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Tribunal de la concurrence Competition Tribunal Référence : Commissaire de la concurrence c. Canadian Waste Services Holdings Inc., 2001 Trib. conc. 34 No du dossier : CT2000002 No de document du Greffe : 87a

DANS L’AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, c. C-34; ET DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par le commissaire de la concurrence en vertu de l’article 92 de la Loi sur la concurrence;

ET DANS L’AFFAIRE de l’acquisition par Canadian Waste Services Inc. de certains éléments d’actif de Browning-Ferris Industries Ltd., une société exploitant une entreprise de déchets solides.

E N T R E : Le commissaire de la concurrence (demandeur)

et Canadian Waste Services Holdings Inc. Canadian Waste Services Inc. Waste Management, Inc. (défenderesses)

et La corporation de la municipalité de Chatham-Kent (intervenante)

Date de l’audience : 20010620 à 20010622 Membres : M. le juge McKeown (président), L.P. Schwartz et G. Solursh Date des motifs et de la décision : 20011003 Motifs et décision signés par : M. le juge McKeown

MOTIFS ET DÉCISION CONCERNANT LA MESURE DE REDRESSEMENT

TABLE DES MATIÈRES Paragraphe

I. INTRODUCTION………………………………………………………..…………...[1] II. MESURES DE REDRESSEMENT PROPOSÉES PAR LES PARTIES……....... [8] A. LE COMMISSAIRE…………………………………………………………...[8] 1) Dessaisissement de la décharge Ridge……………………………….....[9] a) Conformité à la Loi des mesures de redressement………….......[9] b) Efficacité des mesures de redressement………………………..[11] B. LES DÉFENDERESSES………………………………………………….......[19] 1) Accords relatifs à la capacité d’élimination (ACE)…………………....[19] a) Conformité à la Loi des mesures de redressement……………..[23] b) Efficacité des mesures de redressement………………………..[31] C. L' INTERVENANTE …………………………………………………………[32] III. CRITÈRE À APPLIQUER À LA DÉTERMINATION DE LA MESURE DE REDRESSEMENT APPROPRIÉE………………………………………………………...[34]

A. CONFORMITÉ À LA LOI DES MESURES DE REDRESSEMENT PROPOSÉES………………………………………………………………….[36] 1) Les ACE proposés n’ont pas pour effet de « dissoudre » le fusionnement...[36] 2) Conclure les ACE proposés n’équivaut pas à « se départir » d’éléments d’actif ou d’actions………………………………………………………….[38]

B. EFFICACITÉ DES MESURES DE REDRESSEMENT PROPOSÉES….….[51] 1) ACE proposés…………………………………………………….…...[52] a) Analyse fondée sur la perte de ventes critique…………………...[58] b) La méthode de la perte de ventes critique appliquée à Chatham-Kent…………………………………………………....[67] c) Appréciation par le Tribunal de l’analyse appliquée à Chatham-Kent ……………………………………………….......[75] d) La méthode de la perte de ventes critique appliquée à la RGT….[86] e) Appréciation par le Tribunal de l’analyse appliquée à la RGT.....[92] 2) Dessaisissement de la décharge Ridge……………………………...[103] 3) Appréciation du Tribunal……………………………………………[107] IV. ORDONNANCE……………………………………………………………………[117] Annexe A : Ordonnance de dessaisissement ..........................................................................[118]

I. INTRODUCTION [1] Les présents motifs et la présente décision procèdent des motifs et de l'ordonnance du Tribunal en date du 28 mars 2001 (les « Motifs ») et de l’audience relative à la mesure de redressement tenue les 20, 21 et 22 juin 2001. Dans sa décision antérieure, le Tribunal a conclu que l’acquisition de la décharge Ridge Ridge ») par Canadian Waste Services Inc. CWS ») aurait vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans le secteur de l’élimination des déchets institutionnels, commerciaux et industriels déchets ICI ») sur deux marchés du sud de l’Ontario, à savoir la Région du Grand Toronto RGT ») et la région de Chatham-Kent (Motifs, paragraphes 204, 205, 224 et 234). Faisant droit à la demande des parties, le Tribunal a ordonné à leurs avocats de se présenter devant lui pour une nouvelle audience qui aurait pour objet la détermination de la mesure de redressement appropriée.

[2] Les renseignements généraux relatifs à la présente espèce sont donnés dans les Motifs du 28 mars 2001. Qu’il nous suffise, pour les besoins du présent exposé, de rappeler que la demande présentée par le commissaire de la concurrence (le « commissaire ») découle de l’acquisition par CWS, le 31 mars 2000, d’une partie de l’entreprise d’élimination de déchets solides de Browning-Ferris Industries, Inc. au Canada par le moyen de l’acquisition de certains éléments d’actif et actions détenus par ce dernier groupe. Dans le cadre de ce fusionnement, CWS a fait l’acquisition de la décharge Ridge, sise à Blenheim, en Ontario. Avant cette acquisition, les défenderesses possédaient ou contrôlaient déjà six décharges dans le sud de l’Ontario. Le commissaire soutenait dans sa demande que le fusionnement susdit aurait vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence sur les marchés de l’élimination des déchets ICI provenant de la RGT et de la région de Chatham-Kent, principalement du fait des obstacles considérables à l'entrée sur les marchés et parce qu’il ne resterait plus de concurrence réelle sur ces marchés. Le Tribunal a conclu que s’il avait permis à CWS de conserver la décharge Ridge, cette société aurait contrôlé en 2002 plus de 70 p. 100 de la capacité d’élimination dans le sud de l’Ontario des déchets ICI provenant de la RGT et la totalité de la capacité d’élimination des déchets de ce type provenant de la municipalité de Chatham-Kent Chatham-Kent »).

[3] Le point en litige à la présente étape des procédures est la question de savoir quelle mesure de redressement le Tribunal devrait ordonner afin de supprimer, selon toute vraisemblance, l’effet d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence. Pour décider qu’une mesure de redressement est appropriée, le Tribunal doit être convaincu qu’elle est conforme à la Loi et qu’elle remplit efficacement son objet, qui est de rétablir la concurrence de façon qu’il ne soit plus possible de dire qu’elle est sensiblement inférieure à ce qu’elle était avant le fusionnement.

[4] Deux projets d’ordonnance ont été proposés par les parties et débattues devant le Tribunal à l’audience concernant la mesure de redressement. Selon le commissaire, le dessaisissement de la décharge Ridge est la seule mesure de redressement efficace. Les défenderesses soutiennent quant à elles que la conclusion d’un ou de plusieurs accords relatifs à la capacité d’élimination ACE ») à l’égard de la décharge Ridge, portant sur une quantité globale maximale de 163 000 tonnes, supprimerait tout effet d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence constaté par le Tribunal sur les marchés de l’élimination des déchets ICI en provenance de la RGT et de Chatham-Kent.

[5] Les nouveaux éléments de preuve produits à la présente audience sont le premier affidavit et l’affidavit de réfutation de M. Michael R. Baye, l’expert du commissaire, et le premier affidavit et l’affidavit de réfutation de M. Christopher Vellturo, l’expert des défenderesses. Les deux experts ont formulé leurs opinions touchant la mesure de redressement appropriée. Alors que le professeur Baye avait déjà témoigné pour le commissaire à l’audience concernant l’allégation d’un effet d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence dans la présente espèce, M. Vellturo a comparu pour la première fois à l’audience relative à la mesure de redressement.

[6] Il n’a pas été demandé au Tribunal de décider la question de savoir si le dessaisissement de la décharge Ridge serait une mesure de redressement efficace. La proposition du commissaire est très simple. Cependant, la conformité à la Loi et l’efficacité de la mesure de redressement proposée par les défenderesses sont en litige. La proposition des défenderesses, formulée dans leur projet d’ordonnance remédiatrice, est en effet plus complexe.

[7] Le projet d’ordonnance de dessaisissement du commissaire et le projet d’ordonnance remédiatrice des défenderesses ont été tous deux déposés sous le sceau de la confidentialité. Il est cependant nécessaire de se reporter au contenu de ces documents pour donner une appréciation intelligible de la proposition des défenderesses. Nous récapitulons ci-dessous les arguments formulés par les parties et par l’intervenante.

II. MESURES DE REDRESSEMENT PROPOSÉES PAR LES PARTIES A. LE COMMISSAIRE [8] Le commissaire soutient que le dessaisissement de la décharge Ridge est une mesure appropriée pour remédier à l’empêchement ou à la diminution sensibles de la concurrence sur les marchés de l’élimination des déchets ICI provenant de la RGT et de Chatham-Kent pour les raisons suivantes : 1) il peut être ordonné par le Tribunal en vertu de l’article 92 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, c. C-34 (la « Loi »); 2) il serait efficace parce qu’il créerait une concurrence pour les décharges de CWS; et 3) il serait proportionné parce que la décharge Ridge est un élément d’actif compris dans le fusionnement.

1) Dessaisissement de la décharge Ridge a) Conformité à la Loi des mesures de redressement [9] Le commissaire soutient que la mesure de redressement proposée doit être conforme à la Loi. Il fait valoir que sont énumérées à l’alinéa 92(1)e) les mesures de redressement que peut ordonner le Tribunal dans les cas celui-ci a conclu qu’un fusionnement donné empêchait ou diminuait sensiblement la concurrence.

[10] Le commissaire soutient que, en l’absence de consentement des deux parties, les pouvoirs du Tribunal se limitent à l’utilisation des « instruments mal dégrossis » que sont la dissolution et le dessaisissement. Le commissaire allègue en outre que les ACE proposés par CWS ne constituent pas une mesure de redressement conforme à la Loi parce qu’ils n’emportent ni la

dissolution du fusionnement ni le dessaisissement d’éléments d’actif ou d’actions que prévoit l’alinéa 92(1)e) de la Loi.

b) Efficacité des mesures de redressement [11] Le commissaire fait valoir que la mesure de redressement proposée doit être efficace et que c’est la partie qui la propose qui a la charge de prouver que ce critère est rempli.

[12] Selon le commissaire, il découle des conclusions du Tribunal que le dessaisissement de la décharge Ridge est la mesure de redressement appropriée pour les raisons suivantes : 1) le Tribunal a conclu que l’acquisition de cette décharge par CWS empêchait ou diminuait sensiblement la concurrence; 2) la décharge Ridge est un concurrent dynamique et efficace sur le marché de l’élimination des déchets ICI; 3) le dessaisissement aurait pour effet d’imposer la discipline du marché à l’égard des redevances demandées par CWS pour l’élimination des déchets ICI provenant de la RGT et de Chatham-Kent; 4) la décharge Ridge est le concurrent le plus immédiat des décharges de CWS; 5) le dessaisissement limiterait l’exercice d’une puissance commerciale par CWS.

