Documentation

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal de la concurrence Competition Tribunal Référence : Paradise Pharmacy Inc. et Rymal Pharmacy Inc. c. Novartis Pharmaceuticals Canada Inc., 2004 Trib. conc. 21 No de dossier : CT-2004-004 No de document du Greffe : 0008a

DANS L'AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34; ET DANS L'AFFAIRE d'une demande présentée par Paradise Pharmacy Inc. et Rymal Pharmacy Inc. (Paradise et al.) en vertu de l'article 103.1 de la Loi sur la concurrence pour obtenir la permission de présenter une demande en vertu de l'article 75 de la Loi;

E N T R E : Paradise Pharmacy Inc. et Rymal Pharmacy Inc. (demanderesses)

et Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. / Novartis Pharma Canada Inc. (défenderesse)

Décision sur dossier Membre : Le juge Blais (Président) Date des motifs de l'ordonnance et de l'ordonnance : Le 20 septembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA DEMANDE [1] Les demanderesses, Paradise Pharmacy Inc. et Rymal Pharmacy Inc. (Paradise et al.), sont des personnes morales constituées en vertu des lois de la province d’Ontario, qui exercent leur entreprise à Hamilton (Ontario). Une pharmacienne titulaire de licence, Shirley Silberg, possède et exploite les deux pharmacies.

[2] La défenderesse, Novartis Pharmaceuticals Canada Inc./Novartis Pharma Canada Inc. (Novartis), est une personne morale constituée en vertu des lois du Canada, qui exerce son entreprise de fabrication de produits pharmaceutiques dans tout le Canada, et notamment en Ontario.

[3] Paradise et al. exploitent des pharmacies de détail à Hamilton - Paradise, depuis 1996, et Rymal, depuis 1997. Elles offrent les produits et services qu'on trouve généralement dans une pharmacie de quartier, c'est-à-dire des produits de santé, de beauté et de maquillage, des médicaments sur ordonnance et des médicaments en vente libre.

[4] Les pharmacies de détail situées dans le secteur avoisinant les emplacements de Paradise et al. se livrent une forte concurrence. Dans un rayon d'un mille de chacune des pharmacies se trouve une pharmacie grande surface ( Shoppers Drug Mart, Pharma Plus, Wal-Mart ). Les pharmacies dépendent des fabricants pour leur approvisionnement en produits pharmaceutiques. Dans certains cas, elles peuvent se procurer des produits génériques mais pour les médicaments sous brevet, le fabricant, et ses distributeurs autorises, sont la seule source d'approvisionnement.

[5] Paradise et al. vendent des produits Novartis depuis leur ouverture. Les médicaments de Novartis représentent environ sept pour cent des ventes totales annuelles de produits pharmaceutiques de chacun des établissements. Novartis fabrique des médicaments sur ordonnance pour le traitement de diverses affections, dont le diabète (Actos), l'hypertension artérielle (Diovan, Lotensin) et les troubles psychiatriques (Zyprexa), et pour la prévention du cancer du sein (Femara).

[6] Les deux distributeurs fournissant les demanderesses les ont informées qu'ils avaient reçu instruction de la défenderesse de ne plus les approvisionner en produits Novartis. Ce refus de vendre a sérieusement perturbé les entreprises et a entrainé des pertes de ventes et de clientèle. Paradise et al. soutiennent que si des clients ont à faire remplir des ordonnances multiples et que la pharmacie ne peut offrir l'un des produits, les clients chercheront tout simplement une autre pharmacie qui pourra exécuter toutes leurs ordonnances. Elles affirment que Novartis menace gravement leur survie financière.

[7] Novartis occupe une position dominante dans le marché relativement à ses produits brevetés, lesquels sont très faciles à obtenir dans la région de Hamilton, notamment chez les gros concurrents de Paradise et al.

LA POSITION DE LA DÉFENDRESSE [8] Novartis Pharmaceuticals Canada Inc./Novartis Pharma Canada Inc. (la défenderesse) conteste la demande en invoquant les deux motifs suivants : (1) les demanderesses n'ont pas été directement et sensiblement gênées dans leur entreprise, (2) le critère applicable pour statuer sur une demande fondée sur l'article 103.1 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34 (la Loi), comprend un examen en vertu de l'article 75.

L'effet direct et sensible : [9] Deux des onze produits que les demanderesses ont présentés comme des produits Novartis n'en sont pas. En effet, l'Actos et le Zyprexa sont fabriqués et vendus par Eli Lilly, une entreprise concurrente de la défenderesse. D'après IMS, les ventes totales des demanderesses relativement aux neufs produits Novartis se chiffraient à environ 3149 $ en 2003.

