été en saine concurrence avec le site d’enfouissement sécuritaire Silverberry de CCS. C’est l’empêchement de cette concurrence attribuable au fusionnement qui constitue vraisemblablement un empêchement sensible la concurrence.

[7]  Les gains en efficience allégués par CCS ne répondent pas aux exigences de l’article 96 de la Loi.

[8]  Le dessaisissement constitue une mesure de redressement appropriée et il s’agit de l’option la moins attentatoire.

[9]  La demande est accueillie. Le Tribunal ordonne à CCS de se départir des actions ou des éléments d’actif de BLS.

[10]  Au terme de son examen des faits de l’espèce, les conclusions du Tribunal étaient fondées sur une analyse de la probabilité que les événements en cause se produisent.

II.  INTRODUCTION

[11]  La commissaire de la concurrence (la « commissaire ») sollicite une ordonnance fondée sur l’article 92 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34, modifiée (la « Loi »), visant à dissoudre l’opération par laquelle CCS CorporationCCS ») a acquis les actions de Complete Environmental Inc. (« Complete ») et la propriété de sa filiale à cent pour cent, Babkirk Land Services Inc. (« BLS »), le 7 janvier 2011 (le « fusionnement »). Subsidiairement, la commissaire sollicite une ordonnance de dessaisissement enjoignant à CCS de se départir des actions ou des éléments d’actif de BLS de la manière qu’ordonnera le Tribunal.

[12]  Dans sa demande (la « demande »), la commissaire allègue que le fusionnement aura vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence sur le marché des services d’élimination de déchets dangereux dans le nord-est de la Colombie-Britannique (le « NECB ») parce que Complete était, à la date du fusionnement, une entité prête à faire son entrée sur le marché vu qu’elle avait obtenu les approbations réglementaires requises pour exploiter un site d’enfouissement sécuritaire pour déchets dangereux solides sur un site situé au point milliaire 115, Route de l’Alaska, à Wonowon en C.-B. (le « site Babkirk »).

[13]  Dans l’attente de la décision que rendra le Tribunal en l’espèce, CCS s’est engagée à prendre les mesures nécessaires pour que les approbations, les enregistrements, les consentements, les licences, les permis, les certificats et les autres autorisations nécessaires à l’exploitation d’une installation d’élimination de déchets dangereux (l’« installation Babkirk » ou « Babkirk ») sur le site Babkirk. Les autres actifs et entreprises de Complete n’étaient pas visés par cet engagement.

III.  LES PARTIES

[14]  La commissaire est la fonctionnaire chargée de la mise en application de la Loi.

[15]  CCS est une société privée d’élimination écologique d’énergie et de déchets. Ses clients sont principalement des producteurs pétroliers et gaziers de l’Ouest canadien. CCS est la propriétaire des deux seuls sites d’enfouissement sécuritaires exploités dans le NECB à qui il est permis d’accepter les déchets dangereux solides. Le premier est le site d’enfouissement sécuritaire Silverberry (« Silverberry »). Il a ouvert ses portes en 2002 et est situé à environ 50 km au nord-ouest de Fort St. John. L’autre, le site d’enfouissement sécuritaire Northern Rockies (« Northern Rockies »), a ouvert ses portes en 2009 et est situé à environ 340 km au nord-ouest de Silverberry, environ 260 km du site Babkirk et environ 20 km au sud de Ft. Nelson. CCS exploite également plusieurs types de sites d’enfouissement sécuritaires en Alberta et en Saskatchewan et possède une entreprise distincte de gestion des déchets qui porte le nom de Hazco Waste Management (« Hazco »). L’annexe « A » jointe aux présents motifs est une carte indiquant les emplacements des sites d’enfouissement pertinents dans le cadre de la présente demande.

[16]  BLS a été fondée par Murray et Kathy Babkirk en 1996 (les « Babkirks »). BLS a exploité une installation qui n’était pas un site d’enfouissement sécuritaire. Elle détenait un permis pour le traitement et le stockage à court terme de déchets dangereux sur le site Babkirk de 150 acres (approximativement). Ce site se situe à environ 81 km, ou à une distance d’une heure et demie en voiture, au nord-ouest de Silverberry. Les Babkirk ont exploité leur installation pendant environ six ans grâce à un permis délivré par le ministère de l’Environnement (« ME ») de la Colombie-Britannique en 1998. Ils ont toutefois cessé d’accepter les déchets en 2004. Deux ans plus tard, les Babkirk ont retenu les services de SNC Lavalin (« SNCL ») pour préparer les documents dont BLS avait besoin pour les demandes de permis nécessaires à la construction d’un site d’enfouissement sécuritaire capable d’accepter des déchets solides et dangereux sur le site Babkirk.

[17]  Les défendeurs désignés personnellement sont les anciens actionnaires de Complete qui ont vendu leurs actions à CCS dans le cadre du fusionnement. Karen et Ron Baker sont mariés et Ken Watson est leur gendre. Tom Wolsey est le père de Randy Wolsey. Le terme « vendeurs » désignera collectivement les anciens actionnaires. Tous les vendeurs, sauf Tom Wolsey, ont témoigné pendant la présente instance.

[18]  En novembre 2006, Randy Wolsey, agissant en son nom et au nom d’autres défendeurs nommément désignés, a négocié une entente à l’amiable avec les Babkirk pour l’acquisition des actions de BLS. L’entente était subordonnée à l’obtention, par BLS, de l’approbation nécessaire pour le site d’enfouissement sécuritaire auprès du Bureau des évaluations environnementales (le « BEE »). En avril 2007, les vendeurs ont constitué Complete (initialement appelée Newco) en personne morale, laquelle devait être l’entreprise qui ferait éventuellement l’acquisition des actions de BLS. Après de vastes consultations et un examen poussé, le BEE a délivré un certificat (le « certificat d’évaluation environnementale ») à BLS le 3 décembre 2008. Quatre mois plus tard, en avril 2009, Complete a fait l’acquisition de toutes les autres actions de BLS et est devenue une filiale à cent pour cent de Complete. Par la suite, le 26 février 2010, BLS a reçu du ME un permis autorisant la construction d’un site d’enfouissement sécuritaire, d’une capacité de stockage de 750 000 tonnes, comportant une installation de stockage et de traitement d’une capacité de 90 000 tonnes (le « permis délivré par le ME »).

[19]  À la date du fusionnement, Complete avait d’autres intérêts commerciaux. Elle exploitait des sites municipaux d’enfouissement de déchets solides pour le district régional de Peace River ainsi qu’une station de transfert des déchets solides. En outre, elle était propriétaire d’une entreprise de location de bennes amovibles (l’« entreprise de bennes amovibles »). Depuis le fusionnement, Hazco exploite ces entreprises.

[20]  CCS, Complete et BLS seront collectivement désignées les « sociétés défenderesses ».

IV.  LES THÈSES DES PARTIES

A.  La commissaire

[21]  La commissaire allègue que dans la mesure où CCS est propriétaire des deux seuls sites d’enfouissement sécuritaires pour les déchets dangereux solides en exploitation dans le NECB, elle détient un monopole et a la puissance commerciale correspondante qui lui permet d’exercer de la discrimination par le prix entre différents clients et d’établir les prix pour l’élimination des déchets dangereux au-dessus du niveau concurrentiel. Ces prix portent le nom de « redevances de déversement ».

[22]  La commissaire allègue que Complete était prête à faire son entrée sur le marché des services d’enfouissement sécuritaire dans le NECB et qu’il était probable que la concurrence entre Complete et CCS provoque une diminution des redevances moyennes de déversement dans le NECB d’au moins 10 %. Subsidiairement, la commissaire allègue que les vendeurs auraient vendu Complete à un acheteur qui aurait exploité un site d’enfouissement sécuritaire faisant concurrence à CCS. Enfin, selon la commissaire, les gains en efficience associés au fusionnement seront probablement minimes.

B.  Les défendeurs

[23]  Les vendeurs prétendent que la vente de Complete ne constituait pas un fusionnement au sens de la Loi parce qu’aucune entreprise n’était exploitée au site Babkirk. Ils nient également que (i) Complete était prête à faire son entrée sur le marché de l’élimination directe des déchets dangereux dans un site d’enfouissement sécuritaire et (ii) qu’en l’absence du fusionnement, un autre acheteur aurait acquis Complete et exploité un site d’enfouissement sécuritaire. Les défendeurs soutiennent que si les vendeurs n’avaient pas vendu Complete à CCS, ils auraient probablement procédé au traitement des déchets dangereux à l’installation Babkirk à l’aide d’une technique appelée biorestauration. En plus de ce type de traitement, il aurait fallu compter sur une demi-cellule (125 000 tonnes) d’enfouissement sécuritaire. Le site d’enfouissement sécuritaire aurait uniquement été utilisé pour entreposer les faibles quantités de déchets dangereux qu’il n’aurait pas été possible de traiter, et n’aurait pas permis d’établir une saine concurrence avec CCS à l’égard de la fourniture de services d’enfouissement sécuritaire.

[24]  Les sociétés défenderesses contestent l’interprétation que la commissaire fait du comportement de CCS relatif aux prix et sa prédiction des effets anticoncurrentiels auxquels le fusionnement, avance-t-elle, donnerait vraisemblablement lieu. Elles allèguent entre autres que l’analyse de la définition du marché est fondamentalement erronée et que la région dans laquelle il pourrait y avoir de la concurrence entre les installations Babkirk et Silverberry se limite, au mieux, à la très petite [TRADUCTION] « région potentiellement contestable » qu’a établie le témoin-expert de CCS, M. Kahwaty (la « région contestable »).

[25]  Les sociétés défenderesses font également valoir que les gains en efficience qui découleront vraisemblablement du fusionnement surpasseront et neutraliseront les effets de l’empêchement de la concurrence qui résulteront du fusionnement. Elles font également valoir que la commissaire ne s’est pas acquittée de son fardeau de quantifier la perte sèche dans le cadre de sa preuve principale. Par conséquent, elles disent que le Tribunal devrait conclure que le fusionnement n’entraînera vraisemblablement pas d’effets quantifiables.

[26]  Enfin, les défendeurs font tous valoir que s’il doit y avoir un redressement, celui-ci devrait être le dessaisissement plutôt que la dissolution.

V.  LA PREUVE

[27]  L’annexe « B » jointe aux présents motifs donne la liste des témoins entendus pour le compte de chacune des parties ainsi que la description de la preuve documentaire.

VI.  LES FAITS CONCERNANT L’INDUSTRIE

[28]  En Colombie-Britannique, la gestion des déchets dangereux solides générés par les exploitants pétroliers et gaziers est régie par l’Environmental Management Act, S.B.C. 2003, ch. 53 (l’« EMA ») et ses règlements. Si les déchets produits répondent à la définition de [TRADUCTION] « déchets dangereux » [“hazardous waste”] qui figure dans le Hazardous Waste Regulation, (B.C. Reg. 63/88) (le « Règlement »), les exploitants pétroliers et gaziers qui désirent éliminer les déchets dangereux doivent le faire dans les limites établies par le cadre législatif. L’administration de l’EMA et du Règlement incombe au ME. Dans les présents motifs, l’expression « déchets dangereux » renverra aux déchets dangereux au sens du Règlement qui sont de nature solide.

[29]  Sous le régime du Règlement, il faut être titulaire d’un permis délivré par le ME pour exploiter une installation désignée comme étant un site d’enfouissement sécuritaire apte à accepter des déchets dangereux destinés à l’élimination. Selon le Règlement, on entend par [TRADUCTION] « site d’enfouissement sécuritaire » [“secure landfill”] une installation d’élimination, où les déchets dangereux sont enfouis dans le sol ou placés sur le sol, qui est conçue, construite et exploitée pour prévenir la pollution que cause l’installation à l’extérieur de la région où est située l’installation (« site d’enfouissement sécuritaire »).

A.  L’élimination aux sites d’enfouissement sécuritaires

[30]  Les exploitants d’installation de forages pétroliers et gaziers (aussi appelés producteurs de déchets) produisent deux principaux types de déchets dangereux qui peuvent être éliminés dans des sites d’enfouissement sécuritaires : des sols contaminés et des débris de forage. Généralement, les contaminants sont des hydrocarbures, des sels et des métaux.

[31]  Les hydrocarbures sont classés selon deux catégories : hydrocarbures de fractions légères et hydrocarbures de fractions lourdes. La preuve démontre que les déchets dangereux comprennent souvent ces deux types d’hydrocarbures.

[32]  Les producteurs de pétrole et de gaz peuvent contaminer le sol avec des sels, notamment lorsqu’ils déversent accidentellement l’eau produite ou la saumure. L’eau produite est de l’eau qui était emprisonnée dans des formations souterraines et qui est ramenée à la surface en même temps que le pétrole ou le gaz. On trouve des métaux dans les déchets dangereux, soit parce qu’ils sont naturellement présents, soit parce qu’ils ont été ajoutés à des additifs utilisés dans les fluides de forage.

[33]  Le Règlement prévoit qu’un site d’enfouissement sécuritaire ne peut être utilisé pour éliminer des déchets dangereux liquides.

[34]  Les déchets dangereux provenant d’« anciens sites » peuvent aussi être éliminés dans les sites d’enfouissement sécuritaires. Monsieur Baye a défini les anciens déchets comme des [TRADUCTION] « déchets accumulés pendant des décennies d’activités de forage et qui sont laissés sur le site de forage » (« déchets anciens »).

[35]  Les exploitants paient des entreprises de camionnage pour transporter les déchets dangereux vers les sites d’enfouissement sécuritaires. Les coûts de transport représentent généralement une part substantielle des coûts globaux d’élimination que doivent assumer les producteurs de déchets. Monsieur Baye a estimé qu’un producteur de déchets paie entre quatre et six dollars la tonne chaque heure de transport aller-retour entre le site du producteur de déchets et le site d’enfouissement.

[36]  Lors de l’audience, M. [CONFIDENTIEL] et M. [CONFIDENTIEL] ont indiqué qu’aucun passif ne figure dans leurs livres comptables une fois que les déchets dangereux sont envoyés aux sites d’enfouissement sécuritaires, et ce, même si les producteurs de déchets pourraient être responsables advenant qu’un exploitant de site d’enfouissement sécuritaire fasse faillite ou encore qu’une défaillance se produise sur le site et que des déchets dangereux soient lessivés en dehors de l’installation.

[37]  Le ME a délivré cinq permis pour des sites d’enfouissement sécuritaires. Quatre de ces sites sont situés dans le NECB et détiennent un permis encore valide : Silverberry, Northern Rockies, Babkirk et Peejay.

[38]  La capacité autorisée de Silverberry est de 6 000 000 de tonnes de déchets. À raison de 1,52 tonne par mètre cube, soit le nombre utilisé pour calculer le nombre de tonnes à Silverberry, la capacité autorisée de Northern Rockies est de 3 344 000 tonnes. En 2010, Silverberry a reçu [CONFIDENTIEL] tonnes de déchets dangereux et, la même année, Northern Rockies en a accepté [CONFIDENTIEL] tonnes.

[39]  Les redevances de déversement varient selon le type de déchets. Selon le témoignage de M. Baye, les redevances de déversement moyennes à Silverberry pour tous les types de déchets étaient de [CONFIDENTIEL] la tonne en 2010, alors qu’elles étaient de [CONFIDENTIEL] la tonne à Northern Rockies la même année.

[40]  L’installation Peejay est située dans une région plutôt inaccessible près de la frontière avec l’Alberta. Elle a été établie par une collectivité de Premières Nations pour desservir des exploitants d’installations de forage des environs, comme la Canadian Natural Resources Limited (« CNRL »). Le devis de construction et le plan opérationnel de l’installation Peejay ont été approuvés par le ME le 11 mars 2009. Cependant, le site d’enfouissement sécuritaire n’est toujours pas aménagé et il se pourrait que des difficultés financières entravent le projet.

[41]  À l’heure actuelle, il n’y aucun site d’enfouissement sécuritaire en exploitation dans le NECB, qui soit la propriété de producteurs de pétrole et de gaz.

B.  La biorestauration – Méthode

[42]  La biorestauration est une méthode de traitement du sol qui fait appel à des microorganismes pour diminuer le degré de contamination. Les microorganismes peuvent être naturellement présents ou être ajoutés pour faciliter la biorestauration. Dans le NECB, on procède habituellement à la biorestauration sur les sites de production de pétrole et de gaz, là où les déchets sont générés. On peut aussi procéder à la biorestauration hors site, mais la preuve indique qu’à l’heure actuelle aucune installation de biorestauration hors site n’est exploitée dans le NECB.

[43]  Une technique courante de biorestauration est l’épandage contrôlé. Cette technique consiste à épandre les déchets contaminés sur des membranes imperméables et à les aérer périodiquement en retournant le sol ou en le travaillant. La méthode d’épandage contrôlé que les vendeurs avaient prévu utiliser consistait à retourner le sol de manière à former des andains, c’est-à-dire de [CONFIDENTIEL] amas de sol, de forme triangulaire, [CONFIDENTIEL].

[44]  La prépondérance de la preuve démontre que, avec le temps, on peut, en dépit du froid, procéder à la biorestauration de sols contenant des hydrocarbures à fractions légères dans le NECB à condition d’effriter le sol argileux. Cependant, le Tribunal a conclu que la biorestauration des sols contaminés par des hydrocarbures à fractions lourdes n’est pas rentable parce qu’il s’agit d’une technique complexe aux résultats imprévisibles et qui demande beaucoup de temps. En outre, on ne peut pas procéder à une biorestauration efficace des déchets contaminés par des métaux et des sels à l’aide des technologies qui sont actuellement approuvées au Canada.

[45]  Une fois la biorestauration terminée, l’exploitant embauche habituellement un expert-conseil pour déterminer si l’on peut certifier que les déchets dangereux peuvent être « déclassés », conformément à un protocole établi à cet effet. Le cas échéant, il n’y a pas d’autre responsabilité associée à ces déchets en particulier.

[46]  Dans son témoignage, M. Watson a déclaré que son entreprise, Integrated Resource Technologies Ltd. (« IRTL »), a été en mesure traiter par biorestauration des sols contaminés par des hydrocarbures, tout au long de l’hiver, dans le NECB et dans le nord de l’Alberta. Depuis environ 2002, il utilise un appareil fabriqué en Finlande, l’« ALLU AS-38H », [CONFIDENTIEL] et capable d’effriter l’argile lourde de manière à ce que les bactéries pénètrent dans les andains et décomposent les contaminants d’hydrocarbures.

VII.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[47]  Les questions générales suivantes sont soulevées en l’espèce :

  1. L’acquisition de Complete par CCS constitue-t-elle un « fusionnement »?
  2. En quoi consiste la dimension du produit du marché pertinent?
  3. En quoi consiste la dimension géographique du marché pertinent?
  4. Le fusionnement est-il proconcurrentiel?
  5. Quel est le cadre analytique dans un cas d’empêchement de la concurrence?
  6. L’empêchement de la concurrence est-il sensible?
  7. Dans les cas où est invoquée la défense fondée sur les gains en efficience, quel est le fardeau de preuve qui incombe à la commissaire et au défendeur?
  8. CCS a-t-elle réussi à établir le bien-fondé de la défense fondée sur les gains en efficiences?
  9. Quelle est la mesure de redressement appropriée – La dissolution ou le dessaisissement?

A.  PREMIÈRE QUESTION L’ACQUISITION DE COMPLETE PAR CCS CONSTITUE-T-ELLE UN FUSIONNEMENT?

[48]  À titre préliminaire, les vendeurs affirment que la demande devrait être rejetée vu qu’à la date du fusionnement, Complete n’était pas une « entreprise » au sens de l’article 91 de la Loi, compte tenu qu’elle n’acceptait pas et ne traitait pas activement les déchets dangereux et n’exerçait pas non plus à d’autres égards des activités se rattachant à la fourniture de services d’enfouissement sécuritaire. Ils font plutôt valoir que Complete était simplement une entité détentrice de l’actif de BLS, soit les permis et les biens. Par conséquent, selon la thèse des vendeurs, dans la mesure où CCS a acquis des éléments d’actif qui n’étaient pas encore utilisés pour l’exploitation de l’entreprise, elle n’a pas fait l’acquisition d’une « entreprise » au sens de l’article 91 de la Loi. Les vendeurs affirment également que les autres entreprises de Complete acquises lors du fusionnement ne sont pas pertinentes aux fins de la présente demande étant donné que la commissaire n’allègue pas qu’elles ont fait en sorte d’empêcher sensiblement la concurrence ou qu’elles y ont contribué.

[49]  Suivant la définition de l’article 91, le fusionnement est l’acquisition d’une « entreprise ». Voici le texte de la disposition :

Pour l’application des articles 92 à 100, « fusionnement » désigne l’acquisition ou l’établissement, par une ou plusieurs personnes, directement ou indirectement, soit par achat ou location d’actions ou d’éléments d’actif, soit par fusion, association d’intérêts ou autrement, du contrôle sur la totalité ou quelque partie d’une entreprise d’un concurrent, d’un fournisseur, d’un client, ou d’une autre personne, ou encore d’un intérêt relativement important dans la totalité ou quelque partie d’une telle entreprise.

In sections 92 to 100, “merger” means the acquisition or establishment, direct or indirect, by one or more persons, whether by purchase or lease of shares or assets, by amalgamation or by combination or otherwise, of control over or significant interest in the whole or a part of a business of a competitor, supplier, customer or other person.

[50]  Voici la définition d’une entreprise prévue au paragraphe 2(1) de la Loi (la « définition ») :

« entreprise » Sont comprises parmi les entreprises :

“business” includes the business of

a) de fabrication, de production, de transport, d’acquisition, de fourniture, d’emmagasinage et de tout autre commerce portant sur des articles;

(a) manufacturing, producing, transporting, acquiring, supplying, storing and otherwise dealing in articles, and

b) d’acquisition, de prestation de services et de tout autre commerce portant sur des services.

(b) acquiring, supplying and otherwise dealing in services.

Est également comprise parmi les entreprises la  collecte de fonds à des fins de charité ou à d’autres fins non lucratives.

It also includes the raising of funds for charitable or other non-profit purposes.

[51]  Le Tribunal constate deux caractéristiques de la définition. Premièrement, les termes « sont comprises » y sont employés, signifiant ainsi que la définition n’est pas exhaustive. Deuxièmement, contrairement aux définitions du terme « entreprise » prévues dans les lois, par exemple dans la Loi sur Investissement Canada, L.R.C. 1985, ch. 28 (1er suppl.), la définition ne renvoie pas au fait de réaliser un profit ou de générer un revenu.

[52]  S’agissant des faits, le Tribunal est d’avis que, pour les motifs énoncés plus loin, Complete était activement engagée dans l’implantation du site Babkirk pour en faire une installation destinée au traitement des déchets dangereux.

[53]  Avant le fusionnement, Complete avait pris les mesures suivantes :

  • Elle avait fait l’acquisition des actions de BLS, acquérant de ce fait le certificat d’évaluation environnementale ainsi que le site Babkirk;
  • Elle avait poursuivi la demande visant à obtenir le permis délivré par le ME et l’avait obtenu;
  • Elle avait tenu de nombreuses assemblées générales d’actionnaires afin de planifier la manière dont le site Babkirk serait implanté pour devenir une installation de biorestauration et la manière dont cette installation serait exploitée de concert avec les autres entreprises détenues par les vendeurs;
  • Ses actionnaires avaient abordé la biorestauration avec Petro-Canada et lui avaient demandé si elle serait intéressée à acheter les services de biorestauration et d’enfouissement sécuritaire;
  • Elle avait retenu les services d’IRTL, lui payant [CONFIDENTIEL] pour la biorestauration du sol dans la cellule d’enfouissement no 1 du site Babkirk. IRTL avait entrepris cet ouvrage parce qu’il s’agissait d’une condition essentielle à la construction de la demi-cellule d’enfouissement sécuritaire;
  • Elle élaborait un plan d’exploitation pour l’installation Babkirk.

[54]  Le Tribunal est d’avis que ces activités démontrent que Complete exploitait une entreprise visant à faire du site Babkirk un service de traitement des déchets dangereux assorti d’un site d’enfouissement sécuritaire. La définition n’étant pas exhaustive, le Tribunal conclut qu’elle englobe les activités qu’exerçaient Complete et ses actionnaires à la date où CCS en a fait l’acquisition. Par ailleurs, l’absence d’une obligation de générer un revenu dans la définition donne à penser au Tribunal qu’elle s’applique à une entreprise en cours d’implantation.

[55]  Pour tous ces motifs, le Tribunal conclut que Complete était une entreprise au sens de l’article 91 de la Loi à la date du fusionnement.

[56]  Compte tenu de cette conclusion, il ne sera pas nécessaire que le Tribunal décide si l’entreprise de bennes amovibles de Complete ou sa gestion des décharges municipales peuvent être des entreprises au sens de l’article 91 de la Loi.

[57]  Cependant, selon la juge présidant à l’audience, une entreprise acquise dans le cadre d’un fusionnement doit avoir une certaine importance aux fins de la demande présentée par la commissaire. En d’autres termes, elle doit pouvoir produire un effet sur la concurrence dans les marchés en cause. Ces remarques signifient qu’en l’espèce, l’entreprise de bennes amovibles de Complete et sa gestion des décharges municipales n’auraient pas été visées par la définition prévue à l’article 91 parce qu’elles ne jouent aucun rôle dans l’élimination ou le traitement des déchets dangereux. Dans les motifs distincts qu’il a rendus, le juge en chef Crampton adopte un point de vue différent sur ce point.

B.  DEUXIÈME QUESTION EN QUOI CONSISTE LA DIMENSION DU PRODUIT DU MARCHÉ PERTINENT?

a.  L’analyse

[58]  Pour définir les marchés pertinents, le Tribunal applique généralement le critère du monopoleur hypothétique. Comme il l’a souligné au par. 57 de la décision Le commissaire de la concurrence c. Supérieur Propane, 2000 Trib. conc. 15, 7 C.P.R. (4th) 385 (Trib. conc.) (« Propane 1 »), le Tribunal fait sien la description du critère énoncée au paragraphe 4.3 du document intitulé « Fusions – Lignes directrices pour l’application de la loi » (les « lignes directrices ») :

Sur le plan conceptuel, un marché pertinent correspond au groupe le plus restreint de produits, y compris au moins un produit des parties à la fusion, et à la plus petite région géographique pour laquelle un vendeur unique cherchant à maximiser ses profits (un « monopoleur hypothétique ») peut imposer et maintenir une augmentation de prix modeste mais significative et non transitoire (ci-après

« SSNIP » pour « small but significant and non-transitory increase in price »), par rapport aux prix qui seraient vraisemblablement pratiqués en l’absence de la fusion.

[59]  Le prix qui aurait vraisemblablement eu cours en l’absence de fusionnement dans un « cas d’absence hypothétique » est le prix de base. Le fardeau incombe à la commissaire d’établir le « prix de base ». En l’espèce, M. Baye a prédit une diminution des redevances de déversement d’au moins 10 % en l’absence de fusionnement, et dans certains de ses modèles économiques, cette diminution va jusqu’à 21 %. Dans Commissaire de la concurrence c. Canadian Waste Services Holdings Inc., 2001 Trib. concur. 3; 11 C.P.R. (4th) 425; confirmé par 2003 CAF 1313, le Tribunal fait remarquer au par. 92 que, lorsqu’il est possible de prédire avec confiance la fluctuation du prix, il est approprié de délimiter les marchés en fonction du futur prix vraisemblable même si ce dernier ne peut pas être évalué précisément. Dans ces cas, il pourrait suffire à la commissaire d’établir la fourchette dans laquelle le futur prix vraisemblable s’inscrirait.

[60]  Toutefois, s’il n’est pas possible d’estimer raisonnablement le futur prix vraisemblable, il pourrait être difficile pour le Tribunal de délimiter clairement le marché pertinent. Dans ces cas, il sera néanmoins utile que le Tribunal dispose d’une preuve suffisante pouvant démontrer pourquoi les substituts qui semblent acceptables au prix en vigueur demeureraient acceptables ou non à des prix qui seraient vraisemblablement pratiqués en l’absence de fusionnement ou de la pratique anticoncurrentielle en question. Quoi qu’il en soit, il faut généralement des éléments de preuve concernant divers indices pratiques pour appliquer le critère du « monopoleur hypothétique ». Le Tribunal reconnaît que, comme dans le cas d’autres méthodes de définition du marché, le critère du monopoleur hypothétique pourrait être appliqué de façon plutôt subjective faute d’une certaine indication de ce qui constitue une augmentation de prix faible, mais significative et non transitoire (APFSNT). Pour cette raison, des points de référence, comme une hausse de 5 % pendant un an, peuvent aider à délimiter et à orienter l’enquête.

[61]  Au paragraphe 11 de sa demande, la commissaire allègue que [TRADUCTION] « les effets anticoncurrentiels du fusionnement touchent principalement les entreprises éliminant des déchets dangereux produits dans des champs de pétrole et de gaz situés dans le NECB » [non souligné dans l’original]. Cependant, dans son rapport initial, M. Baye n’a pas limité le marché du produit aux déchets dangereux produits dans les champs de pétrole et de gaz. Néanmoins, pendant l’audience, M. Baye et M. Kahwaty ont essentiellement convenu que la quantité de déchets dangereux solides de source autre que pétrolière ou gazière et déversés dans des sites d’enfouissement sécuritaires de la Colombie-Britannique est trop faible pour devoir être prise en considération en l’espèce. Par conséquent, le Tribunal est d’avis que, pour la commissaire, le marché du produit s’entend des [TRADUCTION] « déchets dangereux solides produits par les producteurs de pétrole et de gaz et déversés dans des sites d’enfouissement sécuritaires situés dans le NECB ».

[62]  Les défendeurs nient que la délimitation du marché du produit soit aussi étroite que le prétend la commissaire. Selon eux, le marché comprend aussi la biorestauration ainsi que le stockage des déchets, ou la gestion du risque à leur égard, là où ils ont été produits. Ils soutiennent que ces options limitent quelque puissance commerciale que CCS pourrait avoir. Nous aborderons chacun de ces points de vue à tour de rôle.

b.  La preuve sur le recours à la biorestauration

[63]  Comme nous l’avons vu ci-dessus, et la preuve le démontre clairement, la biorestauration n’est pas une solution de remplacement acceptable pour les producteurs de déchets dangereux lorsque les sols sont contaminés par des sels ou des métaux. Le Tribunal convient également que, si des hydrocarbures à fractions lourdes sont présents, la biorestauration est une méthode qui n’est ni économique ni efficace dans un délai raisonnable.

[64]  Le témoignage de M. Andrews portait sur le recours à la biorestauration. Il est entré au service du ME en janvier 2011. À cette date, il lui a été demandé d’examiner la base de données électronique [« E-Licensing Database »] qui assure le suivi des progrès réalisés par les exploitants qui traitent par biorestauration des déchets dangereux. Il a constaté qu’environ 50 % des exploitants pour lesquels il y avait des entrées dans la base de données n’avaient signalé aucune activité annuelle. Il a ajouté que cela signifiait que de nombreux exploitants [TRADUCTION] « avaient cessé de traiter des déchets dangereux aux sites mêmes ou qu’à tout le moins ils avaient cessé de signaler les activités au ME ».

[65]  Il a donc communiqué avec Conoco Philips Canada, Suncor Energy Inc. (« Suncor »), Progress, Devon Canada Corporation (« Devon ») et Apache Canada Ltd. (« Apache »). Ces entreprises représentaient 80 % des sites enregistrés pour lesquels aucune activité n’était signalée. Entre autres choses, il a demandé à ces exploitants de mettre à jour leur plan d’exploitation et de présenter des rapports annuels.

[66]  Selon la déclaration de témoin de M. Andrews, trois exploitants ont signalé qu’ils avaient résolu le problème des déchets dangereux qu’ils devaient traiter par biorestauration en les envoyant vers des sites d’enfouissement sécuritaires, et il s’attendait à ce que les autres exploitants fassent de même, étant donné que la biorestauration avait été un échec. Monsieur Andrews a aussi déclaré que Suncor avait présenté un plan d’exploitation concernant ses sites de biorestauration enregistrés dans lequel il était indiqué qu’à l’avenir l’entreprise enverrait tous ses déchets dangereux vers un site d’enfouissement sécuritaire.

[67]  Monsieur Andrews a également décrit son expérience en ce qui a trait aux traitements sur place, avant de se joindre au ME. Voici ce qu’il a indiqué dans sa déclaration de témoin [aux paragraphes 23 à 26] :

[TRADUCTION]

Je me suis occupé de la gestion des déchets dangereux à sept sites enregistrés de la CNRL. Ces sites étaient situés au nord de Fort St. John ainsi que sur les sites de concessions existantes de pétrole ou de gaz ou sur des sites abandonnés. Il y avait environ 50 000 tonnes de déchets dangereux sur ces sites.

Au départ, nous avons essayé de traiter les déchets dangereux sur place. À chacun de ces sites, nous avons formé des andains de déchets dangereux et utilisé un vire-andains pour tourner les déchets trois fois par année à chacun des sites. Le vire-andains a été fourni par Hazco Environmental Services. Nous avons aussi ajouté des engrais et des éléments nutritifs au sol pour aider au processus de biorestauration. On ajoute de l’engrais pour augmenter l’apport en éléments nutritifs de manière à faciliter le traitement des hydrocarbures par les bactéries.

