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Tribunal de la concurrence Competition Tribunal PUBLIQUE Référence : RONA INC. c. Commissaire de la concurrence 2005, Trib. Concurr. 18 N o de dossier : CT-2003/007 N o de document du Greffe : 0089b EN MATIÈRE DE la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, et ses modifications ; ET EN MATIÈRE DE l’acquisition de Réno-Dépôt Inc. par RONA Inc. ; ET EN MATIÈRE D’UNE demande pour modification d’un consentement selon le paragraphe 106(1) de la Loi sur la concurrence.

E N T R E : RONA INC. (demanderesse)

et LA COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE (défenderesse)

et ERNST & YOUNG ORENDA CORPORATE FINANCE INC. (intervenante)

Date de l’audience : 20050404 au 20050408, 20050411 au 20050415, 20050419, 20050425, 20050426 Formation : M. le juge Blais (président), M. le juge Lemieux, et Mme L. Riedle Date des motifs et de l’ordonnance : Le 30 mai 2005 Les motifs de jugement et l’ordonnance rendus sous la signature de : M. le juge Pierre Blais, M. le juge François Lemieux, Mme Lucille Riedle

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Table des matières I. Introduction II. Faits A. Contexte : le consentement B. Témoins C. Déroulement chronologique III. Dispositions législatives applicables IV. Questions en litige V. Analyse A. Position des parties 1) Position de RONA 2) Position de la Commissaire B. Analyse du Tribunal 1) L’interprétation du nouveau libellé du paragraphe 106(1) 2) Les conditions du paragraphe 106(1) sont-elles remplies ? [79] 3) Existe-t-il d’autres circonstances qui justifieraient que le Tribunal n’accueille pas la demande de RONA ?

VI. Conclusion

[1] [4] [11] [22] [66] [67] [68] [69] [72] [90]

[127]

I. INTRODUCTION [1] La demanderesse RONA Inc. («RONA») a saisi le Tribunal de la concurrence (le «Tribunal») d’une demande en vertu de l’article 106 de la Loi sur la concurrence, (1985), ch. C-34, et ses modifications (la «Loi»), pour faire annuler le consentement signé le 3 septembre 2003 par RONA et le Commissaire de la concurrence (le «Commissaire» ou la «Commissaire», selon la date des événements. Le consentement a été signé par M. Gaston Jorré, Commissaire par intérim. Mme Sheridan Scott, la Commissaire actuelle, est entrée en fonctions le 12 janvier 2004).

[2] Au début de l’audition, le Tribunal était également saisi d’une requête pour faire approuver la vente d’un magasin appartenant à RONA, dont le dessaisissement faisait l’objet du consentement. Les parties ont présenté au Tribunal un projet conjoint d’ordonnance pour régler ce litige. L’ordonnance a été rendue le 29 avril 2005 (RONA Inc. c. Commissaire de la concurrence, 2005, Trib. Concurr. 16).

[3] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal accueille la demande de RONA et annule le consentement enregistré par le Tribunal le 4 septembre 2003.

II. FAITS A. CONTEXTE : LE CONSENTEMENT [4] En avril 2003, RONA a conclu une convention d’achat en vue d’acquérir de la société Kingfisher plc toutes les actions d’une société concurrente, Réno-Dépôt, au prix de 350 millions de dollars la transaction »). Cette transaction permettait à RONA de devenir propriétaire des vingt magasins de quincaillerie-rénovation appartenant à la société Réno-Dépôt, soit 14 magasins affichant la bannière Réno-Dépôt au Québec, ainsi que 6 magasins appelés « The Building Box » situés en Ontario.

[5] Puisqu’il s’agissait, aux termes de la Loi, d’un fusionnement qui dépassait les seuils fixés à la Partie IX de la Loi (Transactions devant faire l’objet d’un avis), RONA et Réno-Dépôt ont soumis au Commissaire un préavis de fusionnement, auquel s’est ajoutée une analyse concurrentielle visant à démontrer que le fusionnement n’empêcherait pas la concurrence et ne diminuerait pas sensiblement la concurrence dans tous les marchés affectés par le fusionnement, soit les marchés RONA acquérait un magasin auparavant la propriété de Réno-Dépôt.

[6] Au terme de sa propre enquête, le Commissaire avait quelques réserves quant à l’effet de l’achat des magasins de Réno-Dépôt sur la concurrence dans le marché des grandes surfaces de vente au détail des produits de quincaillerie-rénovation, et a conclu que l’achat risquait vraisemblablement de diminuer sensiblement la concurrence dans la région de Sherbrooke. Après des discussions menées au mois d’août 2003, le Commissaire a indiqué que si RONA consentait à se dessaisir du magasin Réno-Dépôt à Sherbrooke l’entreprise de Sherbrooke »), le Commissaire ne s’opposerait pas à la transaction. Le consentement qui traduisait cette entente a été signé le 3 septembre 2003, et a été enregistré au Tribunal le 4 septembre 2003. RONA a clôturé la transaction avec Kingfisher pour l’acquisition des actions de Réno-Dépôt le 10 septembre 2003.

[7] Le consentement prévoyait que le dessaisissement devait avoir lieu dans les cinq mois suivant la clôture de la transaction. Si le dessaisissement n’avait pas lieu dans le délai prévu, le Commissaire devait nommer un fiduciaire, après avoir consulté RONA. Le fiduciaire, aux termes du consentement, disposait de tous les pouvoirs nécessaires pour réaliser la vente. Il devait prendre les mesures raisonnables pour réaliser la vente dans les six mois suivant sa nomination.

[8] RONA pouvait s’opposer à la vente par fiduciaire, si celui-ci contrevenait aux dispositions du consentement. Le consentement prévoyait notamment que la vente devait se faire à un acquéreur qui exploiterait l’entreprise pour la vente au détail de produits de quincaillerie-rénovation, et qui aurait les capacités financières et opérationnelles pour ce faire.

[9] Le consentement prévoyait qu’à la suite d’une entente ayant force obligatoire avec un acquéreur, le fiduciaire devait donner un avis de dessaisissement au Commissaire et à RONA. Dans les 14 jours de cet avis, le Commissaire ou RONA pouvait demander des renseignements supplémentaires sur le dessaisissement proposé. Dans les 21 jours suivant la réception des renseignements supplémentaires, le Commissaire ou RONA pouvait aviser le fiduciaire de son opposition. Si l’une ou l’autre partie faisait opposition, la vente par fiduciaire ne pourrait procéder qu’avec l’approbation du Tribunal.

[10] Le consentement comportait deux clauses permettant sa modification : la clause 18, qui permettait aux parties de convenir de toute modification, et la clause 21, qui permettait à l’une ou l’autre partie de s’adresser au Tribunal pour modifier ou annuler toute disposition pour changement de circonstances, conformément à l’article 106 de la Loi.

B. TÉMOINS [11] Le Tribunal a entendu plusieurs témoins. Voici un bref résumé de leurs témoignages. Le déroulement chronologique des événements qui suivra a été établi surtout à partir des témoignages de M. Guévin et de Mme Laflamme.

M. Claude Guévin, Vice–président et chef de la direction financière chez RONA [12] M. Guévin a témoigné sur tout le processus menant au consentement et au dessaisissement, à partir d’avril 2003, date de la transaction avec Kingfisher pour l’achat des actions Réno-Dépôt, jusqu’à la demande d’annulation déposée le 10 janvier 2005.

M. Claude Marcoux, Directeur du développement urbain pour la ville de Sherbrooke [13] M. Marcoux a témoigné sur le développement du site du Plateau St-Joseph, à Sherbrooke, qui accueillera le nouveau Home Depot, un magasin de grande surface de quincaillerie-rénovation, ainsi que sur les démarches précises de Home Depot auprès de la ville pour obtenir les divers permis pour le déboisement, la construction, etc.

M. Robert Frodyma, Directeur du département de développement immobilier chez Home Depot [14] M. Frodyma a témoigné de façon assez vague sur le développement du projet de Home Depot à Sherbrooke ainsi que sur les échanges avec le Bureau de la concurrence (le «Bureau») à ce sujet. Des deux témoins de Home Depot, M. Frodyma et M. Rivet (voir plus loin), le Tribunal retient le témoignage de M. Rivet comme étant plus détaillé et précis.

M. David Taras, Directeur exécutif et avocat général de First Pro [15] M. Taras travaille pour First Pro, un important promoteur immobilier dans le secteur des centres commerciaux. First Pro est le promoteur immobilier de Wal-Mart au Canada, et travaille souvent avec Home Depot. First Pro est la compagnie qui s’est occupée du site du Plateau St-Joseph à Sherbrooke. M. Taras a témoigné que dès septembre 2003, il y avait un intérêt pour le site de la part de Home Depot. First Pro et Home Depot ont clos la vente du terrain le 21 février 2005, mais la planification de l’aménagement s’est déroulée bien avant. M. Taras a témoigné qu’en novembre ou décembre 2004, First Pro avait la certitude que Home Depot s’installerait sur le site, soit bien avant la clôture de la vente du terrain.

M. Mike Ferris, Vice-président régional pour l’Ontario chez Canadian Tire [16] [CONFIDENTIEL]

M. Sylvain Rivet, gestionnaire en développement immobilier chez Home Depot [17] M. Rivet a témoigné que Home Depot avait commandé un plan préliminaire pour l’installation d’un magasin sur le Plateau St-Joseph à Sherbrooke en décembre 2003. En février 2004, lorsque M. Rivet est entré en fonctions chez Home Depot, une étude par MapInfoThomson sur le marché de Sherbrooke était déjà en cours. Le rapport a été remis le 29 mars 2004. À partir de ce moment, pour M. Rivet, il était acquis que le projet deviendrait une réalité. À partir du 8 avril 2004, Sherbrooke était à l’ordre du jour des réunions du comité du développement immobilier.

M. Brian Fahey, président-fondateur du cabinet Fahey & Associates [18] Le cabinet de M. Fahey offre des services professionnels d’urbanisme et d’architecture paysagiste. M. Fahey a témoigné que Home Depot l’a mandaté en décembre 2003 pour élaborer des plans de site pour accueillir un magasin Home Depot sur le Plateau St-Joseph. Les travaux se sont poursuivis sérieusement à partir d’août 2004.

Mme Andrée Laflamme, agente du droit de la concurrence au Bureau de la concurrence [19] Mme Laflamme, engagée depuis le début dans le processus du fusionnement RONA-Réno-Dépôt, a témoigné sur tout le processus menant au consentement et au dessaisissement, depuis l’avis obligatoire d’avril 2003 jusqu’à février 2005.

M. Marv Ettinger, ex-directeur du magasin Réno-Dépôt à Sherbrooke et ex-vice-président de l’acquéreur

[20] M. Ettinger a témoigné sur le processus d’acquisition de l’entreprise de Sherbrooke et la façon dont l’acquéreur entendait exploiter l’entreprise.

[21] De façon générale, le Tribunal a trouvé les témoins crédibles. La Commissaire a soulevé dans son argumentation finale la crédibilité du témoignage de M. Guévin. Le Tribunal ne considère pas les points soulevés par la Commissaire comme étant d’une importance déterminante dans sa décision, ni comme entachant la crédibilité de M. Guévin. La taille du déficit de l’entreprise de Sherbrooke, la proportion des produits ou la superficie des magasins de grande surface ne sont pas des questions charnières, et l’imprécision s’explique aisément. Que la participation de M. Guévin à la rédaction de la clause 20 (devenue 21) du consentement ait été directe ou indirecte importe peu. Les apparentes contradictions que souligne la Commissaire dans le témoignage de M. Guévin paraissent davantage refléter une perspective différente de celles d’autres témoins sur les mêmes événements. Le Tribunal y voit des différences mineures, plutôt que des contradictions. Dans l’ensemble, le Tribunal note plutôt la concordance des témoignages des deux principaux témoins, Mme Laflamme et M. Guévin.

C. DÉROULEMENT CHRONOLOGIQUE [22] Il est important, pour bien suivre le déroulement de cette affaire, de comprendre au départ que deux fils s’entrecroisent, pour finalement s’enchevêtrer : d’une part, le processus de dessaisissement prévu par le consentement, d’autre part, la venue de Home Depot à Sherbrooke, annoncée à maintes reprises par Rona.

