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Tribunal de la concurrence DANS L’AFFAIRE de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, c. C-34, et des Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/94-290, et modifications;

ET DANS L’AFFAIRE d’une enquête en vertu de l’alinéa 10(1)b) de la Loi sur la concurrence concernant l’acquisition éventuelle de Propane ICG Inc. par Supérieur Propane Inc.;

ET DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par le directeur des enquêtes et recherches en vertu de l'article 100 de la Loi sur la concurrence.

E N T R E : Le directeur des enquêtes et recherches Demandeur - et - Supérieur Propane Inc. Petro-Canada Inc. The Chancellor Holdings Corporation Propane ICG Inc.

Défenderesses

MOTIFS DE L'ORDONNANCE CONCERNANT LA DEMANDE D'ORDONNANCE PROVISOIRE EN VERTU DE L'ARTICLE 100 DE LA LOI SUR LA CONCURRENCE

Competition Tribunal CT-98/2 doc # 9a

Date de l'audience : Les 4-6 décembre 1998 Membre présidant : L'honorable juge Marshall Rothstein Avocats pour le demandeur : Le directeur des enquêtes et recherches William J. Miller Josephine A.L. Palumbo

Avocats pour les défenderesses : Supérieur Propane Inc. Neil Finkelstein Milos Barutciski Melanie L. Aitken Russell Cohen

Petro-Canada Inc. The Chancellor Holdings Corporation Propane ICG Inc.

Randal T. Hughes

TRIBUNAL DE LA CONCURRENCE MOTIFS DE L'ORDONNANCE CONCERNANT LA DEMANDE D'ORDONNANCE PROVISOIRE EN VERTU DE L'ARTICLE 100 DE LA LOI SUR LA CONCURRENCE

Le directeur des enquêtes et recherches c. Supérieur Propane Inc. et les autres

[1] Le Tribunal est saisi d'une demande présentée par le directeur des enquêtes et recherches (le « directeur ») sous le régime de l'article 100 de la Loi sur la concurrence 1 (la « Loi »). Le directeur sollicite, relativement un fusionnement proposé, le prononcé d'une ordonnance provisoire interdisant aux défenderesses de réaliser l'acquisition par Supérieur Propane Inc. Supérieur ») des actions émises et en circulation de Propane ICG Inc. ICG ») détenues par The Chancellor Holdings Corporation CHC »), filiale en propriété exclusive de Petro-Canada Inc. Petro-Canada »). En fait, le directeur demande qu'il soit interdit aux défenderesses de conclure la transaction la date prévue du 7 décembre 1998. Il a déposé la demande le 1 er décembre 1998; le Tribunal l'a entendue les 4 et 5 décembre et doit rendre sa décision avant le 7 décembre. Il s'agit de toute évidence d'une question urgente, et c'est pourquoi je vous communique les motifs de ma décision ce soir, le 6 décembre 1998.

1 L.R.C. 1985, c. C-34.

ANALYSE JURIDIQUE DE L'ARTICLE 100 [2] C'est la première fois que le Tribunal entend une demande fondée sur l'article 100. Il lui faut donc procéder l'interprétation de cette disposition, laquelle est ainsi conçue :

100. (1) Dans les cas où, à la suite d'une demande du directeur, le Tribunal conclut, à l'égard d'un fusionnement proposé relativement auquel il n'y a pas eu de demande aux termes de l'article 92 ou antérieurement aux termes du présent article :

a) soit que le fusionnement proposé, en toute raison, aura vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence et que, à son avis, en l'absence d'une ordonnance provisoire une personne, partie ou non au fusionnement proposé, posera vraisemblablement des gestes qui, parce qu'ils seraient alors difficiles à contrer, auraient pour effet de réduire sensiblement l'aptitude du Tribunal à remédier à l'influence du fusionnement proposé sur la concurrence si celui-ci devait éventuellement appliquer l'article 92 à l'égard du fusionnement proposé; b) soit qu'il y a eu manquement à l'article 114 à l'égard du fusionnement proposé,

le Tribunal peut rendre une ordonnance provisoire interdisant à toute personne nommée dans la demande de poser tout geste qui, de l'avis du Tribunal, constituerait ou tendrait à la réalisation du fusionnement proposé ou à sa mise en oeuvre.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), le directeur, ou une personne agissant au nom de celui-ci, donne à chaque personne à l'égard de laquelle il entend demander une ordonnance provisoire aux termes du paragraphe (1) un avis d'au moins quarante-huit heures relativement à cette demande.