La CNRL a appliqué ce procédé de traitement pendant deux ans. Bien que la CNRL soit parvenue à réduire la quantité de contaminants dans les déchets dangereux à ces sites, elle ne l’a cependant pas suffisamment réduite pour que les déchets dangereux soient « déclassés ». Déclasser des déchets dangereux signifie réduire la présence de contaminants à des teneurs suffisamment faibles pour que le sol ne soit plus considéré comme un déchet dangereux. La CNRL a dépensé des sommes importantes pour le traitement parce que les sites nécessitaient une surveillance continue. Les sites détrempés doivent être desséchés pour éviter un débordement par-dessus les bermes et permettre l’accès à l’équipement.

Au bout du compte, après deux années de traitement, il était évident que la biorestauration ne pourrait pas régler le problème de contamination. La CNRL a décidé d’envoyer les déchets dangereux restants vers un site d’enfouissement sécuritaire, en l’occurrence l’installation Silverberry, qui était la plus près. C’est moi qui étais responsable de cette démarche. Il a fallu environ deux ou trois ans et plusieurs millions de dollars pour que la CNRL parvienne à envoyer tous les déchets à l’installation Silverberry.

[68]  [CONFIDENTIEL], analyste en contrats et achats pour [CONFIDENTIEL], a déclaré que leurs exploitations actuelles dans le NECB sont situées dans les régions [CONFIDENTIEL]. Il a indiqué que [CONFIDENTIEL] a recours à des sites d’enfouissement sécuritaires pour éliminer ses déchets dangereux et que l’entreprise ne procède pas à des traitements par biorestauration en raison des coûts qui s’y rattachent, du temps nécessaire et de la main-d’oeuvre requise. Il a dit que le traitement par biorestauration inefficace pourrait continuer d’engager la responsabilité de l’entreprise et que des coûts supplémentaires pourraient être à prévoir si les déchets dangereux, qui ne sont pas traités efficacement, doivent être déversés dans un site d’enfouissement sécuritaire. Il a ajouté qu’une certaine incertitude prévaut quant à l’efficacité de la biorestauration.

[69]  [CONFIDENTIEL], vice-président des opérations de [CONFIDENTIEL], a indiqué dans son témoignage que [CONFIDENTIEL] utilise un procédé de boues à base d’huile pour réduire le frottement dans les puits horizontaux et que les débris de boues à base d’huile sont généralement déversés dans des sites d’enfouissement sécuritaires. Il a aussi dit que [CONFIDENTIEL] considère que l’élimination dans des sites d’enfouissement sécuritaires constitue la solution la plus économique pour gérer les déchets dangereux provenant du forage, étant donné que l’élimination permet d’écarter le risque environnemental accru et les coûts associés au stockage à long terme et/ou à la restauration du site. Il a expliqué que [TRADUCTION] « le confinement, le transport et l’élimination des déchets dangereux générés par les opérations de forage sont les seules options auxquelles [CONFIDENTIEL] a recours pour gérer les déchets dangereux produits par le forage ». Par conséquent, il est clair que, dans ses sites de forage actuels, l’entreprise a uniquement recours à des sites d’enfouissement sécuritaires pour l’élimination des déchets.

[70]  Cependant, pour ce qui est des déchets anciens présents sur les sites de forage du NECB [CONFIDENTIEL], M. [CONFIDENTIEL] a déclaré dans son témoignage que [CONFIDENTIEL] procédera, à ces endroits, à un traitement par biorestauration des déchets. Il a expliqué que [CONFIDENTIEL] avait déjà commencé le traitement par biorestauration des déchets anciens. Il a dit que la décision d’éliminer les déchets dangereux plutôt que de les traiter est prise au cas par cas et qu’elle dépend du type et de la quantité de déchets dangereux sur le site ancien, de la probabilité que la restauration soit réussie et des coûts d’excavation, de transport et d’élimination.

[71]  Au cours de l’examen du Règlement effectué par le ME, ce dernier a retenu les services de Conestoga-Rovers & Associates pour produire un rapport sur les sites d’enfouissement sécuritaires. Dans ce rapport intitulé « Secure Landfill Disposal Policy Review » [examen des politiques en matière d’élimination aux sites d’enfouissement sécuritaires] daté de mars 2011, il est écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

En se fondant sur une pondération égale du coût, de la variabilité du coût, de l’échéancier et du degré de certitude lié à l’efficacité du traitement, l’enfouissement [site d’enfouissement sécuritaire] est l’option privilégiée pour tous les scénarios. L’épandage contrôlé [biorestauration] peut être une méthode appropriée pour traiter les sols contaminés aux hydrocarbures à condition d’avoir des concentrations adéquates et un échéancier pluriannuel.

[72]  Devin Scheck, directeur de la gestion des déchets et de la remise en état à la British Columbia Oil and Gas Commission, a déclaré dans son témoignage que de nombreux exploitants décident quand même d’éliminer leurs sols contaminés dans des sites d’enfouissement sécuritaires, même quand la biorestauration est possible, en raison des coûts et des délais qui y sont associés. Il a dit ce qui suit dans sa déclaration de témoin [aux paragraphes 25 à 27] :

[TRADUCTION]

D’après mon expérience, un nombre important de sites que les exploitants tentent de traiter sont restaurés par l’exploitant même qui élimine les sols contaminés au site d’enfouissement. Dans les sites qui sont uniquement contaminés par des hydrocarbures de fractions légères, les exploitants peuvent tenter de procéder sur place à la biorestauration du sol; cependant, les hydrocarbures de fractions lourdes ont tendance à ne pas bien réagir à la biorestauration. En outre, la présence de glaise compacte (répandue dans le nord-est de la Colombie-Britannique où les activités pétrolières et gazières sont le plus courantes) rend difficile la biorestauration, tout comme le temps relativement froid qui prévaut dans la région. La présence d’autres contaminants, comme des sels ou des métaux à des concentrations qui dépassent les normes du règlement sur les sites contaminés, fait que la biorestauration n’est pas une option valable, étant donné que les sels et les métaux ne peuvent être traités par biorestauration.

Par conséquent, lorsque l’on a à faire à autre chose que des hydrocarbures de fractions légères, d’après mon expérience, l’exploitant procède habituellement à une excavation du sol et élimine celui-ci dans des sites d’enfouissement sécuritaires, comme l’installation Silverberry, en Colombie-Britannique, ou des sites d’enfouissement situés plus près du côté de l’Alberta, comme le site d’enfouissement de classe II – selon les critères de l’Alberta – exploité par CCS à LaGlace.

D’après mon expérience, même lorsque la biorestauration est faisable, de nombreux exploitants choisissent d’éliminer leurs sols contaminés dans des sites d’enfouissement. En ce qui a trait à la biorestauration, il y a beaucoup d’incertitude liée aux coûts et aux délais requis pour procéder au traitement. Les conditions météorologiques, le problème de l’accès au site, l’ampleur et le type de traitement, les coûts futurs de l’équipement et de la main-d’œuvre, de même que les coûts associés à un accès permanent pour procéder au traitement et à l’échantillonnage en vue de déterminer si les sols sont restaurés, sont des facteurs qui contribuent à cette incertitude.

[73]  Mark Polet, un biologiste expert en environnement possédant des connaissances spécialisées en évaluation environnementale, en restauration et en remise en état de même que dans l’élaboration de mesures de gestion des installations de déchets, a déclaré ce qui suit au paragraphe 17 de son rapport d’expert :

[TRADUCTION]

Dans le NECB, lorsqu’un exploitant décide d’éliminer ses déchets, les deux options les plus pratiques qui s’offrent à lui sont : 1) l’élimination des déchets dans un site d’enfouissement approprié; ou, 2) le traitement des déchets sur place au moyen d’un procédé appelé biorestauration. Les exploitants n’ont pas une préférence généralisée pour l’une ou l’autre de ces options, mais choisissent plutôt, d’après mon expérience, une option en fonction des coûts, des risques, de l’efficacité et d’autres motifs tels que la gérance de l’environnement.

[74]  Au cours de l’audience, M. Polet a déclaré dans son témoignage que les coûts liés à la biorestauration et aux sites d’enfouissement sécuritaires sont comparables. Il a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

Une fois que l’on a établi les types [de contaminants], on doit décider de la mesure à prendre la plus prudente. Ainsi, si je trouvais uniquement des hydrocarbures de fractions légères sur un site, sans qu’aucun autre type de contaminant y soit mêlé, j’opterais pour la biorestauration. Par contre, si des sels et des métaux étaient aussi présents parmi les contaminants, je pencherais nettement pour le site d’enfouissement. De même, en présence d’hydrocarbures à fractions lourdes, j’opterais pour le site d’enfouissement.

Pour ce qui est des coûts, ils peuvent être très semblables; mais, bien entendu, la biorestauration ne peut être appliquée qu’à des cas très précis. Une des choses que l’on a remarquées en travaillant sur le terrain est que, si la biorestauration n’est pas gérée adéquatement, une bonne partie des déchets finissent de toute façon par se retrouver dans un site d’enfouissement. Par conséquent, il faut que la biorestauration soit bien gérée pour qu’elle fonctionne correctement.

[75]  L’exposé conjoint des faits comporte également des éléments tirés des témoignages concernant la biorestauration. L’audience a toutefois révélé que, contrairement à la façon dont les faits sont présentés, les parties ne se sont pas véritablement entendues sur certains d’entre eux. Les témoignages qui posent un problème concernent la biorestauration et ils ont été livrés de deux façons. Ceux dont il est question aux paragraphes 63 à 67 de l’exposé conjoint des faits ont été livrés directement aux membres du personnel de la commissaire. Nous emploierons « témoignages A » pour désigner ces témoignages.

[76]  Les témoignages A comportent deux caractéristiques importantes. Les sources ne sont pas identifiées et l’exposé conjoint des faits indique au paragraphe 63 que [TRADUCTION] « le Bureau n’a pas confirmé la véracité des faits qui lui ont été communiqués par les exploitants... ». Les témoignages A font partie de l’exposé conjoint des faits parce que CCS a insisté pour qu’ils y soient et elle demande au Tribunal de leur reconnaître une force probante et de les tenir pour vrais.

[77]  Les témoignages A indiquent que l’exploitant « F » traite par biorestauration au moins 70 % de ses déchets en Colombie-Britannique, parce qu’il considère que la biorestauration est meilleure pour l’environnement. Les exploitants « H » et « J » traitent environ 50 % de leurs déchets par biorestauration. Il semble que ces exploitants procèdent à la biorestauration sur leurs sites de forage pour éviter les frais de transport et les redevances de déversement associées aux sites d’enfouissement sécuritaires.

[78]  Bien que la commissaire ne puisse confirmer la véracité des témoignages A, le Tribunal est néanmoins disposé à leur reconnaître une certaine force probante parce qu’il ne voit pas pourquoi les participants de l’industrie mentiraient à la commissaire au sujet de leur emploi de la biorestauration sur place. Cependant, sans connaître le volume des déchets produits par « F », « H » et « J », il est impossible de déterminer l’ampleur de la biorestauration entreprise. Quoi qu’il en soit, il est évident que même pour ces producteurs de déchets, une bonne partie des déchets dangereux ne fait pas l’objet de biorestauration.

[79]  La deuxième catégorie de témoignages se trouve aux paragraphes 69 à 74 de l’exposé conjoint des faits. Les représentants des National Economic Research Associates (« NERA ») les ont livrés en juillet 2011. Monsieur Baye travaille pour les NERA et il semble que la commissaire ait retenu les services des NERA afin d’interroger les participants de l’industrie. Les membres du personnel de la commissaire ont assisté à ces entrevues et les six sources sont identifiées ([CONFIDENTIEL]). Personne n’a remis en cause la fiabilité de ces témoignages. Nous emploierons « témoignages B » pour désigner ces témoignages.

[80]  La commissaire n’a assigné que les témoins provenant de [CONFIDENTIEL] et de [CONFIDENTIEL], lesquels, comme nous l’avons vu ci-dessus, ont indiqué qu’en principe ils n’utilisent pas la biorestauration [CONFIDENTIEL].

[81]  CCS affirme que les témoignages des quatre autres exploitants, désignés dans les témoignages B, démontrent qu’il s’agit de biorestaurateurs actifs, et CCS invite le Tribunal à tirer une conclusion défavorable du fait qu’ils n’ont pas été assignés par la commissaire. Or, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de tirer une telle conclusion parce que la commissaire n’était aucunement tenue de présenter ces témoignages et que CCS pouvait le faire.

[82]  Les témoignages B indiquent [CONFIDENTIEL] traite environ 10 à 15 % de ses déchets par biorestauration. [CONFIDENTIEL] fait un peu de biorestauration à environ 70 % de ses sites et [CONFIDENTIEL] procède à la biorestauration sur place d’environ 75 % de la matière pouvant être traitée. (Il semblerait aussi que [CONFIDENTIEL] traite le reste de sa matière traitable hors site, mais ce fait n’est pas expliqué. Étant donné qu’il n’y a pas d’installations de biorestauration hors site dans le NECB, le Tribunal conclut que cette déclaration concerne le traitement hors site dans un autre lieu.) [CONFIDENTIEL] procède à la biorestauration de déchets sur place et déplace parfois ses déchets d’un site à l’autre pour les traiter. Au cours des trois ou quatre dernières années, l’entreprise a traité par biorestauration de 60 à 70 % des déchets de ses puits abandonnés.

[83]  Il importe de souligner que rien dans ces témoignages ne précise le volume de déchets dangereux pouvant être traités et de déchets dangereux anciens. Dans de telles circonstances et vu que la défenderesse n’a pas demandé de faire entendre ces quatre exploitants, ou d’autres exploitants, le Tribunal ne croit pas que la biorestauration soit importante dans le NECB.

c.  La preuve sur le stockage et la gestion des risques

[84]  Le terme « stockage » indique que les déchets dangereux sont conservés sans être traités sur le site de forage qui fait encore l’objet d’un bail. Tant que le ME n’exige pas un nettoyage du site, l’exploitant peut choisir cette option même s’il n’y a plus d’activités de forage, à condition qu’il continue de verser son loyer (bail/tenure) relativement au site. Étant donné que le montant de ce loyer est peu élevé comparativement aux coûts de nettoyage du site, cette option peut paraître attrayante dans certains cas et, lors de l’interrogatoire préalable, Trevor Mackay a indiqué dans son témoignage que de « nombreux » exploitants stockaient des déchets sur leurs sites. Cependant, M. [CONFIDENTIEL] a dit, dans son témoignage, que [CONFIDENTIEL] ne stocke pas les déchets dangereux provenant de ces activités de forage pendant de longues périodes, en raison des coûts et des problèmes potentiels en matière de responsabilité. Il a expliqué que les coûts moyens de stockage sur le site d’un puits pendant les activités de forage s’élèvent à [CONFIDENTIEL] par puits.

[85]  La gestion des risques est un processus entrepris lorsque le forage prend fin et que l’exploitant veut résilier son bail. L’exploitant doit remettre la surface du site dans un état qui approche le plus possible de ce qu’il était avant le forage. Une fois cette étape franchie, un certificat de remise en bon état (aussi appelé certificat de conformité) est délivré, et le bail de l’exploitant est résilié. Cependant, l’exploitant demeure responsable de tout problème pouvant découler de la présence de déchets dangereux qui seraient laissés sur place et il est tenu de se conformer aux conditions imposées, comme la surveillance, même après la délivrance du certificat.

[86]  À ce sujet, Mark Polet a eu ceci à dire dans son rapport en réplique :

[TRADUCTION]

D’après mon expérience, les exploitants se tournent vers la gestion des risques en dernier recours, si le traitement ou l’élimination ne sont pas réalisables. Je recommande rarement cette option parce que, même s’ils obtiennent l’approbation nécessaire, ce qui, selon moi, est très difficile, ils demeurent responsables, et il est reconnu que le site pourrait être réexaminé si un problème survient.

[87]  Pete Marshal, un expert en gestion de déchets dangereux, a indiqué dans son témoignage que, même si l’élimination dans un site d’enfouissement sécuritaire, la biorestauration et la gestion des risques sont toutes des méthodes possiblement réalisables pour remédier au problème des déchets dangereux, il ne savait pas combien d’exploitants optaient pour la gestion des risques.

[88]  Ces éléments de preuve incitent le Tribunal à conclure que la gestion des risques est rarement utilisée et n’est pas considérée comme une méthode de remplacement acceptable à l’élimination des déchets dangereux dans un site d’enfouissement sécuritaire.

d.  Les conclusions sur le marché du produit

[89]  Bien que certains exploitants ayant des déchets dangereux contaminés par des hydrocarbures de fractions légères considèrent que la biorestauration est une solution de remplacement acceptable à l’élimination dans un site d’enfouissement sécuritaire, aucune preuve n’établit les volumes de déchets qui sont efficacement traités par biorestauration. Plus important encore, aucune preuve n’indique que la disponibilité de la biorestauration a pour effet de mettre un frein aux redevances de déversement dans le NECB. En outre, le Tribunal estime que certains producteurs de déchets ne considèrent pas la biorestauration comme une solution de remplacement acceptable à l’élimination dans un site d’enfouissement sécuritaire, notamment pour ce qui est des sols contaminés par des hydrocarbures à fractions lourdes, des sels ou des métaux.

[90]  En ce qui concerne le stockage et la gestion des risques, aucune preuve n’établit les volumes stockés dans le NECB et rien ne permet de croire que les loyers ou les coûts pour l’obtention du certificat de remise en bon état ont un effet sur les redevances de déversement à l’installation Silverberry.

[91]  Parce que la biorestauration n’est pas rentable et qu’il s’agit d’une méthode lente pour le volume important de sols contaminés que l’on trouve dans le NECB et parce que cette méthode ne fonctionne pas du tout avec les sols contenant des sels et des métaux, le Tribunal estime qu’un nombre important de producteurs ne considèrent pas la biorestauration comme une bonne solution de remplacement à l’élimination de ce type de déchets dangereux dans un site d’enfouissement sécuritaire et qu’ils ne passeraient probablement pas à la biorestauration en réponse à une APFSNT. En conséquence, le Tribunal est convaincu que le produit pertinent est un [TRADUCTION] « déchet dangereux solide qui est généré par des producteurs de pétrole et de gaz et qui est déversé dans des sites d’enfouissement sécuritaires dans le NECB ».

C.  TROISIÈME QUESTION EN QUOI CONSISTE LA DIMENSION GÉOGRAPHIQUE DU MARCHÉ PERTINENT?

[92]  Traditionnellement, le Tribunal et les tribunaux judiciaires ont jugé nécessaire de définir le marché pertinent avant d’évaluer les effets concurrentiels des fusionnements sous le régime de la Loi. (Voir, par exemple, Directeur des enquêtes et recherches c. Hillsdown Holdings (Canada) Ltd. (1992), 41 C.P.R. (3e) 289, à la p. 297; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au par. 79). Ils ont toutefois mis en garde de ne pas perdre de vue la question ultime, c’est-à-dire celle de savoir si le fusionnement visé par l’évaluation empêche ou diminue sensiblement la concurrence ou s’il aura vraisemblablement pour effet de le faire. (Southam, précité; « Propane 1 », précité, au par. 48). Gardant cet avertissement à l’esprit, le Tribunal estime qu’en l’espèce, il peut évaluer les effets concurrentiels du fusionnement sans définir le marché géographique pertinent de façon précise.

[93]  Comme nous le verrons plus loin, cette conclusion est importante parce que la preuve présentée ne permet pas au Tribunal de définir exactement les limites du marché géographique.

[94]  Le Tribunal souscrit à la méthode énoncée dans les lignes directrices. Le processus exige tout d’abord que l’on examine la région se limitant autour des emplacements de l’une des parties au fusionnement (en l’espèce, un site d’enfouissement sécuritaire) et que l’on se demande ensuite si tous les rivaux exerçant des activités dans les emplacements situés dans cette région, en supposant que ceux-ci agissent à titre de monopoleur hypothétique, auraient la capacité et l’intérêt d’imposer une augmentation de prix faible mais significative (normalement de 5 %) et la maintenir durant une période non transitoire (d’une année, normalement). Si l’augmentation de prix postulée avait pour effet de pousser les acheteurs du produit pertinent dans cette région à se procurer auprès d’autres fournisseurs situés à l’extérieur de cette région d’autres produits en quantité suffisante pour que la hausse ne soit pas rentable, la dimension géographique du marché pertinent serait progressivement élargie jusqu’à ce qu’un vendeur du produit pertinent, en supposant que celui-ci agit à titre de monopoleur hypothétique, ait la capacité et l’intérêt d’imposer une APFSNT.

[95]  En l’espèce, la preuve révèle trois régions géographiques :

  1. La région contestable – établie par M. Kahwaty pour le compte de CCS.
  2. Tout le NECB – la commissaire a présenté cette définition du marché géographique, étayée par son témoin-expert, M. Baye.
  3. Le polygone de Babkirk – des documents internes de CCS portant sur les effets éventuels de l’installation Babkirk sur CCS font état de cette région.

a.  La région contestable

[96]  De façon générale, la région contestable précisée par M. Kahwaty est une région en forme de sablier de 11 000 kilomètres carrés qui s’étend entre le site Babkirk et Silverberry. Selon son analyse, la voirie dans cette région fait en sorte que dans certaines régions, Silverberry et un site d’enfouissement éventuel sur le site Babkirk constituent tous deux un choix d’élimination viable pour les clients qui possèdent des sites de puits dans ces régions. Monsieur Kahwaty reconnaît que les coûts de transport nécessaires pour atteindre Silverberry ou le site Babkirk permettent que les deux sites puissent faire réaliser des économies à ces clients. Selon M. Kahwaty, l’étendue géographique du marché pertinent devrait être limitée à cette région.

[97]  Monsieur Kahwaty s’est servi de la baisse de 10 % dans les redevances de déversement prévue par M. Baye comme référence pour définir l’étendue géographique du marché pertinent. En bref, il a évalué tous les sites de puits et calculé si le client, qui bénéficierait d’une baisse de 10 % applicable aux redevances de déversement payées à Silverberry, se soucierait peu de déverser au site de Babkirk ou de Silverberry, compte tenu du fait que le coût total d’élimination (le transport et la redevance de déversement) serait le même aux deux sites d’enfouissement sécuritaires. Douze de ces clients ont été identifiés, lesquels représentent approximativement 41 900 tonnes dans la région contestable. Monsieur Kahwaty a reconnu qu’un rabais déterminant plus élevé produirait une région contestable plus élargie.

[98]  Le Tribunal estime qu’un monopoleur hypothétique qui fournit des services d’enfouissement sécuritaires à ces douze clients concernant les déchets dangereux produits dans la région contestable aurait la capacité et la motivation d’imposer et de maintenir une APFSNT par rapport aux prix qui seraient vraisemblablement pratiqués en l’absence du fusionnement.

[99]  En réalité, le Tribunal considère que la région contestable est probablement sous-estimée et, en réalité, plus restreinte que la région minimale dans laquelle le monopoleur hypothétique aurait la capacité et l’intérêt d’imposer et de maintenir une APFSNT. Le Tribunal adopte ce point de vue pour plusieurs raisons. Premièrement, il souscrit à l’avis de M. Baye selon lequel [TRADUCTION] « il n’est ni nécessaire que Babkirk ait un emplacement qui avantage le client ni que le client délaisse Silverberry au profit de Babkirk pour que le client tire largement profit de la baisse des redevances de déversement attribuable à la concurrence ». Deuxièmement, la preuve tend à indiquer que des nouveaux puits seront vraisemblablement forés dans la région se situant entre Babkirk et Northern Rockies, et des déchets anciens ont été laissés sur les sites de puits de cette région. Une saine concurrence par les prix et autre que par les prix se serait établie entre Babkirk et Northern Rockies à l’égard d’une certaine partie de ces déchets à tout le moins en l’absence du fusionnement. Troisièmement, l’étendue géographique de la région contestable est nécessairement limitée du fait que M. Kahwaty se fonde sur un prix de base se chiffrant à seulement 10 % de moins que les prix en vigueur. Monsieur Kahwaty a reconnu que si ce chiffre est trop bas, le marché géographique serait plus étendu que la région contestable.

[100]  De plus, le Tribunal fait remarquer que le volume de déchets dangereux produit dans la région contestable est vraisemblablement plus important que l’a affirmé M. Kahwaty parce que les données qu’il a utilisées ne datent que de 2010. Monsieur Kahwaty a aussi exclu de son analyse les clients nationaux de CCS, ce qui a également pu le porter à sous-estimer le marché géographique.

[101]  S’agissant de la possibilité pour les producteurs de déchets de la région contestable de s’offrir un accès aux sites d’enfouissement sécuritaires en Alberta, M. Kahwaty a affirmé que [TRADUCTION] « le coût du transport est trop élevé pour que les clients situés au sud et à l’est de Silverberry, qui déversent actuellement leurs déchets en Alberta, choisissent de les éliminer à l’éventuel site d’enfouissement qui sera établi sur le site Babkirk (même en présence d’un rabais important), comparativement à leur élimination à Silverberry aux prix actuels ». Le Tribunal conclut, en extrapolant à partir de cette affirmation, que les clients qui produisent des déchets dangereux dans la région contestable ne transporteront probablement pas leurs déchets vers des sites d’enfouissement sécuritaires situés en Alberta en raison des coûts de transport importants et de la responsabilité éventuelle qui serait liée au transport des déchets sur une aussi longue distance.

[102]  Pour tous ces motifs, le Tribunal conclut que le marché géographique est au moins aussi étendu que la région contestable. Nous examinerons maintenant s’il peut s’étendre à tout le NECB.

b.  Tout le NECB

[103]  Le NECB couvre approximativement 118 800 kilomètres carrés, et il est vaste comparativement à la région contestable de M. Kahwaty. La carte jointe à l’annexe « C » des présents motifs comporte une comparaison du NECB et de la plus restreinte région contestable, et elle est tirée de l’onglet 29 du rapport du 21 octobre 2011 de M. Kahwaty.

[104]  Monsieur Baye conclut que le marché géographique pertinent est le NECB parce qu’il s’agit de la région où se situent les clients visés, dont les clients actuels des sites d’enfouissement sécuritaires Silverberry et Northern Rockies.

[105]  Pour arriver à cette conclusion, M. Baye se fonde sur une théorie économique de l’équilibre du marché selon laquelle CCS serait incitée à concurrencer une installation Babkirk exploitée de manière indépendante pour les clients situés à l’extérieur de la région contestable définie par M. Kahwaty. Cette théorie est basée, sur sa compréhension du fait que les redevances de déversement moyennes de CCS en 2010 au site d’enfouissement Silverberry étaient d’environ [CONFIDENTIEL] la tonne et que ses coûts d’enfouissement moyens étaient d’environ [CONFIDENTIEL] la tonne, ce qui donnait une marge de plus de 60 %. D’après ces chiffres, M. Baye suppose que CCS serait disposée à diminuer ses redevances de déversement de 25 % ou plus dans certaines régions de façon à conserver ses clients si une installation Babkirk indépendante lui livrait concurrence.

[106]  Toutefois, parmi les autres problèmes qu’elle pose, la théorie de M. Baye ne tient pas compte du coût d’opportunité que supporterait CCS si elle diminuait considérablement ses redevances de déversement pour vendre aujourd’hui une capacité d’enfouissement qui pourrait être vendue plus tard, assortie de redevances de déversement plus élevées, à des clients situés plus près du site d’enfouissement Silverberry. En l’absence d’une quelconque analyse de la façon dont ce coût d’opportunité serait pris en compte dans le processus de décision actuel de CCS, le Tribunal est d’avis que la théorie économique sur laquelle se fonde M. Baye ne nous aide pas vraiment à déterminer l’étendue géographique du marché.

[107]  Dans son rapport initial, M. Baye fournit également des estimations fondées sur des modèles de régression économétriques qui, soutient-il, concordent avec cette théorie et sa définition du marché géographique, qui comprendrait tout le NECB. La première série de modèles, les pièces 19 et 20 du rapport initial de M. Baye, teste son hypothèse selon laquelle la distance entre un site d’enfouissement sécuritaire et son concurrent le plus proche est un prédicteur significatif des redevances moyennes de déversement exigées à ce site d’enfouissement.

[108]  Selon la pièce no 20, on prévoit que l’ouverture d’un site d’enfouissement indépendant au site Babkirk entraînera une importante diminution des redevances de déversement moyennes à l’installation Northern Rockies, étant donné que le temps de parcours entre l’installation Northern Rockies et son concurrent le plus près serait réduit à trois heures et 49 minutes. Cependant, ceci ne tient pas compte (i) des coûts de transport substantiels que la grande majorité des clients qui déversent leurs déchets à l’installation Northern Rockies devraient assumer pour transporter leurs déchets au site Babkirk, (ii) du très petit nombre de sites de puits entre ces deux installations, et (iii) de l’absence apparente de toute motivation pour que CCS modifie ses redevances de déversement à l’installation Northern Rockies par suite de l’entrée sur le marché à Babkirk.

[109]  Les estimations présentées par M. Baye dans la deuxième série de modèles de régression concernent une « expérience naturelle » liée à l’entrée sur le marché de SES à Willesden Green (Alberta) en décembre 2008. Cette installation est devenue le plus proche concurrent du site d’enfouissement de CCS de Rocky Mountain House, situé à environ une heure de route. Dans son analyse des données sur les transactions de CCS en 2010, M. Baye a relevé que CCS avait diminué considérablement les redevances de déversement exigées à plusieurs clients après l’ouverture de l’installation de SES à Willesden Green.

[110]  Pour voir s’il était possible que cette diminution considérable des redevances ne soit que pure coïncidence, M. Baye a mis au point des modèles de régression de la différence des différences, la pièce 26 de son rapport initial. Cette méthode neutralise les effets des évènements non observés, autres que l’entrée sur le marché de SES à Willesden Green, qui auraient pu mener à la diminution observée des redevances de déversement exigées à l’installation de Rocky Mountain House. En bref, les modèles de régression de la différence des différences comprennent une situation de « traitement » dans laquelle un évènement se produit (en l’espèce, l’entrée sur le marché) et une situation « de référence » dans laquelle l’évènement ne se produit pas. Monsieur Baye a pris la différence dans les redevances de déversement constatée dans la situation de traitement et a soustrait la différence constatée dans la situation de référence. Il a considéré le résultat (ou « la différence des différences ») comme étant l’effet que l’entrée sur le marché de SES à Willesden Green avait eu sur les redevances de déversement exigées au site d’enfouissement de Rocky Mountain House.

[111]  Il convient de signaler que, pour le choix d’un site d’enfouissement de référence, M. Baye a jugé qu’il est important d’opter pour un site qui [TRADUCTION] « ne sera probablement pas affecté par l’épisode de traitement, en l’occurrence l’entrée sur le marché à Willesden Green ». L’un des principaux critères sur lesquels il s’est fondé pour faire ce choix est que le site d’enfouissement de référence doit être à une distance [TRADUCTION] « d’au moins 300 km » de Willesden Green. Selon cette même logique, l’entrée sur le marché à Babkirk n’aurait probablement pas d’effet sur les redevances de déversement à l’installation Northern Rockies, laquelle est située à 260 km du site Babkirk. L’une des hypothèses clés sous-jacentes aux modèles de régression de la différence des différences élaborés par M. Baye ne concorde donc pas avec sa définition du marché géographique qui couvrirait tout le NECB. Ceci, conjugué au fait que l’installation Northern Rockies est presque quatre fois plus loin du site Babkirk que ne l’est l’installation Willesden Green appartenant à SES de l’installation Rocky appartenant à CCS, amène le Tribunal à conclure que l’analyse de la différence des différences de M. Baye n’est pas particulièrement utile pour définir l’étendue géographique du marché pertinent. Cela dit, comme nous l’examinerons en détail plus loin, les données sur les transactions, qui révèlent que CCS a accordé des réductions de prix substantielles à sept de ses clients à la suite de l’entrée sur le marché de SES à l’installation Willesden Green, sont pertinentes pour l’appréciation du Tribunal quant aux effets concurrentiels possibles du fusionnement.

[112]  Enfin, le Tribunal remarque que M. Baye se reporte à des documents internes de CCS qui, selon lui, concordent avec sa définition du marché géographique. Cependant, ces documents ne font que i) présenter des prévisions sur la marge d’exploitation annuelle globale [CONFIDENTIEL] que CCS risquait de perdre aux sites d’enfouissement Silverberry et Northern Rockies si un site d’enfouissement indépendant ouvrait au site Babkirk; ii) prévoir une guerre des prix si l’installation Babkirk était exploitée de manière indépendante ou acquise par une tierce partie; iii) examiner la possibilité de devoir livrer concurrence par le truchement « propositions de valeur »; iv) mentionner que CCS prend vraisemblablement en compte les frais de transport de ses clients jusqu’au site d’enfouissement concurrent le plus proche au moment d’établir ses redevances de déversement. Bien que ces informations aident à évaluer si le fusionnement aurait vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence, elles n’aident toutefois pas vraiment le Tribunal à déterminer l’étendue géographique du marché.

c.  Le polygone de Babkirk

[113]  Le polygone de Babkirk est la troisième région qui a été examinée à l’audience. Un membre de l’équipe du développement des affaires de CCS, à qui on avait demandé de faire la projection du territoire que couvrirait le marché de Babkirk, a établi cette région. Le Tribunal a ajouté un aperçu approximatif de cette région à l’annexe « C » des présents motifs.