[13] Le Tribunal a conclu au paragraphe 136 de ses Motifs que si la décharge Ridge restait indépendante, celle-ci et la décharge Warwick de CWS seraient les plus proches concurrents l’une de l’autre. À ce propos, le commissaire fait valoir que le dessaisissement de la décharge Ridge maintiendrait la concurrence entre celle-ci et les décharges de CWS situées à des distances comparables de la RGT, telles que Warwick et Richmond.

[14] Le commissaire fait en outre observer que le dessaisissement de la décharge Ridge est une mesure de redressement proportionnée à la conclusion du Tribunal selon laquelle le fusionnement en cause empêche ou diminue sensiblement la concurrence, et ce, pour les raisons suivantes : 1) ce dessaisissement résoudrait directement les problèmes constatés par le Tribunal; 2) CWS disposerait ainsi de la même capacité d’élimination qu’avant le fusionnement; 3) l’acquisition de la décharge Ridge ne représente qu’une partie d’une transaction plus importante à laquelle il n’a pas été fait opposition; et 4) ce dessaisissement n’empêcherait pas CWS de conserver la propriété et le contrôle de près de 50 p. 100 de la capacité d’élimination dans le sud de l’Ontario des déchets ICI provenant de la RGT.

[15] Le commissaire invoque la conclusion de son expert, le professeur Baye, comme quoi le dessaisissement de la décharge Ridge ne présente pas les inconvénients que présenteraient les ACE proposés par les défenderesses et assurerait le maintien de l’indépendance d’une décharge à laquelle sa situation géographique et sa position économique permettent de faire concurrence aux autres décharges de CWS.

[16] Le commissaire fait remarquer que même le nouvel expert de CWS dans la présente espèce, M. Christopher Vellturo, reconnaît que le dessaisissement de la décharge Ridge serait une mesure de redressement efficace, et que CWS a elle-même proposé ce dessaisissement comme mesure subsidiaire dans son projet d’ordonnance (projet d’ordonnance remédiatrice de CWS, sous le pli du 5 juin 2001, paragraphes 11 à 14, cahier conjoint des actes de procédure, onglet 10; et affidavit du témoin expert Christopher Vellturo (24 mai 2001) : pièce 424).

[17] Alors que M. Vellturo, l’expert des défenderesses, soutient que le dessaisissement intégral de la décharge Ridge entraînerait une perte d’efficience et donc un coût social, le commissaire fait observer qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve dont le Tribunal pourrait conclure au caractère excessif du dessaisissement de cette décharge. Qui plus est, aucun élément ne prouve non plus que le fusionnement en cause produirait des gains en efficience ou soit économiquement justifié.

[18] Les défenderesses soutiennent à l’encontre qu’il suffit d’un dessaisissement relativement restreint pour à la fois prévenir une augmentation des prix et faire en sorte que ne soit pas empêchée une baisse prévue de ceux-ci relativement à l’élimination des déchets ICI provenant de la RGT et de Chatham-Kent. Elles sont d’avis qu’une décision imposant le dessaisissement intégral de la décharge Ridge dépasserait l’objet de l’article 92 de la Loi et les sanctionnerait inutilement. Invoquant les conclusions de M. Vellturo, elles font valoir qu’en ordonnant le dessaisissement complet de cette décharge pour porter remède à l’atteinte à la concurrence qu’il a constatée, le Tribunal appliquerait une mesure de redressement beaucoup plus sévère qu’il n’est nécessaire pour supprimer l’effet d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence dont il a établi l’existence.

B. LES DÉFENDERESSES 1) Accords relatifs à la capacité d’élimination (ACE) [19] Selon les défenderesses, la cession à un ou plusieurs tiers du droit d’éliminer une quantité déterminée de déchets par an ou par jour à la décharge Ridge suffirait à supprimer l’effet d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence constaté par le Tribunal. Les avocats des défenderesses ont déposé un projet d’ordonnance remédiatrice, auquel ils ont annexé un projet d’ACE.

[20] Plus précisément, les défenderesses soutiennent que la conclusion d’un ou de plusieurs ACE prévoyant le dessaisissement d’une capacité maximale de 155 647 tonnes (dans l’hypothèse d’une hausse maximale des prix) à la décharge Ridge supprimerait toute possibilité, résultant de l’acquisition de cette décharge par les défenderesses, d’un empêchement ou d’une diminution sensibles de la concurrence sur le marché de l’élimination des déchets ICI provenant de la RGT, et que le dessaisissement d’une capacité maximale de 7 154 tonnes à cette même décharge écarterait toute possibilité de la nature susdite sur le marché de l’élimination des déchets ICI provenant de la région de Chatham-Kent. Les quantités maximales additionnées dont les défenderesses auraient ainsi à se dessaisir au moyen d’ACE se chiffrent à quelque 163 000 tonnes.

[21] Les défenderesses proposent en outre que les ACE entrent en vigueur le 1er janvier 2003 ou à toute autre date que le Tribunal estimerait préférable du fait des circonstances, et qu’ils prennent fin en 2010 ou en 2011, ou à tout autre moment que le Tribunal jugerait souhaitable. Pour ce qui concerne la fixation des redevances, les défenderesses proposent que les frais d’élimination par tonne à payer par l’acquéreur des droits dans le cadre des ACE soient égaux au coût marginal de la décharge Ridge.

[22] Les défenderesses proposent en outre que les seules conditions qu’aient à remplir les acquéreurs éventuels de ces droits soient d’être des tiers sans lien de dépendance avec elles, d’avoir l’intention expresse d’exercer l’activité d’élimination de déchets en Ontario, et de disposer des moyens de gestion et des moyens opérationnels et financiers nécessaires à cette fin.

a) Conformité à la Loi des mesures de redressement [23] Comme il a été dit plus haut, la mesure de redressement proposée par les défenderesses consiste en la cession du droit d’éliminer des déchets à la décharge Ridge pour une durée déterminée. Les défenderesses font valoir que ce droit constitue un élément d’actif pour l’application du sous-alinéa 92(1)e)(ii) de la Loi. Par conséquent, font-elles observer, l’alinéa 92(1)e) de la Loi habilite manifestement le Tribunal à ordonner la mesure de redressement qu’elles proposent.

[24] Les défenderesses font valoir que les droits faisant l’objet de l’ACE ont une valeur économique pour leur détenteur. La jurisprudence, selon elles, étaye la légitimité de cette large définition de l’expression « éléments d’actif ». Ainsi, dans la décision Philips c. 707739 Alberta Ltd. (2000), 77 Alta L.R. (3e) 302 à la page 332 (CBR Alb.), le tribunal définit l’équivalent anglais de cette expression (asset) comme étant [TRADUCTION] « tout objet matériel (bien corporel) ou droit (bien incorporel) ayant une valeur économique pour son propriétaire [...] ». Les défenderesses invoquent en outre la décision A.G. Canada c. Gordon (1925) 1 D.L.R. 654 (C. sup. Ont.), le tribunal constate que le terme assets [TRADUCTION] « s’emploie fréquemment et s’entend sans ambiguïté dans le sens de biens de toutes sortes ».

[25] Les défenderesses citent également la définition donnée du terme asset dans le Dictionary of Canadian Law de D.A. Dukelow et B. Nuse, 2e éd., Carswell, Scarborough, 1995 :

[TRADUCTION] 1. Tout bien meuble ou immeuble, ou tout intérêt y afférent en common law ou en equity, notamment le numéraire, les comptes clients et les stocks.

Elles renvoient en outre au Law Dictionary with Pronunciations de Black, 6e éd., St.Paul, Minn., West Publishing Co., 1990, le terme assets est défini comme suit :

[TRADUCTION] Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris à certaines fins les brevets et les droits d’action, qui appartiennent à toute personne physique ou morale ou font partie d’une succession. Totalité des biens d’une personne physique, d’une personne morale (société ou association) ou d’une succession qui sont susceptibles d’être affectés au règlement de ses obligations.

[26] Les défenderesses font aussi valoir que l’examen de certaines définitions comptables du concept d’actif ou d’élément d’actif montre que les accords proposés par elles sont bel et bien des éléments d’actif. Elles citent par exemple la définition suivante, tirée du Manuel de l’ICCA - Comptabilité (Toronto, Institut canadien des comptables agréés, mars 1999) :

Actifs : ressources économiques sur lesquelles une entité exerce un contrôle par suite d’opérations ou de faits passés, et qui sont susceptibles de lui procurer des avantages économiques futurs.

Un actif a trois caractéristiques essentielles : a) il représente un avantage futur en ce qu’il pourra, seul ou avec d’autres actifs, contribuer directement ou indirectement aux flux de trésorerie futurs [...] dans le cas des organismes à but lucratif;

b) l’entité est en mesure de contrôler l’accès à cet avantage; c) l’opération ou le fait à l’origine du droit de l’entité de bénéficier de l’avantage, ou à l’origine du contrôle qu’elle a sur celui-ci, s’est déjà produit.

[27] Les défenderesses ont attiré l’attention du Tribunal sur un autre ouvrage de comptabilité le terme asset est défini comme suit :

[TRADUCTION] [...] tout élément utile pour les opérations ultérieures de l’entreprise dont celle-ci a la propriété effective. Les éléments d’actif peuvent être monétaires ou non, corporels ou incorporels, possédés en propriété ou autrement. Tous éléments qui peuvent contribuer aux opérations ultérieures de l’entreprise, pour autant que celle-ci a le droit de les utiliser ainsi sans supporter de frais additionnels dont le montant dépasserait la valeur prévue de cette contribution, constituent des éléments d’actifs et sont ainsi considérés en comptabilité (S. Davidson et R. L. Weil, Handbook of Modern Accounting, 2e édition, New York, McGraw-Hill Book Company, 1977, aux pages 1-6.)

[28] Les défenderesses invoquent en outre l’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I-21, ainsi libellé : « Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. » Elles font valoir que l’interprétation du commissaire n’est pas la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de l’objet de la Loi. Le fait de restreindre la définition de l’expression « élément d’actif » donnerait lieu selon elles à des mesures de redressement plus sévères qu’il n’est nécessaire pour atteindre le but visé par la Loi.

