Documentation

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Competition Tribunal Tribunal de la concurrence Référence : B-Filer Inc c Banque de Nouvelle-Écosse, 2005 Trib conc 52 o N de dossier : CT-2005-006 o N de document du greffe : 211 AFFAIRE CONCERNANT la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, dans sa version modifiée;

ET AFFAIRE CONCERNANT une demande d’ordonnance provisoire présentée par B-Filer Inc, faisant affaire sous les noms de GPAY Guaranteed Payment et Npay Inc, en vertu de l’article 104 de la Loi sur la concurrence.

ENTRE : B-Filer Inc, faisant affaire sous les noms de GPAY Guaranteed Payment et Npay Inc (demanderesses)

et La Banque de Nouvelle-Écosse (défenderesse)

Date de l’audience : Le 12 novembre 2005 Devant le membre judiciaire : Madame la juge Simpson (présidente) Date des motifs : Le 6 janvier 2006 Motifs signés par : Madame la juge Sandra J. Simpson

MOTIFS DE L’ORDONNANCE DATÉE DU 14 DÉCEMBRE 2005 REJETANT LA DEMANDE DE REDRESSEMENT PROVISOIRE

[1] B-Filer Inc, faisant affaire sous les noms de GPAY Guaranteed Payment et Npay Inc (les « demanderesses ») a présenté au Tribunal une demande d’ordonnance provisoire rétablissant les services bancaires que la Banque de Nouvelle-Écosse (la « défenderesse ») avait fournis aux demanderesses en mai 2005. Le 11 mai 2005, les demanderesses ont reçu un avis de résiliation les informant que leurs services bancaires prendraient fin le 15 juin 2005. Toutefois, la résiliation des services de bénéficiaires est entrée en vigueur le 18 septembre 2005 et les comptes commerciaux des demanderesses ont été fermés le 26 septembre 2005. Le 14 décembre 2005, le Tribunal a rejeté la demande d’ordonnance provisoire et a déclaré que les motifs suivraient. Voici les motifs de cette ordonnance.

[2] Une description détaillée des activités des demanderesses figure dans les motifs de l’ordonnance rendue par le Tribunal accordant l’autorisation de présenter une demande en vertu de l’article 75 (B-Filer Inc c Banque de Nouvelle-Écosse, 2005 Trib conc 38) et ne sera pas reprise dans les présentes.

LE CRITÈRE POUR REDRESSEMENT PROVISOIRE [3] L’article 104 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, dans sa version modifiée (la « Loi »), précise qu’une personne qui a présenté une demande en vertu de l’article 75 peut demander au Tribunal de rendre une ordonnance provisoire. L’article 104 prévoit également que le Tribunal « peut rendre toute ordonnance provisoire qu’il considère justifiée conformément aux principes normalement pris en considération par les cours supérieures en matières interlocutoires et d’injonction ».

[4] La jurisprudence qui énonce les principes à appliquer dans le cadre d’une demande d’injonction est la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire RJR - MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [I994] 1 RCS 311. Dans cette décision, la Cour suprême reprend le critère établi dans l’affaire Manitoba (Procureur général) c Metropolitan Stores (MTS) Ltd, 119871, dont la décision a été tirée de la décision anglaise rendue dans American Cyanamid Co c Ethicon Ltd, [I975] AC. 396. En bref, pour rendre une ordonnance d’injonction, un tribunal doit être convaincu qu’il existe une question sérieuse à trancher et que le fait de ne pas accorder de redressement provisoire causera un préjudice irréparable au demandeur et que, par ailleurs, la prépondérance des inconvénients penche en faveur du demandeur. La décision en l’espèce portait sur la question du préjudice irréparable.

[5] En ce qui concerne la question du préjudice irréparable, la Cour suprême indique dans RJR-MacDonald que la question est de savoir « si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l’intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation [...] » à la p 341. La Cour suprême poursuit comme suit :

Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. C’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre. Des exemples du premier type sont le cas la décision du tribunal aura pour effet de faire perdre à une partie son entreprise ([...]); le cas une partie peut subir une perte commerciale permanente ou un préjudice irrémédiable à sa réputation commerciale ([...]); […] la p 341)

PRÉJUDICE IRRÉPARABLE [6] Cependant, les demanderesses n’ont pas établi l’existence d’un préjudice irréparable. Le Tribunal est arrivé à cette conclusion en se fondant sur les constatations suivantes relatives à chaque allégation de préjudice.

