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Tribunal de la concurrence Competition Tribunal TRADUCTION OFFICIELLE Référence : Nadeau Ferme Avicole Limitée c. Groupe Westco Inc., 2012 Trib. conc. 13 N o de dossier : CT-2008-004 N o de document du greffe : 745 DANS L’AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34, et ses modifications; ET DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par Nadeau Ferme Avicole Limitée/Nadeau Poultry Farm Limited en vue d’obtenir une ordonnance fondée sur l’article 75 de la Loi sur la concurrence;

ET DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par Nadeau Ferme Avicole Limitée/Nadeau Poultry Farm Limited en vue d’obtenir une ordonnance provisoire fondée sur l’article 104 de la Loi sur la concurrence;

ENTRE : Nadeau Ferme Avicole Limitée/ Nadeau Poultry Farm Limited (demanderesse)

et Groupe Westco Inc. (défenderesse)

Date de l’audience : 20111129 Juge président : M. le juge Blanchard Date des motifs et de l’ordonnance : 18 mai 2012 Motifs et ordonnance signés par : M. le juge E. P. Blanchard

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE CONCERNANT LA DEMANDE DE WESTCO VISANT L’EXÉCUTION D’UN ENGAGEMENT RELATIF AUX DOMMAGES-INTÉRÊTS

[1] Nadeau Ferme Avicole Limitée Nadeau ») a fourni un engagement de verser des dommages-intérêts (l’« engagement ») lorsqu’elle a obtenu une injonction mandatoire préalable. Toutefois, la demande principale de Nadeau (la « demande principale ») fondée sur l’article 75 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34 (la « Loi ») a été rejetée et la défenderesse, Groupe Westco Inc. Westco »), souhaite maintenant faire exécuter l’engagement.

I. LE CONTEXTE [2] Dans une demande datée du 17 mars 2008, Nadeau sollicitait des mesures provisoires suivant l’article 104 de la Loi. Nadeau demandait une ordonnance enjoignant aux défenderesses, dont Westco, de continuer à l’approvisionner en poulets vivants.

[3] À l’appui de sa demande, Nadeau a déposé l’affidavit d’Anthony Tavares, l’ancien chef de la direction de Maple Lodge Holding Corporation, la société mère de Nadeau. Dans son affidavit, M. Tavares a fourni l’engagement suivant :

[TRADUCTION] Nadeau s’engage à se conformer à toute ordonnance que le Tribunal pourrait rendre contre elle par suite de l’octroi des mesures provisoires qu’elle demande.

[4] M. Tavares a renvoyé comme suit à l’engagement dans un affidavit supplémentaire déposé le 9 juin 2008 :

[TRADUCTION] Le préjudice pécuniaire éventuel que les défenderesses subiraient, un tel préjudice n’étant pas admis mais nié, pourrait donner lieu à indemnisation si la présente demande est finalement rejetée. Nadeau s’est engagée à se conformer à toute ordonnance qui peut être rendue contre elle par suite de l’octroi des mesures provisoires qu’elle demande.

[5] Le 26 juin 2008, le Tribunal a accueilli la demande de mesures provisoires de Nadeau et ordonné aux défenderesses de continuer à approvisionner celle-ci en poulets vivants aux conditions de commerce normales (l’« ordonnance provisoire »). L’ordonnance prévoyait que l’exigence d’approvisionnement demeurerait en vigueur jusqu’à ce que soit rendue la décision finale sur la demande principale. Dans son ordonnance provisoire, le Tribunal a noté que Nadeau a fourni l’engagement. Même si elle n’utilise pas le terme « dommages-intérêts », Nadeau a reconnu que l’engagement porte sur le versement de dommages-intérêts.

[6] La demande principale de Nadeau a été rejetée le 8 juin 2009. Le 4 septembre 2009, Nadeau a déposé un avis d’appel devant la Cour d’appel fédérale.

[7] Le 22 janvier 2010, le Tribunal a déclaré Westco coupable d’outrage au tribunal parce qu’elle n’avait pas respecté l’ordonnance provisoire (la « décision relative à l’outrage »). Le Tribunal a conclu que Westco a violé l’ordonnance provisoire en fournissant à Nadeau des poulets plus gros et donc un nombre de poulets inférieur que celui prescrit par l’ordonnance provisoire. Dans le cadre d’une ordonnance relative à la détermination de la peine rendue

le 24 septembre 2010, Westco a été condamnée à payer une amende de 75 000 $ et de verser à Nadeau la somme de 250 000 $, à titre de dépens. Westco a interjeté appel des deux ordonnances.

[8] Le 18 mars 2011, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel de la décision relative à l’outrage et Westco s’est désistée de l’appel de l’ordonnance relative à la détermination de la peine.

[9] Le 2 juin 2011, la Cour d’appel fédérale a également rejeté l’appel de Nadeau contre la décision par laquelle le Tribunal rejetait la demande principale. Le jour suivant, Westco a déposé une lettre auprès du Tribunal pour demander des directives sur la façon de faire exécuter l’engagement. Dans sa lettre de réponse, Nadeau a fait valoir que Westco ne pouvait pas faire exécuter l’engagement avant qu’il ne soit d’abord établi que le Tribunal avait compétence à cet égard.

[10] Le 5 août 2011, le Tribunal a demandé à Westco de déposer la présente requête visant à examiner les deux questions suivantes :

1. Le Tribunal a-t-il compétence pour faire exécuter un engagement relatif aux dommages-intérêts? 2. Le cas échéant, le Tribunal doit-il autoriser Westco à présenter une demande visant à faire exécuter l’engagement relatif aux dommages-intérêts?

[11] Westco et Nadeau ont déposé des documents portant sur les deux questions susmentionnées.

[12] En ce qui concerne la demande principale, Nadeau a déposé, le 25 août 2011, une demande d’autorisation pour porter en appel devant la Cour suprême du Canada la décision de la Cour d’appel fédérale du 2 juin 2011. Le 22 décembre 2011, la Cour suprême du Canada a cependant refusé d’accorder l’autorisation d’appel. Le Tribunal a entendu la requête de Westco le 29 novembre 2011.

[13] Je me propose d’examiner à tour de rôle les deux questions formulées dans la directive que le Tribunal a donnée le 5 août 2011. Je résumerai d’abord les thèses des parties.

II. ANALYSE Question 1 : Le Tribunal a-t-il compétence pour faire exécuter un engagement relatif aux dommages-intérêts?

A. Les arguments des parties [14] Westco soutient que le Tribunal jouit du pouvoir nécessaire pour faire exécuter un engagement. Selon elle, il serait incongru que le Tribunal ait compétence pour examiner un engagement en application de l’article 104 de la Loi, mais non pour le faire exécuter.

