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Tribunal de la concurrence Competition Tribunal VERSION PUBLIQUE TRADUCTION OFFICIELLE

Référence : Nadeau Ferme Avicole Limitée c. Groupe Westco Inc., 2010 Trib. conc. 15 N o de dossier : CT-2008-004 N o de document du greffe : 0704 DANS L’AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34, et ses modifications; ET DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par Nadeau Ferme Avicole Limitée/Nadeau Poultry Farm Limited en vue d’obtenir une ordonnance fondée sur l’article 75 de la Loi sur la concurrence;

ET DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par Nadeau Ferme Avicole Limitée/Nadeau Poultry Farm Limited en vue d’obtenir une ordonnance provisoire fondée sur l’article 104 de la Loi sur la concurrence;

ET DANS L’AFFAIRE d’une requête présentée par Nadeau Ferme Avicole Limitée/Nadeau Poultry Farm Limited en vue d’obtenir une ordonnance de justification;

ET DANS L’AFFAIRE d’une requête présentée par la défenderesse Groupe Westco Inc. en vue d’obtenir une ordonnance ou une directive dans le cadre de l’ordonnance provisoire du Tribunal en matière d’approvisionnement;

ENTRE : Nadeau Ferme Avicole Limitée/ Nadeau Poultry Farm Limited (demanderesse)

et Groupe Westco Inc. et Groupe Dynaco, Coopérative Agroalimentaire, et Volailles Acadia S.E.C. et Volailles Acadia Inc./Acadia Poultry Inc. (défenderesses)

Dates de l’audience : du 20100706 au 20100707 Juge président : M. le juge Blanchard Date des motifs et de l’ordonnance : 24 septembre 2010 Motifs et ordonnance signés par : M. le juge Edmond P. Blanchard

ORDONNANCE RELATIVE À LA DÉTERMINATION DE LA PEINE

I. INTRODUCTION [1] Par une ordonnance en date du 22 janvier 2010, la défenderesse Groupe Westco Inc. (Westco) a été reconnue coupable d’outrage au Tribunal. L’outrage concerne une ordonnance provisoire rendue dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 75 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34 (la Loi). La présente décision fait suite à l’audience de détermination de la peine tenue les 6 et 7 juillet 2010, après la déclaration d’outrage au tribunal.

II. CONTEXTE FACTUEL [2] Le 22 janvier 2010, le Tribunal a reconnu Westco coupable d’outrage au tribunal pour avoir désobéi à l’ordonnance provisoire du 28 juin 2008 (l’ordonnance provisoire). Cette ordonnance enjoignait à Westco d’approvisionner Nadeau Ferme Avicole Limitée (la demanderesse ou Nadeau) en poulets vivants à un niveau hebdomadaire précis. Le Tribunal a conclu que Westco avait omis d’approvisionner la demanderesse selon le nombre requis de poulets :

[92] L’ordonnance provisoire était claire. Elle prévoyait que les défenderesses, y compris Westco, continuent à approvisionner Nadeau en poulets vivants à un niveau hebdomadaire précis. Westco connaissait l’existence de l’ordonnance provisoire rendue par le Tribunal et lui a sciemment désobéi. J’ai examiné les arguments avancés par Westco ainsi que les circonstances entourant la désobéissance. Pour les motifs qui précèdent, je rejette les arguments de Westco. Par conséquent, je conclus que la demanderesse s’est acquittée du fardeau de la preuve et que les éléments constitutifs de l’outrage au tribunal ont été prouvés hors de tout doute raisonnable.

(voir Nadeau Ferme Avicole Limitée c. Groupe Westco Inc., 2010 Trib. conc. 2) [3] Une description complète des faits à l’origine de la procédure en matière d’outrage figure dans la décision du Tribunal relative à l’outrage et ne sera pas reproduite en l’espèce.

[4] À la suite de la déclaration d’outrage, le Tribunal a ordonné la tenue d’une audience afin de déterminer la peine qu’il convient d’infliger. Cette audience a eu lieu les 6 et 7 juillet 2010. Les parties ont présenté des éléments de preuve et des observations relativement à leurs thèses respectives sur la détermination de la peine.

III. THÈSES DES PARTIES [5] Nadeau cherche à obtenir un dédommagement pour les pertes d’entreprise attribuables à la conduite de Westco ayant donné lieu à l’outrage au tribunal et demande que celle-ci soit condamnée à une amende et au paiement des dépens sur une base avocat-client dans la procédure en matière d’outrage. Westco conteste chacune de ces demandes. J’énoncerai ci-après la thèse respective des parties à l’égard de chacune de ces demandes.

A. Dédommagement i. Nadeau [6] Nadeau demande au Tribunal de rendre une ordonnance de dédommagement enjoignant à Westco de lui verser la valeur d’inventaire du nombre de poulets que Westco a omis de fournir au cours de la période provisoire (du 14 septembre 2008 au 20 juin 2009). Dans ses observations écrites, Nadeau soutient que le Tribunal devrait ordonner à Westco de verser un dédommagement de 2 884 932 $, soit la valeur d’inventaire de 933 398 poulets.

[7] À titre subsidiaire, Nadeau sollicite une ordonnance de dédommagement enjoignant à Westco de verser à Nadeau [CONFIDENTIEL]$, soit les profits que Westco aurait réalisés par la vente de poulets plus gros à Olymel S.E.C. (Olymel), une entreprise québécoise de transformation du poulet. Subsidiairement encore, Nadeau affirme dans ses observations écrites qu’en raison du défaut de Westco de l’approvisionner en poulets dont la taille convienne à Poulet Frit Kentucky (poulets découpés en neuf morceaux), elle a subi une perte d’environ [CONFIDENTIEL] $. À l’audience de détermination de la peine, ce montant a été réduit au cours des plaidoiries à [TRADUCTION] « environ [CONFIDENTIEL]$ ». L’avocat de Nadeau a mentionné également un autre moyen de calculer le montant à inclure dans l’ordonnance de dédommagement. Selon ces calculs, ce montant se situe [TRADUCTION] « entre [CONFIDENTIEL]$ et [CONFIDENTIEL]$ approximativement ».

[8] Nadeau affirme que le Tribunal a compétence pour rendre une telle ordonnance en l’espèce parce qu’il a un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer la peine appropriée dans le cadre d’une procédure en matière d’outrage. Nadeau convient que le Tribunal n’a pas le pouvoir d’ordonner le versement de dommages-intérêts, mais ajoute que son pouvoir d’ordonner un dédommagement dans le cadre d’une procédure en matière d’outrage constitue une question distincte et complètement différente.