[23] Le consentement est signé le 3 septembre 2003, et enregistré le 4 septembre 2003. Dès le 11 septembre 2003, Me Gascon, avocat pour RONA, envoie un courriel au Bureau de la concurrence :

(pièce CR3, Vol. 2 RONA onglet 9) (...) je vous fait [sic] aussi parvenir deux articles d’intérêt parus dans les quotidiens montréalais La Presse et The Gazette ce matin et qui font état de l’expansion de Home Depot au Québec en 2004... Parmi les régions une expansion imminente est prévue par Home Depot figurent notamment l’Outaouais, la Mauricie-Bois francs, Montréal et (je ne peux m’empêcher de le souligner) l’Estrie (soit Sherbrooke). Il va sans dire qu’il nous apparaît important pour RONA et pour le Bureau de la concurrence de suivre quels sont effectivement les plans d’expansion que Home Depot semble avoir à Sherbrooke, d’autant plus que, selon les informations que vous nous aviez transmises, Home Depot avait apparemment indiqué, suite aux demandes formelles d’informations du Bureau, que Sherbrooke ne figurait pas parmi ses plans d’expansion. (...)

[24] Le Bureau ne répond pas au courriel de Me Gascon, mais Me Brantz, avocat pour le Bureau, envoie à son tour une lettre à l’avocat de Home Depot le 16 septembre 2003, dans laquelle il lui demande d’expliquer l’apparente contradiction, puisque les renseignements fournis par Me Gascon contredisent ceux obtenus de Home Depot au cours de l’enquête qui a précédé la conclusion de la Commissaire que Home Depot ne s’installerait pas, du moins à l’intérieur d’une période de deux ans, à Sherbrooke :

(pièce CD 12) Following recent articles published in Quebec dailies regarding Home Depot’s planned stores for the next years, we would like to obtain from your client, Home Depot of Canada Inc., further clarifications regarding its intent in Sherbrooke, Quebec. (...) Could you explain this apparent inconsistency between the documents provided and announced plans by Mr. Roger Plamondon in the newspapers? (...)

[25] Home Depot répond par l’entremise de son avocat, Me Gormley, le 22 septembre 2003: (pièce CD-9) (...) Some of the documents produced in response to the Section 11 Order do in fact make brief reference to Sherbrooke. The references are brief because during the relevant period Home Depot did not give serious or in-depth consideration to entering the Sherbrooke market.

Following Home Depot’s compliance with the Section 11 Order and indeed, as a direct result of the Competition’s Bureau announcement of the resolution of its investigation of the RONA/Réno-Dépôt merger, Home Depot did engage in some discussions with third parties in the Sherbrooke area. (...) In an interview with a reporter from the Sherbrooke newspaper, Mr. Plamondon alluded to the discussions with parties in the Sherbrooke area and Home Depot’s openness to exploring a potential entry into the Sherbrooke market generally. (...) [nous soulignons]

[26] Malgré ce changement net dans les intentions de Home Depot, le Bureau n’a pas cru bon de suivre de près l’évolution du dossier de l’implantation de Home Depot à Sherbrooke. Il ressort clairement du témoignage de Mme Laflamme que c’est principalement le dessaisissement qui intéressait la Commissaire.

[27] Le 18 septembre 2003, Me Michaël Hassan, procureur de RONA, adresse un courriel à Me Brantz, auquel il joint un article de journal titré «Home Depot pourrait acheter Réno-Dépôt » paru le 13 septembre 2003 dans le quotidien sherbrookois La Tribune. Il ajoute le commentaire suivant: «We suggest to follow developments carefully in light of this article which seems to confirm our previous submissions regarding Home Depot’s expansion plans in the Province of Québec, particularly in the Sherbrooke region» (pièce CR3, Vol. 2 RONA, onglet 9).

[28] Le 9 octobre 2003, Me Gascon communique à nouveau avec Me Brantz dans un long courriel de 7 paragraphes. À l’instar de son collègue Me Hassan qui l’avait déjà fait le mois précédent, Me Gascon presse le Bureau de communiquer avec diverses entités, tel First Pro, afin «d’obtenir [...] les précisions pertinentes eu égard au statut effectif du projet de Home Depot à Sherbrooke et aux délais dans lesquels ceux-ci se matérialiseront » (pièce CR3, Vol. 2 RONA, onglet 11). Il évoque même la possibilité de modifier le consentement signé quelques semaines auparavant: «Et plus ces informations s’accumulent, plus il nous semble que nous nous rapprochons d’un «changement de circonstances» dans la structure concurrentielle du marché de Sherbrooke et que, si ces informations quant aux plans d’expansion imminents de Home Depot à Sherbrooke se confirment, il y aura sérieusement lieu de se demander si l’exigence de voir RONA se départir du magasin Réno-Dépôt sur le marché de Sherbrooke a toujours sa raison d’être » (pièce CR3, Vol. 2 RONA, onglet 11).

[29] Le 15 octobre 2003, Mme Laflamme communique avec M. Pierre Langlois, urbaniste à la Ville de Sherbrooke afin d’avoir des renseignements sur les plans de développement de Home Depot. Celui-ci lui indique que le changement de zonage nécessaire à la construction d’un immeuble commercial a été autorisé mais que la construction ne commencera pas avant 2005. Suite à cette conversation, la position de la Commissaire est que, selon Mme Laflamme, «On n’avait pas aucune certitude quant à la date ou à l’entrée effective de Home Depot à ce moment-là» (transcription, vol. 7 à la p. 1923 (12 avril 2005)).

[30] Le 20 octobre 2003, Mme Laflamme communique avec M. David Taras, de First Pro, afin de vérifier l’état des négociations avec Home Depot concernant un site à Sherbrooke. Celui-ci lui indique qu’il n’y a «no deal or expression of interest» (transcription, vol. 7 à la p. 2041 (12 avril 2005)).

[31] Fin octobre 2003, Mme Laflamme appelle Me Gascon pour faire un suivi sur le processus de dessaisissement. À cette époque, RONA travaille sur un document d’information pour les acheteurs éventuels.

[32] Le 25 novembre 2003, Me Gascon informe Mme Laflamme par courriel que le processus de vente du Réno-Dépôt de Sherbrooke est amorcé puisque RONA a confié un mandat de représentation au bureau de services immobiliers Intercom le 1 er novembre. Par la même occasion, il souligne que trois acquéreurs potentiels ont déjà été contactés (Patrick Morin, Canac Marquis, Kent), mais que ceux-ci ne sont pas intéressés. Ils ne discutent pas de Home Depot.

[33] Le 6 janvier 2004, Me Gascon fait parvenir à Mme Laflamme le rapport du mandataire Intercom, daté du 17 décembre 2003. Dans cette lettre, il signale que «cinq acquéreurs potentiels avaient été approchés par RONA [...] et seuls deux d’entre eux avaient signé l’accusé de réception signifiant qu’ils étaient intéressés à considérer l’acquisition possible du magasin Réno-Dépôt à Sherbrooke». Signalons que Home Depot était l’un de ces deux acquéreurs potentiels. En effet, M. Frodyma de Home Depot a signé l’accusé de réception, pour ensuite retourner les documents. La preuve à l’audition montre que c’est à ce moment que Home Depot a entrepris les premières démarches pour s’installer sur le Plateau St Joseph.

[34] Suite à la réception du rapport d’Intercom, Mme Laflamme communique avec Me Gascon le 9 janvier 2004. Elle est étonnée du nombre restreint d’acheteurs contactés et veut lui rappeler que, compte tenu de ce rapport, le processus de nomination du fiduciaire doit être mis en place. Aux termes du consentement, il ne reste plus qu’un mois pour qu’un fiduciaire soit nommé. Me Gascon retourne son appel le 13 janvier. C’est alors que Mme Laflamme lui demande de suggérer des noms de fiduciaires. Par ailleurs, Me Gascon lui indique que RONA désire rencontrer les représentants de la Commissaire avant de passer à la prochaine étape, soit la nomination du fiduciaire, au début février. Mme Laflamme interprète cette demande comme une volonté de la part de RONA de modifier le consentement.

[35] À partir du 13 janvier 2004 s’enclenche le processus de recherche d’un fiduciaire, autant du côté de la Commissaire que du côté de RONA. La Commissaire est particulièrement pro­active durant cette période et elle identifie au moins quatre fiduciaires. Tout en étant à l’affût de fiduciaires qui ne seraient pas en conflit d’intérêts, RONA continue à recevoir et à envoyer des documents concernant l’arrivée imminente d’Home Depot sur le marché de Sherbrooke.

[36] Le 23 janvier 2004, Me Gascon fait parvenir par télécopieur à Me Brantz et à Mme Laflamme un extrait de l’édition de décembre 2003 de la revue Hardware Merchandising dans lequel un membre de la haute direction de Home Depot Canada, M. Roger Plamondon, indique qu’il est vraisemblable qu’un Home Depot ouvre ses portes à Sherbrooke : «other cities likely to get a Home Depot include [...] Sherbrooke» (pièce CR3, Vol. 2 RONA, onglet 12). Le même jour, lors d’une conversation téléphonique initiée par Me Gascon, RONA suggère un seul fiduciaire: Denis Labrèche du cabinet comptable Ernst and Young. Ils fixent au 2 février une rencontre entre RONA et les représentants de la Commissaire.

[37] Le 2 février 2004, MM. Guévin et Mérineau de RONA, leurs procureurs Mes Gascon et Hassan ainsi que Me Brantz et Mme Laflamme du Bureau se rencontrent afin de faire le bilan des derniers mois. Ils discutent des démarches entreprises par Intercom, des qualités requises d’un acheteur, des candidats fiduciaires et du mode de rémunération du fiduciaire.

[38] Le 5 février 2004, Mme Laflamme informe personnellement RONA et Ernst and Young du choix du fiduciaire. La Commissaire a arrêté son choix sur la seule suggestion de RONA parce que ce cabinet, selon Mme Laflamme, «apparaissait comme l'entreprise qui connaissait le mieux l'industrie, donc plus susceptible de repérer des candidats potentiels» (transcription, vol. 6 à la p. 1841 (11 avril 2005)).

[39] Le 10 février 2004, soit cinq mois jour pour jour après la clôture de la vente de Réno-Dépôt, une première rencontre entre le fiduciaire (représenté par MM. Labrèche et Ianni), RONA (représentée par MM. Mérineau et Guévin, Mes Gascon et Hassan) et les représentants de la Commissaire (représentée par Mme Laflamme et Me Newman) permet de clarifier le mandat du fiduciaire ainsi que les qualités recherchées d’un acheteur aux termes du consentement.

[40] Dès le 9 février, soit la veille de cette première réunion entre le fiduciaire, RONA et la Commissaire, Me Hassan, procureur de RONA, envoie un premier projet de convention de fiducie à Denis Labrèche de Ernst and Young. D’autres versions de ce projet de convention sont communiquées à la Commissaire et au fiduciaire le 10 février, le 17 février et le 23 février, au fur et à mesure que les procureurs de RONA y apportent des modifications reflétant les commentaires formulés par l’un ou l’autre des intervenants.

[41] La Convention de fiducie est signée par Anthony Ianni pour le fiduciaire et par Claude Guévin pour RONA le 27 février 2004. La Commissaire, par l’entremise de Richard Annan, entérine la lettre d’engagement du fiduciaire le 1 er mars 2004. [42] Au cours du mois de mars, les représentants de RONA et ceux du fiduciaire sont en communication sur une base quasi-quotidienne. Dès le 2 mars, Martin Kamil, de Ernst and Young, communique avec M. Mérineau afin d’obtenir de l’information additionnelle de RONA pour préparer le teaser, document informatif envoyé aux acquéreurs potentiels. D’autres demandes du même type sont envoyées à RONA les 11, 16 et 17 mars 2004.

[43] Une ébauche de liste d’acheteurs potentiels, Draft list of prospective purchasers / Summary prospect list, est communiquée à RONA et à la Commissaire le 10 mars 2004 afin qu’ils donnent leurs commentaires. Le 23 mars 2004, une liste finale d’acheteurs potentiels est présentée à RONA et à la Commissaire. Le 30 mars 2004, le fiduciaire confirme par courriel à la Commissaire et à RONA la réception de toutes les informations demandées à RONA entre le 2 et le 17 mars.