[15] Westco invoque en particulier l’article 8 de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C., 1985, ch. 19 (2 e suppl.) (la « Loi sur le Tribunal »), lequel confère au Tribunal le pouvoir d’entendre une demande de mesures provisoires de même que « toute question s’y rattachant » et qui prévoit également que le Tribunal a, pour « l’exécution de ses ordonnances et toutes autres questions relevant de sa compétence, les attributions d’une cour supérieure d’archives ». En l’espèce, Westco soutient que son droit de demander au Tribunal d’ordonner l’exécution de l’engagement constitue une question « relevant de la compétence » de celui-ci parce qu’elle découle directement de la délivrance et de l’exécution de l’ordonnance provisoire et de la décision finale sur le fond. Westco ajoute que l’exécution de l’engagement constitue une question se rattachant à la demande de mesures provisoires.

[16] Westco soutient en outre que la partie qui souhaite faire exécuter un engagement doit présenter une demande à la cour devant laquelle l’engagement a été pris. Westco ajoute que le Tribunal est le mieux placé pour faire exécuter l’engagement parce qu’il a connaissance du litige et qu’il a rendu toutes les ordonnances pertinentes pour la requête en exécution de l’engagement.

[17] Par contre, Nadeau soutient que le Tribunal ne jouit ni d’un pouvoir explicite ni d’un pouvoir implicite pour faire exécuter l’engagement. À son avis, l’absence du pouvoir explicite découle du fait que la Loi sur le Tribunal ne confère pas expressément à celui-ci le pouvoir de faire exécuter un engagement relatif aux dommages-intérêts.

[18] Nadeau ajoute qu’il est impossible de déduire l’existence de ce pouvoir parce que la doctrine de la compétence par déduction nécessaire ne s’applique pas en l’espèce. Elle souligne à cet égard que le pouvoir de faire exécuter un engagement, qu’elle décrit comme le [TRADUCTION] « pouvoir d’accorder des dommages-intérêts », ne vise pas nécessairement l’administration du régime législatif et n’a pas de lien rationnel avec l’objet du cadre législatif et réglementaire, à savoir la protection de la concurrence sur le marché. Nadeau estime que la demande de Westco équivaut à une demande de dommages-intérêts et qu’il ressort clairement des dispositions législatives que le Tribunal n’a pas le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts.

[19] Lors de l’audition de la requête, les avocats de Nadeau ont fait valoir que le Tribunal n’a pas compétence pour faire exécuter l’engagement, alors que la Cour fédérale ou une cour supérieure pourraient avoir compétence à cet égard, mais ils n’ont pas élaboré davantage sur cet argument.

[20] Le 13 décembre 2011, après l’audition de la requête, les avocats de Nadeau ont informé par écrit le Tribunal qu’ils avaient appris le 6 décembre que Westco avait intenté au Nouveau-Brunswick, en juin 2011, une action en dommages-intérêts relativement à l’engagement (l’« action intentée au Nouveau-Brunswick »). Dans leur lettre, les avocats ont indiqué qu’ils portaient cette information à l’attention du Tribunal en raison de la question, soulevée à l’audience, de savoir si un forum autre que le Tribunal pouvait être saisi de la demande de dommages-intérêts présentée par Westco.

[21] Westco a répondu dans une lettre déposée le 14 décembre 2011 que l’action intentée au Nouveau-Brunswick par mesure de précaution visait à protéger ses droits et qu’elle estimait toujours que le Tribunal de la concurrence était le mieux placé pour faire exécuter l’engagement.

Westco notait à cet égard qu’au paragraphe 24 de la déclaration modifiée déposée le 6 décembre 2011 dans l’action intentée au Nouveau-Brunswick, il était énoncé que la demande en question visait à préserver son droit de réclamer à Nadeau une indemnité fondée sur l’engagement.

B. Analyse [22] Les tribunaux administratifs sont créés par la loi et leur compétence a deux sources : (i) l’octroi exprès par une loi (pouvoir explicite) et (ii) la common law, suivant la doctrine de la compétence par déduction nécessaire (pouvoir implicite) (voir par ex., ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, au par. 38).

[23] En l’espèce, les dispositions législatives pertinentes sont énoncées dans la Loi et la Loi sur le Tribunal. Elles sont ainsi rédigées :

Loi sur la concurrence 104. (1) Lorsqu’une demande d’ordonnance a été faite en application de la présente partie, for an order under this Part, other than an sauf en ce qui concerne les ordonnances provisoires en vertu des articles 100 ou 103.3, le Tribunal peut, à la demande du commissaire ou d’une personne qui a présenté une demande en vertu des articles 75 ou 77, rendre toute ordonnance provisoire qu’il considère justifiée conformément aux principes normalement pris en considération par les cours supérieures en matières interlocutoires et d’injonction.

[…] Loi sur le Tribunal de la concurrence 8. (1) Les demandes prévues aux parties VII.1 ou VIII de la Loi sur la concurrence, de même que toute question s’y rattachant ou toute question qui relève de la partie IX de cette loi et qui fait l’objet d’un renvoi en vertu du paragraphe 124.2(2) de cette loi, sont présentées au Tribunal pour audition et décision.

(2) Le Tribunal a, pour la comparution, la

Competition Act 104. (1) Where an application has been made interim order under section 100 or 103.3, the Tribunal, on application by the Commissioner or a person who has made an application under section 75 or 77, may issue such interim order as it considers appropriate, having regard to the principles ordinarily considered by superior courts when granting interlocutory or injunctive relief.

Competition Tribunal Act 8. (1) The Tribunal has jurisdiction to hear and dispose of all applications made under Part VII.1 or VIII of the Competition Act and any related matters, as well as any matter under Part IX of that Act that is the subject of a reference under subsection 124.2(2) of that Act.

(2) The Tribunal has, with respect to the

prestation de serment et l’interrogatoire des témoins, ainsi que pour la production et l’examen des pièces, l’exécution de ses ordonnances et toutes autres questions relevant de sa compétence, les attributions d’une cour supérieure d’archives.

(3) Personne ne peut être puni pour outrage au Tribunal à moins qu’un juge ne soit d’avis que la conclusion qu’il y a eu outrage et la peine sont justifiées dans les circonstances.

