Documentation

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Competition Tribunal Tribunal de la concurrence Référence : Commissaire de la concurrence c Sears Canada Inc, 2003 Trib conc 19 o N de dossier : CT2002004 o N de document du greffe : 178 AFFAIRE CONCERNANT la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34; ET AFFAIRE CONCERNANT une enquête menée aux termes du sous-alinéa 10(1)b)(ii) de la Loi sur la concurrence relative à certaines pratiques commerciales de Sears Canada Inc;

ET AFFAIRE CONCERNANT une demande d’ordonnance présentée par le commissaire de la concurrence en vertu de l’article 74.01 de la Loi sur la concurrence.

ENTRE : Le commissaire de la concurrence (demandeur)

et Sears Canada Inc (défenderesse)

Dates de l’audience : Le 26 septembre 2003 et le 3 octobre 2003 Devant le membre judiciaire présidant l’audience : Madame la juge Dawson Date de l’ordonnance : Le 6 octobre 2003 Date des motifs : Le 17 octobre 2003 Ordonnance signée par : Madame la juge Dawson

MOTIFS DE L’ORDONNANCE CONCERNANT DÉFENDERESSE EN VUE D’OBTENIR L’AUTORISATION DE MODIFIER SA RÉPONSE ET ENJOIGNANT AU COMMISSAIRE DE PRODUIRE CERTAINS DOCUMENTS

LA REQUÊTE DE LA

[1] La défenderesse, Sears Canada Inc Sears ») a déposé un avis de requête, daté du 8 septembre 2003, en vue d’obtenir une ordonnance l’autorisant à modifier l’exposé des motifs et des faits importants déposé en réponse en son nom, ainsi qu’une ordonnance enjoignant au commissaire de la concurrence (le « commissaire ») de produire les documents suivants, dont Sears pense avoir besoin pour répondre à la demande du commissaire : la pièce C annexée à l’affidavit de M. Jim King, directeur des ventes nationales aux consommateurs chez Bridgestone/Firestone Canada Inc Bridgestone »), affidavit établi sous serment le 24 avril 2001, et l’annexe B-4 jointe à l’affidavit portant sur la production de documents et de réponses présentés par Michelin Amérique du Nord (Canada) Inc Michelin »), daté du 30 novembre 2000, ainsi que tous les documents accompagnant l’annexe B-4 et qui ont pu être joints à la lettre datée du 20 avril 2001, provenant de Michelin. La requête a été entendue le 26 septembre et le 3 octobre 2003. Voici les raisons qui m’ont portée à rendre, le 6 octobre 2003, une ordonnance rejetant la demande de modifier l’exposé des motifs et des faits importants présenté en réponse par Sears, et accordant la demande de production des deux documents, à condition que ceux-ci restent confidentiels.

[2] Cette requête est présentée dans le cadre d’une demande déposée par le commissaire en vertu des dispositions relatives au prix de vente habituel prévues au paragraphe 74.01(3) de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34 (la « Loi ») à l’encontre de Sears. Le commissaire soutient que, dans le but de promouvoir et de vendre cinq gammes de pneus lors de trois événements promotionnels qui ont eu lieu en 1999, Sears a eu recours à des pratiques commerciales déloyales et qu’il s’agissait d’un comportement susceptible d’examen.

[3] En ce qui concerne la requête de Sears visant à modifier sa réponse, Sears soutient qu’elle a résumé les 114 pages de sa réponse initiale en un document d’environ 45 pages afin de favoriser une audition rapide et efficace de la présente affaire. En outre, Sears avance que le commissaire ne sera pas lésé par les modifications proposées, lesquelles sont décrites par Sears comme portant principalement sur la forme et non sur le fond. Sears déclare que, dans le cadre de la requête visant à exiger la production de documents dont le commissaire a révélé l’existence, mais qu’il a refusé de produire, Sears n’est pas en mesure d’obtenir ces documents d’une autre façon; que la production des documents est nécessaire dans l’intérêt de la justice naturelle et de l’équité afin de permettre à Sears de répondre aux allégations qui pèsent contre elle dans la présente affaire; que la production des documents ne retardera pas la procédure ni n’augmentera les dépens y afférents; et que tout préjudice découlant de la production des documents requis peut être réglé par l’entremise d’ordonnances de mise sous scellés ou de toute autre ordonnance que le Tribunal peut juger appropriée en fonction des circonstances.