[44] Le 17 mai 2004, Me Hassan envoie un courriel à Me Brantz et à Mme Laflamme et leur fait suivre un article de journal paru dans le quotidien montréalais La Presse ce matin-là, faisant état des projets d’expansion de Home Depot au Québec. Le lendemain, soit le 18 mai 2004, Mme Laflamme répond laconiquement à Me Hassan en lui indiquant qu’elle avait déjà vu l’article en question et que le fait que Sherbrooke n’était pas spécifiquement mentionné dans les plans d’expansion d’Home Depot ne lui avait pas échappé. Notons qu’il s’agit de la première des deux réponses que la Commissaire fera à toutes les missives reçues de RONA sur l’arrivée de Home Depot, l’autre étant le courriel du 19 novembre 2004 sur lequel nous reviendrons plus loin.

[45] Le 14 juillet 2004, le fiduciaire envoie un courriel à RONA et à la Commissaire pour les aviser que des trois acheteurs potentiels qui avaient démontré de l’intérêt pour le Réno-Dépôt de Sherbrooke, un seul demeure intéressé, et qu’il rencontrera un des dirigeants de l’acquéreur potentiel dans les jours suivants.

[46] À la demande de RONA, un appel-conférence a lieu le 13 août 2004 entre les représentants de RONA (M. Guévin et Me Gascon), le représentant du fiduciaire (M. Ianni) et les représentants de la Commissaire (Me Brantz et Mme Laflamme). C’est à cette occasion que, pour la première fois, M. Guévin indique à la Commissaire que RONA ne considère pas l’acquéreur potentiel comme un acheteur sérieux.

[47] La première lettre d’intention de l’acquéreur est datée du 18 août 2004. Le 25 août 2004, Me Hassan avise par courriel Me Brantz et Mme Laflamme, entre autres, que le site web de First Pro présente un plan d’aménagement pour la région de Sherbrooke, et que «these elements would tend to suggest that Home Depot’s arrival in the Sherbrooke market is imminent» (pièce CR3, Vol. 2 RONA, onglet 15).

[48] Le 26 août 2004, Mme Laflamme adresse une demande de renseignements directement à l’acquéreur. Le 27 août 2004, suite au courriel de Me Hassan, les représentants de la Commissaire (Mme Laflamme et Me Brantz) communiquent avec Me Zender et M. Frodyma de Home Depot afin de vérifier l’état de leurs plans d’expansion sur le marché de Sherbrooke. Les représentants de Home Depot affirment alors qu’aucune entente n’est encore conclue avec First Pro, et que l’ouverture d’un magasin à Sherbrooke demeure sujette à l’approbation du conseil d’administration de Home Depot. Ils indiquent aussi aux représentants de la Commissaire que l’ouverture d’un magasin à Sherbrooke est prévue entre le dernier trimestre de 2005 et le premier trimestre de 2006 (transcription vol. 7 à la p. 2064 (12 avril 2005)).

[49] Le 30 août 2004, le fiduciaire expédie une lettre faisant état des dernières négociations avec l’acquéreur aux représentants et procureurs de RONA et aux représentants de la Commissaire. Ce même jour, le Consentement est modifié et prolongé (le dessaisissement devait avoir lieu à l’intérieur d’un an) afin de permettre au fiduciaire d’accepter une lettre d’intention jusqu’au 15 octobre 2004 et de conclure la vente avant le 15 décembre 2004. Le 31 août 2004, la Convention de fiducie est également modifiée.

[50] Le processus de dessaisissement stagne au mois de septembre 2004 puisque le président de l’acquéreur est à l’extérieur. Le 28 septembre 2004, M. Guévin envoie une liste de sept questions à la Commissaire et au fiduciaire afin de les assister dans leur évaluation des qualifications de l’acquéreur. Toutefois, Mme Laflamme ne prend connaissance de cet envoi qu’à son retour de la rencontre avec les représentants de l’acquéreur.

[51] Le 6 octobre 2004, Mme Laflamme adresse une demande de renseignements supplémentaires à l’acquéreur, en complément à celle envoyée le 26 août précédent. Le 7 octobre 2004, Me Zender, procureur de Home Depot, laisse un message à Mme Laflamme et l’informe que «if we are successful in reaching a deal soon, again purely speculation based on past experience, the hope would be, that assuming that we then get site plan approval and all other necessary regulatory approvals, that we could be having a store built within approximately a year from now, give or take a couple of months, but again based under a number of assumptions» (transcription vol. 11 à la p. 2951 (19 avril 2005)). Le même jour, Mme Laflamme contacte aussi M. Taras de First Pro afin de vérifier l’état d’avancement des négociations avec Home Depot. Il lui répond que rien n’est conclu mais que les négociations progressent bien (transcription vol. 9 à la p. 2558 (14 avril 2005)). Il lui demande de le rappeler dans un mois, ce qu’elle fera.

[52] Le 8 octobre 2004, le fiduciaire approuve l’offre d’achat présentée par l’acquéreur. Le processus de vérification diligente commence dans les jours suivants cette approbation. Le 12 octobre 2004, le fiduciaire transmet à RONA la première demande de l’acheteur relativement aux documents requis pour la vérification diligente. Une deuxième demande parvient à RONA le 15 octobre, et concerne les aspects juridiques de la vérification diligente.

[53] Entre le 18 octobre et le 26 octobre 2004, M. Guévin et le fiduciaire correspondent sur une base régulière au sujet du processus de vérification diligente. Durant cette même période, l’acheteur est inquiet de la lenteur du processus de vérification diligente et communique avec la Commissaire à deux reprises.

[54] Le 27 octobre 2004, un appel-conférence a lieu entre les représentants de RONA (M. Guévin et Me Gascon), les représentants de la Commissaire (Me Brantz, Me Efraim et Mme Laflamme) et les représentants du fiduciaire (M. Ianni, M. Shah et Me Jarjour). Cet appel-conférence, demandé par RONA, vise à expliquer les problèmes encourus par RONA dans le cours du processus d’extraction d’informations requises par le fiduciaire pour la vérification diligente. Le problème tient à la difficulté d’isoler les chiffres de l’entreprise de Sherbrooke du reste des données corporatives, que RONA ne souhaite pas partager avec l’acquéreur parce qu’elle estime ces renseignements confidentiels.

[55] Le 3 novembre 2004, Mme Laflamme fait un suivi auprès de M. Taras de First Pro afin de s’enquérir de l’état des négociations avec Home Depot concernant Sherbrooke. Elle lui laisse un message téléphonique, auquel il ne répond pas. Elle ne juge pas bon de le relancer par la suite puisque «plein d’autres choses se passaient à ce moment-là» (transcription vol. 9 à la p. 2559 (14 avril 2005)).

[56] Les 8 et 9 novembre 2004, M. Ianni, représentant du fiduciaire, et M. Guévin, représentant de RONA, s’échangent deux lettres dans lesquelles ils se rappellent mutuellement leurs devoirs et obligations aux termes du Consentement.

[57] Le 12 novembre 2004, Mme Laflamme reçoit un appel d’une journaliste concernant la venue possible de Home Depot à Sherbrooke. Le même jour, elle appelle Me Zender, procureur de Home Depot, à qui elle laisse un message. Le 17 novembre 2004, Me Gascon communique avec Me Brantz par courriel, auquel il joint deux documents: un extrait du journal La Presse daté du 8 novembre 2004 annonçant l’arrivée d’un mégacentre à Sherbrooke et un extrait du site internet Monster.ca recherchant des employés pour un magasin Home Depot à Sherbrooke. Me Gascon demande à la Commissaire de se prononcer sur ce que RONA considère comme un clair changement de circonstances :

Nous sommes encore une fois d’avis qu’à la lumière de ces développements, nous sommes aujourd’hui en présence de circonstances sur la base desquelles l’Ordonnance de consentement pour le dessaisissement du magasin Réno-Dépôt de Sherbrooke n’aurait pas été rendue. Pourriez-vous communiquer avec le soussigné une fois que vous aurez pris connaissance du présent courriel pour nous faire part de la position du Commissaire eu égard à ces développements du côté de Home Depot. (pièce CR3, Vol. 2 RONA, onglet 16)

[58] Le 18 novembre 2004, M. Frodyma retourne l’appel de Mme Laflamme et l’informe, selon le témoignage de Mme Laflamme, «qu’il y avait presque un accord avec First Pro, que c’était presque sûr à ce moment-là; par contre, qu’il n’y avait pas encore d’approbation du conseil d’administration ou du conseil et on entrevoyait à ce moment-là un projet pour novembre 2005» (transcription vol. 7 à la p. 2080 (12 avril 2005)).

[59] Malgré la confirmation de l’arrivée de Home Depot de la part de M. Frodyma, on ne semble pas vouloir, au Bureau de la Commissaire, envisager le changement de circonstances. Extraits du témoignage de Mme Laflamme :

- «au mois de novembre, on venait d'obtenir de l'information, entre autres, de Monsieur Frodyma qui nous confirmait que c'était beaucoup plus sûr qu'avant que Home Depot allait entrer. Je me souviens qu'on a eu des discussions à l'interne sur comment réagir par rapport à ça, puis les discussions portaient sur l'ensemble de ce qu'on s'est dit. On réalisait que RONA finalement avait vraiment gagné du temps dans le processus. Il y avait toutes ces circonstances-là». (transcription vol. 8 à la p. 2274 (13 avril 2005)

- «On trouvait que ça n'avait pas grand bon sens de permettre à RONA -- de permettre un processus d'être étiré jusqu'à temps qu'il y ait quelque chose qui se passe dans le marché. Mon hésitation c'est qu'on n'a pas dit à ce moment-là -- on n'a pas dit définitivement le 106 ne peut pas s'appliquer, c'est hors de question. C'était tout un ensemble d'éléments qu'on a regardé, puis on trouvait que permettre une modification à ce stade-là c'était donner l'aval à tous les vendeurs qui s'engageraient dans un consentement tout en ayant en tête de faire ce qu'il faut pour que la circonstance qui nous avait fait valoir finisse par se produire, si on veut. Ils nous avaient toujours allégué que RONA [sic] rentrait de façon imminente. Imminent, ça veut dire quoi? Finalement, ils savaient que ça prendrait plus qu'un an, puis pourtant ils sont signé un consentement, puis ils sont -- finalement, si on regarde tous les événements, ils ont fait ce qu'il fallait pour que ça prenne plus qu'un an pour le consentement» (transcription vol. 8 à la p. 2275 (13 avril 2005))

- «LE JUGE FRANÇOIS LEMIEUX: Madame, excusez- moi. Est-ce que, selon vous, après le 18, il y avait une certitude suffisante à l'esprit de la Commissaire que Home Depot allait sur le marché -- allait ouvrir dans un temps -- au mois de novembre 2005 -- avait la certitude qu'il allait ouvrir? Mme ANDRÉE LAFLAMME: Il y avait la certitude qu'il allait ouvrir. LE JUGE FRANÇOIS LEMIEUX: Au mois de novembre? Parce que Monsieur Frodyma --- Mme ANDRÉE LAFLAMME: Non, attendez. Il y avait la certitude -- il y avait aucun doute que Home Depot allait entrer à un moment donné à Sherbrooke. LE JUGE FRANÇOIS LEMIEUX: Oui. Mme ANDRÉE LAFLAMME: Je me souviens de mes discussions avec Monsieur Jorré. Oui, on entendait que ça allait probablement aller de l'avant au niveau du conseil d'administration, mais Monsieur Jorré était très ferme, "Il faut avoir le Board approval." La Commissaire ne peut pas décider sans -- sur des bases encore -- et je n'aime pas employer encore le mot spéculatif, mais sur une base avec une possibilité que ça n'arrive pas. LE JUGE FRANÇOIS LEMIEUX: Donc, selon vous -- et c'était l'autre question que j'étais pour vous poser -- le point de non retour dans toutes les circonstances, selon vous, était la décision à Atlanta d'approuver le projet? Mme ANDRÉE LAFLAMME: Dans --- LE JUGE FRANÇOIS LEMIEUX: Pour Sherbrooke.

