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Tribunal de la concurrence Competition Tribunal Référence : Broadview Pharmacy c. Pfizer Canada Inc., 2004 Trib. conc. 23 N o de dossier : CT-2004-006 N o de document du greffe : 0006a DANS L’AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34; ET DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par Broadview Pharmacy (Broadview) en vertu de l’article 103.1 de la Loi sur la concurrence pour obtenir la permission de présenter une demande en vertu de l’article 75 de la Loi;

E N T R E : Broadview Pharmacy (demanderesse)

et Pfizer Canada Inc. (défenderesse)

Décision sur dossier. Membre : Le juge Blais (Président) Date des motifs de l’ordonnance et de l'ordonnance : Le 20 septembre 2004

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

DEMANDE [1] La demanderesse, 1177057 Ontario Inc., faisant affaire sous le nom de Broadview Pharmacy (Broadview), est une société constituée en vertu des lois de la province d'Ontario. Broadview exploite son établissement de Toronto depuis 1960. À l’intérieur d’un rayon de trois pâtés de maisons, on compte six autres pharmacies.

[2] La défenderesse, Pfizer Canada Inc. (Pfizer), est une société constituée en vertu des lois du Canada qui fabrique des produits pharmaceutiques et qui fait affaire partout au Canada, et notamment en Ontario.

[3] Pendant plusieurs années, la demanderesse a vendu les produits de la défenderesse et environ vingt pour cent de ses ventes de produits pharmaceutiques provenaient de la vente de ceux-ci (300 000 $ sur des ventes de produits pharmaceutiques totalisant 1,5 million). Plusieurs médicaments brevetés importants sont offerts exclusivement par la défenderesse.

[4] La défenderesse a cessé de fournir ses produits pharmaceutiques à la demanderesse. Par le passé, Broadview a vendu certains produits pharmaceutiques par Internet. Elle affirme qu’elle a maintenant mis fin à cette pratique et elle se dit prête à signer un engagement à cet effet. Elle est aussi prête à accepter que la défenderesse procède à des vérifications en vue de s’assurer qu’elle n’exporte pas les produits Pfizer. Toutefois, Broadview n’est pas prête à signer un engagement comportant une clause relative à la participation croisée stipulant qu'aucun de ses propriétaires, administrateurs ou dirigeants ne pourrait détenir une participation, de quelque nature que ce soit, dans une pharmacie canadienne pouvant exporter des médicaments. Selon la demanderesse, un tel engagement est [TRADUCTION] « inutile, déraisonnable et excessif ». Selon elle, cette clause est appliquée de manière arbitraire, d'autres pharmacies détenues par un groupe (elle cite l'exemple des pharmacies Medicine Shoppe) n'ayant pas à s'engager de la sorte.

[5] La défenderesse soumet les points suivants dans sa réponse : [6] Broadview prétend que les produits Pfizer représentent vingt pour cent de ses ventes de produits pharmaceutiques, mais elle ne soumet aucun chiffre à l’appui de cette allégation.

[7] Deux des produits attribués à Pfizer ont été cédés à une autre société. [8] Broadview évalue ses pertes en fonction d'un pourcentage de ses ventes de produits pharmaceutiques et non d'un pourcentage de ses ventes totales. Or, le critère prévu au paragraphe 103.1(7) de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34 (la Loi) veut que la pratique en cause ait sensiblement gêné l'entreprise du demandeur et non uniquement une partie de celle-ci. La défenderesse fait valoir que l'enquête annuelle effectuée auprès des propriétaires et gérants de pharmacies révèle que les ventes de produits pharmaceutiques représentent soixante-dix-huit pour cent du chiffre d'affaires des pharmacies indépendantes. Elle soutient que si ce facteur ainsi que les données fournies par IMS pour 2002 (date à laquelle les produits n'étaient pas offerts par Internet) étaient pris en compte, la perte qu'elle a subie par suite du refus de la défenderesse de l'approvisionner représenterait environ onze pour cent de ses ventes totales.