[10] La défenderesse allègue que, compte tenu de l'interprétation que le Tribunal de la concurrence (le Tribunal) a donnée au terme « sensiblement », on ne peut dire que les demanderesses sont sensiblement gênées.

[11] La défenderesse a des motifs de croire que les demanderesses se sont livrées à des ventes à l'exportation de produits pharmaceutiques par internet, contrevenant ainsi aux directives données par la défenderesse à ses distributeurs indépendants en application des modalités de vente qu'elle a établies.

Le critère applicable en matière d'octroi de la permission visée à l'article 103.1 : [12] Pour que le Tribunal accorde la permission visée à l'article 103.1, il faut, selon la défenderesse, que deux conditions distinctes soient réunies: premièrement, la pratique du défendeur doit gêner directement et sensiblement le demandeur dans son entreprise et, deuxièmement, elle doit pouvoir faire l'objet d'une ordonnance sous le régime de l'article 75.

[13] La défenderesse, soutenant que les cinq conditions énumérées à l'article 75 doivent être remplies pour que le Tribunal prononce une ordonnance en vertu de cette disposition par suite d'un refus de vendre, prétend que les demanderesses n'ont pas fait la preuve qu'elles étaient incapables de se procurer un produit de façon suffisante en observant les conditions de commerce normales (75(l)(a)), ni que la pratique avait nui à la concurrence dans le marché (75(l)(e)). Elle fait d'ailleurs remarquer, relativement à ce dernier point, que les demanderesses elles-mêmes déclarent que la concurrence est vive dans le secteur avoisinant les deux pharmacies. Par conséquent, elle affirme qu'il n'existe pas de motif permettant au Tribunal de conclure que sa conduite pourrait faire l'objet d'une ordonnance en vertu de l'article 75, puisque les conditions prévues par cette disposition ne sont pas remplies.

ANALYSE [14] L'article 103.1 de la Loi est de droit nouveau, et seules cinq décisions ont été rendues à son sujet jusqu'à présent; voici un bref résumé de chacune d'elles :

[15] Dans National Capital News Canada c. Milliken, 2002 Trib. conc. 41, la juge Dawson a statué que le refus d'accorder au demandeur un accès sans condition à la Tribune de la presse parlementaire ressortissait au privilège parlementaire dont l'exercice était dévolu au Président de la Chambre et que la décision ne pouvait donc faire l'objet d'une ordonnance en vertu de l'article 75, car le Tribunal, tout comme les tribunaux judiciaires, n'avait pas compétence pour examiner l'exercice particulier du privilège. L'exigence établie au paragraphe 103.1(7) n'avait donc pas été remplie.

[16] Dans Barcode Systems Inc. c. Symbol Technologies Canada ULC, 2004 Trib. conc. 1, le juge Lemieux a accordé à Barcode la permission qu'elle demandait, après avoir conclu qu'il existait suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour que le Tribunal ait des raisons de croire qu'elle était directement et sensiblement gênée dans son entreprise. Il avait été prouvé que, sur pétition de la Banque Royale du Canada, un séquestre intérimaire des biens, de l'actif et des entreprises de Barcode avait été nommé. Cette dernière avait également affirmé dans ses affidavits qu'elle avait mis à pied la moitié de ses employés.

[17] Dans Allan Morgan and Sons Ltd. c. La-Z-Boy Canada Ltd., 2004 Trib. conc. 4 (juge Lemieux), la demanderesse Allan Morgan and Sons Ltd. sollicitait la permission, visée à l'article 103.1, de présenter une demande en vertu de l'article 75, alléguant que la défenderesse La-Z-Boy Canada Ltd. l'avait directement et sensiblement gênée dans son entreprise en mettant fin à son droit d'agir comme représentante.

[18] La demanderesse avait présenté des tableaux indiquant les ventes par catégories de meubles, les profits bruts et la perte estimée de bénéfices résultant des restrictions imposées par la défenderesse avant la résiliation du contrat. En se fondant sur ces données, le juge Lemieux a conclu qu'il existait suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour le convaincre que la demanderesse « a pu être directement et sensiblement gênée par les mesures prises par La-Z-Boy ». Il a ensuite ajouté qu'«[à] l’étape de la demande de permission, Morgan's Furniture n'a pas à satisfaire à une norme de preuve préliminaire plus élevée ».