Perte des services de bénéficiaires et des comptes bancaires auprès de la défenderesse

[7] Les demanderesses prétendent qu’elles ne peuvent pas continuer à faire affaire comme avant, car elles ne sont plus capables d’utiliser le service électronique de paiement de factures de la défenderesse, lequel permettait aux clients des demanderesses de payer directement les demanderesses en utilisant la procédure de « bénéficiaire » [TRADUCTION]. En outre, elles ont perdu les comptes bancaires qu’elles détenaient auprès de la défenderesse, lesquels leur permettaient de déposer l’argent reçu par transferts électroniques de fonds TEF ») ou par l’entremise du service de bénéficiaires. Cependant, il semblerait que les demanderesses aient conclu de nouveaux arrangements bancaires avec la Banque Royale du Canada RBC ») et la Banque de Montréal BMO ») afin de remplacer les services de la défenderesse et de pouvoir poursuivre leurs activités.

[8] À l’heure actuelle, les demanderesses ont encore le statut de bénéficiaire auprès de la RBC, de la BMO et des caisses populaires. Par ailleurs, pour les clients de la Banque Toronto-Dominion TD »), de la Banque Canadienne Impériale de Commerce CIBC »), des Alberta Treasury Branches ATB ») et de la défenderesse, les paiements peuvent être effectués au moyen de TEF vers les comptes de la RBC et de la BMO. Les demanderesses soutiennent que la valeur en dollars des paiements a sensiblement diminué à cause de la perte du statut de bénéficiaire chez la défenderesse. Elles affirment qu’étant donné qu’elles n’ont plus le statut de bénéficiaire, les acheteurs qui sont des clients de la défenderesse doivent payer de nouveaux frais de service, soit 1,50 $, et la valeur de leurs transactions ne peut pas dépasser 1 000 $ lorsqu’ils utilisent les services des demanderesses. Cependant, les demanderesses n’ont présenté aucune preuve indiquant que les frais supplémentaires ou que la nouvelle limite de 1 000 $ ont eu un effet dissuasif sur les acheteurs. Bien qu’il y ait eu une diminution importante de la valeur en dollars des transactions effectuées par les clients de la défenderesse, le nombre de transactions n’a pas diminué de façon considérable. De plus, le Tribunal n’a pas reçu d’éléments de preuve montrant de quelle manière la baisse de la valeur en dollars avait eu une incidence sur le revenu total des demanderesses.

[9] Par le passé, les demanderesses ont perdu leur statut de bénéficiaire chez la TD et la CIBC. D’après les éléments de preuve présentés au cours du contre-interrogatoire, le Tribunal est convaincu que les clients de ces banques sont passés du paiement électronique de factures au TEF dans le but de continuer à traiter avec les demanderesses, et que les activités commerciales des demanderesses ont continué à prendre de l’importance. Aucune preuve présentée au Tribunal ne permettrait de conclure que la situation sera différente cette fois-ci. En effet, les éléments de preuve montrent que les clients de la défenderesse ont déjà commencé à passer du paiement électronique de factures au TEF. Il y a eu une diminution de septembre 2005 à octobre 2005 la suite de la résiliation), mais s’en est suivie une augmentation (même si les chiffres restent plus faibles qu’avant la résiliation) au cours de la période allant d’octobre 2005 à novembre 2005.

Risque de résiliation soudaine de la part de la BMO et de la RBC [10] Les demanderesses craignent que la RBC et la BMO mettent fin à leurs arrangements bancaires de remplacement. C’est pourquoi elles demandent au Tribunal de rétablir leur relation avec la défenderesse au moyen d’une ordonnance de redressement provisoire, en attendant que soit rendue une décision sur le fond de leur demande présentée en vertu de l’article 75. Toutefois, d’après les éléments de preuve présentés, il n’y a aucune raison de penser que la RBC et la BMO mettront fin à leurs services. Plus précisément, aucun élément de preuve n’a été présenté en ce qui a trait à la relation contractuelle avec la RBC et la BMO qui amènerait le Tribunal à conclure que les services pourraient être résiliés avant l’audience demandée en vertu de l’article 75. Au contraire, d’après les témoignages de M. Grace et de M. Iuso recueillis lors du contre-interrogatoire, il semblerait que les banques soient au courant de la situation et soient prêtes à continuer d’offrir les services. Enfin, maintenant que l’autorisation a été accordée à l’égard de la demande présentée en vertu de l’article 75, une ordonnance de réparation serait rapidement mise à disposition si les circonstances venaient à changer.