[9] Pour ce qui est de l'engagement relatif à la participation croisée, la défenderesse répond qu'en ce qui concerne les pharmacies Medicine Shoppe, ce genre de considération n'a pas cours. Elle précise qu'il s'agit de pharmacies établies sur la base de contrats de franchise en vertu desquels des pharmaciens particuliers sont les propriétaires exclusifs de leur franchise Medicine Shoppe et que dans leur cas une clause relative à la participation croisée est par conséquent inutile. La défenderesse estime qu'il est essentiel que la demanderesse accepte une telle clause pour garantir qu'à l'avenir elle ne vendra pas ses produits à des pharmacies faisant affaire par Internet.

ANALYSE [10] L'article 103.1 de la Loi est de droit nouveau. À ce jour cinq décisions ont été rendues sur le fondement de cette disposition, que je résumerai brièvement comme suit.

[11] Dans National Capital News Canada c. Milliken, 2002 Trib. conc. 41, la juge Dawson a statué que le refus d'accorder au demandeur un accès sans condition à la Tribune de la presse parlementaire ressortissait au privilège parlementaire dont l'exercice était dévolu au Président de la Chambre et que la décision ne pouvait donc faire l'objet d'une ordonnance en vertu de l'article 75, car le Tribunal, tout comme les tribunaux judiciaires, n'avait pas compétence pour examiner l'exercice particulier du privilège. L'exigence établie au paragraphe 103.1(7) n'avait donc pas été remplie.

[12] Dans Barcode Systems Inc. c. Symbol Technologies Canada ULC, 2004 Trib. conc. 1, le juge Lemieux a accordé à Barcode la permission qu'elle demandait, après avoir conclu qu'il existait suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour que le Tribunal ait des raisons de croire qu'elle était directement et sensiblement gênée dans son entreprise. Il avait été prouvé que, sur pétition de la Banque Royale du Canada, un séquestre intérimaire des biens, de l'actif et des entreprises de Barcode avait été nommé. Cette dernière avait également affirmé dans ses affidavits qu'elle avait mis à pied la moitié de ses employés.

[13] Dans Allan Morgan and Sons Ltd. c. La-Z-Boy Canada Ltd., 2004 Trib. conc. 4 (juge Lemieux), la demanderesse Allan Morgan and Sons Ltd. sollicitait la permission, visée à l'article 103.1, de présenter une demande en vertu de l'article 75, alléguant que la défenderesse La-Z-Boy Canada Ltd. l'avait directement et sensiblement gênée dans son entreprise en mettant fin à son droit d'agir comme représentante.

[14] La demanderesse avait présenté des tableaux indiquant les ventes par catégories de meubles, les profits bruts et la perte estimée de bénéfices résultant des restrictions imposées par la défenderesse avant la résiliation du contrat. En se fondant sur ces données, le juge Lemieux a conclu qu'il existait suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour le convaincre que la demanderesse « a pu être directement et sensiblement gênée par les mesures prises par La-Z-Boy ». Il a ensuite ajouté qu'«[à] l’étape de la demande de permission, Morgan’s Furniture n’a pas à satisfaire à une norme de preuve préliminaire plus élevée ».

[15] La juge Simpson s'est récemment prononcée sur deux demandes fondées sur l'article 103.1, dans les affaires Robinson Motorcycle Limited. c. Fred Deeley Imports Ltd., 2004 Trib. conc. 13, et Quinlan's of Huntsville Inc. c. Fred Deeley Imports Ltd., 2004 Trib. conc.15. Elle a accordé la permission dans les deux cas, concluant que les exigences prévues au paragraphe 103.1(7) avaient été remplies. Elle a ajouté que l'ordonnance prévue à l'article 75 pourrait être rendue car le Tribunal pourrait conclure que chacune des conditions a été remplie.