[29] Le commissaire, poursuivent les défenderesses, a en outre soutenu que la mesure de redressement proposée par elles n’entrait pas dans la définition du verbe « se départir » (to dispose) employé au sous-alinéa 92(1)e)(ii) de la Loi. Or, le Law Dictionary with Pronunciations de Black, précité au paragraphe 25, définit comme suit ce verbe et le substantif correspondant :

[TRADUCTION] Vente, remise en garantie, don, utilisation, consommation ou autre emploi d’une chose. Contrôler; destiner ou affecter à un usage; faire passer sous le contrôle d’un autre; aliéner, octroyer ou se défaire (de).

[30] Les défenderesses soutiennent qu’une interprétation étroite des termes « éléments d’actif » et « se départir » ne remplirait pas l’objet du sous-alinéa 92(1)e)(ii) de la Loi, qui est de conférer au Tribunal le pouvoir d’ordonner une mesure de redressement propre à supprimer l’effet d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence. Elles sont d’avis que la mesure de redressement qu’elles proposent, à savoir le dessaisissement d’une capacité déterminée d’élimination, équivaudrait manifestement pour elles à se départir d’un élément d’actif au sens du sous-alinéa 92(1)e)(ii) de la Loi et que le Tribunal est de toute évidence habilité à ordonner cette mesure.

b) Efficacité des mesures de redressement [31] Les défenderesses allèguent que, comme le montre l'affidavit de leur expert, M. Vellturo, il suffit d’un dessaisissement relativement restreint pour à la fois prévenir une hausse des prix, et faire en sorte que ne soit pas empêchée une baisse prévue des prix, relativement à l’élimination des déchets ICI provenant de la RGT et de Chatham-Kent. C’est ainsi, font-elles valoir, que la conclusion d’un ACE portant sur une quantité globale maximale d’environ 163 000 tonnes permettrait de supprimer l’effet d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence constaté par le Tribunal à l’égard de l’élimination des déchets susdits. Nous examinons en détail plus loin, à la section intitulée « ACE proposés », qui commence au paragraphe 52, l’efficacité de la mesure de redressement proposée par les défenderesses.

C. LA PARTIE INTERVENANTE [32] La corporation de la municipalité de Chatham-Kent, seule intervenante dans la présente espèce, s’est abstenue tout au long de l’audience de prendre position pour l’une ou l’autre des parties sur le fond de l’instance.

[33] À l’étape de la détermination de la mesure de redressement, l'intervenante a soutenu que l’entente conclue entre la collectivité d’accueil Chatham-Kent et Browning-Ferris Industries Ltd. BFIL ») relativement à la décharge Ridge devrait être incluse dans la liste des éléments d’actif de cette décharge qui serait annexée à toute ordonnance du Tribunal. À l’audience, les défenderesses et le commissaire ont consenti à cette inclusion (transcription, page 2325, 22 juin 2001).

III. CRITÈRE À APPLIQUER À LA DÉTERMINATION DE LA MESURE DE REDRESSEMENT APPROPRIÉE

[34] La question, à la présente étape des procédures, est de savoir quelle mesure de redressement le Tribunal devrait ordonner afin de supprimer, selon toute vraisemblance, l’effet d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence. Cette mesure doit être à la fois conforme à la Loi et efficace. Le paragraphe 92(1) de la Loi habilite le Tribunal à ordonner une mesure de redressement dans les cas il conclut qu’un fusionnement empêche ou diminue sensiblement la concurrence, ou aura vraisemblablement cet effet. Plus précisément, l’alinéa 92(1)e) porte ce qui suit :

[L]e Tribunal peut, sous réserve des articles 94 à 96 : e) dans le cas d’un fusionnement réalisé, rendre une ordonnance enjoignant à toute personne, que celle-ci soit partie au fusionnement ou non :

(i) de le dissoudre, conformément à ses directives, (ii) de se départir, selon les modalités qu’il indique, des éléments d’actif et des actions qu’il indique, (iii) en sus ou au lieu des mesures prévues au sous-alinéa (i) ou (ii), de prendre toute autre mesure, à condition que la personne contre qui l’ordonnance est rendue et le commissaire souscrivent à cette mesure [...]

[35] La Cour suprême du Canada a formulé le critère à appliquer à la détermination de la mesure de redressement appropriée en cas d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence dans l’arrêt Directeur des enquêtes et recherches c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 aux pages 789 et 790, (1997) 71 C.P.R. (3e) 417 aux pages 445 et 446 :

Le mal auquel les rédacteurs de la Loi sur la concurrence s’attaquaient est la diminution sensible de la concurrence. Voir la Loi sur la concurrence, par. 92(1). Il n’est guère besoin de démontrer que la mesure de redressement appropriée en cas de diminution sensible de la concurrence consiste à rétablir la concurrence de façon qu’il ne soit plus possible de dire qu’elle est sensiblement inférieure à ce qu’elle était avant le fusionnement (c’est nous qui soulignons).

On peut lire plus loin dans le même arrêt (ibid. à la page 791 (R.C.S.) et à la page 446 (C.P.R.)) : S’il faut choisir entre une mesure qui va au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour rétablir la concurrence à un niveau acceptable, et une mesure qui ne permet même pas d’atteindre le niveau acceptable, alors c’est certes la première qui doit être préférée. Une mesure de redressement doit à tout le moins être efficace. Si la moins attentatoire des mesures de redressement efficaces possibles va au-delà de ce qui est nécessaire, c’est peut-être malheureux mais, d’un point de vue juridique, une telle mesure n’est pas défectueuse.

A. CONFORMITÉ À LA LOI DES MESURES DE REDRESSEMENT PROPOSÉES 1) Les ACE proposés n’ont pas pour effet de « dissoudre » le fusionnement [36] Dans les cas le Tribunal conclut qu’un fusionnement empêche ou diminue sensiblement la concurrence, le sous-alinéa 92(1)e)(i) de la Loi lui permet, comme mesure de redressement appropriée, de rendre une ordonnance enjoignant de « dissoudre » ce fusionnement. Il ne fait aucun doute que le terme « dissoudre » signifie défaire, décomposer ou détruire quelque chose. C’est ainsi qu’on l’interprète aussi bien dans l’usage quotidien que dans certaines lois fédérales. Par exemple, une société dissoute cesse d’exister; on dissout le Parlement avant les élections; et le divorce est une dissolution du mariage.

[37] En cas de dissolution d’un fusionnement, celui-ci prend fin, et les entités fusionnées redeviennent distinctes comme avant le fusionnement. Dans la présente instance, le fusionnement consiste en l’acquisition par CWS d’une partie substantielle des éléments d’actif et entreprises de BFIL, dont la décharge Ridge. Le Tribunal estime que la mesure de redressement proposée par CWS ne dissoudrait pas le fusionnement puisque celle-ci conserverait la propriété et le contrôle de toutes ses décharges en Ontario et entretiendrait des rapports contractuels continus avec le cosignataire de l’ACE.

2) Conclure les ACE proposés n’équivaut pas à « se départir » d’éléments d’actif ou d’actions [38] En outre, en vertu du sous-alinéa 92(1)e)(ii) de la Loi, le Tribunal peut rendre une ordonnance enjoignant à toute personne « de se départir [...] des éléments d’actif et des actions qu’il indique ». Se départir d’éléments d’actifs ou d’actions signifie transférer la propriété de biens. Dans l’arrêt Harman v. Gray-Campbell Ltd., (1925) 2 D.L.R. 904 à la page 908 (C.A. Sask.), la Cour d’appel de la Saskatchewan fait observer ce qui suit :

[TRADUCTION] Le New English Dictionary de Murray attribue les significations suivantes à l’expression dispose of [équivalent anglais de « se départir (de) »] : « b) se défaire (de), abandonner; se débarrasser (de); et c) céder ou aliéner par voie de vente ou de marché ». Dans le Law Dictionary de Bouvier, cette expression est définie comme suit : « Aliéner, ou attribuer la propriété (de) ».

[39] Or, les défenderesses ne proposent pas de se départir d’éléments d’actif ou d’actions, mais plutôt d’établir des relations contractuelles suivies relativement à la prestation de services d’élimination à une décharge. Les ACE proposés sont des contrats que CWS voudrait passer. Les services d’élimination qui feraient l’objet de ces contrats ne sont pas des éléments d’actif préexistants dont elle pourrait se dessaisir, mais de nouveaux droits qu’elle propose de créer.

[40] Alors que CWS définit la mesure de redressement proposée comme étant un « dessaisissement » de « capacité d’élimination », son projet d’ACE n’aurait pas pour effet, à première vue, de « vendre » de la capacité d’élimination. Il ne ferait que créer le droit contractuel de déposer une quantité déterminée de déchets à une décharge.

[41] Les ACE proposés par CWS n’auraient pas pour effet de transférer la propriété de biens ni même de créer un intérêt dans des biens. Bien au contraire, ils écarteraient explicitement la possibilité de création de tout intérêt propriétal. On peut lire en effet ce qui suit à l’article 9 du projet d’ACE de CWS (cahier conjoint des actes de procédure, onglet 10) :

[TRADUCTION] L’entreprise de transports aura le droit limité et non exclusif d’entrer dans la décharge aux seules fins suivantes et dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de ces fins : i) déposer les déchets acceptables à l’endroit et de la manière indiqués par CWS; et ii) enlever ou faire enlever les déchets non conformes [...]

Hormis le droit limité et non exclusif cédé par CWS à l’entreprise de transports au paragraphe 9(1) ci-dessus, ladite entreprise reconnaît, convient et confirme qu’elle ne possède aucun intérêt ou droit de quelque nature que ce soit à l’égard de la décharge (c’est nous qui soulignons).

[42] Une des caractéristiques d’un élément d’actif est qu’il peut être acheté et vendu. Or, l’article 17 du projet d’ACE de CWS (cahier conjoint des actes de procédures, onglet 10) stipule que les accords proposés ne seraient pas transférables sans l’assentiment de CWS :

[TRADUCTION] L’entreprise de transports ne peut céder, transférer ou transmettre d’une autre manière à quiconque aucun des droits ou obligations que lui attribue le présent accord sans avoir au préalable obtenu l’assentiment par écrit de CWS [...]

[43] Dans le cadre des ACE proposés, CWS conserverait la propriété et le contrôle de 70 p. 100 de la capacité d’élimination des déchets ICI provenant de la RGT et de la totalité de la capacité d’élimination des déchets de même nature en provenance de Chatham-Kent (affidavit du témoin expert Michael Baye (23 mai 2001) : pièce 421 au paragraphe 13).