(3) Si, lors d'une demande présentée en vertu du paragraphe (1), le Tribunal est convaincu :

a) qu'en toute raison, le paragraphe (2) ne peut pas être observé; b) que la situation est à ce point urgente que la signification de l'avis aux termes du paragraphe (2) ne servirait pas l'intérêt public,

il peut entendre la demande ex parte. (4) Une ordonnance provisoire rendue aux termes du paragraphe (1) : a) prévoit ce qui, de l'avis du Tribunal, est nécessaire et suffisant pour parer aux circonstances de l'affaire; b) sous réserve du paragraphe (5), a effet pour la période qui y est spécifiée.

(5) Une ordonnance provisoire rendue en application du paragraphe (1) à l'égard d'un fusionnement proposé cesse d'avoir effet :

a) dans le cas d'une ordonnance provisoire rendue dans le cadre d'une demande ex parte, au plus tard dix jours; b) dans les autres cas, au plus tard vingt et un jours,

après la prise d'effet de l'ordonnance provisoire ou, dans les circonstances prévues à l'alinéa (1)b), à compter du moment les exigences de l'article 114 ont été rencontrées. (6) Lorsqu'une ordonnance provisoire est rendue en vertu de l'alinéa (1)a), le directeur doit, avec toute la diligence possible, intenter et mener à terme les procédures visées à l'article 92 à l'égard du fusionnement proposé. [3] Il importe, pour interpréter correctement le paragraphe 100(1), de tenir compte également des articles 92 et 104. L'article 92 permet au directeur, relativement un fusionnement ou un projet de fusionnement, de demander au Tribunal d'ordonner la dissolution du fusionnement, le dessaisissement d'éléments d'actif ou une autre mesure de redressement. Si le Tribunal conclut que le fusionnement ou le projet de fusionnement empêchera ou diminuera sensiblement la concurrence ou aura vraisemblablement cet effet 2 , il peut ordonner la mesure de redressement prévue l'article 92. Aux termes de l'article 104, après avoir été saisi d'une demande fondée sur l'article 92, le Tribunal peut, la demande du directeur, rendre l'ordonnance provisoire qu'il considère justifiée. Les articles 92 et 104 sont rédigés en ces termes :

92. (1) Dans les cas où, à la suite d'une demande du directeur, le Tribunal conclut qu'un fusionnement réalisé ou proposé empêche ou diminue sensiblement la concurrence, ou aura vraisemblablement cet effet :

a) dans un commerce, une industrie ou une profession; b) entre les sources d'approvisionnement auprès desquelles un commerce, une industrie ou une profession se procure un produit; c) entre les débouchés par l'intermédiaire desquels un commerce, une industrie ou une profession écoule un produit; d) autrement que selon ce qui est prévu aux alinéas a) à c),

le Tribunal peut, sous réserve des articles 94 à 96 : e) dans le cas d'un fusionnement réalisé, rendre une ordonnance enjoignant à toute personne, que celle-ci soit partie au fusionnement ou non :

(i) de le dissoudre, conformément à ses directives, (ii) de se départir, selon les modalités qu'il indique, des éléments d'actif et des actions qu'il indique, (iii) en sus ou au lieu des mesures prévues au sous-alinéa (i) ou (ii), de prendre toute autre mesure, à condition que la personne contre qui l'ordonnance est rendue et le directeur souscrivent à cette mesure;

f) dans le cas d'un fusionnement proposé, rendre, contre toute personne, que celle-ci soit partie au fusionnement proposé ou non, une ordonnance enjoignant :

(i) à la personne contre laquelle l'ordonnance est rendue de ne pas procéder au fusionnement,

2 À l'alinéa 100(1)a), c'est l'expression « en toute raison, aura vraisemblablement pour effet » qui est employée.

