Documentation

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal de la concurrence Competition Tribunal Référence: Mrs. O's Pharmacy c. Pfizer Canada Inc., 2004 Trib. conc. 24 No de dossier : CT-2004-003 No de document du Greffe : 0006a

DANS L'AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34; ET DANS L'AFFAIRE d'une demande présentée par Mrs. O's Pharmacy (Mrs. O's) en vertu de l'article 103.1 de la Loi sur la concurrence pour obtenir la permission de présenter me demande en vertu de l'article 75 de la Loi;

E N T R E: Mrs. O's Pharmacy (demanderesse)

Pfizer Canada Inc. (défenderesse)

Décision sur dossier. Membre : Le juge Blais (Président) Date des motifs de l'ordonnance et de l'ordonnance : Le 20 septembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA DEMANDE [1] La demanderesse, Mrs. 0's Pharmacy Inc. (Mrs. O's), est une personne morale constituée en vertu des lois de la province d’Ontario, qui exerce son entreprise dans la ville de Fort Erie (Ontario).

[2] La défenderesse, Pfizer Canada Inc. (Pfizer), est une personne morale constituée en vertu des lois du Canada, qui exerce son entreprise de fabrication de produits pharmaceutiques dans tout le Canada, et notamment en Ontario.

[3] Mrs. O's exploite une pharmacie de détail a Fort Erie. L'établissement offre une grande variété de produits, dont des médicaments sur ordonnance et des médicaments en vente libre. Il est situé au centre-ville, a environ deux milles du pont Peace. Chaque été, la population de Fort Erie - environ 25 000 personnes - double en raison d'un afflux d'Américains. Mrs. O's a commencé à exploiter sa pharmacie au mois de janvier 2004.

[4] Pfizer fournissait auparavant des produits clés a Mrs. O's : le Lipitor (pour l'hypercholestérolémie), l'Accupril et le Norvasc (pour l'hypertension artérielle), le Ministrin et le Loestrin (pour la contraception), le Bextra et 1'Arthotec (pour l'arthrite) et le Detrol (pour l'incontinence urinaire). Ces importants produits thérapeutiques comptent pour une proportion substantielle des ventes brutes de Mrs. O's. Pour l'ensemble du secteur pharmaceutique, ces produits représentent environ vingt pour cent des ventes annuelles brutes d'une pharmacie en Ontario.

[5] Par lettre en date du 11 avril 2004, Pfizer a, sans avis préalable, informé Mrs. O's qu'elle n'avait pas respecté les conditions de commerce établies par Pfizer, savoir l'obligation de ne vendre ou ne distribuer les produits Pfizer qu'au Canada et que, par conséquent, elle n'était plus autorisée à s'approvisionner en produits pharmaceutiques Pfizer auprès des distributeurs autorisés de l'entreprise pharmaceutique.

[6] Mrs. O's soutient qu'elle n'a jamais exporté de produits Pfizer. Pfizer a offert de recommencer à approvisionner Mrs. O's si cette dernière consentait à ce que Pfizer effectue quatre vérifications annuelles. Mrs. O's fait valoir que cette exigence n'est pas une condition de commerce normale et que si elle y consentait, elle contreviendrait aux obligations professionnelles en matière de protection de la vie privée et de confidentialité qu'elle assume à l'égard de ses clients. Pfizer a également exigé de la pharmacie qu'elle signe une déclaration affirmant qu'elle n'exportera pas de produits Pfizer et qu'elle s'abstiendra d'en vendre à toute personne pour laquelle elle aura des motifs de croire qu'elle pourrait les exporter.

[7] Pfizer occupe une position dominante dans le marché relativement a ses produits brevetés. Les produits Pfizer sont très faciles à obtenir dans la région de Fort Erie. La conduite de Pfizer a nui substantiellement la croissance de Mrs. O's, car les patients qui ne peuvent faire exécuter la totalité de leur ordonnance a la pharmacie adoptent un autre établissement. Par conséquent, Mrs. O's affirme que la conduite de Pfizer menace sa survie financière.