[44] Conclure des ACE n’équivaut pas à « se départir » d’éléments d’actif, mais revient plutôt à créer un droit d’élimination pour le cocontractant. Il s’agit d’accords entre CWS et une entreprise de transports qui conféreraient à celle-ci, pour une certaine durée, le droit d’éliminer une quantité définie de déchets à la décharge Ridge et un droit limité d’accès à cette décharge. En signant de tels accords, CWS ne se départirait pas d’une partie de la décharge; elle ne ferait que céder au cocontractant non pas un droit sur la décharge mais simplement le droit d’y éliminer une quantité déterminée de déchets pour une durée déterminée. Or, « se départir » de quelque chose qu’on possède signifie « s’en défaire », et non créer un droit quelconque d’accès.

[45] En outre, le Tribunal peut ordonner seulement le dessaisissement d’éléments d’actif acquis dans le cadre du fusionnement ou que l’une des entités fusionnantes possède déjà. Il ne s’ensuit pas que le fait d’établir ou de passer un contrat afin de créer un droit après le fusionnement équivaille à se départir de ce droit. Selon le Tribunal, l’établissement d’un contrat de services après le fusionnement ne revient pas à se départir d’un élément d’actif.

[46] La Cour d’appel fédérale, dans la décision Directeur des enquêtes et recherches c. Air Canada [1994] 1 C.F. 154, (1993), 49 C.P.R. (3e) 417, a confirmé que, dans les procédures contentieuses, par opposition à celles les parties consentent à la mesure de redressement, le pouvoir du Tribunal se limite à l’usage des « instruments mal dégrossis » que sont la dissolution et le dessaisissement. Toute autre mesure de redressement ne peut être décidée, comme le stipule le sous-alinéa 92(1)e)(iii) de la Loi, que d’un commun accord des parties. La Cour d’appel fédérale formule ainsi les observations suivantes (ibid. à la page 169 (C.F.) et à la page 430 (C.P.R.)) :

Le sous-alinéa 92(1)e)(iii) permet par contre l’élargissement, par consentement des parties, de la gamme des ordonnances que le Tribunal peut rendre dans les affaires de fusionnement. Ce pouvoir ne peut cependant s’exercer que s’il y a consentement, faute de

quoi le Tribunal ne peut ordonner que la dissolution du fusionnement (sous-alinéa (i)) ou l’aliénation d’éléments d’actif ou d’actions (sous-alinéa (ii)). Il s’agit de pouvoirs importants, voire draconiens, mais entre les mains soit du directeur soit du Tribunal, ils constituent plutôt un instrument mal dégrossi d’application de la politique de promotion de la libre concurrence au Canada. En effet, ce sont bien la grossièreté même de cet instrument et le manichéisme des ordonnances que peut rendre le Tribunal en application des sous-alinéas (i) et (ii) qui indubitablement donnent au sous-alinéa (iii) sa vitalité et ajoutent à son utilité.

[47] Contrairement à la dissolution et au dessaisissement, les ACE proposés comportent des éléments relatifs au comportement, étant donné qu’ils créent des rapports contractuels suivis mettant en jeu des engagements mutuels à remplir sur une durée déterminée. Ces accords constituent en fait une mesure de redressement liée au comportement, et non une aliénation d’éléments d’actif comme le soutiennent les défenderesses. Or, le sous-alinéa 92(1)e)(iii) de la Loi interdit au Tribunal d’ordonner des mesures de redressement réglant le comportement en l’absence du consentement des défenderesses et du commissaire.

[48] Dans la décision Directeur des enquêtes et recherches c. Southam Inc. (10 décembre 1992), CT9001/277, Motifs et décision concernant la mesure de redressement, [1992] D.T.C.C. no 14 (QL) (Trib. conc.) (version anglaise publiée dans (1992), 47 C.P.R. (3e) 240 aux pages 250 et 251), le Tribunal a statué qu’il n’était pas habilité à ordonner la conclusion des contrats de services proposés à l’appui d’un dessaisissement proposé d’actifs sans le consentement du commissaire :

La première objection du directeur à la proposition des défenderesses est que le Tribunal devrait outrepasser sa compétence, puisque l’ordonnance proposée va au-delà de la dissolution du fusionnement ou du dessaisissement des éléments d’actif ou des actions que prévoient les sous-alinéas 92(1)e)(i) et (ii). À son avis, les modalités que comporte l’entente offerte par les défenderesses à l’acheteur tombent sous le coup du sous-alinéa 92(1)e)(iii), et le Tribunal peut rendre une ordonnance en vertu de cette disposition uniquement avec le consentement des parties. Or, comme on l’a vu plus tôt, le directeur s’y objecte. Pour leur part, les défenderesses soutiennent que le Tribunal dispose d’une latitude importante pour ordonner le dessaisissement des éléments d’actif, le sous-alinéa 92(1)e)(ii) stipulant qu’il peut rendre une telle ordonnance « selon les modalités qu’il indique ». Le Tribunal ne convient pas que le fait d’exiger des défenderesses qu’elles offrent aux éventuels acheteurs la possibilité de passer un contrat de services avec le North Shore News ou LMPL entre dans les modalités qu’il peut indiquer sur le dessaisissement des éléments d’actif aux termes du sous-alinéa 92(1)e)(ii).

[49] Plus loin dans la même décision (page 252), le Tribunal déclare ce qui suit : Sans vouloir accoler d’étiquette du genre de « concurrent apprivoisé », le Tribunal convient qu’une mesure de redressement qui, pour réussir, dépend de contrats d’approvisionnement entre les seuls concurrents qui existent sur le marché est quelque peu suspecte. Bien que la nature de la mesure de redressement proposée empêche nécessairement une évaluation détaillée de ses conditions, le Tribunal estime que les petits accommodements et la

bonne volonté qu’exige une relation à long terme fructueuse en matière d’approvisionnement ne peut créer le climat qu’il faut pour rétablir la situation concurrentielle qui existait avant le fusionnement....

[50] Le Tribunal estime que ce raisonnement est aussi applicable à la présente espèce. B. EFFICACITÉ DES MESURES DE REDRESSEMENT PROPOSÉES [51] Le commissaire et les défenderesses ont présenté à l’examen du Tribunal les opinions d’experts en matière économique touchant l’efficacité de chacune des mesures de redressement proposées. Le Tribunal expose ci-dessous les résultats de son appréciation de ces opinions.

1) ACE proposés [52] La mesure de redressement proposée par les défenderesses consisterait à ordonner à CWS de conclure avec des tiers des accords permettant à ceux-ci d’éliminer des déchets ICI à la décharge Ridge. Selon ces accords, CWS céderait, contre un paiement forfaitaire non précisé qui serait à négocier, le droit d’éliminer des déchets de cette nature à la décharge Ridge au coût marginal d’élimination de cette décharge. Les tiers qui se porteraient acquéreurs de ces droits pourraient être des entreprises de transports ou des centres de transbordement souhaitant éliminer à la décharge Ridge des déchets ICI provenant de la RGT ou de Chatham-Kent. Ce pourraient être aussi des entités prestataires de services d’élimination à la décharge Ridge qui vendraient ces services à des entreprises de transports et à des centres de transbordement s’occupant de tels déchets.

[53] Pendant la durée de ces accords, CWS continuerait de posséder la décharge Ridge en propriété exclusive et d’y exploiter tous les aspects de l’élimination des déchets. Les défenderesses proposent des dates d’expiration précises pour les ACE et envisagent le cas le Tribunal souhaiterait fixer des dates différentes en se fondant sur sa détermination du début et de la fin de la situation d’excédent de capacité.

[54] L’expert des défenderesses, M. Vellturo, évalue au moyen de la méthode de la perte de ventes critique les mesures possibles de redressement de la situation d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence constatée par le Tribunal relativement à l’élimination des déchets ICI produits par la RGT et la région de Chatham-Kent. Son analyse fondée sur la perte de ventes critique l’amène à penser qu’il suffirait de réductions relativement peu importantes des quantités de déchets à la décharge Ridge (2 400 à 163 000 tonnes) pour supprimer l’effet d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence constaté par le Tribunal à l’égard des déchets de la RGT comme de ceux de Chatham-Kent. Il conclut que la signature d’ACE portant sur les quantités susdites serait la mesure de redressement appropriée et que le dessaisissement intégral de la décharge Ridge demandé par le commissaire n’est pas nécessaire.

[55] M. Vellturo soutient également que le dessaisissement complet empêcherait la réalisation des gains en efficience que permettrait l’acquisition de la décharge Ridge par CWS et il se fonde sur cette thèse pour déclarer inappropriée la mesure de redressement proposée par le commissaire (affidavit du témoin expert Christopher Vellturo (13 juin 2001) : pièce 426).

[56] L’expert du commissaire en matière économique, le professeur Baye, soutient quant à lui que les ACE ne suffiraient pas à remédier à la situation d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence. Il conclut que ces accords mèneraient vraisemblablement à des arrangements collusoires et créeraient « un groupe marginal négligeable d’entités non compétitives », composé de tiers qui traiteraient de trop faibles quantités de déchets pour rivaliser avec CWS à la décharge Ridge. Il critique également l’analyse fondée sur la perte de ventes critique que propose M. Vellturo, principalement pour ce qui concerne les allégations visant les mesures de redressement relatives aux déchets provenant de la RGT (affidavit du témoin expert Michael Baye (13 juin 2001) : pièce 422).

[57] Comme l’étude de M. Vellturo touchant les mesures de redressement applicables à la RGT l’amène à effectuer une analyse de la concurrence spatiale, cette étude est plus complexe que celle qu’il fait du cas de Chatham-Kent. Désirant concentrer son attention sur la méthode de la perte de ventes critique, le Tribunal examinera d’abord les mesures de redressement que M. Vellturo propose à l’égard de Chatham-Kent.

a) Analyse fondée sur la perte de ventes critique [58] M. Vellturo définit comme suit dans son rapport d’expert la procédure d’analyse fondée sur la perte de ventes critique :

[TRADUCTION] La perte critique nécessaire pour qu’une entreprise n’ait pas intérêt à hausser ses prix se calcule à partir de la perte minimale de volume qui rendrait une hausse de prix (ou, le cas échéant, le fait de ne pas baisser ses prix) non profitable pour cette entreprise (affidavit du témoin expert Christopher Vellturo (24 mai 2001) : pièce 423 à la page 6, point 2).

