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Tribunal de la concurrence Competition Tribunal Référence : Quinlan’s of Huntsville Inc. c. Fred Deeley Imports Ltd., 2004 Trib. conc. 28 N o de dossier : CT-2004009 N o de document du greffe : 0027d DANS L’AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34; ET DANS L’AFFAIRE des demandes présentées par Quinlan's of Huntsville Inc. (Quinlan) en vertu de l’article 103.1 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34 (la Loi), pour obtenir la permission de présenter une demande en vertu de l’article 75 de la Loi et une ordonnance provisoire fondée sur le paragraphe 104(1) de la Loi;

E N T R E : Quinlan’s of Huntsville Inc. (demanderesse)

et Fred Deeley Imports Ltd. (défenderesse)

Date de la téléconférence : 21 octobre 2004 Membre présidant l’audience : la juge Simpson (Présidente du Tribunal) Date de l’ordonnance : le 3 novembre 2004

MOTIFS DE L’ORDONNANCE RELATIVE À LA MESURE PROVISOIRE PRONONCÉE LE 3 NOVEMBRE 2004

I. INTRODUCTION [1] Il s’agit de la première demande en vue d’obtenir une ordonnance provisoire d’approvisionnement qu’une partie privée présente en vertu des articles 104 et 75 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34 (la Loi).

[2] L’entreprise Quinlan’s de Huntsville (Quinlan’s ou la demanderesse) est, depuis environ dix-sept ans, concessionnaire Harley-Davidson (H-D) à Huntsville (Ontario). Elle a conclu sa plus récente entente de concession avec la défenderesse le 9 juin 1999. L’échéance initiale avait été fixée au 31 juillet 2001, mais l’entente a été renouvelée par écrit, reportant la nouvelle échéance au 31 juillet 2004 (entente de concession). Le 9 décembre 2003, Quinlan’s a reçu un avis écrit l’informant que cette entente ne serait plus renouvelée (le non-renouvellement).

[3] Fred Deeley Imports Ltd. (Deeley ou la défenderesse) est le distributeur exclusif de motocyclettes H-D et produits connexes au Canada. Deeley agit par l’entremise d’un réseau de concessionnaires indépendants, les relations entre Deeley et ses concessionnaires étant régies par des ententes de concession.

[4] Le 5 juillet 2004, Quinlan’s a présenté une demande au Tribunal de la concurrence (le Tribunal) pour obtenir la permission de solliciter une ordonnance en vertu de l’article 75 de la Loi et pour obtenir une ordonnance provisoire d’approvisionnement en vertu de l’article 104. Le Tribunal a fait droit à la demande le 4 août 2004 et, après requête interlocutoire et contre-interrogatoires des adversaires de chaque partie relativement au contenu de leur affidavit respectif, la présente requête pour l’obtention d’une ordonnance provisoire d’approvisionnement a été entendue par voie de téléconférence le 21 octobre 2004. Quinlan’s a demandé au Tribunal d’ordonner à Deeley de lui fournir des motocyclettes de modèle 2005, ainsi que les pièces et accessoires y afférents.

II. LA THÈSE DE LA DEMANDERESSE [5] La demanderesse soutient que l’article 104 de la Loi confère au Tribunal le pouvoir discrétionnaire de rendre des ordonnances provisoires « . . . conformément aux principes normalement pris en considération par les cours supérieures en matières interlocutoires et d’injonction ». Normalement, ces principes seraient ceux que la Cour suprême a énoncés dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Toutefois, dans le passé, des injonctions mandatoires ont été accordées uniquement lorsqu’une plus forte apparence de droit a pu être établie. À cet égard, la demanderesse prétend que malgré le caractère péremptoire de l’ordonnance sollicitée, les décisions rendues récemment indiquent que le critère applicable à l’injonction mandatoire est maintenant moins exigeant : voir Adair c. British Columbia College of Teachers, [1999] B.C.J. n o 439 (C.S.)(QL), et Hedstrom c. Manufacturers Life Insurance Co. (2002), 8 B.C.L.R. (4 th ) 192, 2002 BCSC 1502, [2002] B.C.J. n o 2463 (QL). En conséquence, soutient la demanderesse, sa seule obligation est de me convaincre que la demande d’ordonnance en vertu de l’article 75 pour refus de vendre « soulève l’existence d’une question sérieuse à juger », et le Tribunal doit s’en tenir à ce qui lui paraît juste et équitable dans les circonstances.