[9] Nadeau soutient que le pouvoir discrétionnaire du Tribunal est très vaste. À cet égard, elle s’appuie sur l’arrêt Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394, la Cour suprême du Canada a statué que le Tribunal a les attributions d’une cour supérieure d’archives pour l’exécution de ses ordonnances, ce qui comprend le pouvoir de punir l’outrage résultant de la violation de ses ordonnances. Nadeau renvoie aussi à l’alinéa 472d) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, lequel prévoit que, lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage, la cour peut ordonner qu’elle « accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir ». Selon Nadeau, l’exercice du pouvoir du Tribunal en matière de détermination de la peine dans les affaires d’outrage ne comporte aucune limite.

[10] De plus, bien qu’elle reconnaisse que les tribunaux ont déclaré à l’occasion que le but principal de la détermination de la peine en matière d’outrage est d’assurer le respect des ordonnances, Nadeau soutient que le Tribunal n’est pas privé pour autant du pouvoir, dans certains cas, d’accorder une réparation de nature civile. Elle soutient également que, dans le cadre d’une procédure civile en matière d’outrage, le Tribunal devrait non seulement tenir compte de la punition et de la dissuasion, mais aussi des conséquences civiles de l’outrage. Nadeau affirme que ses droits sont en cause en l’espèce.

[11] Nadeau soutient également que l’outrage civil porte l’empreinte du droit pénal et que, par conséquent, toute sanction pouvant être infligée en droit pénal, y compris le dédommagement, est applicable dans le cadre d’une procédure civile en matière d’outrage. Par conséquent, la demanderesse soutient que le paragraphe 738(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, constituant une disposition en matière de dédommagement, est applicable en l’espèce.

ii. Westco [12] Westco soutient que la seule question en litige dans le cadre de la présente audience de détermination de la peine porte sur la peine à infliger, vu qu’elle n’a pas respecté l’ordonnance du Tribunal. Westco soutient donc que les réparations en matière de dédommagement ou d’indemnisation ne conviennent pas dans les cas d’outrage au tribunal.

[13] Westco soutient également que le Tribunal n’a pas compétence pour accorder des dommages-intérêts sous forme d’indemnisation ou de dédommagement. Westco affirme que le Tribunal de la concurrence est un tribunal établi par la loi et qu’il ne dispose que des pouvoirs que la loi lui confère. Selon Westco, ni la Loi ni la Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. 1985, ch.19 (2 e suppl.), ne confère au Tribunal le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts. Elle dit que les parties ayant subi une perte par suite de la violation d’une ordonnance du Tribunal ont un droit d’action privé pour dommages-intérêts en vertu de l’article 36 de la Loi, et que le Tribunal n’a pas compétence pour entendre une action privée fondée sur l’article 36. En ce qui concerne le dédommagement, Westco soutient que le Tribunal peut seulement ordonner le dédommagement en vertu de l’alinéa 74.1(1)c) de la Loi dans le contexte des pratiques commerciales trompeuses et que cette disposition n’est pas applicable en l’espèce.

[14] Westco soutient que l’affaire Chrysler n’appuie pas la prétention que le Tribunal a compétence de rendre une ordonnance de dédommagement lorsqu’il détermine la peine pour outrage au tribunal. Elle dit que la Cour suprême n’a jamais examiné cette question. Westco soutient également qu’aucune disposition de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F.7, ou des Règles des Cours fédérales ne confère au Tribunal la compétence d’accorder des dommages-intérêts dans le contexte de la détermination de la peine pour outrage.

[15] Westco ajoute que la procédure en matière d’outrage ne peut être utilisée comme un moyen détourné d’obtenir des dommages-intérêts ou comme un moyen expéditif d’en obtenir. Elle dit que les dommages-intérêts ne devraient être accordés qu’après une divulgation et une communication préalables et un examen complet sur le fond.

[16] De plus, Westco affirme que, même si le Tribunal avait compétence pour rendre une ordonnance de dédommagement, la disposition en cause du Code criminel invoquée par Nadeau ne serait pas applicable dans les circonstances de la présente affaire. Elle dit que le Code criminel prévoit le dédommagement comme peine possible dans des circonstances très précises, il y a eu perte ou destruction des biens de la victime, ou dommages causés à ceux-ci, et la valeur des dommages peut être facilement déterminée. Westco soutient que dans la présente affaire il n’y a eu ni perte ni destruction des biens de Nadeau et qu’aucun dommage n’a été causé à ceux-ci, et que la valeur des dommages en cause ne peut être « facilement déterminée ».

B. Amende i. Nadeau [17] Nadeau soutient que Westco devrait être condamnée à une amende de 250 000 $. Elle dit que Westco a fait preuve d’une désobéissance délibérée et obstinée, et qu’elle cherchait ainsi à réaliser des profits. À cet égard, Nadeau affirme que Westco a réalisé un profit en vendant moins à Nadeau et en vendant à Olymel conformément à une convention de partage de profits. S’appuyant sur la preuve présentée dans le cadre de la demande de mesures provisoires, Nadeau affirme qu’à la suite des violations de l’ordonnance provisoire, Westco a réalisé un profit s’élevant à [CONFIDENTIEL]$. Elle dit qu’il s’agit d’un facteur aggravant justifiant une augmentation de l’amende versée par Westco.

[18] Nadeau affirme également que Westco n’a pas établi l’existence de facteurs atténuants. Elle conteste la prétention de Westco selon laquelle celle-ci a agi de bonne foi; Nadeau dit que les actions de Westco démontrent clairement qu’elle a agi de mauvaise foi. Selon Nadeau, Westco était résolue à lui fournir un nombre inférieur de poulets plus lourds et n’a rien fait pour se conformer à l’ordonnance provisoire. En ce qui concerne les excuses présentées à l’audience par le directeur général de Westco, Nadeau soutient qu’elles étaient tardives et qu’elles n’étaient pas sincères.

ii. Westco [19] Westco soutient que, si une amende devait être infligée, le montant de 10 000 $ constituerait une peine appropriée et juste dans les circonstances. Elle dit qu’il n’y a pas de facteurs aggravants, mais de nombreux facteurs atténuants, dont les suivants :

1) l’important degré de conformité de l’ordonnance provisoire dont Westco a fait preuve; 2) la question de l’interprétation de bonne foi ayant mené à la décision du Tribunal sur l’existence d’une violation de l’ordonnance provisoire; 3) l’incidence de la réduction des contingents sur la capacité de Westco de se conformer à l’ordonnance provisoire; 4) les tentatives de bonne foi de Westco de se conformer à l’ordonnance provisoire et de régler le différend en matière d’approvisionnement provisoire avec Nadeau; 5) la volonté de Westco d’assumer la responsabilité de ses actes et les excuses qu’elle a présentées; 6) le fait que Westco n’a jamais été accusée d’outrage au tribunal ou d’une infraction criminelle; 7) le fait qu’aucun profit n’a été réalisé à la suite de la violation de l’ordonnance.