Mme ANDRÉE LAFLAMME: Pour Sherbrooke, c'est ce qu'on avait déterminé qu'on devait obtenir en termes de certitude de Home Depot. Mais à ce moment-là, là, il y avait tout l'autre contexte qu'on pouvait pas ne pas considérer. Ça, je suis obligée de le dire». (transcription vol. 9 à la p. 2600 (14 avril 2005))

[60] Le 19 novembre 2004, Me Brantz répond au courriel de Me Gascon du 17 novembre : Si votre cliente est d’avis que les circonstances soulevées dans votre courriel justifieraient la modification de l’ordonnance de consentement, il serait opportun qu’elle s’adresse au Tribunal pour obtenir une telle modification. La Commissaire prendra position quand au déroulement de ce dossier et aux informations transmises dans votre courriel sur réception de la demande de modification. (pièce CR3, Vol. 2 RONA onglet 18)

[61] Le 24 novembre 2004, la Convention d’achat-vente est signée par le fiduciaire et l’acheteur. Le 25 novembre 2004, le fiduciaire fait parvenir à RONA et à la Commissaire l’Avis de dessaisissement, tel que prévu au Consentement.

[62] Le 8 décembre 2004, conformément à la clause 9 du Consentement, RONA envoie au fiduciaire une demande de renseignements supplémentaires. Le fiduciaire répond à cette demande le 20 décembre 2004. Durant cette période, RONA reçoit des informations supplémentaires concernant l'ouverture imminente d'un Home Depot à Sherbrooke: un fournisseur indique à M. Guévin qu'il a reçu un échéancier de Home Depot sur lequel une date d'ouverture est projetée. Le 10 janvier 2005, soit à l'intérieur du délai de 21 jours prévu à la clause 10 du Consentement, RONA dépose un avis d'opposition à la vente proposée. Le même jour, RONA dépose une demande en vertu de l'art. 106 de la Loi, demande dont le Tribunal est maintenant saisi.

[63] En effet, quelques jours auparavant, soit dans la semaine du 4 janvier 2005, M. Guévin a reçu le document auquel son fournisseur avait fait allusion à la mi-décembre. Il s'agit du document "Easy Bake", document interne émanant d’Home Depot, qui indique qu'un magasin Home Depot ouvrira le 17 novembre 2005.

[64] Le 12 janvier 2005, Mme Laflamme communique avec Home Depot, plus précisément avec M. Plamondon et Me Zender, et apprend que le conseil d'administration a approuvé à la mi-décembre l'ouverture d'un magasin à Sherbrooke (transcription vol. 7 à la p. 2086-2087 (12 avril 2005)).

[65] Le 4 février 2005, Mme Laflamme recommunique avec M. Frodyma et Me Zender de Home Depot au sujet du document Easy Bake reçu le 18 janvier 2005, dans le cadre des présentes procédures judiciaires (transcription vol. 7 à la p. 2099 (12 avril 2005)).

III. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES [66] Avant juin 2002 Consent orders 105. Where an application is made to the Tribunal under this Part for an order and the Commissioner and the person in respect of whom the order is sought agree on the terms of the order, the Tribunal may make the order on those terms without hearing such evidence as would ordinarily be placed before the Tribunal had the application been contested or further contested.

Après juin 2002 : Consent agreement 105. (1) The Commissioner and a person in respect of whom the Commissioner has applied or may apply for an order under this Part, other than an interim order under section 103.3 or a temporary order under section 104.1, may sign a consent agreement. Terms of consent agreement (2) The consent agreement shall be based on terms that could be the subject of an order of the Tribunal against that person. Registration (3) The consent agreement may be filed with the Tribunal for immediate registration. Effect of registration (4) Upon registration of the consent agreement, the proceedings, if any, are terminated, and the consent agreement has the same force and effect, and proceedings may be taken, as if it were an order of the Tribunal.

Ordonnance Par Consentement 105. Lorsqu'une demande d'ordonnance est faite au Tribunal en application de la présente partie et que le Commissaire et la personne à l'égard de laquelle l'ordonnance est demandée s'entendent sur le contenu de l'ordonnance en question, le Tribunal peut rendre une ordonnance conforme à cette entente sans que lui soit alors présentée la preuve qui lui aurait autrement été présentée si la demande avait fait l'objet d'une opposition.

Consentement 105. (1) Le Commissaire et la personne à l'égard de laquelle il a demandé ou peut demander une ordonnance en vertu de la présente partie - exception faite d'une ordonnance provisoire rendue en vertu des articles 103.3 et 104.1 - peuvent signer un consentement. Contenu du consentement (2) Le consentement porte sur le contenu de toute ordonnance qui pourrait éventuellement être rendue contre la personne en question par le Tribunal. Dépôt et enregistrement (3) Le consentement est déposé auprès du Tribunal qui est tenu de l'enregistrer immédiatement. Effet de l'enregistrement (4) Une fois enregistré, le consentement met fin aux procédures qui ont pu être engagées, et il a la même valeur et produit les mêmes effets qu'une ordonnance du Tribunal, notamment quant à l'engagement des procédures

Avant juin 2002 : Rescission or variation of order 106. Where, on application by the Commissioner or a person against whom an order has been made under this Part, the Tribunal finds that a) the circumstances that led to the making of the order have changed and, in the circumstances that exist at the time the application is made under this section, the order would not have been made or would have been ineffective to achieve its intended purpose, or b) the Commissioner and the person against whom an order has been made have consented to an alternative order, the Tribunal may rescind or vary the order accordingly.

Après juin 2002 : Rescission or variation of consent agreement or order 106. (1) The Tribunal may rescind or vary a consent agreement or an order made under this Part other than an order under section 103.3 or 104.1 or a consent agreement under section 106.1, on application by the Commissioner or the person who consented to the agreement, or the person against whom the order was made, if the Tribunal finds that (a) the circumstances that led to the making of the agreement or order have changed and, in the circumstances that exist at the time the application is made, the agreement or order would not have been made or would have been ineffective in achieving its intended purpose; or (b) the Commissioner and the person who consented to the agreement have consented to an alternative agreement or the Commissioner and the person against whom the order was made have consented to an alternative order. (2) A person directly affected by a consent agreement, other than a party to that agreement, may apply to the Tribunal within 60 days after the registration of the agreement to have one or more of its terms rescinded or varied. The Tribunal may grant the application if it finds that the person has established that the terms could not be the subject of an order of the Tribunal.

Annulation ou modification de l'ordonnance 106. Le Tribunal peut annuler ou modifier une ordonnance rendue en application de la présente partie lorsque, à la demande du Commissaire ou de la personne à l'égard de laquelle l'ordonnance a été rendue, il conclut que : a) les circonstances ayant entraîné l'ordonnance ont changé et que, sur la base des circonstances qui existent au moment la demande prévue au présent article est faite, l'ordonnance n'aurait pas été rendue ou n'aurait pas eu les effets nécessaires à la réalisation de son objet; b) le Commissaire et la personne à l'égard de laquelle l'ordonnance a été rendue ont consenti à une autre ordonnance.

Annulation ou modification du consentement ou de l'ordonnance 106. (1) Le Tribunal peut annuler ou modifier un consentement ou une ordonnance rendue en application de la présente partie, à l'exception d'une ordonnance rendue en vertu des articles 103.3 ou 104.1 et du consentement visé à l'article 106.1, lorsque, à la demande du Commissaire ou de la personne qui a signé le consentement, ou de celle à l'égard de laquelle l'ordonnance a été rendue, il conclut que, selon le cas: a) les circonstances ayant entraîné le consentement ou l'ordonnance ont changé et que, sur la base des circonstances qui existent au moment la demande est faite, le consentement ou l'ordonnance n'aurait pas été signé ou rendue, ou n'aurait pas eu les effets nécessaires à la réalisation de son objet; b) le Commissaire et la personne qui a signé le consentement signent un autre consentement ou le Commissaire et la personne à l'égard de laquelle l'ordonnance a été rendue ont consenti à une autre ordonnance. (2) Toute personne directement touchée par le consentement - à l'exclusion d'une partie à celui-ci - peut, dans les soixante jours suivant l'enregistrement, demander au Tribunal d'en annuler ou d'en modifier une ou plusieurs modalités. Le Tribunal peut accueillir la

demande s'il conclut que la personne a établi que les modalités ne pourraient faire l'objet d'une ordonnance du Tribunal.

Règles du Tribunal de la concurrence (DORS/94-290) : Application for a Consent Order 77. (1) An application for a consent order shall be made by filing (a) a notice of application for a consent order; (b) a consent order impact statement; (c) a draft consent order; and (d) a consent form signed by the parties.

(2) A notice of application for a consent order (a) shall be signed by the person making the application; (b) shall indicate if the parties consider that a hearing need not be held; (c) where an application pursuant to section 3 has not been made, shall set out, in numbered paragraphs, (i) the sections of the Act under which the application for a consent order is made, (ii) the name and address of each person in respect of whom the consent order is sought, (iii) a concise statement of the grounds for the application for a consent order and of the material facts relevant to the application, and (iv) the official language to be used by the parties in the proceedings; and

(d) where an application pursuant to section 3 has been made, shall set out any changes or additions relating to the application for a consent order.

(3) A consent order impact statement shall (3) Le résumé d'impact explique le projet provide an explanation of the draft consent d'ordonnance par consentement et décrit order, including an explanation of the notamment les circonstances ayant donné lieu à circumstances giving rise to the draft order or tout ou partie du projet, le redressement qui sera

Demande d'ordonnance par consentement 77. (1) La demande d'ordonnance par consentement se fait par le dépôt : a) d'un avis de demande d'ordonnance par consentement; b) d'un résumé d'impact; c) d'un projet d'ordonnance par consentement; d) d'une formule de consentement signée par les parties.

(2) L'avis de demande d'ordonnance par consentement : a) est signé par la personne qui fait la demande; b) indique si les parties estiment qu'une audience n'est pas nécessaire; c) dans le cas une demande n'a pas été faite selon l'article 3, est divisée en paragraphes numérotés et comprend les renseignements suivants : (i) les articles de la Loi en application desquels la demande d'ordonnance par consentement est présentée, (ii) les nom et adresse de chacune des personnes à l'égard desquelles l'ordonnance par consentement est demandée, (iii) le résumé des motifs de la demande d'ordonnance par consentement et des faits substantiels pertinents, (iv) la langue officielle que les parties utiliseront dans l'instance;

d) dans le cas une demande a été faite selon l'article 3, fait état de toute modification ou adjonction relative à la demande d'ordonnance par consentement.

any provision of the draft order, the relief to be obtained if the order is made and the anticipated effects on competition of that relief. SOR/96- 307, s. 11.

77.1 An application for a consent order made under section 74.12 of the Act shall be made by filing a consent form that (a) is signed by the parties; and (b) sets out (i) the sections of the Act under which the application is made, (ii) the name and address of each person in respect of whom the order is sought, (iii) a brief statement of the grounds for the application, and (iv) the terms of the order to which the Commissioner and the person in respect of whom the order is sought agree. SOR/2000-198, s. 8.

78. (1) Where an application pursuant to section 3 has not been made, the person making an application for a consent order shall, (a) within three days after the documents set out in subsection 77(1) are filed, serve the documents on each person in respect of whom a consent order is sought; and (b) within two days after the service of the documents, file proof of service.

(2) Where an application pursuant to section 3 has been made, the person making an application for a consent order shall (a) serve the documents set out in subsection 77(1) on each person on whom the notice of application pursuant to section 3 was served and on any intervenors in proceedings in respect of that application; and (b) file the documents with proof of service. SOR/96-307, s. 11.

obtenu si l'ordonnance est rendue et les effets anticipés de ce redressement sur la concurrence. DORS/96-307, art. 11.

77.1 La demande d'ordonnance par consentement visée à l'article 74.12 de la Loi se fait par le dépôt d'une formule de consentement qui, à la fois : a) est signée par les parties; b) indique : (i) les articles de la Loi au titre desquels la demande est présentée, (ii) les nom et adresse de chacune des personnes à l'égard desquelles l'ordonnance est demandée, (iii) les motifs de la demande, résumés succinctement, (iv) les modalités de l'ordonnance auxquelles ont consenti le Commissaire et la personne contre laquelle l'ordonnance est demandée. DORS/2000-198, art. 8.