[16] En l'espèce, je suis d'avis que la demanderesse n'a pas satisfait au critère selon lequel elle doit être « directement et sensiblement gêné[e] dans son entreprise ». Il n'est donc pas nécessaire de déterminer si l'ordonnance prévue à l'article 75 pourrait être rendue. Les demanderesses doivent présenter suffisamment d'éléments de preuve crédibles de l'existence d'effets directs et sensibles. Dans l'affaire Barcode, l'entreprise avait été placée sous séquestre et la moitié des employés avaient été mis à pied. Dans l'affaire La-Z-Boy, la demanderesse avait présenté des chiffres indiquant une diminution des ventes de quarante-six pour cent. L'allégation relative aux effets sensibles reposait donc sur un fondement crédible.

[17] Le Tribunal n'a jamais défini précisément ce que recouvrait le terme « sensible ». Il a toutefois exposé ce qui suit dans la décision Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Chrysler Canada Ltd. (1989), 27 C.P.R. (3d) 1 :

Le Tribunal reconnaît que « sensible » doit recevoir son sens habituel, ce qui signifie davantage que le seul fait de ne pas être négligeable. Des mots comme « important » sont des synonymes acceptables, mais on ne peut apporter un éclaircissement complémentaire qu'en procédant à l'évaluation de situations réelles.

L'arrêt d'approvisionnement provoqua une baisse de plus de 200 000 $ dans les ventes, entre 1986 et 1988. L'année 1987 a été une année de transition. Durant une bonne partie de cette année, Brunet a pu obtenir des pièces en s'adressant aux concessionnaires de Chrysler Canada, et Chrysler Canada a continué de remplir les commandes reçues par Brunet avant octobre 1986. La légère augmentation, en 1988, des ventes de pièces provenant de Chrysler États-Unis laisse croire que les pièces provenant de Chrysler États-Unis ont pu remplacer dans une certaine mesure celles de Chrysler Canada, probablement à cause de la difficulté croissante d'obtenir des pièces au Canada. Si un tel remplacement a eu lieu, il a été beaucoup trop restreint pour atténuer la baisse des ventes et des bénéfices brutes résultant des pièces d'automobile Chrysler. Entre 1986 et 1988, la baisse des bénéfices découlant de l'approvisionnement en pièces Chrysler au Canada a dépassé 30 000 $. Des pertes qui atteignent 200 000 $ pour les ventes et 30 000 $ pour les bénéfices bruts constituent un effet sensible pour une petite entreprise comme celle de Brunet. [18] La demanderesse n'a pas établi avoir été sensiblement gênée dans son entreprise en ce qui concerne le pourcentage de ses ventes et son chiffre d'affaires.

[19] Dans le cadre de l'examen fondé sur le paragraphe 103.1(7), la question de la participation croisée soulevée par les parties n'est pas pertinente. Elle relève des conditions de commerce normales, un facteur qui ferait l'objet d'un examen sous le régime de l'article 75. En l'espèce, le seul critère applicable est celui de l'effet sensible et la preuve soumise à cet égard est insuffisante, de sorte que le Tribunal ne saurait accorder la permission demandée.

[20] Malheureusement pour la demanderesse, les éléments de preuve présentés à l'appui de la demande ne permettent pas au Tribunal de faire droit à la demande de permission de présenter une demande en vertu de l'article 75 de la Loi.

PAR CONSÉQUENT, LE TRIBUNAL ORDONNE QUE : [21] La demande de permission soit rejetée. FAIT à Ottawa, ce 20 septembre 2004. SIGNÉ au nom du Tribunal par le juge le présidant.

(s) Pierre Blais

REPRÉSENTANTS Pour la demanderesse : Broadview Pharmacy Mark Adilman D.H. Jack

Pour la défenderesse : Pfizer Canada Inc. Philip Spencer, c.r. Emily Larose

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