[Non souligné dans l’original.] [emphasis added] [24] Le Tribunal entend une demande de mesures provisoires en application de l’article 104 conformément aux principes normalement pris en considération par les cours supérieures en matières interlocutoires et d’injonction. Dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Superior Propane (1998), 85 C.P.R. (3e) 194, le juge Rothstein, maintenant juge à la Cour suprême du Canada, a conclu par conséquent que le Tribunal devrait appliquer les principes établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311 (voir également B-Filer Inc. c. La Banque de Nouvelle-Écosse, 2005 Trib. conc. 52). Le Tribunal doit être convaincu qu’il existe une question sérieuse à trancher, que le demandeur subira un préjudice irréparable si la demande de mesures provisoires n’est pas accueillie et que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du demandeur.

[25] L’engagement relatif aux dommages-intérêts a été décrit comme [TRADUCTION] « le prix à payer pour une injonction interlocutoire » (voir Delap c. Robinson et al. (1898), 18 O.P.R. 231, à la page 231). L’exigence de fournir des engagements relatifs aux dommages-intérêts est apparue en Angleterre, au 19 e siècle, et, bien qu’elle ait initialement concerné les requêtes ex parte en injonction, cette pratique a été étendue aux affaires en matière d’injonctions interlocutoires (voir, par ex., Smith c. Day (1882), 21 Ch. D. 421 (C.A.), à la page 424).

[26] Cette exigence a été transposée au Canada (voir, par ex., Delap c. Robinson et al. (1898), 18 O.P.R. 231), et demeure toujours en vigueur. Dans Injunctions and Specific Performance, le juge Sharpe de la Cour d’appel de l’Ontario explique cette exigence comme suit (voir Injunctions and Specific Performance, (Aurora : Canada Law Book, 2010), à la page 2-44) :

[TRADUCTION] L’obligation du demandeur de prendre un engagement relatif aux dommages-intérêts est concomitante à la question de préjudice irréparable. Il est bien établi que, pour obtenir une injonction interlocutoire, le demandeur est tenu de s’engager à s’acquitter envers le défendeur des dommages-intérêts subis par ce dernier en raison de l’injonction, au cas le demandeur perdrait au fond.

[Non souligné dans l’original.]

attendance, swearing and examination of witnesses, the production and inspection of documents, the enforcement of its orders and other matters necessary or proper for the due exercise of its jurisdiction, all such powers, rights and privileges as are vested in superior court of record.

(3) No person shall be punished for contempt of the Tribunal unless a judicial member is of the opinion that the finding of contempt and the punishment are appropriate in the circumstances.

[27] Il décrit ainsi l’objet de l’engagement relatif aux dommages-intérêts la page 2-44): [TRADUCTION] Une telle obligation vise à protéger le défendeur du risque qu’on accorde une réparation avant de statuer sur les droits substantiels des parties. Si le défendeur a gain de cause au fond, l’injonction interlocutoire l’aura empêché d’agir conformément à ses droits. L’engagement relatif aux dommages-intérêts a pour effet de faire passer le risque, en tout ou en partie, à la partie qui sollicite la réparation préalable, soit le demandeur.

[28] Les cours supérieures ont appliqué l’objet de l’engagement susmentionné lorsqu’elles se sont prononcées sur la question du préjudice irréparable, selon le critère à trois volets établi par la Cour suprême du Canada dans RJR-MacDonald. L’engagement relatif aux dommages-intérêts est requis par les cours supérieures et de nombreuses provinces ont codifié cette exigence de common law (voir, par ex., l’article 373 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106).

[29] Il est donc loisible au Tribunal de tenir compte d’un engagement relatif aux dommages-intérêts fourni à l’appui d’une demande de mesures provisoires en application de l’article 104 de la Loi. En l’espèce, le Tribunal a noté que Nadeau a pris un engagement dans le cadre de sa demande de mesures provisoires avant la délivrance de l’ordonnance provisoire.

[30] L’engagement relatif aux dommages-intérêts est fourni à la cour et non à une partie. Par conséquent, les procédures visant à faire exécuter l’engagement sont en général engagées auprès de la cour devant laquelle a été pris l’engagement. Cette pratique a été expliquée comme suit par lord Farwell dans Re Hailstone (1910), 102 L.T. 877 la page 880) :

[TRADUCTION] L’engagement a été pris devant la Probate Division et constitue un engagement donné à la cour. Il ne s’agit pas d’un contrat conclu entre les parties permettant à l’une ou l’autre partie d’intenter une poursuite. Il s’agit d’un engagement donné à la cour, un engagement que seule la cour doit faire exécuter. Je ne connais aucun forum dans le cadre de la Division de la chancellerie ou de la Division du Banc du Roi ayant compétence pour faire exécuter, au nom du président de la Probate Division, un engagement donné à ce juge.

[31] Dans l’article « Current Practice and Procedure on an Application for a Pre-Trial Injunction », le juge Robert A. Blair écrit que la requête visant à faire exécuter un engagement relatif aux dommages-intérêts devrait être présentée au juge du procès (voir The Law of Injunctions (Toronto : Canadian Bar Association-Ontario, 1982) 1, à la page 17) :

[TRADUCTION] La demande [visant l’exécution d’un engagement] devrait être présentée à la conclusion du procès ou à l’annulation de l’injonction (si cette dernière est survenue avant le procès, la demande devrait être reportée à la fin du procès). Si la demande n’est pas présentée lors du procès, elle devrait être adressée au juge qui a instruit l’affaire en première instance, puisqu’elle relève de son pouvoir discrétionnaire […].

[Non souligné dans l’original.]

[32] L’engagement a été donné au Tribunal. L’action intentée au Nouveau-Brunswick n’aura aucune incidence sur la décision du Tribunal quant à sa compétence.

[33] Westco soutient que, selon le cadre législatif applicable, le Tribunal a compétence pour ordonner l’exécution de l’engagement relatif aux dommages-intérêts. Je suis du même avis.

[34] L’article 8 de sa loi habilitante autorise le Tribunal à connaître des demandes de mesures provisoires présentées en application de l’article 104 de la Loi de même que « toute question s’y rattachant ». Dans Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394, la Cour suprême du Canada était appelée à déterminer si le Tribunal avait le pouvoir de punir un outrage ex facie curiae, pouvoir normalement réservé aux cours supérieures. Selon le libellé de cette disposition alors en vigueur, « [l]e Tribunal entend les demandes qui lui sont présentées en application de la partie VIII de la Loi sur la concurrence de même que toute question s’y rattachant ».