LA POSITION DE LA DEFENDERESSE [8] Pfizer Canada Inc. (la défenderesse) conteste la demande. Elle soutient que la demanderesse n'a pas démontré que la décision de la défenderesse de cesser de l'approvisionner l'a sensiblement gênée dans son entreprise.

[9] La défenderesse indique que malgré l'envoi par messagerie privée a la demanderesse, le 20 février 2004, d'une reformulation de l'exigence que tous les produits Pfizer soient vendus uniquement au Canada (exigence en vigueur depuis 2000), elle a appris que Mrs. O's avait un site web. La défenderesse a alors informée cette dernière qu'elle ne respectait pas les modalités de l'accord d'approvisionnement.

[10] La demanderesse avait la possibilité de se fournir en produits Pfizer à la condition qu'elle se conforme aux modalités fixées. Pfizer est disposée à recommencer l'approvisionnement si la demanderesse se soumet à certaines exigences relatives à des rapports et à des vérifications, établies à seule fin de confirmer son respect desdites modalités.

[11] Selon la défenderesse, la demanderesse n'a pas satisfait au critère établi au paragraphe lO3.l(7) de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34 (la Loi), pour l'obtention de la permission de présenter une demande en vertu de l'article 75, parce qu'elle n'a pas soumis suffisamment d'éléments de preuve crédibles démontrant que la conduite de Pfizer l'a directement et sensiblement gênée dans son entreprise. Les affirmations faites dans l'exposé des motifs et des faits substantiels relativement aux effets de la conduite de Pfizer sur son entreprise sont [TRADUCTION] « exagérées, déraisonnables et fondées sur des renseignements insuffisants et des suppositions »

[12] A l'appui de cet argument, la défenderesse expose les faits suivants : 1) Depuis que la demanderesse a commencé à exploiter son entreprise, elle a acheté seulement 10 000 $ de produits Pfizer.

2) La demanderesse n'a fourni aucune donnée objective sur les ventes qu'elle aurait perdues par suite de la décision de la défenderesse de cesser de l'approvisionner. La demanderesse ne s'appuie que sur des prévisions établies avant l'ouverture de l'entreprise.

3) La demanderesse prétend que les huit produits qu'elle attribue à la défenderesse représentent environ vingt pour cent des ventes annuelles brutes d'un pharmacien, mais elle n'a pas étayé ce chiffre.

4) Deux des huit produits attribués à la défenderesse ont fait l'objet d'une cession en faveur d'une autre société.

5) D'après des données produites par IMS, un service indépendant de collecte de données, les six produits énumérés par la demanderesse ne comptent que pour douze pour cent des ventes aux pharmaciens ontariens et à la demanderesse.

[13] La demanderesse évalue ses pertes en fonction de prévisions et non de chiffres réels. Elle a pour objectif de desservir le centre-ville de Fort Erie, qui était dépourvu de pharmacie depuis dix ans. Selon la défenderesse, il est clair que pendant cette période la collectivité a trouvé d'autres solutions pour ses besoins en ce domaine. Compte tenu du marché, les prévisions de la demanderesse sont déraisonnables et ne sauraient fonder des prétentions de pertes de ventes.

[14] La défenderesse soutient que suivant l'interprétation du Tribunal de la concurrence (le Tribunal), le mot « sensible » s'entend d'effets beaucoup plus importants que ceux dont la demanderesse fait état. La défenderesse ajoute que la demanderesse a amplement eu l'occasion de se conformer aux conditions de commerce posées par Pfizer, lesquelles étaient normales et raisonnables.

ANALYSE [15] L'article 103.1 de la Loi est de droit nouveau et, jusqu'à présent, peu de décisions ont été rendues à son sujet.