C. Dépens i. Nadeau [20] Nadeau sollicite les dépens avocat-client, incluant la TPS et les débours, au montant de 587 850,48 $. Elle soutient qu’en règle générale, dans le cas d’une déclaration de culpabilité pour

outrage au tribunal, la cour accordera les dépens avocat-client à la partie lésée. Nadeau affirme que rien ne justifie de s’écarter de cette règle en l’espèce.

[21] Nadeau soutient que les dépens réclamés sont raisonnables et qu’ils sont directement attribuables à l’outrage au tribunal. Bien que Nadeau admette que les dépens réclamés [TRADUCTION] « semblent élevés », elle affirme que le montant est justifié, vu que la procédure en matière d’outrage a été exceptionnellement longue et compliquée. Nadeau précise que la procédure en matière d’outrage a pris davantage de temps et qu’elle a fait l’objet de davantage d’ordonnances du Tribunal que la demande principale.

ii. Westco [22] Westco reconnaît que Nadeau devrait avoir le droit de recouvrer les dépens raisonnables associés à la poursuite pour outrage au tribunal. Elle soutient toutefois que plusieurs facteurs militent en faveur de l’attribution d’un montant beaucoup moins élevé que dans le cas d’une indemnisation complète. Elle dit que, compte tenu de la gravité relativement mineure de l’outrage, la présence de nombreux facteurs atténuants tels la bonne foi de Westco, sa volonté d’assumer la responsabilité de ses actes et le fait que l’outrage constituait une première infraction, l’adjudication de dépens avocat-client conformes aux mémoires de dépens préparés par Nadeau constituerait une peine tout à fait excessive eu égard à la gravité de l’infraction.

[23] Westco ajoute que les deux mémoires de dépens de Nadeau sont déraisonnables et comprennent des réclamations injustes qui devraient être déduites. Westco ne quantifie pas les déductions qu’elle estime nécessaires, affirmant que les mémoires de dépens de Nadeau ne fournissent pas suffisamment de détails. Elle soutient cependant que le Tribunal ne devrait accorder aucuns dépens pour les réclamations suivantes: 1) réclamations relatives au travail accompli dans le cadre de la poursuite contre Volailles Acadia S.E.C. et Volailles Acadia Inc./Acadia Poultry Inc. (collectivement appelées Acadia) et Groupe Dynaco, Coopérative Agroalimentaire (Dynaco); 2) réclamations relatives aux requêtes ne traitant pas des dépens et qui ont été partiellement accueillies; 3) réclamations relatives à la requête en interprétation, une procédure distincte qui a été rejetée sans frais; 4) réclamations visant les débours non fondés et non liés à la procédure en matière d’outrage.

IV. PREUVE A. Westco i. Thomas Soucy [24] M. Thomas Soucy, directeur général de Westco, a témoigné pour le compte de celle-ci. Il a dit qu’il participait activement à la procédure en matière d’outrage. Il a témoigné que Westco n’a jamais été accusée d’outrage au tribunal ni d’aucune autre infraction criminelle, et il a ajouté que celle-ci n’a jamais contrevenu aux règlements applicables à l’industrie avicole. Selon M. Soucy, Westco manifeste un grand respect pour la loi et n’a pas eu l’intention de violer l’ordonnance provisoire. Il a indiqué que la violation a découlé d’une erreur d’interprétation et que Westco croyait qu’elle respectait l’ordonnance provisoire pendant la période provisoire.

[25] M. Soucy a témoigné que Westco n’a réalisé aucun profit additionnel par suite de l’élevage des poulets plus gros ou de la fourniture de poulets plus gros à Olymel. Il a dit que Westco avait un incitatif financier pour l’expédition des poulets plus lourds, mais il a précisé que les économies de coûts qu’il avait prévues ne se sont pas concrétisées. M. Soucy a dit également que Westco n’a tiré aucun profit additionnel de la convention de partage de profits qu’elle a conclue avec Olymel parce que la convention n’était pas en vigueur. M. Soucy a dit qu’elle n’entrait en vigueur que lorsque Westco fournissait 100 % de sa production à Olymel. Il a précisé qu’il a voulu continuer de vendre des poulets à Olymel parce que celle-ci était sa partenaire et qu’il voulait poursuivre son projet d’entreprise.

[26] M. Soucy a présenté des excuses au Tribunal pour avoir violé l’ordonnance provisoire et a affirmé qu’il s’agissait d’un acte involontaire. Il a également accepté la responsabilité de la violation. M. Soucy a dit qu’il avait appris de cette expérience et qu’à l’avenir Westco consacrerait plus d’efforts pour assurer le respect des ordonnances judiciaires. M. Soucy a présenté également des excuses à la demanderesse pour avoir violé l’ordonnance.

ii. Yves Landry [27] M. Yves Landry, directeur général de Nadeau, a été également appelé à témoigner pour le compte de Westco sur certains aspects de la preuve concernant le dédommagement présentée par l’expert de la demanderesse. M. Landry a témoigné au sujet des coûts liés à la transformation des poulets à l’usine de Nadeau, des suppléments versées aux producteurs pour les poulets à découper en neuf morceaux et du nombre de poulets à découper en neuf morceaux fournis à Nadeau. M. Landry a dit également que Nadeau a réalisé des profits sur les poulets plus lourds fournis par Westco. Il a ajouté que Westco a continué d’approvisionner Nadeau en poulets après le prononcé de l’ordonnance par laquelle le Tribunal a rejeté la demande principale.