[35] S’exprimant au nom de la majorité, le juge Gonthier a conclu que l’expression « toute question s’y rattachant » ne codifiait pas la common law en matière de pouvoirs implicites. Il a statué que cette expression attribuait au Tribunal compétence sur les questions qui survenaient en dehors de l’audition et la décision d’une demande (aux pages 410-411) :

L’intimée soutient que l’expression « toute question s’y rattachant » ajoute en somme à la compétence du Tribunal diverses questions accessoires rattachées à l’audition même d’une demande. À mon avis, une telle interprétation ne donnerait pas son plein sens au par. 8(1) de la LTC. Selon un principe bien établi en common law et codifié dans une certaine mesure à l’art. 31 de la Loi de l’interprétation, L.R.C., 1985, ch. I-21, [TRADUCTION] « [l]es pouvoirs que confère une loi habilitante comprennent non seulement ceux qui sont expressément accordés mais également, par déduction, tous les pouvoirs qui sont raisonnablement nécessaires à la réalisation de l’objectif visé » (Halsbury’s Laws of England, vol. 44, 4 e éd., par. 934, p. 586; voir également P.-A. Côté, op cit., à la page 84). Ce principe a été appliqué récemment dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions) c. Newfoundland Telephone Co., 1987 CanLII 34 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 466, et dans une série d’arrêts de la Cour d’appel fédérale à compter de Interprovincial Pipe Line Ltd. c. Office national de l’énergie, [1978] 1 C.F. 601 (C.A.). Vu que le Tribunal est compétent pour entendre les demandes fondées sur la partie VIII, la common law lui aurait conféré compétence à l’égard des questions accessoires et subsidiaires qui sont soulevées au cours de l’audition. Il ne serait pas nécessaire d’ajouter l’expression « toute question s’y rattachant ». Puisqu’il faut donner un sens à cette expression, elle devrait être interprétée comme attribuant compétence sur les questions qui se rapportent aux demandes fondées sur la partie VIII, mais qui surviennent en dehors de l’audition de ces demandes. Ces questions peuvent comprendre, par exemple, l’exécution des ordonnances fondées sur la partie VIII.

[Non souligné dans l’original.]

[36] Compte tenu des principes susmentionnés, j’estime que l’exécution d’un engagement, soit une question qui survient en dehors de l’audition et de la décision concernant une demande de mesures provisoires, constitue une question s’y rattachant. Par conséquent, le Tribunal a compétence pour faire exécuter un engagement qui lui est fourni dans le cadre d’une demande de mesures provisoires présentée en application de l’article 104 de la Loi.

[37] Or, Nadeau soutient que la compétence permettant de faire exécuter un engagement relatif aux dommages-intérêts ne saurait être implicite parce que le pouvoir de faire exécuter un engagement, qu’elle décrit comme le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts, n’est pas rationnellement lié à l’objet du cadre législatif applicable et n’est pas nécessaire à l’accomplissement de son mandat sous le régime de la Loi. À l’appui de son argument, Nadeau invoque l’arrêt ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140. S’exprimant au nom de la majorité, le juge Bastarache a examiné, aux paragraphes 73 et 74, la doctrine de la compétence par déduction nécessaire. Voici ses propos :

73. La ville semble tenir pour acquis que la doctrine de la compétence par déduction nécessaire s’applique autant aux pouvoirs « définis largement » qu’à ceux qui sont « bien circonscrits ». Ce ne saurait être le cas. Dans sa décision Re Consumers’ Gas Co., E.B.R.O. 410-II/411-II/412-II, 23 mars 1987, au par. 4.73, la Commission de l’énergie de l’Ontario a énuméré les situations dans lesquelles s’applique la doctrine de la compétence par déduction nécessaire :

[TRADUCTION] * la compétence alléguée est nécessaire à la réalisation des objectifs du régime législatif et essentielle à l’exécution du mandat de la Commission;

* la loi habilitante ne confère pas expressément le pouvoir de réaliser l’objectif législatif;

* le mandat de la Commission est suffisamment large pour donner à penser que l’intention du législateur était de lui conférer une compétence tacite;

* la Commission n’a pas à exercer la compétence alléguée en s’appuyant sur des pouvoirs expressément conférés, démontrant ainsi l’absence de nécessité;

* le législateur n’a pas envisagé la question et ne s’est pas prononcé contre l’octroi du pouvoir à la Commission.

74 Il est donc clair que la doctrine de la compétence par déduction nécessaire sera moins utile dans le cas de pouvoirs largement définis que dans celui de pouvoirs bien circonscrits. Les premiers seront nécessairement interprétés de manière à ne s’appliquer qu’à ce qui est rationnellement lié à l’objet de la réglementation.

[38] Je ne souscris pas à l’argument de Nadeau. En l’espèce, la Loi prévoit expressément que, dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 75, le Tribunal peut ordonner les mesures provisoires qu’il considère justifiées. Le caractère adéquat des mesures réparatoires relève du pouvoir discrétionnaire du Tribunal et dépend des circonstances particulières de chaque affaire. En l’espèce, l’article 104 autorise le Tribunal à ordonner des mesures provisoires lorsqu’il est nécessaire de maintenir le statu quo jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur les allégations de comportement anti-concurrentiel. Il est donc évident que l’ordonnance provisoire en cause découle du mandat du Tribunal sous le régime de la Loi.

[39] Il ne s’agit pas en l’espèce de savoir si le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts est « rationnellement lié » à l’objet de la réglementation, mais plutôt de savoir si le pouvoir de faire exécuter un engagement donné au Tribunal s’y rattache. À mon avis, le pouvoir de faire exécuter un engagement et le pouvoir de rendre une ordonnance de mesures provisoires sont indissociables. Je fais mienne la décision Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Novopharm Ltd. (1999), 181 F.T.R. 6 (C.F.), au par. 11, conf. par 2001 CAF 251, la Cour fédérale a conclu que l’exécution d’engagements relatifs aux dommages-intérêts « fait partie intégrante de la délivrance d’injonctions interlocutoires par la Cour ». Dans Re : Hailstone, lord Farwell a dit également que [TRADUCTION] « [l]e pouvoir de faire exécuter un engagement est accessoire au pouvoir d’accorder une injonction » la page 880).

[40] Je souscris au raisonnement qui précède et conclus que le pouvoir du Tribunal d’ordonner l’exécution d’un engagement est nécessairement accessoire au pouvoir d’accorder une injonction.