[19] La juge Simpson s'est récemment prononcée sur deux demandes fondées sur l'article 103.1, dans les affaires Robinson Motorcycle Limited. c. Fred Deeley Imports Ltd., 2004 Trib. conc. 13, et Quinlan's of Huntsville Inc. c. Fred Deeley Imports Ltd., 2004 Trib. conc. 15. Elle a accordé la permission dans les deux cas, concluant que les exigences prévues au paragraphe l03.l(7) avaient été remplies. Elle a ajouté que l'ordonnance prévue à l'article 75 pourrait être rendue car le Tribunal pourrait conclure que chacune des conditions avait été remplie.

[20] En l'espèce, je suis d'avis que les demanderesses n'ont pas satisfait au critère selon lequel elles doivent être « directement et sensiblement gêné[es] dans son [leur] entreprise ». Il n'est

donc pas nécessaire de déterminer si l'ordonnance prévue à l'article 75 pourrait être rendue. Les demanderesses doivent présenter suffisamment d'éléments de preuve crédibles de l'existence d'effets directs et sensibles. Dans l'affaire Barcode, l'entreprise avait été placée sous séquestre et la moitié des employés avaient été mis à pied. Dans l'affaire La-Z-Boy, la demanderesse avait présenté des chiffres indiquant une diminution des ventes de quarante-six pour cent. L'allégation relative aux effets sensibles reposait donc sur un fondement crédible.

[21] Le Tribunal n'a jamais défini précisément ce que recouvrait le terme « sensible ». Il a toutefois exposé ce qui suit dans la décision Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Chrysler Canada Ltd. [I989] D.T.C.C. no 49:

Le Tribunal reconnait que « sensible » doit recevoir son sens habituel, ce qui signifie davantage que le seul fait de ne pas être négligeable. Des mots comme « important » sont des synonymes acceptables, mais on ne peut apporter un éclaircissement complémentaire qu'en procédant à 1'évaluation de situations réelles.

L'arrêt d'approvisionnement provoqua une baisse de plus de 200 000 $ dans les ventes, entre 1986 et 1988. L'année 1987 a été une année de transition. Durant une bonne partie de cette année, Brunet a pu obtenir des pièces en s'adressant aux concessionnaires de Chrysler Canada, et Chrysler Canada a continué de remplir les commandes reçues par Brunet avant octobre 1986. La légère augmentation, en 1988, des ventes de pièces provenant de Chrysler États-Unis laisse croire que les pièces provenant de Chrysler États-Unis ont pu remplacer dans une certaine mesure celles de Chrysler Canada, probablement à cause de la difficulté croissante d'obtenir des pièces au Canada. Si un tel remplacement a eu lieu, il a été beaucoup trop restreint pour atténuer la baisse des ventes et des bénéfices bruts résultant des pièces d'automobile Chrysler. Entre 1986 et 1988, la baisse des bénéfices découlant de l'approvisionnement en pièces Chrysler au Canada a dépassé 30 000$. Des pertes qui atteignent 200 000$ pour les ventes et 30 000$ pour les bénéfices bruts constituent un effet sensible pour une petite entreprise comme celle de Brunet.

[22] Les demanderesses prétendent que la conduite de la défenderesse entrainera d'autres effets commerciaux que la perte des ventes des produits Novartis. Les clients s'adresseront à d'autres pharmacies s'ils ne peuvent faire exécuter leurs ordonnances, en totalité ou en partie, dans les établissements des demanderesses.

[23] Les demanderesses n'ont pas fourni de chiffres expliquant précisément les effets que la décision de la défenderesse a eus sur leurs entreprises. Le paragraphe l03.l(7) énonce que le Tribunal peut faire droit à la demande de permission s'il a des raisons de croire que l'auteur de la demande est directement et sensiblement gêné dans son entreprise. Autrement dit, la preuve doit être directe, et non hypothétique. Comme les demanderesses n'ont fourni aucun chiffre, il est difficile pour le Tribunal d'avoir la conviction que la survie financière de l'entreprise est menacée.

[24] Il appert de la preuve présentée que les demanderesses craignent de perdre des ventes et des clients. Elles n'expliquent pas comment elles ont calculé cette perte et ne fournissent pas de justification ni de point de référence pour démontrer les effets résultant de la perte des produits de la défenderesse. A mon avis, la preuve n'est pas suffisante pour fonder l'octroi de la permission.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ORDONNE QUE : [25] La demande de permission de présenter une demande en vertu de l'article 75 soit rejetée. FAIT à Ottawa, ce 20e jour de septembre 2004. SIGNÉ au nom du Tribunal par le juge le présidant.

(s) Pierre Blais

Pour les demanderesses : Paradise Pharmacy Inc. et al. Mark Adilman D.H. Jack

Pour la défenderesse : Novartis Pharmaceuticals Canada Inc./Novartis Pharma Canada Inc. A. Neil Campbell Karen S. Kuzumowich

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.