B. Nadeau i. M. Grant Robinson [28] Grant C. Robinson est comptable agréé. Il a occupé antérieurement le poste de directeur financier de Maple Lodge Holding Corporation, la société-mère de la demanderesse. Avec l’accord des parties, M. Robinson a été autorisé à témoigner à titre de comptable, et à donner son opinion d’expert sur l’industrie de la transformation du poulet.

[29] M. Robinson a été invité à [TRADUCTION] « examiner l’incidence du nombre inférieur de poulets fournis à Nadeau par la défenderesse [Westco] […] aux termes de l’ordonnance provisoire du 26 juin 2008 ». Les calculs figurant dans son affidavit sont fondés sur deux moyens différents de mesurer l’incidence du défaut de Westco de se conformer pleinement à l’ordonnance provisoire. Dans le premier scénario, le montant réclamé par Nadeau dans sa demande de dédommagement est fondé sur la valeur du nombre de poulets que Westco a omis de fournir à Nadeau pendant la période provisoire, à savoir du 14 septembre 2008 au 20 juin 2009. À cet égard, M. Robinson a précisé qu’il [TRADUCTION] « a reçu pour instruction de tenir compte

du coût de remplacement des stocks ». Dans ce cas, il a conclu que Nadeau était incapable d’[TRADUCTION] « acquérir des stocks d’une valeur de 2 844 932 $ par suite de la quantité insuffisante de poulets fournis ».

[30] Dans le deuxième scénario, M. Robinson a examiné les marges sur coût variable supplémentaire que Nadeau aurait pu toucher si elle avait continué d’approvisionner ses clients en poulets de taille PFK. Dans ce calcul, il semble avoir présumé que seule Westco fournissait à Nadeau des poulets de taille PFK et que Nadeau avait perdu [TRADUCTION] « le contrat relatif aux poulets de taille PFK ». Il a conclu que [TRADUCTION] « l’incidence financière découlant du manque de produits de taille PFK disponibles à la vente constituait une diminution de [CONFIDENTIEL]$ de la marge sur coût variable » pour Nadeau. M. Robinson a témoigné que la marge sur coût variable s’entend de [TRADUCTION] « l’excédent du chiffre d’affaires sur l’ensemble des coûts variables ».

[31] M. Robinson a dit dans son interrogatoire principal que seuls certains des poulets fournis par Westco à Nadeau entraient dans la catégorie des poulets de taille PFK. S’appuyant sur le témoignage fourni plus tôt le même jour par M. Soucy, M. Robinson a dit que si seulement 30 % des poulets fournis à Nadeau par Westco étaient de taille PFK, la diminution de la marge sur coût variable serait d’environ 15 % inférieure au montant de [CONFIDENTIEL]$. Selon M. Robinson, le montant serait [TRADUCTION] « à peine supérieur à [CONFIDENTIEL]».

[32] L’avocat de Westco s’est initialement opposé à cette preuve au motif qu’elle ne pouvait pas être présentée à l’audience vu qu’elle avait été énoncée dans un affidavit modifié et que le Tribunal avait refusé d’autoriser Nadeau à déposer l’affidavit modifié. Le Tribunal a admis la preuve au motif que la question avait été soulevée dans la preuve présentée par M. Soucy.

[33] M. Robinson a dit qu’après avoir établi la version finale de son affidavit, il a appris que Nadeau n’avait pas perdu le contrat relatif aux poulets de taille PFK. En contre-interrogatoire, il a aussi reconnu avoir appris qu’Acadia et Dynaco avaient continué d’approvisionner Nadeau en poulets de taille PFK pendant la période provisoire.

[34] En contre-interrogatoire, M. Robinson a également admis que ses calculs n’étaient pas exacts.

[35] Il n’est pas contesté que l’affidavit de M. Robinson ne porte pas sur la perte réelle de profits que Nadeau a subie pendant la période provisoire. M. Robinson a dit qu’on ne lui a pas demandé de calculer cette perte.

IV. ÉTAT DU DROIT [36] Les pouvoirs de la cour en matière d’outrage ont pour but général d’assurer le fonctionnement harmonieux du système judiciaire et le but principal des sanctions imposées dans une procédure en matière d’outrage est d’assurer le respect des ordonnances de la cour (Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 234, 241 F.T.R 160). Dans la procédure en matière d’outrage, le Tribunal a recouru jusqu’à maintenant aux Règles des Cours fédérales en appliquant l’article 34

des Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/2008-141. L’article 472 des Règles des Cours fédérales énonce les peines qui peuvent être infligées pour outrage au tribunal :

472. Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner : a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance; b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se conforme pas à l’ordonnance; c) qu’elle paie une amende; d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir; e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la règle 429; f) qu’elle soit condamnée aux dépens.

[37] Dans la décision Canada (Ministre du Revenu national) c. Marshall, 2006 CF 788, le juge Kelen de la Cour fédérale a résumé comme suit les facteurs à prendre en compte dans le cadre d’une audience de détermination de la peine :

En résumé, les facteurs pertinents quant à la détermination de la peine dans un cas d’outrage au tribunal sont les suivants :

i. Le but principal des sanctions imposées est d’assurer le respect des ordonnances du tribunal. La dissuasion, particulière et générale, est importante afin de maintenir la confiance du public envers l’administration de la justice soit maintenue [sic];

ii. La proportionnalité de la peine doit refléter un équilibre entre l’application de la loi et ce que la Cour a qualifié de « clémence de la justice ».

iii. Les facteurs aggravants comprennent la gravité objective du comportement constituant un outrage au tribunal, la gravité subjective de ce comportement savoir si le comportement constitue un manquement technique ou si le

472. Where a person is found to be in contempt, a judge may order that (a) the person be imprisoned for a period of less than five years or until the person complies with the order; (b) the person be imprisoned for a period of less than five years if the person fails to comply with the order; (c) the person pay a fine; (d) the person do or refrain from doing any act; (e) in respect of a person referred to in rule 429, the person's property be sequestered; and (f) the person pay costs.

contrevenant a agi de façon flagrante en sachant bien que ses actions étaient illégales), et, le cas échéant, le fait que le contrevenant ait enfreint de façon répétitive des ordonnances de la Cour.

iv. Les facteurs atténuants peuvent comprendre des tentatives de bonne foi de se conformer à l’ordonnance (même après le manquement à l’ordonnance), des excuses ou l’acceptation de la responsabilité, ou le fait que le manquement constitue une première infraction.