78. (1) Dans le cas une demande n'a pas été faite selon l'article 3, la personne qui fait la demande d'ordonnance par consentement : a) d'une part, dans les trois jours suivant le dépôt des documents visés au paragraphe 77(1), les signifie aux personnes à l'égard desquelles l'ordonnance est demandée; b) d'autre part, dans les deux jours suivant la signification des documents, dépose la preuve de leur signification.

(2) Dans le cas une demande a été faite selon l'article 3, la personne qui fait la demande d'ordonnance par consentement : a) d'une part, signifie les documents visés au paragraphe 77(1) aux personnes qui ont reçu signification de l'avis de demande visé à cet article et aux intervenants dans les procédures relatives à cette demande; b) d'autre part, dépose les documents avec la preuve de leur signification. DORS/96-307, art. 11.

IV. QUESTIONS EN LITIGE [67] Le Tribunal est saisi d’une demande d’annulation du consentement intervenu le 3 septembre 2003. De l’avis du Tribunal, les questions en litige sont les suivantes :

1. Comment faut-il interpréter le nouveau libellé de l’article 106? 2. Les conditions de l’article 106 sont-elles remplies? 3. Existe-t-il d’autres circonstances qui justifieraient que le Tribunal n’accueille pas la demande de RONA?

V. ANALYSE A. POSITION DES PARTIES 1) Position de RONA [68] La position de RONA est assez simple et claire. Il y a lieu d’annuler le consentement puisque les circonstances qui ont donné lieu à sa signature ont changé et que dans les nouvelles circonstances, RONA n’aurait jamais consenti à se dessaisir du magasin Réno-Dépôt à Sherbrooke. RONA prône une interprétation stricte du nouveau libellé : une fois les conditions de l’article 106 remplies, le Tribunal n’a pas à se demander s’il aurait rendu une telle ordonnance, ni à s’interroger sur d’autres considérations. Si, toutefois, le Tribunal considère avoir une certaine discrétion dans l’application de l’article 106, les agissements de la Commissaire, qui a refusé systématiquement de tenir compte des changements de circonstance tout au long de l’existence du consentement, constituent également un facteur dont il y a lieu de tenir compte.

2) Position de la Commissaire [69] La Commissaire s’oppose à l’annulation, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, il n’y a pas véritablement, de l’avis de la Commissaire, changement de circonstances. En effet, RONA soutient depuis le début que Home Depot s’installera à Sherbrooke dans un avenir assez rapproché. Par conséquent, rien de nouveau dans le fait qu’effectivement, Home Depot ouvrira ses portes en novembre ou décembre 2005.

[70] Par ailleurs, la Commissaire prône une analyse objective du deuxième volet du paragraphe 106(1). La question, selon elle, est de savoir si une ordonnance aurait été rendue dans les circonstances prévalant le 10 janvier 2005. Il ne s’agit pas, d’après la Commissaire, de s’interroger sur la volonté des parties, mais sur ce que devrait faire le Tribunal, agissant raisonnablement et tenant compte de toutes les circonstances. Ces circonstances, d’ajouter la Commissaire, comprennent non seulement la certitude de la venue de Home Depot - ce qu’elle admet par ailleurs - mais également les circonstances qui ont cours le 10 janvier 2005 : la signature de la Convention d’achat-vente par l’acquéreur et la lenteur qu’a mise RONA à se dessaisir de l’entreprise de Sherbrooke et à aider le fiduciaire en ce sens, que la Commissaire qualifie de mauvaise foi et d’abus de droit.

[71] Si, toutefois, le Tribunal devait conclure qu’il y a eu changement de circonstances et que le consentement n’aurait pas été signé, la Commissaire oppose encore d’autres arguments à l’annulation du consentement : en procédant ainsi, le Tribunal mettrait fin à une mesure de redressement qui aurait permis de corriger la situation anti-concurrentielle qui existe à l’heure actuelle dans le marché de Sherbrooke ; il est important d’assurer la force exécutoire des consentements ; une Convention d’achat-vente a été signée, de sorte qu’un préjudice serait causé à un tiers, et le Tribunal écarterait ce qui pourrait s’avérer une solution immédiate à l’actuelle absence de concurrence dans le marché des grandes surfaces de quincaillerie-rénovation à Sherbrooke. La Commissaire oppose également une fin de non-recevoir à la demande de RONA : RONA a commis un abus de droit en retardant indûment le dessaisissement contrairement à l’esprit du consentement, et a abusé de ses droits contractuels en signant un consentement tout en espérant ne jamais avoir à le respecter, de sorte qu’elle est maintenant forclose de l’invoquer ou d’invoquer la Loi pour y mettre fin.

B. ANALYSE DU TRIBUNAL 1) L’interprétation du nouveau libellé du paragraphe 106(1) [72] En juin 2002, les modifications à la Loi sur la concurrence (L.C. 2002, ch. 16) entrent en vigueur. L’une des modifications importantes est le moyen par lequel les parties pourront faire entériner un consentement. Alors qu’auparavant, le Tribunal devait considérer les modalités du consentement et s’assurer que le consentement remplissait le critère minimal d’éliminer la diminution sensible de la concurrence (voir par ex. Commissaire de la concurrence c. Trilogy Retail Enterprises L.P., 2001 Trib. conc. 29), sous le nouveau régime, le consentement est simplement déposé au greffe du Tribunal, et celui-ci, en vertu du paragraphe 105(3) de la Loi, est «tenu de l’enregistrer immédiatement».

[73] Même si la preuve qui était déposée au Tribunal pour obtenir l’ordonnance de consentement, aux termes de l’ancien article 105, n’avait pas l’envergure de la preuve qui aurait été nécessaire dans le cadre, par exemple, de l’article 92 pour un cas de fusionnement, il n’en restait pas moins qu’une certaine preuve était déposée comme le prévoyaient les Règles du Tribunal de la concurrence : dans le cas d'une ordonnance par consentement, les parties étaient tenues de déposer un résumé d'impact (Règle 77(1)(b)) décrivant le projet d'ordonnance par consentement et précisant notamment les circonstances prévalant au moment de la rédaction du projet, le redressement anticipé si l'ordonnance était rendue et les effets pressentis de ce redressement sur la concurrence (Règle 77(3)).

[74] Sous le régime actuel, le Tribunal ne voit rien de la preuve qui sous-tend la décision du Commissaire de ne pas permettre un fusionnement à moins d’un consentement, et n’a pas à évaluer le moindrement la mesure de redressement proposée. Le Tribunal est tenu d’enregistrer immédiatement le consentement, qui a alors «la même valeur et produit les mêmes effets» qu'une ordonnance du Tribunal, sans toutefois en être une au sens propre du terme.

[75] L’article 106 a été modifié en conséquence. Il inclut désormais les mots «…le consentement n’aurait pas été signé…». Ce changement de libellé entraîne sans doute un changement dans la façon d’interpréter l’article 106. En effet, il convient toujours d’interpréter les mots de la loi selon les principes d’interprétation énoncés dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, sous la plume du juge Iacobucci :

Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après "Construction of Statutes"); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit:

[Traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci-dessus en l'approuvant, mentionnons : R. c. Hydro-Québec, [1997] 1 R.C.S. 213 ; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411 ; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550 ; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.

Je m'appuie également sur l'art. 10 de la Loi d'interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois "sont réputées apporter une solution de droit" et doivent "s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables".

[76] Autrement dit, le législateur ne parle jamais pour ne rien dire, et il faut interpréter le sens d’une disposition selon son sens grammatical, mais dans le contexte de l’objet de la Loi.

[77] Avec les modifications de 2002, le législateur a voulu accorder plus de souplesse aux parties dans la négociation des consentements. Le paragraphe 106(1) reconnaît à son tour que le consentement naît de la volonté des parties, et que sa modification ne peut être envisagée qu’à la lumière de la volonté des parties. L’objet de la Loi est la concurrence, et en adoptant les modifications de 2002, le législateur donnait effet à une façon de régler rapidement les problèmes qui peuvent se poser et qui font obstacle à la concurrence. Plutôt que de laisser sévir une situation non concurrentielle, le législateur donne aux parties un moyen de régler la question. Par ailleurs, reconnaissant que ce moyen ne devrait pas être plus rigide que les ordonnances mêmes du Tribunal, qui continuent d’être modifiables aux termes de l’article 106, le législateur prévoit un mécanisme de modification du consentement, mais en fonction de ce qu’il est véritablement : un outil négocié entre deux parties, et non une ordonnance du Tribunal. D’où les mots, «le consentement n’aurait pas été signé».

[78] L’ancien critère consistait pour le Tribunal à décider si compte tenu du changement de circonstances, il aurait rendu l’ordonnance. Le nouveau critère prévoit, dans le cas d’une demande de modification ou d’annulation d’un consentement, qu’il s’agit plutôt de déterminer, à la lumière des nouvelles circonstances existant au moment de la demande, si le consentement aurait été signé. La Commissaire tente d’imposer, en insistant sur l’ordonnance que le Tribunal aurait rendue, une lecture qui ne correspond tout simplement plus au texte écrit. Puisque le Tribunal n’a pas rendu d’ordonnance, il n’a pas à s’interroger à savoir s’il l’aurait rendue. Il ne peut que considérer la volonté des parties, au moment le consentement a été signé et au moment la demande de modification ou d’annulation est déposée.

2) Les conditions du paragraphe 106(1) sont-elles remplies? Les circonstances ont changé [79] Le 3 septembre 2003, RONA et Réno-Dépôt sont les deux seules grandes surfaces de quincaillerie-rénovation à Sherbrooke. Home Depot, la concurrente principale de RONA d’après les témoignages, n’envisage pas s’installer à Sherbrooke. On peut voir entre l’acquisition des actions de Réno-Dépôt par RONA, l’absence anticipée de concurrence à Sherbrooke (qui, d’après les renseignements recueillis par le Commissaire, ne sera pas réglée dans les deux ans de la transaction) et la signature du consentement un simple lien causal, correspondant à l’interprétation qu’a donnée la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Air Canada [1994] 1 C.F. 154 de l’expression «circonstances ayant entraîné le consentement» :

À mon avis, ni le texte de l’article 106 lui-même ni l’esprit de la loi prise dans son ensemble ne justifie de donner au membre de phrase «les circonstances ayant entraîné l’ordonnance» un sens différent de son sens grammatical ordinaire. Ces mots signifient que le Tribunal s’assure de l’existence d’un simple lien de causalité entre les circonstances et l’ordonnance, rien de plus. Il n’est pas nécessaire que ce lien soit «direct» ou «démontrable», si ce n’est au sens très limité que le Tribunal doit être convaincu qu’il existe. Il n’est pas nécessaire non plus d’établir un rapport entre ces circonstances et les fins poursuivies par l’ordonnance, bien qu’à l’évidence, il soit toujours légitime de se guider sur ces dernières pour identifier certaines des circonstances qui ont abouti à cette ordonnance. [p. 166]

[80] À la fin de son enquête sur l’impact qu’aura sur la concurrence l’acquisition de Réno-Dépôt par RONA, au mois d’août 2003, le Bureau avait conclu que pour tous les marchés RONA acquérait les magasins appartenant à Réno-Dépôt, sauf celui de Sherbrooke, la concurrence était suffisante. Dans le marché de Sherbrooke, vu l’absence d’une autre grande surface, l’acquisition du magasin Réno-Dépôt par RONA créait une situation non concurrentielle.

[81] Or, s’appuyant sur les témoignages de Mme Laflamme, de M. Guévin et de M. Ettinger, le Tribunal conclut que l’arrivée d’un Home Depot sur le marché de Sherbrooke pallie entièrement aux craintes de la Commissaire quant à la diminution sensible de la concurrence dans le marché des grandes surfaces de quincaillerie-rénovation. Vu sa taille, son pouvoir d’achat et son essor extraordinaire au Canada, il est évident que Home Depot est le concurrent par excellence de RONA. Dans ce contexte, la preuve de son arrivée représente un changement de circonstances par rapport à celles qui ont entraîné la signature du consentement.