[6] Selon la demanderesse, il ressort clairement de la preuve que sa demande soulève des questions sérieuses au regard de l’article 75 de la Loi. Elle affirme que le non-renouvellement ruinera son entreprise puisque les produits H-D représentent entre 55 et 60 pour 100 de ses affaires (ce chiffre est admis). À son avis, le préjudice est donc irréparable et la prépondérance des inconvénients milite en faveur d’une ordonnance provisoire d’approvisionnement. La demanderesse prie le Tribunal d’ordonner l’approvisionnement prévu à l’entente de concession moyennant certaines modifications. Le Tribunal, dit-elle, ne devrait pas se laisser dissuader par la complexité de la convention, la latitude que celle-ci accorde à H-D, le rôle qu’y tiennent les institutions financières et les dispositions concernant l’octroi de licences de marque. La demanderesse nie que le Tribunal ait à veiller sur l’exécution de l’ordonnance provisoire d’approvisionnement et nie, en outre, avoir indûment tardé à agir en laissant six mois s’écouler avant de présenter sa demande pour permission de se prévaloir de l’article 75 de la Loi. Elle indique que la prudence lui commandait de tenter de négocier un nouveau renouvellement de l’entente de concession avant d’intenter une poursuite judiciaire. Enfin, la demanderesse affirme qu’elle a le droit de s’appuyer sur les renseignements financiers qu’elle possède pour l’exercice se terminant le 31 mai 2003 parce que c’était les plus récents renseignements dont elle disposait au moment elle a présenté sa demande.

III. LA THÈSE DE LA DÉFENDERESSE [7] La défenderesse soutient que, vu qu’elle cherche à obtenir une ordonnance mandatoire, Quinlan’s doit démontrer que sa demande fondée sur l’article 75 de la Loi est [TRADUCTION] « exceptionnellement précise et évidente », qu’il y a [TRADUCTION] « forte apparence de droit » ou, en d’autres termes, qu’elle a [TRADUCTION] « de fortes chances d’avoir gain de cause à l’instruction ». À cet égard, voir : Sheppard Homes Limited c. Sandham, [1970] 3 All E.R. 402, Ticketnet Corp. c. Air Canada (1987), 21 C.P.C. (2d) 38, [1987] O.J. n o 782 (H.C.J.) (QL), Cellular Rental Systems c. Bell Mobility Cellular Inc. (1994), 116 D.L.R. 4 th 514, 56 C.P.R. (3d) 251, Ausman c. Equitable Life Insurance Co. of Canada (2002), 46 C.C.L.I. (3d) 14, [2002] O.J. n o 3066 (C. sup.) (QL), Parker c. Canadian Tire Corp., [1998] O.J. n o 1720 (Div. gén.) (QL) et Pasknak c. Chura (1999), 2 B.L.R. (3d) 107, 1999 BCSC 1934, [1999] B.C.J. n o 2851 (QL). Selon Deeley, la demande au fond ne satisfait pas à cette norme et les documents financiers de la demanderesse ne sont pas à jour comme il se doit. Deeley affirme également que la demanderesse ne risque pas d’avoir à fermer ses portes, vu qu’on lui a demandé de considérer la possibilité de représenter d’autres marques de motocyclettes et qu’elle est tenue de limiter ses pertes en remplaçant les H-D par d’autres marques.

[8] Deeley prétend que, comme elle a déjà attribué ses motocyclettes de modèle 2005 à ses concessionnaires (sauf Quinlan’s), la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur. Elle prétend également qu’il sera difficile de veiller à l’exécution d’une ordonnance qui reprendra la formulation des dispositions complexes de l’entente de concession, et qu’il n’y a pas lieu d’accorder à Quinlan’s une telle ordonnance parce qu’elle a attendu six mois avant de présenter sa demande au Tribunal. Selon Deeley, si Quinlan’s avait présenté promptement sa demande d’ordonnance provisoire d’approvisionnement, Deeley aurait pu inclure les 100 motocyclettes demandées dans sa propre commande de modèles H-D 2005.

IV. LES PRODUITS H-D A. Motocyclettes de modèle 2005 [9] Deeley commande ses motocyclettes de l’usine H-D située aux États-Unis (l’usine). L’usine est l’unique fabricant de motocyclettes H-D sur le marché mondial. En mars 2004, Deeley a « confirmé » une commande de 10 900 motocyclettes H-D de modèle 2005. Parce qu’elle voulait offrir une gamme plus large de motocyclettes, Deeley a ensuite, en juillet 2004, ajouté à sa commande 300 unités supplémentaires, pour un total de 11 200 motocyclettes de modèle 2005.