[4] Le commissaire soutient que la requête devrait être rejetée, car l’autorisation accordée à Sears de modifier son exposé des motifs et des faits importants en réponse porterait un préjudice au commissaire qui ne pourrait être dédommagé par des dépens; entraînerait le retrait de certains aveux; retarderait la procédure; et violerait le principe de common law relatif à l’équité procédurale. Le commissaire soutient également que, contrairement à ce qu’avance Sears, les modifications n’accéléreraient pas l’audition de la présente affaire et que Sears ne subirait aucun préjudice si les modifications n’étaient pas permises. Le commissaire s’oppose à la divulgation des deux pièces. Il affirme qu’il n’a pas l’intention de s’appuyer sur les documents et que Sears n’a pas satisfait à la norme établie concernant la communication préalable des documents. De plus, le commissaire fait valoir le fait que les documents sont protégés par le privilège de l’intérêt public.

(i) La requête en ce qui concerne l’autorisation de modifier la réponse de Sears [5] Aucune preuve par affidavit n’a été déposée par Sears à l’appui de sa demande d’autorisation de déposer une nouvelle réponse modifiée, même si un affidavit en réponse a été déposé, établi sous serment par un parajuriste employé par les avocats de Sears. L’affidavit en réponse portait sur l’avis donné par les avocats de Sears aux avocats du commissaire quant à la date à laquelle le projet de réponse modifiée serait prêt, et sur des échanges ayant eu lieu entre les avocats en juillet et en août 2003. Dans ses arguments écrits à l’appui de la requête, Sears a simplement soutenu que « le projet de nouvelle réponse modifiée proposé par Sears permettra d’accélérer l’audition équitable de la présente affaire et ne portera pas préjudice au commissaire » [TRADUCTION].

[6] Dans leur argumentation orale, les avocats de Sears ont décrit la nature des modifications comme suit :

Pour ce qui est de la modification que j’aimerais aborder en premier, permettez-moi de dire, pour donner une vue d’ensemble, que ce qui s’est produit en fin de compte c’est que nous avons commencé à préparer l’audience au printemps et davantage à l’été de cette année. Nous, et par « nous » j’entends « je » principalement, il me semble, je suis arrivé à la conclusion qu’il pourrait être utile et bénéfique, et à vrai dire nécessaire, de modifier notre réponse de sorte que le document final présenté au tribunal soit non seulement plus court, car notre réponse initiale comprenait quelque 120 pages, mais qu’il soit plus clair en ce qui a trait à la formulation des questions.

Je fais attention à mes propos, car j’étais absolument conscient du fait que je ne voulais pas soulever de nouvelles questions de fond à la dernière minute. Néanmoins, l’argument que je vous présente, votre honneur, est qu’il serait tout à fait dans mon droit de le faire. Il serait tout à fait dans le droit de n’importe quel avocat de le faire, peu importe le moment.

[...] Je ne voulais pas toucher un point sensible et cela pourrait s’avérer pertinent ou non dans votre évaluation de notre requête concernant votre décision, mais je peux vous assurer que nous n’étions pas en train d’essayer de changer la nature des questions soulevées par Sears, nous tentions de les améliorer et de les éclaircir.

[TRADUCTION] [7] En ce qui concerne les répercussions sur Sears si les modifications n’étaient pas accordées, les avocats ont soutenu ce qui suit :

Si l’autorisation n’était pas accordée, Sears subirait un préjudice important, et je pense pouvoir même dire irréparable, dans la mesure Sears serait privée de la possibilité de faire de son mieux, de la meilleure manière qui soit et qu’elle juge possible.

Votre honneur, je maintiens ce que j’ai dit à M. Syme tout au long de la procédure, à savoir que nous n’étions pas en train d’essayer de modifier de façon marquée le cadre juridique, nous tentions en revanche de présenter les arguments de Sears sous un meilleur jour. Comme je l’ai dit, plus particulièrement en ce qui concerne les questions soulevées quant à l’interprétation de l’article 74.01. Voilà le préjudice que subirait Sears si l’autorisation n’était pas accordée.

LA PRÉSIDENTE : Pourquoi n’est-il pas possible pour Sears de présenter ses arguments de façon convaincante, comme vous le ferez sûrement, sur la base des actes de procédure? J’entends par que les actes de procédure ne constituent pas votre argumentation juridique. Les actes de procédure définissent ce qui est pertinent, les questions pertinentes.

Pourquoi avez-vous besoin de les modifier pour pouvoir présenter un exposé initial convaincant, des observations finales convaincantes, ainsi que pour mener un interrogatoire et un contre-interrogatoire des témoins pertinents?