[38] Adopter une conduite donnant lieu à un outrage au tribunal afin d’obtenir un avantage financier a été également considéré comme un facteur aggravant (Louis Vuitton Malletier, S.A. c. Bags O’Fun Inc., 2003 CF 1335). De plus, les profits découlant d’une conduite constituant un outrage au tribunal et la situation financière de l’auteur de l’outrage constituent des facteurs qui ont été pris en considération lors de l’évaluation de l’amende appropriée (Dursol-Fabrik Otto Durst GmbH Co. KG c. Dursol North America Inc., 2006 CF 1115).

V. ANALYSE A. Dédommagement [39] Le paragraphe 8(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence prévoit que le Tribunal a les attributions d’une cour supérieure d’archives pour l’exécution de ses ordonnances. La Cour suprême du Canada a statué dans l’arrêt Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394, que le Tribunal tire son pouvoir en matière d’outrage résultant de la violation de ses ordonnances du libellé de l’article 8 de la Loi sur le Tribunal de la concurrence. Aucune question n’a été soulevée dans cet arrêt quant à l’outrage criminel.

[40] Les tribunaux ont souligné que la procédure en matière d’outrage civil a pour but d’assurer le respect des ordonnances du tribunal. Dans l’arrêt United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901, la Cour a dit ce qui suit, à la page 943 :

Il importe de distinguer le droit en matière d’outrage criminel de l’outrage civil. L’outrage criminel vise, encore aujourd’hui, à punir la conduite qui, délibérément, déconsidère l’administration de la justice par les cours. D’autre part, l’objectif de l’outrage civil est d’assurer la conformité à la procédure d’un tribunal dont, notamment, celle d’une cour de justice. Voir B.C.G.E.U. c. Colombie‑ Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214, R. c. Hill (1976), 73 D.L.R. (3d) 621 (C.A.C.‑B.), à la p. 629, Poje c. Attorney General for British Columbia, [1953] R.C.S. 516. […] Dans une procédure pour outrage civil, la cour peut, pour assurer la conformité à une ordonnance, infliger une amende ou une autre peine qui sera exigée en cas de

violation. Toutefois, dans tous les cas, l’objectif est d’obtenir la conformité et non de punir.

(Le juge Sopinka était dissident, mais pas sur ce point. Voir également : Canada (Ministre du Revenu national) c. Marshall, 294 F.T.R. 297 (C.F.)).

[41] S’appuyant sur l’objet de la procédure pour outrage, les tribunaux ont généralement rejeté toute demande d’indemnisation présentée dans le cadre d’une telle procédure.

[42] Dans l’arrêt Pro Swing Inc. c. Elta Golf Inc., [2006] 2 R.C.S. 612, la juge Deschamps a conclu, au nom de la majorité, ce qui suit, à la page 635 :

En droit canadien, une ordonnance pour outrage au tribunal est avant tout une déclaration qu’une partie a transgressé une ordonnance judiciaire. Par conséquent, une requête pour outrage au tribunal ne peut être réduite à un moyen de faire pression sur un débiteur défaillant ou d’être indemnisé d’un préjudice.

[Non souligné dans l’original.] [43] Dans Wanderingspirit c. La Première nation Salt River 195, 2006 C.F. 1420, la Cour fédérale a conclu que le processus de détermination de la peine faisant suite à une déclaration d’outrage au tribunal ne permet pas à une partie de recouvrer des sommes. Dans cette affaire, deux personnes ont été reconnues coupables d’outrage au tribunal pour l’émission, l’autorisation et l’acceptation de chèques tirés sur les comptes de la Première nation Salt River (la PNSR), contrairement aux modalités de plusieurs ordonnances de la Cour. Les demandeurs ont fait valoir que si la Cour infligeait une amende, celle-ci devait être égale au montant qui aurait été puisé dans les comptes de la PNSR pour l’émission des chèques contrairement aux ordonnances. La juge Snider a refusé d’appliquer un tel principe et a dit ce qui suit :

En matière d’outrage, la peine a pour but de [TRADUCTION] « réparer l’atteinte portée à l’autorité de la Cour » (International Forest Products c. Kern, [2001] B.C.J. n o 135, au paragraphe 20 (C.A.C.‑B.)). En l’espèce, je dois déterminer si les auteurs de l’outrage ont fait fi d’une ordonnance judiciaire, et non s’ils ont volé des fonds à la PNSR. Pour cette raison, la peine devrait servir à rétablir la réputation de la Cour et à dissuader les auteurs de l’outrage d’enfreindre des ordonnances dans l’avenir. Elle ne vise pas à permettre aux demandeurs de recouvrer des sommes qu’ils estiment avoir été effectivement volées à la PNSR. De toute manière, les amendes sont versées à la Cour et non aux demandeurs.

[Non souligné dans l’original.]

[44] Enfin, dans Sussex Group Ltd. c. 3933938 Canada Inc. (c.o.b. Global Export Consulting) (2003), 124 A.C.W.S. (3d) 482, le juge Cumming de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a

dit qu’une procédure en matière d’outrage ne devrait pas jouer le rôle d’une action civile en responsabilité délictuelle : [TRADUCTION] La partie requérante Sussex Group Limited (Sussex) vise à obtenir l’imposition d’une amende en plus d’une peine d’emprisonnement et soutient que cette amende devrait être payable à Sussex plutôt qu’à la Couronne. Le directeur intérimaire et Sussex ont engagé sans aucun doute des dépenses additionnelles pour obtenir le respect de l’ordonnance du 30 septembre 2002 et ils auraient subi des dommages matériels importants par suite du préjudice causé aux relations commerciales de Sussex à Cuba. La Cour dispose d’un large pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 60.11(5) : Lougheed c. Thomson and McDonald, [1928] O.J. n o 165 (O.S.C.-H.C.D.); R. c. CHEK TV Ltd. (1987), 33 C.C.C. (3d) 24 (C.A. C.-B.). Une amende payable au bénéfice de la partie requérante conviendrait dans certaines circonstances. Toutefois, en l’espèce, il s’agit purement et simplement d’une procédure en matière d’outrage concernant les violations d’une ordonnance d’un tribunal. Cette procédure n’a pas et ne devrait pas jouer le rôle d’une action civile en responsabilité délictuelle ou d’une action pour inexécution de contrat. Le directeur intérimaire peut, évidemment, demander réparation pour les fautes civiles commises par les défendeurs dans le cadre d’une action civile.