[41] Contrairement aux arguments formulés par Nadeau, j’estime également que la compétence du Tribunal quant à l’exécution d’un engagement relatif aux dommages-intérêts n’équivaut pas à une compétence générale en matière de dommages-intérêts. Dans son ouvrage The Principles of Equitable Remedies, I.C.F. Spry explique comme suit la différence entre l’engagement relatif aux dommages-intérêts et une demande de dommages-intérêts (voir 8 e éd. (Pyrmont, N.S.W. : Lawbook Co., 2010), aux pages 654 et 655):

[TRADUCTION] Il est évident que le prononcé d’une ordonnance interlocutoire ne peut en soi porter atteinte aux droits du défendeur et que l’observation ou l’exécution d’une injonction interlocutoire ne peut être jugée illégale, peu importe si la décision de la cour relativement à la demande interlocutoire aurait été la même eût-elle été pleinement informée et peu importe l’issue de l’affaire après la dernière audience. Par conséquent, l’utilisation du mot « dommages-intérêts » serait inadéquate s’il voulait laisser entendre l’existence d’une atteinte aux droits fondés sur l’equity ou issus de la loi. Il convient plutôt de dire que la référence à une ordonnance relative aux dommages-intérêts, dans le cadre d’un engagement de cette nature, ne vise qu’à garantir l’obligation du demandeur de se conformer à toute ordonnance subséquente lui enjoignant de verser au défendeur une indemnisation pour tout préjudice ou perte subie.

[42] Pour tous ces motifs, je conclus que le pouvoir de faire exécuter un engagement est nécessaire à l’accomplissement des objectifs de la Loi et qu’il est essentiel au mandat du

Tribunal. Autrement dit, le Tribunal a compétence pour faire exécuter un engagement relatif aux dommages-intérêts.

Question 2 : Le Tribunal doit-il autoriser Westco à présenter une demande visant à faire exécuter l’engagement relatif aux dommages-intérêts?

A. Les arguments des parties [43] Nadeau fait valoir que le Tribunal devrait refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de Westco et refuser l’autorisation de faire exécuter l’engagement. Nadeau invoque les arguments suivants à l’appui de sa thèse. Premièrement, Nadeau soutient que Westco ne devrait pas avoir le droit de demander l’exécution de l’engagement parce qu’elle [TRADUCTION] « ne s’est pas conformée à l’ordonnance pour outrage au tribunal ».

[44] Deuxièmement, Nadeau allègue que Westco ne se présente pas devant le Tribunal sans avoir rien à se reprocher. Elle dit que le défaut de Westco de se conformer à l’ordonnance provisoire s’explique par la perspective d’un avantage financier et par la mauvaise foi. Selon Nadeau, Westco n’a pas fait preuve de [TRADUCTION] « de sincérité et de bonne foi envers le Tribunal » lorsqu’elle a contesté sa demande de mesures provisoires. Elle énumère divers exemples d’éléments de preuve présentés par Westco qui [TRADUCTION] « étaient, au mieux, trompeurs et, au pire, entièrement faux ».

[45] Westco a déposé, dans le cadre de sa réponse à la demande de mesures provisoires de Nadeau, l’affidavit de Thomas Soucy, directeur général de Westco, souscrit le 29 mai 2008. Selon Nadeau, M. Soucy déclarait que si le Tribunal devait accueillir la demande, Westco serait en défaut de respecter son obligation contractuelle d’approvisionner Olymel en poulets vivants à partir du 20 juillet 2008, alors que la preuve présentée plus tard, dans le cadre de l’instance, avait montré qu’il n’y avait pas de contrat obligatoire au moment M. Soucy avait signé son affidavit.

[46] M. Soucy a également indiqué dans son affidavit que les profits de Westco tirés de la vente de sa production de poulets vivants à Olymel, en vertu de l’entente de partenariat, dépasseraient ceux provenant des relations d’affaires avec Nadeau. Il a également déclaré qu’Olymel remettrait à Westco un pourcentage des profits générés par la transformation des poulets vivants. Nadeau soutient que M. Soucy a témoigné à une étape ultérieure de l’instance que les profits prévus ne se sont pas concrétisés et que Westco n’a réalisé aucun profit de la vente de ses poulets parce qu’elle n’a pas respecté une condition préalable de la convention de partage de profit conclue avec Olymel.

[47] Enfin, Nadeau fait valoir qu’il existe des circonstances spéciales faisant en sorte que le Tribunal devrait rejeter la demande de Westco portant sur l’exécution de l’engagement. Elle invoque à cet égard les arguments susmentionnés et, plus particulièrement, le fait que Westco a été déclaré coupable d’outrage au tribunal relativement à l’ordonnance provisoire.

[48] Westco soutient que Nadeau n’a pas établi l’existence de circonstances spéciales et qu’en conséquence elle devrait être autorisée à poursuivre sa demande relative à l’exécution de

l’engagement. Selon Westco, dans le contexte particulier de la présente affaire, il serait injuste de l’empêcher de demander l’exécution de l’engagement en raison de l’ordonnance pour outrage au tribunal. Westco dit que le Tribunal devrait tenir compte des facteurs suivants. Elle a déjà été punie pour outrage au tribunal et Nadeau a déposé à la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick une requête visant à obtenir des dommages-intérêts pour les pertes qu’elle aurait subies à la suite de son défaut de se conformer à l’ordonnance provisoire. Westco ajoute qu’elle a fourni un nombre important de poulets plus gros à Nadeau et que, pendant environ trois mois de la période provisoire, elle s’est conformée à l’ordonnance provisoire.

[49] Westco fait également valoir qu’il y a lieu d’établir une distinction entre les faits de la présente affaire et ceux de Gu c. Tai Foong International Ltd. (2003), 168 O.A.C. 47 (C.A. Ont.), autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canada refusée, 29684 (4 avril 2003), invoquée par Nadeau. De l’avis de Westco, sa conduite n’a pas vidé de sens l’ordonnance provisoire ni empêché l’accomplissement de ses objectifs les plus importants.

B. Analyse [50] L’audience relative à l’exécution d’un engagement relatif aux dommages-intérêts est habituellement décrite comme « enquête sur les dommages-intérêts ». En général, si le demandeur est débouté à la suite du procès ou l’injonction interlocutoire est annulée, le défendeur peut présenter une requête en dommages-intérêts. Le juge Sharpe a écrit que « [l]a marche à suivre consiste pour le défendeur à demander au juge de première instance une ordonnance prescrivant une enquête sur les dommages-intérêts que le défendeur a subis » (voir Sharpe, à la page 2-48).