M. McNAMARA : Eh bien, il y aurait toujours la possibilité que mon ami déclare que « cela n’a pas été invoqué. Que l’interprétation de l’article 74.01 ne figure pas dans la réponse et qu’il s’agit d’un élément nouveau. Nous sommes pris au dépourvu. Il est trop tard pour soulever ce point. »

LA PRÉSIDENTE : Vous me dites pourtant que vous ne comptez modifier aucune position juridique importante.

M. McNAMARA : C’est exact, votre honneur. Je suis conscient que c’est très délicat, mais le fait est que même si nous ne le modifions pas de façon fondamentale, nous le rendons nous le présentons d’une bien meilleure façon.

Selon moi, étant donné qu’il s’agit d’un nouveau domaine non pas en matière de temps, mais, si j’ai bien compris, c’est la première fois que l’article 74.01 aura fait l’objet d’un litige, plutôt que d’être traité par plaidoyer ou par règlement.

Je pense qu’il est important et j’ai pensé qu’il était important de présenter ces arguments de la meilleure façon possible et, à mon avis, la réponse initiale n’a pas totalement atteint cet objectif. L’effort qui a été déployé est louable et mon intention n’est pas de dénigrer le travail que moi-même et d’autres avons effectué à l’époque, mais le travail initial n’est pas aussi bon que la version modifiée proposée.

J’aimerais beaucoup pouvoir me fonder sur la version modifiée pour l’audience.

[TRADUCTION] [8] Les Règles du Tribunal de la concurrence ne comportent aucune disposition particulière autorisant la modification des actes de procédure. Le paragraphe 72(1) des Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/2002-62 (les « Règles ») prévoit que, lorsqu’il est question de déterminer la pratique ou la procédure à suivre dans les cas non prévus par les Règles, la pratique et la procédure énoncées dans les Règles des Cours fédérales devraient être respectées,

compte tenu des adaptations de circonstance. Je m’en remets donc aux règles de la Cour fédérale.

[9] Le paragraphe 75(1) des Règles des Cours fédérales, 1998, DORS/98-106, prévoit que, avant la tenue d’une audience, la Cour fédérale peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

[10] Dans Canderel Ltée c Canada, [1994] 1 CF 3, la Cour d’appel fédérale a examiné les principes à appliquer lorsqu’une modification est demandée. Au paragraphe 9 de ses motifs, La Cour a exposé les principes en ces termes :

[...] que même s’il est impossible d’énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s’il est juste, dans une situation donnée, d’autoriser une modification, la règle générale est qu’une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions en litige entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice.

[11] Avant de passer à l’application de ces principes à la présente requête, il est nécessaire de tenir compte de la nature des modifications proposées. Elles permettent de réduire de quelque 70 pages la longueur de la réponse de Sears. Il est juste de considérer la version modifiée de l’acte de procédure comme un document réécrit qui va au-delà d’une simple suppression ou d’un simple ajout de certains paragraphes. Comme l’indique l’affidavit déposé au nom du commissaire pour contester les modifications, certains paragraphes ont été supprimés dans leur intégralité, de nouveaux paragraphes ont été ajoutés et des parties de certains paragraphes ont été supprimées, alors que le reste a été fusionné avec d’autres paragraphes. Des renseignements factuels détaillés ont été supprimés de la réponse. À titre d’exemple, Sears a supprimé des renseignements concernant les régions géographiques dans lesquelles ses centres automobiles de détail ont été établis à des fins de vente et de marketing; a supprimé des renseignements relatifs à l’uniformité de sa publicité à l’échelle nationale et au caractère national des médias utilisés; a supprimé une analyse détaillée du critère de temps prévu à l’alinéa 74.01(3)b) de la Loi; et a supprimé des détails concernant la quantité de pneus vendus à prix courant pour chaque gamme de pneus. Dans leur argumentation orale, les avocats de Sears n’étaient pas d’avis que des aveux étaient retirés. Au contraire, les avocats ont soutenu que Sears ne changeait pas sa position à l’égard des questions de fait et que les paragraphes avaient été supprimés afin que l’acte de procédure ait une longueur plus raisonnable.

[12] En ce qui concerne l’application des principes pertinents aux faits, Sears n’a pas réussi à me convaincre que les modifications proposées permettraient de déterminer les véritables questions en litige.