[59] M. Vellturo illustre la méthode par l’exemple d’une entreprise dont la production actuelle s’établit à 100 unités, le coût marginal à deux dollars l’unité et le prix de vente unitaire à cinq dollars. On obtient ainsi une situation de référence la marge brute unitaire est de trois dollars, et la marge brute globale de 300 dollars (trois dollars x 100 unités). L’entreprise doit décider si elle augmentera le prix de 10 p. 100 (pour le porter, donc, à 5,50 dollars) en tenant compte de l’effet de cette hausse sur sa marge bénéficiaire brute. Si l’entreprise prévoit que la hausse de prix fera diminuer les ventes de dix unités, sa marge brute unitaire sera portée à 3,50 dollars, et sa marge brute globale à 315 dollars; par conséquent, la hausse sera profitable en comparaison de la situation de référence. Cependant, si l’entreprise prévoit une perte de ventes de 20 unités, sa marge brute sera ramenée à 280 dollars, et la hausse ne sera pas profitable (transcription, vol. 15 aux pages 1988 et 1989 (21 juin 2001)).

[60] Dans cet exemple, la perte de ventes critique correspondant à une hausse de prix de 10 p. 100 est la perte de ventes (exprimée en unités) qui permet de maintenir la marge brute à 300 dollars. Une opération élémentaire d’algèbre permet de constater que la perte de ventes critique s’établit dans ce cas à environ 14 unités. L’entreprise augmentera son prix de 10 p. 100 si la perte de ventes prévue est inférieure à 14 unités, et elle s’en abstiendra si cette perte y est supérieure. Par conséquent, pour autant que l’entreprise pourra produire et vendre au moins 86 unités après

la hausse de prix, celle-ci sera profitable en comparaison de la situation de référence (transcription, vol. 15 aux pages 1989 et 1990 (21 juin 2001)).

[61] La quantité de la perte de ventes critique dépend de celle de la hausse de prix qu’on envisage et de la marge brute en situation de référence. La procédure d’analyse fondée sur la perte de ventes critique exige une comparaison entre d’une part la perte de ventes (exprimée en unités) que l’entreprise prévoit par suite d’une hausse de prix donnée, et d’autre part la perte de ventes critique. Si la perte de ventes prévue en unités est inférieure à la perte de ventes critique, la hausse de prix sera profitable.

[62] Le Tribunal note que, dans cette méthode d’analyse, le coût marginal est supposé constant. Dans l’exemple de M. Vellturo, que l’entreprise produise 100 unités, 86 ou un autre nombre, l’augmentation du total de ses coûts attribuable à chaque unité additionnelle de production reste de deux dollars. Cette hypothèse est conforme aux règles heuristiques ou empiriques courantes, encore qu’elle puisse être infirmée dans des cas déterminés, en particulier lorsqu’il s’agit de variations considérables de production et/ou de prix.

[63] Le Tribunal note également que M. Vellturo utilise la méthode de la perte de ventes critique pour évaluer directement l’effet de la transaction sur la concurrence. Cependant, cette méthode est aussi appliquée à la définition des marchés pertinents et constitue une solution de rechange au paradigme du monopoleur hypothétique. Dans cette dernière approche, la question clé est celle de savoir si la demande est assez élastique pour que même un monopoleur s’abstienne de faire subir au prix une hausse au moins minime mais relativement importante et non transitoire. Si la demande comporte ce degré d’élasticité, le marché qui y correspond n’est pas pertinent et doit être étendu à un autre produit.

[64] Dans le cadre de la méthode de la perte de ventes critique, on délimite un marché en se demandant si un monopoleur pourrait faire subir au prix une hausse maximale déterminée sans que son profit en diminue pour autant. Dans le cas le monopoleur perdrait suffisamment de ventes pour que la hausse se révèle non profitable dans ce sens, il n’a pas été défini de marché pertinent.

[65] S’il est vrai que les deux méthodes partagent certaines caractéristiques, l’approche du monopoleur hypothétique est compatible avec l’hypothèse classique de la maximisation des profits, ce qui n’est pas le cas de la méthode de la perte de ventes critique. Qui plus est, l’approche du monopoleur hypothétique exige une connaissance de la courbe de demande ou la formulation d’une hypothèse explicite à ce sujet, alors que l’autre méthode s’en passe. Bien que la question de savoir si l’une ou l’autre méthode est préférable pour la délimitation des marchés pertinents fasse l’objet d’un débat dans les publications américaines sur la lutte antitrust, il semble qu’elles soient toutes deux communément utilisées. Le Tribunal s’est fondé dans une mesure considérable sur l’approche du monopoleur hypothétique pour définir le marché pertinent lors de l’audience sur le fond de l’instance.

[66] Le Tribunal constate en outre que le volume de ventes perdues qui rend non profitable une hausse de prix de 10 p. 100 a le même effet sur toute hausse de prix inférieure. Cependant, la perte de ventes critique ne signifie pas que des hausses supérieures, qui s’établiraient par exemple à 20, 50 ou même 100 p. 100, ne seraient pas profitables. Ainsi, il peut arriver qu’une hausse minime de prix se révèle non profitable à la lumière d’une analyse fondée sur la perte de ventes critique, mais qu’une hausse plus forte s’avère profitable.

b) La méthode de la perte de ventes critique appliquée à Chatham-Kent [67] Examinant les mesures de redressement fondées sur le partage de la capacité d’élimination que proposent les défenderesses à l’égard de l’élimination des déchets ICI provenant de la RGT et de Chatham-Kent, M. Vellturo fait observer ce qui suit :

[TRADUCTION] La mesure de redressement appropriée dans le cas de l’atteinte à la concurrence constatée par le Tribunal [...] consiste à ordonner des dessaisissements conférant à des tiers le droit d’éliminer des quantités déterminées de déchets ICI. Ces quantités seraient fixées à un niveau tel que le volume de déchets ICI que les défenderesses s’exposeraient à perdre par suite d’une hausse unilatérale de prix (ou en ne baissant pas le prix du marché actuel) rendrait cette hausse non profitable.

[...] Si des tiers contrôlaient de tels volumes, toute hausse unilatérale de prix que décideraient les défenderesses entraînerait une perte de volumes au moins égale à la perte critique. Les clients confieraient alors leurs déchets ICI au tiers contrôlant le volume dessaisi plutôt qu’aux défenderesses. Par définition, le tiers en question serait en mesure d’éliminer un volume suffisant pour que les défenderesses voient diminuer leur profit par suite de la hausse de prix. Il s’ensuit que les défenderesses s’abstiendraient tout simplement de hausser leur prix, puisque cela irait à l’encontre de leur intérêt, qui est de maximiser leurs profits (affidavit du témoin expert Christopher Vellturo (24 mai 2001) : pièce 423 aux pages 6 et 7).

[68] Comme l’indique le tableau 6 de l'affidavit de M. Vellturo, celui-ci se fonde sur le volume annuel total de déchets ICI en provenance de Chatham-Kent éliminé aux décharges Ridge et Gore. À partir de la redevance demandée avant le fusionnement à la décharge Gore et du coût marginal à la décharge Ridge, il calcule la marge brute par tonne et constate que les marges brutes additionnées de ces décharges s’établissent après l’acquisition à 900 676 dollars, dans l’hypothèse les redevances ne baisseraient pas par suite de l’augmentation de la capacité. Ce calcul est fondé sur l’hypothèse que les deux décharges demanderaient les mêmes redevances pour les déchets ICI de provenance locale et supporteraient le même coût marginal.

[69] Comme le Tribunal l’a noté dans sa décision, la capacité annuelle autorisée à la décharge Ridge passera à 680 000 tonnes en 2002, contre 220 000 en 1999. Par conséquent, la capacité des décharges de Chatham-Kent à accepter des déchets ICI de provenance locale augmentera de manière spectaculaire jusqu’à la fermeture de la décharge Gore. Au tableau 6 de son affidavit, M. Vellturo examine trois scénarios dans lesquels des baisses de prix de 5, 10 et 15 p. 100 respectivement à escompter de l’accroissement de capacité sont empêchées par CWS après l’acquisition de la décharge Ridge. Il se demande à propos de ces trois scénarios quelles hausses de prix seraient nécessaires pour revenir au prix de départ et conclut qu’il y faudrait respectivement des hausses de 5,3, 11,1 et 17,6 p. 100.

[70] Dans le premier scénario, M. Vellturo suppose que l’augmentation de la capacité entraînerait une baisse des redevances de 5 p. 100. En conséquence, la marge brute par tonne baisserait, et la marge brute globale s’établirait alors à 842 988 dollars. En l’absence d’une mesure de redressement, CWS empêcherait cette baisse des redevances en haussant d’environ 5,3 p. 100 le prix en vigueur après l’augmentation de capacité. Ce faisant, elle perdrait ou pourrait s’attendre à perdre des ventes.

[71] M. Vellturo calcule ensuite le volume annuel d’élimination qui rendrait égale au montant postérieur à l’expansion (842 988 dollars) la marge brute de CWS au titre des décharges Ridge et Gore après sa hausse de prix. Comme celle-ci est censée rétablir la marge brute par tonne, le volume annuel critique se chiffre à quelque 35 000 tonnes. Si le volume annuel d’élimination de CWS dépassait ce niveau, la hausse de prix serait profitable et serait donc décidée unilatéralement.

[72] Par conséquent, la perte de ventes critique s’établit à 2 384 tonnes. M. Vellturo conclut que si une capacité légèrement supérieure à 2 384 tonnes échappait au contrôle de CWS, il ne serait pas profitable pour elle d’empêcher la baisse hypothétique de 5 p. 100 des redevances applicables aux déchets ICI provenant de Chatham-Kent. Dans son témoignage, M. Vellturo a déclaré que le volume dont CWS devrait être dessaisie est de 2 500 tonnes (transcription, vol. 15 à la page 2029, lignes 19 à 21 (21 juin 2001)).

[73] Il conclut de ce raisonnement que la mesure appropriée de redressement de la situation d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence sur le marché de l’élimination des déchets ICI provenant de Chatham-Kent est le dessaisissement, par le moyen d’ACE avec des tiers, d’une capacité de 2 500 tonnes, dans l’hypothèse d’une baisse des redevances de 5 p. 100 du fait de l’augmentation de la capacité globale. Les défenderesses précisent que les ACE s’appliqueraient à la capacité de la décharge Ridge.