[10] En juillet 2004, Deeley a tenu une réunion pour dévoiler les modèles 2005. Selon le témoignage de M. Jim Quinlan, président de la demanderesse, Deeley informe normalement chaque concessionnaire du nombre total de motocyclettes de modèle 2005 qu’elle lui attribue. Dans chacune de ces attributions, on précise au concessionnaire le nombre de motocyclettes qu’il peut s’attendre à recevoir dans chacun des cinq « groupes » de produits H-D. Par la suite, le concessionnaire choisit les modèles précis qu’il tient à commander jusqu’à concurrence du nombre qui lui a été attribué pour chacun de ces groupes. Les modèles 2005 ont commencé à rentrer chez les concessionnaires H-D en août 2004 lorsqu’un premier lot restreint (un ou deux modèles) leur a été livré.

[11] Deeley considère que le nombre de motocyclettes de modèle 2005 attribué aux concessionnaires constitue un renseignement qu’il serait délicat de divulguer sur le plan commercial. Deeley ne révèle pas à ses concessionnaires le nombre de motocyclettes qu’elle attribue aux autres concessionnaires. Deeley a offert de fournir au Tribunal et à l’avocat de Quinlan’s, à titre confidentiel, le nombre de motocyclettes attribué à l’échelle nationale pour l’année 2005, à condition que ces renseignements ne soient pas divulgués à Quinlan’s. L’offre n’a pas été acceptée. Aucune preuve documentaire n’a donc été produite relativement au modèle 2005 pour établir si les 11 200 motocyclettes H-D que Deeley a commandées pour l’ensemble du Canada ont été attribuées aux concessionnaires. M. Quinlan a affirmé dans son contre-interrogatoire qu’il ne savait pas s’il y avait au Canada une offre excédentaire de motocyclettes H-D de modèle 2005.

[12] Dans son affidavit du 16 août 2004, M. Bremner J. Green, directeur général de Deeley, affirme que toutes les motocyclettes 2005 ont été attribuées aux concessionnaires H-D. Voici ce qu’il a déclaré :

[TRADUCTION] Paragraphe 24. Par conséquent, si le Tribunal ordonne que Deeley continue de fournir des motocyclettes à Quinlan’s, il lui sera extrêmement difficile de se conformer à l’ordonnance. Si Deeley ne peut obtenir d’autres motocyclettes de Harley-Davidson, elle devra réduire la quantité de motocyclettes qu’elle s’est déjà engagée à fournir à ses concessionnaires. Cette réduction causera un préjudice non seulement à Deeley, mais également à d’autres concessionnaires indépendants.

Paragraphe 33. Bref, si le Tribunal ordonne à Deeley de fournir provisoirement des motocyclettes à Quinlan’s, celles qui pourraient lui être fournies devraient provenir du nombre déjà attribué aux concessionnaires. Cette situation exposerait Deeley à des inconvénients majeurs et nuirait à ses relations avec les autres concessionnaires et clients.

[13] En réponse à cette partie du témoignage, la demanderesse soutient que, dans la mesure il est admis que des concessionnaires ont des motocyclettes H-D invendues d’années précédentes (de 1400 à 1500 environ sur tout le territoire canadien) et dans la mesure Deeley a reconnu qu’elle avait commandé un nombre plus élevé de motocyclettes en 2005 qu’en 2004 et que M. Quinlan a appris que plusieurs concessionnaires H-D (il en a nommé trois) en Ontario ont demandé, et obtenu, une réduction du nombre de motocyclettes de modèle 2005 qui leur avait été attribué, on peut raisonnablement conclure que même si toutes les motocyclettes de modèle 2005 ont été attribuées aux concessionnaires, il y a néanmoins un surplus.

[14] La demanderesse prétend que le paragraphe D(3)(i) de l’entente de concession permet aux concessionnaires de se transférer des motocyclettes entre eux sous réserve de l’approbation de Deeley, et qu’elle pourrait être approvisionnée de cette manière.

[15] La demanderesse soutient également que les ententes de concessions autorisent Deeley à faire une nouvelle attribution des modèles 2005 de manière à se conformer aux termes d’une ordonnance provisoire d’approvisionnement prononcée par le Tribunal. Le paragraphe D2 de l’entente, intitulé [TRADUCTION] « Exécution des ordonnance », dispose :

[TRADUCTION] ... En outre, au cours de toute période pendant laquelle des produits Harley-Davidson viennent à manquer pour quelque raison que ce soit, Deeley a le droit exclusif d’attribuer des produits Harley-Davidson au détaillant, ainsi qu’à tout autre détaillant ou client, en fonction de critères que Deeley peut établir à son gré nonobstant toute disposition contraire de la présente entente.