[13] L’acte de procédure a pour but de définir les questions faisant l’objet d’un différend entre les parties. Étant donné qu’on me dit que les questions de droit et de fait demeurent inchangées, j’estime que l’acte de procédure proposé ne contribue pas à déterminer les véritables questions en litige. En effet, dans la mesure l’acte de procédure ne contient plus d’aveux de nature factuelle, les modifications proposées auraient pour effet de prolonger la durée de l’audience, puisque le commissaire devra présenter des éléments de preuve relatifs à ces questions, et les parties font savoir qu’elles ne se sont pas entendues sur un énoncé conjoint des faits.

[14] Quant à l’examen de la question de préjudice non indemnisable, il convient de prendre en compte les facteurs tels que le moment auquel est présentée la requête visant la modification, la mesure dans laquelle les modifications proposées retarderaient l’instruction rapide de l’affaire, la mesure dans laquelle la position adoptée par la partie adverse serait mise à mal, et la mesure dans laquelle les modifications faciliteraient l’examen du véritable fond du différend. o re Voir Yeager c Canada (Service correctionnel), [2000] ACF n 537 (1 inst); Scanner re Industries Inc (Administrateur séquestre de) c Canada, 1994, 69 FTR 310 (1 inst), confirmé 1994 172 NR 313 (CAF).

[15] En l’espèce, la requête visant la modification n’a pas été présentée en temps opportun. La réponse initiale de Sears a été déposée le 18 septembre 2002 et la réplique du commissaire a été déposée le 21 octobre 2002. La requête visant la modification a été déposée le 18 septembre 2003, soit environ six semaines avant l’audience. Aucune preuve par affidavit n’a été déposée pour justifier le fait que la requête n’a pas été présentée plus tôt, même si j’accepte l’explication donnée par les avocats dans leur argumentation orale et énoncée ci-dessus.

[16] Le commissaire a présenté des preuves établissant que sa réplique, sa stratégie, sa présentation et ses arguments d’expert ont été mis au point en prévision de la réponse initiale (et je m’attends à ce qu’il en soit ainsi). Le commissaire a également présenté des éléments prouvant que, si les modifications étaient autorisées, cela aurait les conséquences suivantes :

1. Le commissaire serait tenu de signifier et de déposer une réplique modifiée. 2. Les experts du commissaire devraient examiner la réponse modifiée et devraient probablement revoir leurs rapports en conséquence.

3. Le commissaire devrait examiner la réponse modifiée afin de déterminer l’importance des changements sur sa stratégie et, de façon générale, sur sa préparation.

4. Le commissaire devrait déterminer la possibilité de demander une communication préalable.

5. Le commissaire a consacré du temps à la préparation du dossier, y compris les affidavits des experts, les affidavits des experts en contre-preuve, les désignations de confidentialité et la question interlocutoire, en fonction de l’échéancier fixé par l’ordonnance établissant l’échéancier rendue par le Tribunal. Tout le travail supplémentaire résultant d’une réponse modifiée devrait se faire durant cette période.

6. Le détournement des ressources du commissaire pour réagir à l’acte de procédure modifié aurait une incidence importante sur la capacité du commissaire à respecter d’autres étapes de la procédure préparatoire à l’audience.

7. Étant donné que la version modifiée de l’acte de procédure diffère grandement de la réponse initiale, le commissaire « devrait “repérer” tous les changements, ainsi qu’établir leur importance à l’égard de tous les aspects de sa preuve et de sa préparation, et y apporter des modifications en conséquence » [TRADUCTION]. Il se peut que le commissaire ne soit pas en mesure de « repérer » tous les changements pour ensuite modifier en conséquence la réplique et sa stratégie dans le peu de temps imparti.

8. En raison de la quantité importante de travail supplémentaire qui découlerait d’une modification de l’acte de procédure, la capacité du commissaire à bien se préparer pour l’audience serait compromise.

[17] À mon avis, la nature et l’étendue des modifications proposées risqueraient de mener à ces résultats.

[18] De manière générale, je suis convaincue que la preuve établit que le commissaire subirait un préjudice si les modifications étaient autorisées. Quant à savoir si ce tort peut être réparé, le juge Rothstein, alors membre du Tribunal de la concurrence, a fait remarquer, dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c D & B Companies, [1994] o DTCC n 17, que le commissaire (alors directeur des enquêtes et recherches) a la responsabilité de protéger l’intérêt public en ce qui concerne les questions relevant de sa compétence en vertu de la Loi. Le juge Rothstein a refusé d’ajourner une audience devant le Tribunal, en partie au motif qu’il était irréfutable que l’ajournement de l’audience pourrait porter un préjudice irréparable à l’intérêt public.

