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Tribunal de la concurrence Competition Tribunal Référence: Broadview Pharmacy c. Wyeth Canada Inc., 2004 Trib. conc. 22 N o de dossier : CT-2004-005 N o de document du greffe : 0009a DANS L’AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34; ET DANS L'AFFAIRE d'une demande présentée en vertu de l’article 103.1 de la Loi sur la concurrence par 1177057 Ontario Inc. faisant affaire sous le nom de Broadview Pharmacy (Broadview) pour obtenir la permission de présenter une demande en vertu de l’article 75 de la Loi;

E N T R E : 1177057 Ontario Inc. faisant affaire sous le nom de Broadview Pharmacy (demanderesse)

et Wyeth Canada Inc. (défenderesse)

Décision sur dossier. Membre : Le juge Blais (Président) Date des motifs de l’ordonnance et de l'ordonnance : Le 20 septembre 2004

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

DEMANDE [1] La demanderesse, 1177057 Ontario Inc., faisant affaire sous le nom Broadview Pharmacy (Broadview), est une société constituée en vertu des lois de la province d'Ontario. La pharmacie est située à Toronto.

[2] La défenderesse, Wyeth Canada Inc. (Wyeth), est une société constituée en vertu des lois du Canada. Il s'agit d'un fabricant de produits pharmaceutiques qui fait affaire partout au Canada, et notamment en Ontario.

[3] Broadview exploite une pharmacie à son adresse de Toronto depuis 1960. À l'intérieur d'un rayon de deux pâtés de maison, il y a six autres pharmacies.

[4] Pendant plusieurs années Broadview a vendu les produits de Wyeth. Les ventes de ces produits représentent un peu plus de cinq pour cent de son chiffre d'affaire annuel. Parmi les médicaments brevetés que produit Wyeth on compte un antidépresseur (Effexor), plusieurs contraceptifs oraux faisant l'objet d'une forte demande (Tripasil, Alesse et Minovral) et des médicaments hormonaux de substitution destinés aux femmes (Premarin et Premplus).

[5] Dans une lettre datée du 26 avril 2004, Wyeth a informé ses distributeurs canadiens qu'ils devaient s'abstenir de vendre ses produits aux acheteurs dont le nom figure sur une liste d'« acheteurs non approuvés ». Son nom étant mentionné sur cette liste, Broadview n'est plus en mesure de se procurer les produits Wyeth.

[6] D'après Broadview, ce refus est lié au fait qu'elle a, par le passé, vendu certains produits pharmaceutiques par l'entremise de pharmacies faisant affaire par Internet. Broadview a mis fin à cette pratique. Toutefois, bien qu'elle ait donné des assurances à ce sujet, Wyeth maintient son refus de lui fournir ses produits ou de faire affaire avec elle.

[7] À court terme Broadview a réussi à s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs, mais cette solution n'est pas viable à long terme. S'il demeure impossible pour Broadview de s'approvisionner directement auprès de Wyeth, elle ne pourra satisfaire sa clientèle, ce qui aura des répercussions négatives importantes sur son entreprise. Broadview soutient que les clients qui ne pourront se procurer tous les médicaments leur ayant été prescrits feront exécuter leurs ordonnances ailleurs.

[8] Broadview prétend que sa viabilité financière est menacée. Sur le marché, Wyeth occupe une position dominante dans le secteur des produits pharmaceutiques brevetés. Les produits de Wyeth sont mis à la disposition d'un grand nombre d'entreprises dans la région de Toronto, dont les concurrents de Broadview faisant affaire dans son voisinage.

POSITION DE LA DÉFENDERESSE [9] Wyeth Canada Inc. (la défenderesse) s’occupe à la demande au motif qu’il n’y pas de raison de croire que l’entreprise de la demanderesse sera directement et sensiblement gênée en

raison de la pratique adoptée par la défenderesse et qu'il n'y a pas de raison de croire que sa pratique pourrait faire l'objet d'une ordonnance en application de l'article 75 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34 (la Loi).

[10] La demanderesse a par le passé vendu des produits pharmaceutiques par Internet. Elle prétend avoir mis fin à cette pratique, mais elle n'a donné à la défenderesse aucune assurance qu'elle respecterait les conditions de commerce normales et qu'elle s'abstiendrait de vendre des produits par Internet.