(ii) à la personne contre laquelle l'ordonnance est rendue de ne pas procéder à une partie du fusionnement, (iii) en sus ou au lieu de l'ordonnance prévue au sous-alinéa (ii), cumulativement ou non :

(A) à la personne qui fait l'objet de l'ordonnance, de s'abstenir, si le fusionnement était éventuellement complété en tout ou en partie, de faire quoi que ce soit dont l'interdiction est, selon ce que conclut le Tribunal, nécessaire pour que le fusionnement, même partiel, n'empêche ni ne diminue sensiblement la concurrence,

(B) à la personne qui fait l'objet de l'ordonnance de prendre toute autre mesure à condition que le directeur et cette personne y souscrivent.

(2) Pour l'application du présent article, le Tribunal ne conclut pas qu'un fusionnement, réalisé ou proposé, empêche ou diminue sensiblement la concurrence, ou qu'il aura vraisemblablement cet effet, en raison seulement de la concentration ou de la part du marché.

104. (1) Lorsqu'une demande d'ordonnance a été faite en application de la présente partie, sauf en ce qui concerne les ordonnances provisoires en vertu de l'article 100, le Tribunal peut, à la demande du directeur, rendre toute ordonnance provisoire qu'il considère justifiée conformément aux principes normalement pris en considération par les cours supérieures en matières interlocutoires et d'injonction.

(2) Une ordonnance provisoire rendue aux termes du paragraphe (1) contient les conditions et a effet pour la durée que le Tribunal estime nécessaires et suffisantes pour parer aux circonstances de l'affaire.

(3) Lorsqu'une ordonnance provisoire à force d'application aux termes du paragraphe (1), le directeur doit avec toute la diligence possible, mener à terme les procédures prévues par la présente partie à l'égard des agissements concernant lesquels l'ordonnance a été rendue.

[4] Le directeur a recours l'article 100 avant de présenter une demande fondée sur l'article 92. Lorsqu'une ordonnance est rendue sous le régime de l'article 100, après avis (c'est- ­dire non prononcée ex parte), sa durée maximale est de 21 jours suivant la date de son entrée en vigueur 3 . C'est pendant cette période que le directeur doit entreprendre la démarche prévue l'article 92, s'il veut éviter une interruption de l'ordonnance concernant la mesure de redressement, et soumettre alors une demande sous le régime de l'article 104 relativement toute

autres mesures de redressement provisoire applicable en attendant l'audition de la demande et la décision définitive du Tribunal.

[5] Lorsque le Tribunal examine s'il convient d'accorder une mesure provisoire sous le régime de l'article 104, il doit tenir compte des principes que les cours supérieures prennent généralement en considération lorsqu'elles ont statué sur l'octroi d'ordonnances interlocutoires ou d'injonctions. Cela signifie, en résumé, que le Tribunal doit examiner si le directeur a démontré l'existence d'une question sérieuse juger, a établi qu'il y aurait un préjudice irréparable si l'injonction provisoire n'était pas accordée et a prouvé que la prépondérance des inconvénients était en sa faveur 4 . [6] L'article 100 ne fait pas état des principes habituellement applicables en matière interlocutoire ou d'injonction. Il énonce plutôt un ensemble de règles particulières. Le Tribunal doit d'abord conclure que le fusionnement proposé aura vraisemblablement pour effet, en toute raison, d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Il doit être d'avis qu'il est vraisemblable qu'en l'absence d'une ordonnance provisoire, seraient accomplis des gestes qui, parce qu'ils seraient alors difficiles contrer, auraient pour effet de réduire sensiblement son aptitude remédier, sous le régime de l'article 92, aux effets du fusionnement proposé sur la concurrence. Lorsque ces deux conditions sont réunies, le Tribunal peut rendre une ordonnance

3 La durée maximale peut être plus longue dans les circonstances prévues à l'alinéa 114(1)b), mais cette disposition n'est pas applicable en l'espèce.

4 RJR-MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311.

provisoire interdisant tout geste qui, selon lui, constituerait ou tendrait la réalisation du fusionnement proposé ou sa mise en oeuvre.

En toute raison, aura vraisemblablement pour effet [7] Pour déterminer si, en toute raison, le fusionnement proposé aura vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence, il faut, de toute évidence, que le Tribunal examine, au moins dans une certaine mesure, le fond de la position du directeur. Le Tribunal ne peut se contenter de la conclusion qu'il existe une question sérieuse juger ou que l'affaire n'est ni futile ni vexatoire, comme il le ferait pour des demandes ordinaires de mesures interlocutoires ou d'injonctions et, par conséquent, pour des demandes fondées sur l'article 104. Toutefois, il n'est pas au stade de la décision définitive, et il n'a qu' trancher la question de savoir si, en toute raison, le fusionnement proposé aura vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Par conséquent, la norme applicable la preuve que le directeur doit présenter est moins rigoureuse que celle qui est exigée l'article 92, mais elle l'est davantage que celle qui est prévue l'article 104.