[16] Dans National Capital News Canada c. Milliken, 2002 Trib. conc. 41, la juge Dawson a statué que le refus d'accorder au demandeur un accès sans condition à la Tribune de la presse parlementaire ressortissait au privilège parlementaire dont l'exercice était dévolu au Président de la Chambre et que la décision ne pouvait donc faire l'objet d'une ordonnance en vertu de l'article 75, car le Tribunal, tout comme les tribunaux judiciaires, n'avait pas compétence pour examiner l'exercice particulier du privilège. L'exigence établie au paragraphe l03.l(7) n'avait donc pas été remplie.

[17] Dans Barcode Systems Inc. c. Symbol Technologies Canada ULC, 2004 Trib. conc. 1, le juge Lemieux a accordé à Barcode la permission qu'elle demandait, après avoir conclu qu'il existait suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour que le Tribunal ait des raisons de croire qu'elle était directement et sensiblement gênée dans son entreprise. Il avait été prouvé que sur pétition de la Banque Royale du Canada, un séquestre intérimaire des biens, de l'actif et des entreprises de Barcode avait été nommé. Cette dernière avait également affirmé dans ses affidavits qu'elle avait mis à pied la moitié de ses employés.

[18] Dans Allan Morgan and Sons Ltd. c. La-Z-Boy Canada Ltd., 2004 Trib. conc. 4 (juge Lemieux), la demanderesse Allan Morgan and Sons Ltd. sollicitait la permission, visée à l'article 103.1, de présenter une demande en vertu de l'article 75, alléguant que la défenderesse La-Z-Boy Canada Ltd. l'avait directement et sensiblement gênée dans son entreprise en mettant fin à son droit d'agir comme représentante.

[19] La demanderesse avait présenté des tableaux indiquant les ventes par catégories de meubles, les profits bruts et la perte estimée de bénéfices résultant des restrictions imposées par la défenderesse avant la résiliation du contrat. En se fondant sur ces données, le juge Lemieux a conclu qu'il existait suffisamment d'é1éments de preuve crédibles pour le convaincre que la demanderesse « a pu être directement et sensiblement gênée par les mesures prises par

La-Z-Boy ». Il a ensuite ajouté qu’ « à l'étape de la demande de permission, Morgan's Furniture n'a pas satisfaire a une norme de preuve préliminaire plus élevée ».

[20] La juge Simpson s'est récemment prononcée sur deux demandes fondées sur l'article 103.1, dans les affaires Robinson Motorcycle Limited. c. Fred Deeley Imports Ltd., 2004 Trib. conc. 13, et Quinlan's of Huntsville Inc. c. Fred Deeley Imports Ltd., 2004 Trib. conc. 15. Elle a accordé la permission dans les deux cas, concluant que les exigences prévues au paragraphe 103.1(7) avaient été remplies. Elle a ajouté que l'ordonnance prévue à l'article 75 pourrait être rendue car le Tribunal pourrait conclure que chacune des conditions avait été remplie.

[21] En l'espèce, je suis d'avis que la demanderesse n'a pas satisfait au critère selon lequel elle doit être « directement et sensiblement gênée dans son entreprise ». Il n'est donc pas nécessaire de déterminer si l'ordonnance prévue à l'article 75 pourrait être rendue. La demanderesse doit présenter suffisamment d'éléments de preuve crédibles de l'existence d'effets directs et sensibles. Dans l'affaire Barcode, l'entreprise avait été placée sous séquestre et la moitié des employés avaient été mis à pied. Dans l'affaire La-Z-Boy, la demanderesse avait présenté des chiffres indiquant une diminution des ventes de quarante-six pour cent. L'allégation relative aux effets sensibles reposait donc sur un fondement crédible.

[22] Le Tribunal n'a jamais défini précisément ce que recouvrait le terme « sensible ». Il a toutefois exposé ce qui suit dans la décision Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Chrysler Canada Ltd. [1989] D.T.C.C. no 49:

Le Tribunal reconnait que « sensible » doit recevoir son sens habituel, ce qui signifie davantage que le seul fait de ne pas être négligeable. Des mots comme « important » sont des synonymes acceptables, mais on ne peut apporter un éclaircissement complémentaire qu'en procédant à l'évaluation de situations réelles.