[16] Enfin, Quinlan’s affirme que Deeley pourrait l’approvisionner en faisant une nouvelle commande à l’usine.

[17] À partir de ces faits, se pose donc la question de savoir s’il est possible, eu égard aux présentes circonstances toutes les motocyclettes 2005 ayant déjà été attribuées aux concessionnaires, ceux-ci ayant été informés de cette attribution et ayant choisi des modèles particuliers , de conclure que les motocyclettes H-D de modèle 2005 sont disponibles en quantité amplement suffisante.

[18] Il n’y a aucune jurisprudence sur la signification de l’expression « disponible en quantité amplement suffisante » dans le contexte de l’article 75 de la Loi. Les deux seules décisions dans lesquelles les tribunaux se sont penchés sur l’article 75 ne traitaient pas de cette question : voir Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Xerox Canada Inc. (1990), 33 C.P.R. (3d) 83, et Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Chrysler Canada Ltd. (1989), 27 C.P.R. (3d) 1.

[19] J’estime que l’article 75 et, par conséquent, les ordonnances provisoires prononcées en vertu de l’article 75 sont censés viser des situations le produit est disponible immédiatement et libre de toute charge, en ce sens qu’il n’a pas été vendu ni promis à un autre acheteur. Toutefois, en l’espèce, une ordonnance provisoire d’approvisionnement constitue le seul moyen qui permettrait à Quinlan’s d’avoir accès de façon sûre à des motocyclettes H-D de modèle 2005. Cette mesure provisoire imposerait à son tour à Deeley de déclarer un manque de motocyclettes au sens du paragraphe D2 de l’entente de concession et de ne pas remettre des motocyclettes à des concessionnaires envers qui elle s’est déjà engagée.

[20] Il se peut, comme le prétend la demanderesse, que l’offre devienne ou se révèle excédentaire à l’échelle nationale. Toutefois, pour le moment, la preuve très limitée présentée par Quinlan’s n’établit qu’une possibilité de surplus. Il ne s’agit pas d’une preuve de disponibilité en quantité amplement suffisante. Il se peut également que Deeley puisse obtenir d’autres motocyclettes de l’usine si une ordonnance provisoire d’approvisionnement était prononcée, mais cette perspective est incertaine. Enfin, d’autres concessionnaires pourraient avoir des motocyclettes, mais, encore là, il ne s’agit pas d’une source fiable d’approvisionnement parce que ces motocyclettes ne sont disponibles que dans le cas les concessionnaires acceptent de les transférer et que Deeley y consent. Compte tenu de la preuve actuellement au dossier, je conclus donc que le seul moment dans l’année les motocyclettes 2005 étaient disponibles en quantité amplement suffisante remonte à l’époque précédant la date Deeley a transmis sa commande à l’usine, soit en mars 2004.

[21] Même si Quinlan’s a établi que les motocyclettes H-D sont disponibles en quantité amplement suffisante certains mois de l’année, j’estime que, vu l’ensemble des circonstances de l’espèce, il n’est pas justifié que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour ordonner à Deeley de fournir à Quinlan’s des motocyclettes H-D de modèle 2005 parce que celles-ci ne sont pas actuellement disponibles en quantité amplement suffisante.

B. Autres produits [22] La présente demande vise également d’autres produits, notamment des vêtements et accessoires H-D (marchandises diverses) ainsi que des pièces de motocyclettes utilisées pour l’entretien de tous les modèles (pièces). Dans son affidavit du 16 août 2004, M. Green indique que 40 pour 100 des marchandises diverses sont de nature saisonnière et que les concessionnaires peuvent eux-mêmes s’en procurer par commande spéciale à l’occasion de l’un des deux salons de la moto tenus chaque année. Quinlan’s n’a pas été invitée aux salons tenus en janvier et en juin 2004, et aucune commande de marchandises saisonnières n’a été faite en son nom. Les marchandises diverses de nature saisonnière ne sont donc pas disponibles en quantité amplement suffisante.

[23] Les commandes pour les marchandises non saisonnières et les pièces sont présentées au besoin, et il ressort de la preuve que celles-ci sont disponibles en quantité amplement suffisante. Dans ce contexte, il faut d’abord se demander s’il est logique de prononcer une ordonnance provisoire d’approvisionnement qui permettrait à Quinlan’s d’avoir à sa disposition des marchandises diverses non saisonnières et des pièces dans l’hypothèse elle n’aurait pas de motocyclettes de modèle 2005 à offrir en vente. À la réflexion, vu que l’entente de concession n’en prévoit la mise à disposition que sur commande de Quinlan’s, je conclus que rien ne justifie de ne pas rendre une ordonnance provisoire d’approvisionnement. Quinlan’s est donc libre d’en commander à sa guise.