[8] Le Tribunal ne voit pas clairement pourquoi le législateur a prévu l'article 100 une norme plus élevée que celle qui s'applique habituellement en matière d'injonction, savoir la norme de la question sérieuse juger. L'ordonnance provisoire a une durée maximale de 21 jours. On pourrait penser qu'un délai aussi court justifierait une norme moins rigoureuse. En outre, les demandes fondées sur l'article 100 sont présentées dans un délai relativement court ou m me ex parte. Le Tribunal aura vraisemblablement peu de temps pour examiner la question.

[9] Il arrive exceptionnellement qu'il faille appliquer en matière d'injonction une norme supérieure celle de la question sérieuse. Il s'agit des cas o le résultat de la demande interlocutoire équivaudrait en fait au règlement final de l'action 5 . Il faut alors procéder un examen plus approfondi sur le fond de la demande. On ne voit pas bien, toutefois, pourquoi le législateur aurait considéré que les demandes fondées sur l'article 100, par opposition aux demandes relevant de l'article 104, mettent un terme aux transactions auxquelles le directeur s'oppose ou équivalent autrement un règlement final de la question 6 . [10] Cela étant dit, le Tribunal ne doit pas moins se conformer aux exigences de l'article 100, lequel prescrit qu'il doit être d'avis que le fusionnement proposé, en toute raison, aura vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.

Réduire sensiblement l'aptitude [11] La deuxième condition posée par l'alinéa 100(1)a) est que le Tribunal soit d'avis que : ... en l'absence d'une ordonnance provisoire une personne, partie ou non au fusionnement proposé, posera vraisemblablement des gestes qui, parce qu'ils seraient alors difficiles à contrer, auraient pour effet de réduire sensiblement l'aptitude du Tribunal à remédier à l'influence du fusionnement proposé sur la concurrence si celui-ci devait éventuellement appliquer l'article 92 à l'égard du fusionnement proposé; 5 Ibid. à la p. 338. 6 En l'espèce, on fait valoir que Petro-Canada peut exercer l'option de mettre fin à la transaction avec Supérieur si une interdiction prend effet le 15 décembre 1998 ou avant cette date. Je ne suis pas convaincu que le Tribunal puisse présumer, sur le seul fondement de cette option, que la transaction sera définitivement annulée si une ordonnance d'interdiction est rendue. Par conséquent, je ne crois pas, même dans les présentes circonstances, que l'octroi de la demande du directeur mettrait un terme à la transaction ou équivaudrait autrement à un règlement final de la question.

[12] Selon le directeur, cela veut dire que le Tribunal doit interdire la réalisation de la transaction prévue pour le 7 décembre 1998. Il soutient que si le Tribunal conclut que la réalisation de la transaction serait difficilement réversible, il lui faut octroyer l'ordonnance provisoire demandée.

[13] Les défenderesses affirment que cette interprétation de l'alinéa 100(1)a) est trop étroite. Elles soutiennent que l'article 92 ouvre au Tribunal le choix de diverses mesures de redressement, dont le dessaisissement d'éléments d'actif, l'ordonnance de surseoir certains aspects du fusionnement ou la dissolution, et que dans la mesure o le Tribunal est convaincu qu'il lui est toujours possible de remédier aux effets du projet de fusionnement sur la concurrence sous le régime de l'article 92, il peut envisager d'autres mesures que l'ordonnance provisoire demandée par le directeur. En l'esp ce, les défenderesses ont proposé une forme d'ordonnance portant séparation des éléments d'actif, laquelle serait, selon elles, suffisante pour préserver la capacité du Tribunal de remédier aux effets du projet de fusionnement sur la concurrence sous le régime de l'article 92.

[14] Je conviens avec les défenderesses que la question pertinente est celle de savoir si la capacité du Tribunal de remédier aux effets du fusionnement proposé sur la concurrence est sensiblement réduite. Toutefois, je ne crois pas que le Tribunal, ce stade de l'instance, doive écarter l'une ou l'autre des mesures prévues l'article 92.