Absence d'effet direct et sensible [11] La demande ne satisfait pas au premier volet du critère prévu au paragraphe 103.1(7), à savoir l'existence d'un effet direct et sensible, étant donné que les produits pharmaceutiques de la défenderesse ne représentent qu'un faible pourcentage des produits vendus par la demanderesse. La demanderesse reconnaît dans son affidavit que seulement cinq pour cent du volume de ses ventes de médicaments (et non de la totalité de ses ventes) provient de la vente de médicaments fabriqués par la défenderesse. À l'heure actuelle, la demanderesse est en mesure de se procurer les médicaments de la défenderesse auprès d'autres fournisseurs. La demanderesse ne soumet pas de chiffres pour appuyer sa prétention selon laquelle elle perdra des clients parce qu'elle ne pourra pas exécuter leurs ordonnances multiples.

Le critère de l'article 75 [12] La demanderesse soutient que les pharmacies de son secteur se font une forte concurrence. La défenderesse, quant à elle, soutient que pour appliquer le critère de l'article 103.1 il faut déterminer si une ordonnance peut être prononcée en vertu de l'article 75. Or, selon la défenderesse, une telle demande ne saurait être accueillie étant donné que les conditions de cette disposition n'ont pas toutes été remplies, plus particulièrement la condition prévue à l'alinéa 75(1)(e) (répercussions négatives sur la concurrence dans un marché).

ANALYSE [13] L'article 103.1 de la Loi est de droit nouveau. À ce jour cinq décisions ont été rendues sur le fondement de cette disposition, que je résumerai brièvement comme suit :

[14] Dans National Capital News Canada c. Milliken, 2002 Trib. conc. 41, la juge Dawson a statué que le refus d'accorder au demandeur un accès sans condition à la Tribune de la presse parlementaire ressortissait au privilège parlementaire dont l'exercice était dévolu au Président de la Chambre et que la décision ne pouvait donc faire l'objet d'une ordonnance en vertu de l'article 75, car le Tribunal, tout comme les tribunaux judiciaires, n'avait pas compétence pour examiner l'exercice particulier du privilège. L'exigence établie au paragraphe 103.1(7) n'avait donc pas été remplie.

[15] Dans Barcode Systems Inc. c. Symbol Technologies Canada ULC, 2004 Trib. conc. 1, le juge Lemieux a accordé à Barcode la permission qu'elle demandait, après avoir conclu qu'il

existait suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour que le Tribunal ait des raisons de croire qu'elle était directement et sensiblement gênée dans son entreprise. Il avait été prouvé que, sur pétition de la Banque Royale du Canada, un séquestre intérimaire des biens, de l'actif et des entreprises de Barcode avait été nommé. Cette dernière avait également affirmé dans ses affidavits qu'elle avait mis à pied la moitié de ses employés.

[16] Dans Allan Morgan and Sons Ltd. c. La-Z-Boy Canada Ltd., 2004 Trib. conc. 4 (juge Lemieux), la demanderesse Allan Morgan and Sons Ltd. sollicitait la permission, visée à l'article 103.1, de présenter une demande en vertu de l'article 75, alléguant que la défenderesse La-Z-Boy Canada Ltd. l'avait directement et sensiblement gênée dans son entreprise en mettant fin à son droit d'agir comme représentante.

[17] La demanderesse avait présenté des tableaux indiquant les ventes par catégories de meubles, les profits bruts et la perte estimée de bénéfices résultant des restrictions imposées par la défenderesse avant la résiliation du contrat. En se fondant sur ces données, le juge Lemieux a conclu qu'il existait suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour le convaincre que la demanderesse « a pu être directement et sensiblement gênée par les mesures prises par La-Z-Boy ». Il a ensuite ajouté qu'«[à] l’étape de la demande de permission, Morgan’s Furniture n’a pas à satisfaire à une norme de preuve préliminaire plus élevée ».

[18] La juge Simpson s'est récemment prononcée sur deux demandes fondées sur l'article 103.1, dans les affaires Robinson Motorcycle Limited. c. Fred Deeley Imports Ltd., 2004 Trib. conc. 13, et Quinlan's of Huntsville Inc. c. Fred Deeley Imports Ltd., 2004 Trib. conc.15. Elle a accordé la permission dans les deux cas, concluant que les exigences prévues au paragraphe 103.1(7) avaient été remplies. Elle a ajouté que l'ordonnance prévue à l'article 75 pourrait être rendue car le Tribunal pourrait conclure que chacune des conditions a été remplie.