[19] De la même façon, en l’espèce, je conclus que le fait d’autoriser les modifications ne servirait pas l’intérêt public à l’égard de l’audience équitable et rapide de la présente affaire. Le commissaire m’a convaincue que les modifications porteraient préjudice à sa capacité de bien préparer l’audience, ou entraînerait la nécessité d’un ajournement d’audience.

[20] De plus, et plus important encore, je n’ai pas été convaincue que le refus de la modification porterait un préjudice quelconque à Sears. Si leur réponse est trop longue, les avocats peuvent exposer clairement les arguments de Sears au cours de l’exposé initial, de l’interrogatoire principal et du contre-interrogatoire des témoins, ainsi qu’au cours de leur plaidoirie. Sears ne soutient pas le fait que l’acte de procédure actuel limite sa capacité à présenter une preuve ou à faire valoir un argument devant le Tribunal.

[21] Dans l’ensemble, après avoir soupesé ces facteurs et dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j’ai donc conclu qu’il était plus conforme à l’intérêt de la justice de refuser la modification.

(ii) La requête en ce qui concerne la divulgation [22] Il s’agit de la deuxième demande de divulgation présentée par Sears. En novembre 2002, elle avait demandé l’autorisation de mener divers interrogatoires. Plus précisément, Sears a demandé :

(i) une ordonnance enjoignant à tous les témoins non experts qui viendront témoigner à l’audition de la demande, à la demande du commissaire, de se présenter individuellement pour subir un interrogatoire préalable, ou, subsidiairement, un contre-interrogatoire mené par les avocats de la défenderesse portant sur le sommaire de leur déposition signifié par le commissaire;

(ii) une ordonnance enjoignant à un agent de vérification de la conformité du Bureau de la concurrence, Industrie Canada, qui a participé à la collecte et à l’analyse des renseignements sur lesquels le commissaire s’est appuyé dans le cadre de la présente demande, de se présenter pour subir un interrogatoire préalable ou, subsidiairement, un contre-interrogatoire portant sur le sommaire de sa déposition, le cas échéant, signifié par le commissaire en l’espèce;

(iii) une ordonnance enjoignant à un représentant de Bridgestone/Firestone Canada Inc et à un représentant de Michelin Amérique du Nord (Canada) Inc de se présenter pour subir un contre-interrogatoire portant sur leurs affidavits mentionnés dans la déclaration relative à la communication de renseignements signifiée par le commissaire le 6 août 2002 en l’espèce, qui serait mené par les avocats de la défenderesse à Toronto (Ontario).

Subsidiairement, Sears a demandé une ordonnance enjoignant au commissaire de présenter à la défenderesse des sommaires écrits valables de tous les renseignements pertinents recueillis dans le cadre de l’enquête menée par le commissaire, dans la mesure ces renseignements ne provenaient pas de Sears.

[23] Lorsque cette requête antérieure a été présentée, aucune critique n’a été formulée quant à la pertinence de la déclaration du commissaire dans la mesure elle se rapportait aux allégations de comportement susceptible d’examen. Par ailleurs, le commissaire avait alors accepté de fournir à Sears un sommaire de la déposition des témoins à l’égard des affidavits présentés au nom de Bridgestone et de Michelin.

[24] La requête antérieure de Sears a été rejetée au motif que Sears n’avait pas établi dans le dossier dont le Tribunal avait alors été saisi que les divers interrogatoires demandés étaient justifiés. Au paragraphe 19 de mes motifs rejetant la requête, publiés dans [2003] DTCC 1, j’ai écrit ce qui suit :

19. Rien ne semble démontrer que les renseignements communiqués par le commissaire dans ses actes de procédure et dans sa déclaration, ainsi que dans les documents et le sommaire de la déposition des témoins devant être fournis, sont insuffisants pour communiquer à Sears ce qu’il lui faudra prouver. L’affidavit déposé à l’appui de la requête de Sears pour communication préalable a été assermenté par un avocat travaillant pour le cabinet d’avocats représentant Sears dans la présente affaire. Cet affidavit se limitait à décrire les étapes procédurales de l’enquête qui a mené à la présente demande et de la présente demande. Il ne portait pas sur des renseignements ou des documents précis considérés comme nécessaires pour défendre la demande, ne précisait pas que Sears n’était pas en mesure d’obtenir ces renseignements sans communication préalable, ne faisait aucunement mention d’injustice dans l’éventualité l’instance serait instruite sans que Sears ait d’éléments de preuve précis, et ne traitait pas du retard ou des dépens à prévoir si la demande d’interrogatoire préalable était accordée. Je suis d’avis qu’il est pertinent de prendre ces éléments en considération au moment d’examiner la question de savoir si les circonstances justifient la communication préalable.