[114]  Le polygone de Babkirk était apparemment censé déterminer l’emplacement des clients existants de l’installation Silverberry qui pourraient déverser leurs déchets à l’installation Babkirk plutôt que Silverberry, si Babkirk exploitait un site d’enfouissement sécuritaire. Autrement dit, le polygone de Babkirk est un schéma élaboré par CCS pour illustrer l’emplacement géographique des clients qu’il risque de perdre si Babkirk exploite un site d’enfouissement sécuritaire. Ce polygone couvre une région au nord et à l’ouest de l’installation Babkirk et s’étend sur une plus grande superficie que la région contestable établie par M. Kahwaty.

[115]  Le Tribunal est convaincu que l’avantage dont profiterait l’installation Babkirk du fait de son emplacement relativement aux clients dont les installations de forage sont situées au nord et à l’ouest est tel que ces clients n’iraient probablement pas déverser leurs déchets à l’installation Silverberry sans une réduction très importante des redevances de déversement. Compte tenu des coûts d’opportunité qu’aurait à supporter CCS en offrant une réduction substantielle des redevances de déversement, et compte tenu de l’absence d’analyse par la commissaire ou par M. Baye quant aux répercussions de ces coûts d’opportunité sur la prise de décisions par CCS, le Tribunal n’est pas convaincu que CCS serait motivée concurrencer pour conserver ces clients en l’absence du fusionnement.

[116]  De même, le Tribunal n’est pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que les clients, dont les installations sont au nord et à l’ouest de l’installation Babkirk, iraient déverser leurs déchets à l’installation Silverberry, à la suite d’une APFSNT par rapport au prix moyen maximal des redevances de déversement qui seraient vraisemblablement pratiqués en l’absence du fusionnement. Pour les motifs exposés plus loin, le Tribunal conclut que ce prix serait d’au moins 10 % inférieur aux prix existants. Cependant, les coûts de transport et la responsabilité associée au transport de déchets dangereux sur de longues distances jusqu’à Silverberry sont tels qu’il faudrait davantage qu’une APFSNT pour inciter les producteurs de déchets situés dans ces régions à déverser leurs déchets au site d’enfouissement de déchets dangereux de Silverberry.

[117]  Le Tribunal conclut que l’étendue géographique du marché pertinent est au moins aussi grande que la région contestable établie par M. Kahwaty, et elle se situe probablement entre cette région et les limites du polygone de Babkirk, lequel comprend une partie de la région contestable, mais auquel s’ajoute une importante superficie au nord et à l’ouest de Babkirk.

[118]  Le Tribunal estime qu’il importerait peu que l’étendue géographique du marché pertinent comprenne les emplacements d’autres clients dans le polygone de Babkirk, à l’extérieur de la région contestable, parce que CCS demeurerait le seul fournisseur de services d’enfouissement sécuritaires à desservir un groupe de client plus large raisonnablement défini.

D.  QUATRIÈME QUESTION LE FUSIONNEMENT EST-IL PROCONCURRENTIEL?

[119]  Selon CCS, le fusionnement est proconcurrentiel parce qu’il apporte au marché un nouveau site d’enfouissement sécuritaire sur le site Babkirk. CCS affirme en outre que le fusionnement permettra de transformer rapidement le site Babkirk en un site d’enfouissement sécuritaire qui complémentera les activités existantes de CCS et servira l’industrie pétrolière et gazière qui croît dans le NECB. CCS affirme que ces faits expliquent pourquoi ses clients ne se plaignent pas du fusionnement.

[120]  Le Tribunal n’est pas d’accord. À son avis, un fusionnement qui empêche la concurrence, actuelle ou probable, dans un marché pertinent ne saurait être « proconcurrentiel » même s’il permet d’augmenter la demande sur le marché plus rapidement qu’en son absence. Ce fusionnement augmente peut-être l’efficience, comme l’exige la défense fondée sur les gains en efficience prévue à l’article 96. Il a toutefois des conséquences néfastes sur le processus dynamique de la concurrence et les bénéfices qu’un tel processus produit normalement. En l’absence d’une véritable concurrence, ou d’une menace très réaliste et crédible d’une concurrence pour l’avenir, il n’y a point de saine concurrence.

E.  CINQUIÈME QUESTION QUEL EST LE CADRE ANALYTIQUE DANS UN CAS D’EMPÊCHEMENT DE LA CONCURRENCE?

[121]  Le volet de l’article 92 traitant de l’empêchement de la concurrence a été soulevé dans trois jugements antérieurs du Tribunal : Canada (Directeur des enquêtes et des recherches) c. Southam Inc. (1992), 43 C.P.R. (3e) 161 (Trib. concur.), infirmé pour d’autres motifs dans (1995), 63 C.P.R. (3e) 1 (C.A.F.), infirmé dans [1997] 1 R.C.S. 748, Propane 1 et Canadian Waste Services. Cependant, étant donné que ces affaires examinaient principalement des allégations portant sur la diminution sensible de la concurrence, le Tribunal ne s’est pas penché de manière précise sur le cadre analytique applicable à l’appréciation de l’empêchement, de manière sensible, de la concurrence.

[122]  Afin de déterminer si la situation aura vraisemblablement pour effet d’empêcher la concurrence, le Tribunal appréciera si, selon toute vraisemblance, le fusionnement pourra permettre à l’entité fusionnée d’exercer une puissance commerciale plus importante qu’en l’absence du fusionnement, qu’elle agisse seule ou en interdépendance avec d’autres entreprises rivales. Pour les besoins de l’espèce, il nous faut comparer un univers dans lequel CCS est propriétaire des sites d’enfouissement sécuritaires pertinents dans le NECB (soit, Northern Rockies, Silverberry et Babkirk) et un autre dans lequel Babkirk est un site d’enfouissement sécuritaire exploité de façon indépendante.

[123]  Lorsqu’il appréciera les affaires visées par le volet de l’article 92 traitant de l’empêchement de la concurrence, le Tribunal s’en tiendra à l’entrée de nouvelles entreprises sur le marché ou à la concurrence accrue à l’intérieur du marché pertinent que le fusionnement en cause aurait, selon le commissaire, pour effet d’empêcher. Dans le cas d’un fusionnement proposé, le Tribunal évaluera si la nouvelle entrée sur le marché ou l’expansion se serait vraisemblablement produite dans un délai suffisamment opportun, et à une échelle suffisante, pour entraîner : (i) une baisse importante des prix, ou dans le cas d’une hausse importante de la concurrence autre que par le prix, relative aux niveaux de concurrence par les prix ou de concurrence autre que par les prix, (ii) dans une grande (c’est-à-dire, non négligeable) partie du marché pertinent, et (iii) pendant une période d’environ deux ans. Dans l’affirmative, si l’entrée sur le marché ou l’expansion se produira vraisemblablement dans un délai raisonnable, le Tribunal conclura que l’empêchement de la concurrence sera vraisemblablement sensible.

[124]  Le Tribunal examinera également si l’entrée sur le marché ou de l’expansion d’autres entreprises s’effectuera à une échelle semblable à la concurrence empêchée ou prévenue par le fusionnement, et si elle se produira au cours d’une période semblable. Si le Tribunal conclut qu’il est vraisemblable que cette entrée sur le marché ou expansion se produise, il ne conclura probablement pas que le fusionnement aura vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence.

[125]  Comme nous l’avons déjà souligné et comme l’ont reconnu toutes les parties, le prix auquel les prix en vigueur seront comparés sera celui qui aurait vraisemblablement été pratiqué en l’absence de fusionnement. Il incombera à la commissaire d’établir ce prix, ou la fourchette de prix, qui aurait été pratiqué en l’absence de fusionnement.

[126]  Dans leur argumentation finale, la commissaire et CCS ont affirmé que la jurisprudence américaine concernant les fusionnements qui auraient réduit la concurrence éventuelle fournit des indications utiles quant à la manière d’aborder les affaires intéressant l’empêchement de la concurrence. Selon le Tribunal, cette jurisprudence n’est pas vraiment utile pour apprécier les fusionnements dans le cadre de la Loi parce qu’elle a été élaborée à partir d’un critère législatif différent et la majeure partie de cette jurisprudence date de nombreuses années. (Apparemment, la Cour suprême des États-Unis et les cours d’appel fédérales n’ont pas eu l’occasion de réexaminer cette jurisprudence depuis les années 1980. Voir M. Sean Royall et Adam J. Di Vincenzo, « Evaluating Mergers between Potential Competitors under the New Horizontal Merger Guidelines », Antitrust (Automne 2010) 33, à la p. 35.)

F.  SIXIÈME QUESTION L’EMPÊCHEMENT DE LA CONCURRENCE EST-IL SENSIBLE?

a.  L’analyse fondée sur l’« absence hypothétique »

Introduction

[127]  Dans Canada (Commissaire de la concurrence) c. Tuyauteries Canada Ltée, 2006 CAF 233, la Cour d’appel fédérale a jugé que l’analyse fondée sur l’« absence hypothétique » était la façon convenable d’aborder la question de savoir si, suivant l’alinéa 79(1)c) de la Loi, « ...la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence... ». La Cour a formulé comme suit, au paragraphe 38 de l’arrêt, la question précise qui doit être examinée : « ...[L]a question [...] est elle de savoir si les marchés pertinents auraient été, ou seraient actuellement ou dans l’avenir, sensiblement plus concurrentiels en l’absence de la pratique attaquée d’agissements anti-concurrentiels. »

[128]  L’article 92 de la Loi reprend un libellé semblable à celui de l’article 79. L’article 92 dit que le Tribunal peut rendre une ordonnance dans les cas où « ...[il] conclut qu’un fusionnement réalisé ou proposé empêche ou diminue sensiblement la concurrence, ou aura vraisemblablement cet effet ». Les parties et le Tribunal ont décidé, pour cette raison, que l’analyse fondée sur l’« absence hypothétique » convient également aux affaires visées par l’article 92 de la Loi. Les parties reconnaissent que les conclusions seront prospectives et CCS a alerté le Tribunal à propos des conjectures. C’est sur cette toile de fond que nous abordons l’analyse fondée sur l’« absence hypothétique ».

[129]  Les motifs qui suivent porteront sur la question préliminaire de savoir s’il y aurait eu une concurrence réelle dans la fourniture de services d’enfouissement sécuritaires dans la région contestable établie par M. Kahwaty en l’absence du fusionnement. En d’autres termes, il y aurait-il vraisemblablement eu une concurrence réelle en l’absence du fusionnement? Après avoir traité de cette question, le Tribunal examinera les facteurs de l’article 93 qui sont pertinents dans le cadre de la présente affaire ainsi que la question du pouvoir compensateur.

[130]  Dans son analyse fondée sur l’absence hypothétique, le Tribunal examinera les questions suivantes :

  1. S’il n’y avait pas eu de fusionnement, quelle est la nouvelle concurrence, le cas échéant, qui se serait vraisemblablement produite dans la région contestable?
  2. S’il n’y avait pas eu de fusionnement, à quelle échelle la nouvelle concurrence se serait-elle vraisemblablement produite?
  3. S’il n’y avait pas eu de fusionnement, à quel moment les nouveaux concurrents auraient-ils vraisemblablement fait leur entrée sur le marché?

[131]  La commissaire a fait valoir que la période pendant laquelle il faudrait examiner l’absence hypothétique devrait correspondre au mois de juin ou juillet 2010. En revanche, CCS a indiqué de manière plus précise que la période pertinente à examiner devrait être la fin du mois de juillet 2010, soit le moment où CCS et Complete ont signé la lettre d’intention qui a conduit au fusionnement. Les parties étant essentiellement d’accord sur ce point, le Tribunal s’en tiendra à la fin du mois de juillet.

[132]  Le Tribunal est d’avis qu’à la fin de juillet 2010, seulement deux scénarios réalistes auraient pu se dégager en l’absence du fusionnement. Les voici :

  1. Les vendeurs auraient vendu à une société de déchets appelée Secure Energy Services Inc. (« SES »), laquelle aurait exploité un site d’enfouissement sécuritaire;
  2. Les vendeurs auraient exploité une installation de biorestauration ainsi qu’une demi-cellule d’enfouissement sécuritaire.

[133]  De nombreux éléments de preuve ont été présentés à ces égards. Les paragraphes qui suivent résument les aspects les plus importants de ces éléments de preuve.

Premier scénario – La vente de Complete à SES

[134]  En février 2007, lorsque les vendeurs se sont réunis pour la première fois pour discuter du sort de Complete, ils ont décidé que leur stratégie de sortie consisterait à vendre la société à Newalta Corporation ou à CCS. Newalta est une entreprise d’élimination des déchets qui exploite des sites d’enfouissement sécuritaires en Alberta. L’intention des vendeurs demeurait toutefois de ne vendre que lorsqu’ils pourraient obtenir un rendement acceptable du capital investi.

[135]  En novembre 2007, Canaccord Capital a délégué une équipe de quatre investisseurs à Fort St. John pour examiner la possibilité d’acheter un certain nombre d’entreprises des vendeurs, y compris Complete. À ce moment-là, l’intention des vendeurs de vendre Complete a été consignée dans le procès-verbal de la société, lequel précisait, entre autres :

[TRADUCTION]

...à la réunion concernant Complete, il a été convenu de poursuivre les activités actuelles à moins de se voir présenter une offre très séduisante de l’extérieur. Nous ne voulons pas faire tout le travail pour que d’autres en tirent parti – il vaut mieux prendre plus de temps, mais récolter de meilleurs bénéfices.

[136]  Par la suite, Karen Baker a préparé un énoncé de vision, daté du 22 juin 2008. Ce document précisait que la société souhaitait que [TRADUCTION] « la vente de l’entreprise procure un bon rendement du capital investi ». L’énoncé de vision comprenait aussi ce qui suit :

 [TRADUCTION]

La VISION de Complete Environmental Inc. est de devenir une compagnie environnementale, diversifiée et très efficiente, dans le NECB et qui génère une marge bénéficiaire élevée et qui se présente ainsi comme une acquisition alléchante pour de nombreux acheteurs potentiels.

[137]  Après que Complete eut reçu son permis délivré par le ME le 26 février 2010, l’entreprise de Ken Watson, IRTL, a offert [CONFIDENTIEL] pour l’acquisition de Complete. Avant que cette offre ne soit présentée, les vendeurs n’avaient pas envisagé véritablement la vente. Toutefois, l’offre d’IRTL les a poussés à examiner sérieusement la question et, avant de répondre à IRTL, ils ont autorisé Randy Wolsey à communiquer avec CCS et SES pour demander une déclaration d’intérêt.

[138]  Le 23 mars 2010, Randy Wolsey s’est adressé à SES, mais l’entreprise lui a fait savoir qu’elle n’avait pas l’intention de présenter une offre parce qu’elle se consacrait à son premier appel public à l’épargne. Elle a toutefois mentionné qu’elle pourrait manifester un intérêt ultérieurement et affirmé qu’elle estimait la valeur de BLS à environ [CONFIDENTIEL], somme qui pourrait être payée soit en numéraire et en actions, soit [CONFIDENTIEL] en plus d’un appel public à l’épargne. En revanche, CCS a manifesté immédiatement son intérêt et Dan Wallace, de CCS, a offert de vive voix [CONFIDENTIEL] pour BLS.

[139]  Les vendeurs ont finalement décidé de vendre Complete à IRTL. Cependant, IRTL a retiré son offre au début de juin 2010 après que Ken Watson eut appris que, contrairement à ce qu’il avait prévu, Canaccord Capital ne financerait pas l’acquisition de Complete par IRTL. Après ce refus de Canaccord, il n’avait pas eu le temps de trouver une autre source de financement.

[140]  Selon Karen Baker, après que l’offre d’IRTL eut été retirée, les vendeurs ont décidé d’essayer de vendre Complete une dernière fois. Ils ont conclu que, si aucune offre intéressante ne leur était présentée, ils exploiteraient l’installation Babkirk eux-mêmes, ce qui nécessiterait l’adoption d’un plan d’exploitation et la construction d’une demi-cellule d’enfouissement sécuritaire. Pour évaluer si une vente était toujours possible, Randy Wolsey s’est fait demander de communiquer encore une fois avec CCS et SES, mais aussi avec Newalta, ce qu’il a fait, mais cette dernière n’a pas répondu à son courriel.

[141]  À peu près à ce moment-là, Dan Wallace de CCS a semble-t-il appris que l’offre d’IRTL était tombée et il a demandé à Randy Wolsey par courriel si CCS pouvait renouveler son offre antérieure. Dans sa réponse, M. Wolsey a proposé de vendre BLS pour [CONFIDENTIEL]. Le 22 juin 2010, CCS a accepté d’acheter les actions de BLS pour cette somme.

[142]  Pour une raison inconnue, Randy Wolsey n’a pas informé les autres vendeurs de cette entente avec CCS. Il a plutôt organisé une réunion avec SES (la « réunion »), qui a eu lieu le 29 juin 2010. Rene Amirault, président-directeur général de SES, Dan Steinke, vice-président de l’expansion des affaires de SES, et Corey Higham, représentant à l’expansion des affaires de SES (le « groupe SES ») y ont assisté.

[143]  Selon les vendeurs, le groupe SES a passé la majeure partie de la réunion à présenter un exposé pour montrer que SES était un investissement intéressant. Une brochure de SES à l’intention des investisseurs potentiels a été utilisée à cette fin. Cependant, les vendeurs n’étaient pas désireux d’acheter des actions de SES et ils ont témoigné qu’aucune somme n’avait été proposée pour BLS ou Complete et qu’aucune offre n’avait fait l’objet de discussions.

[144]  Selon M. Amirault, il a été dit au cours de la réunion qu’une offre d’achat en numéraire pourrait être présentée. Les vendeurs ont réfuté cette affirmation. Comme cette preuve revêt une grande importance et qu’elle n’a pas été incluse dans la déclaration de témoin de M. Amirault, le Tribunal conclut qu’aucune mention d’offre d’achat en numéraire n’a été faite et que les vendeurs ont compris que SES achèterait Complete seulement si elle pouvait utiliser ses actions pour financer une partie de l’acquisition.

[145]  Pendant la réunion, les membres du groupe SES ont posé des questions sur la manière d’obtenir les approbations réglementaires qui permettraient à SES d’augmenter la capacité autorisée pour l’installation et améliorer la conception des cellules du site d’enfouissement sécuritaire (les « Questions »). Les vendeurs n’ont pu répondre à ces Questions et M. Amirault a indiqué dans son témoignage qu’il avait demandé l’autorisation de parler à M. Del Reinheimer au sujet des Questions, mais on a refusé de la lui accorder. Or, certains vendeurs ne se rappelaient pas qu’un membre du groupe SES avait demandé l’autorisation de parler à M. Del Reinheimer concernant les Questions et d’autres vendeurs ont nié qu’un membre avait demandé une telle autorisation à ce moment-là. Monsieur Reinheimer était le chef de section de la gestion environnementale dans la division de la protection de l’environnement du ME.

[146]  Monsieur Amirault a dit qu’à la rencontre suivante, SES s’intéressait activement à l’achat de Complete et il a fourni les raisons suivantes pour justifier le fait qu’il n’avait pas fait d’offre ni présenté une lettre d’intention en juillet 2010 :

  • Il fallait obtenir une réponse aux Questions avant de pouvoir établir un prix.
  • Il n’était pas particulièrement urgent de faire une offre parce qu’il n’y avait pas d’autres acheteurs. Monsieur Amirault a affirmé dans son témoignage que les vendeurs avaient indiqué pendant la réunion que Complete avait promis à une Première Nation qu’elle ne vendrait pas à CCS, et les membres du groupe SES savaient que Newalta n’était pas intéressée.

[147]  Monsieur Amirault a reconnu que les Questions avaient trait au processus, c’est-à-dire à la « manière » d’obtenir les approbations nécessaires concernant l’augmentation de la capacité autorisée et l’amélioration de la conception des cellules. Il a également affirmé qu’il n’avait aucun doute quant à l’obtention des approbations. Dans ces circonstances et étant donné que SES, comme il est indiqué plus loin, participait activement à l’aménagement d’un autre site d’enfouissement sécuritaire, le Tribunal est d’avis que SES était au courant des dépenses nécessaires pour augmenter la capacité autorisée et améliorer les cellules d’enfouissement au site Babkirk. Par conséquent, le Tribunal ne retient pas le témoignage de M. Amirault, selon lequel SES ne pouvait établir de prix d’achat sans obtenir de réponse aux Questions.

[148]  Il y a un différend sur la question de savoir si, le 6 juillet 2010, Corey Higham a envoyé un courriel à Ron Baker dans lequel il énonçait les Questions qui avaient été examinées pendant la rencontre. Dans sa déposition, M. Amirault a déclaré par ouï-dire que Corey Higham lui avait dit que le courriel avait été envoyé. Une photocopie de ce courriel était jointe à la déclaration de témoin de M. Amirault. Toutefois, après que Ron Baker eut indiqué dans sa déclaration de témoin qu’il ne se rappelait pas avoir reçu le courriel, Corey Higham n’a rien déposé en contre-preuve pour indiquer que le courriel avait bel et bien été envoyé. Le courriel est un document important dans la mesure où il établit l’intérêt soutenu de SES d’obtenir réponse à ces Questions. Cependant, étant donné que le courriel n’a pas été produit d’une manière convenable, le Tribunal ne lui accorde aucune force probante.

[149]  Comme nous l’avons indiqué précédemment, M. Amirault a indiqué dans son témoignage que Ron Baker avait dit aux membres du groupe SES pendant la réunion qu’il avait promis à une Première Nation que les vendeurs ne vendraient pas l’installation Babkirk à CCS. C’est donc à dire que SES avait compris que les vendeurs n’auraient vraisemblablement pas d’offre concurrente. Or, ce détail aussi important ne figurait pas dans la déclaration de témoin de M. Amirault et il n’est pas ressorti dans son interrogatoire principal. Il a été soulevé pour la première fois en réponse à une question posée par le Tribunal. Pour cette raison, cet élément de preuve n’est pas admis pour expliquer pourquoi SES n’avait pas démontré qu’elle s’intéressait plus activement à l’achat de Complete.

[150]  Monsieur Amirault a reconnu que le temps pour débuter la construction en 2010 [TRADUCTION] « “...commençait à manquer, rapidement » et que SES voulait que la construction à Babkirk commence en fin août ou à la mi-septembre au plus tard. C’est donc à dire que si SES s’était activement intéressée à acquérir Complete, elle ne se serait pas dépêchée pour présenter une lettre d’intention aux vendeurs. Monsieur Amirault a également dit dans son témoignage que, sauf pour la mise à jour de l’étude de marché antérieure concernant l’installation Babkirk, aucune autre mesure de vérification n’était nécessaire. En outre, selon son témoignage, il n’avait pas besoin d’avoir l’approbation de son conseil d’administration pour remettre une lettre d’intention. Dans ces circonstances, le Tribunal conclut que le défaut de SES de donner suite plus rapidement à sa réunion avec les vendeurs et son défaut de démontrer qu’elle était intéressée à faire une offre pendant cette période signifient qu’elle n’était pas activement intéressée à acquérir BLS en juillet 2010.

[151]  Ron Baker se rappelle que Corey Higham lui a téléphoné le 28 juillet 2010. Cependant, M. Baker n’a aucun souvenir de ce qu’a dit M. Higham lors de cette conversation téléphonique. Puisque Corey Higham n’a pas témoigné, le Tribunal estime qu’on peut supposer qu’il n’a pas fait d’offre pour acquérir Complete ni proposé de remettre une lettre d’intention. Bien que M. Baker se souvienne peu des propos qu’il a lui-même tenus lors de cette conversation, il se rappelle avoir dit à M. Higham que Complete venait tout juste de signer une lettre d’intention avec CCS.

[152]  Le Tribunal estime qu’il importe de souligner que, depuis 2007, SES avait implanté un nouveau site d’enfouissement portant le nom d’Heritage. Il se situe à environ 153 km au sud du site Babkirk. Toutefois, il n’a pas très bien été accueilli lors des consultations publiques parce qu’il devait être situé près d’une région habitée et sur un site qui avait connu des glissements de terrain. Le 26 juillet 2010, on a dit à Corey Higham, de SES, que l’étude du projet Heritage réalisée par les évaluations environnementales avait été « suspendue » jusqu’à ce que SES fournisse d’autres éléments de preuve concernant la pertinence du site. SES a éventuellement abandonné le projet en décembre 2010.

[153]  Le Tribunal conclut, d’après la preuve, que SES avait démontré, de façon continue, un intérêt général à l’égard de l’installation Babkirk. Elle avait parlé à Murray Babkirk lorsqu’il était le propriétaire de BLS et elle avait fait part de son intérêt pour l’avenir lorsque Randy Wolsey avait communiqué avec elle en mars 2010. SES avait également envoyé le principal dirigeant à la réunion de juin 2010. Cependant, le Tribunal conclut également que SES ne s’est pas montrée activement intéressée à faire une acquisition en juillet 2010. Elle n’a jamais discuté d’un prix éventuel et, malgré les Questions qu’elle a posées, les réponses n’étaient pas nécessaires pour établir le prix et SES savait qu’elle obtiendrait les approbations supplémentaires qu’elle avait demandées. Enfin, bien que M. Amirault ait indiqué dans son témoignage qu’aucune mesure de vérification importante ne devait être prise, SES n’a pas envoyé de lettre d’intention et aucun de ses documents internes ne démontre qu’elle se préparait à faire une offre. Le Tribunal conclut que le fait que SES accordait encore la priorité à son projet au site Heritage explique pourquoi elle ne s’est pas montrée activement intéressée à faire l’acquisition de Babkirk. Cela est compréhensible puisqu’elle avait déjà investi trois ans et environ 1,3 million de dollars pour implanter ce projet.

[154]  Étant donné toutes ces circonstances, le Tribunal conclut que, suivant la prépondérance des probabilités, SES n’aurait probablement pas fait une offre acceptable pour Complete à la fin de juillet 2010 ou à une autre date pendant l’été 2010, et que les vendeurs auraient donné suite à leurs propres plans pour implanter l’installation Babkirk.

Deuxième scénario – Les vendeurs exploitent Babkirk

[155]  Selon les vendeurs, Complete a été créée en vue de l’achat de BLS et de l’exploitation d’une installation de biorestauration sur le site Babkirk. Ils affirment que leur intention était d’accepter uniquement des déchets dangereux contaminés par des hydrocarbures de fractions légères pouvant être traités par biorestauration.

[156]  Les vendeurs ont toutefois reconnu que la biorestauration pouvait parfois échouer et qu’il était possible que des mottes de terre contaminée subsistent (« points chauds ») parmi les déchets traités. Les vendeurs savaient que le sol contaminé devrait être placé dans un site d’enfouissement sécuritaire avant que le sol restant puisse être analysé et déclassé pour être considéré comme un déchet non dangereux.

[157]  Pour permettre à BLS d’éliminer de façon permanente le sol contaminé provenant des points chauds et pour attirer des clients à l’installation Babkirk, les vendeurs ont proposé d’aménager un site d’enfouissement sécuritaire au site Babkirk, qu’ils ont décrit comme « auxiliaire » à leurs activités de traitement : seul le sol n’ayant pu être traité avec succès par biorestauration serait acheminé au site sécuritaire. Le Tribunal donnera cette signification au terme « auxiliaire » dans le reste de la présente décision en ce qui concerne le site d’enfouissement sécuritaire des vendeurs.

[158]  La commissaire ne croit pas que le site d’enfouissement sécuritaire des vendeurs devait être utilisé uniquement à titre « auxiliaire ». Elle soutient que les vendeurs ont toujours eu l’intention d’accepter et d’éliminer directement de façon permanente tous les types de déchets dangereux dans leur site d’enfouissement sécuritaire. Nous emploierons le terme « site d’enfouissement sécuritaire à service complet » pour désigner ce mode de fonctionnement. Pour étayer son point de vue, la commissaire se fonde notamment sur les documents utilisés en vue de l’obtention du certificat d’évaluation environnementale et du permis délivré par le ME. Le terme « documents d’approbation réglementaire » (DAR) sera employé pour désigner collectivement ces documents. Comme il est expliqué plus loin, les DAR indiquent clairement qu’un site d’enfouissement sécuritaire devait être ouvert au site Babkirk. La commissaire se fonde également sur les plans d’exploitation provisoires (le « plan d’exploitation ») du site Babkirk, qui montrent que l’aménagement d’un site d’enfouissement sécuritaire à service complet était projeté.

[159]  Enfin, la commissaire s’appuie sur les déclarations figurant dans divers documents qui indiquent à son avis que les vendeurs avaient l’intention de concurrencer CCS. Elle fait valoir que dans ces documents, les renvois relatifs à l’intention de concurrencer CCS visaient l’exploitation de l’installation de Babkirk comme site d’enfouissement sécuritaire à service complet.

Les documents des vendeurs

[160]  Les vendeurs ont expliqué qu’ils avaient besoin d’un certificat d’évaluation environnementale et d’un permis de site d’enfouissement sécuritaire délivré par le ME pour pouvoir accepter des déchets dangereux de toutes sortes traités de diverses manières à l’installation Babkirk. Ils ont toutefois indiqué qu’aucun de ces documents ne les obligeait à fournir un service complet. En d’autres termes, même s’ils en avaient le droit, ils n’étaient pas tenus d’accepter tous les types de déchets dangereux en vue de leur élimination directe, et avaient toute liberté d’exploiter un site d’enfouissement sécuritaire « auxiliaire ».

[161]  Les vendeurs demandent au Tribunal de considérer principalement que les documents préparés lorsque Complete a été constituée en société et lorsque le permis a été enfin délivré par le ME constituent les meilleurs éléments de preuve de leur intention, laquelle était, à leur avis, d’utiliser le site d’enfouissement sécuritaire sur le site de Babkirk seulement comme outil auxiliaire à la biorestauration. Nous emploierons les termes « documents des vendeurs » pour désigner les documents qui s’inscrivent dans cette catégorie. Nous les analyserons à tour de rôle ci-dessous.

[162]  Le procès-verbal d’une réunion à laquelle Randy Wolsey et Ken Watson ont assisté en compagnie de M. Del Reinheimer et d’autres représentants du ME et du BEE le 24 janvier 2007. Le procès-verbal précise ce qui suit :

[TRADUCTION]

Ken [Watson] discute des activités de restauration de l’installation, qui se poursuivront même après l’aménagement du site d’enfouissement, si celui-ci est créé. Il indique que des entreprises ont manifesté leur intérêt quant à la poursuite des activités de restauration et d’enfouissement. Ken mentionne certaines pratiques et certains équipements utilisés dans le cadre d’autres activités auxquelles il prend part, et montre des photos et des bandes vidéo sur des équipements (p. ex., le composteur ALLU AS 38) en cours d’utilisation.

Ken et Randy indiquent leur intention d’avoir un composteur ALLU AS 38 à l’installation en tout temps. Ils précisent que ce composteur pourrait traiter jusqu’à environ 25 000 m par jour d’argile de la région de Peace River.

[non souligné dans l’original]

[163]  Dans son témoignage, M. Reinheimer a convenu que, selon ce qu’il avait compris, les vendeurs exploiteraient une installation de biorestauration et qu’ils se demandaient si le site d’enfouissement sécuritaire visé par la demande serait un jour construit. De l’avis du Tribunal, ce témoignage appuie la nature auxiliaire du site d’enfouissement sécuritaire.

[164]  Le procès-verbal d’une réunion de Newco tenue en février 2007. Ce procès-verbal consigne la vision des vendeurs de leur nouvelle entreprise, qui deviendra Complete. Il ne comporte aucune mention d’un site d’enfouissement sécuritaire sur le site Babkirk. Le procès-verbal fait seulement état du traitement des déchets. Ce document désigne CNRL et Petro-Canada comme clients pour le traitement des déchets et indique que Petro-Canada s’y intéressait depuis des années. Dans le contexte, il ressort clairement que Petro-Canada s’intéressait à la biorestauration. L’absence de mention d’un site d’enfouissement sécuritaire, malgré la demande d’approbation déjà en cours, indique fortement que celui-ci devait tenir un rôle auxiliaire dans le cadre des activités de Complete sur le site Babkirk.

[165]  Le procès-verbal précise ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le nom de Newco devrait être « Environmental Services Co. », et non « Waste Management (Facility) Co. ». Il est proposé que les services devant être offerts par Newco comprennent le forage pour les sites se trouvant dans la zone du point milliaire 115, les travaux de restauration et d’excavation aux sites des clients et le traitement au site d’enfouissement situé au point milliaire 115. Nous pourrions aussi coordonner le transport par camion des sols contaminés que nous aurions prélevés chez les clients jusqu’au point milliaire 115 en vue de leur traitement, sans être propriétaires des camions.

Le marché cible serait celui des sociétés de génie environnemental et des sociétés pétrolières et gazières qui sont des utilisatrices finales, comme Petro-Canada et CNRL. Il serait utile d’obtenir une lettre de Petro-Canada et de Matrix concernant l’envergure possible des travaux. Nos services correspondent à un besoin – Petro-Canada se montre intéressée depuis des années. Il devrait s’agir d’une situation où prédomine la « demande du marché », plutôt que la « pression pour vendre le produit ».

Il y aurait des travaux considérables à réaliser pour la préparation du site d’enfouissement au point milliaire 115 [site Babkirk]. Randy indique que Tom aimerait probablement s’occuper de la question de l’exploitation du matériel lourd. Nous prévoyons obtenir le permis d’ici le 1er novembre 2007. Il faudrait probablement attendre un an avant de réaliser des ventes pour le site d’enfouissement comme tel, puisqu’il faut construire les cellules.

[souligné dans l’original]

[166]  Le Tribunal a examiné ce dernier passage et a conclu que même si le terme « site d’enfouissement » est utilisé, l’objet de la discussion est en fait la biorestauration et l’intention des vendeurs de vendre le sol traité.