[Non souligné dans l’original.] [45] À l’audience, les avocats de la demanderesse ont reconnu avec franchise qu’ils n’ont pas été en mesure de trouver un précédent à l’appui de sa thèse. Il appert de la jurisprudence susmentionnée que les cours supérieures ont refusé d’accueillir des demandes d’indemnisation présentées dans le contexte d’une procédure d’outrage.

[46] De plus, le principe selon lequel les dépens avocat-client sont généralement accordés dans une procédure d’outrage repose sur la politique voulant que le demandeur aide le tribunal en assurant le respect de ses ordonnances :

Bien entendu, dans des cas semblables, il arrive fréquemment que la personne reconnue coupable d’outrage au tribunal soit condamnée à payer les frais procureur-client à la partie qui a signalé le cas à l'attention de la Cour. La politique sous-jacente à cette tendance jurisprudentielle est claire : une partie qui aide la Cour à appliquer les ordonnances qu'elle rend et à en assurer le respect ne devrait pas être tenue de payer de sa poche les frais qu’elle engage à cette fin.

(voir Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 162 F.T.R. 169)

[47] Essentiellement, la demanderesse cherche à recouvrer les pertes qu’elle a subies parce que la défenderesse Westco a violé l’ordonnance provisoire du Tribunal. Cette situation est prévue à l’article 36 de la Loi, qui dispose :

36. (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite : a) soit d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI; b) soit du défaut d’une personne d’obtempérer à une ordonnance rendue par le Tribunal ou un autre tribunal en vertu de la présente loi, peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n’a pas obtempéré à l’ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du présent article.

(Non souligné dans l’original.) (my emphasis) [48] Le Tribunal de la concurrence, contrairement à la Cour fédérale, n’est pas un tribunal compétent au sens de l’article 36.

[49] À mon avis, la présence dans la Loi d’une disposition expresse relative aux pertes et aux dommages subis par suite d’une violation d’une ordonnance du Tribunal, et l’absence de toute disposition expresse conférant au Tribunal le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts, indiquent que le législateur ne voulait pas que le Tribunal dispose du pouvoir d’accorder des dommages-intérêts dans de telles circonstances.

[50] Par conséquent, je suis d’avis que le Tribunal n’a pas compétence pour accorder un dédommagement dans la présente affaire, et que tout préjudice découlant d’une violation d’une ordonnance du Tribunal devrait faire l’objet d’une action fondée sur l’article 36 de la Loi. Bien que la demanderesse ait reconnu la distinction qui existe entre des dommages-intérêts et un dédommagement, j’estime que dans le présent contexte, une demande en dédommagement permettant d’indemniser la demanderesse constitue essentiellement une demande en dommages-intérêts.

36. (1) Any person who has suffered loss or damage as a result of (a) conduct that is contrary to any provision of Part VI, or (b) the failure of any person to comply with an order of the Tribunal or another court under this Act, may, in any court of competent jurisdiction, sue for and recover from the person who engaged in the conduct or failed to comply with the order an amount equal to the loss or damage proved to have been suffered by him, together with any additional amount that the court may allow not exceeding the full cost to him of any investigation in connection with the matter and of proceedings under this section.

[51] Même si j’étais convaincu que le Tribunal a compétence, la demande en dédommagement de la demanderesse serait rejetée. La demanderesse affirme que les sanctions pénales sont applicables en matière d’outrage civil et, elle s’appuie donc sur la disposition relative au dédommagement figurant dans le Code criminel pour étayer sa demande. L’alinéa 738(1)a) du Code criminel énonce, comme suit, les circonstances permettant d’ordonner un dédommagement :

738(1) Lorsque le délinquant est condamné ou absous sous le régime de l’article 730, le tribunal qui inflige la peine ou prononce l’absolution peut, en plus de toute autre mesure, à la demande du procureur général ou d’office, lui ordonner : a) dans le cas la perte ou la destruction des biens d’une personne ou le dommage qui leur (a) in the case of damage to, or the loss or a été causé est imputable à la perpétration de l’infraction ou à l’arrestation ou à la tentative d’arrestation du délinquant, de verser à cette personne des dommages-intérêts non supérieurs à la valeur de remplacement des biens à la date de l’ordonnance moins la valeur à la date de la restitution de la partie des biens qui a été restituée à celle-ci, si cette valeur peut être facilement déterminée; (Non souligné dans l’original.)

[52] Cette disposition porte sur « la perte ou la destruction des biens d’une personne ». Je ne vois pas en quoi les 933 398 poulets qui n’ont pas été fournis à Nadeau sont des biens de celle-ci. Nadeau n’a pas payé pour les poulets ni n’en était la propriétaire. Elle a été plutôt privée de la possibilité d’acheter les poulets. Je suis également d’avis, compte tenu de la preuve, que la valeur en cause ne peut « être facilement déterminée ».

[53] Dans le même ordre d’idées, j’aurais également rejeté la demande d’indemnisation de Nadeau. Celle-ci n’a pas établi la valeur de la perte subie du fait que Westco a violé l’ordonnance provisoire du Tribunal. Nadeau n’a présenté aucune preuve concluante relative à ses profits pendant la période provisoire.

738(1) Where an offender is convicted or discharged under section 730 of an offence, the court imposing sentence on or discharging the offender may, on application of the Attorney General or on its own motion, in addition to any other measure imposed on the offender, order that the offender make restitution to another person as follows: destruction of, the property of any person as a result of the commission of the offence or the arrest or attempted arrest of the offender, by paying to the person an amount not exceeding the replacement value of the property as of the date the order is imposed, less the value of any part of the property that is returned to that person as of the date it is returned where the amount is readily ascertainable; (my emphasis)

B. Peine [54] Comme je l’ai dit plus haut dans les présents motifs, les pouvoirs de la cour en matière d’outrage ont pour but général d’assurer le fonctionnement harmonieux du système judiciaire, et le but principal des sanctions imposées dans une procédure en matière d’outrage est d’assurer le respect des ordonnances de la cour et non de punir l’auteur de l’outrage.

[55] Je souscris au résumé des facteurs à prendre en considération quant à la détermination de la peine énoncés par le juge Kelen dans la décision Canada (Ministre du Revenu national) c. Marshall, 2006 CF 788, et qui sont reproduits plus haut. J’examinerai maintenant leur application dans les circonstances de l’espèce.