[51] Il existe une forte présomption en faveur de la tenue d’une enquête permettant d’établir les dommages-intérêts que la partie visée par l’injonction a subis, et le pouvoir discrétionnaire permettant de dispenser une partie de son engagement a une portée étroite (voir Gu c. Tai Foong International Ltd. (2003), 168 O.A.C. 47 (C.A. Ont.), au par. 70, autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada refusée, 29684 (4 avril 2003). Les parties conviennent que, lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire à cet égard, le Tribunal doit appliquer les principes d’equity (voir City of Toronto c. Polai, [1970] 1 O.R. 483 (C.A. Ont.)).

[52] Dans l’arrêt Vieweger Construction Co. c. Rush & Tompkins Construction Ltd., [1965] S.C.R. 195, la Cour suprême devait examiner les circonstances permettant d’ordonner la tenue d’une enquête sur les dommages-intérêts. À l’époque, certaines cours de justice estimaient qu’une telle enquête pouvait être ordonnée si le demandeur avait obtenu l’injonction de façon irrégulière, par dissimulation de faits ou fausse déclaration. D’autres cours de justice estimaient qu’il y avait lieu d’accueillir la demande pour la tenue d’une enquête sur les dommages-intérêts, à moins qu’il n’existe des circonstances exceptionnelles. La Cour suprême du Canada a souscrit à cette opinion dans l’arrêt Vieweger. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Spence dit ce qui suit (aux pages 206 à 208) :

[TRADUCTION] J’examinerai maintenant l’action en dommages-intérêts de la société appelante qui découle de l’injonction provisoire accordée le 13 octobre 1959 et qui fait

suite à la requête en annulation. Lorsqu’il a rejeté l’action en dommages-intérêts de la société appelante, le juge de première instance a adopté le principe énoncé comme suit par le juge Hyndman dans McBratney et al. c. Sexsmith [1924] 2 W.W.R. 455.], à la page 459 :

Il est bien établi en droit que l’annulation d’une injonction interlocutoire avant ou après le procès ne signifie pas que le défendeur qui a gain de cause a, par conséquent ou en tout état de cause, droit aux dommages-intérêts. Le critère consiste à savoir si le demandeur a obtenu l’injonction de façon irrégulière, par dissimulation de faits, fausse déclaration ou en agissant de mauvaise foi.

Il semble que le critère approprié a été énoncé par la Cour d’appel dans Griffith c. Blake [(1884), 27 Ch. D. 474.]. Dans cette affaire, la Cour d’appel s’intéressait à la remarque incidente du feu maître des rôles dans Smith c. Day [(1882), 21 Ch. D. 421.], selon laquelle l’engagement relatif aux dommages-intérêts ne s’applique que si le demandeur a obtenu l’injonction en agissant de façon irrégulière. Les membres de la Cour n’avaient pas souscrit à cette remarque. Lord Baggallay a dit ce qui suit, à la page 476 :

Si les défendeurs ont gain de cause, il m’apparaît qu’ils peuvent obtenir, suivant l’engagement, une indemnisation pour tout préjudice subi à la suite de l’injonction.

Lord Cotton a ajouté ce qui suit, à la page 477 : J’estime pourtant que sa remarque incidente n’est pas fondée et que, peu importe le moment l’engagement est donné et si le demandeur n’a pas gain de cause sur le fond, la règle veut que la demande pour la tenue d’une enquête sur les dommages-intérêts soit accueillie, à moins qu’il n’existe des circonstances spéciales. (Italiques ajoutés.)

L’avocat de la société intimée devant notre Cour a souscrit à cette déclaration de principe, faisant toutefois valoir qu’en l’espèce, il existait des circonstances spéciales puisqu’il n’avait pas été établi que la société intimée avait obtenu l’injonction par parjure ou fausse déclaration. De plus, vu que deux juges de la Section de première instance et trois juges de la Cour d’appel avaient exprimé l’avis que la société intimée était en droit d’obtenir une injonction, une conclusion contraire de notre Cour serait un exemple d’erreur judiciaire, puisque l’injonction ne tirait pas son origine d’une fausse déclaration de la part de la société intimée.

À mon avis, ces circonstances ne sont pas les « circonstances spéciales » qu’avait envisagées lord Cotton. Il y a, par exemple, des cas les demandeurs sont des organismes publics qui agissent dans l’intérêt public pour maintenir le statu quo jusqu’à ce que les droits des parties soient déterminés, de même que des cas la partie défenderesse, même après avoir obtenu gain de cause pour des questions de

forme, était certes coupable d’une conduite qui n’a même pas amené le tribunal à exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur. Dans ces cas, la Cour a conclu à l’existence de « circonstances spéciales », ce qui lui a permis de refuser le renvoi concernant les dommages-intérêts. En l’espèce, la société intimée a insisté tout au long de l’instance pour que d’importants équipements de machinerie lourde de construction soient saisis pour empêcher ainsi la défenderesse de les utiliser et de réaliser un profit. Cette situation s’est poursuivie pendant des mois, jusqu’à ce que la société intimée ait mis fin à l’utilisation de l’équipement. J’estime qu’il s’agit d’un cas courant d’injonction faisant suite à la demande du demandeur et à son engagement, et que le demandeur devrait être tenu d’honorer son engagement. Par conséquent, je suis d’avis d’ordonner que l’affaire soit renvoyée de la manière habituelle dans la province d’Alberta en vue de déterminer le montant des dommages-intérêts, et qu’un jugement soit prononcé en faveur de la société appelante pour lui accorder les dommages-intérêts établis ainsi que les dépens relatifs au renvoi.

[Non souligné dans l’original.] [53] Compte tenu de la jurisprudence susmentionnée, je suis convaincu que, lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire, le Tribunal peut tenir compte de la conduite de la défenderesse.

[54] Dans l’arrêt Gu, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé une décision de première instance qui rejetait la demande sollicitant la tenue d’une enquête sur les dommages-intérêts présentée par les demandeurs. Selon l’injonction en cause, les défendeurs avaient le droit exclusif de commercialiser certains réfrigérants et certaines technologies au Canada, aux États-Unis et au Mexique, et avaient donné un engagement relatif aux dommages-intérêts. Le juge de première instance a conclu que les demandeurs avaient violé l’injonction en faisant des affaires aux États-Unis et a rejeté leur demande sollicitant la tenue d’une enquête sur les dommages-intérêts.