[167]  Un diagramme de l’exploitation par Newco. Ce document indique comment l’installation de traitement de Complete située sur le site Babkirk s’ajouterait à d’autres entreprises exploitées par les vendeurs. Le diagramme ne fait pas référence à un site d’enfouissement sécuritaire. Cette omission tend également à indiquer que le site d’enfouissement sécuritaire ne constituait pas une partie importante des activités de Complete ou du plan des vendeurs d’intégrer un certain nombre de leurs entreprises.

[168]  Le procès-verbal du 20 janvier 2010. Ce document porte sur une rencontre à laquelle Ken Watson et Ron Baker ont assisté en compagnie de M. Del Reinheimer et d’autres représentants du ME afin de discuter des intentions des vendeurs concernant le site Babkirk. À cette date, Complete était propriétaire de Babkirk et avait reçu le certificat d’évaluation environnementale. L’obtention du permis du ME en vue de l’établissement du site d’enfouissement sécuritaire constituait l’étape suivante. Le passage pertinent du procès-verbal est le suivant :

[TRADUCTION]

Ken [Watson] et Ron [Baker] insistent tous deux sur le fait que même s’ils préféreraient utiliser le site Babkirk comme installation de traitement plutôt que comme site d’enfouissement, l’industrie pose comme condition l’obtention d’un permis de site d’enfouissement sécuritaire pour le transport de matières vers le site Babkirk ou l’utilisation de ce site de quelque manière que ce soit. Le terme « sécuritaire » semble être de la plus haute importance pour toutes les grandes sociétés pétrolières et gazières.

• Bien que M. Del [Reinheimer, du ME] ne comprenne pas cette perception de l’industrie, il reconnaît qu’il s’agit d’un sujet de préoccupation.

• Il indique que même si le permis peut être délivré, l’exploitation d’un site d’enfouissement sécuritaire ne pourrait débuter qu’après l’approbation du plan d’exploitation et l’aménagement du site d’enfouissement.

Ken et Ron conviennent que pour l’instant, c’est la perception du mot « sécuritaire », plus que l’exploitation d’un véritable site d’enfouissement, qui importe pour attirer les clients.

Ken propose qu’avant l’obtention de l’autorisation d’exploiter un site d’enfouissement sécuritaire, les matières ne pouvant être acceptées pourraient être envoyées à CCS (faible quantité autour de la source de contamination); le reste pourrait être accepté au site Babkirk.

Tous les travaux d’aménagement du site d’enfouissement convenus débuteront moins de deux ans après la délivrance du permis; le plan d’exploitation du site d’enfouissement doit être achevé avant la réalisation des travaux de construction, mais son établissement n’a pas d’incidence sur la délivrance du permis en tant que tel.

Ron [Baker] propose qu’il soit indiqué, dans le permis, que la phase de construction du site d’enfouissement portera sur l’aménagement de petits segments de demi-cellule échelonné sur une certaine période, plutôt que sur l’aménagement en une seule fois d’une demi-cellule entière (comme l’indique le règlement).

[non souligné dans l’original]

[169]  Selon le Tribunal, plusieurs éléments de ce document indiquent que le site d’enfouissement sécuritaire Babkirk devait être de nature auxiliaire. Premièrement, Ron Baker a mentionné que même une demi-cellule entière n’était pas nécessaire et a proposé de s’en tenir à l’aménagement de plus petits segments. Cette proposition n’est logique que dans l’optique où le site d’enfouissement serait de nature auxiliaire. Aucune entreprise voulant concurrencer le site d’enfouissement sécuritaire à service complet de CCS à Silverberry n’envisagerait de construire un petit segment de demi-cellule.

[170]  Deuxièmement, la nature auxiliaire du site d’enfouissement sécuritaire est révélée lorsque Ken Watson propose que les matières ne pouvant être acceptées soient envoyées à CCS jusqu’à la mise en service du site d’enfouissement sécuritaire Babkirk. Le point à retenir ici est le fait que les matières jugées non acceptables ne sont pas des matières livrées par des producteurs de déchets en vue de leur élimination directe dans le site d’enfouissement sécuritaire Babkirk, mais bien les matières présentes en « faible quantité autour de la source de contamination » − autrement dit, les matières entourant les points chauds. Cela confirme une fois de plus que l’intention des vendeurs était d’utiliser leur site d’enfouissement sécuritaire uniquement à titre auxiliaire.

[171]  Le procès-verbal du 20 mars 2010. Ce procès-verbal rend compte des réflexions des vendeurs au sujet de l’offre d’achat d’IRTL. Selon le procès-verbal, les vendeurs croyaient avoir les trois options suivantes :

[TRADUCTION]

  1. Mise en service d’une cellule sécuritaire et biorestauration [y compris les sels];
  2. Biorestauration sans cellule;
  3. Vente???

Le procès-verbal indiquait également ce qui suit :

[TRADUCTION]

« Il faut 12 mois pour voir si la biorestauration est efficace. »

[172]  Les vendeurs demandent au Tribunal de prendre acte du fait que ces éléments de preuve sont tous antérieurs à l’acquisition de Complete par CCS et à l’intérêt de la commissaire dans le fusionnement. Les vendeurs soutiennent également que leurs témoignages au cours de l’audience confirment leur intention d’exploiter uniquement un site d’enfouissement sécuritaire auxiliaire. Le gestionnaire proposé de l’installation Babkirk (Randy Wolsey) et le responsable des opérations quotidiennes (Ken Watson) ont tous deux témoigné que les seuls déchets qu’ils avaient l’intention d’accepter à l’installation Babkirk étaient ceux qui pouvaient être traités par biorestauration.

Les DAR

[173]  Il existe de nombreux DAR, mais ceux qui sont particulièrement pertinents sont les suivants : [TRADUCTION] « Cadre de référence » daté du 29 août 2007, « Demande de certificat d’évaluation environnementale » datée du 11 février 2008, « Rapport d’évaluation du projet de Babkirk relatif au site d’enfouissement sécuritaire » daté du 12 novembre 2008 et « Bulletin d’information de la Colombie-Britannique » daté du 9 décembre 2008.

[174]  Le premier DAR pertinent est le Cadre de référence concernant le projet de Babkirk relatif au site d’enfouissement sécuritaire. Il a été approuvé par le BEE le 29 août 2007.

[175]  Voici le texte de son article 3.1 :

[TRADUCTION]

Le promoteur [Murray Babkirk] a observé une baisse considérable de la quantité de déchets acheminés à l’installation actuelle de stockage et de traitement depuis l’approbation de la demande visant le site d’enfouissement sécuritaire Silverberry (au nord de Fort St. John, en C.-B.). En effet, l’élimination directe constitue une option plus économique pour les clients que le traitement et l’élimination. La conversion de l’installation actuelle, vouée uniquement au stockage à court terme et au traitement, en site d’enfouissement sécuritaire et en installation de stockage à court terme et de traitement permettra d’établir une juste concurrence entre le promoteur et l’installation Silverberry en ce qui concerne l’offre de solutions responsables de gestion des déchets pour l’industrie locale.

[...]

Le présent article prévoit ce qui suit :

[...]

□ une liste des matières devant être acceptées dans le cadre du projet en vue de leur élimination;

□ une description générale des critères qui permettront de déterminer si les sols contaminés doivent être éliminés directement dans le site d’enfouissement sécuritaire ou traités par biorestauration;

[...]

[non souligné dans l’original]

[176]  Ce document donne à penser que l’installation projetée sur le site Babkirk accepterait des déchets dangereux en vue de leur élimination directe dans le site d’enfouissement sécuritaire, et que ce site d’enfouissement sécuritaire serait aménagé de façon à permettre au site Babkirk de concurrencer le site Silverberry de CCS. La première ébauche du document a été faite par SNCL selon les instructions de Murray Babkirk, qui était effectivement le promoteur puisqu’il était propriétaire de BLS avec son épouse. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, certains vendeurs ont relu le document par la suite, mais n’ont proposé aucun changement afin de préciser leur intention d’exploiter le site d’enfouissement sécuritaire uniquement à titre auxiliaire. Comme les autres DAR contiennent des passages semblables, il n’est pas nécessaire de les décrire en détail. Le Tribunal estime qu’ils indiquent tous qu’un site d’enfouissement sécuritaire à service complet serait exploité au site Babkirk.

[177]  Il est évident que certains vendeurs avaient, pour reprendre les propos de Karen Baker, [TRADUCTION] « participé pleinement » au processus réglementaire ayant mené à la délivrance du certificat d’évaluation environnementale. Certains d’entre eux ont participé aux séances d’information, aux réunions de consultation et aux présentations destinées aux Premières Nations; certains étaient les destinataires de lettres concernant le certificat d’évaluation environnementale; certains ont participé directement à la rédaction et la révision de certains DAR; et certains ont aidé les Babkirk à régler des problèmes techniques. Les vendeurs ont également avancé des fonds qui ont permis aux Babkirk de financer le processus d’évaluation environnementale et payer les frais exigés par SNCL. Ce soutien financier s’est élevé à environ 300 000 $ et a été déduit du prix d’achat que Complete a payé aux Babkirk pour les actions de BLS. Compte tenu de toutes ces circonstances, la commissaire fait valoir que les DAR traduisent les véritables intentions des vendeurs.

[178]  Or, les vendeurs affirment que ces documents autorisent certes la construction d’un site d’enfouissement sécuritaire à service complet, mais ils ne précisent pas leurs intentions. Monsieur Baker a expliqué que de l’avis des vendeurs, à partir du moment où ils ont l’approbation nécessaire pour le site d’enfouissement sécuritaire, personne ne se plaindrait s’ils devaient choisir de l’exploiter à titre auxiliaire. Il a ajouté que s’ils avaient demandé de modifier le cadre de référence, sur lequel s’appuyaient manifestement les DAR produits ultérieurement, le fait d’apporter des changements, qui n’étaient pas nécessaires à leur avis, aurait ralenti le processus d’approbation.

[179]  Le Tribunal conclut que cette explication est raisonnable et qu’elle étaye la réponse de M. Baker à la question de savoir pourquoi les vendeurs n’avaient pas modifié le cadre de référence pour préciser leur intention d’exploiter un site d’enfouissement sécuritaire. Voici ce qu’a dit M. Baker à cet égard :

[TRADUCTION]

...Il ne comportait rien qui eut été pour nous à ce point majeur ou important qui puisse justifier une modification.

[180]  Compte tenu de cette explication et des documents des vendeurs qui, à compter de janvier 2007, établissent invariablement que ceux-ci avaient l’intention d’exploiter un site d’enfouissement sécuritaire auxiliaire, le Tribunal conclut que les DAR, s’ils décrivent fidèlement les services offerts à l’installation Babkirk, ne précisent pas les intentions des vendeurs.

Le plan d’exploitation

[181]  Les vendeurs n’ont jamais dressé de plan d’exploitation pour le site d’enfouissement sécuritaire sur le site Babkirk.

[182]  Le premier plan d’exploitation a été élaboré par SNCL. Une première ébauche incomplète de ce document est datée du 9 janvier 2008. La preuve indique qu’une version révisée de ce plan a été établie en décembre 2008. Le Tribunal estime qu’à plusieurs endroits dans les deux versions, on constate que le site d’enfouissement sécuritaire pouvait offrir un service complet. Par exemple :

[TRADUCTION]

...L’ajout d’un site d’enfouissement sécuritaire à cette installation permettrait d’offrir un service d’élimination directe, en plus des services de traitement et de restauration des sols contaminés. L’installation Babkirk pourrait donc concurrencer le site d’enfouissement sécuritaire Silverberry situé à proximité. L’installation projetée serait entièrement contenue à l’intérieur du périmètre de l’ancienne installation.

[non souligné dans l’original]

[183]  Selon le témoignage de M. Baker, les vendeurs ont travaillé directement avec SNCL sur le plan d’exploitation et ils avaient travaillé [TRADUCTION] « assez longuement » sur la révision de la première ébauche. Il a dit cependant que les vendeurs n’ont pas été satisfaits de la version révisée et ont décidé de préparer leur propre plan. Monsieur Baker a ajouté que la rédaction d’un nouveau plan aurait pris des « mois » de travail.

[184]  Toutefois, d’autres éléments de preuve indiquent clairement que les vendeurs ont abandonné l’idée de refaire le plan d’exploitation. Le procès-verbal de la réunion de Complete, à laquelle Ron Baker a assisté en mars 2010, montre que les vendeurs pensaient alors que le plan [TRADUCTION] « ne posait pas de problème en général » et qu’ils n’avaient besoin que de quelques semaines pour rédiger la version finale à l’intention du ME. Le procès-verbal d’une réunion ultérieure, tenue en mai 2010, indique que l’élaboration du plan d’exploitation nécessitait « 4 ou 5 jours de travail ».

[185]  Monsieur Baker a reconnu que selon sa compréhension du plan d’exploitation, les producteurs de déchets pourraient éliminer directement et de manière définitive, au site d’enfouissement sécuritaire Babkirk, des déchets dangereux impossibles à traiter. À ce sujet, voici la transcription du contre-interrogatoire de M. Baker à la p. 1212 :

[TRADUCTION]

M. Iatrou : Donc, vous accepteriez des déchets. Certains pourraient être fortement contaminés et impossibles à traiter. Ils resteraient à l’intérieur [du site d’enfouissement sécuritaire], mais les matières pouvant être traitées seraient retirées de la cellule à mesure que la capacité et que la cellule de biorestauration seraient libérées?

M. Baker : C’est exact.

[186]  Cependant, après examen du contre-interrogatoire complet de M. Baker portant sur le plan d’exploitation, le Tribunal croit qu’en donnant cette réponse, M. Baker ne disait pas que les vendeurs avaient l’intention d’exploiter un site d’enfouissement sécuritaire à service complet. Il expliquait plutôt ce qu’il était possible de faire dans le cadre du plan. Cette nuance apparaît clairement dans l’échange qui suit [TRADUCTION] :

M. Iatrou : Accepteriez-vous le même type de matières que ce que vous pourriez envoyer à Silverberry?

M. Baker : Oui, c’est exact. Nous pourrions l’accepter. Notre intention n’était pas d’accepter le type de sols pouvant être acheminés uniquement à Silverberry, si vous voyez ce que je veux dire. Je suppose que je devrais m’expliquer un peu.

[non souligné dans l’original]

[187]  Vers la fin de ce contre-interrogatoire, M. Baker a commencé à répondre aux questions du point de vue des vendeurs. Par exemple, interrogé sur la partie du plan d’exploitation portant sur la fermeture des cellules sécuritaires une fois remplies, il a affirmé ce qui suit [TRADUCTION] : « C’était le concept envisagé, si nous en arrivions à utiliser la section du site d’enfouissement sécuritaire de notre installation. » [non souligné dans l’original]

[188]  À la fin de son interrogatoire, lorsqu’on lui a demandé si les trois cellules sécuritaires devaient être construites en même temps, M. Baker a répondu [TRADUCTION] : « Non, non, non. L’idée de procéder par étapes pour la construction était que nous voulions aménager une demi-cellule et ne plus rien avoir à faire d’autre par la suite. C’était notre intention. Nous stockerions une quantité si faible de matière enfouissable dans cette portion de cellule que nous pourrions l’utiliser pendant tout le temps où nous en aurions besoin. » [non souligné dans l’original]

[189]  De l’avis du Tribunal, il est évident que la démarche suivie par les vendeurs relativement au plan d’exploitation était similaire à celle suivie au sujet des DAR. Un plan qui permettait l’élimination directe des déchets dangereux n’obligeait pas les vendeurs à l’accepter. Il est évident pour le Tribunal que, dès la constitution de Newco en 2007, les vendeurs voulaient rendre l’installation Babkirk le plus attrayante possible pour la vendre, ce qui signifiait qu’elle devait permettre d’être exploitée à titre de site d’enfouissement sécuritaire à service complet. Or, cela ne veut pas dire que les vendeurs avaient l’intention d’exploiter l’installation Babkirk de cette manière, vu leur préférence exprimée depuis longtemps pour une installation de biorestauration pourvue d’un site d’enfouissement sécuritaire auxiliaire.

L’installation Babkirk allait-elle concurrencer CCS?

[190]  La commissaire invoque également ce qu’elle appelle l’intention exprimée des vendeurs de concurrencer CCS pour étayer son allégation selon laquelle Complete était prête à exploiter un site d’enfouissement sécuritaire à service complet sur le site Babkirk. Les déclarations sur lesquelles elle se fonde figurent dans les DAR, le plan d’exploitation et les procès-verbaux de Complete.

[191]  Il ne fait aucun doute qu’en 2006, lorsque les Babkirk ont communiqué avec SNCL pour travailler sur des documents en vue de l’obtention du certificat d’évaluation environnementale, leur intention était d’exploiter un site d’enfouissement sécuritaire à service complet sur le site Babkirk une fois les approbations nécessaires obtenues. Comme nous l’avons indiqué précédemment, la description initiale du projet élaborée par SNCL ne laissait aucun doute à ce sujet :

[TRADUCTION]

Le promoteur [BLS, propriété des Babkirk] semble avoir observé une baisse considérable de ses activités de stockage et de traitement des sols contaminés depuis l’approbation de la demande visant le site d’enfouissement sécuritaire Silverberry (au nord de Fort St. John, en C.-B.). En effet, l’élimination directe constitue une option plus économique pour les clients que le traitement et l’élimination. La conversion de l’installation actuelle, vouée uniquement au stockage et au traitement à court terme, en site d’enfouissement sécuritaire et en installation de stockage et de traitement à court terme permettra d’établir une juste concurrence entre le promoteur et l’installation Silverberry en ce qui concerne l’offre de solutions responsables de gestion des déchets pour l’industrie locale.

[non souligné dans l’original]

[192]  Cette formulation est reprise dans le cadre de référence et l’intention est réaffirmée de manière encore plus claire dans la demande présentée pour l’obtention du certificat d’évaluation environnementale. Il y est indiqué que l’installation proposée permettrait au promoteur de faire [TRADUCTION] « concurrence sur le marché pour l’élimination directe des sols contaminés » et que l’installation Babkirk est en « concurrence directe » avec CCS à Silverberry.

[193]  Le plan d’exploitation des vendeurs indique également que le site d’enfouissement sécuritaire a été ajouté au site Babkirk pour lui permettre de concurrencer le site d’enfouissement Silverberry. De plus, dans l’énoncé de vision qu’elle a rédigé pour Newco, lequel énoncé est joint au procès-verbal du 22 juin 2008, Karen Baker déclare que les vendeurs voulaient que Complete [TRADUCTION] « devienne le principal concurrent du chef de file de l’industrie [CCS/Newalta] ».

[194]  En contre-interrogatoire lors de l’audience, Randy Wolsey a confirmé l’intention de concurrencer CCS. Il a cependant ajouté que l’enfouissement et la concurrence avec Silverberry [TRADUCTION] « deviendront une réalité », mais « à une échelle très différente » parce que les vendeurs fourniraient un « tout nouveau service ».

[195]  Monsieur Baker a également admis dans son témoignage que les vendeurs avaient effectivement l’intention d’entrer en concurrence avec CCS et d’autres entreprises, mais non à l’égard des prix. Il a dit qu’ils seraient en concurrence puisqu’ils offriraient un service différent de tous ceux qu’offrent CCS ou Newalta.

[196]  Le Tribunal conclut que Complete avait l’intention de « concurrencer » le site d’enfouissement Silverberry en offrant un nouveau service de biorestauration et que ses déclarations sur la concurrence ne signifiaient pas que les vendeurs prévoyaient d’exploiter un site d’enfouissement sécuritaire à service complet sur le site Babkirk.

Conclusions

[197]  Si le fusionnement n’avait pas eu lieu, le Tribunal est d’avis que, à la fin de juillet 2010, en l’absence de lettre d’intention de la part de SES, les vendeurs auraient procédé à l’implantation de l’installation Babkirk. Les éléments nécessaires à cette implantation auraient été les suivants :

  • achèvement du plan d’exploitation;
  • obtention de l’approbation du ME concernant le plan d’exploitation;
  • construction d’une demi-cellule d’enfouissement sécuritaire d’une capacité de 125 000 tonnes;
  • acceptation de déchets dangereux devant faire l’objet d’une biorestauration et envoi des déchets ne pouvant être traités efficacement par biorestauration au site d’enfouissement sécuritaire auxiliaire.

[198]  Bien que certains éléments de preuve permettent de penser que les vendeurs auraient pu décider de commencer à accepter des déchets devant faire l’objet d’une biorestauration sans disposer d’une capacité d’enfouissement sécuritaire, le Tribunal conclut que les vendeurs auraient probablement construit leur demi-cellule d’enfouissement sécuritaire le plus rapidement possible pour deux raisons. Premièrement, les vendeurs ont indiqué à M. Del Reinheimer du ME, le 20 janvier 2010, que les clients accordaient beaucoup d’importance à la disponibilité d’une capacité d’enfouissement sécuritaire. En effet, Petro-Canada avait refusé d’expédier des déchets devant faire l’objet d’une biorestauration tant que les vendeurs n’ouvriraient pas de site d’enfouissement sécuritaire. Deuxièmement, Ken Watson a déclaré que l’intention était de stocker dans le site d’enfouissement sécuritaire tous les déchets en attente de traitement. On peut supposer que cette capacité de stockage aurait été nécessaire dès le démarrage réel des activités.

[199]  Le Tribunal conclut également que, selon toute vraisemblance, les vendeurs auraient disposé d’un plan d’exploitation approuvé avant la fin d’octobre 2010, et que les travaux préparatoires d’une durée de trois mois, nécessaires pour que l’installation Babkirk puisse recevoir des déchets, selon Ken Watson, soient terminés pour l’essentiel avant la fin d’octobre 2010.

[200]  Ainsi, au printemps 2011, les vendeurs auraient été en mesure d’accepter des déchets devant être traités par biorestauration. Toutefois, comme les producteurs de déchets avaient fait savoir qu’ils n’enverraient pas de déchets avant qu’un site d’enfouissement sécuritaire soit disponible, il est peu probable qu’une quantité importante de déchets aurait été expédiée. La construction de la demi-cellule du site d’enfouissement sécuritaire auxiliaire aurait commencé dès le début de la saison de construction, au mois de juin 2011. Par conséquent, compte tenu que la preuve indique que la construction nécessiterait de trois à quatre mois, le Tribunal conclut que l’installation Babkirk aurait été pleinement opérationnelle au plus tard en octobre 2011.

[201]  La preuve établit que les vendeurs croyaient qu’une période de douze mois serait nécessaire pour évaluer l’efficacité de la biorestauration. Le Tribunal juge donc raisonnable de considérer que les vendeurs auraient poursuivi la biorestauration en tant qu’activité principale durant l’automne 2012. Cependant, le Tribunal conclut également que, malgré les contacts de Ken Watson et son expérience en matière de biorestauration, les activités de biorestauration des vendeurs n’auraient pas été rentables pour les raisons indiquées plus loin.

[202]  Les clients, s’il y en avait eu, auraient été peu nombreux pour deux raisons. Premièrement, bien que la preuve démontre l’existence d’une quantité importante de sols pouvant être traités dans les sites de forage de la région de l’installation Babkirk, les activités de biorestauration en cours sont réalisées par les producteurs de déchets sur leurs propres sites. Rien dans la preuve n’indique que des entreprises paient pour le transport de déchets vers des installations de biorestauration hors site dans le NECB. Même si Ken Watson a déclaré qu’il s’attendait à ce que les sociétés CNRL, Encana et Bonavista se montrent intéressées par ce mode d’élimination des déchets, et même si Petro-Canada a manifesté son intérêt, les vendeurs n’ont pas fait témoigner des clients potentiels pour qu’ils se disent disposés à expédier leurs déchets par camion à l’installation Babkirk en vue de leur biorestauration. En outre, les vendeurs ont fourni à la commissaire une liste de clients potentiels, sur laquelle figurait en premier [CONFIDENTIEL]. Cependant, M. [CONFIDENTIEL], vice-président, Opérations, [CONFIDENTIEL], a déclaré pour la commissaire que la politique [CONFIDENTIEL] était [TRADUCTION] « d’envoyer les déchets à l’enfouissement ». Autrement dit, son entreprise n’était pas un client potentiel important de l’installation de biorestauration des vendeurs.

[203]  Deuxièmement, les vendeurs ont déclaré que les redevances de déversement qu’ils exigeraient pour la biorestauration seraient notablement plus élevées que les redevances demandées pour les services du site d’enfouissement sécuritaire Silverberry. On imagine mal que des entreprises qui produisent des déchets pouvant être traités par biorestauration sur leur propre site seraient disposées à payer des sommes élevées pour faire transporter leurs déchets dangereux au site Babkirk-où les frais sont plus élevés qu’au site Silverberry-et les y déverser, alors qu’elles pourraient continuer d’effectuer la biorestauration à leur propre site ou déverser les déchets à moindre coût au site Silverberry.

[204]  De plus, aucun élément de preuve n’indique que des clients potentiels auraient pu acheter des déchets traités de Complete afin de les utiliser comme matériau de couverture dans les décharges municipales ou comme matériau de remblai pour les excavations. Il semblerait qu’aucune vente de ce type n’aurait pu générer des revenus pour Complete.

[205]  On ne sait pas exactement combien de temps les vendeurs auraient été prêts à exploiter l’entreprise sans rentabilité, avant de commencer à accepter davantage de déchets au site d’enfouissement sécuritaire qui fait partie de l’installation Babkirk. Dans leurs observations écrites finales, les vendeurs demandent au Tribunal de tenir pour acquis qu’ils auraient enregistré des pertes pendant deux ans avant qu’ils décident que leur entreprise a échoué.

[206]  Cependant, le Tribunal conclut qu’en raison du fait que rien dans la preuve n’établit que les vendeurs disposent d’importants moyens financiers ou possèdent une importante capacité d’emprunt, il n’est pas raisonnable de supposer qu’ils auraient été en mesure d’exploiter une installation non rentable après l’automne 2012, quand ils auraient pu générer des revenus supplémentaires en acceptant davantage de déchets au site d’enfouissement sécuritaire qui fait partie de leur installation.

[207]  Par conséquent, le Tribunal est d’avis que les vendeurs auraient commencé à exploiter un site d’enfouissement sécuritaire à service complet au plus tard au printemps 2013. En d’autres termes, ils auraient commencé à accepter des quantités importantes de déchets dangereux pour l’élimination directe au site d’enfouissement sécuritaire Babkirk, en concurrence avec CCS. À défaut, ils auraient vendu Complete ou BLS à un acheteur qui aurait exploité un site d’enfouissement sécuritaire à service complet. Vu que les vendeurs détenaient un actif de valeur et peu commun et vu la preuve concernant l’augmentation anticipée, depuis un certain temps, de la demande de services de décharge sécuritaire, en raison des nouveaux forages effectués dans la région située au nord et à l’ouest de l’installation Babkirk, le Tribunal estime que les vendeurs auraient pu effectuer sans problème une telle vente. Enfin, peu importe si le site Babkirk était exploitée par les vendeurs ou par un nouveau propriétaire, les sites Babkirk et Silverberry seraient devenus des concurrents directs et importants au plus tard au printemps 2013.

[208]  Nous sommes arrivés à cette conclusion malgré la prétention de CCS selon laquelle le manque d’expérience des vendeurs et la capacité moindre de l’installation Babkirk l’auraient empêchée de constituer un concurrent important. À notre avis, comme ils l’avaient fait dans le passé lorsqu’ils ont retenu les services d’IRTL, les vendeurs auraient embauché des experts, au besoin, pour compenser leur manque d’expérience. De plus, la capacité autorisée de 750 000 tonnes suffisait pour permettre aux vendeurs ou à un acheteur d’entrer effectivement en concurrence avec CCS au site Silverberry.

[209]  En résumé, le Tribunal juge qu’il était probable que les vendeurs exploitent une installation de biorestauration et un site d’enfouissement sécuritaire auxiliaire pendant environ un an, d’octobre 2011 à octobre 2012 (la « période d’exploitation initiale »). Par la suite, au printemps 2013, l’installation Babkirk serait devenue un site d’enfouissement sécuritaire à service complet.

[210]  Considérant les répercussions de ces développements, le Tribunal est d’avis que dès la mise en service de la demi-cellule d’enfouissement sécuritaire à l’installation Babkirk, en octobre 2011, les producteurs de déchets déversant leurs déchets au site Silverberry auraient vu en l’installation Babkirk une solution de rechange possible au site Silverberry. Le Tribunal ne peut prédire ce qui serait arrivé en réalité. Toutefois, il est raisonnable de croire que durant la période d’exploitation initiale, certains producteurs de déchets dangereux auraient demandé aux vendeurs de prendre en charge leurs déchets en vue de leur élimination directe, ne serait-ce que pour négocier à la baisse les redevances de déversement exigées au site Silverberry. Cela aurait été possible, car de nombreux producteurs pétroliers et gaziers ont conclu des contrats non exclusifs d’un an avec CCS.

[211]  De plus, vu que les vendeurs auraient eu besoin de générer des revenus et que cela aurait pu être commode pour certains de leurs clients, il est raisonnable de supposer que les vendeurs auraient accepté pendant la période d’exploitation initiale au moins certains déchets dangereux pour élimination directe, malgré leur témoignage niant cette intention. Ron Baker a prévu cette possibilité lorsqu’il été interrogé, en contre-interrogatoire, sur la matrice de décision du plan d’exploitation qui montrait que les sols contaminés qui avaient été livrés et qui ne pouvaient pas être traités par biorestauration seraient enfouis avec d’autres sols qui ne pouvaient pas être traités par biorestauration. Il a dit que s’ils avaient [TRADUCTION] « de la place », « il serait probable » que ces sols soient posés sur le site d’enfouissement sécuritaire.

[212]  La question est de savoir si cette concurrence que l’installation Babkirk a permise pendant la période d’exploitation initiale peut être jugée importante. Dans Directeur des enquêtes et recherches c. Télé-Direct (Publications) Inc. (1997), 73 C.P.R. (3d) 1, le Tribunal a abordé la question de l’importance potentielle d’une faible concurrence lorsqu’il a examiné les conséquences des pratiques discriminatoires anticoncurrentielles de Télé-Direct sur les experts-conseils des Pages jaunes. Dans cette affaire, le Tribunal examinait s’il y avait eu une diminution sensible de la concurrence.

[213]  Le Tribunal a entendu des témoignages portant que les experts-conseils, qui exigeaient des frais pour placer des annonces dans les Pages jaunes, avaient perdu du temps et de l’argent et que leur capacité d’attirer de nouveaux clients avait été compromise par les activités de Télé-Direct. Le Tribunal a également conclu que, malgré le fait qu’ils n’occupaient qu’un petit segment du marché et qu’ils disposaient d’une capacité limitée et fragile de concurrencer Télé-Direct, les experts-conseils avaient exercé une influence positive considérable sur le niveau des services que Télé-Direct offrait aux clients qui achetaient des annonces dans les Pages jaunes. Dans ce contexte, le Tribunal a dit ce qui suit, au paragraphe 758 :

[TRADUCTION]

Lorsqu’il est établi qu’une entreprise ayant une forte puissance commerciale [Télé-Direct] a exercé des activités anticoncurrentielles, des incidences moins marquées sur la concurrence découlant de ces activités satisferont au critère de la « sensibilité » que dans le cas où le marché était moins concurrentiel à l’origine. Dans ces circonstances, et particulièrement compte tenu de la puissance commerciale écrasante de Télé-Direct, même une incidence moins marquée des actes anticoncurrentiels sur le volume des activités des experts-conseils, établie par certains éléments de preuve, doit être considérée sensible.

[214]  Par contre, en l’espèce, le Tribunal conclut que la concurrence exercée par l’installation Babkirk pendant la période d’exploitation initiale n’aurait probablement pas eu une incidence importante, et encore moins sensible, sur les prix pratiqués au site Silverberry, parce que toute concurrence aurait été exercée à une échelle extrêmement faible. À notre avis, pendant la période d’exploitation initiale, le site Silverberry aurait pu ignorer les demandes de clients en vue de diminuer les prix parce que l’installation Babkirk n’aurait pas pu constituer une solution de rechange viable aux grandes quantités de déchets dangereux que les producteurs pétroliers et gaziers déversaient au site Silverberry. Cela signifie que l’empêchement de la concurrence qui aurait eu lieu pendant la période d’exploitation initiale aurait été « sensible ».

[215]  S’agissant du printemps 2013, la concurrence qu’aurait pu pratiquer l’installation Babkirk à titre de site d’enfouissement sécuritaire à service complet aurait été directe et sensible et, comme nous le verrons plus loin, c’est cette concurrence que le fusionnement a sensiblement empêchée.

b.  Quels sont les facteurs d’évaluation pertinents?

Les conditions d’entrée sur le marché

[216]  Les conditions d’entrée sur un marché pertinent peuvent constituer un facteur déterminant lorsque le Tribunal examine un fusionnement aurait vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. En effet, « [s]’il n’y a pas d’obstacles importants à l’entrée dans le marché, il est peu vraisemblable qu’une firme fusionnée, qu’elle que soit sa part du marché ou la concentration du marché, puisse maintenir des prix supraconcurrentiels pendant une période quelconque » (Hillsdown, précité, à la p. 324; voir également Propane 1, précité, au par. 127).

[217]  Pour être efficace, l’entrée sur le marché doit être opportune, probable et suffisante pour garantir qu’elle n’empêchera pas sensiblement la concurrence pour l’avenir.