L'arrêt d'approvisionnement provoqua une baisse de plus de 200 000 $ dam les ventes, entre 1986 et 1988. L'année 1987 a été une année de transition. Durant une bonne partie de cette année, Brunet a pu obtenir des pièces en s'adressant aux concessionnaires de Chrysler Canada, et Chrysler Canada a continué de remplir les commandes reçues par Brunet avant octobre 1986. La légère augmentation, en 1988, des ventes de pièces provenant de Chrysler États-Unis se croire que les pièces provenant de Chrysler États-Unis ont pu remplacer dans une certaine mesure celles de Chrysler Canada, probablement à cause de la difficulté croissante d'obtenir des pièces au Canada. Si un tel remplacement a eu lieu, il a été beaucoup trop restreint pour atténuer la baisse des ventes et des bénéfices bruts résultant des pièces d'automobile Chrysler. Entre 1986 et 1988, la baisse des bénéfices découlant de l'approvisionnement en pièces Chrysler au Canada a dépassé 30 000 $. Des pertes qui atteignent 200 000 $ pour les ventes et 30 000 $ pour les bénéfices bruts constituent un effet sensible pour une petite entreprise comme celle de Brunet.

[23] La demanderesse soutient que la conduite de Pfizer a substantiellement limité la croissance de sa pharmacie, mais elle n'a fourni aucun chiffre. Il ressort de l'affidavit produit au soutien de la demande que l'effet direct subi par l'entreprise de la demanderesse consiste en la non-atteinte des objectifs inscrits dans son plan d'entreprise. Ce plan prévoyait qu'après cinq mois d'activité, la pharmacie remplirait une cinquantaine d'ordonnances par jour; or elle n'en remplit qu'une vingtaine.

[24] Le Tribunal ne peut s'appuyer sur une telle preuve pour accorder la permission demandée. Mrs. O's n'a fourni aucun chiffre au sujet de la perte des ventes de médicaments sur ordonnance qu'elle a subie par suite de la conduite de la défenderesse. Elle prétend que les consommateurs viennent faire exécuter des ordonnances multiples et qu'ils peuvent s'adresser à un autre établissement si la demanderesse ne peut toutes les remplir. Elle n'a soumis aucune preuve du nombre de ces ordonnances multiples ou du pourcentage qu'elles représentent, ni du nombre de fois que des produits de la défenderesse figuraient sur des ordonnances multiples.

[25] Suivant le critère formulé par la juge Dawson dans National News et réitéré par le juge Lemieux, il faut se demander s'il existe des « éléments de preuve crédibles suffisants pour qu'on puisse croire de bonne foi que le demandeur a pu être directement et sensiblement gêné dans son entreprise à cause d'une pratique susceptible d'examen ». Selon moi, cela veut dire que le Tribunal doit avoir des motifs de croire qu'il existe une relation causale entre la conduite du défendeur et les conséquences commerciales subies par le demandeur. En l'espèce, le lien de causalité est hypothétique. De nombreux facteurs peuvent intervenir dans la croissance ou la stagnation d'une nouvelle entreprise. Il n'existe pas d'éléments de preuve pertinents permettant de jeter le blâme sur la défenderesse.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ORDONNE QUE : [26] La demande de permission de présenter une demande en vertu de l'article 75 soit rejetée. FAIT à Ottawa, ce 20 e jour de septembre 2004. SIGNE au nom du Tribunal par le juge le présidant. (s) Pierre Blais

REPRESENTANTS : Pour la demanderesse : Mrs. O's Pharmacy Mark Adilman D.H. Jack

Pour la défenderesse : Pfizer Canada Inc. Philip Spencer, c.r. Emily Winter

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.