[74] M. Vellturo applique la même analyse aux baisses de prix hypothétiques de 10 et de 15 p. 100. Les hausses de prix nécessaires pour empêcher ces baisses sont respectivement de 11,1 et de 17,6 p. 100, et les capacités minimales dont il faudrait en conséquence dessaisir CWS s’établissent respectivement à 4 770 et 7 154 tonnes.

c) Appréciation par le Tribunal de l’analyse appliquée à Chatham-Kent [75] L’argumentation du commissaire touchant le cas de Chatham-Kent est fondée sur la thèse selon laquelle, après avoir fait l’acquisition de la décharge Ridge, CWS serait en mesure d’empêcher la baisse des redevances applicables aux déchets ICI de provenance locale qu’entraînerait autrement l’excédent de capacité. Le Tribunal a souscrit à cette thèse (Motifs, paragraphe 205).

[76] Selon l’analyse de M. Vellturo, CWS, après le fusionnement, risquerait de perdre un volume déterminé de tels déchets, mais pourrait accroître sa marge brute si elle haussait les redevances ou ne les baissait pas à la suite de la création d’un excédent de capacité à Chatham-Kent. Il considère l’un et l’autre cas comme une hausse réelle des redevances. La mesure de redressement qu’il propose, se fondant sur l’approche de la perte de ventes critique, consiste à dessaisir CWS d’un volume d’activité égal à la perte de ventes critique de manière à rendre non profitable une hausse réelle des prix.

[77] Toutefois, le Tribunal n’est pas convaincu que, en l’absence d’une mesure de redressement, CWS perdrait une quelconque quantité de déchets ICI de provenance locale. Premièrement, la seule augmentation de capacité de la région de Chatham-Kent se produira à la décharge Ridge même.

[78] Deuxièmement, le Tribunal a noté dans sa décision que, puisque la décharge Gore appartient à CWS, l’acquisition par celle-ci de la décharge Ridge empêcherait toute concurrence entre les deux. Le Tribunal a aussi conclu qu’il ne resterait plus alors de concurrence réelle et peu de chances de voir d’autres entreprises entrer en lice, et que CWS contrôlerait ainsi la totalité du marché de l’élimination des déchets ICI provenant de Chatham-Kent. Il semble au Tribunal que dans cette situation de demande inélastique, il faudrait dessaisir CWS d’un volume d’activité tout à fait considérable pour rendre non profitable une légère hausse réelle des prix. La perte de ventes critique établie par M. Vellturo pour une hausse de prix de 5,3 p. 100 est de 2 384 tonnes; or, ce volume ne représente que 6,4 p. 100 de la quantité de déchets ICI de provenance locale déposée aux décharges Ridge et Gore, et rien au dossier ne donne à penser que CWS perdrait, ou prévoie de perdre, même ce faible volume d’activité.

[79] C’est pourquoi le Tribunal doute de l’efficacité des ACE pour ce qui est d’empêcher l’application éventuelle d’une politique de prix anticoncurrentielle par CWS relativement aux déchets ICI provenant de Chatham-Kent à la suite de l’acquisition de la décharge Ridge.

[80] Qui plus est, même si l’on souscrivait à l’analyse fondée sur la perte de ventes critique de M. Vellturo, on ne pourrait s’empêcher de constater que, d’après ses chiffres mêmes, la marge brute par tonne correspondant à la redevance la plus basse en vigueur à la décharge Gore pour les déchets ICI de provenance locale dépasse 70 p. 100 du prix et 300 p. 100 du coût marginal de la décharge Ridge. Il semble au Tribunal que les conditions sont ainsi réunies pour que les redevances baissent beaucoup plus qu’à l’intérieur de l’intervalle de 5 à 15 p. 100 qu’il postule, même si elles ne sont pas ramenées au coût marginal. Par conséquent, le Tribunal est d’avis que les estimations et les mesures de redressement que M. Vellturo déduit de son analyse fondée sur la perte de ventes critique sont très vraisemblablement trop faibles.

[81] À ce propos, le Tribunal note que si les mesures de redressement proposées par M. Vellturo sont conçues pour rendre non profitable le fait d’empêcher complètement des baisses de prix de 5, 10 et 15 p. 100, on ne peut pas en conclure qu’une hausse supérieure ne serait pas profitable. Qui plus est, M. Vellturo ne prédit pas une baisse de prix déterminée pour les déchets ICI de provenance locale à Chatham-Kent. Il se contente de dire que, dans le cas d’une baisse de 5 à 15 p. 100, la mesure de redressement à appliquer serait le dessaisissement, par l'entremise des ACE, des capacités qu’il a calculées.

[82] M. Vellturo n’étudie pas la question de savoir combien de concurrents les ACE devraient mettre en lice à Chatham-Kent. Le professeur Baye craint, à propos de la RGT, que le dessaisissement de capacité proposé par M. Vellturo ne crée, dans le meilleur des cas, qu’un groupe marginal d’entités non compétitives. Étant donné la situation de la concurrence à Chatham-Kent, le Tribunal nourrit la même inquiétude à l’égard de cette région.

[83] Comme M. Vellturo ne précise pas la baisse de prix à laquelle on peut s’attendre, il reporte sur le Tribunal la charge de le faire et de choisir parmi les mesures de redressement qu’il propose. Or, le Tribunal ne peut accepter cette charge. Il n’a pas établi dans ses motifs de baisse de prix déterminée concernant le cas de Chatham-Kent parce que les parties n’avaient ni invoqué ni contesté de baisse définie en pourcentage lors des débats au fond. Le Tribunal a conclu que la création d’un excédent de capacité à la décharge Ridge aurait pour effet d’accroître la concurrence et de faire baisser les redevances relativement aux déchets ICI provenant de Chatham-Kent et que l’acquisition de cette décharge par CWS empêcherait un tel accroissement de concurrence (Motifs, paragraphe 205).

[84] En l’absence d’opinion d’expert et de réfutation sur cette question, le Tribunal n’a rien sur quoi se fonder pour établir une baisse de prix déterminée et adopter la mesure correspondante proposée par M. Vellturo.

[85] Vu ses conclusions antérieures comme quoi, après l’acquisition de la décharge Ridge, CWS contrôlerait la totalité de la capacité d’élimination des déchets ICI de provenance locale à Chatham-Kent et qu’il ne lui resterait ainsi aucune concurrence réelle relativement à l’élimination de tels déchets, et étant donné ses doutes concernant la méthode d’analyse fondée sur la perte de ventes critique, ainsi que le caractère limité de l’intervalle de variation des prix que M. Vellturo a postulé, le Tribunal n’est pas convaincu que les mesures de redressement proposées par cet expert seraient efficaces.

d) La méthode de la perte de ventes critique appliquée à la RGT [86] Pour ce qui concerne l’élimination des déchets ICI provenant de la RGT dans le contexte prévu d’un excédent considérable de capacité, M. Vellturo propose une analyse fondée sur la théorie de la concurrence spatiale. Il attribue les déchets ICI provenant de la RGT à une décharge donnée du sud de l’Ontario en se fondant sur sa distance de la RGT et sur le prix réel d’élimination par tonne, qui est la somme de la redevance minimale et du coût du transport par tonne à partir de la RGT. Dans ce schéma, dont il affirme qu’il est en gros semblable à celui de l’analyse proposée par le commissaire et acceptée par le Tribunal, la dernière décharge à recevoir des déchets ICI de la RGT est dite « dernière décharge active ». Celle-ci fixe sa redevance par

rapport à celle de la décharge suivante dans l’ordre croissant des distances, dite « décharge marginale », dans la mesure cette dernière dispose d’un excédent de capacité. La redevance demandée par une décharge est celle qui rend indifférent pour le centre de transbordement d’y éliminer ses déchets ou de les transporter à la décharge suivante dans l’ordre croissant des distances. Par conséquent, la redevance en vigueur à la décharge marginale détermine celles de toutes les décharges situées plus près de la RGT.

[87] Ayant établi les redevances de chaque décharge, M. Vellturo attribue les déchets ICI provenant de la RGT à ces décharges selon leurs distances respectives de cette agglomération. Il constate que la dernière décharge active est GreenLane, dont la redevance minimale est tout juste inférieure à celle de la décharge marginale, à savoir l’Essex-Windsor Solid Waste Authority. M. Vellturo conclut que, puisque la décharge marginale n’appartient pas à CWS, celle-ci, qu’elle acquière ou non la décharge Ridge, ne pourra influencer les prix de l’élimination des déchets ICI provenant de la RGT dans le sud de l’Ontario. De ce qui précède, il ne peut conclure que les prix seront plus bas que les prix actuels après l’accroissement de capacité et il formule l’observation suivante :

[TRADUCTION] Par suite, aucune mesure de redressement n’est nécessaire pour empêcher la neutralisation de baisses de prix prévues équivalant à moins de 5 p. 100 des prix en vigueur, puisque la décharge GreenLane continuera à disposer d’un excédent de capacité suffisant pour faire en sorte que les défenderesses ne cherchent pas à hausser les prix (ou à empêcher qu’ils ne baissent) dans cette proportion (affidavit du témoin expert Christopher Vellturo (24 mai 2001) : pièce 423 à la page 8).

[88] M. Vellturo a exposé de nouveau et clarifié son opinion au cours de son interrogatoire et de son contre-interrogatoire. Cette opinion est que le modèle de concurrence spatiale auquel le Tribunal a souscrit ne permet pas, selon la formulation que M. Vellturo en a établie à partir des données consignées au dossier, de prévoir une diminution des redevances. Par conséquent, on ne peut s’attendre au plus qu’à une faible baisse de prix.

[89] M. Vellturo détermine par le moyen d’une analyse fondée sur la perte de ventes critique les volumes de capacité d’élimination qui, si CWS en était dessaisie, feraient qu’il ne serait pas profitable pour elle d’empêcher les faibles baisses de prix de 5, 10 ou 15 p. 100 qu’il y aurait eu lieu de prévoir si elle n’avait pas acquis la décharge Ridge. Pour empêcher ces baisses, CWS devrait augmenter le prix en vigueur après l’acquisition de 5,3, 11,1 ou 17,6 p. 100 respectivement.

[90] M. Vellturo conclut que, dans l’hypothèse d’une baisse prévisible de prix de 5 p. 100, il ne serait pas nécessaire de dessaisir CWS de quelque volume que ce soit pour qu’il ne soit pas profitable pour elle de l’empêcher. En cas de baisses de 10 ou de 15 p. 100, il suffirait, selon ses estimations, de la dessaisir respectivement de 53 225 ou de 155 647 tonnes.