[218]  CCS soutient que la preuve en l’espèce montre que les activités du site d’enfouissement sécuritaire ne constituent pas des entraves importantes à l’accès et que les conditions pour l’entrée sur le marché favorisent l’existence de concurrents potentiels. À cet égard, CCS fait valoir (i) que le régime réglementaire est souple, comme l’atteste le grand nombre de permis d’exploitation pour les sites d’enfouissement sécuritaires délivrés dans la région du NECB au cours des dernières années, (ii) que le marché croît dans la région du NECB pour le forage pétrolier et gazier et pour les services connexes, auquel s’ajoutent une demande et une pression croissantes concernant les solutions pour la gestion socialement responsable des déchets, et (iii) que la pratique de l’industrie de conclure des contrats à court terme est favorable à l’entrée sur le marché. CCS ajoute que l’importance qu’accorde la commissaire au fait que BLS a pris environ quatre ans pour obtenir son permis pour un site d’enfouissement sécuritaire n’est pas fondée, notamment parce que BLS n’a pas présenté des demandes concomitantes de permis. Les demandes concomitantes de permis permettent au demandeur de présenter des demandes pour obtenir un certificat d’évaluation environnementale et un permis auprès du ME (les « autorisations »). CCS soutient également que l’entrée sur le marché est plus rapide si l’on choisit une région éloignée, à proximité de l’installation Babkirk. Par conséquent, il ne faudrait pas accepter les tentatives de construire des décharges sécuritaires dans des régions habitées aux alentours de Dawson Creek comme des précédents quant au caractère opportun de l’entrée sur le marché à proximité de l’installation Babkirk.

[219]  Avant de chercher à obtenir les autorisations nécessaires, un nouvel arrivant doit notamment consacrer plusieurs mois à la sélection d’un site parmi divers sites potentiels. Il doit entre autres procéder à des forages d’essai pour déterminer si les caractéristiques de subsurface conviennent à l’aménagement d’un site d’enfouissement sécuritaire. Dans l’affirmative, il faut effectuer une évaluation plus poussée en procédant à de multiples forages d’essai et à l’installation de matériel de surveillance. Rien dans la preuve ne précise le temps nécessaire uniquement pour sélectionner un site. On sait cependant que [CONFIDENTIEL] a consacré de 15 à 18 mois à la sélection d’un site et à la préparation de la demande d’autorisation pour l’exploitation d’un site d’enfouissement.

[220]  Dès qu’il finalise la sélection du site susmentionnée, le nouvel arrivant potentiel doit obtenir les autorisations requises. La preuve démontre que ce processus prendrait au moins de 18 à 24 mois en plus d’un délai de 3 à 4 mois pour la construction.

[221]  Malgré le temps et l’argent (1,3 million de dollars) qu’elle a dépensé au cours du processus d’implantation, SES a abandonné son projet d’ouvrir le site d’enfouissement Heritage et, après avoir dépensé 885 000 $, CCS a abandonné le site d’enfouissement Sunrise projeté dans le NECB, en raison de l’opposition des résidents locaux. Ces deux abandons de sites par des membres avertis de l’industrie soulignent les risques et l’incertitude liés à une nouvelle entrée sur le marché ainsi que le caractère « irrécupérable » des coûts relatifs à l’entrée sur le marché en cas d’échec de cette initiative.

[222]  Compte tenu de ces éléments de preuve, le Tribunal conclut que, même si un emplacement est éloigné et que des demandes de permis concomitantes sont présentées, un nouvel arrivant devrait consacrer au moins 30 mois pour terminer le processus de sélection d’un nouveau site, obtenir les autorisations requises et construire un nouveau site d’enfouissement sécuritaire. Cela dit, le Tribunal fait remarquer que la preuve ne comporte aucun projet d’entrée sur le marché projetée dans la région contestable.

L’absence de substituts acceptables / la concurrence réelle restante

[223]  Pour les motifs énoncés précédemment, le Tribunal estime que, relativement à certains produits et producteurs de déchets, la biorestauration n’appartient pas au même marché que la fourniture de services d’enfouissement sécuritaires et qu’elle n’exerce pas de contrainte importante sur la concurrence par les prix et sur la concurrence autre que par les prix au sein de ce dernier marché.

[224]  Cette conclusion est étayée par le fait que les redevances de déversement de CCS sont sensiblement plus élevées dans les régions où l’entreprise n’est pas en concurrence avec d’autres exploiteurs de sites d’enfouissement sécuritaires que dans les autres régions où CCS est exposée à une telle concurrence. De plus, l’« expérience naturelle » qui a eu lieu lorsque SES a ouvert son installation à Willesden Green, en Alberta, et CCS a réduit sensiblement les redevances de déversement à sept de ses clients importants, porte fortement à croire que la manière dont CCS fixe ses prix est principalement déterminée en fonction de l’emplacement des fournisseurs concurrents de services d’enfouissement sécuritaires, plutôt que de la concurrence avec les fournisseurs de services de biorestauration.

[225]  Monsieur Baye a livré un témoignage détaillé sur la capacité alléguée de CCS d’exercer une discrimination par le prix pour montrer sa puissance commerciale. Toutefois, vu ce qui précède et que CCS est un monopoleur sur le marché pertinent et ne subit aucune contrainte attribuable à une concurrence réelle ou potentielle à l’intérieur ou à l’extérieur du marché, il est clair que CCS détient une importante puissance commerciale. Cette conclusion est aussi étayée par l’analyse du pouvoir compensateur dans les paragraphes qui suivent. Pour cette raison, il n’est pas nécessaire d’examiner l’allégation de discrimination par le prix.

Le pouvoir compensateur

[226]  CCS fait remarquer à juste titre qu’aucun de ses clients ne s’est plaint du fusionnement. CCS incite ainsi le Tribunal à conclure que le fusionnement n’aurait vraisemblablement pas pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence. Toutefois, le Tribunal n’est pas convaincu qu’il s’agit là d’une conclusion raisonnable.

[227]  Le Tribunal reconnaît que les clients les plus importants de CCS paient des redevances de déversement moins élevées que les clients plus modestes. Toutefois, le Tribunal souligne que le rapport de M. Baye indique que même les clients de CCS les plus importants sont tenus de payer des redevances de déversement plus élevées dans les régions où CCS n’est pas exposé à la concurrence que dans les autres régions. Cette affirmation n’a pas été contestée. En 2010, les redevances de déversement touchées en moyenne pour les sites Silverberry et Northern Rockies s’élevaient à [CONFIDENTIEL] et [CONFIDENTIEL] respectivement. Or, les redevances de déversement touchées pour les sites South Grande Prairie [CONFIDENTIEL] et Rocky [CONFIDENTIEL] de CCS en Alberta étaient considérablement moins élevées en raison de la concurrence de SES. Cela explique sans doute pourquoi M. [CONFIDENTIEL], qui a témoigné pour la commissaire, a affirmé clairement qu’il serait heureux d’accepter de la concurrence pour CCS dans le NECB.

[228]  La nature ténue ou limitée du pouvoir compensateur que détiendraient les plus clients de CCS les plus importants ressort également de la preuve portant que les demandes de baisse des prix qu’ils ont présentées par écrit à CCS ont été rejetées pendant le ralentissement de l’industrie à la fin de 2008 et au début de 2009.

c.  Conclusions

[229]   

  1. Compte tenu de tout ce qui précède, le Tribunal conclut que le fusionnement aura vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence. Le fusionnement empêcherait la concurrence à venir entre les vendeurs et CCS concernant la fourniture des services d’enfouissement sécuritaires à tout le moins dans la région contestable. Bien que l’empêchement de la concurrence qui s’est produit en 2012 ne soit pas sensible, le Tribunal est convaincu qu’au plus tard à la fin du printemps 2013, les vendeurs ou un tiers qui aurait acheté l’installation Babkirk auraient exercé une concurrence vive et directe envers CCS quant à la fourniture des services d’enfouissement sécuritaires dans la région contestable.
  2. Pour évaluer l’ampleur des effets défavorables probables du fusionnement sur les prix, la commissaire s’est appuyée sur la preuve d’expert produite par M. Baye. Cette preuve comprenait une théorie économique et des modèles de régression. Cependant, pour les raisons exposées plus loin, le Tribunal n’accorde pas beaucoup de poids à cette théorie économique ni à ces modèles de régression dans l’évaluation de l’ampleur des effets défavorables probables du fusionnement sur les prix. Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal tient compte du fait que les modèles ne neutralisent pas les effets des coûts et du fait que M. Baye a appliqué sa théorie de la concurrence spatiale même s’il disposait de données sur CCS, bien qu’il ait reconnu qu’elle devait être utilisée seulement si d’autres données n’étaient pas disponibles.
  3. Néanmoins, comme nous le verrons plus loin relativement aux « effets » visés à l’article 96, le Tribunal estime que les prix auraient vraisemblablement baissé d’au moins 10 % dans la région contestable en l’absence du fusionnement.
  4. Le Tribunal conclut par conséquent que le fusionnement permettrait, selon toute vraisemblance, À CCS de maintenir sa capacité d’exercer une puissance commerciale beaucoup plus importante qu’en l’absence du fusionnement, et que le fusionnement aurait vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence.

G.  SEPTIÈME QUESTION DANS LES CAS OÙ EST INVOQUÉE LA DÉFENSE FONDÉE SUR LES GAINS EN EFFICIENCE, QUEL EST LE FARDEAU DE PREUVE QUI INCOMBE À LA COMMISSAIRE ET AU DÉFENDEUR?

[230]  CCS allègue que la commissaire ne s’est pas valablement acquittée de son fardeau de prouver l’importance des effets quantifiables du fusionnement. Selon CCS, le fait que la commissaire n’a pas établi ces effets dans sa preuve principale l’a empêchée de s’acquitter de son fardeau général de prouver, selon la prépondérance des probabilités, les éléments de la défense fondée sur les gains en efficience. CCS ajoute que le défaut de la commissaire signifie que les effets en question devraient être nuls et que la demande devrait en conséquence être rejetée.

[231]  Au paragraphe 48 de sa réplique à la demande présentée par la commissaire, CCS a invoqué la défense fondée sur les gains en efficience dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

L’acquisition a produit ou produira vraisemblablement des gains en efficience qui surpasseront et neutraliseront les effets de tout empêchement de la concurrence résultant de l’acquisition, et les gains en efficience ne seront vraisemblablement pas réalisés si l’ordonnance ou les ordonnances demandées sont rendues par le Tribunal.

[232]  Les fardeaux de preuve que commande l’article 96 ont été établis et appliqués dans les quatre décisions de l’affaire Propane (Propane 1, au par. 48, inf. pour d’autres motifs par 2001 CAF 104, [2001] 3 C.F. 185 (« Propane 2 »), autorisation d’appel à la CSC refusée, 28593 (13 septembre 2001), nouveau jugement, Commissaire de la concurrence c. Supérieur Propane Inc., 2002 Trib. conc. 16, 18 C.P.R. (4e) 417 (« Propane 3 »), conf. par 2003 CAF 53, [2003] 3 C.F. 529 (« Propane 4 »)). La commissaire a la charge de montrer, selon la prépondérance des probabilités, les « effets de l’empêchement ou de la diminution de la concurrence » (Propane 1, précité, au par. 402; Propane 2, précité, au par. 177, Propane 4, au par. 17). La commissaire a la charge de la preuve en ce qui concerne (i) l’importance des effets anticoncurrentiels en question lorsqu’ils peuvent être quantifiés, même si les estimations sont grossières (Propane 4, aux par. 35 à 38), et (ii) les effets anticoncurrentiels qualitatifs du fusionnement ou les effets qui ne peuvent être quantifiés. Il incombe aussi à la commissaire de démontrer l’importance des effets socialement défavorables qui découleraient vraisemblablement du fusionnement, c.’est-à-dire la proportion du transfert de richesse, neutre à tous autres égards, qui devrait être prise en compte dans l’analyse comparative prévue à l’article 96, ainsi que la pondération qu’il y a lieu d’accorder à ces effets (Propane 4, précité, aux par. 35 à 38, et 61 à 64). En l’espèce, vu l’absence d’effets socialement défavorables, nous emploierons le terme « effets » pour désigner les effets anticoncurrentiels qui peuvent ou non être quantifiés.

[233]  Cela dit, le fardeau de preuve sur le point litigieux fondamental incombe aux défendeurs, à savoir, que les gains en efficience surpasseront et neutraliseront probablement les effets de l’empêchement ou de la diminution de la concurrence qui découlerait vraisemblablement du fusionnement (Propane 2, précité, au par. 154).

[234]  Il n’est pas contesté que M. Baye, dans son principal rapport d’expert, a seulement calculé que le fusionnement empêcherait une baisse d’au moins 10 % du prix moyen. Cela signifie que CCS ne disposait pas de données quantitatives sur les effets et s’est vue contrainte de produire son propre rapport d’expert sur les gains en efficience, sans pouvoir prendre position sur la question de savoir si les gains totaux en efficience qui avaient été calculés surpassaient les effets. Par conséquent, CCS soutient que, pour des raisons d’équité tant sur le fond que sur le plan de la procédure, elle a été dans les faits privée de son droit de réplique et n’a pas eu la possibilité de s’acquitter du fardeau qui lui incombait en application de l’article 96. Elle affirme donc que le Tribunal devrait conclure que le fusionnement n’entraîne pas d’effets quantifiés.

[235]  Monsieur Baye a éventuellement quantifié les effets mais pas avant d’avoir rédigé son rapport en réplique, dont CCS n’a pris connaissance que deux semaines avant l’audience. À cette date, l’ordonnance du Tribunal concernant les échéances ne permettait pas à CCS de déposer une requête ou un autre rapport d’expert. De plus, le Tribunal reconnaît qu’en pratique, CCS n’avait pas suffisamment de temps avant l’audience pour déposer une requête en radiation du rapport de M. Baye ou pour demander l’autorisation de déposer un autre rapport en réplique à la quantification des effets présentée par la commissaire.

[236]  La commissaire soutient qu’il lui incombe, sur le fond, de quantifier les effets uniquement lorsque le défendeur invoque un moyen de défense affirmatif en prouvant les gains en efficience. Sinon, dit-elle, elle serait tenue de répondre à toutes les simples allégations de gains en efficience, peu importe si le défendeur se fonde vraiment sur les gains en efficience à l’audience. Dans ses conclusions écrites finales, la commissaire affirme qu’[TRADUCTION] « il s’agirait d’un incroyable gaspillage de ressources qui va à l’encontre de la notion de réponse à un moyen de défense affirmatif ».

[237]  De l’avis du Tribunal, l’argument de la commissaire concernant les ressources ne lui permet pas de justifier qu’elle ne s’acquitte pas de son fardeau d’établir les effets dans sa preuve principale. Dès le moment où CCS a invoqué l’article 96, la défense fondée sur les gains en efficience était posée dans la structure de l’affaire et, si CCS ne l’avait pas invoquée, la commissaire aurait eu droit aux dépens pour compenser pleinement le travail de ses experts pour calculer les effets.

[238]  La commissaire a également défendu sa démarche en expliquant que jusqu’avant que CCS signifie le rapport de M. Kahwaty sur les gains en efficience (« rapport sur les gains en efficience »), il n’y avait aucun moyen de savoir si la société allait invoquer la défense fondée sur les gains en efficience. La commissaire a fait remarquer à cet égard qu’avant la signification de son rapport, CCS n’a présenté aucun fait ou élément de preuve concernant les gains en efficience, ni donné aucune indication au sujet des types de gains en efficience que M. Kahwaty prévoyait établir et quantifier. La commissaire a ajouté que, selon l’ordonnance modifiée concernant les échéances du 19 août 2011, il était possible que CCS n’invoque pas la défense fondée sur les gains en efficience.

[239]  L’ordonnance modifiée concernant les échéances enjoignait aux [TRADUCTION] « sociétés défenderesses de signifier des rapports d’experts, le cas échéant, sur les gains en efficience et de les présenter au Tribunal » le 7 octobre 2011 ou vers cette date (italiques ajoutés). Toutefois, puisque l’expression « le cas échéant » a été proposée par la commissaire et non par CCS, le Tribunal n’accepte pas qu’elle laisse entendre que CCS avait renoncé à invoquer ce moyen de défense.

[240]  En outre, le Tribunal estime que rien dans le dossier ne permet de conclure que CCS n’avait pas l’intention d’invoquer la défense fondée sur les gains en efficience. Le Tribunal fait observer que la commissaire a posé des questions sur les gains en efficience lors de l’interrogatoire préalable et a demandé, lors de la téléconférence de gestion de l’instance qui a eu lieu le 15 août 2011, qu’on ordonne à CCS de produire des documents pertinents relativement à cette question. Au cours de cette téléconférence, la juge présidente a indiqué que les gains en efficience étaient en cause et qu’il fallait produire les documents pertinents, s’il y en avait.

[241]  Vu que l’article 96 a été invoqué et compte tenu de ce qui s’est produit par la suite, le Tribunal conclut que rien ne permettait de douter que CCS invoquerait une défense fondée sur les gains en efficience.

[242]  La commissaire affirme également que rien dans la loi et la jurisprudence ne dicte comment elle doit s’acquitter de son fardeau de démontrer l’importance des effets. Elle dit qu’elle n’est pas tenue de produire des éléments de preuve sur l’élasticité de la demande dans chaque cas ni de présenter un calcul détaillé sur la fourchette des effets probables. Ce principe s’applique d’autant plus dans une affaire comme celle de l’espèce, où, dit-elle, les gains en efficience sont [TRADUCTION] « évidemment si faibles qu’il n’y avait aucun moyen de savoir si [la défense fondée sur les gains en efficience serait même invoquée] ».

[243]  Le Tribunal admet que la loi et la jurisprudence ne dictent pas comment la commissaire doit s’acquitter de son fardeau. Toutefois, comme nous l’avons mentionné ci-dessus, lorsqu’il est possible de quantifier les effets d’un fusionnement, même de manière « grossière », il incombe à la commissaire de présenter une telle estimation (Propane 4, précité, aux par. 35 à 38).

[244]  En effet, lorsqu’il sera possible d’obtenir les données nécessaires, la commissaire devra, dans les prochaines affaires, fournir dans sa preuve principale une estimation de l’élasticité du marché et de l’élasticité de la demande par rapport au propre prix de l’entité fusionnée. Ces estimations aident à calculer l’importance de la baisse de production et des effets sur les prix qui découleront vraisemblablement du fusionnement. Elles sont aussi nécessaires pour calculer la perte sèche qui découlera vraisemblablement de la baisse de production et des effets sur les prix connexes. Une perte sèche s’entend d’une perte pour l’ensemble de l’économie qui résulte de l’affectation inefficiente des ressources au moment où i) les clients achètent moins d’un produit donné quand son prix augmente et lui préfèrent d’autres produits qu’ils jugent moins bons et ii) les fournisseurs produisent une moins grande quantité du produit.

[245]  Parce que les données utilisées pour estimer les élasticités du marché et l’élasticité de la demande par rapport au propre prix de l’entité fusionnée comporteront souvent des lacunes, la prudence veut qu’une fourchette d’élasticités plausibles soit calculée pour aider le Tribunal à comprendre la sensibilité des estimations de la commissaire aux variations dans ces élasticités. Le Tribunal sera disposé à fonder son évaluation de l’importance quantitative des effets sur de « estimations grossières » de ces effets étayées de manière convaincante, mais seulement si les données nécessaires à une évaluation fiable des élasticités ne peuvent être obtenues raisonnablement. Ces estimations grossières peuvent être établies à partir de la preuve concernant l’importance des effets vraisemblables que le fusionnement aura sur les prix, dont les énoncés ou les prévisions se trouvant dans les documents internes du défendeur ou de ses conseillers (y compris ses placeurs), les estimations convaincantes fournies par des clients, d’autres témoins ordinaires ou des témoins experts et les données convaincantes tirées des « expériences naturelles ».

[246]  Bien que la commissaire ne se soit pas acquittée du fardeau qui lui incombait, dans les circonstances inhabituelles de la présente affaire, CCS n’en a subi aucun préjudice parce qu’au lieu d’effectuer l’analyse indépendante requise des élasticités, M. Baye s’est fondé sur la baisse d’au moins 10 % du prix qu’il a supposée et sur certaines hypothèses que M. Kahwaty a utilisées pour calculer les gains en efficience liés à l’expansion du marché allégués. Pour effectuer ce calcul, M. Kahwaty a tenu pour acquis que l’ouverture d’un site d’enfouissement sécuritaire au site Babkirk amènerait les producteurs de déchets à éliminer environ [CONFIDENTIEL] supplémentaires de déchets dangereux, comme le veulent les prévisions formulées dans les documents internes de CCS. En outre, pendant l’audience, M. Kahwaty a été en mesure de contester efficacement les calculs de M. Baye sur la perte sèche en invoquant divers motifs, y compris le fait que M. Baye ne les avait pas fondés sur les méthodes conventionnelles du calcul des élasticités quand il aurait pu obtenir les données nécessaires à l’utilisation de ces méthodes. En bref, CCS pouvait opposer efficacement sa défense et soutenir que les gains en efficience présentés par son expert surpassaient les effets (c’est-à-dire, la perte sèche) calculés par M. Baye. Pour ces raisons, le Tribunal refuse de rejeter la demande.

[247]  La demande de CCS est rejetée pour une deuxième raison. CCS devait aussi montrer que les gains en efficience admissibles neutraliseraient vraisemblablement les effets. Ainsi, même si le Tribunal avait accepté la thèse de CCS selon laquelle une pondération nulle devait être attribuée aux effets quantifiables, il n’aurait pas nécessairement conclu que la neutralisation des effets prévue à l’article 96 avait été établie selon la prépondérance des probabilités.

[248]  Deux raisons expliquent cette position. Premièrement, comme il est souligné au paragraphe 172 de Propane 3, « l’on ne saurait affirmer que le Tribunal conclurait que des gains en efficience (élevés ou non) qui dépasseraient de peu les effets (importants ou non) neutraliseraient aussi ces effets », car il y aura toujours lieu d’attribuer une pondération qualitative non négligeable à la perte de concurrence dynamique lors de l’analyse comparative. En effet, les gains en efficience dynamique et les effets dynamiques peuvent avoir une incidence importante sur l’analyse comparative. Deuxièmement, en l’espèce, la commissaire a présenté des éléments de preuve touchant les effets qualitatifs dans le principal rapport d’expert de M. Baye. CCS a aussi présenté des éléments de preuve concernant les effets qualitatifs, comme le service amélioré et le risque atténué pour les clients et l’environnement, ce qui soulève la question de savoir si l’empêchement sensible de la concurrence aurait vraisemblablement une incidence sur ces points.

[249]  Par conséquent, le défaut de la commissaire de s’acquitter de son fardeau de quantifier les effets, même de manière grossière, au moment opportun n’est pas un motif suffisant pour conclure que CCS est relevée de son obligation d’établir l’élément relatif à la « neutralisation » prévu à l’article 96.

H.  HUITIÈME QUESTION CCS A–T-ELLE RÉUSSI À ÉTABLIR LE BIEN-FONDÉ DE SA DÉFENSE FONDÉE SUR LES GAINS EN EFFICIENCE?

a.  Quels sont les gains en efficience allégués?

[250]  Nous résumerons maintenant les gains en efficience allégués par CCS. À cet égard, M. Kahwaty a indiqué dans son témoignage pour CCS que le fusionnement pourrait entraîner des gains en efficience qu’il a groupés dans les cinq catégories suivantes.

Les gains en efficience liés au transport

[251]  Les gains en efficience liés au transport ont été décrits comme des gains en efficience de la production réalisés par les clients qui utilisent le site d’enfouissement Silverberry, mais qui sont situés dans [CONFIDENTIEL] des cas dans un emplacement plus près de l’installation Babkirk. Une fois que CCS ouvrira l’installation Babkirk comme un site d’enfouissement sécuritaire, ces clients réaliseront des économies importantes sur le plan du transport, ce qui dégagera des ressources pour d’autres utilisations. En se fondant sur ce qu’il a décrit comme le « taux courant » d’environ [CONFIDENTIEL] pour les services de camionnage, le nombre de chargements transportés à partir de chacun des [CONFIDENTIEL] emplacements susmentionnés en 2010 et le temps épargné grâce au déversement au site d’enfouissement Babkirk plutôt qu’au site d’enfouissement Silverberry, M. Kahwaty a estimé la réduction totale des coûts de transport des clients susmentionnés à [CONFIDENTIEL]. Monsieur Kahwaty a fourni une seconde estimation de la réduction totale des coûts de transport, soit [CONFIDENTIEL], fondée sur un taux de [CONFIDENTIEL] par chargement (ou 5 $ la tonne par heure de transport). Enfin, il a aussi calculé que ses deux estimations représentaient respectivement environ [CONFIDENTIEL] et [CONFIDENTIEL] des revenus de CCS produits en 2010 par les [CONFIDENTIEL] emplacements en question.

Les gains en efficience liés à l’expansion du marché

[252]  Monsieur Kahwaty a affirmé que si un site d’enfouissement sécuritaire n’était pas ouvert au site Babkirk, un volume important de déchets anciens et de nouveaux déchets dangereux dans les limites de l’installation Babkirk n’aurait pas été transporté au site d’enfouissement Silverberry à cause du risque élevé et de la responsabilité financière connexe associés au transport de ces déchets sur tout le long trajet qui mène à ce site d’enfouissement. Cependant, avec l’ouverture d’un site d’enfouissement sécuritaire au site Babkirk, CCS a estimé qu’environ [CONFIDENTIEL] tonnes par année de ces déchets (déchets liés à l’expansion du marché) seraient vraisemblablement transportées au site Babkirk. Monsieur Kahwaty a reconnu que son estimation était [TRADUCTION] « nécessairement imprécise » et laissé entendre que le volume supplémentaire de déchets liés à l’expansion du marché pourrait dépasser considérablement l’estimation de CCS de [CONFIDENTIEL] tonnes par année. En se fondant sur la marge de [CONFIDENTIEL] déclarée en 2009 et le prix de [CONFIDENTIEL] la tonne au site d’enfouissement Silverberry, M. Kahwaty a estimé que le surplus du producteur découlant de ce volume supplémentaire augmenterait de [CONFIDENTIEL]. En outre, selon une baisse des coûts d’élimination estimée de [CONFIDENTIEL] la tonne, M. Kahwaty a calculé que les clients réaliseraient un surplus du consommateur d’environ [CONFIDENTIEL] par année. Cette somme ne représente que la moitié du produit de [CONFIDENTIEL] et de [CONFIDENTIEL] car, selon M. Kahwaty, les clients n’empochent pas toute la baisse des coûts d’élimination lorsqu’ils sont poussés à éliminer leurs déchets en raison du coût d’élimination global inférieur. Les gains en efficience liés à l’expansion du marché étaient donc de [CONFIDENTIEL] par année, soit la somme du surplus du producteur estimé de [CONFIDENTIEL] et du surplus du consommateur estimé de [CONFIDENTIEL].

Les gains en efficience liés à la baisse des coûts indirects

[253]  Monsieur Kahwaty a estimé que le fusionnement se traduirait par une baisse des coûts indirects d’environ [CONFIDENTIEL]. Il a affirmé que ces économies seraient vraisemblablement réalisées du fait que CCS pourrait recourir à son personnel actuel (par ex. les personnes qui s’occupent des questions juridiques, de réglementation, de commercialisation, de génie, de finances ainsi que de santé et sécurité) pour exploiter son installation Babkirk. Il a déclaré qu’en l’absence de fusionnement, les vendeurs auraient eu vraisemblablement à faire des dépenses pour ces fonctions. Pour en arriver à son estimation de [CONFIDENTIEL], M. Kahwaty a utilisé comme indicateur la diminution des coûts que CCS a réussi à réaliser en exploitant l’entreprise de bennes amovibles de Complete. De plus, il a affirmé qu’une certaine valeur « qualitative » devait être accordée à cette catégorie de gains en efficience, car Complete devrait autrement consacrer des ressources à la mise au point de systèmes administratifs et régler certaines des questions susmentionnées.

Les gains en efficience liés à l’entreprise de bennes amovibles

[254]  Monsieur Kahwaty a estimé que le fusionnement de l’entreprise de bennes amovibles au profit de CCS s’est traduit par des économies annuelles d’environ [CONFIDENTIEL]. Ces économies découleraient i) de la mise à niveau des camions pour qu’ils respectent des normes de sécurité supérieures, ii) des investissements dans les activités d’expansion des affaires et iii) de l’intégration des fonctions administratives, comme la facturation, dans les systèmes généraux existants de CCS.

Les gains en efficience qualitatifs

[255]  Monsieur Kahwaty a énoncé les gains en efficience qualitatifs suivants qui découleront vraisemblablement du fusionnement :

  1. les services d’enfouissement qui seront offerts par CCS sur le site Babkirk auront une meilleure qualité (celle-ci est étant également reconnue) et comporteront moins de risques pour les clients en raison des connaissances et de l’expérience de CCS en matière d’exploitation et de gestion de sites d’enfouissement pour déchets dangereux;
  2. les clients bénéficieront de la possibilité d’acheter un ensemble de services regroupés pouvant comprendre, par exemple, des services de chargement, de camionnage et de déversement;
  3. les services d’enfouissement qui seront offerts par CCS sur le site Babkirk auront pour effet de réduire les risques assumés par les clients en raison des ressources financières considérables de CCS, et de rassurer ceux-ci quant à la gestion à long terme de l’installation Babkirk ainsi qu’à la responsabilité potentielle constante relativement aux déchets éliminés dans ce site d’enfouissement;
  4. CCS aura la capacité et les ressources nécessaires pour agrandir l’installation Babkirk au besoin et pour répondre aux besoins spéciaux des clients (par. ex., répondre rapidement aux besoins grandissants en matière d’élimination de déchets);
  5. puisque ses activités portent sur les services d’enfouissement et que les vendeurs n’avaient pas l’intention d’exploiter un site d’enfouissement sécuritaire, CCS fera une promotion des services d’enfouissement sécuritaires plus importante que ne l’auraient fait les vendeurs, et ce dès que le site Babkirk sera opérationnel, permettant ainsi à un plus grand nombre de clients de réaliser des gains en efficience relativement aux coûts de camionnage;
  6. la fourniture de services d’enfouissement sécuritaires par CCS sur le site Babkirk permettra de réduire les risques assumés par les producteurs de déchets, les entreprises de camionnage et d’autres usagers de la route quant au transport de déchets dangereux sur des longues distances;
  7. la concurrence accrue concernant les entreprises de bennes amovibles profitera aux clients et pourra réduire toute perte sèche dans l’industrie des bennes amovibles, ce qui aura pour effet d’augmenter le surplus total généré sur le marché lié aux bennes amovibles;
  8. l’augmentation de la restauration des sites due à la baisse des coûts de camionnage profitera aux résidents de la région, aux espèces sauvages et à l’environnement dans son ensemble, et permettra d’atteindre les objectifs de la politique du gouvernement relative à l’expansion de la restauration des sites contaminés.

[256]  Monsieur Kahwaty a ajouté que CCS réaliserait probablement plus tôt une partie ou l’ensemble des gains en efficience susmentionnés que ne le ferait Complete ou tout tiers qui pourrait faire l’acquisition de l’installation Babkirk conformément à une ordonnance du Tribunal.

[257]  De plus, M. Kahwaty a dit qu’il faudrait accorder à CCS un certain mérite pour les gains en efficience qu’elle a déjà réalisés relativement à l’entreprise de bennes amovibles.

[258]  Enfin, M. Kahwaty a présenté des estimations raisonnées quant à l’augmentation des gains en efficience liés au camionnage et à l’expansion du marché selon un indice de croissance du marché de 1 %, 2 % et 4 % composé annuellement au cours des 10 prochaines années. Vu ses estimations, il a proposé au Tribunal qu’il prenne en compte cette augmentation des gains en efficience.

[259]  Après avoir fourni ses estimations annuelles des gains en efficience quantifiables, M. Kahwaty a calculé la valeur actualisée nette de ces gains en efficience au 1er janvier 2012 à l’aide de trois taux d’actualisation : i) un taux d’intérêt sans risque de 1 %, qui correspondait selon lui au rendement annuel des obligations négociables du gouvernement du Canada à un an et à trois ans au cours de la période de 10 semaines qui a précédé la date de son rapport (7 octobre 2011), ii) un taux d’intérêt de 10 %, qui était selon lui [TRADUCTION] « à peu près équivalent aux taux en vigueur dans l’industrie du pétrole et du gaz » et iii) un taux d’intérêt intermédiaire de 5,5 %.

[260]  Le Tribunal accepte la preuve présentée par M. Harrington, expert de la commissaire, selon laquelle, en gros, le taux d’actualisation utilisé pour calculer la valeur actualisée nette des gains en efficience n’a généralement pas d’importance à condition que le même taux d’actualisation soit utilisé pour calculer la valeur actualisée nette des effets. Cela dit, le Tribunal accepte aussi la preuve présentée par M. Harrington selon laquelle i) en règle générale, le taux d’actualisation qu’il convient d’utiliser pour actualiser une série de futurs flux de trésorerie est fonction du risque que ces flux soient inexacts, ii) une certaine incertitude entoure les gains en efficience déterminés et estimés par M. Kahwaty et CCS et, par conséquent, iii) le taux intermédiaire de 5,5 % avancé par M. Kahwaty est celui des trois taux qui est le plus défendable pour calculer la valeur actualisée nette des gains en efficience et des effets en l’espèce.

b.  L’évaluation des gains en efficience allégués

[261]  Au début de l’évaluation des gains en efficience allégués au titre de l’article 96 de la Loi, le Tribunal entreprend un processus d’analyse préalable en cinq étapes pour éliminer les gains en efficience non admissibles dans le cadre de cette disposition.