[15] L'ordonnance que le Tribunal peut rendre en vertu du paragraphe 100(1) a une portée étroite. Le Tribunal peut :

rendre une ordonnance provisoire interdisant à toute personne nommée dans la demande de poser tout geste qui, de l'avis du Tribunal, constituerait ou tendrait à la réalisation du fusionnement proposé ou à sa mise en oeuvre.

[16] Cette disposition a pour objet l'interdiction de tout geste qui pourrait constituer ou tendre la réalisation du fusionnement proposé ou sa mise en oeuvre. En l'esp ce, la réalisation de la transaction, prévue pour le 7 décembre 1998, est n'en pas douter un geste visé par la disposition. Une ordonnance enjoignant de tenir les éléments d'actif séparés pourrait être une solution préférable pour les défenderesses, mais je ne crois pas qu'il soit loisible au Tribunal de rendre une telle ordonnance dans le cadre de la présente demande. En effet, cela reviendrait rendre une ordonnance autorisant un geste qui tend la réalisation ou la mise en oeuvre du fusionnement proposé, mais certaines conditions. Compte tenu de la nature de l'ordonnance provisoire, c'est- ­dire sa durée maximale de 21 jours, et le fait que le directeur n'a encore déposé aucune demande sous le régime de l'article 92 et demandé aucune mesure de redressement, il ne me paraît pas que le type d'ordonnance portant séparation des éléments d'actif que proposent les défenderesses soit visé par l'article 100. L'intention du législateur est de préserver le statu quo antérieur au fusionnement ainsi que toutes les mesures de redressement prévues par l'article 92 et non d'autoriser le fusionnement certaines conditions.

[17] Les défenderesses invoquent l’alinéa 100(4)a), lequel énonce que : Une ordonnance provisoire rendue aux termes du paragraphe (1) : a) prévoit ce qui, de l'avis du Tribunal, est nécessaire et suffisant pour parer aux circonstances de l'affaire;

[18] Je conviens que cette disposition attribue au Tribunal le pouvoir discrétionnaire d'assujettir l'ordonnance demandée par le directeur des conditions. Toutefois, il s'impose, selon moi, de tenir compte de la nature de l'ordonnance décrite au paragraphe 100(1) lorsqu'on interprète l'alinéa 100(4)a). L'ordonnance doit demeurer une ordonnance interdisant tout geste tendant la réalisation ou la mise en oeuvre du fusionnement proposé. L'alinéa 100(4)a) ne permet pas au Tribunal de rendre toute ordonnance qu'il estime justifiée dans les circonstances. cet égard, la comparaison entre le paragraphe 100(1) et le paragraphe 104(1) s'impose. Dans cette dernière disposition, le législateur a prévu que le Tribunal « peut [...] rendre toute ordonnance provisoire qu'il considère justifiée ». Il aurait facilement pu employer ces mots l'article 100 si telle avait été son intention. Il ne l'a pas fait, et il n'appartient pas au Tribunal de s'écarter des termes choisis par le législateur.

Le pouvoir discrétionnaire du Tribunal sous le régime de l'article 100 [19] Il faut, en dernier lieu, se demander quels points le Tribunal peut prendre en considération en plus de ceux qui sont énoncés l'alinéa 100(1)a). Le paragraphe 100(1), tel qu'il est libellé, énonce que si certaines conditions sont remplies, le Tribunal peut rendre l'ordonnance demandée. Le directeur soutient que lorsque les conditions sont réunies, l'ordonnance devrait être prononcée. Bien que la compétence conférée au Tribunal soit d'origine législative, elle sort de l'ordinaire puisqu'elle permet au directeur de former un recours non seulement avant l'instruction mais également avant d'avoir déposé ses actes de procédure. Le mot « peut » employé au paragraphe 100(1) indique que la décision est d'ordre discrétionnaire. Autrement dit, le Tribunal peut, m me s'il est d'avis que le directeur a satisfait aux conditions prévues par l'alinéa 100(1)a), rejeter la demande. Je ne crois pas que le législateur ait eu l'intention d'enlever au Tribunal le