[19] En l'espèce, je suis d'avis que la demanderesse n'a pas satisfait au critère selon lequel elle doit être « directement et sensiblement gêné[e] dans son entreprise ». Il n'est donc pas nécessaire de déterminer si l'ordonnance prévue à l'article 75 pourrait être rendue. Les demanderesses doivent présenter suffisamment d'éléments de preuve crédibles de l'existence d'effets directs et sensibles. Dans l'affaire Barcode, l'entreprise avait été placée sous séquestre et la moitié des employés avaient été mis à pied. Dans l'affaire La-Z-Boy, la demanderesse avait présenté des chiffres indiquant une diminution des ventes de quarante-six pour cent. L'allégation relative aux effets sensibles reposait donc sur un fondement crédible.

[20] Le Tribunal n'a jamais défini précisément ce que recouvrait le terme « sensible ». Il a toutefois exposé ce qui suit dans la décision Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Chrysler Canada Ltd. (1989), 27 C.P.R. (3d) 1 :

Le Tribunal reconnaît que « sensible » doit recevoir son sens habituel, ce qui signifie davantage que le seul fait de ne pas être négligeable. Des mots comme « important » sont des synonymes acceptables, mais on ne peut apporter un éclaircissement complémentaire qu'en procédant à l'évaluation de situations réelles.

L'arrêt d'approvisionnement provoqua une baisse de plus de 200 000 $ dans les ventes, entre 1986 et 1988.

L'année 1987 a été une année de transition. Durant une bonne partie de cette année, Brunet a pu obtenir des pièces en s'adressant aux concessionnaires de Chrysler Canada, et Chrysler Canada a continué de remplir les commandes reçues par Brunet avant octobre 1986. La légère augmentation, en 1988, des ventes de pièces provenant de Chrysler États-Unis laisse croire que les pièces provenant de Chrysler États-Unis ont pu remplacer dans une certaine mesure celles de Chrysler Canada, probablement à cause de la difficulté croissante d'obtenir des pièces au Canada. Si un tel remplacement a eu lieu, il a été beaucoup trop restreint pour atténuer la baisse des ventes et des bénéfices brutes résultant des pièces d'automobile Chrysler. Entre 1986 et 1988, la baisse des bénéfices découlant de l'approvisionnement en pièces Chrysler au Canada a dépassé 30 000 $. Des pertes qui atteignent 200 000 $ pour les ventes et 30 000 $ pour les bénéfices bruts constituent un effet sensible pour une petite entreprise comme celle de Brunet. [21] En l'espèce, les pertes sont hypothétiques et ne sont attestées par aucun document. Il ressort de l'affidavit de la demanderesse que les produits Wyeth représentent cinq pour cent de ses ventes annuelles de produits pharmaceutiques. La demanderesse craint de perdre les clients qui seront incapables de faire exécuter des ordonnances multiples comprenant les produits que fabrique la défenderesse. Aucun chiffre n'a été présenté pour établir quelles seront les répercussions, réelles ou potentielles, de son incapacité de se procurer les produits de la défenderesse ou pour étayer la prétention voulant qu'à défaut de pouvoir délivrer à un patient tous les médicaments lui ayant été prescrits, la demanderesse n'exécutera aucune des ordonnances de ce patient. La perte de cinq pour cent des ventes de produits pharmaceutiques - les ventes de cette catégorie de produits n'équivalant pas au chiffre d'affaires total de la pharmacie - ne peut légitimement constituer un effet sensible.

PAR CONSÉQUENT LE TRIBUNAL ORDONNE QUE : [22] La demande de permission soit rejetée. FAIT à Ottawa, ce 20 e jour de septembre 2004. FAIT au nom du Tribunal par le juge le présidant.

(s) Pierre Blais

REPRÉSENTANTS Pour la demanderesse : Broadview Pharmacy Mark Adilman D.H. Jack

Pour la défenderesse : Wyeth Canada Inc. Neil Finkelstein Jeff Galway Matthew Horner

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