1. Intention de désobéir [56] La question de l’intention de désobéir demeure importante. Les tribunaux ont traité avec indulgence les cas une partie agissait de bonne foi, croyant que sa conduite ne constituait pas un outrage au tribunal. Au paragraphe 92 des motifs de l’ordonnance et ordonnance pour outrage au tribunal, en date du 22 janvier 2010, il est énoncé ce qui suit :

L’ordonnance provisoire était claire. Elle prévoyait que les défenderesses, y compris Westco, continuent à approvisionner Nadeau en poulets vivants à un niveau hebdomadaire précis. Westco connaissait l’existence de l’ordonnance provisoire rendue par le Tribunal et lui a sciemment désobéi.

[57] Je reconnais qu’une conclusion de conduite qui ne fait pas état de désobéissance délibérée peut constituer un facteur atténuant dans l’imposition d’une peine, mais, dans les circonstances de la présente affaire, il ne m’est pas loisible de tirer une telle conclusion. En l’espèce, M. Soucy a reconnu que les quantités de poulets prévues à l’ordonnance provisoire n’ont pas été fournies. Il a choisi plutôt d’interpréter l’ordonnance d’une manière qui favorisait le projet d’entreprise à long terme de Westco, qui supposait la production de poulets plus gros. Il soutient que la fourniture d’un volume équivalent en kilogrammes de poulet suffisait pour se conformer à l’ordonnance. Le Tribunal a rejeté cette interprétation de l’ordonnance. En tirant cette conclusion, il a déclaré que l’ordonnance était claire. Westco admet maintenant que son interprétation de l’ordonnance provisoire était erronée. Elle soutient toutefois qu’elle n’a jamais voulu désobéir à cette ordonnance.

[58] L’ordonnance provisoire prévoyait clairement l’approvisionnement en poulets à un niveau hebdomadaire précis. Les termes de l’ordonnance étaient clairs et simples. Dans les circonstances, on ne saurait affirmer que Westco a agi de bonne foi, croyant que sa conduite ne constituait pas une violation de l’ordonnance. À mon avis, il n’était pas loisible à Westco d’interpréter l’ordonnance de cette manière et de substituer au nombre de poulets requis son équivalent en kilogrammes.

2. Efforts pour se conformer à l’ordonnance [59] Westco soutient qu’elle a fait des efforts de bonne foi pour se conformer à l’ordonnance provisoire et régler le différend en matière d’approvisionnement provisoire avec Nadeau. Au paragraphe 90 de la décision relative à l’outrage, le Tribunal a conclu ce qui suit :

Le dossier établit que Westco avait l’intention de poursuivre son projet d’entreprise à long terme, lequel, selon ses dires, rendait impossible le respect de l’ordonnance provisoire. Elle n’a pratiquement fait aucun effort pour rajuster sa production ou d’autres démarches pour se conformer à l’ordonnance provisoire.

[60] Le Tribunal a également conclu qu’il n’était pas impossible pour Westco de se conformer à l’ordonnance provisoire, comme elle l’avait allégué. Ce facteur n’aidera donc pas Westco.

3. Excuses [61] À l’audience de détermination de la peine, M. Soucy a présenté des excuses pour le compte de Westco. Il a également accepté la responsabilité pour la conduite de Westco. J’accepte ces excuses au nom du Tribunal et je les considère comme ayant été données sans réserve. Toutefois, bien que sincères, ces excuses étaient tardives. Elles n’ont pas été présentées dans un délai qui permettrait d’atténuer la peine. Elles ont été faites à la toute dernière minute.

4. Gravité de l’outrage au tribunal [62] Il n’est pas contesté que, pour les besoins de la présente procédure, l’ordonnance est valide. L’auteure de l’outrage a fait valoir que le Tribunal devrait tenir compte du fait que Westco a finalement obtenu gain de cause dans la demande principale. À mon avis, le fait que Westco a eu gain de cause dans la demande principale n’a aucune incidence sur la peine à infliger pour avoir désobéi à l’ordonnance provisoire.

[63] L’auteure de l’outrage fait valoir que, bien qu’elle ait omis de fournir le nombre requis de poulets aux termes de l’ordonnance provisoire, elle a fourni néanmoins une quantité importante des poulets qu’elle était tenue de livrer, à savoir 84 %. Westco ajoute que le pourcentage de poulets fournis est plus élevé lorsqu’on tient compte de la réduction des contingents.

[64] Il est vrai qu’un nombre important de poulets a été fourni, cependant celui-ci ne suffisait pas à justifier une conclusion portant que Westco s’est substantiellement conformée à l’ordonnance. L’auteure de l’outrage a omis de fournir 933 398 poulets pendant 38 semaines. Cette diminution du nombre requis est importante et va plus loin qu’un manquement technique. L’outrage au tribunal est une question grave. Toutefois, Westco a fourni à Nadeau un nombre important de poulets pendant la période visée par l’outrage au tribunal et leur poids en kilogrammes équivaut essentiellement à celui du nombre de poulets qui auraient été fournis si elle s’était conformée à l’ordonnance. Ces circonstances militeront en faveur d’une amende moins élevée pour outrage au tribunal.

5. Profits [65] M. Soucy a témoigné que Westco n’a pas tiré profit de l’outrage. Dans son affidavit souscrit le 29 mai 2008 à l’appui de l’opposition de Westco à la demande de mesures provisoires présentée par Nadeau, M. Soucy a indiqué que Westco réaliserait des profits de l’ordre de [CONFIDENTIEL]$ par semaine en vendant ses poulets à Olymel plutôt qu’à Nadeau. Selon lui, d’importantes économies de coûts seraient réalisées en fournissant des poulets plus gros à Olymel. Il a dit que, vu la convention de partage de profits conclue avec Olymel, Westco réaliserait aussi des profits additionnels sur la vente des poulets produits par elle-même et transformés par Olymel. Toutefois, lors de son témoignage à l’audience de détermination de la peine, M. Soucy a indiqué que les profits prévus ne se sont pas concrétisés. Il a également produit des éléments de preuve indiquant que les poulets avaient été vendus à Olymel au même prix que les poulets vendus à Nadeau pendant la période provisoire.

[66] Je suis convaincu que, vu le nombre réduit de poulets qu’elle a fournis à Olymel pendant la période provisoire, Westco n’a pas obtenu les profits additionnels prévus par M. Soucy dans l’affidavit mentionné plus haut. Toutefois, compte tenu de la preuve par affidavit, je n’accepte pas le témoignage de M. Soucy selon lequel Westco n’a réalisé absolument aucun profit additionnel. Le problème est que le Tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve fiables pour quantifier ces profits. Par conséquent, ils ne peuvent pas être pris en considération pour déterminer le montant de l’amende. Par contre, le fait que Westco a violé l’ordonnance provisoire en vue de réaliser un avantage financier sera considéré comme un facteur aggravant.