[25] La production demandée maintenant par Sears se limite à deux documents qui, comme cela a été mentionné ci-dessus, constituent des pièces annexées aux affidavits établis sous serment au nom de Bridgestone et de Michelin. Ces entreprises fabriquent quatre des cinq gammes de pneus concernées et chacune était tenue de fournir certains documents et renseignements concernant l’enquête du commissaire menée en vertu de l’article 11 de la Loi. Les avocats ont précisé que M. King de Bridgestone ainsi qu’un représentant de Michelin devaient témoigner à la prochaine audience, dans le cadre de l’affaire du commissaire.

[26] Dans sa déclaration, le commissaire a précisé, comme il se devait de le faire, les documents sur lesquels il se fondait. En ce qui concerne l’affidavit de M. King, le commissaire

a considéré l’affidavit comme un document sur lequel il se fondait, puis, après avoir décrit l’affidavit par déposant et par date, a écrit ce qui suit : « y compris les pièces suivantes » [TRADUCTION]. S’en suivait une liste composée des pièces A, B, D et G. En ce qui concerne l’affidavit de Michelin, encore la déclaration décrivait l’affidavit par déposant et par date, puis précisait qu’il comprenait les annexes A1, A2, A3, A4 ainsi que des documents soumis par la suite accompagnant les annexes A1, A2, A3 et B4.

[27] Sears affirme que, maintenant qu’il a révélé l’existence des affidavits, le commissaire est tenu de divulguer chacun d’entre eux dans son intégralité. D’autre part, Sears a fait valoir que les deux pièces omises devraient être mises à sa disposition étant donné que la communication préalable des documents était justifiée conformément à l’alinéa 21(2)d.1) des Règles.

[28] S’opposant à la divulgation ou à la communication préalable des documents, les avocats du commissaire ont fait remarquer que la requête de Sears était « à la limite ou au croisement entre le tract de divulgation et l’équité » [TRADUCTION]. Les avocats ont soutenu que le commissaire n’avait pas divulgué les pièces dans la déclaration, car une lecture attentive de celle-ci démontrait l’intention d’exclure les pièces de la divulgation. Il a été mentionné que les pièces en question pouvaient être séparées des parties des affidavits invoquées, puisque les affidavits fournis conformément à l’article 11 de la Loi constituent « une matrice dans laquelle les renseignements fournis par les parties sont énoncés et joints » [TRADUCTION], et non un affidavit narratif. Il a été considéré que la communication préalable des pièces n’était pas justifiée en vertu des Règles, étant donné que la principale considération devrait être la question de savoir si les documents divulgués permettent à la défenderesse de connaître la cause à défendre de sorte à avoir une véritable occasion d’exposer ses arguments. Il a également été mentionné que les éléments de preuve dont dispose le Tribunal à l’égard de la présente requête ne permettent pas d’établir que Sears ne connaît pas la cause à défendre.

[29] Nonobstant les arguments des avocats du commissaire, je suis convaincue que, dans le dossier dont je suis saisie, la communication préalable des pièces en question est justifiée. Je suis parvenue à cette conclusion en me fondant sur le fait que, selon moi, il ne s’agit pas simplement de se demander si les documents divulgués suffisent pour communiquer à Sears la cause qu’il doit défendre.

[30] Dans Commissaire de la concurrence c Tuyauteries Canada Ltée, 2003 Trib conc 15, le juge Blanchard était tenu de se demander si les Règles relatives à la divulgation de documents par le commissaire portaient atteinte au droit de la défenderesse à une audition impartiale. Après avoir analysé la teneur du devoir d’agir équitablement et compte tenu des cinq facteurs énoncés par la Cour suprême du Canada dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, le juge Blanchard a écrit, au paragraphe 53, que le « droit de la défenderesse à une audition impartiale [devant le Tribunal] serait respecté par une procédure qui conférerait à l’intimée le droit de savoir ce qu’on entend faire valoir contre elle et le droit d’avoir la possibilité de produire des éléments de preuve au soutien de ses propres arguments ». [Non souligné dans l’original.]