[91] Dans son affidavit en réfutation, M. Vellturo précise ses conclusions en faisant observer que le dessaisissement de tous ces volumes de capacité devrait se faire à la décharge Ridge et que les volumes en question doivent être calculés en fonction du coût marginal de CWS à cette décharge. Il conclut que la signature d’ACE portant sur ces volumes permettrait d’atteindre le but qui consiste à supprimer l’effet d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence résultant de l’acquisition de la décharge Ridge relativement aux déchets ICI provenant de la RGT (affidavit d'expert en réfutation par Christopher Vellturo (13 juin 2001) : pièce 426).

e) Appréciation par le Tribunal de l’analyse appliquée à la RGT [92] Il appert que M. Vellturo souscrit à la conclusion tirée par le Tribunal du témoignage du professeur Baye, selon laquelle les administrations de toutes les décharges qui acceptent des déchets ICI provenant de la RGT considèrent la demande comme très élastique. Dans chaque cas, toute augmentation, même minime, de la redevance entraînerait une perte sensible de clientèle au profit de la concurrence. Par conséquent, du point de vue du Tribunal, la quantité relativement faible des volumes correspondant à la perte de ventes critique établis par M. Vellturo n’a rien de surprenant. Son estimation de la marge brute par tonne à la décharge Ridge est élevée : plus de 70 p. 100 approximativement des ventes et plus de 300 p. 100 environ des coûts. Il s’ensuit que même une faible diminution de la production (c’est-à-dire du volume éliminé) réduirait sensiblement la marge brute à cette décharge. CWS ne s’infligerait pas volontairement de telles pertes et s’abstiendrait donc de faibles hausses de prix propres à entraîner des diminutions considérables de volume. Par suite, les volumes correspondant à la perte de ventes critique sont faibles.

[93] Toutefois, le Tribunal ne peut en conclure que CWS verrait du même œil des hausses considérables de prix. Comme le Tribunal l’a fait remarquer dans sa décision, CWS, après l’acquisition de la décharge Ridge, posséderait 70 p. 100 de la capacité totale disponible d’élimination des déchets ICI provenant de la RGT après 2002. De plus, elle posséderait 85,8 p. 100 de l’excédent de capacité correspondant à ces mêmes déchets. Le Tribunal a jugé que CWS serait en mesure d’influencer le niveau des redevances sur le marché géographique pertinent. Vu l’analyse de M. Vellturo, les craintes du Tribunal sont accentuées par les éléments donnant à penser que la décharge marginale et la dernière décharge active se sont révélées de faibles concurrents relativement aux déchets ICI provenant de la RGT.

[94] Le Tribunal a souscrit à la thèse selon laquelle la décharge GreenLane (c’est-à-dire la dernière décharge active) n’était pas compétitive sous le rapport des redevances, de sorte qu’elle n’a reçu que peu de déchets ICI de la RGT. Comme le Tribunal l’a fait observer dans sa décision, le niveau élevé de la redevance demandée par GreenLane est attribuable, au moins en partie, aux droits considérables qu’elle doit payer à la collectivité d’accueil pour chaque tonne de déchets qu’elle reçoit (Motifs, paragraphe 149). Rien au dossier ne donne à penser que la politique de prix de GreenLane changerait.

[95] En outre, Essex-Windsor (c’est-à-dire la décharge marginale) n’avait pas reçu de déchets ICI de la RGT en 1999 du fait de restrictions appliquées à l’étendue de son territoire de desserte, encore que son conseil d’administration ait depuis autorisé la vente d’une capacité annuelle de 100 000 tonnes en dehors de la municipalité. Par suite, la redevance applicable à ces déchets

n’est pas précisée au dossier. Pour compléter son analyse, M. Vellturo devait donc formuler une hypothèse touchant la redevance qu’Essex-Windsor aurait demandée si elle avait été en mesure d’accepter des déchets de cette nature :

[TRADUCTION] Je rappelle [a-t-il déclaré] que le prix que j’emploie ici pour Essex-Windsor est un prix théorique établi à partir des données sur les tendances antérieures (transcription, vol. 15 à la page 2057, lignes 9 à 11 (21 juin 2001)).

Le Tribunal constate donc qu’un élément crucial de l’analyse de M. Vellturo, à savoir la redevance que la décharge Essex-Windsor aurait demandée et qui aurait limité la redevance de GreenLane, est un chiffre hypothétique non fondé sur des données relatives à une redevance réellement pratiquée par Essex-Windsor.

[96] Qui plus est, M. Vellturo suppose implicitement que, s’il est vrai qu’une partie de la capacité d’Essex-Windsor serait offerte aux centres de transbordement de la RGT désireux d’éliminer des déchets ICI, cette décharge ne recevrait pas de tels déchets. À ce propos, il pourrait être utile de prendre en considération la pratique de la discrimination par les prix, mais M. Vellturo, du fait que sa procédure d’attribution n’est fondée que sur la redevance la plus basse demandée par une décharge, ne tient pas compte de cette pratique. Étant donné la fréquence de celle-ci chez les décharges qui essaient d’obtenir des déchets ICI provenant de la RGT, le Tribunal est peu disposé à conclure, en l’absence d’éléments plus probants, qu’Essex-Windsor ne recevrait pas de tels déchets.

[97] En tant que dernière décharge active et que décharge marginale respectivement, GreenLane et Essex-Windsor revêtent une importance cruciale dans l’analyse des mesures de redressement possibles que propose M. Vellturo. Or, le Tribunal estime qu’il n’existe pas suffisamment d’éléments au dossier pour le persuader que ces décharges exerceraient sur le marché l’effet de discipline que M. Vellturo leur attribue.

[98] Le professeur Baye a soulevé, à propos des ACE comme mesure de redressement à l’égard de la RGT, l’objection que de tels accords risqueraient de créer un groupe marginal d’entités à effet négligeable sur la concurrence, et dont les membres s’entendraient même avec CWS plutôt que de rivaliser avec elle. Les défenderesses soutiennent que toute collusion de cette nature serait de courte durée, étant donné les avantages qu’il y aurait à tirer de la rupture de toute entente tacite ne serait-ce que pour une très faible baisse de prix. Le Tribunal note à ce propos que la création de droits d’élimination à la décharge Ridge placerait CWS et ses cocontractants littéralement côte à côte, de sorte que CWS serait en mesure d’observer facilement leur activité. Le professeur Baye fait remarquer que CWS pourrait perturber les opérations de ses cocontractants à la décharge Ridge en exigeant des inspections et des analyses inutiles des déchets déposés à cette décharge. Par conséquent, le Tribunal craint que les ACE ne mettent CWS en mesure de sanctionner toute violation d’un accord collusoire tacite.

[99] M. Vellturo a fait observer que, pour être efficace, un arrangement collusoire exigerait la coopération d’autres décharges, plus précisément de GreenLane et de Walker, lesquelles ont des intérêts divergents. En plus de rappeler ses craintes, formulées plus haut, touchant la compétitivité de GreenLane, le Tribunal renvoie au passage de sa décision antérieure il a noté

que la décharge Walker est déjà exploitée à plein rendement et qu’une part appréciable du volume de déchets éliminé à cette décharge y est déposée par CWS (Motifs, paragraphe 148). Le Tribunal n’est donc pas convaincu que les intérêts de la décharge Walker divergeraient de ceux des parties à une entente collusoire.

[100] Le commissaire fait remarquer que, si les ACE proposés prévoient une indemnisation en cas d’inspections disproportionnées de la part de CWS, l’application de cette stipulation fait elle-même problème et pourrait entraîner des différends que le Tribunal serait appelé à régler. Les droits des tiers doivent être clairement formulés dans toute ordonnance. Le Tribunal n’est pas partisan du contrôle suivi, en particulier lorsque, comme dans la présente espèce, il dispose d’une mesure de redressement structurelle à la fois dénuée d’ambiguïté et efficace, à savoir le dessaisissement de la décharge Ridge. Les ACE proposés ne pourraient stipuler en détail les montants des indemnités à verser selon les infractions. De plus, CWS aurait intérêt à faire opposition aux demandes d’indemnisation ou à refuser d’indemniser raisonnablement, étant donné que ces accords sont conçus pour ne pas lui être profitables. Il y a donc lieu de douter de l’efficacité des ACE.

[101] La stipulation du projet d’ACE qui permet à CWS d’ajuster les prix en cas de modification imprévue de la loi applicable soulève des inquiétudes semblables. S’il est vrai que cette clause porte que toute hausse de prix de cette nature doit être appliquée équitablement à tous les utilisateurs de la décharge, elle met le Tribunal dans une situation il doit décider si l’ajustement de prix est raisonnable et a été équitablement appliqué. Ici encore, le Tribunal doit se déclarer peu disposé à se mettre dans une telle situation. La clause de force majeure et la restriction frappant la cession soulèvent des problèmes semblables.

[102] Ces considérations relatives à l’application des ACE, la part de marché de CWS envisagée dans le contexte de l’absence de concurrence réelle restante et de l’improbabilité d’une nouvelle concurrence, ainsi que les doutes suscités par l’importance particulière qu’accorde M. Vellturo aux décharges GreenLane et Essex-Windsor, amènent le Tribunal à penser que la conclusion d’ACE ne serait vraisemblablement pas une mesure de redressement efficace.

2) Dessaisissement de la décharge Ridge [103] Le commissaire, se fondant sur l’opinion exposée par le professeur Baye, soutient que la seule mesure de redressement efficace consiste à dessaisir entièrement CWS de la décharge Ridge. Le professeur Baye a fondé son analyse de la mesure de redressement sur la théorie de la concurrence spatiale qu’il avait présentée à l’audience sur le fond.

[104] Le professeur Baye fait observer dans son rapport d’expert que, pour être efficace, toute mesure de redressement doit assurer le maintien d’une concurrence dynamique entre les décharges Ridge, Warwick et Richmond, toutes situées à peu près à la même distance de la RGT. S’il est vrai que le dessaisissement de n’importe laquelle de ces décharges pourrait, à son avis, porter remède aux effets anticoncurrentiels de la transaction sur l’élimination des déchets ICI provenant de la RGT, il conclut que c’est le dessaisissement de la décharge Ridge qui constitue la mesure de redressement appropriée. Il fait remarquer entre autres choses que, contrairement aux décharges Warwick et Richmond, la décharge Ridge ne fait pas partie de l’infrastructure de

CWS et que le dessaisissement de l’une ou de l’autre des deux premières ne résoudrait pas le problème de l’atteinte à la concurrence relativement à l’élimination des déchets ICI de provenance locale à Chatham-Kent; il faudrait donc dans ce cas ordonner une autre mesure de redressement pour régler cette question (affidavit du témoin expert Michael Baye (23 mai 2001) : pièce 421).