V. LA NORME APPLICABLE À UNE ORDONNANCE PROVISOIRE D’APPROVISIONNEMENT

[24] L’un des principes que les cours supérieures appliquent pour décider si elles doivent prononcer une ordonnance provisoire d’approvisionnement impose au juge de tenir compte de toutes les circonstances de l’affaire, notamment des contextes pratique et législatif. À cet égard, il semble erroné de conclure que la partie privée, qui vient d’être autorisée par le Tribunal à présenter une demande en vertu de l’article 75 au motif que le Tribunal « pourrait » dégager les faits nécessaires pour lui donner gain de cause, doit établir une forte apparence de droit si elle présente ensuite une requête en vue d’obtenir une ordonnance provisoire. À mon avis, la preuve d’une question sérieuse à juger (en ce sens qu’elle n’est ni frivole ni vexatoire) est plus conforme au régime législatif qui établit un critère relativement peu exigeant pour l’octroi de la demande de permission. De plus, dans le contexte d’une demande en vertu de l’article 75, une ordonnance mandatoire ne constitue pas un recours extraordinaire. Elle constitue plutôt l’essence même de la disposition et il me semble que, dans ce contexte, il n’y a pas lieu de considérer que les ordonnances relatives au maintien ou au rétablissement de l’approvisionnement sont exceptionnelles.

VI. LE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE [25] À mon avis, s’agissant d’une demande fondée sur l’article 75 de la Loi, il n’y a aucune obligation d’atténuer les dommages en concluant des ententes pour se procurer des articles de remplacement. Quinlan’s était un concessionnaire H-D et, si elle établit le bien-fondé de sa demande, elle pourra l’être encore. Il n’est pas réaliste de prétendre que, dans l’attente d’une décision définitive qui règle son accès aux produits H-D, elle a l’obligation de conclure des ententes d’approvisionnement avec d’autres fabricants de motocyclettes. Elle peut choisir de le faire, mais lui imposer est contraire à l’objet de l’article 75.

[26] Dans la présente affaire, il ne fait aucun doute que la perte des ventes de produits H-D et de l’achalandage constitue un préjudice irréparable.

VII. LA PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS [27] Dans le cas des marchandises diverses non saisonnières et des pièces, la prépondérance des inconvénients joue en faveur de l’approvisionnement, aucune preuve ne permettant de croire que ces produits ne sont pas disponibles en quantité amplement suffisante.

VIII. CONCLUSIONS [28] S’agissant des marchandises diverses non saisonnières et des pièces, Quinlan’s a soulevé des questions sérieuses quant au fond de sa demande en vertu de l’article 75 de la Loi et elle a droit à une ordonnance provisoire d’approvisionnement.

[29] Comme il est mentionné précédemment, j’ai conclu qu’il n’était pas justifié de prononcer une ordonnance provisoire d’approvisionnement relativement aux motocyclettes. Toutefois, il existe un autre moyen qui permettrait peut-être à Quinlan’s d’obtenir les motocyclettes de modèle 2005 qu’il lui faut en vue de les vendre et, qu’en l’espèce, je considère indiqué. Dans cette perspective, l’ordonnance du Tribunal dégage Quinlan’s des responsabilités qui lui incombent en vertu des dispositions prévues au paragraphe D(3)(i) de l’entente de concession de manière à ce qu’elle puisse, si elle le désire, prendre des arrangements pour acheter de motocyclettes d’autres concessionnaires sans avoir à obtenir le consentement de Deeley.

IX. ORDONNANCE [30] Pour tous ces motifs, le Tribunal ordonne à Deeley de fournir à Quinlan’s des marchandises diverses non saisonnières et des pièces jusqu’à ce que le Tribunal statue de façon définitive sur le fond de la demande. L’ordonnance rétablit l’entente de concession en la modifiant afin que Quinlan’s redevienne concessionnaire de produits H-D. Les parties ayant chacune obtenu partiellement gain de cause, je n’adjugerai pas de dépens.

FAIT à Ottawa, le 3 novembre 2004. SIGNÉ au nom du Tribunal par le juge présidant l’audience. (s) Sandra J. Simpson

REPRÉSENTANTS Pour la demanderesse : Quinlan’s of Huntsville Inc. Robert Rueter Andy Chan

Pour la défenderesse : Fred Deeley Imports Ltd. R. Seumas M. Woods Christopher Hersh Matthew Horner

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