[262]  La première étape consiste à éliminer les gains allégués qui ne concernent pas l’efficience de la production ou l’efficience dynamique, ou qui autrement ne se traduiraient vraisemblablement pas par une amélioration de l’efficience de la répartition des ressources. La deuxième étape consiste à limiter les gains en efficience allégués à ceux qui découleront vraisemblablement du fusionnement selon le Tribunal. C’est à cette étape que sont éliminés les gains en efficience dont la réalisation selon toute vraisemblance par suite du fusionnement ne peut être démontrée. À la troisième étape sont éliminés les gains en efficience qui seraient entraînés en raison seulement d’une redistribution de revenu entre plusieurs personnes, comme le prévoit le paragraphe 96(3). Ces types de gains comprennent les économies entièrement attribuables à une baisse de la production, du service, de la qualité ou du choix du produit, à une augmentation du pouvoir de négociation et à une baisse des impôts. Quant aux gains en efficience allégués qui seraient réalisés à l’extérieur du Canada et dont les actionnaires au Canada ne bénéficieraient pas ainsi que toute économie réalisée au Canada et dont des actionnaires étrangers bénéficieraient, ils sont éliminés à la quatrième étape.

[263]  En l’espèce, l’application des quatre premières étapes du processus d’analyse préalable n’entraîne pas l’élimination de tous les gains en efficience allégués.

[264]  L’application de la cinquième étape élimine les gains en efficience allégués qui (a) seraient vraisemblablement réalisés par d’autres moyens si le Tribunal rendait l’ordonnance qu’il estime nécessaire pour veiller à ce que le fusionnement en question n’empêche ou ne diminue sensiblement la concurrence, ou qui (b) seraient vraisemblablement réalisés à la suite du fusionnement même si l’ordonnance était rendue. Cette étape du processus d’analyse joue un rôle essentiel en l’espèce.

[265]  En l’espèce, la cinquième étape élimine la plupart des gains en efficience allégués par CCS. Sauf pour trois exceptions, soit l’année de gains en efficience liés au transport et l’année de gains en efficience liés à l’expansion du marché mentionnés au paragraphe 269 ci-dessous, ainsi que les gains en efficience liés à la baisse des coûts indirects susmentionnés, presque tous les gains en efficience allégués par CCS seront vraisemblablement réalisés même si le Tribunal prononce l’ordonnance mentionnée au paragraphe précédent. Il s’agit d’une ordonnance de dessaisissement des actions et des éléments d’actif de BLS (l’« ordonnance »).

[266]  Bien qu’une certaine incertitude entoure actuellement l’identité d’un acheteur potentiel, le Tribunal est convaincu qu’un dessaisissement sera en définitive réalisé en faveur d’un acheteur qui exploitera l’installation Babkirk et attirera essentiellement le même volume de déchets dangereux que celui supposé par M. Kahwaty au moment d’estimer les gains en efficience liés au transport et à l’expansion du marché.

[267]  Le Tribunal détermine que, en l’absence de circonstances exceptionnelles, il ne sera pas disposé à conclure que les gains en efficience qui seraient réalisés par tout autre acheteur acceptable devraient être inclus dans l’analyse comparative parce qu’il n’est pas possible d’identifier quelconque acheteur vraisemblable des actions ou des actifs visés par l’ordonnance de dessaisissement.

Les gains en efficience liés au transport et à l’expansion du marché

[268]  Si l’on tient raisonnablement pour acquis qu’un acheteur, se conformant à l’ordonnance, réussit à recueillir, pendant sa première année d’exploitation, le volume de déchets dangereux sur lequel étaient fondées les estimations de M. Kahwaty relatives aux gains en efficience allégués de CCS liés au transport et à l’expansion du marché, l’on ne saurait prendre en compte ces gains en efficience dans le cadre de l’examen prévu à l’article 96 parce qu’ils seront vraisemblablement réalisés même si le Tribunal prononce l’ordonnance.

[269]  Les gains en efficience liés au transport et à l’expansion du marché qui, selon CCS, seraient vraisemblablement réalisés plus rapidement par elle-même que par un acheteur constituent une exception notable. À cet égard, CCS dit que, n’eût été l’intervention de la commissaire, elle aurait déjà exploité l’installation Babkirk, et que, de toute façon, elle serait probablement en mesure d’exploiter un site d’enfouissement sécuritaire sur le site Babkirk avant l’été 2012. Par contre, CCS dit qu’à la suite d’un dessaisissement, il est peu probable qu’un acheteur exploite une installation d’enfouissement sécuritaire sur le site Babkirk avant le milieu de l’année 2013, compte tenu du temps requis (i) pour que le Tribunal rende une décision dans la présente instance, (ii) pour donner effet à la vente effective d’actions et d’éléments d’actif de BLS (qui, à son avis, prendrait [TRADUCTION] « au moins six mois, ou plus », en comptant les mesures de vérification), (iii) pour modifier ou préparer un plan d’exploitation pour le site d’enfouissement, (iv) pour que le ME approuve le plan d’exploitation, et (v) pour que l’acheteur construise le site d’enfouissement, tout en gardant à l’esprit que la construction n’est possible qu’entre juin et septembre.

[270]  De l’avis du Tribunal, les gains en efficience allégués qui ne seraient vraisemblablement pas réalisés par un acheteur se conformant à l’ordonnance, mais qui seraient vraisemblablement réalisés par CCS, seulement en raison des délais susmentionnés, et liés à l’exécution de l’ordonnance, ne constituent pas de gains en efficience admissibles en application de l’article 96. Nous emploierons l’expression « gains en efficience liés à l’exécution de l’ordonnance » pour les désigner. En l’espèce, CCS et les vendeurs ont réalisé le fusionnement après avoir été avisés que la commissaire avait l’intention de présenter une demande auprès du Tribunal. Accorder aux défendeurs le bénéfice des gains en efficience liés à l’exécution de l’ordonnance dans ces circonstances, et peut-être empêcher ainsi le Tribunal de rendre l’ordonnance concernant leur fusionnement anticoncurrentiel, irait à l’encontre des objectifs de la Loi.

[271]  Quoi qu’il en soit, même si in accordait à CCS tout le mérite des gains en efficience liés à l’exécution de l’ordonnance, ceux-ci se situeraient seulement entre [CONFIDENTIEL] et [CONFIDENTIEL] (montants qui représentent les économies annuelles concernant les coûts liés au transport) plus [CONFIDENTIEL] (soit les économies annuelles relatives aux gains en efficience liés à l’expansion du marché). Comme nous l’avons déjà mentionné relativement au traitement que le Tribunal réserve à l’élément relatif à la « neutralisation » prévu à l’article 96, ces gains en efficience ne suffisent pas pour modifier la conclusion générale du Tribunal relativement à l’article 96.

Les gains en efficience liés à l’entreprise de bennes amovibles

[272]  Le dessaisissement des actions et des éléments d’actif de BLS n’aura aucune incidence sur les gains en efficience liés à l’entreprise de bennes amovibles allégués pas CCS. En d’autres termes, ces gains en efficience seront vraisemblablement réalisés même si l’ordonnance est rendue. Par conséquent, ces gains en efficience ne peuvent être pris en compte dans le cadre de l’analyse comparative prévue à l’article 96.

[273]  CCS a également fait valoir que certains gains en efficience de production avaient déjà été réalisés à la suite de (i) la mise à niveau et la vente de camions pour satisfaire à des normes de sécurité plus rigoureuses et pour fonctionner plus efficacement, et de (ii) l’intégration de certaines fonctions administratives dans le cadre de ses fonctions organisationnelles préexistantes. Toutefois, selon le témoignage de M. Harrington pour le compte de la commissaire, ces gains en efficience ne seraient perdus que si CCS était tenue de se départir de l’entreprise de bennes amovibles. Vu que l’ordonnance ne comprend pas l’entreprise de bennes amovibles, ces gains en efficience ne seront pas touchés par l’ordonnance, comme le prévoit le paragraphe 96(1) de la Loi. Par conséquent, ils ne sont pas admissibles. Quoi qu’il en soit, vu la valeur de ces gains en efficience, qui selon M. Kahwaty s’élèvent à environ [CONFIDENTIEL], la conclusion générale du Tribunal au titre de l’article 96, énoncée ci-dessous, ne serait pas différente même si ces gains en efficience se verront attribuer la pleine valeur dans le cadre de l’analyse comparative.

[274]  De manière plus générale, si certains gains en efficience ont déjà été réalisés, ils ne peuvent être considérés comme un « coût » potentiel attribuable à l’ordonnance visée par l’article 96. Par conséquent, ils ne peuvent être pris en compte dans le cadre de l’examen prévu à l’article 96. En d’autres termes, on ne saurait affirmer que ces gains en efficience « ne seraient vraisemblablement pas réalisés si l’ordonnance était rendue », aux termes du paragraphe 96(1).

Les gains en efficience liés à la baisse des coûts indirects

[275]  Comme nous l’avons déjà vu, M. Kahwaty a estimé que ces gains en efficience s’élèveraient probablement à environ [CONFIDENTIEL] par année. Il a fait cette évaluation, entre autres, en utilisant comme indicateur la baisse de coûts que CCS a réalisée en raison de l’exploitation de l’entreprise de bennes amovibles. Cette baisse de coûts correspondait à environ 21 % des dépenses liées à la baisse des coûts indirects que Complete avaient engagés en exploitant l’entreprise de bennes amovibles. Monsieur Kahwaty a appliqué ce pourcentage de 21 % des dépenses générales liées à la baisse des coûts indirects engagés au site Silverberry, pour estimer le montant d’environ [CONFIDENTIEL] en économies annuelles liées à la baisse des coûts indirects. Monsieur Harrington a contesté cette méthode, en partie en raison de la différence entre l’entreprise de bennes amovibles et cette relative au site d’enfouissement. De plus, il a dit qu’en cas de dessaisissement, certaines de ces économies, qu’il a estimées correspondre à la moitié des coûts annuels relatifs à un employé des services d’appui, seraient probablement réalisées par l’acheteur. Le Tribunal est convaincu par ce raisonnement et accepte donc la conclusion de M. Harrington que les gains en efficience annuels liés à la baisse des coûts indirects, admissibles en vertu de l’article 96, sont raisonnables mais probablement un peu moins élevés que les [CONFIDENTIEL] allégués par CCS.

[276]  Sur le plan pratique, compte tenu de la conclusion du Tribunal concernant l’élément relatif à la « neutralisation » prévu à l’article 96, examiné plus loin, l’absence d’une estimation plus précise des gains en efficience admissibles liés à la baisse des coûts indirects n’a pas d’incidence sur l’appréciation globale du Tribunal quant à la défense fondée sur les gains en efficience permise par l’article 96.

Les gains en efficience qualitatifs

[277]  Comme nous l’avons vu, M. Kahwaty a décrit huit types de gains en efficience qualitatifs qui, à son avis, découleraient vraisemblablement du fusionnement. Le Tribunal n’est pas convaincu qu’aucun de ces gains en efficience « ne serait vraisemblablement pas réalisé si l’ordonnance était rendue », comme le prévoit le paragraphe 96(1). En dernière analyse, la réponse à cette question dépend de l’expertise, des ressources financières et de la réputation de l’acheteur visé par l’ordonnance. Étant donné qu’il est fort possible que l’acheteur ait la même expertise, les mêmes ressources financières et la même réputation que CCS, le Tribunal ne peut guère accorder de poids à ces gains en efficience allégués. En effet, vu que la commissaire devra approuver l’acheteur, le Tribunal estime que cet acheteur pourra vraisemblablement réaliser tous ou presque tous ces gains en efficience allégués.

[278]  Quelques soit l’identité de l’acheteur, certains types de gains en efficience décrits par le M. Kahwaty seront réalisés, dont ceux liés à l’entreprise de bennes amovibles, à la réduction des risques associés au transport des déchets dangereux sur de longues distances et à l’augmentation de la restauration des sites dont vont bénéficier les résidents, les espèces sauvages et l’environnement dans son ensemble. En fait, dans la mesure où le fusionnement aura vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence, comme l’a conclu le Tribunal, nous jugeons qu’il convient parfaitement de prendre en compte, au moment de l’évaluation comparative, la probabilité qu’il y ait moins de décontamination et de déversement de déchets dangereux dans les sites d’enfouissement sécuritaires qu’il n’y en aurait eu si une ordonnance était prononcée. Nous Nous fournirons des explications plus loin dans le cadre de l’examen des effets non quantifiables.

[279]  Le Tribunal conclut que les seuls gains en efficience allégués par CCS qui sont admissibles en vertu de l’article 96 totalisent une somme maximale de [CONFIDENTIEL] de gains en efficience liés à la baisse des coûts indirects annuels, dont la valeur actualisée nette est d’environ [CONFIDENTIEL], selon un taux d’actualisation de 5,5 %.

[280]  Si, contrairement aux conclusions du Tribunal, les gains en efficience liés à la mise en oeuvre de l’ordonnance sont également admissibles en vertu de l’article 96, il conviendrait alors d’inclure dans l’évaluation comparative des sommes additionnelles se situant approximativement entre [CONFIDENTIEL] et [CONFIDENTIEL] (c’est-à-dire, les économies sur les coûts annuels de transport) en sus de la somme de [CONFIDENTIEL] (c’est-à-dire, les gains en efficience liés à l’expansion annuelle du marché).

c.  Quels sont les effets pour les besoins de l’article 96 de la Loi?

[281]  Comme l’a souligné CCS dans son argumentation finale, la méthode du surplus total demeure le point de départ de l’évaluation des effets visés par l’article 96. Selon cette méthode, les gains en efficience admissibles quantifiables sont comparés à la perte sèche qui résultera vraisemblablement du fusionnement. De plus, le Tribunal tient compte des gains en efficience dynamiques et des autres gains en efficience non quantifiables admissibles ainsi que les effets anticoncurrentiels. Lorsque la preuve a été faite de gains en efficience dynamique et d’autres gains en efficience non quantifiables substantiels ainsi que des effets anticoncurrentiels, le Tribunal peut alors accorder un poids important à ces éléments de preuve dans son évaluation comparative.

[282]  Après avoir évalué les éléments de preuve se rapportant aux effets anticoncurrentiels quantifiables (c’est-à-dire, la perte sèche) et non quantifiables du fusionnement, le Tribunal évalue les éléments de preuve qui lui ont été présentés en ce qui concerne les autres effets visés par l’article 96 et la déclaration d’objet énoncée à l’article 1.1 de la Loi. C’est à compter de cette étape que le Tribunal ira au-delà de la méthode du surplus total dans son évaluation. En résumé, rendu à cette étape de son évaluation, le Tribunal détermine si le fusionnement donnera vraisemblablement lieu à des effets socialement défavorables t. Dans l’affirmative, il doit décider comment prendre en compte le transfert de richesse lié aux effets négatifs auxquels le fusionnement donnera vraisemblablement lieu. Lors d’un fusionnement entre vendeurs de produits, ce transfert de richesse se fera des clients des parties à la fusion vers l’entreprise fusionnée. Naturellement, dans la mesure où les entreprises rivales des parties à la fusion pourront vraisemblablement suivre ces effets sur les prix, il serait alors nécessaire de calculer le transfert de richesse en tenant également compte des ventes ou des achats de ces entreprises.

[283]  Dans la majorité des cas, le Tribunal s’attend à ce qu’il soit évident que le transfert de richesse soit considéré comme neutre dans son analyse parce que les profils socio-économiques des consommateurs et des actionnaires de l’entreprise fusionnée ne seront pas suffisamment différents pour permettre de conclure que le transfert de richesse entraînera vraisemblablement des effets socialement défavorables. Il est entendu que les effets sociaux acceptables sous le régime de l’article 96 n’englobent pas des effets sociaux plus larges, tels que ceux liés aux fermetures d’usine et aux congédiements (Propane 1, au par. 444).

[284]  En l’espèce, la commissaire n’a présenté aucune preuve en ce qui concerne les effets socialement défavorables. En effet, elle a concédé dans son argumentation finale (au par. 208) que le fusionnement ne créerait vraisemblablement pas de tels effets, et que le transfert de richesse devrait être considéré comme neutre dans la présente affaire. Par conséquent, l’analyse qui suit ne porte que sur les effets anticoncurrentiels. En d’autres termes, le Tribunal adopte la méthode du surplus total pour tirer sa conclusion fondée sur l’article 96 en l’espèce.

Les effets quantifiables

[285]  Les effets anticoncurrentiels quantifiables se limitent habituellement à la perte sèche que le fusionnement pourra vraisemblablement entraîner.

[286]  En l’espèce, la perte sèche est la perte future pour l’économie dans son ensemble qui découlera vraisemblablement du fait que les acheteurs de services d’enfouissement sécuritaire dans la région contestable achèteront moins de ces services qu’ils ne l’auraient fait s’il y avait eu une baisse des redevances de déversement pour ces services en raison de la concurrence à laquelle se seraient vraisemblablement livrées CCS et Babkirk en tant qu’entreprise exploitée comme un site d’enfouissement sécuritaire à service complet.

[287]  La perte sèche qui découlera vraisemblablement du fusionnement sera probablement plus importante lorsqu’il existe déjà une puissance commerciale importante que lorsque la situation prévalant avant le fusionnement est hautement concurrentielle (Propane 3, précité, au par. 165). En l’espèce, comme dans Propane, la commissaire n’a présenté aucun élément de preuve précis étayant l’existence d’une puissance commerciale avant le fusionnement en ce qui a trait, par exemple, à la mesure suivant laquelle les redevances de déversement en vigueur étaient supérieures aux prix concurrentiels. Par conséquent, le Tribunal n’est pas en mesure de quantifier l’incidence qu’une telle puissance commerciale, existant avant le fusionnement, pourrait vraisemblablement avoir sur l’étendue de la perte sèche. Lorsque la situation du marché avant le fusionnement est caractérisée par l’existence d’un monopole, comme en l’espèce, et que le Tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve convaincants pour lui permettre de quantifier les effets découlant d’une telle puissance commerciale, il est loisible au Tribunal de pondérer de façon qualitative ces effets. Vu la nature très limitée des gains en efficience admissibles en l’espèce, il n’a pas été nécessaire pour le Tribunal d’ainsi pondérer ces effets lorsqu’il a tiré ses conclusions au titre de l’article 96.

[288]  Comme nous l’avons vu, CCS a fait valoir que le Tribunal devrait conclure qu’il n’y a pas d’effets quantifiables découlant du fusionnement parce que la commissaire n’a présenté aucun élément de preuve étayant ces effets avant de signifier, le 4 novembre 2011, le rapport en réplique de M. Baye. Le Tribunal a rejeté cette prétention parce qu’au bout du compte aucun préjudice n’a été causé à CCS à cet égard. Par conséquent, le Tribunal examinera les éléments de preuve présentés par M. Baye dans son rapport en réplique. Comme nous le soulignerons plus loin, le Tribunal estime que CCS ne se serait pas déchargée du fardeau que lui impose l’article 96, même si les effets quantifiables avaient été présumés nuls.

[289]  Au tout début de son rapport en réplique, M. Baye a résumé un certain nombre de conclusions figurant dans son rapport initial, daté du 30 septembre 2011. Parmi ces conclusions figuraient notamment les suivantes :

  1. le fusionnement a vraisemblablement pour effet d’empêcher une baisse importante des coûts d’élimination des déchets dangereux pour plusieurs clients;
  2. les effets du fusionnement ne seront vraisemblablement pas uniformes pour tous les clients dans le marché pertinent;
  3. la baisse moyenne des redevances de déversement dans le NECB sera vraisemblablement d’au moins 10 %, mais les effets seront probablement beaucoup plus importants pour les clients produisant des déchets dangereux dans les environs des sites Babkirk et Silverberry et moindres pour les clients se trouvant près des limites au sud et au nord du NECB.

[290]  Le Tribunal est convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, sauf en ce qui a trait à l’étendue géographique des effets, les conclusions reproduites ci-dessus sont justifiées au regard de la force probante des éléments de preuve présentés, que le Tribunal juge crédibles et persuasifs. Quant au secteur géographique à l’intérieur duquel les effets déjà décrits auxquels le fusionnement donnera vraisemblablement lieu, le Tribunal conclut qu’il est à tout le moins vraisemblable que ces effets s’étendront à la région contestable délimitée par M. Kahwaty. Étant donné les conclusions tirées par le Tribunal en ce qui concerne la portée minimale des gains en efficience allégués par CCS, il n’est pas nécessaire de définir la portée des effets anticoncurrentiels de façon plus précise.

[291]  Comme M. Baye l’a fait remarquer en termes précis, ses conclusions étaient fondées sur une grande diversité de sources d’information et d’analyses économiques plutôt que sur une source d’information ou une méthode d’analyse économique particulière. Ces sources comprennent des documents internes de CCS et une « expérience naturelle ». Le Tribunal n’accorde aucune force probante aux modèles économiques exposés dans les rapports de M. Baye (par ex. redevance de déversement et modèles de régression de la différence des différences) présentés aux pièces 20 et 26 de son rapport initial et également examinés dans son rapport en réplique. Le Tribunal est d’avis que certaines des hypothèses sous-tendant ces modèles sont discutables. Il en va de même pour certains des résultats obtenus grâce à ces modèles, comme la prédiction selon laquelle les effets défavorables sur les prix seraient plus importants pour les clients situés près du site Northern Rockies que pour ceux situés près du site Babkirk. Le Tribunal estime que les prédictions issues des modèles de M. Baye sont contre-intuitives et ne sont pas appuyées par le poids des éléments de preuve présentés dans le cadre de la présente instance.

[292]  De manière plus générale, comme il a été mentionné précédemment, les modèles de M. Baye ne tiennent pas compte du coût d’opportunité que supporterait CCS si elle abaissait ses redevances de déversement de 20 % à 25 %, baisse nécessaire pour attirer les clients les plus éloignés des sites Silverberry et Babkirk, respectivement, comme il est présenté aux sixième et septième paragraphes de son rapport en réplique. Le Tribunal n’est pas convaincu qu’il serait dans l’intérêt de CCS d’abaisser ses prix à ce point dans un proche avenir et, par conséquent, d’épuiser la capacité restreinte du site d’enfouissement sécuritaire à l’installation Silverberry, à supposer que CCS serait vraisemblablement en mesure d’attirer des clients en exigeant des redevances de déversement plus élevées dans l’avenir pour cette capacité.

[293]  Malgré que le Tribunal conclue que les modèles fournis aux pièces 20 et 26 ne sont pas fiables, il est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la concurrence d’un site d’enfouissement à service complet exploité par une entreprise indépendante au site Babkirk amènerait probablement CCS à diminuer ses prix d’au moins 10 % en moyenne pour les clients situés dans le marché géographique décrit précédemment. Cette conclusion est fondée sur la preuve contenue dans les documents internes de CCS, preuve produite par [CONFIDENTIEL], de [CONFIDENTIEL], et les données sur les transactions relatives à l’« expérience naturelle » de Willesden Green modélisée dans l’analyse de M. Baye sur la différence des différences.

[294]  Les documents internes de CCS mentionnés précédemment comprennent :

  1. un diaporama du 26 août 2010, joint comme pièce K à la déclaration de témoin de M. D. Wallace, [CONFIDENTIEL];
  2. un courriel du 15 juillet 2010 envoyé par Trevor Barclay à Ryan Hotston et Lance Kile, [CONFIDENTIEL];
  3. un document intitulé [CONFIDENTIEL], où se trouvent plusieurs diapositives portant la date « 3/9/2009 » [CONFIDENTIEL];
  4. une analyse financière préparée par Dan Wallace, jointe à un courriel du 31 mars 2010 et jointe comme pièce C à sa déclaration de témoin, [CONFIDENTIEL];
  5. un document du 31 mars 2010 intitulé [CONFIDENTIEL], joint comme pièce D à la déclaration de témoin de Dan Wallace, [CONFIDENTIEL];
  6. un document intitulé [CONFIDENTIEL] du 15 septembre 2009, à l’onglet 32 des recueils d’admissions des parties, [CONFIDENTIEL].

[295]  Comme il a été mentionné précédemment, la preuve des clients s’est révélée inhabituellement mince en l’espèce. Toutefois, M. [CONFIDENTIEL], vice-président des opérations de [CONFIDENTIEL], a témoigné qu’un [TRADUCTION] « contexte de libre concurrence, à notre avis, rend les règles du jeu plus équitables quant à la fixation des prix » et qu’« au nord-est de la Colombie-Britannique, la concurrence n’est pas aussi intense actuellement dans cet aspect de notre industrie ».

[296]  Enfin, les données sur les transactions tirées de l’« expérience naturelle » de Willesden Green, contenues dans le rapport initial de M. Baye, montrent que CCS a baissé considérablement ses prix pour sept clients après l’entrée de SES sur le marché au site d’enfouissement South Grande Prairie.

[297]  Pour toutes ces raisons, nous concluons qu’en l’absence de fusionnement, la concurrence dans le marché des services d’enfouissement sécuritaires aux sites Silverberry et Babkirk aurait vraisemblablement fait baisser les prix, en moyenne, d’au moins 10 % dans le marché géographique décrit précédemment. Il s’agit d’un motif suffisant pour conclure que le fusionnement aura vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence, d’autant plus que le fusionnement préserve une structure de marché monopolistique et, par conséquent, empêche l’émergence d’une concurrence potentiellement importante.

[298]  Dans son rapport de réplique, M. Baye a convenu que même si la concurrence ne sera vraisemblablement empêchée sensiblement que dans la région contestable déterminée par M. Kahwaty, la diminution de la prospérité sera vraisemblablement importante. En particulier, M. Baye a estimé cette diminution à environ [CONFIDENTIEL] par année, en se fondant sur une baisse supposée des prix de 10 %, soit de [CONFIDENTIEL] à [CONFIDENTIEL] la tonne, et sur certaines hypothèses et estimations dont M. Kahwaty s’est servi pour calculer les gains en efficience liés à l’expansion du marché tel qu’il a été mentionné précédemment. Pour effectuer ce calcul, M. Kahwaty a supposé que l’ouverture d’un site d’enfouissement sécuritaire au site Babkirk amènerait vraisemblablement les clients à éliminer environ [CONFIDENTIEL] tonnes supplémentaires de déchets dangereux, ce qui correspond aux prévisions formulées dans les documents internes de CCS. Comme il a été mentionné ci-dessus, cette hausse prévue de la demande concerne les déchets anciens et les futurs déchets qui ne seraient pas autrement dirigés vers l’installation Silverberry à cause i) du coût d’élimination actuel (somme des redevances de déversement et du coût du transport) et ii) du risque associé au transport de déchets dangereux à l’installation Silverberry. Monsieur Kahwaty a estimé que les coûts d’élimination totaux des clients situés dans la région contestable qu’il a déterminée diminueraient vraisemblablement d’environ [CONFIDENTIEL] la tonne étant donné que l’installation Babkirk est plus proche que le site Silverberry.

[299]  Selon les chiffres précédents utilisés par M. Kahwaty pour estimer les gains en efficience liés à l’expansion du marché et selon la demande linéaire supposée par ce dernier, M. Baye a estimé qu’une baisse de 10 % des prix (de [CONFIDENTIEL] à [CONFIDENTIEL]) pour les clients situés dans la région contestable ferait passer le volume de déchets éliminés par ces clients de [CONFIDENTIEL] tonnes à [CONFIDENTIEL] tonnes par an. Il a de plus estimé que le coût unitaire serait d’environ [CONFIDENTIEL] selon le prix moyen de [CONFIDENTIEL] toutes substances confondues au site Silverberry en 2010 et selon la marge de [CONFIDENTIEL] réalisée à ce site d’enfouissement en 2009, marge dont M. Kahwaty s’est servi pour estimer les gains en efficience liés à l’expansion du marché.

[300]  Compte tenu des estimations qui précèdent, M. Baye a calculé que l’aire sous la courbe de la demande dans la région contestable est i) un rectangle dont la superficie équivaut à [CONFIDENTIEL] (produit de [CONFIDENTIEL] tonnes [CONFIDENTIEL] et de [CONFIDENTIEL] et ii) un triangle rectangle dont la superficie équivaut à [CONFIDENTIEL]. La somme de i) et de ii) équivaut à [CONFIDENTIEL]. Monsieur Baye a soustrait de ce montant la somme de [CONFIDENTIEL] (produit du coût unitaire de CCS de [CONFIDENTIEL]), ce qui équivaut à une diminution de la prospérité prévue de [CONFIDENTIEL].

[301]  Le Tribunal est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la méthode adoptée par M. Baye, ainsi que les chiffres utilisés pour établir son évaluation de la perte sèche probable, sont raisonnables aux fins de l’évaluation des effets faite par le Tribunal pour les besoins de l’article 96 de la Loi. Le Tribunal estime que la méthode utilisée par M. Baye pour aller de l’avant à ce chapitre est valable, et que les intrants utilisés sont fiables et prudents. Le fait que M. Baye se soit appuyé sur certaines hypothèses formulées par M. Kahwaty ne revêt pas une grande importance aux fins de l’évaluation faite par le Tribunal pour les besoins de l’article 96. L’important est qu’une preuve fiable soit présentée au Tribunal pour lui permettre d’évaluer la perte sèche.

[302]  Le Tribunal prend note du témoignage de M. Kahwaty selon lequel il est nécessaire, pour calculer la perte sèche, de connaître la forme de la courbe de la demande et, lorsque les prix varieront vraisemblablement entre les clients, de posséder des données sur l’élasticité propres aux clients. Cependant, le Tribunal est convaincu qu’en l’absence de cette information, il est possible d’obtenir une estimation « grossière » de la perte sèche vraisemblable d’après des renseignements comme ceux dont M. Baye s’est servi pour estimer à environ [CONFIDENTIEL] la diminution de la prospérité annuelle.

[303]  Par conséquent, le Tribunal accepte l’estimation de M. Baye de [CONFIDENTIEL] comme valeur minimale de la perte sèche annuelle.

[304]  Monsieur Baye a ensuite émis l’hypothèse que i) si la baisse moyenne du prix dans cette région était de 21 %, la perte sèche annuelle serait d’environ [CONFIDENTIEL], ii) si le prix exigé pour tous les types de déchets dangereux déversés au site Silverberry diminuait de 10 %, la perte sèche serait d’environ [CONFIDENTIEL] et iii) si le prix exigé pour tous ces déchets diminuait de 21 %, la perte sèche serait d’environ [CONFIDENTIEL]. Le Tribunal n’est toutefois pas convaincu que ces hypothèses sur les prix sont raisonnables.

Effets non quantifiables

[305]  Le Tribunal est convaincu que le fusionnement entraînerait vraisemblablement des effets qualitatifs ou non quantifiables importants.

[306]  Dans son rapport initial, M. Baye a déterminé au moins deux effets anticoncurrentiels qualitatifs importants relativement au fusionnement. Premièrement, au paragraphe 157, il a indiqué que la baisse des redevances de déversement inciterait les producteurs de déchets à jouer un rôle plus actif dans le nettoyage des sites de déchets anciens du NECB. Au paragraphe 91 de son rapport, il a expliqué que la baisse des redevances de déversement encouragerait les producteurs à éviter les « retards », ou la biorestauration, et à recourir à l’enfouissement dans un site sécuritaire. Comme M. Kahwaty l’indique au paragraphe 96 de son rapport sur les gains en efficience, l’augmentation de la restauration des sites due à la baisse des coûts d’élimination profite [TRADUCTION] « aux résidents, aux espèces sauvages et à l’environnement dans son ensemble ».

[307]  Deuxièmement, au paragraphe 137c) de son rapport initial, M. Baye a affirmé que, pour maintenir son volume de déchets en dépit de la concurrence d’un site d’enfouissement exploité par une entreprise indépendante au site Babkirk, CCS [TRADUCTION] « aurait été incitée à livrer concurrence par le truchement de “propositions de valeur” qui, entre autres choses, lient les prix de divers services pour offrir aux clients des services d’élimination des déchets globalement moins chers ». Bien que M. Baye n’ait pas discuté plus longuement des services en question, la commissaire en a donné une interprétation que M. Baye a citée (à la note de bas de page 93 de son rapport initial). Le Tribunal est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la concurrence entre CCS et un site d’enfouissement exploité par une entreprise indépendante au site Babkirk aurait produit des avantages non monétaires importants pour les producteurs de déchets sous forme de « propositions de valeur », comme des services existants offerts à des prix inférieurs ou des services nouveaux ou améliorés qui ne seraient vraisemblablement pas offerts si l’ordonnance n’était pas prononcée.

d.  Les gains en efficience admissibles surpassent-ils et neutralisent-ils les effets?

[308]  En vertu de l’article 96, le Tribunal est tenu de déterminer si les gains en efficience admissibles « surpassent et neutralisent » les effets admissibles liés à l’empêchement ou à la diminution de la concurrence qui découleront ou découleront vraisemblablement du fusionnement.