[82] Le 10 janvier 2005, RONA détient un document émanant de Home Depot qui prévoit l’ouverture du magasin de Home Depot à Sherbrooke le 17 novembre 2005. Par ailleurs, la preuve entendue au cours de l’audition établit que :

1) Le conseil d’administration de Home Depot a donné son approbation à l’ouverture du magasin le 14 décembre 2004. 2) Le 23 novembre 2004, la ville de Sherbrooke a reçu le projet d’implantation de Home Depot. 3) Depuis le 29 mars 2004, date du rapport de MapInfo Thomson, le projet de Home Depot à Sherbrooke est une réalité à peu près certaine. À la question du juge Lemieux qui lui demande à quelle date il était certain que le projet du magasin à Sherbrooke irait de l’avant, M. Rivet répond, au mois de mars 2004, une fois le rapport reçu.

[83] La Commissaire soutient qu’il n’y a pas eu de changement de circonstances, puisque RONA était convaincue dès le départ que Home Depot s’installerait tôt ou tard, et cite à ce propos différentes décisions le Tribunal a refusé de reconnaître un changement de circonstances parce que les nouvelles circonstances avaient été anticipées. (Canada (Director of Investigation and Research) c. Air Canada, [1994] 1 C.F. 154 (C.A. Féd); Canada (Director of Investigation and Research) v. Imperial Oil Ltd., [1990] C.C.T.D. No. 1 (CT 8903/390); Canada (Director of Investigation and Research) v. Imperial Oil Ltd. (1990), 31 C.P.R. (3d) 277 (CT); Canadian Waste Services Holdings Inc. c. Canada, [2004] D.T.C.C., No. 10). La Commissaire cite notamment le paragraphe 37 de Canadian Waste Services Holdings Inc. c. Canada, [2004] D.T.C.C., No. 10 qui se lit comme suit :

Le Tribunal est d'avis que, lors de l'audition en vertu de l'art. 92, CWS n'a pas présenté une évaluation réaliste quant au moment les agrandissements pourraient être mis en exploitation. Cette situation semble attribuable au fait que CWS n'a pas tenu compte de l'incidence potentielle des requêtes en révision judiciaire et de l'absence de SMA. Le Tribunal estime que CWS ne peut soulever ses nouvelles attentes en fonction des changements de circonstances dont il s'agit, alors que CWS avait connaissance des faits dont il était raisonnable de penser qu'ils auraient une incidence sur le moment de la réalisation de ses projets, en plus de ne pas avoir présenté ces faits au cours de l'audition en vertu de l'art. 92.

[84] Il semble évident que l’intention du Tribunal était de s’assurer que le demandeur ne cache pas de preuve, ou qu’il n’agisse pas de façon évasive durant une audition tenue en vertu de l’article 92 de la Loi, pour qu’une fois le consentement signé, il soulève un fait dont il était au courant dès le départ. En l’espèce, RONA n’a jamais caché le fait qu’elle croyait que Home Dépôt allait s’installer à Sherbrooke. Bien au contraire, elle a tenté d’en convaincre la Commissaire tant avant qu’après la signature du consentement.

[85] L’argument de la Commissaire ne tient pas la route. RONA a signé le consentement justement parce qu’elle n’arrivait pas à convaincre le Commissaire de l’arrivée imminente de Home Depot. Le fait d’avoir la preuve et la certitude de l’ouverture du Home Depot représente clairement un changement de circonstances.

Les parties n’auraient pas signé le consentement sur la base des circonstances qui existent au moment la demande est faite.

[86] Nous l’avons vu plus haut, ce n’est pas en fonction de l’ordonnance qu’aurait rendue le Tribunal qu’il faut envisager la question, mais bien dans l’optique de la volonté des parties. Il s’agit de considérer qu’elle aurait été la volonté des parties compte tenu des circonstances au moment la demande est faite. Or, quelles sont ces circonstances? Il existe une preuve, et la Commissaire l’admet, que Home Depot ouvrira ses portes dans la prochaine année. D’après le libellé même de l’article 106, il ne s’agit pas de s’interroger sur l’intention des parties au 3 septembre 2003 si elles avaient su que Home Depot ouvrirait en novembre 2005, mais bien sur leur intention au 10 janvier 2005, au moment la demande d’annulation pour changement de circonstances est déposée.

[87] Pour RONA, M. Guévin déclare sans ambages qu’ayant en main la preuve de l’ouverture de Home Depot moins d’un an plus tard, il n’aurait jamais signé le consentement. Du côté de la Commissaire, Mme Laflamme témoigne qu’elle n’aurait pas recommandé le dessaisissement. La réponse est prudente et qualifiée. La décision d’exiger ou non le dessaisissement n’appartient pas en dernier ressort à Mme Laflamme, d’après son témoignage.

[88] La Commissaire plaide que les circonstances qui existent au moment la demande est faite incluent la conclusion de la Convention d’achat-vente avec l’acquéreur ainsi que le comportement de RONA depuis la signature du consentement. Cependant, la lecture de l’alinéa 106(1)a) amène le Tribunal à conclure que les circonstances «qui existent au moment la demande est faite» doivent être comprises en fonction du premier élément de la phrase, c’est-à-dire, «les circonstances ayant entraîné le consentement ont changé ». Ce qui a pu suivre la signature du consentement n’est pas pertinent pour les fins de l’analyse que doit mener le Tribunal, puisqu’il s’agit de définir les circonstances au deuxième volet du paragraphe 106(1) en fonction des circonstances qui ont entraîné le consentement. Les circonstances soulevées par la Commissaire ne représentent pas un changement dans les circonstances qui ont entraîné le consentement. Au moment le consentement est signé, en septembre 2003, c’est l’absence de concurrence que perçoit le Commissaire qui motive celui-ci à exiger le consentement. Le changement, au 10 janvier 2005, c’est l’arrivée d’un concurrent. Le Tribunal n’a donc pas à tenir compte des circonstances invoquées par la Commissaire à cette étape-ci de l’analyse.

[89] D’après les lignes directrices sur le fusionnement du Bureau (nous y reviendrons plus loin), le Bureau considère qu’il n’y aura pas diminution sensible de la concurrence si l’on prévoit l’entrée d’un ou plusieurs concurrents dans le même marché dans les deux années qui suivent la fusion. Le Tribunal est d’avis qu’il est donc peu probable, compte tenu des lignes directrices, qu’en ayant la certitude de l’entrée de Home Depot au cours de l’année suivant l’acquisition (acquisition qui suivait la signature du consentement), la Commissaire aurait insisté pour obtenir le dessaisissement de l’entreprise de Sherbrooke.

3) Existe-t-il d’autres circonstances qui justifieraient que le Tribunal n’accueille pas la demande de RONA?

[90] Les deux conditions du paragraphe 106(1) étant remplies, il reste à déterminer si le Tribunal doit accueillir la demande de RONA et annuler le consentement.

[91] La Commissaire plaide que dans l’optique de la réalisation des objectifs de la Loi, le Tribunal peut et doit exercer sa discrétion en tenant compte d’autres facteurs avant d’annuler le consentement. La discrétion du Tribunal tiendrait au fait que le paragraphe 106(1) se lit, « Le Tribunal peut annuler ou modifier ». Dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada [1981] 1 C.F. 500 (C.A.F.), le juge le Dain avait exprimé ainsi, au paragraphe 19, son avis sur l’emploi du terme «peut» : «L’article 28 de la Loi d’interprétation. S.R.C. 1970, c. I-23 [maintenant l’article 11 de la Loi, L.R. 1985, ch. I-21] exige évidemment que le mot «peut» de l’article s’interprète comme exprimant une faculté à moins que le contexte ne manifeste une intention contraire ». Le juge le Dain précise ensuite que cette discrétion doit s’exercer dans le respect des objets de la Loi qui habilite l’organisme administratif. La Cour suprême du Canada a confirmé ce jugement ([1982] 2 R.C.S. 2, et précisé la portée du pouvoir discrétionnaire éventuellement soumis à un contrôle judiciaire :

Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision. [paragraphe 7]

Le Tribunal, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, doit donc tenir compte de l’encadrement donné par les objets de la Loi sur la concurrence.

[92] La Commissaire avance trois principaux arguments qui justifieraient l’exercice de la discrétion du Tribunal pour refuser de faire droit à la demande de RONA : le fait que la concurrence ne sera pas rétablie dans le marché des grandes surfaces de quincaillerie-rénovation à Sherbrooke, alors qu’en donnant effet à la Convention d’achat-vente déjà conclue, la concurrence serait rétablie sous peu; le fait qu’il est important que les consentements soient effectifs; et le fait qu’il y a maintenant une Convention d’achat-vente conclue avec un acquéreur, et que d’annuler le consentement à ce stade cause un préjudice à l’acquéreur et retarde le rétablissement d’un marché concurrentiel à Sherbrooke.

[93] La Commissaire ajoute également un autre argument pour rejeter la demande de RONA, cette fois une fin de non-recevoir, soit l’abus de droit qu’aurait commis RONA et qui lui a permis d’arriver, 16 mois après l’enregistrement du consentement, à déposer une demande d’annulation de ce consentement.

a) La concurrence ne sera pas rétablie dans le marché des grandes surfaces de quincaillerie-rénovation à Sherbrooke

[94] La Commissaire soutient qu’il est important de rétablir la concurrence dans le marché de Sherbrooke. Le Tribunal comprend certes l’importance de favoriser la concurrence, objectif énoncé à l’article premier de la Loi, mais il est d’avis qu’en l’espèce, aux termes de la Loi et de la jurisprudence, il ne s’agit pas de rétablir la concurrence dans le marché de Sherbrooke mais bien de s’assurer qu’il n’y aura pas diminution sensible de la concurrence.

[95] En vertu de l’article 92, le Tribunal peut ordonner un dessaisissement s’il conclut que le fusionnement empêche ou diminue sensiblement la concurrence. La jurisprudence confirme que le critère pour une ordonnance de consentement est établi en fonction de cette préoccupation. Dans l’affaire Commissaire de la concurrence c. Trilogy Retail Enterprises L.P., 2001 Trib. conc. 29, le Tribunal écrit au paragraphe 21 :

Le critère que doit appliquer le Tribunal pour déterminer s’il y a lieu de prononcer une ordonnance par consentement n’est pas de savoir si le redressement créera un environnement plus concurrentiel que celui qui existait avant le fusionnement ni même s’il rétablira la concurrence d’avant le fusionnement. La question pertinente à laquelle doit répondre le Tribunal consiste à savoir si le redressement éliminera selon toute vraisemblance la diminution sensible ou l’empêchement de la concurrence qui est présumée découler du fusionnement. [nous soulignons]

[96] La décision Trilogy a été rendue sous le régime de l’ancienne Loi, à l’époque le Tribunal entérinait l’ordonnance de consentement. Dans cette même décision, le Tribunal précise, au paragraphe 23, la portée de son examen du redressement proposé :

Le rôle du Tribunal consiste à déterminer si les mesures proposées sont suffisantes pour éliminer la diminution sensible de la concurrence qui découlerait autrement du fusionnement. Le Tribunal n’a pas à déterminer si d’autres mesures correctives sont plus propres à éliminer la diminution sensible de la concurrence.

[97] Sous le nouveau régime, il n’apparaît pas au Tribunal qu’il y ait lieu d’aller au-delà de ce critère. Pour déterminer si l’annulation du consentement peut être accordée malgré la situation non concurrentielle qui sévit actuellement dans le marché pertinent à Sherbrooke, le Tribunal considère qu’il suffit de noter l’arrivée certaine de Home Depot. L’implantation d’un concurrent de cette envergure répond, selon le Tribunal, aux préoccupations quant à la diminution sensible de la concurrence.

[98] Les lignes directrices du Bureau définissent une diminution sensible de la concurrence comme étant l’absence de concurrents viables qui peuvent discipliner les prix dans les deux ans qui suivent le fusionnement. Dans ses propres lignes directrices, le Bureau reconnaît que la préoccupation n’est pas de rétablir immédiatement la concurrence à la suite d’un fusionnement, mais plutôt de considérer si le marché sera en mesure de régler de lui-même une situation qui, de prime abord, présente un risque de diminution sensible de la concurrence.