[31] À mon avis, cela est conforme à l’ordonnance précédemment rendue dans la présente affaire, qui rejetait la communication préalable demandée à l’époque, au motif que Sears n’était pas parvenue à démontrer que les documents divulgués ne lui permettaient pas de connaître la cause à défendre et ne permettaient pas non plus de démontrer que certains renseignements ou documents étaient « nécessaires pour défendre la demande » ou qu’il y aurait une « injustice dans l’éventualité l’instance serait instruite sans que Sears ait d’éléments de preuve précis ».

[32] Je suis également d’avis que ces décisions sont conformes à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 RCS 522, dans laquelle la Cour a fait remarquer que le droit à une audition impartiale comprenait le droit de présenter une défense pleine et entière.

[33] En appliquant ces principes à la présente requête, je suis convaincue que le droit de présenter une défense pleine et entière s’accompagne du droit de connaître tous les renseignements fournis au commissaire dans les affidavits sur lesquels le commissaire entend se fonder, notamment lorsque les renseignements retenus se rapportent à des questions comme la définition du marché géographique.

[34] En outre, le commissaire s’oppose à la production de ces documents au motif qu’ils sont protégés au nom du privilège de l’intérêt public.

[35] Le privilège de l’intérêt public est appuyé par les considérations stratégiques selon lesquelles le commissaire doit être en mesure d’obtenir des renseignements de l’industrie concernée dans l’exercice de ses fonctions en vertu de la Loi. Afin de bénéficier de la collaboration des représentants de l’industrie, le commissaire doit être en mesure de recueillir les renseignements à titre confidentiel.

[36] Dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Hillsdown Holdings (Canada) Ltd, o [1991] ACF n 1021 (CAF), la Cour d’appel fédérale a cité, en l’approuvant, l’application suivante des principes du privilège de l’intérêt public comme l’a énoncé la juge Reed dans e Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc, 1991, 38 CPR (3 ) 68 : Le directeur refuse de fournir les notes d’entrevues spécifiques, lesquelles permettraient de déterminer les personnes qui ont été interrogées, la date à laquelle elles ont été interrogées ainsi que l’identité de la personne qui a mené les entrevues. En revanche, il a accepté de donner aux intimées un résumé de ce qui a été dit. En droit de la concurrence, tout au moins dans les affaires de fusion et d’abus de position dominante, les personnes qui sont interrogées peuvent être des clients actuels ou potentiels des intimées, ils peuvent être des employés actuels ou potentiels. Ces personnes peuvent craindre des représailles si elles fournissent au directeur des renseignements qui ne sont pas favorables aux intimées. La plupart d’entre elles risquent de se trouver dans une position vulnérable par rapport aux intimées. Il est dans l’intérêt public de garder les notes d’entrevues confidentielles, sauf lorsque les personnes interrogées sont appelées à témoigner dans une affaire ou lorsque leur identité est dévoilée par la partie revendiquant le privilège. En outre, le directeur n’est pas tenu de préparer les arguments des intimées en leur dévoilant l’identité des témoins potentiels. [...] L’intérêt public à garder les détails des entrevues confidentiels l’emporte sur tout avantage que les intimées pourraient en tirer. Cela est particulièrement vrai compte tenu du fait que le directeur a accepté de fournir des résumés comportant les renseignements pertinents. [Non souligné dans l’original.]

[TRADUCTION] [37] Les commentaires de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Directeur des enquêtes et o recherches, Loi sur la concurrence) c D & B Companies of Canada Ltd, [1994] ACF n 1643 (CAF) allaient dans le même sens. En effet, la Cour a écrit ce qui suit aux paragraphes 2 et 3 :

2 Le juge McKeown, membre judiciaire présidant l’audience, a refusé d’ordonner la production des documents au motif que ces documents avaient été retenus par le Tribunal dans la cadre d’affaires précédentes afin d’être protégés contre toute divulgation en vertu du privilège de l’intérêt public. Il a repris les considérations stratégiques à l’appui de ce privilège, à savoir que le directeur doit être en mesure d’obtenir les renseignements de l’industrie concernée dans l’exercice de ses fonctions en vertu de la Loi sur la concurrence. Afin de bénéficier de la collaboration des représentants de l’industrie, il doit être en mesure de recueillir les renseignements à titre confidentiel, et l’identité de ses informateurs ne doit pas être révélée à moins, bien sûr, que ceux-ci soient appelés à témoigner dans la cadre d’une procédure devant le Tribunal. Il a également souligné le fait que la partie appelante avait eu amplement l’occasion de prendre connaissance de la nature de ces documents et de la cause à défendre, sans avoir les documents en sa possession. Le directeur avait fourni à la partie appelante des résumés de tous ces documents, y compris les renseignements obtenus des représentants de l’industrie sans pour autant dévoiler les noms des sources. Le Tribunal a proposé de prendre des dispositions pour qu’un membre judiciaire ne statuant pas sur la présente affaire puisse examiner les documents et les résumés afin de s’assurer de la fidélité de ces derniers, dans l’éventualité la partie appelante en ferait la demande. Ce qui n’a pas été le cas. Mis à part cette information, la partie appelante a bénéficié d’un interrogatoire préalable et de la communication préalable des documents du directeur et du plaignant. Elle a également reçu une liste de témoins et les résumés de leurs preuves anticipées trois semaines avant la date de leur comparution, le tout conformément aux ordonnances du Tribunal.