6. Déclarations de culpabilité antérieures [67] Westco est reconnue coupable d’outrage au tribunal pour la première fois. Cela joue en faveur de l’auteure de l’outrage.

7. Dissuasion [68] Comme je l’ai dit plus haut dans les présents motifs, la dissuasion particulière et la dissuasion générale constituent des facteurs auxquels il faut accorder une grande attention lorsque l’on impose une amende pour outrage au tribunal, la seule peine qui reste dans le cas des sociétés (Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2003 CAF 234). Dans la décision Louis Vuitton S.A. c. Tokyo-Do Enterprises Inc. et al., 37 C.P.R. (3d) 8, (C.F. 1 re inst.), le juge Pinard a décrit la dissuasion en disant que « si ceux ou celles qui se font prendre en sortent sans égratignures, ça a pour effet d’encourager ces activités et de détruire, en conséquence, l’effet visé par les lois qui sont édictées ».

[69] De plus, dans Baxter Travenol Laboratories of Canada, Ltd. c. Cutter (Canada), Ltd., [1987] 2 C.F. 557 (C.A.F.), le juge Urie a dit, au nom de la majorité, que l’imposition d’une amende symbolique « serait incompatible avec la gravité des infractions reprochées et risquerait d’encourager d’autres personnes à se moquer de la loi s’il y va de leur intérêt pécuniaire ».

[70] Par conséquent, pour évaluer le montant de l’amende, il faut prendre en considération le fait que l’amende doit dissuader à la fois Westco et autres entreprises d’adopter un comportement constituant un outrage au tribunal.

8. Conclusion [71] À la lumière de tout ce qui précède, je conclus qu’une amende de 75 000 $ est juste et raisonnable dans les circonstances.

C. Dépens [72] La pratique habituelle dans les affaires d’outrage au tribunal consiste à adjuger des dépens avocat-client à la partie qui demande l’exécution de l’ordonnance du tribunal (M.R.N. c. Bjornstad, 2006 DTC 6492). Les dépens ne peuvent toutefois être déraisonnables ou excessifs (Brilliant Trading Inc. c. Wong, 2006 CF 254, au paragraphe 5). De plus, la condamnation aux dépens ne doit pas donner lieu à l’imposition d’une peine indue à l’auteur de l’outrage (Coco-Cola Ltd. c. Pardhan (c.o.b. Universal Exporters) (2000), 5 C.P.R. (4 th ) 333). [73] La demanderesse a réclamé les dépens avocat-client au montant de 587 850,48 $, incluant la TPS et les débours. À mon avis, ce montant est déraisonnable et constituerait une peine indue pour Westco.

[74] Je ne suis pas convaincu que des honoraires d’avocat de 496 790,95 $ soient justifiés et je suis d’avis qu’il existe plusieurs motifs pour lesquels le Tribunal devrait réduire les honoraires d’avocat réclamés par Nadeau.

[75] Dans son mémoire de frais du 23 février 2010, la demanderesse a commis une erreur à la page 5, concernant les frais à l’égard de Sarah Hickey. Cela a donné lieu à un montant de 27 197,10 $ facturé en trop, ce qui laisse 469 593,85 $ pour les frais réclamés.

[76] De plus, les honoraires d’avocat et les débours engagés jusqu’à février 2009 devraient être réduits compte tenu du fait que la requête de Nadeau en vue d’obtenir une ordonnance de justification contre Dynaco et Acadia a été rejetée. Les honoraires d’avocat réclamés à l’égard des requêtes interlocutoires dans le cas les ordonnances ne traitaient pas de dépens ne devraient pas être adjugés; le nombre d’avocats à l’égard desquels des honoraires ont été réclamés est déraisonnable. Un avocat pour l’audience de justification et pour l’audience de détermination de la peine et deux avocats pour l’audience en matière d’outrage au tribunal constituerait un nombre raisonnable. De plus, le mémoire de frais présenté pour Nadeau ne fournit pas suffisamment de détails pour permettre au Tribunal de déterminer exactement les frais engagés pour chacune des tâches. Cette lacune rend difficile l’évaluation du caractère raisonnable des honoraires d’avocat réclamés.

[77] Par conséquent, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales, je fixerai à 200 000 $, TPS incluse, les honoraires d’avocat dans la présente affaire.

[78] Dans le même ordre d’idées, j’estime que les débours de 63 460,95 $ ne sont pas pleinement justifiés. Premièrement, il n’est pas clair si une partie des débours réclamés ont été engagés dans le contexte de la procédure fondée sur l’article 75 ou de la procédure en matière d’outrage. Deuxièmement, les débours relatifs au déplacement du deuxième et/ou du troisième avocat devraient être refusés. Par conséquent, je ramènerais à 50 000 $, TPS incluse, les débours réclamés par la demanderesse.

[79] Les présents motifs sont confidentiels. Pour permettre au Tribunal de publier une version publique, les parties se rencontreront et essayeront de conclure une entente relativement à toute suppression nécessaire pour protéger les éléments de preuve confidentiels.

PAR CONSÉQUENT, POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ORDONNE : [80] 1. La défenderesse Westco doit payer une amende de 75 000 $ dans un délai de soixante (60) jours suivant la présente ordonnance.

2. La défenderesse Westco doit payer à la demanderesse la somme globale de 250 000 $, à titre de dépens.

3. Au plus tard le jeudi 14 octobre 2010, les parties doivent écrire conjointement au Tribunal pour présenter leur entente et lui faire part de tout désaccord au sujet de la suppression de certains passages des présents motifs confidentiels.

FAIT à Ottawa, ce 24 e jour de septembre, 2010. SIGNÉ au nom du Tribunal par le juge Blanchard. (s) Edmond P. Blanchard Traduction certifiée conforme Semra Denise Omer

AVOCATS : Pour la demanderesse Nadeau Ferme Avicole Limitée/Nadeau Poultry Farm Limited Leah Price Ron Folkes Joshua Freeman

Pour la défenderesse Groupe Westco Inc. Denis Gascon Martha A. Healey Éric C. Lefebvre Alexandre Bourbonnais Geoffrey Conrad

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