pouvoir discrétionnaire d'octroyer ou non une ordonnance sous le régime de l'article 100. Toutefois, comme le directeur le souligne, il est présumé agir dans l'intérêt public. Dans la mesure o l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal consiste mettre en balance les considérations d'intérêt public et l'intérêt des défenderesses, le fardeau de la preuve qui incombe au directeur est minimal et il faut donner beaucoup de poids aux considérations d'intérêt public 7 . LE FUSIONNEMENT PROPOSÉ, EN TOUTE RAISON, AURA-T-IL VRAISEMBLABLEMENT POUR EFFET D'EMPÊCHER OU DE DIMINUER SENSIBLEMENT LA CONCURRENCE? [20] M me si l'article 100 n'impose pas au directeur un fardeau de preuve aussi rigoureux que l'article 92, il n'est pas suffisant pour lui de simplement établir qu'il existe une question sérieuse juger ou que la demande n'est ni futile ni vexatoire. Les mots « en toute raison » indiquent qu'il faut examiner la question objectivement. Cela veut dire qu'il doit exister des éléments de preuve appuyant selon la prépondérance des probabilités les conclusions nécessaires.

[21] L'analyse que le Tribunal doit effectuer sous le régime de l'article 100 doit s'appuyer, selon moi, sur les facteurs énoncés au paragraphe 92(2) et l'article 93 de la Loi, savoir la concentration ou la part de marché, les entraves l'accès, etc. Aux termes du paragraphe 92(2), le facteur de l'importance de la concentration ou de la part du marché, m me s'il est nécessaire, ne peut lui seul justifier la conclusion qu'un projet de fusionnement aura vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Sous le régime de l'article 100, de façon générale, je crois qu’il doit également exister des éléments de preuve établissant l'existence

7 Supra, note 4 à la p. 346.

d'une concentration ou d'une part de marché importante pour étayer la conclusion voulant qu'un projet de fusionnement, en toute raison, aura vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Toutefois, l'article 100 n'énonce pas si cette preuve suffit elle seule fonder cette conclusion. Bien que j'incline penser que c'est probablement le cas, étant donné le degré de rigueur moindre de la norme de preuve, je n'ai pas tranché cette question pour les fins de la présente demande. Tant le directeur que les défenderesses ont fait valoir d'autres facteurs, et je tiens compte de tous les éléments de preuve dans l'élaboration des conclusions exigées par l'article 100.

Définition du marché et concentration [22] Toutefois, je commence par l'examen de la concentration et de la part de marché. Pour parvenir une conclusion sur cette question, il s'impose de définir le marché du produit et le marché géographique. La définition du marché constitue la première étape de l'examen d'un projet de fusionnement afin de déterminer si, en toute raison, il aura vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Selon la définition du marché, l'entité résultant du fusionnement pourra détenir une part de marché étendue ou restreinte. Une part de marché étendue supérieure 35 p.100 8 , par exemple, est un indice que le projet de fusionnement, en toute raison, aura vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Une part de marché restreinte indique le contraire.

8 Consommation et Corporations Canada, Directeur des enquêtes et recherches, Fusionnements, Lignes directrices pour l'application de la Loi, Bulletin d'information n o 5, Approvisionnements et Services Canada, mars 1991.

[23] La position du directeur est exposée aux paragraphes 17 et 18 de l'affidavit de John Pecman, agent principal de commerce au Bureau de la concurrence :

[TRADUCTION] Le marché pertinent du produit est le marché de la fourniture et de la livraison de propane en vrac, de la fourniture et de la livraison de matériel connexe (ou d'accessoires) et des services et de l'entretien de matériel connexe (ou d'accessoires) pour des clients du secteur du gros ou du détail. On peut encore décomposer les marchés de produit selon les catégories suivantes : résidentielle, commerciale, industrielle, agricole, automobile, de gros, nationale et des comptes d'envergure. Les comptes nationaux sont ceux des acheteurs nationaux qui demandent des livraisons dans des larges territoires. Les entreprises de grande taille comptant de nombreux établissements semblent tirer des avantages administratifs à faire affaire avec un fournisseur unique de propane.