[55] La Cour d’appel a dit ce qui suit : [TRADUCTION] 67 Nous examinerons ses motifs compte tenu des principes applicables. Il ne fait aucun doute que la violation de l’injonction par Gu [le demandeur] constituait un facteur très pertinent. Il alléguait dans sa plainte que l’injonction interlocutoire obtenue par le groupe de Lam [les défenderesses] l’a empêché d’exploiter une entreprise qui lui appartenait de plein droit. Toutefois, les faits établis et, soulignons-le, non contestés dans le présent appel ont montré que l’injonction n’a pas eu l’effet prévu en raison des violations délibérées qu’il avait commises. En demandant la tenue d’une enquête sur les dommages-intérêts, il ne s’est pas présenté devant la cour en étant lui-même sans reproche : voir City of Toronto c. Polai, [1970] 1 O.R. 483 (C.A.), aux pages 493 et 494.

68 En prenant à la légère sa conduite, Gu semble indiquer que la violation d’une injonction ne devrait pas beaucoup compter et que la partie visée par l’injonction

devrait toujours avoir le droit de poursuivre sa demande de dommages-intérêts pour déduire les profits réalisés par l’inobservation de l’injonction du préjudice subi. Cette approche banalise l’injonction.

69 En confirmant la conclusion du juge de première instance, notre intention n’est pas d’énoncer le principe selon lequel, dans le cas la partie visée par l’injonction ne s’y est pas conformée, elle n’aura pas droit, de ce seul fait, de demander des dommages-intérêts. Pour déterminer les principes d’equity avant la prise d’une décision, il faut tenir compte de tous les facteurs potentiellement pertinents, dont la nature de la violation.

70 De plus, en appliquant les propos de notre Cour dans Nelson Burns, précité, nous tenons à souligner que le pouvoir discrétionnaire incontesté permettant au juge de dispenser une partie de son engagement est restreint. Nous n’avons aucun doute qu’il existe une forte présomption en faveur d’une enquête sur les dommages-intérêts subis par la partie visée par l’injonction.

71 En l’espèce, la violation de l’injonction n’était ni accidentelle ni négligeable. Une telle violation pourrait, selon les autres particularités de l’affaire, ne pas peser, en dernière analyse, contre la partie visée par l’injonction. En l’espèce, par contre, les violations étaient délibérées et flagrantes et nous ne pouvons pas affirmer que le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il leur a accordé le poids qu’il a jugé approprié et en n’accordant pas à la conduite du groupe de Lam le poids invoqué par le groupe de Gu. Voir R. c. Rezaie (1996), 31 O.R. (3d) 713 (C.A.), à la page 719, relativement à l’examen en appel concernant le(s) « erreur[s] de principe ».

72 En ce qui concerne la conduite du groupe de Lam, bien que les motifs du juge de première instance eussent pu être plus clairs, nous sommes convaincus qu’il en a tenu compte même si cette conduite ne peut être qualifiée d’« abus de procédure ». Nous convenons que le fait de ne prendre en compte la conduite de la partie visée par l’injonction comme un facteur empêchant la tenue d’une enquête sur les dommages-intérêts que si elle équivalait à un abus de procédure constituerait une approche trop rigide.

73 Bref, nous sommes convaincus que, lorsqu’il a déterminé si une enquête était justifiée, le juge de première instance a tenu compte de tous les facteurs pertinents et que, lorsqu’il a exercé son jugement, il a accordé un poids prépondérant aux contraventions du groupe de Gu à l’injonction. Nous ne sommes pas convaincus que le juge a commis une erreur en arrivant à cette conclusion.

[56] Bien que je souscrive à la conclusion de la Cour d’appel de l’Ontario dans Gu selon laquelle la violation d’une injonction à elle seule ne prive pas nécessairement une partie du droit de faire exécuter l’engagement de verser des dommages-intérêts, j’estime, dans les circonstances de l’espèce, pour les motifs qui suivent, que la conduite de Westco établit l’existence de circonstances spéciales permettant de rejeter la demande pour la tenue d’une enquête sur les dommages-intérêts.

[57] Dans le cadre de la procédure pour outrage, le Tribunal a conclu que Westco n’a pas respecté l’ordonnance provisoire ni son esprit. Non seulement avait-elle fourni à Nadeau un nombre inférieur de poulets que le nombre prescrit par l’ordonnance provisoire, mais Westco a aussi augmenté la taille de ces poulets, même si elle savait que Nadeau exigeait une gamme complète de poulets dont des poulets plus petits. Le Tribunal a conclu ce qui suit à cet égard :

[69] […] [Westco] a plutôt fourni sciemment un nombre inférieur de poulets plus gros, en alléguant avoir respecté son obligation en vertu de l’ordonnance provisoire, parce qu’elle a fourni la quantité équivalente de poulets en kilogrammes. Cela a permis à Westco de continuer la mise en œuvre des changements visant son plan de production à long terme qui ont mené à la production de poulets plus gros pour Olymel. Le dossier montre que le poids moyen des poulets produits par Westco a continué d’augmenter depuis la délivrance de l’ordonnance provisoire jusqu’au moment du dépôt de la demande pour outrage et par la suite. À mon avis, Westco a sciemment omis de fournir le nombre de poulets requis par l’ordonnance provisoire.

[70] Je rejette également l’argument de Westco portant qu’elle a respecté en tout temps l’esprit de l’ordonnance. Comme l’a reconnu Westco, l’objet de l’ordonnance provisoire était d’assurer que le niveau d’approvisionnement dont Nadeau avait joui antérieurement soit maintenu. Dans le contexte mentionné précédemment, notamment en ce qui concerne les exigences de Nadeau en matière de poids, on ne saurait dire que Westco s’est conformée à l’esprit de l’ordonnance provisoire. Westco connaissait ces exigences et a néanmoins poursuivi son projet d’entreprise en vue de produire des poulets plus gros, négligeant ainsi de fournir à Nadeau le nombre de poulets et les catégories de poids qu’elle livrait avant l’ordonnance provisoire. Par conséquent, Westco n’a pas maintenu le statu quo et ne s’est pas conformée à l’esprit de l’ordonnance provisoire.

[58] Comme je l’ai indiqué plus haut, cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale (voir Groupe Westco Inc. c. Nadeau Ferme Avicole Limitée, 2011 CAF 106).