Fusions - Lignes directrices pour l’application de la Loi - septembre 2004 Seuil de sensibilité 2.13 Lorsque le Bureau évalue si la concurrence sera vraisemblablement empêchée ou diminuée sensiblement, il examine la fusion pour établir si elle aura vraisemblablement pour effet de permettre à l’entité fusionnée (seule ou en coordination avec d’autres) d’influencer les prix de manière appréciable.(note 16) Ce faisant, le Bureau prend en considération l’ampleur, la portée et la durée vraisemblables de toute augmentation de prix anticipée à la suite de la fusion. De façon générale, il y a empêchement ou diminution « sensible » de la concurrence dans les conditions suivantes : $ lorsque le prix du ou des produits pertinents, sera vraisemblablement nettement plus élevé sur une part sensible du marché pertinent qu’il ne le serait en l’absence de la fusion (ci-après « hausse appréciable de prix »); $ lorsque la hausse appréciable de prix ne sera vraisemblablement pas éliminée par les concurrents existants ou par de nouveaux concurrents au cours des deux années suivant la fusion (note 19).

Note 16 : Comme il a été signalé précédemment au par. 2.2, le « prix » sert à désigner d’autres dimensions de la concurrence. Comme il a également été signalé dans Supérieur Propane, supra note 8, par. 258, il n’est pas nécessaire en vertu de la Loi de conclure que l’entité fusionnée haussera vraisemblablement le prix (ou réduira la qualité, le service ou le choix des produits); il s’agit plutôt de déterminer si l’entité fusionnée en sera capable

Note 19: Une période de deux ans est typiquement retenue comme règle informelle parce qu’il faut prévoir un certain temps pour que les concurrents éventuels puissent constater une hausse appréciable de prix, mettre au point des produits et élaborer des plans de commercialisation, construire des installations ou modifier les installations existantes et réaliser des ventes suffisantes pour empêcher ou faire disparaître une hausse de prix appréciable.

[99] Compte tenu de ce que doit être la préoccupation du Tribunal, à savoir, l’élimination de la diminution sensible de la concurrence, et vu le fait que le Bureau lui-même établit dans ses lignes directrices qu’il considère qu’on a pallié au risque de la diminution sensible de la concurrence si l’on peut prévoir l’entrée d’un concurrent effectif dans les deux ans du fusionnement, il ne semble pas avoir lieu de s’inquiéter de l’absence temporaire de concurrence pour le marché des grandes surfaces de quincaillerie-rénovation à Sherbrooke, puisqu’un concurrent de taille s’y établit d’ici quelques mois.

[100] Le consentement représentait une mesure de redressement pour remédier à une situation de non-concurrence qu’escomptait la Commissaire en septembre 2003. Aujourd’hui, d’après les conclusions de fait énoncées plus haut, le risque de non-concurrence (tel que défini par le Bureau, avec la perspective de deux ans) n’existe plus. La mesure de redressement sur laquelle insiste la Commissaire, soit le maintien du consentement, ne semble plus nécessaire, dans l’optique même de l’objet de la Loi.

b) Il est important que les consentements soient effectifs [101] La Commissaire soutient qu’il est important que les consentements soient effectifs; le Tribunal souscrit entièrement à ce principe. Encore faut-il que les consentements incarnent les moyens d’être effectifs, et que la Commissaire tienne compte du texte de loi qui permet leur modification ou leur annulation (mises à part les clauses que peuvent négocier les parties à ce sujet).

[102] Le consentement est un outil agile et important pour régler une impasse à la satisfaction des parties. En fait, le cas de RONA illustre bien, au départ, l’utilité du consentement. RONA est pressée de conclure la transaction avec Kingfisher pour pouvoir assurer sa position au Canada face au géant américain qu’est Home Depot; la Commissaire, dont le mandat est d’assurer la concurrence au Canada, a quelques réserves mais aucun désir de bloquer la transaction dans son ensemble. Le consentement permet de régler élégamment une situation en la déjudiciarisant, c’est-à-dire en évitant la lourde procédure d’une action en vertu de l’article 92 de la Loi.

[103] Il importe de souligner que le consentement est un outil négocié. Chaque partie s’est assurée dans cette négociation de clauses qui lui convenaient. En même temps, chaque partie doit respecter son engagement. Le consentement n’est pas uniquement une entente de dessaisissement. Pour M. Guévin, le consentement, au moment RONA le signe, constitue une mesure permettant de résoudre l’impasse pour réaliser une transaction. RONA se fie sur le consentement dans la mesure elle estime que ses droits seront protégés si sa rivale arrive sur le marché de Sherbrooke plus tôt que semble le croire le Commissaire.

[104] La Commissaire allègue que RONA n’a pas respecté l’engagement de se dessaisir. Comme nous le verrons plus loin, le Tribunal ne retient pas ces prétentions. Par ailleurs, il semble que la Commissaire n’a pas non plus respecté ses engagements. Dès que le consentement a été signé, nous dit Mme Laflamme, la grande préoccupation du Bureau de la concurrence était la réalisation du dessaisissement, au point d’écarter les signes de plus en plus clairs d’un changement de circonstances, situation qui aboutit à la signature de la Convention d’achat-vente en novembre 2004, alors que la Commissaire sait que l’ouverture de Home Depot est assurée dans l’année qui suit.

[105] Le fait d’annuler le consentement, nous dit la Commissaire, donnerait la fâcheuse impression qu’il suffit pour une partie d’attendre assez longtemps pour que les circonstances changent, de sorte que le consentement cesse d’être valable. En fait, dans la présente situation, il suffisait effectivement d’attendre environ deux ans pour que la situation anticoncurrentielle se règle d’elle-même. Cela n’a rien à voir avec l’efficacité des consentements. Si l’intervention du Commissaire paraissait justifiée en septembre 2003, le Commissaire, puis la Commissaire, avait néanmoins le devoir de rester sensible aux circonstances. Or, la Commissaire n’a pas profité de la flexibilité qu’offrait le consentement. Elle aurait eu tout le loisir de s’adapter au changement de circonstances en révisant le consentement de concert avec RONA au fur et à mesure que les preuves s’accumulaient sur l’arrivée de Home Depot. Pour ne donner qu’un exemple, quand le 18 novembre 2004 M. Frodyma confirme que le magasin ouvrira et que l’approbation du C.A. à Atlanta n’est qu’une formalité, la Commissaire aurait pu, plutôt que de laisser la Convention d’achat-vente être signée six jours plus tard, réviser le consentement. Rendu en novembre 2004, et peut-être même dès août 2004, il semble d’après le témoignage de Mme Laflamme que l’importance accordée au dessaisissement au Bureau était telle qu’aucune autre solution n’était envisageable et, hélas, n’a été envisagée.

[106] La Commissaire continue d’insister que le dessaisissement doit avoir lieu, notamment pour assurer la force exécutoire des consentements. Il ne convient pas, soutient la Commissaire, de permettre aux parties d’étirer indûment les délais, de sorte que tôt ou tard, les circonstances finissent par changer, et le consentement perd sa raison d’être.

[107] Mis à part le fait que le consentement ne répond plus aux besoins de la situation, le raisonnement de la Commissaire, à l’effet qu’il faut à tout prix dans la présente décision affirmer le caractère exécutoire des consentements, comporte trois défauts. Premièrement, les clauses mêmes du consentement contredisent la force exécutoire que la Commissaire voudrait y lire. Deuxièmement, la Loi elle-même prévoit la possibilité de changement. Troisièmement, le consentement n’est pas une fin en soi. Il est un moyen parmi d’autres d’assurer la réalisation des buts de la Loi, et sa force tient à son utilité, non à son existence propre.

[108] Tout d’abord, le texte du consentement conclu entre le Commissaire et RONA est marqué par la souplesse. Il reprend à la clause 21 l’obligation prévue à l’article 106 de la Loi, en indiquant que le Tribunal demeure compétent pour modifier ou annuler toute disposition du consentement, sur demande de l’une ou l’autre partie, pour changement de circonstances. Il prévoit une modification du consentement sur simple accord des parties (clause 18). Il comprend également des dispositions permettant à RONA de demander des renseignements supplémentaires sur le dessaisissement négocié par le fiduciaire avec un acheteur éventuel (clause 9), et dans les 21 jours qui suivent la réception des renseignements supplémentaires, de s’opposer à la vente sur avis écrit au fiduciaire (clause 10). RONA peut s’opposer à la vente par fiduciaire, outre un cas d’inconduite ou de malversation - dont il n’a jamais été question dans la présente affaire- parce que le fiduciaire «contrevient au présent consentement». Cette disposition ouvre toute grande la porte à RONA. En effet, le consentement prévoit assez explicitement quelle doit être la nature de l’acquéreur. En l’espèce, RONA s’est opposée car à son avis, l’acquéreur qui a conclu la Convention d’achat-vente avec le fiduciaire ne répondait pas aux critères énumérés dans le consentement. La Commissaire soutient maintenant que RONA a usé de faux prétextes pour s’opposer à la vente. Le Tribunal n’a pas à se prononcer sur cette question, puisqu’elle est réglée dans le cadre de l’ordonnance visant la requête pour faire approuver la vente. Néanmoins, le Tribunal ne peut que constater qu’une fois la vente entre les mains du fiduciaire, il restait à RONA bien des possibilités d’intervenir dans le dessaisissement, possibilités qui découlaient d’une entente négociée entre les parties.

[109] Ensuite, il ne faut pas oublier que le texte de loi lui-même prévoit à l’article 106 la possibilité de modifier ou d’annuler un consentement. Dans sa sagesse, le législateur reconnaît que les prévisions humaines sont parfois imparfaites, et que l’état d’un marché le Commissaire croit bon d’intervenir peut changer. Le législateur a décidé qu’il ne convenait pas de continuer d’imposer l’exécution d’un consentement ou d’une ordonnance si les circonstances présidant à l’adoption de la mesure de redressement changeaient et qu’il était établi que les nouvelles circonstances avaient pour effet d’éliminer la nécessité de la mesure en question. On ne peut, sous prétexte d’assurer la stabilité des consentements négociés par la Commissaire et des parties privées, nier l’existence du recours que le législateur a jugé bon d’insérer dans la Loi, comme mesure exceptionnelle de dérogation au principe de la chose jugée. Comme l’indique le Tribunal dans l’affaire Southam Inc. c. Canada (Loi sur la concurrence, Directeur des enquêtes et recherche) [1998] D.T.C.C. no. 1, au paragraphe 24 de sa décision :

L’alinéa 106 a) [numérotation à l’époque] de la Loi constitue une exception d’origine législative au principe de l’autorité de la chose jugée. L’existence de l’alinéa 106 a) ne signifie toutefois pas que le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’applique pas aux décisions du Tribunal. Si, par exemple, on peut démontrer qu’un demandeur invoquant l’alinéa 106 a) a retenu des éléments de preuve ou omis de présenter un argument ou des faits particuliers qui existaient avant la décision initiale et que le demandeur tente maintenant de les produire en prétendant qu’il y a changement de circonstances, le principe de l’autorité de la chose jugée s’appliquerait pour l’en empêcher. Toutefois, lorsque des faits surviennent subséquemment au prononcé de l’ordonnance initiale, le principe de l’autorité de la chose jugée n’empêche pas une partie de les invoquer dans une demande fondée sur l’alinéa 106 a). Ce serait la fin visée par l’alinéa 106 a). [nous soulignons]

[110] La Commissaire soutient que RONA aurait caché son intention en signant le consentement. Il est clair d’après la correspondance de Me Gascon du mois de septembre 2003 que RONA avait signalé avant la signature du consentement qu’elle croyait que Home Depot arriverait sous peu. Il est clair également que les circonstances ont changé dès les jours qui ont suivi la signature du consentement, comme en témoigne la lettre de Me Gormley : avec le dessaisissement de l’entreprise de Sherbrooke ordonné par le consentement, Sherbrooke devenait pour Home Depot un marché intéressant, ce qui n’avait pas été manifeste dans l’enquête menée par le Commissaire avant août 2003.