[309]  Le Tribunal estime que les termes « surpassent » et « neutralisent » visent chacun des gains en efficience à la fois quantifiables et non quantifiables (c’est-à-dire, qualitatifs). Le Tribunal est d’avis que le mot « surpassent » indique que les gains en efficience doivent être d’une plus grande portée, ou plus considérables que les effets énoncés à l’article 96. Cela signifie que l’on doit pondérer des nombres commensurables, même s’il est impossible à l’égard de certains des gains en efficience ainsi « pondérés » de les quantifier de façon précise, voire même approximative. Par opposition, le mot « neutralisent » a un sens assez large pour dénoter une pondération en nombres incommensurables (par ex., des pommes et des oranges) qui exige qu’un jugement subjectif soit porté afin de déterminer si les gains en efficience neutralisent les effets vraisemblables énoncés à l’article 96.

[310]  En l’espèce, le Tribunal conclut que les effets admissibles et quantifiables qui découleront vraisemblablement du fusionnement s’établiront à une somme annuelle maximale de [CONFIDENTIEL]. Ces chiffres correspondent aux gains en efficience liés à la baisse des coûts indirects estimée par M. Kahwaty. En outre, le Tribunal conclut que CCS n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que les gains en efficience allégués sont admissibles. En d’autres termes, elle n’a pas démontré que ces gains en efficience ne se réaliseraient vraisemblablement pas si l’ordonnance était rendue.

[311]  En revanche, le Tribunal conclut que les effets quantifiables se chiffreraient vraisemblablement à au moins [CONFIDENTIEL] par année. Cette somme est la perte sèche minimale associée à la région contestable.

[312]  Selon ces constatations, il ressort clairement que CCS n’a pas prouvé que les gains en efficience admissibles et quantifiables qui seront réalisés vraisemblablement grâce au fusionnement « surpasseront » les effets quantifiables qui découleront vraisemblablement du fusionnement. En utilisant un taux d’intérêt de 5,5 %, CCS a estimé que la valeur actuelle de ces gains en efficience (liés aux coûts indirects) est d’environ [CONFIDENTIEL], comparativement à [CONFIDENTIEL] pour ce qui s’agit de la valeur actuelle des effets susmentionnés.

[313]  Vu la conclusion du Tribunal suivant laquelle un certain nombre d’effets quantifiables ou d’autres effets non quantifiables importants découleraient du fusionnement et qu’il n’entraînerait vraisemblablement pas d’importants gains en efficiences qualitatifs admissibles, il est également évident que les gains en efficience quantitatifs et qualitatifs ne « surpasseront » vraisemblablement pas les effets quantitatifs et qualitatifs combinés.

[314]  En outre le Tribunal est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que même si une pondération nulle était attribuée aux effets quantifiables, comme le propose CCS, celle-ci n’a pas satisfait au critère de « neutralisation » de l’article 96. En résumé, le Tribunal estime que les très faibles gains en efficience quantitatifs ([CONFIDENTIEL], annuellement) qui sont admissibles, jumelés aux gains en efficience qualitatifs ou à d’autres gains en efficience non quantifiables qui pourraient être admissibles, ne « neutraliseront » pas les effets qualitatifs importants qui, selon le Tribunal, découleront vraisemblablement du fusionnement.

[315]  Cette conclusion ne serait pas différente même si le Tribunal acceptait les gains en efficience liés à l’exécution de l’ordonnance, qui ne se chiffrent qu’à un maximum de [CONFIDENTIEL] (valeur des économies de transport pendant un an) plus [CONFIDENTIEL] (valeur des gains en efficience liés à l’expansion du marché pendant un an) et leur accordant tout le poids nécessaire.

[316]  La raison est que, de l’avis du Tribunal, il faut accorder un poids considérable aux effets qualitatifs pris ensemble. Ce poids est supérieur à celui attribuable à l’ensemble des gains en efficience quantitatifs et qualitatifs admissibles dans le cadre de toute démarche raisonnable. En résumé, ces effets qualitatifs sont i) la diminution de la décontamination et des avantages que pourraient en tirer « les résidents, les espèces sauvages et l’environnement dans son ensemble » et, plus important encore, ii) le moins grand nombre de « propositions de valeur » qui seraient autrement présentées dans le marché pertinent et qui lieraient les prix à divers services nouveaux ou améliorés.

[317]  Plus important encore, si l’ordonnance n’est pas prononcée, le fusionnement maintiendra une structure monopolistique dans le marché pertinent. En d’autres termes, non seulement le fusionnement entraînera les effets qualitatifs que nous venons tout juste de résumer, mais il empêchera également la réalisation des avantages de la concurrence de manière impossible à prévoir.

[318]  En résumé, le Tribunal est convaincu que CCS ne s’est pas acquittée de son fardeau de satisfaire, selon la prépondérance des probabilités, aux critères de « dépassement » et de « neutralisation » énoncés à l’article 96.

I.  NEUVIÈME QUESTION QUELLE EST LA MESURE DE REDRESSEMENT APPROPRIÉE – LA DISSOLUTION OU LE DESSAISISSEMENT?

[319]  Dans la présente section, se pose l’importante question de savoir si SES constitue toujours un acheteur consentant pour le site Babkirk. Étonnamment, lorsque M. Amirault, de SES, a témoigné pour le compte de la commissaire, ni son avocat durant son interrogatoire principal ni l’avocat des vendeurs, en contre-interrogatoire, n’ont demandé à M. Amirault si SES était toujours intéressée à acquérir BLS.

[320]  Selon la commissaire, dès lors qu’elle a établi que la dissolution était une mesure de redressement efficace et possible, le fardeau de la preuve était transféré aux vendeurs qui devaient alors démontrer que le dessaisissement constituait une mesure de redressement possible, efficace et moins attentatoire. La commissaire soutient que les vendeurs étaient tenus de demander à M. Amirault si SES était toujours intéressée et, parce qu’ils ne lui ont pas demandé et qu’ils n’ont pas présenté d’éléments de preuve concernant d’autres acheteurs potentiels, rien ne leur permet d’affirmer que le dessaisissement est une mesure de redressement efficace.

[321]  Le Tribunal n’accepte pas la façon dont la commissaire qualifie le fardeau de la preuve. Le Tribunal estime que, si la commissaire propose d’autres mesures de redressement, comme elle l’a fait en l’espèce, il lui incombe de démontrer que chacune de ces mesures est possible et efficace, même si une peut être préférable à l’autre. Par conséquent, l’avocat de la commissaire aurait dû questionner M. Amirault sur l’intérêt qu’avait SES concernant l’acquisition des actions de BLS.

[322]  Le Tribunal souligne que la commissaire lui demande dans l’argumentation finale qu’elle a présentée par écrit de ne pas inférer que SES est un acheteur intéressé. Or, dans son argumentation finale qu’il a présentée de vive voix, l’avocat de la commissaire affirme cependant que SES est un acheteur intéressé.

[323]  Le Tribunal accepte le dernier énoncé et conclut, pour les motifs exposés ci-dessous, que SES présentera vraisemblablement une offre d’achat visant l’installation Babkirk à un moment donné durant le processus de dessaisissement prévu dans l’ordonnance :

  • SES a déjà décidé d’exploiter un site d’enfouissement sécuritaire dans le NECB. Elle a tenté sans succès et à grands frais d’obtenir les autorisations pour son site Heritage;
  • Babkirk dispose déjà des autorisations nécessaires et SES est confiante que ses plans pour augmenter la capacité autorisée au site Babkirk et améliorer la conception des cellules seront approuvés;
  • SES s’intéresse de façon active et soutenue à l’installation Babkirk depuis le fusionnement. Cet intérêt a notamment été démontré par les observations écrites soumises par l’avocat de SES à la commissaire et aussi par la présence de son PDG, M. Amirault, comme témoin dans le cadre des présentes procédures.

[324]  Nous examinerons maintenant les mesures de redressement proposées.

[325]  La commissaire veut que le site Babkirk soit exploité comme un site d’enfouissement sécuritaire à service complet concurrentiel et elle croit que la dissolution permettra d’atteindre ce résultat plus rapidement que le dessaisissement.

[326]  Elle soutient qu’une fois que les vendeurs détiendront à nouveau les actions de Complete et qu’ils auront versé le prix d’acquisition à CCS, ils seront très motivés à revendre Complete ou les actions de BLS parce que cette opération leur permettra de recouvrer leurs fonds le plus rapidement possible. Cette observation repose toutefois sur l’hypothèse que les vendeurs recevront immédiatement une offre pour un prix qu’ils seront disposés à accepter. De l’avis du Tribunal, rien n’étaye une telle hypothèse. La preuve démontre de façon manifeste que les vendeurs n’ont jamais été disposés à céder à la pression pour à conclure une vente rapide.

[327]  L’observation de la commissaire est également fondée sur l’hypothèse que les vendeurs seront motivés à vendre rapidement parce qu’ils seront à court de fonds après avoir remboursé CCS dès qu’ils auront repris possession des actions de Complete. Cette hypothèse est aussi discutable, en partie parce qu’il semble que CCS ait indemnisé les vendeurs à l’égard des réclamations découlant d’enquêtes entreprises ou de mesures prises par le Bureau en ce qui concerne le fusionnement. Dans ce contexte, il est possible que CCS n’insiste pas pour être repayée immédiatement.

[328]  Même si la commissaire a raison et que les vendeurs sont à court d’argent et désireux de revendre BLS ou Complete, le Tribunal pense toujours qu’ils exigeront un prix intéressant. Il est également important de se rappeler que les cinq vendeurs désignés personnellement doivent consentir à l’acceptation d’une offre et qu’ils ne seront pas nécessairement tous sur la même longueur d’onde, notamment parce que certains approchent l’âge de la retraite alors que d’autres sont en mi-carrière.

[329]  Le Tribunal souligne que bientôt deux années se seront écoulées depuis que l’installation Babkirk a été mise en vente pour la dernière fois. Cela signifie que des acheteurs, autres que SES, pourraient montrer de l’intérêt, compte tenu particulièrement du taux croissant de production de gaz dans la région au nord-ouest du site Babkirk. Monsieur Baye a dit dans son témoignage qu’il croyait que SES, Newalta et Clean Harbours étaient des acheteurs potentiels. Il n’est pas non plus déraisonnable de croire qu’un producteur de pétrole et de gaz puisse décider d’acquérir et d’exploiter un site d’enfouissement sécuritaire. Le Tribunal a entendu des témoignages suivant lesquels [CONFIDENTIEL] songerait à devenir copropriétaire du site d’enfouissement sécuritaire Peejay. Si les vendeurs reçoivent plusieurs offres, de longues négociations pourraient s’ensuivre.

[330]  Enfin, s’ils ne reçoivent pas d’offre intéressante à leurs yeux, les vendeurs sont libres de changer d’avis et de revenir à leur plan d’exploitation d’une installation de biorestauration jumelée à un site d’enfouissement sécuritaire auxiliaire. Cette situation n’amènerait pas la concurrence que la commissaire recherche parce que ce résultat ne pourrait être atteint seulement si l’installation Babkirk est exploitée comme un site d’enfouissement sécuritaire à service complet.

[331]  Il faut également se demander si un acheteur constituera un concurrent efficace à la suite d’une dissolution. Dans le projet d’ordonnance de dissolution qui figure dans la conclusion de son argumentation finale, la commissaire demande non pas le droit d’approuver un acheteur, mais qu’un avis de fusionnement prochain lui soit donné dans la mesure où il serait réalisé « entre les défendeurs ». À notre avis, cela fait de la dissolution une mesure de redressement moins efficace.

[332]  Compte tenu de l’ensemble de ces observations, le Tribunal s’interroge sur l’efficacité de la dissolution en ce qu’elle pourrait ne pas mener à la vente rapide et à la prompte ouverture de l’installation Babkirk en tant que site d’enfouissement sécuritaire.

[333]  Il est également vrai que la dissolution est une mesure de redressement plus attentatoire.

[334]  Trois des vendeurs ont témoigné sur les difficultés financières qu’ils connaîtraient si le Tribunal rendait une ordonnance de dissolution. La part du produit de la vente qui revient à Ken Watson s’élevait à [CONFIDENTIEL]. Si le Tribunal lui ordonnait de rembourser cette somme à CCS [CONFIDENTIEL] il s’attend à devoir surmonter d’importantes difficultés financières.

[335]  La part du produit de vente revenant à Randy Wolsey était d’environ [CONFIDENTIEL]. Il a dit dans son témoignage que presque la moitié du produit de vente avait été utilisée pour la mise en valeur d’une propriété sur laquelle il construisait une nouvelle résidence familiale. Le reste avait servi à l’acquisition de divers produits d’investissement. Selon M. Wolsey, il s’attend à perdre environ [CONFIDENTIEL] s’il est contraint de réaliser une vente rapide de la propriété résidentielle avant que la construction de la maison soit terminée.

[336]  Si on lui demandait de restituer sa part du produit de vente, soit environ [CONFIDENTIEL], Karen Baker a déclaré que sa capacité à fournir du soutien financier à certaines petites entreprises serait alors compromise. Elle a aussi indiqué que si les opérations devaient être dissoutes, elle s’attendait à ce que le [TRADUCTION] « travail requis pour annuler la vente et calculer les rajustements nécessaires pour tenir compte des changements dans les éléments d’actif de Complete, son fonds de roulement et le coût des occasions perdues, en plus des coûts de renonciation relatifs au temps d’absence des autres entreprises dans lesquelles elle a des intérêts, et les coûts de certaines de ces entreprises liés au personnel de remplacement nécessaire pour accomplir le travail qu’elle aurait dû faire lui causeraient un stress important et des difficultés psychologiques ».

[337]  La commissaire fait valoir que ces difficultés ne sont pas pertinentes dans les circonstances particulières de la présente affaire parce qu’elle avait prévenu les vendeurs qu’elle demanderait la dissolution avant que ceux-ci vendent Complete à CCS. Le Tribunal estime toutefois que les parties privées ont le droit de ne pas partager le point de vue de la commissaire et de faire valoir leur point de vue devant le Tribunal. Par conséquent, rien n’empêche les vendeurs de soulever des questions liées à leurs difficultés.

[338]  Le Tribunal estime également que la dissolution est excessive étant donné qu’elle touche à d’autres entreprises exploitées par Complete, et non uniquement BLS.

[339]  Au printemps 2007, Complete a fait l’acquisition des actifs d’une entreprise de gestion de déchets urbains de Dawson Creek, en Colombie-Britannique. Comme il est indiqué précédemment, ces actifs comprenaient des contrats portant sur la gestion des sites d’enfouissement municipaux de Fort St. John et de Bessborough, la gestion de la station de transfert de Dawson Creek, la fourniture et le transport de bennes amovibles ainsi que la prestation de services de collecte et de transfert de déchets en milieu rural. Au moment du fusionnement, ces contrats et le matériel connexe ont été transférés à CCS. Hazco est responsable de ces activités depuis ce temps.

[340]  Monsieur Garry Smith, le président de Hazco, a indiqué dans son témoignage que Hazco a rehaussé les camions de Complete et a vendu certains équipements plus vétustes qu’elle considérait en surplus. Les deux contrats municipaux d’enfouissement ont été prolongés et sont maintenant détenus directement par Hazco. Les employés de Complete travaillent maintenant pour Hazco et il y a eu des changements de personnel. Lors de l’audience, Mme Baker a témoigné sur les incidences de la vente de certains des éléments d’actif. Elle a déclaré :

[TRADUCTION] Cet équipement était plus ancien. Il n’aurait pas pu rapporter une grosse somme, mais ce qui importe c’est qu’il nous suffisait pour accomplir le genre de travail que nous voulions. Maintenant l’industrie du pétrole et du gaz est très, très active là-bas. Si nous tentions de récupérer de l’équipement, nous en serions certainement incapables. Quant aux pièces d’équipement usagé en bon état, je n’en ai aucune idée. Le prix en serait exorbitant. Est-ce que nous achèterions de l’équipement neuf? Je ne sais pas. Alors en ce moment, nous n’avons même pas l’équipement pour retourner au travail

[341]  En conclusion, le Tribunal a statué que la dissolution est attentatoire, excessive et qu’elle ne mènera pas nécessairement à une ouverture en temps opportun de l’installation Babkirk en tant que site d’enfouissement sécuritaire à service complet.

[342]  En ce qui concerne le dessaisissement, le Tribunal conclut qu’il s’agit d’une mesure de redressement possible et efficace. Si des échéances raisonnables mais serrées sont imposées, il importera peu, selon la commissaire, que SES et CCS soient réticentes à négocier en raison de leur litige actuellement en instance. Au bout du compte, si elles ne parviennent pas à s’entendre, un fiduciaire vendra les actions ou les éléments d’actif de BLS, soit à SES, soit à un autre acheteur approuvé par la commissaire. En d’autres termes, le dessaisissement sera exécutoire.

[343]  Un dessaisissement comportant des échéances à court terme comporte d’autres avantages. La commissaire aura le droit de préapprouver l’acheteur, la personne responsable de réaliser le dessaisissement sera ultimement CCS ou un fiduciaire professionnel, plutôt que cinq particuliers, il sera possible d’en assurer la date, une vente sera ultimement réalisée et l’acheteur approuvé concurrencera le site Silverberry en offrant un service complet.

[344]  Pour tous ces motifs, le Tribunal ordonnera à CCS de se départir des actions ou des éléments d’actif de BLS.

VIII.  LES DÉPENS

[345]  La commissaire a exprimé sa préférence pour la dissolution comme mesure de redressement lorsqu’elle a intenté la demande. Elle a fait ce choix parce qu’elle croyait qu’à la date du fusionnement, les vendeurs étaient sur le point de construire et d’exploiter un site d’enfouissement à service complet. Pour cette raison, elle a conclu que la façon la plus rapide d’établir une concurrence était de remettre Babkirk aux vendeurs.

[346]  Toutefois, pour les motifs exprimés ci-dessus, le Tribunal conclut que les vendeurs n’avaient pas l’intention d’exploiter un site d’enfouissement sécuritaire à service complet. Cela signifie que la commissaire n’a pas étayé la prémisse sur laquelle elle s’était fondée pour désigner les vendeurs personnellement désignés comme parties à la demande. Essentiellement, elle n’a pas établi le bien-fondé des allégations qu’elle a avancées contre eux et pour ces motifs elle est responsable de leurs dépens.

[347]  Cependant, lors de la requête en procédure sommaire présentée par les vendeurs – laquelle a été instruite deux semaines avant l’audience -, les vendeurs ont indiqué que si leur requête était accueillie et qu’ils étaient mis hors de cause, quatre d’entre eux auraient néanmoins comparu à l’audience afin d’y témoigner. Le Tribunal tient pour acquis que s’ils avaient eu à le faire, ils auraient été représentés par un avocat. En conséquence, la commissaire devra payer leurs dépens desquels seront soustraits les honoraires qui auraient été engagés si les vendeurs avaient comparu comme témoins.

IX.  POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL ORDONNE CE QUI SUIT :

[348]  CCS devra se départir des actions ou des éléments d’actif de BLS, au plus tard le 28 décembre 2012, à défaut de quoi un fiduciaire devra réaliser la vente, au plus tard le 31 mars 2013. Dans la mesure du possible, les conditions de ce processus devront être convenues entre la commissaire et CCS et devront être soumises au Tribunal, au plus tard le 22 juin 2012. Si les conditions convenues sont acceptées par le Tribunal, elles seront incorporées dans une autre ordonnance désignée comme l’ordonnance de dessaisissement. Si la commissaire et CCS ne peuvent s’entendre sur les conditions, chaque partie devra soumettre une proposition d’ordonnance de dessaisissement, au plus tard le 29 juin 2012. Si nécessaire, le Tribunal entendra les observations de chacune des parties concernant leur proposition au début de juillet et rendra par la suite une ordonnance de dessaisissement.

[349]  CCS devra payer les dépens de la commissaire et, parce que la dissolution n’a pas fait l’objet d’une ordonnance, la commissaire devra payer les dépens des vendeurs desquels seront soustraits les frais de représentation par avocat qu’ils auraient payés s’ils avaient comparu pour témoigner sans être parties à l’instance. La commissaire devra préparer un mémoire de frais devant être présenté à CCS et les vendeurs devront présenter un mémoire de frais à la commissaire, dans les deux cas, au plus tard le 31 août 2012. Ces deux mémoires devront être préparés conformément au milieu de la fourchette de la colonne III du tableau du Tarif B des Règles des Cours fédérales. Le 14 septembre 2012, si aucune entente n’est intervenue quant aux sommes forfaitaires devant être payées, le Tribunal entendra des observations et procédera à l’adjudication des dépens.

FAIT à Ottawa, ce 29e jour de mai 2012.

SIGNÉ au nom du Tribunal par les membres de la formation.

(s) La juge Sandra J. Simpson (présidente)

(s) Le juge en chef Paul Crampton

(s) M. Wiktor Askanas

X.  LES ANNEXES

[350]  Les annexes figurent aux pages suivantes :

A.  Schedule A: Map Showing Secure Landfills (based on Exhibit 4-A to Dr. Baye’s Expert Report)

Schedule A: Map Showing Secure Landfills (based on Exhibit 4-A to Dr. Baye’s Expert Report)

Source: CCS, SES, and Newalta company websites.

Il est possible d’imprimer cette carte en couleur.

Traduction des mentions apparaissant dans l’image ci-dessus : -

  1. Annexe A : Carte indiquant les sites d’enfouissement sécuritaires (fondée sur la pièce 4-A jointe au rapport d’expert de M. Baye)
  2. Légende en haut à droite : route à deux voies; chemin principal ou secondaire ou route; sociétés; CCS; Newalta; SES; kilomètres.
  3. Légende en bas à gauche : distances approximatives entre les emplacements des sites d’enfouissement sécuritaires (calculées sur route); Babkirk – Silverberry 81 km; Babkirk – Northern Rockies 260 km
  4. Source : sites Web de CCS, SES et Newalta

B.  ANNEXE « B » LA PREUVE

Liste des personnes ayant témoigné de vive voix (en ordre alphabétique)

Pour la commissaire de la concurrence

  • Rene Amirault

Président et PDG de Secure Energy Services Inc.

  • Robert Andrews

Chef de section – Gestion environnementale, Division gouvernementale au sein du ministère de l’Environnement de la Colombie-Britannique.

  • Michael Baye

Économiste expert – consultant spécial de la National Economic Research Associates, Inc. et le professeur « Bert Elwert » d’économie de l’entreprise et de politique publique au Indiana University Kelley School of Business.

  • Chris Hamilton

Directeur d’évaluation de projet au Bureau des évaluations environnementales de la Colombie-Britannique.

  • Andrew Harrington

Expert en matière de gains d’efficience – directeur principal du bureau situé à Toronto de Duff & Phelps.

  • [CONFIDENTIEL]

Analyste en contrats et achats [CONFIDENTIEL].

  • [CONFIDENTIEL]

Vice-président, exploitation chez [CONFIDENTIEL].

  • Mark Polet

Associé de Klohn Crippen Berger Ltd. (« KCB »). KCB est un cabinet privé de consultation en génie spécialisé et en environnement dont le siège social est situé à Vancouver.

  • Del Reinheimer

Spécialiste de la gestion en matière d’environnement à la section de la protection de l’environnement du ministère de l’Environnement de la Colombie-Britannique.

  • Devin Scheck

Directeur, gestion des déchets et remise en état à la British Columbia Oil and Gas Commission.

Pour les vendeurs

  • Karen Baker

Une des actionnaires fondateurs de Complete Environmental Inc.

  • Ronald Baker

Un des actionnaires fondateurs de Complete Environmental Inc.

  • Kenneth Watson

Un des actionnaires fondateurs de Complete Environmental Inc.

  • Randy Wolsey

Un des actionnaires fondateurs de Complete Environmental Inc.

Pour les sociétés défenderesses

  • Trevor Barclay

Directeur responsable du site d’enfouissement au site d’enfouissement Northern Rockies.

  • James Coughlan

Directeur des ventes et du marketing de CCS Corporation

  • Henry Kahwaty

Économiste expert – Administrateur de Berkeley Research Group, LLC.

  • Richard Lane

Vice-président de CCS Midstream Services, une division de CCS Corporation.

  • Pete Marshall

Dirigeant d’Adelantar Consulting, un cabinet de consultation en environnement situé à Edmonton (Alberta).

  • Daniel Wallace

Directeur, Développement des affaires de la division Midstream Services de CCS Corporation

Autres éléments de preuve

  • Les déclarations des témoins des personnes ayant témoigné.
  • Les transcriptions des interrogatoires préalables de Karen Baker et Kenneth Watson pour les vendeurs, Daniel Wallace pour les sociétés défenderesses et Trevor MacKay pour la commissaire de la concurrence.
  • Les exposés conjoints des faits.
  • Les déclarations de témoins de Robert Coutts, président de SkyBase Geomatic Solutions Inc. et Garry Smith, président de Hazco Waste Management (détenue par CCS). De consentement, ces personnes n’ont pas été appelées à témoigner de vive voix.
  • Une liste conjointe des documents produits de consentement.
  • Les pièces cotées au cours de l’audience.

C.  Schedule C: Map of NEBC, the Contestable Area and the Babkirk Polygon

Schedule C: Map of NEBC, the Contestable Area and the Babkirk Polygon

Traduction des mentions apparaissant dans l’image ci-dessus :

  1. Annexe C : Carte du NECB, de la région contestable et du polygone de Babkirk.
  2. Légende en haut à droite : kilomètres; Territoires du Nord-Ouest
  3. Au centre : Colombie-Britannique; site Babkirk, site d’enfouissement sécuritaire Silverberry
  4. Légende sous le tableau : NECB; région contestable; polygone de Babkirk

XI.  LES MOTIFS CONCORDANTS DE MONSIEUR LE JUGE EN CHEF P. CRAMPTON

[351]  Bien que j’aie participé à la rédaction de la décision rendue par la formation en l’espèce et que je l’aie signée, j’aimerais exprimer des commentaires sur certains autres points.

A.  L’ACQUISITION DE COMPLETE PAR CCS CONSTITUE-T-ELLE UN FUSIONNEMENT?

[352]  Au paragraphe 56 de ses motifs, la formation souligne qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si l’entreprise de bennes amovibles de Complete ou sa gestion des décharges municipales pouvaient être considérées comme une entreprise au sens de l’article 91 de la Loi. Cela dit, la conclusion tirée par la présidente sur ce point a été exposée au paragraphe 57. En voici le libellé :

« [U]ne entreprise acquise dans le cadre d’un fusionnement doit avoir une certaine importance aux fins de la demande présentée par la commissaire. En d’autres termes, elle doit pouvoir produire un effet sur la concurrence dans les marchés en cause. Ces remarques signifient qu’en l’espèce, l’entreprise de bennes amovibles de Complete et sa gestion des décharges municipales n’auraient pas été visées par la définition prévue à l’article 91 parce qu’elles ne jouent aucun rôle dans l’élimination ou le traitement des déchets dangereux. »

[353]  En toute déférence, je ne partage pas cet avis. À mon avis, le terme « entreprise », au sens de l’article 91 de la Loi, n’est pas limité, comme le soutiennent les vendeurs, à une entreprise qui est en concurrence avec l’entreprise d’un acheteur. Aucune restriction de cette nature ne figure ni à l’article 91 ni dans la définition du terme « entreprise » énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi.

[354]  Les vendeurs ont tenté d’étayer leur point de vue en soulignant que l’article 92 de la Loi exige qu’un « fusionnement » empêche ou diminue sensiblement la concurrence, ou aura vraisemblablement cet effet. Or, il n’est pas nécessaire qu’un fusionnement intervienne entre deux ou plusieurs entreprises concurrentes pour éventuellement empêcher ou diminuer sensiblement la concurrence. Par exemple, l’emploi des mots « fournisseur » et « client » à l’article 91 illustre la reconnaissance implicite par le législateur qu’un fusionnement vertical pourrait avoir le même effet. Les termes « ou d’une autre personne » figurant à l’article 91 illustrent que le législateur ne souhaitait pas aussi exclure la possibilité que d’autres types de fusionnements non horizontaux puissent également produire un effet identique.

[355]  Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que la position des vendeurs est étayée par une interprétation du libellé des dispositions de l’article 91 faite « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, passage cité dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, p. 41; et Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au par. 33 (« Mowat »)). En l’absence de toute ambiguïté apparente, on doit retenir une interprétation de l’article 91 « qui respecte le libellé choisi par le législateur » (Mowat, précité). Le principe suivant lequel la Loi doit être interprétée « de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » étaye également l’opinion selon laquelle l’article 91 ne devrait pas être interprété de la façon restrictive proposée par les vendeurs (Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, art. 12).

[356]  À vrai dire, donner à l’article 91 une interprétation qui s’harmonise avec le régime instauré par la Loi et son objet ainsi qu’avec l’intention du législateur milite indiscutablement en faveur d’une interprétation qui ne nécessite pas le genre d’évaluation des effets sur la concurrence qui est sous-jacente à l’interprétation proposée par les vendeurs. Autrement dit, dans le contexte du régime instauré par la Loi et de son objet considérés globalement, il est possible de soutenir que l’article 91 a été conçu par le législateur comme une disposition de contrôle, en vertu de laquelle une appréciation doit habituellement être faite assez tôt dans le contexte de l’évaluation prescrite par les articles 92 et 93.

[357]  Par exemple, tous les éléments d’évaluation de la liste non exhaustive établie à l’article 93, sauf un, renvoient au « fusionnement réalisé ou proposé », à l’égard duquel une demande a été présentée en vertu de l’article 92. À mon avis, cela semble indiquer que les effets du fusionnement réalisé ou proposé en cause devraient être connus avant que l’évaluation prévue par les articles 92 et 93 soit entreprise.

[358]  Si un accord, un arrangement ou une pratique ne peut, à juste titre, être qualifié de fusionnement, cette opération relèvera d’une d’enquête visée par d’autres dispositions de la Loi, par exemple les articles 45 et 79 ou 90.1, chacune de ces dispositions ayant son cadre d’analyse propre qui diffère sur des aspects importants de celui qu’énonce l’article 92. En effet, dans les cas d’accords et d’arrangements qui peuvent faire l’objet d’une enquête en vertu de l’article 45, une disposition de nature criminelle, il existe des conséquences procédurales importantes liées à la décision de poursuivre une affaire au titre de cette disposition, plutôt qu’au titre des articles 90.1, 79 ou 92. J’admets qu’il peut y avoir des cas pour lesquels il conviendrait d’apprécier une situation au regard de l’article 92 et au regard aussi d’une ou de plusieurs autres des dispositions mentionnées ci-dessus, un certain temps avant d’exercer l’option prévue aux articles 98, 45.1 et aux paragraphes 79(7) ou 90.1(10). Cependant, l’économie de la Loi et l’efficacité administrative appuient manifestement l’opinion selon laquelle une décision tranchant la question de savoir si une affaire devrait faire l’objet d’une enquête dans le cadre d’un fusionnement, plutôt que dans le cadre d’actes visés par d’autres dispositions de la Loi, devrait habituellement être rendue avant que les décisions importantes sur le fond ne le soient en vertu des dispositions applicables de la Loi. On note, entre autres choses, que des décisions sur le fond de cette nature ne sont souvent rendues qu’après plusieurs mois, et parfois même après une plus longue période de temps.

[359]  En résumé, pour l’ensemble des motifs qui précèdent, je conclus que le terme « entreprise » figurant à l’article 91 a un sens suffisamment large pour englober toute entreprise visée par une acquisition ou l’établissement d’un contrôle ou d’un intérêt relativement important, comme le prévoit cette disposition. En l’espèce, cette définition couvrirait l’entreprise de bennes amovibles de Complete, laquelle était pleinement opérationnelle à la date de l’acquisition de Complete par CCS. J’inclurais également la gestion des décharges municipales par Complete.

B.  LA DÉFINITION DU MARCHÉ

[360]  La définition du marché est depuis longtemps au coeur de l’analyse des fusions au Canada et à l’étranger pour plusieurs raisons. Parmi ces raisons figurent le fait qu’elle i) aide à centrer l’analyse sur les produits et emplacements qui sont des substituts proches des produits et emplacements des parties qui fusionnement, ii) aide à centrer l’analyse sur la question essentielle de la puissance commerciale, iii) aide à déterminer les concurrents des parties qui fusionnent, iv) aide à comprendre le fondement des niveaux actuels de concurrence par les prix et de concurrence autre que par les prix et v) facilite le calcul des parts de marché et des niveaux de concentration. Quant à elles, les variations dans les parts de marché et les niveaux de concentration peuvent se révéler très utiles, quoique non déterminantes, pour comprendre les effets vraisemblables des fusionnements sur la concurrence et aider les organismes d’application de la loi à trier les cas et à fournir des conseils au public.

[361]  Au cours des dernières années, l’évolution des politiques antitrust a mené le département de la Justice et la Commission fédérale du commerce des États-Unis à adopter des approches [TRADUCTION] « ne devant pas nécessairement reposer sur la définition du marché » (Horizontal Merger Guidelines, 19 août 2010, par. 6.1). De même, le paragraphe 3.1 du document Fusions – Lignes directrices pour l’application de la loi a été modifié et prévoit que la définition du marché ne correspond pas nécessairement à une étape nécessaire de l’analyse d’une fusion.

[362]  Ces évolutions peuvent être prises en compte dans le cadre d’analyse actuel de la Loi et de la jurisprudence du Tribunal.