3 Je suis convaincu que l’éminent juge présidant l’audience a correctement suivi et appliqué les décisions précédemment rendues par le Tribunal en constatant que ces documents étaient protégés.

[TRADUCTION] [38] En l’espèce, le raisonnement sur lequel repose le privilège de l’intérêt public est inexistant, dans la mesure le commissaire a terminé son enquête, a donné les noms des deux déposants ou informateurs concernés, et a communiqué à Sears les affidavits et la plupart des pièces fournies par les déposants.

[39] On peut soutenir que l’ampleur de cette divulgation l’emporte sur l’intérêt public en ce qui a trait à la protection des deux pièces retenues dont il est maintenant question, comme cela est envisagé dans le passage de Hillsdown Holdings cité et souligné ci-dessus. Cependant, je n’ai pas besoin de prendre une décision définitive sur l’existence du privilège de l’intérêt public dans la présente affaire, car je suis convaincue que, même si les deux pièces sont assujetties au privilège de l’intérêt public, il convient, en l’espèce, que ce privilège soit mis de côté à condition que les documents soient protégés par une ordonnance de confidentialité.

[40] À cet égard, le privilège de l’intérêt public l’emportera, à moins qu’il soit contré par un intérêt concurrent plus important, et seules des circonstances exceptionnelles pourront l’emporter sur l’intérêt public. Voir Canada (Loi sur la concurrence, Directeur des enquêtes et recherches) o c Canadian Pacific Ltd, [1997] DTCC n 39 et Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c

o Washington, [1996] DTCC n 24. À mon sens, les facteurs qui, en l’espèce, justifient que l’on mette de côté le privilège de l’intérêt public dans les deux documents sont les suivants. Premièrement, très peu de renseignements demeurent confidentiels. La source des renseignements est connue, tout comme la nature des renseignements contenus dans les deux pièces. Les pièces comportent une liste des 20 principaux concessionnaires ou clients de Bridgestone et de Michelin par région. Deuxièmement, chaque déposant est tenu de témoigner à l’audience et des questions quant à leurs concessionnaires par région peuvent ensuite leur être posées au cours du contre-interrogatoire. Dans la mesure les circonstances et l’équité le permettent, le Tribunal fonctionne en procédure expéditive. La communication préalable de cette information favorisera une audition rapide et équitable. Troisièmement, je suis d’avis qu’il n’est pas compatible avec l’intérêt de l’équité de permettre au commissaire de divulguer de façon sélective des pièces annexées aux affidavits au motif que le commissaire entend uniquement se fonder sur une partie de la preuve fournie par un témoin dans des circonstances les pièces omises contiennent des éléments qui semblent pertinents aux questions dont le Tribunal est saisi.

[41] Quant à la raison pour laquelle cette communication préalable devrait être, et a été, accordée, Sears a indiqué qu’elle est satisfaite que l’accès aux pièces ne soit accordé qu’aux avocats externes de Sears, tels que les employés des avocats qui sont impliqués dans la demande et, en fonction des besoins, les experts indépendants de Sears. Par conséquent, il a été ordonné que les documents soient produits et traités de cette manière, comme le prévoit expressément l’ordonnance provisoire de confidentialité rendue par le Tribunal le 28 avril 2003.

e FAIT à Ottawa, ce 17 jour d’octobre 2003. SIGNÉ au nom du Tribunal par le membre judiciaire présidant l'audience.

(s) Eleanor R. Dawson

COMPARUTIONS Pour le demandeur : Le commissaire de la concurrence John L. Syme Arsalaan Hyder

Pour la défenderesse : Sears Canada Inc William W. McNamara Phillip J. Kennedy Martha A. Healey

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.