Les marchés géographiques pertinents sont les marchés locaux entourant les succursales/satellites, sauf en ce qui concerne les comptes nationaux, pour lesquels le marché géographique pertinent englobe la fourniture et la livraison de propane et de produits connexes à des clients du secteur du gros ou du détail à travers le Canada ou dans plusieurs provinces. Bien que le directeur emploie l'expression « marché pertinent du produit », il fait initialement état de trois marchés de produit : le marché du propane en vrac, le marché du matériel connexe et le marché des services et de l'entretien du matériel. Il fractionne encore les « marchés de produit » en diverses catégories comme le marché résidentiel, le marché commercial, le marché de l'automobile. La définition du marché du produit présentée par le directeur n'est donc pas claire à tous égards.

[24] La preuve soumise par le directeur relativement la part de marché semble reposer sur le volume de vente du propane. On considère donc, pour les fins de la définition du marché du produit en l'esp ce, que le marché pertinent du produit décrit par le directeur est celui de la fourniture et de la livraison du propane propane »). En se fondant sur cette définition, le directeur a soumis des éléments de preuve substantielle relatifs aux parts de marché importantes que détiendrait l'entité résultant du fusionnement Supérieur/ICG. Selon son analyse des données portant sur 80 des 110 120 marchés environ, l'entité fusionnée détiendrait une part de marché combinée supérieure 90 p. 100 dans 17 marchés. Dans 58 des 80 marchés examinés, sa part de marché serait de plus de 35 p. 100. Il appert également de la preuve du directeur que l'entité

fusionnée occuperait une position dominante dans le marché national. Dans l'ensemble, la preuve présentée par le directeur est que l'entité fusionnée détiendrait au Canada une part de marché supérieure 70 p. 100. La preuve des défenderesses ne contredit pas substantiellement ces données.

[25] Si le marché du produit est bien le propane, les parts de marché indiquées sont imposantes, et elles p seraient sérieusement dans la balance en faveur du directeur.

[26] Toutefois, le Tribunal ne peut simplement présumer que la définition du marché du produit présentée par le directeur est la bonne. Elle doit être prouvée au moins selon la norme de preuve exigée par l'article 100.

[27] Dans la décision R. v. J.W. Mills and Sons Ltd., le juge Gibson a dit : [TRADUCTION] Pour définir le marché pertinent dans un cas donné, il faut donc soupeser un certain nombre de caractéristiques ou de dimensions afin de répondre aux besoins analytiques de la question précise en cause 9 . 9 [1968] 2 R.C. de l'É. 275 à la p. 305.

Dans l'arrêt Directeur des enquêtes et recherches c. Southam Inc. a repris cette opinion en l'approuvant, et le juge Iacobucci a formulé quelques observations pertinentes relativement au rôle du Tribunal dans la définition du marché :

Toutefois, comme je l'ai déjà signalé, l'appréciation des divers éléments d'un critère de pondération doit, dans une large mesure, être laissée au pouvoir discrétionnaire du décideur. L'objet même d'un critère comportant de multiples facteurs, tel celui qu'a utilisé le Tribunal pour déterminer les dimensions du marché pertinent pour ce qui est du produit, est de permettre au juge des faits de rendre justice dans des situations de fait particulières.

En règle générale, dans des affaires comme celle qui nous occupe, il est possible que le fait d'accorder une importance primordiale ou prépondérante à un facteur donné ne favorise pas la réalisation des buts et des objectifs de la loi 11 . Le caractère substitutif [28] Le critère fondamental permettant d'établir les limites d'un marché pertinent est celui du caractère substitutif. Il faut que les produits soient de proches substituts pour appartenir au m me marché du produit. Il s'agit donc de se demander si dans les marchés géographiques pertinents il existe de proches substituts du propane. En l'esp ce, l'interchangeabilité fonctionnelle, l'opinion des consommateurs, les observations des parties fusionnantes, les pratiques d'établissement des prix, les coûts de substitution et d'autres facteurs ont tous été pris en considération pour déterminer si le propane constitue lui seul un marché ou s'il appartient un marché de l'énergie plus large.

10 [1997] 1 R.C.S. 748 à la p. 784. 11 Ibid. à la p. 781.

10 , la Cour suprême du Canada

[29] La preuve des défenderesses indique que le propane compte pour à peu près deux pour cent du marché canadien total de l'énergie. Le directeur ne conteste pas ce chiffre. [30] Au paragraphe 29 de son affidavit, Mark Schweitzer, vice-président directeur et directeur des services financiers de Supérieur, fait la déclaration suivante : [TRADUCTION] Le propane représente environ deux pour cent de la demande totale d'énergie au Canada. Cette part s'amenuise par suite de la concurrence provenant des autres sources d'énergie, dont le gaz naturel, le mazout, l'électricité et le bois, dans les secteurs industriels traditionnels, et de l'essence, du diesel et d'autres carburants dans l'industrie automobile.