[363]  Lors de son examen de la définition de marché, la formation a souligné, au paragraphe 92 de ses motifs, que le Tribunal avait déjà déclaré par le passé qu’il fallait se garder de perdre de vue le but la question ultime, c’est-à-dire celle de savoir si le fusionnement visé par l’évaluation empêche ou diminue sensiblement la concurrence, ou s’il aura vraisemblablement pour effet de le faire. Le Tribunal a déjà aussi souligné que la Loi n’exige pas qu’un marché pertinent soit défini lorsqu’il évalue si la concurrence sera vraisemblablement empêchée ou diminuée sensiblement (Propane 1, précité, au par. 56). Il en découle logiquement que la définition d’un marché pertinent ne constitue pas une étape nécessaire lorsqu’il s’agit d’évaluer si un fusionnement empêche ou diminue sensiblement la concurrence, ou s’il aura vraisemblablement pour effet de le faire. Par conséquent, il est loisible au Tribunal, dans les cas indiqués, de se livrer à cette évaluation sans définir de marché pertinent.

[364]  Cela dit, à ce stade-ci, on s’attend à ce qu’il s’agisse de cas exceptionnels. En effet, le défaut de définir un marché pertinent peut rendre très difficile le calcul de la perte sèche actuelle ou éventuelle liée au fusionnement, ou même son estimation raisonnable, au regard de la défense fondée sur les gains en efficience prévue à l’article 96 de la Loi.

C.  LE CADRE ANALYTIQUE DANS UN CAS D’EMPÊCHEMENT DE LA CONCURRENCE

[365]  Dès le début de l’argumentation finale de la commissaire, son avocat a invité le Tribunal à clarifier la démarche analytique applicable à trois situations, soit (i) évaluer si un fusionnement empêche la concurrence, ou s’il aura vraisemblablement pour effet de le faire (ii) la défense fondée sur les gains en efficience et (iii) les circonstances dans lesquelles le Tribunal considérera la dissolution comme mesure de redressement et les facteurs qui seront pris en compte pour déterminer la mesure de redressement qu’il convient d’appliquer dans une affaire donnée.

[366]  Ces sujets sont tous abordés jusqu’à un certain point dans la décision de la formation. J’aimerais seulement ajouter quelques commentaires additionnels, particulièrement en ce qui concerne le cadre analytique applicable pour que le Tribunal puisse déterminer si un fusionnement empêche sensiblement la concurrence, ou s’il aura vraisemblablement pour effet de le faire.

[367]  Les priorités générales du Tribunal sont fondamentalement les mêmes lorsqu’il examine des affaires portant sur un « empêchement sensible de la concurrence » ou sur une « diminution sensible de la concurrence » visés par l’article 92. Ces priorités se résument à déterminer si l’entité fusionnée sera vraisemblablement en mesure d’exercer une puissance commerciale beaucoup plus importante qu’en l’absence de fusionnement. Le même principe s’applique en ce qui concerne les autres articles de la Loi dont le libellé comprend ces termes.

[368]  Pour déterminer si le fusionnement aura vraisemblablement pour effet de diminuer la concurrence, le Tribunal s’en tiendra à déterminer si le fusionnement aura vraisemblablement pour effet de rendre plus facile l’exercice d’une nouvelle ou d’une plus grande puissance commerciale par l’entité issue du fusionnement qu’elle ait agi seule ou en interdépendance avec d’autres entreprises rivales. Pour déterminer si le fusionnement aura vraisemblablement pour effet d’« empêcher » la concurrence, le Tribunal cherchera à savoir si le fusionnement aura vraisemblablement pour effet de préserver la puissance commerciale de l’une des parties fusionnantes ou des deux, en empêchant l’érosion de cette puissance commerciale qui se serait vraisemblablement produite en l’absence de fusionnement.

[369]  Pour procéder à une évaluation dans ce dernier contexte, et dans le cadre d’un fusionnement proposé, le Tribunal compare (i) l’état de la concurrence tel qu’il existerait vraisemblablement si le fusionnement était réalisé, avec (ii) l’état de la concurrence tel qu’il existerait vraisemblablement si le fusionnement n’était pas réalisé. Le scénario visé au point (ii) est habituellement désigné comme étant le scénario fondé sur l’« absence hypothétique » ou simplement le scénario « hypothétique ». Dans le cas d’un fusionnement réalisé, ce scénario fondé sur l’« absence hypothétique » constitue la situation du marché qui aurait le plus vraisemblablement existé si le fusionnement n’avait pas été réalisé.

[370]  Lorsque le Tribunal détermine qu’un fusionnement ne permettra vraisemblablement pas à l’entité fusionnée d’exercer une plus grande puissance commerciale que celle qu’elle aurait exercée en l’absence du fusionnement, le Tribunal conclura habituellement que le fusionnement n’aura pas du tout pour effet d’empêcher ou de diminuer la concurrence, encore moins de façon sensible. S’agissant des allégations selon lesquelles la concurrence sera vraisemblablement diminuée, cette conclusion découle généralement de la décision portant que le fusionnement ne permettra vraisemblablement pas à l’entité fusionnée d’améliorer sa puissance commerciale actuelle, ou d’en créer une nouvelle. En ce qui concerne les allégations selon lesquelles la concurrence sera vraisemblablement empêchée, cette conclusion découle généralement de la décision que le fusionnement en cause ne permettra vraisemblablement pas à l’entité fusionnée de maintenir la plus grande puissance commerciale qu’elle possède déjà que celle qui aurait existé en l’absence du fusionnement. Je réitère que les commentaires qui précèdent s’appliquent également aux autres articles de la Loi qui commandent l’application du critère fondé sur l’« empêchement ou la diminution sensible de la concurrence ».

[371]  La puissance commerciale d’un vendeur s’entend de sa capacité de maintenir les prix de façon rentable au-dessus du niveau concurrentiel ou de diminuer les niveaux de concurrence autre que par les prix (comme le service, la qualité ou l’innovation) sur une période significative sur le plan économique. Quant à la puissance commerciale d’un acheteur, elle s’entend de sa capacité de faire baisser les prix sous le niveau concurrentiel ou de diminuer les niveaux de concurrence autre que par les prix sur une telle période.

[372]  Pour déterminer si une puissance commerciale sera vraisemblablement créée, améliorée ou maintenue en raison d’un fusionnement ou d’une pratique commerciale susceptible d’examen, le Tribunal évalue l’intensité de la concurrence, comme en témoignent la concurrence par les prix et la concurrence autre que par les prix. La concurrence est un processus dynamique de rivalité où l’exercice d’une puissance commerciale est empêché ou restreint quand les entreprises s’efforcent, entre autres choses, de mettre au point, de produire, de distribuer, de commercialiser et, enfin, de vendre leurs produits en rivalisant avec d’autres entreprises. C’est ce processus de rivalité qui pousse principalement les entreprises à innover, sur le plan tant des produits que des pratiques commerciales, et à proposer leurs produits à des prix compétitifs. Par ailleurs, ces innovations et ces prix compétitifs contribuent à la hausse de la prospérité globale de l’économie, de la compétitivité de l’économie à l’échelle internationale et du niveau de vie moyen de la population.

[373]  Pour évaluer l’intensité de la concurrence par les prix, le Tribunal cherche à déterminer si les prix seront vraisemblablement plus élevés que ceux qui auraient cours en l’absence de fusionnement. Pour évaluer l’intensité de la concurrence autre que par les prix, le Tribunal cherche à déterminer si les niveaux de service, de qualité, d’innovation ou d’autres aspects importants de la concurrence autre que par les prix seront vraisemblablement moins élevés que ceux qui auraient cours en l’absence de fusionnement. Ainsi, l’évaluation de l’intensité de la concurrence par les prix et de la concurrence autre que par les prix est relative plutôt qu’absolue, en nature (Canada Pipe, précité, aux par. 36 à 38). En bref, l’évaluation des niveaux de concurrence par les prix et de concurrence autre que par les prix est effectuée en comparaison des niveaux qui seraient vraisemblablement atteints « en l’absence » de fusionnement. La même approche est adoptée pour les questions non liées aux fusionnements quand il faut évaluer si elles auront vraisemblablement pour effet de d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.

[374]  Il y a empêchement de la concurrence lorsque la concurrence est freinée ou entravée. Parmi les empêchements courants de la concurrence dans le contexte des fusionnements figurent l’acquisition d’un entrant éventuel ou d’un entrant récent qui pouvait vraisemblablement prendre de l’ampleur ou de devenir un concurrent dynamique sur le marché pertinent, l’acquisition par un entrant éventuel d’une entreprise déjà établie qui autrement serait vraisemblablement entrée de nouveau sur le marché pertinent et iii) une acquisition qui empêche ce qui aurait autrement été l’émergence vraisemblable d’une source de vive concurrence d’un rival existant ou futur.

[375]  Pour déterminer si l’empêchement ou la diminution de la concurrence sera vraisemblablement sensible, le Tribunal évaluera généralement l’ampleur, la portée et la durée vraisemblables de tout effet défavorable sur les niveaux de concurrence par les prix ou de concurrence autre que par les prix qui, selon lui, découlera vraisemblablement de la puissance commerciale créée, améliorée ou maintenue par l’entité fusionnée. En d’autres termes, le Tribunal évaluera le degré vraisemblable de ces effets sur les prix et des autres effets, le volume des ventes sur le marché pertinent qui seront vraisemblablement touchées par ces effets et la période où ces effets se feront vraisemblablement sentir.

[376]  En ce qui concerne l’ampleur ou le degré de ces effets, le Tribunal a déjà défini que le seuil de sensibilité est atteint si les clients « seront vraisemblablement, pour une période importante, mis en présence d’une hausse considérable des prix ou d’un choix [beaucoup] moins important que ce n’aurait vraisemblablement été le cas en l’absence des acquisitions » (Southam, précité, par. 285, non souligné dans l’original). Cependant, étant donné que le Tribunal adopte maintenant le critère du monopoleur hypothétique et celui de l’APFSNT pour la définition du marché, il faut revoir cette définition du seuil de sensibilité. En effet, si le degré de puissance commerciale utilisé pour définir les marchés pertinents est le même que le degré de puissance commerciale employé pour évaluer les effets concurrentiels, un fusionnement ne serait pas jugé comme empêchant ou diminuant sensiblement la concurrence à moins que le degré de puissance commerciale créée, améliorée ou maintenue de l’entité fusionnée soit le même que le degré de puissance commerciale détenue par le monopoleur hypothétique conceptualisé aux fins de la définition du marché.

[377]  Par conséquent, il faut abaisser le degré de puissance commerciale qui sert à évaluer si la concurrence sera vraisemblablement empêchée ou diminuée sensiblement. Ce degré recalibré est le niveau de puissance commerciale requis pour maintenir les prix à un niveau beaucoup plus élevé (hausse importante) ou pour abaisser une ou plusieurs formes de concurrence autres que par les prix à un niveau bien inférieur (diminution importante) à ce qui serait observé en l’absence de fusionnement. Dans la pratique, en l’espèce, cette distinction entre « important » et « sensible » a peu d’importance, car la formation a déterminé que les prix seraient sensiblement (c’est-à-dire d’au moins 10 %) supérieurs à ce qu’ils auraient vraisemblablement été en l’absence de fusionnement.

[378]  Quant à la portée du critère de la « sensibilité », le Tribunal évaluera si l’entité fusionnée, agissant seule ou en interdépendance avec d’autres entreprises, aurait vraisemblablement été en mesure d’imposer les effets susmentionnés dans une partie importante du marché pertinent ou sur un volume important de ventes.

[379]  En ce qui a trait à l’aspect duratif du critère de la « sensibilité », le Tribunal évaluera habituellement si l’entité fusionnée, agissant seule ou en interdépendance avec d’autres entreprises, aurait vraisemblablement été en mesure de maintenir les effets susmentionnés pendant environ deux ans ou plus en l’absence de fusionnement. C’est pourquoi le Tribunal évalue habituellement l’entrée future sur le marché et l’expansion d’éventuels concurrents de l’entité fusionnée en fonction d’une période de référence d’environ deux ans.

[380]  Lorsque le fusionnement a déjà été effectué et que la commissaire allègue qu’il empêchera vraisemblablement la concurrence sensiblement, comme en l’espèce, l’évaluation du Tribunal de l’aspect duratif du critère de la « sensibilité » portera sur deux éléments. Tout d’abord, le Tribunal évaluera si l’entrée sur le marché ou l’expansion qui a été empêchée ou prévenue par le fusionnement se serait vraisemblablement produite dans un délai suffisamment opportun, et à une échelle suffisante, pour entraîner une baisse importante des prix ou une hausse importante d’un ou plusieurs aspects de la concurrence autre que par les prix si le fusionnement n’avait pas été réalisé. Dans l’affirmative, le Tribunal évaluera si l’entrée sur le marché ou l’expansion de tierces parties donnera vraisemblablement ce résultat, malgré le fait que le fusionnement a été réalisé.

[381]  Avant d’évaluer si l’empêchement vraisemblable de concurrence future serait « sensible », le Tribunal évaluera aussi si cette concurrence future se serait concrétisée en l’absence du fusionnement en question, et si elle se serait produite dans un délai raisonnable.

[382]  Ce qui constitue un délai raisonnable variera d’une affaire à l’autre et dépendra des activités commerciales examinées. Dans les situations où l’entreprise prenait des mesures pour entrer sur le marché ou prendre de l’expansion et que cette entrée ou expansion a été empêchée ou prévenue par le fusionnement, un délai raisonnable serait celui qui est habituellement nécessaire pour franchir les dernières étapes en vue de l’entrée sur le marché ou de l’expansion à l’échelle décrite précédemment. De même, dans les situations où l’entrée sur le marché ou l’expansion n’en était qu’au stade de la planification, un délai raisonnable serait celui qui est habituellement nécessaire pour terminer la planification en question et franchir les dernières étapes en vue de l’entrée sur le marché ou de l’expansion à l’échelle décrite précédemment. Dans les situations où l’entrée sur le marché à une telle échelle ne peut se réaliser avant plusieurs années parce que, par exemple, un nouveau médicament vedette en est toujours au stade d’essai clinique, un délai raisonnable serait celui qui est habituellement nécessaire pour terminer l’essai clinique, obtenir les approbations réglementaires pertinentes ainsi que produire et vendre des quantités commerciales du médicament. Dans les situations où l’entrée sur le marché à l’échelle décrite précédemment ne peut se réaliser avant plusieurs années en raison de contrats à long terme conclus avec des clients et des fournisseurs, un délai raisonnable serait environ un an suivant l’atteinte d’un volume d’activités suffisant pour permettre l’entrée sur le marché ou l’expansion à l’échelle susmentionnée.

[383]  Dans tous les cas, le Tribunal doit être convaincu que la concurrence future dont l’empêchement par le fusionnement est allégué aurait vraisemblablement eu lieu dans un délai raisonnable. Le cas échéant, le Tribunal évaluera si l’empêchement de cette concurrence aurait vraisemblablement permis à l’entité fusionnée d’exercer une puissance commerciale beaucoup plus importante qu’en l’absence de fusionnement pour une période d’environ deux ans ou plus après ce délai.

[384]  Malgré ce qui précède, il importe de souligner que l’ampleur, la portée et l’aspect duratif du critère de la « sensibilité » sont interreliés. Ainsi, lorsque l’entité fusionnée peut vraisemblablement empêcher une baisse particulièrement marquée des prix qui se produirait vraisemblablement en l’absence de fusionnement, il se peut que le volume des ventes qui devrait faire l’objet d’une baisse des prix avant que cette baisse ne soit jugée « importante » soit inférieur à ce qu’il serait autrement. Il en va de même pour le délai au cours duquel les effets défavorables probables doivent se faire sentir : il se peut qu’il soit inférieur à la période de deux ans utilisée habituellement. De même, lorsque le volume des ventes qui devrait vraisemblablement faire l’objet d’une baisse des prix est particulièrement élevé, il se peut que i) l’ampleur de la baisse des prix nécessaire pour atteindre le seuil d’« importance » soit moindre qu’elle ne le serait autrement et que ii) le délai nécessaire pour qu’un empêchement de la concurrence soit jugé « sensible » soit inférieur à deux ans.

[385]  Lorsqu’il évalue si un fusionnement aurait vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence, le Tribunal évalue également si d’autres entreprises entreraient vraisemblablement sur le marché ou prendraient vraisemblablement de l’expansion à une échelle semblable à celle empêchée ou prévenue par le fusionnement et dans un délai similaire. Lorsque le Tribunal détermine que cette entrée sur le marché ou cette expansion se produirait vraisemblablement même si le fusionnement est effectué, il ne conclura probablement pas que le fusionnement aurait vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence.

[386]  En résumé, pour prouver qu’un fusionnement aurait vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence, la commissaire doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’en l’absence du fusionnement, l’une des parties à la fusion serait vraisemblablement entrée ou aurait vraisemblablement pris de l’expansion sur le marché pertinent dans un délai raisonnable et à une échelle suffisante pour entraîner soit une baisse importante des prix ou une hausse importante d’un ou de plusieurs niveaux de concurrence autre que par les prix, dans une partie importante du marché et pendant environ deux ans. Autrement, la commissaire doit établir un effet vraisemblable similaire sur les prix ou sur les niveaux de concurrence autre que par les prix par suite d’une future situation de concurrence autre qui se serait vraisemblablement produite en l’absence de fusionnement.

D.  LES SITUATIONS OÙ LES GAINS EN EFFICIENCE PEUVENT ÊTRE PRIS EN CONSIDÉRATION

[387]  Dans Propane 3, précité, la décision du Tribunal a été interprétée comme laissant entendre que la baisse des coûts et d’autres gains en efficience ne peuvent jamais être pris en considération avant qu’intervienne la défense fondée sur les gains en efficience prévue à l’article 96. Il semble que ce soit une mauvaise interprétation de cette décision. Cette méprise tirerait son origine du paragraphe 137 de la décision. Dans ce paragraphe, l’analyse porte principalement sur les différences entre les approches canadienne et américaine des gains en efficience et, en particulier, sur la question de savoir si, suivant l’article 96, les gains en efficience qui découleront vraisemblablement du fusionnement doivent être assez importants pour que le fusionnement n’ait aucun effet défavorable sur les prix.

[388]  Il pourrait très bien y avoir des situations où toute baisse des coûts ou tout autre gain en efficience vraisemblablement réalisé par suite d’un fusionnement intensifiera les rivalités et, par conséquent, accroîtra la concurrence de certaines façons, par exemple i) en permettant à l’entité fusionnée de mieux concurrencer ses rivaux, notamment en aidant deux petits concurrents à réaliser des économies d’échelle ou à atteindre une portée semblable à celle d’un ou de plusieurs grands concurrents, ii) en encourageant l’entité fusionnée à accroître la production et à réduire les prix, ce qui la dissuadera de coordonner ses activités avec d’autres entreprises après le fusionnement et iii) en favorisant le lancement de produits ou de procédés nouveaux ou améliorés.

[389]  Ces gains en efficience ne sont pas « comptabilisés deux fois » lorsqu’il est déterminé que le fusionnement aurait vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence et qu’une analyse comparative est effectuée dans le cadre de l’article 96. La raison est que, dans cette analyse comparative prévue à l’article 96, ces gains en efficience seraient pris en considération uniquement comme tels. Ils ne seraient pas directement ou indirectement pris en considération sous l’angle des « effets » parce qu’ils ne feraient pas partie d’un quelconque i) effet quantitatif admissible (p. ex. la perte sèche ou toute portion du transfert de richesse qui pourrait être établie comme représentant des effets socialement défavorables) ou ii) effet qualitatif admissible (p. ex. une baisse de la concurrence dynamique, du service ou de la qualité). De plus, à l’étape de l’analyse fondée sur l’article 92, ils ne seraient pas jugés comme étant une source de puissance commerciale créée, améliorée ou maintenue devant être déterminée pour conclure que le fusionnement aurait vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.

E.  LA DÉFENSE FONDÉE SUR LES GAINS EN EFFICIENCE

[390]  Le cadre d’analyse applicable à l’évaluation des gains en efficience a été exposé de manière très détaillée dans la décision de la formation. Je souhaiterais faire quelques observations supplémentaires.

a.  Le cadre conceptuel

[391]  En gros, l’article 96 prévoit la mise en balance i) du « coût » pour l’économie associé à l’ordonnance qui devrait autrement être prononcée selon le Tribunal dans le cadre de l’article 92 (ordonnance fondée sur l’article 92) et ii) du « coût » pour l’économie si l’ordonnance fondée sur l’article 92 n’est pas rendue. Le premier coût est l’ensemble des gains en efficience non réalisés qui autrement seraient vraisemblablement réalisés par suite du fusionnement. Le second coût est l’ensemble des effets de tout empêchement ou de toute diminution de la concurrence qui découlera vraisemblablement du fusionnement si l’ordonnance fondée sur l’article 92 n’est pas rendue.

[392]  Il est possible de réussir cette mise en balance fondée sur l’article 96, car cette disposition i) restreint les gains en efficience admissibles dans l’analyse comparative aux « gains [qui] ne seraient vraisemblablement pas réalisés si l’ordonnance était rendue » (par. 96(1)) et ii) restreint les effets pouvant être pris en considération dans l’analyse comparative aux « effets de l’empêchement ou de la diminution de la concurrence qui résulteront ou résulteront vraisemblablement du fusionnement réalisé ou proposé ».

[393]  En résumé, les gains en efficience éliminés en raison du libellé du paragraphe 96(1), dont il est question au paragraphe 264 de la décision de la formation en tant que cinquième étape du processus d’analyse préalable prévu par l’article 96, ne sont pas pris en considération dans l’analyse comparative parce qu’ils ne représenteraient pas un « coût » pour la société associé au prononcé de l’ordonnance fondée sur l’article 92. Ainsi, soit les gains en efficience exclus à cette étape seraient vraisemblablement réalisés par d’autres moyens de toute façon, soit ils ne seraient pas touchés par l’ordonnance fondée sur l’article 92. Ce pourrait être le cas, par exemple, parce qu’ils pourraient être réalisés dans un ou plusieurs marchés ou dans une partie des activités de l’entité fusionnée qui ne seraient pas touchés par l’ordonnance fondée sur l’article 92. C’est en ce sens que l’évaluation prévue à l’article 96 est largement tributaire de la nature de l’ordonnance fondée sur l’article 92.

[394]  Cela dit, dans la mesure où des gains en efficience dans d’autres marchés sont si intrinsèquement liés aux gains en efficience admissibles dans le marché pertinent qu’ils ne seraient vraisemblablement pas réalisés si l’ordonnance fondée sur l’article 92 était rendue, ces gains sont admissibles au titre de l’article 96 et seront inclus dans l’analyse comparative.

[395]  Pour évaluer si les gains en efficience seront vraisemblablement réalisés par d’autres moyens, le Tribunal évaluera la réalité du marché ou des marchés en question et n’exclura pas les gains en efficience de son analyse en fonction d’hypothèses selon lesquelles ces gains pourraient être réalisés par ces autres moyens.

[396]  Il importe de souligner que, selon l’article 96, le scénario hypothétique pertinent est celui où l’ordonnance fondée sur l’article 92 est rendue. Ce n’est pas nécessairement le scénario où le fusionnement n’est pas effectué.

b.  Les effets socialement défavorables

[397]  Au paragraphe 284 de la décision de la formation, il est mentionné que la commissaire n’a présenté aucune preuve sur les effets que le Tribunal a déjà qualifiés de socialement défavorables. La formation fait également remarquer que la commissaire a concédé que le fusionnement ne créerait vraisemblablement pas de tels effets. Par conséquent, l’évaluation de la formation n’a porté que sur les effets anticoncurrentiels allégués par la commissaire.

[398]  Cependant, compte tenu du fait que, dans les observations finales qu’elle a présentées de vive voix, la commissaire a demandé à la formation de clarifier la démarche analytique applicable à la défense fondée sur les gains en efficience, nous faisons les observations suivantes à l’égard du rôle éventuel des effets socialement défavorables dans l’analyse comparative prévue à l’article 96 effectuée dans de futures affaires.

[399]  Au paragraphe 205 de son argumentation finale, CCS a qualifié la méthode établie par la Cour d’appel fédérale dans Propane 2, précité, de « méthode des coefficients pondérateurs ». Monsieur Baye a utilisé cette même terminologie à la note de bas de page no 14 de son rapport en réplique, où il s’est reporté à la méthode établie dans Propane 3, précité, et Propane 4, précité. Cependant, comme le Tribunal le souligne au paragraphe 336 de Propane 3, la méthode des coefficients pondérateurs est « incomplète, utile seulement en tant qu’outil pour aider le Tribunal dans un examen de portée plus générale » au titre de l’article 96. Dans cet esprit, le Tribunal a qualifié l’examen de portée générale exigé par Propane 2 de méthode des « effets socialement défavorables ». Cependant, réflexion faite, il serait préférable de parler d’approche du « surplus pondéré ».

[400]  Comme il est mentionné aux paragraphes 281 à 283 de la décision de la formation, la méthode du surplus total demeure le point de départ de l’évaluation des effets envisagés par la défense fondée sur les gains en efficience prévue à l’article 96 de la Loi. Après que le Tribunal aura évalué la preuve à l’égard des effets anticoncurrentiels quantifiables (c’est-à-dire la perte sèche) et non quantifiables du fusionnement en question, il évaluera tout élément de preuve présenté relativement aux effets socialement défavorables. En d’autres termes, si la commissaire allègue que le fusionnement aura vraisemblablement des effets socialement défavorables, le Tribunal déterminera la façon de traiter le transfert de richesse qui sera vraisemblablement lié à tout effet défavorable du fusionnement sur les prix. Le transfert de richesse est brièvement présenté au paragraphe 282 de la décision de la formation.

[401]  Ainsi que le Tribunal le fait remarquer au paragraphe 372 de Propane 3 : « [L]a démonstration de l’existence d’effets de redistribution défavorables d’importance notable dans l’examen des fusionnements n’est pas, dans la plupart des cas, une tâche facile. » Entre autres choses, déterminer la façon de traiter le transfert de richesse nécessitera « un jugement de valeur et dépendra des caractéristiques des consommateurs et des actionnaires [touchés] » (Propane 3, précité, au par. 329). On pourra « rarement établir avec une telle certitude qui bénéficie ou pâtit des effets de redistribution et de quelle manière » (Propane 3, précité, au par. 329). En général, l’exercice « exige[ra] de multiples décisions sociales » et « [o]n ne [pourra] juger de la justice et de l’équité qu’à partir de données complètes sur les profils socioéconomiques des consommateurs et des actionnaires des producteurs, permettant d’établir si les effets de redistribution sont socialement neutres, favorables ou défavorables » (Propane 3, précité, aux par. 329 et 333).

[402]  Lorsqu’il est déterminé que le fusionnement aura vraisemblablement un effet défavorable de transfert de richesse d’un ou de plusieurs groupes à faibles revenus à des actionnaires à revenus élevés de l’entité fusionnée, il faudra prendre une décision subjective sur la façon de pondérer la ou les portions pertinentes du transfert de richesse. (Si tout le transfert de richesse a un effet socialement défavorable, il faudra donc décider de la façon de pondérer l’ensemble du transfert.) Si l’effet sur les revenus est plus important pour certains groupes d’acheteurs que pour d’autres, il faudra peut-être recourir à des pondérations différentes.

[403]  C’est à ce moment de l’évaluation que l’outil des coefficients pondérateurs peut se révéler utile. Comme le propose le professeur Peter Townley, l’un des experts de la commissaire dans Propane, précité, cet outil permet tout simplement de déterminer le poids qu’il faudrait accorder à la réduction totale du surplus du consommateur (c’est-à-dire la somme de la perte sèche, y compris celle attribuable à la puissance commerciale préexistante, et du transfert de richesse) pour qu’elle équivaille au surplus du producteur accru qui découlera vraisemblablement du fusionnement (voir l’affidavit de Peter G. C. Townley présenté dans Propane, précité (http://www.ct-tc.gc.ca/CMFiles/CT-1998-002_0115_38LES-1112005-8602.pdf, en anglais seulement)).

[404]  Par exemple, dans Propane, la réduction totale du surplus du consommateur a été évaluée à 43,5 millions de dollars, c’est-à-dire la somme du transfert de richesse estimé de 40,5 millions de dollars et de la perte sèche estimée de 3 millions de dollars. En comparaison, l’augmentation totale du surplus du producteur a été évaluée à 69,7 millions de dollars, c’est-à-dire la somme des gains en efficience acceptés par le Tribunal, soit 29,2 millions de dollars, et du transfert de richesse de 40,5 millions de dollars. Le coefficient pondérateur a donc été représenté par w dans la formule suivante : 1(69,7 $) - w(43,5 $) = 0. La résolution de l’équation donne 1,6, soit le poids qui fait se compenser exactement la perte des consommateurs et les gains des producteurs. (Voir Propane 3, précité, aux par. 102 à 104). Ainsi, pour que la perte des consommateurs surpasse les gains des producteurs, il faudrait lui attribuer un poids supérieur à 1,6, à supposer qu’un poids de 1 est attribué aux gains des producteurs.

[405]  Selon les observations utiles du professeur Townley, les membres du Tribunal se retrouveraient souvent dans la position où ils devraient déterminer subjectivement, même en ne disposant pas de suffisamment d’éléments d’information, s’il y a un motif raisonnable de croire qu’un poids supérieur au coefficient pondérateur devrait être accordé aux portions socialement défavorables du transfert de richesse. Dans la négative, même si l’information n’est pas suffisante pour permettre de calculer précisément une série complète de pondérations de répartition, il serait possible de conclure que les gains en efficience qui découleront vraisemblablement du fusionnement surpasseraient les effets défavorables sur le surplus des consommateurs. Malheureusement, les éléments d’information présentés dans Propane n’étaient pas suffisants pour permettre au Tribunal d’évaluer si le coefficient de pondération estimé de 1,6 était raisonnable compte tenu des différences socioéconomiques entre les consommateurs et les actionnaires, pris collectivement et individuellement (Propane 3, précité, au par. 338).

[406]  Lorsque l’outil des coefficients pondérateurs n’aide pas à déterminer les poids à accorder à quelque effet socialement défavorable que ce soit, il est possible de se fonder sur d’autres éléments de preuve à cet égard. Par exemple, dans Propane 3, le Tribunal s’est fondé sur le rapport Dépenses des familles au Canada, 1996 de Statistique Canada, selon lequel seulement 4,7 % des acheteurs de bouteilles de propane se trouvaient dans le quintile de revenu inférieur, mais 29,1 % se trouvaient dans le quintile de revenu supérieur. Le Tribunal a finalement déterminé que les effets de redistribution du fusionnement sur les clients du quintile de revenu inférieur seraient socialement défavorables et évalué ces effets à 2,6 millions de dollars, somme qu’il a incluse dans son analyse comparative. Bien que le Tribunal ait jugé qu’il ne pouvait d’aucune manière déterminer si la perte sèche et les effets de redistribution défavorables devaient se voir attribuer des coefficients égaux, il a finalement conclu que même si les effets de redistribution défavorables de 2,6 millions de dollars se voyaient attribuer un coefficient deux fois plus élevé que la perte sèche de 3 millions de dollars et que les effets qualitatifs défavorables de 3 millions de dollars attribuables au fusionnement, l’effet défavorable combiné sur le surplus du consommateur ne dépasserait pas 11,2 millions de dollars (Propane 3, précité, au par. 371). Comme cette estimation demeurait de loin inférieure aux 29,2 millions de dollars de gains en efficience reconnus, le Tribunal a conclu que les parties défenderesses s’étaient acquittées du fardeau de preuve que leur imposait l’article 96. Cette conclusion a été confirmée en appel.

c.  Les effets non quantifiables ou qualitatifs

[407]  L’évaluation de la formation des effets non quantifiables pris en considération dans l’analyse comparative effectuée en l’espèce dans le cadre de l’article 96 est énoncée aux paragraphes 305 à 307 de ses motifs.

[408]  Je souhaiterais simplement ajouter que lorsque la preuve n’est pas suffisante pour permettre de quantifier, même grossièrement, des effets qui seraient normalement quantifiables, il demeurera loisible au Tribunal d’attribuer un poids qualitatif à ces effets. Par exemple, en l’espèce, il lui aurait été loisible d’attribuer un poids qualitatif aux effets anticoncurrentiels du fusionnement qui devraient se produire à l’extérieur de la région contestable, étant donné que la preuve a établi qu’ils se produiront vraisemblablement, sans toutefois pouvoir être calculés en raison des lacunes de la preuve. En fin de compte, le Tribunal n’a pas eu besoin d’attribuer à ces effets quelque poids que ce soit.

[409]  De même, si la formation n’avait pas accepté la preuve de la commissaire au sujet de l’ampleur quantitative de la perte sèche de sorte qu’il n’y aurait donc eu aucune preuve sur cette question précise, elle aurait pu attribuer un poids qualitatif au fait qu’il y aurait eu une certaine perte sèche associée aux effets défavorables sur les prix qui, à son avis, découleraient vraisemblablement du fusionnement. Il en va de même dans les autres affaires où il n’est pas possible de quantifier de façon fiable la perte sèche vraisemblable, même grossièrement, ou lorsque la commissaire ne produit pas de preuve fiable sur l’ampleur de la perte sèche vraisemblable, au moment opportun.


Fait à Ottawa, ce 29e jour de mai 2012.

 

(s) Paul Crampton, juge en chef

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COMPARUTIONS :

Pour la demanderesse :

La commissaire de la concurrence

Nikiforos Iatrou

Jonathan Hood

Pour les défendeurs :

CCS Corporation, Complete Environmental Inc. et Babkirk Land Services Inc.

Linda Plumpton

Crawford Smith

Dany Assaf

Justin Necpal

Karen Louise Baker, Ronald John Baker, Kenneth Scott Watson, Randy John Wolsey et Thomas Craig Wolsey

J. Kevin Wright

Morgan Burris

Brent Meckling

 

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