[105] Dans son affidavit en réfutation, M. Vellturo émet l’avis que le dessaisissement intégral de la décharge Ridge serait une mesure excessive compte tenu du but prévu par la Loi qui consiste à supprimer l’effet d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence. À ce propos, il déclare que l’analyse proposée par le professeur Baye de la concurrence entre décharges semblablement situées est erronée et que la conclusion d’ACE rétablirait cette concurrence. De plus, il conclut que le dessaisissement intégral de la décharge Ridge empêcherait de se matérialiser des gains potentiels en efficience opérationnelle qui seraient favorables à la concurrence (affidavit en réfutation par Christopher Vellturo (13 juin 2001) : pièce 426).

[106] Pour ce qui concerne les gains en efficience, M. Vellturo, se fondant sur son expérience, soutient que des économies en matière de logistique sont possibles pour un exploitant qui profiterait de l’extension de son réseau de décharges pour redistribuer les flux de déchets de manière optimale. Qui plus est, une telle extension offre des possibilités de spécialisation des décharges et donc de nouveaux gains en efficience opérationnelle. Enfin, le fait de disposer d’un réseau plus vaste de décharges accroît pour le propriétaire ou l’exploitant l’intérêt d’envisager des investissements dans de nouvelles technologies ou méthodes, étant donné qu’un plus grand nombre de décharges peuvent alors bénéficier du fruit de ces transformations. M. Vellturo conclut qu’un dessaisissement complet entraînerait un coût social consistant en une réduction de l’efficience sans procurer l’avantage correspondant d’un rétablissement de la concurrence.

3) Appréciation du Tribunal [107] L’efficacité du dessaisissement de la décharge Ridge en tant que mesure de redressement n’est pas contestée. Mais l’efficacité des ACE soulève par contre des doutes considérables. CWS avait la charge d’établir que la conclusion de tels accords constituerait une mesure efficace de redressement des effets anticoncurrentiels constatés par le Tribunal.

[108] Comme nous le disions ci-dessus, le Tribunal n’est pas convaincu que les ACE proposés par les défenderesses et analysés par M. Vellturo constituent une mesure de redressement efficace. Par ailleurs, le Tribunal a souscrit dans sa décision à la thèse selon laquelle la décharge Ridge fait concurrence aux décharges Warwick et Richmond relativement aux déchets ICI provenant de la RGT et que la transaction qui fait l’objet de la présente instance empêcherait cette concurrence (Motifs, paragraphe 204).

[109] Pour ce qui concerne les gains en efficience, le Tribunal fait observer qu’il n’a été présenté à l’audience sur le fond aucun élément tendant à établir la production de tels gains par la transaction en cause; en fait, on n’y a même pas soutenu l’existence de tels gains. Par conséquent, le Tribunal considère les thèses de M. Vellturo concernant l’efficience comme spéculatives.

[110] Comme il a été dit plus haut, la mesure de redressement proposée par les défenderesses n’est pas conforme à la Loi. Étant donné qu’il a conclu que le dessaisissement de la décharge Ridge est une mesure de redressement conforme à la Loi et efficace, le Tribunal n’est pas tenu d’examiner d’autres propositions. Toutefois, le Tribunal est d’avis que même si la conclusion des ACE proposés constituait une mesure de redressement conforme à la Loi, les arrangements contractuels de cette nature appelleraient certaines réserves. En fait, une fois qu’il a été conclu qu’un fusionnement aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence, il convient de préférer une mesure de redressement qui limite cette puissance commerciale de manière permanente à des mesures liées au comportement qui sont de durée déterminée et exigent un contrôle suivi de leur exécution. Il ne s’ensuit pas que, dans les cas le commissaire aussi bien que les défenderesses y souscrivent, de telles mesures liées au comportement ne puissent se révéler efficaces. Cependant, le Tribunal estime que l’exécution de la mesure de redressement proposée par les défenderesses risquerait de nécessiter des efforts et un temps considérables et que le contrôle de l’application d’une ordonnance de cette nature exigerait du commissaire une intervention plus marquée dans l’activité économique que l’administration d’une ordonnance de dessaisissement pure et simple.

[111] Dans l’arrêt United States v. E.I. Du Pont de Nemours et al., 366 U.S. 316 (1961), la Cour suprême des États-Unis a rejeté la mesure de redressement liée au comportement qu’avait proposée Du Pont, selon laquelle celle-ci conserverait les actions dont l’achat constituait l’infraction considérée, mais « transférerait » les droits de vote correspondants à ses actionnaires. La Cour a statué que le dessaisissement est la mesure de redressement appropriée dans le cas des fusionnements qui enfreignent le Clayton Act (15 U.S.C.) :

[TRADUCTION] Le dessaisissement ou la dissolution est la mesure de redressement traditionnelle dans le cas des violations du Sherman Act qui consistent essentiellement en une association d’intérêts entre sociétés ou en une prise de contrôle de l’une par l’autre [...] On a dit du dessaisissement qu’il est la plus importante des mesures de redressement antitrust. Il est simple, sûr et d’application relativement facile. Il doit toujours venir au premier rang des solutions envisagées par un tribunal qui a constaté une infraction à [l’article] 7.

[112] De même, dans la décision Community Publishers Inc. et al. v. NAT et al., 892 F. Supp. 1146 (1176) (West. Dist. Ark., 1995), la Cour de district des États-Unis a rejeté la proposition du NAT qui souhaitait que soit rendue une sorte d’ordonnance afin de maintenir les parts séparées de manière permanente.

[113] De plus, comme il est indiqué au tableau 1 de sa décision, le Tribunal a conclu que CWS posséderait 70 p. 100 de la capacité disponible d’élimination des déchets ICI provenant de la RGT si elle ne se dessaisissait pas de la décharge Ridge, et 48 p. 100 dans le cas contraire. En outre, le Tribunal a souscrit aux estimations du professeur Baye selon lesquelles CWS contrôlerait 85,8 p. 100 de l’excédent total de capacité si elle ne se dessaisissait pas de la décharge susdite, et 63,6 p. 100 si elle s’en dessaisissait (Motifs, paragraphe 196). Lorsqu’il considère ces parts de capacité sous l’angle des facteurs énumérés à l’article 93 de la Loi, le Tribunal est amené à rejeter l’idée que le dessaisissement intégral de la décharge Ridge constituerait une mesure de redressement excessive.

[114] Le dessaisissement de la décharge Ridge est la mesure de redressement appropriée au problème constaté par le Tribunal et il sera vraisemblablement efficace. Il n’est ni excessif ni disproportionné. En fait, dans la présente espèce, le commissaire ne demande pas au Tribunal d’ordonner une dissolution ou un dessaisissement dont l’application dépasserait les éléments d’actif déterminés qui sont à l’origine du problème. Il ne s’agit pas, par exemple, du cas qui s’est présenté dans l’affaire Southam, précitée au paragraphe 48, le dessaisissement proposé par le commissaire dépassait l’action nécessaire pour annuler les effets anticoncurrentiels, mais a été néanmoins ordonné parce que le Tribunal ne disposait pas d’une autre mesure de redressement efficace. Dans la présente instance, CWS bénéficiera de la même capacité d’élimination qu’avant le fusionnement. Qui plus est, la décharge Ridge n’est qu’une partie d’une transaction plus importante à laquelle le commissaire n’a pas fait opposition. Même après le dessaisissement, CWS conservera la propriété et le contrôle de près de 50 p. 100 de la capacité d’élimination des déchets provenant de la RGT dans le sud de l’Ontario. Aucun élément de preuve ne donne à penser que le dessaisissement proposé entraînerait une préjudice ou un quelconque effet de cet ordre. La mesure de redressement proposée par le commissaire remplit manifestement le critère de la suppression de l’effet d’empêchement ou de diminution sensibles de la concurrence attribuable à l’acquisition de la décharge Ridge.

[115] Le Tribunal note que les conditions du projet d’ordonnance de dessaisissement relatives à la vente de la décharge Ridge sont nécessaires et raisonnables, notamment la fixation d’un délai pour cette vente et la désignation d’un fiduciaire dans le cas l’échéance ne serait pas respectée. Le projet d’ordonnance de dessaisissement proposé par le commissaire prévoit que CWS aurait 90 jours pour se dessaisir de la décharge Ridge, à défaut de quoi la vente en serait confiée à un fiduciaire. Les défenderesses soutiennent que ce délai est trop court.

[116] Le commissaire propose que le cabinet Deloitte & Touche soit désigné à la charge de fiduciaire le cas échéant. La raison en est que ce cabinet a rempli la fonction de surveillant dans le cadre de l’ordonnance provisoire par consentement en date du 28 avril 2000. Le Tribunal accepte la proposition des avocats du commissaire voulant que le cabinet Deloitte & Touche remplisse la fonction de fiduciaire le cas échéant. Les défenderesses n’ont pas fait opposition à cette proposition à la suite de l’audience concernant la mesure de redressement. Le Tribunal note que les dispositions du projet d’ordonnance de dessaisissement sont les dispositions d’usage des ordonnances de cette nature.

IV. ORDONNANCE [117] Pour ces motifs, le Tribunal ordonne que les défenderesses se dessaisissent de la décharge Ridge conformément à l’ordonnance de dessaisissement ci-annexée à l'annexe A.

FAIT à Ottawa, ce 3 ième jour d'octobre 2001. SIGNÉ au nom du Tribunal par le juge présidant. (s) W.P. McKeown [118] Annexe A : Ordonnance de dessaisissement

PERSONNES AYANT COMPARU Pour le demandeur : Le commissaire de la concurrence

Donald Houston André Brantz W. Michael G. Osborne Josée Gravelle

Pour les défenderesses :

Canadian Waste Services Holdings Inc. Canadian Waste Services Inc. Waste Management, Inc.

Lawson A. W. Hunter, c.r. Shawn C. D. Neylan Danielle K. Royal

Pour l’intervenante:

La corporation de la municipalité de Chatham-Kent Brian Knott Anthony Fleming

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