[59] De plus, dans son ordonnance relative à la détermination de la peine, le Tribunal a conclu que Westco avait été motivée par la possibilité d’obtenir un avantage financier :

[65] M. Soucy a témoigné que Westco n’a pas tiré profit de l’outrage. Dans son affidavit souscrit le 29 mai 2008 à l’appui de l’opposition de Westco à la demande de mesures provisoires présentée par Nadeau, M. Soucy a indiqué que Westco réaliserait des profits de l’ordre de [CONFIDENTIEL]$ par semaine en vendant ses poulets à Olymel plutôt qu’à Nadeau. Selon lui, d’importantes économies de coûts seraient réalisées en fournissant des poulets plus gros à Olymel. Il a dit que, vu la convention de partage de profits conclue avec Olymel, Westco réaliserait aussi des profits additionnels sur la vente des poulets produits par elle-même et transformés par Olymel. Toutefois, lors de son témoignage à l’audience de détermination de la peine, M. Soucy a indiqué que les profits prévus ne se sont pas concrétisés. Il a également produit des éléments de preuve indiquant que les poulets avaient été

vendus à Olymel au même prix que les poulets vendus à Nadeau pendant la période provisoire.

[66] Je suis convaincu que, vu le nombre réduit de poulets qu’elle a fournis à Olymel pendant la période provisoire, Westco n’a pas obtenu les profits additionnels prévus par M. Soucy dans l’affidavit mentionné plus haut. Toutefois, compte tenu de la preuve par affidavit, je n’accepte pas le témoignage de M. Soucy selon lequel Westco n’a réalisé absolument aucun profit additionnel. Le problème est que le Tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve fiables pour quantifier ces profits. Par conséquent, ils ne peuvent pas être pris en considération pour déterminer le montant de l’amende. Par contre, le fait que Westco a violé l’ordonnance provisoire en vue de réaliser un avantage financier sera considéré comme un facteur aggravant.

[Non souligné dans l’original.] [60] De plus, dans sa directive donnée en octobre 2008, le Tribunal a avisé les parties que l’ordonnance provisoire énonçait clairement le niveau d’approvisionnement hebdomadaire de poulets à fournir en quantité de poulets vivants et non un niveau se mesurant en fonction de leur poids. À cette occasion, Nadeau a écrit au Tribunal en alléguant que Westco avait fourni un nombre de poulets de loin inférieur à celui requis par l’ordonnance provisoire. Voici les paragraphes pertinents de la directive datée du 16 octobre 2008 :

4. ET VU que l’ordonnance provisoire d’approvisionnement énonce clairement le niveau d’approvisionnement hebdomadaire que devaient fournir les défenderesses à la demanderesse en quantité de poulets vivants, et non un niveau se mesurant en fonction de leur poids; […] 6. ET VU qu’il était clair que l’approvisionnement hebdomadaire en poulets vivants à rajuster selon les dispositions de l’ordonnance provisoire d’approvisionnement devait se mesurer en nombre de poulets vivants et non en kilogrammes ni en fonction du poids des poulets; […]

LE TRIBUNAL ORDONNE : 8. Le niveau d’approvisionnement hebdomadaire de poulets vivants que les défenderesses fournissent à la demanderesse conformément aux paragraphes 57 et 58 de l’ordonnance provisoire d’approvisionnement continue à se mesurer en nombre de poulets vivants.

[61] Malgré l’ordonnance provisoire et la directive subséquente du Tribunal, Westco a continué de fournir des poulets plus gros à Nadeau et de soutenir lors de l’audience pour outrage, tenue en novembre 2009, qu’elle s’était conformée à l’ordonnance provisoire parce qu’elle avait fourni la quantité équivalente de poulets en kilogrammes.

[62] Les conclusions du Tribunal formulées dans le cadre de la procédure pour outrage m’ont amené à conclure que pendant une longue période suivant l’ordonnance provisoire, soit du 14 septembre 2008 au 8 juin 2009, la conduite de Westco est allée à l’encontre de l’objet même de cette ordonnance qui visait à maintenir le statu quo au regard du nombre et de la taille des poulets livrés à Nadeau. À mon avis, Westco a ignoré l’ordonnance provisoire de manière délibérée et flagrante.

[63] Westco fait valoir qu’elle a déjà été punie pour l’outrage au tribunal et qu’elle devrait avoir le droit d’obtenir des dommages-intérêts pour les pertes subies à la suite de l’ordonnance provisoire. Je ne suis pas d’accord. L’amende imposée par le Tribunal visait son outrage au tribunal relativement à l’ordonnance provisoire. En payant l’amende, Westco s’est conformée à l’ordonnance pour outrage au Tribunal. Or, il ne s’ensuit pas pour autant que la conduite de Westco ne constitue pas un facteur pertinent que le Tribunal doit prendre en compte pour décider d’ordonner ou non la tenue d’une enquête sur les dommages-intérêts.

[64] L’action visant à obtenir des dommages-intérêts découlant de la violation de l’ordonnance provisoire que Nadeau a intentée au Nouveau-Brunswick constitue un facteur auquel le Tribunal devrait accorder peu de poids dans sa décision d’ordonner ou non la tenue d’une enquête sur les dommages-intérêts. Une telle approche permettrait essentiellement d’apprécier les dommages-intérêts au regard des profits tirés de la violation et aurait pour effet de banaliser l’injonction (voir Gu, au par. 68).

[65] Après avoir examiné tous les facteurs potentiellement pertinents, dont les facteurs invoqués par Westco plus précisément décrits au paragraphe 48 ci-dessus, je suis convaincu qu’il existe en l’espèce des « circonstances spéciales » qui autorisent le Tribunal à refuser un renvoi concernant les dommages-intérêts. Par conséquent, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je rejette la demande de Westco relativement à la tenue d’une enquête sur les dommages-intérêts. Une ordonnance sera donc rendue en ce sens.

[66] Compte tenu de la conclusion qui précède, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres arguments de Nadeau, notamment son allégation que Westco n’a pas fait preuve de sincérité et de bonne foi envers le Tribunal lorsqu’elle a contesté la demande de mesures provisoires présentée par Nadeau.

PAR CONSÉQUENT, POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ORDONNE : [67] La demande de Westco visant l’exécution de l’engagement est rejetée. [68] Les dépens sont adjugés à Nadeau sous forme d’une somme globale de 5 000 $, y compris les débours.

FAIT à Ottawa, ce 18e jour de mai, 2012. SIGNÉ pour le Tribunal par le juge président. (s) Edmond P. Blanchard

Traduction certifiée conforme Semra Denise Omer

PERSONNES AYANT COMPARU : Pour la demanderesse : Nadeau Ferme Avicole Limitée/Nadeau Poultry Farm Limited Leah Price Ron Folkes

Pour la défenderesse : Groupe Westco Inc. Éric C. Lefebvre Martha A. Healey Alexandre Bourbonnais Stephen Nattrass

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