[111] Enfin, la force du consentement réside dans son utilité : il permet la réalisation d’une transaction tout en corrigeant une situation apparente de non-concurrence. À partir du moment la concurrence se rétablit d’elle-même, le consentement perd entièrement son utilité et partant, il n’est que logique qu’il perde également sa force exécutoire. Il faut toujours se rappeler le but ultime de la Loi : favoriser la concurrence. Si aucune intervention n’est requise, il devient artificiel de maintenir un mécanisme simplement parce qu’il était valable il y a seize mois. La Commissaire ne peut, dans l’esprit de la Loi, s’opposer par principe et forcer l’exécution du consentement malgré le changement de circonstances, pour le seul motif que le consentement doit à tout prix demeurer exécutoire.

c) Une Convention d’achat-vente a été signée [112] Le Tribunal est d’avis que la conclusion de la Convention d’achat-vente procède de la volonté de la Commissaire de passer outre le changement de circonstances qui devenait de plus en plus manifeste, et que, par conséquent, elle ne devrait pas entrer en ligne de compte. Le Tribunal n’est pas convaincu qu’un préjudice soit causé à l’acquéreur, puisque celui-ci négociait en toute connaissance de cause, en sachant que la vente de l’entreprise résultait d’un consentement qui pouvait être annulé aux termes de la Loi. Compte tenu du préjudice réel qui serait causé à RONA, et compte tenu de tous les motifs énumérés plus haut pour annuler le consentement, la signature de la Convention d’achat-vente ne suffit tout simplement pas pour justifier le rejet de la demande de RONA.

d) Fin de non-recevoir : l’allégation d’abus de droit [113] L’abus de droit est une allégation grave, qui pourrait constituer un motif valable de ne pas faire droit à une demande. Encore faut-il qu’il soit avéré. Le Tribunal conclut qu’en l’espèce, les allégations d’abus de droit n’ont pas de fondement dans la preuve.

[114] En droit québécois, la bonne foi est réputée dans tout contrat. Puisque l’action se situe au Québec, le Tribunal est d’avis que dans l’interprétation des obligations découlant du consentement, il y a lieu d’appliquer les principes du droit civil québécois, que les deux parties ont d’ailleurs plaidé.

[115] Dans l’ouvrage du professeur Jean-Louis Baudouin, maintenant juge à la Cour d’appel du Québec, on lit ce qui suit sur la bonne foi et l’abus de droit en matière contractuelle :

C’est surtout la bonne foi dans son acception objective qui doit présider à la conduite des parties. Chacun doit exercer ses droits en personne prudente et diligente. Cette norme très large interdit même l’usage des droits à des fins complètements étrangers à celles prévues par les parties ou le législateur. On observe cependant que la Cour d’appel et les tribunaux de première instance, par souci de stabilité contractuelle, notamment, ont tendance à sanctionner non pas n’importe quel comportement imprudent ou discutable du créancier, mais plutôt ses faits et gestes qui s’écartent clairement des normes de comportement acceptables ou généralement admises par la société. Comme on l’a dit, le contrat est un acte égoïste. Bien des comportements discutables qui défendent vigoureusement les intérêts du contracteur ne franchissent pas la barre critique et ne constituent pas un abus au sens juridique. J.L. Baudouin et P.G. Jobin (1998), Les Obligations, 5 ème éd., Cowansville (Qc), Éd. Yvon Blais, p. 132 ss.

[116] On ne peut prétendre que RONA a usé de ses droits « à des fins complètement étrangères à celles prévues par les parties ou le législateur ». La Commissaire prétend que la lenteur dans les démarches de RONA pour effectuer le dessaisissement, d’abord, puis pour aider le fiduciaire à réaliser la vente, ensuite, constitue un abus de droit. Le Tribunal conclut que ni dans les actions de RONA, ni dans son utilisation des recours qui étaient prévus au consentement, ni dans sa volonté avouée de convaincre le Commissaire que le consentement n’était pas nécessaire pour la région de Sherbrooke en raison de la venue de Home Depot, peut-on trouver un comportement qui s’approche de ce qui constituerait un abus de droit.

[117] La Commissaire prétend que RONA a tardé à prendre les mesures pour se dessaisir de l’entreprise de Sherbrooke, tardé pour la nomination du fiduciaire, tardé à remettre les renseignements nécessaires au fiduciaire, tardé enfin à collaborer avec le fiduciaire dans la négociation de la Convention d’achat-vente après la première lettre d’intention du mois d’août.

[118] La preuve présentée lors de l’audition présente un autre portrait de la réalité. Le consentement est enregistré en septembre 2003. RONA dresse une première liste d’acheteurs possibles, en fonction des critères prévus au consentement : capacité d’exploiter une grande surface et d’offrir une gamme de produits comparable à celle qu’offre RONA. Ces exigences supposent un solide pouvoir d’achat et un réseau de distribution d’envergure. RONA ne retient que quelques acheteurs possibles, et charge un courtier, Intercom, de la démarche de vente. Il devient apparent, en décembre 2003, que la démarche est infructueuse. Intercom soumet un rapport au mois de janvier.

[119] Il faut alors nommer un fiduciaire, aux termes du consentement. RONA disposait de cinq mois pour effectuer le dessaisissement après la clôture de la transaction, qui a eu lieu le 10 septembre 2003. Le 10 février 2004, le fiduciaire est choisi. La Convention de fiducie est signée le 27 février par RONA, le 1 er mars par la Commissaire.

[120] Le fiduciaire s’adresse à RONA pour obtenir les renseignements nécessaires à l’élaboration d’un document de vente. Échange de courriels au cours du mois de mars. Le fiduciaire a en main au 31 mars 2004 tous les renseignements demandés. Le fiduciaire tarde trois semaines pour enfin produire le document. Ce n’est qu’au mois d’août qu’un acquéreur manifeste enfin son intention d’achat. Du 31 mars au mois d’août 2004, RONA n’a rien à voir avec la démarche de dessaisissement. Lorsque l’acquéreur se présente, RONA manifeste son déplaisir : l’acheteur, selon elle, ne correspond pas aux critères prévus au consentement. Or l’achat du magasin signifie non seulement la création d’un concurrent, mais une perte importante pour RONA, qui ne peut négocier un prix avantageux. M. Guévin a témoigné que s’il avait simplement fallu vendre le magasin, sans autre condition, à n’importe quel détaillant plutôt qu’un détaillant de produits de quincaillerie-rénovation, RONA aurait pu réaliser un profit, ou du moins rentrer dans ses frais. Puisque le consentement prévoit un exploitant sérieux, RONA insiste aussi. D’août à octobre 2004, avant la signature par le fiduciaire de la lettre d’intention, RONA envoie nombre de commentaires au fiduciaire et à la Commissaire sur l’acquéreur. Toutefois, la preuve montre que, pour le mois de septembre, la lenteur des négociations n’a rien à voir avec RONA : le PDG de l’acquéreur est en vacances à l’extérieur du pays, le processus d’achat est paralysé. En octobre, le fiduciaire signe la lettre d’intention, considérablement améliorée, indique-il à la Commissaire dans un courriel, en raison des suggestions de RONA.

[121] Suit la vérification diligente (due diligence) qui précède la conclusion de la Convention d’achat-vente. Mme Laflamme a témoigné que le fiduciaire s’impatientait de la lenteur de RONA. Dans une lettre datée du 8 novembre, le fiduciaire indique à la Commissaire, avec copie à RONA, que le prix de vente du magasin a été réduit de 600 000 $ parce que l’acquéreur est insatisfait de la collaboration de RONA. Pourtant, à l’audition, RONA a déposé en preuve une épaisse liasse de correspondance relative au processus de vérification diligente. Le Tribunal ne voit rien d’anormal dans une négociation de convention d’achat-vente qui s’étendrait du 8 octobre au 24 novembre, ni aucune preuve que RONA a fait obstacle au processus.

[122] Par la suite, RONA demande des renseignements, comme lui permet le consentement. Insatisfaite des renseignements, elle dépose un avis d’opposition parce que selon elle, l’acquéreur ne répond pas aux critères du consentement. Encore une fois, rien qui n’était pas prévu au consentement.

[123] La Commissaire soutient également que RONA a abusé des recours qui étaient prévus par le consentement. Faut-il rappeler encore une fois que le consentement était un instrument négocié, signé de plein gré par les deux parties, chacune représentée par des avocats compétents. D’après le Tribunal, l’utilisation faite par RONA des recours prévus au consentement ne peut être qualifiée d’abusive. Le Tribunal conclut également que le fait de présenter un recours dans les délais prévus par le contrat, fût-ce le dernier jour, ne constitue pas un abus de droit.

[124] La Commissaire soutient enfin qu’il est abusif de la part de RONA d’invoquer un changement de circonstances alors qu’elle savait que Home Depot s’installerait à Sherbrooke. RONA a signé le consentement, d’après la Commissaire, avec la ferme intention de convaincre la Commissaire qu’elle avait raison de craindre la venue imminente de Home Depot.

[125] M. Guévin, dans son témoignage, a été d’une grande franchise quant à l’état d’esprit de la direction de RONA en signant le consentement. RONA était convaincue de la venue de Home Depot. RONA n’a pas caché ce fait à la Commissaire au mois d’août 2003. Au contraire, RONA a tenté de convaincre la Commissaire qu’il n’y avait rien à craindre pour la concurrence à Sherbrooke puisqu’il était évident, compte tenu de l’évolution des magasins Home Depot au Canada, que tôt ou tard Home Depot s’intéresserait à ce marché. À ce moment, la Commissaire a refusé de se rendre aux arguments de RONA. De guerre lasse, celle-ci a signé le consentement.

[126] Dès septembre 2003, une semaine après l’enregistrement du consentement, le courriel de Me Gascon faisant état des projections de Home Depot, qui incluaient Sherbrooke, indiquait bien que RONA avait signifié au Commissaire sa conviction que Home Depot s’installerait à Sherbrooke. Il était évident, dans ce contexte, que RONA continuait d’espérer que les circonstances changeraient en ce sens qu’une preuve arriverait à convaincre le Bureau que le consentement n’était pas nécessaire. Le Tribunal ne voit rien d’abusif dans le fait que RONA, que l’engagement dans le marché de la quincaillerie-rénovation rend plus sensible au mouvement du marché, ait cru avant la Commissaire que Home Depot arriverait à Sherbrooke, ni que RONA ait tenté de trouver les preuves de cette réalité pour les transmettre au Bureau de la concurrence.

VI. CONCLUSION [127] Pour tous ces motifs, le Tribunal accueille la demande de RONA et annule le consentement enregistré le 4 septembre 2003. Le Tribunal juge que les conditions énoncées à l’article 106 de la Loi sont remplies, et qu’il n’y a pas d’autre motif qui justifierait le rejet de la demande.

[128] La partie demanderesse a demandé à l’audition la possibilité de présenter des arguments sur les frais. La partie demanderesse soumettra ses arguments écrits sur les frais, dans les dix jours qui suivront l’émission des présents motifs. La Commissaire aura dix jours par la suite pour répondre aux arguments de la demanderesse. La partie demanderesse aura cinq jours pour déposer une courte réplique, le cas échéant.

[129] Les présents motifs sont confidentiels. Afin de permettre au Tribunal d’établir une version publique, les parties tenteront de parvenir à un accord sur ce qu’il convient, le cas échéant, de retrancher pour protéger comme il se doit les renseignements qui doivent rester confidentiels. Les parties déposeront au Tribunal, avant la fermeture du greffe le vendredi 3 juin 2005, un mémoire conjoint rendant compte de leur accord et, le cas échéant, de leurs points de désaccord touchant l’expurgation des présents motifs confidentiels. En cas de différend, les parties déposeront au Tribunal leurs observations respectives avant la fermeture du greffe le lundi 6 juin 2005.

DATÉ à Ottawa ce 30 e jour du mois de mai 2005. SIGNÉ pour le compte du Tribunal par les membres de la formation. (s) Pierre Blais (s) François Lemieux (s) Lucille Riedle

REPRÉSENTANTS : Requérante : RONA Inc. William W. McNamara Eric Lefebvre Martha A. Healey Dominique Simard Denis Gascon

Intimée : La Commissaire de la concurrence Diane Pelletier Steve Joanisse André Brantz

Intervenante: Ernst & Young Orenda Corporate Finance Inc. Marc-André Boutin Joseph Jarjour Louis-Martin O’Neill

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