Croissance compromise [11] Même si les demanderesses admettent qu’elles sont actuellement en mesure de traiter les paiements pour les acheteurs et les commerçants, et qu’elles n’ont pas eu à refuser de servir des clients potentiels, elles soutiennent que les circonstances actuelles limitent leur potentiel de croissance. Plus précisément, le fait qu’elles ne puissent proposer les TEF qu’aux clients de la défenderesse exclut les paiements de plus de 1 000 $. Toutefois, aucune preuve n’a été présentée pour démontrer que le nombre d’achats de plus de 1 000 $ effectués par les clients de la défenderesse a diminué après la résiliation ou que l’imposition de la limite de 1 000 $ a eu une incidence sur l’ensemble des activités commerciales des demanderesses. Par conséquent, il est impossible d’affirmer que la limite de 1 000 $ a causé ou causera un préjudice irréparable.

[12] Les demanderesses soutiennent aussi que la capacité de traitement de leurs arrangements de compte actuels atteint rapidement sa limite, empêchant tout essor futur. Toutefois, la résiliation a eu lieu il y a deux mois et les limites auxquelles sont soumis les comptes n’ont pas encore été atteintes. De plus, il n’y a aucune preuve donnant à penser que, si les limites étaient atteintes avant la tenue de l’audience sur le fond de la demande présentée en vertu de l’article 75, les banques ne seraient pas disposées à repousser ces limites.

[13] Les demanderesses soutiennent également qu’elles risquent de perdre leur longueur d’avance sur le marché, si la BMO et la RBC décident de fermer leurs comptes et de mettre fin au service de bénéficiaires, ne laissant plus que le service Interac en ligne comme moyen d’effectuer des paiements par carte de débit sur Internet. Cependant, aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer qu’Interac en ligne est actuellement une solution de rechange viable pour les activités des demanderesses. Comme on peut le lire dans Aventis Pharma SA et al c Novopharm Ltd, e 2005, 40 CPR (4 ) 210, aux paras 85 et 113, le risque spéculatif ne constitue pas un préjudice irréparable.

Atteinte à la réputation [14] Les demanderesses soutiennent que la perte des services offerts par la défenderesse a eu une incidence sur leur réputation et sur leur légitimité, et a eu des répercussions défavorables sur les clients actuels et sur les clients potentiels (commerçants). De plus, les allégations répétées de la défenderesse en ce qui concerne le blanchiment d’argent et des casinos possédés illégalement à l’étranger risquent également de ternir la réputation des demanderesses; le rétablissement des services bancaires permettrait de montrer que les allégations sont infondées et renforcerait la réputation des demanderesses.

[15] Les allégations négatives constituent un problème bien concret dans un litige et, en l’espèce, ont été quelque peu atténuées par les motifs exposés par le Tribunal au soutien de l’autorisation. Par ailleurs, les demanderesses n’ont présenté aucune preuve que la perte des services de la défenderesse avait eu une incidence sur leurs relations avec leurs clients actuels ou potentiels. De plus, deux banques de l’annexe I continuent de servir les demanderesses et l’affidavit de monsieur Grace comportait une lettre de recommandation de la BMO indiquant qu’il était « un client exceptionnel de la Banque de Montréal » [TRADUCTION] depuis octobre 1998. Dans de telles circonstances, le Tribunal n’a pas été convaincu que les demanderesses ont subi le préjudice allégué.

CONCLUSION [16] En résumé, les demanderesses n’ont pas démontré de façon convaincante qu’elles risquent de subir un préjudice irréparable durant la période transitoire précédant l’audition de la demande présentée en vertu de l’article 75. En attendant qu’une décision définitive soit prise, les services bancaires actuels sont appropriés. Cette conclusion ne préjuge en rien de la conclusion du Tribunal à l’égard de la demande présentée en vertu de l’article 75. Les arrangements actuels sont suffisants pour le moment. Ils peuvent s’avérer inadéquats pour une croissance à long terme. Ce qui importe aux fins de la présente demande est que le Tribunal n’a reçu aucun élément de preuve montrant que les demanderesses ne sont pas capables de répondre aux attentes des acheteurs et des commerçants.

[17] Étant donné que les demanderesses n’ont pas établi l’existence d’un préjudice irréparable, le Tribunal ne voit pas la nécessité d’examiner la question sérieuse ou la prépondérance des inconvénients.

[18] Pour ces motifs, la présente demande a été rejetée par ordonnance du Tribunal datée du 14 décembre 2005.

e FAIT à Ottawa, ce 6 jour de janvier 2006. SIGNÉ au nom du Tribunal par la présidente du Tribunal. (s) Sandra J. Simpson

COMPARUTIONS Pour les demanderesses : B-Filer Inc, faisant affaire sous les noms de GPAY Guaranteed Payment et Npay Inc

Sharon Dalton Adam N. Atlas

Pour la défenderesse : La Banque de Nouvelle-Écosse F. Paul Morrison Lisa M. Constantine

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.