[31] M. Schweitzer affirme que la demande de propane dans l'industrie automobile a augmenté de façon marquée depuis 1980, mais qu'elle décroît maintenant de 10 15 p. 100 par année. Dans les secteurs industriels traditionnels, la demande a baissé d'environ 30 p. 100 depuis 1980. [32] M. Schweitzer a donné des explications quant au moment et aux raisons de la substitution d'autres sources d'énergie au propane. Pour ce qui est du gaz naturel, il explique ainsi ce mouvement aux paragraphes 32 et 34 de son affidavit : [TRADUCTION] Dès que le gaz naturel est offert, la demande de propane pour le chauffage et pour d'autres utilisations finales disparaît à cause de l'avantage substantiel que le gaz naturel procure quant au prix. La substitution est d'autant plus facile que les appareils et les chaudières fonctionnant au propane ne nécessitent que quelques modifications légères pour utiliser le gaz naturel.

Dans les secteurs ruraux, le gaz naturel est offert dès qu'on recense un nombre de clients potentiels suffisant pour justifier l'installation des raccordements. Il suffit d'un client industriel dans une localité éloignée pour entraîner une telle expansion dans des zones auparavant non desservies. Si la différence de prix entre le propane et le gaz naturel devait se creuser, l'expansion de l'infrastructure de réseaux du gaz naturel serait encore plus rapide qu'elle ne l'est actuellement afin de gagner comme clients plus de collectivités, de fermes et de résidences isolées... M. Schweitzer a aussi traité, dans son affidavit, de l'électricité, du bois et du mazout comme substituts.

[33] Relativement l'industrie automobile, dans laquelle Supérieur réalise 33 p. 100 de ses ventes et ICG 27 p. 100, M. Schweitzer déclare que le propane est en concurrence avec des sources d'énergie comme l'essence, le diesel, le gaz naturel, l'électricité, le méthanol et l'éthanol. Depuis le milieu des années 1990, la demande de propane comme carburant pour les véhicules automobiles a décru au rythme de 10 15 p. 100 par année.

[34] La preuve soumise par le directeur relativement la question du caractère substitutif ne va pas toujours dans le m me sens. Il y est bien fait état, de façon générale, que les autres combustibles ne sont pas de proches substituts, mais sans donner de détails et sans étayer autrement l'absence de caractère substitutif. La preuve reconnaît m me que des clients passent d'un combustible l'autre : [TRADUCTION] ... les parties ciblent des utilisateurs d'autres combustibles comme clients potentiels et des clients utilisant le propane passent à d'autres sources d'énergie.

... pour les différentes utilisations, les combustibles de substitution varient (par exemple, le gaz naturel remplace souvent le propane pour le chauffage).

[...] Le propane diffère des autres sources d'énergie : portabilité, propreté, haute énergie. Ces caractéristiques font que certains types de produits (par exemple, les services alimentaires, les chariots élévateurs) ont peu de solutions de rechange, voire aucune.

... les rapports des parties sur les clients perdus indiquent que les utilisateurs de propane sont plus susceptibles de changer de fournisseur du produit, pour beaucoup les coûts de substitution découlant du changement de produit sont importants.

L'enquête sur la clientèle réalisée par le Bureau étaye également la conclusion selon laquelle les autres combustibles ne sont ordinairement pas de proches substituts du

propane 12 . 12 Superior Propane Proposed Acquisition of ICG Propane, Case Assessment Slide Deck for the Parties (projet d'acquisition de Propane ICG par Supérieur Propane - évaluation de l'affaire (au moyen de transparents) à l'intention des parties), 30 novembre 1998 : pièce G de l'affidavit de J. Pecman (30 novembre 1998) aux pp. 15-16.

[35] Le fait que le directeur n'a pas présenté de preuve quant aux contraintes que les prix des autres combustibles peuvent ou non exercer sur ceux du propane revêt une certaine importance. On s'attendrait, si le marché pertinent se limitait au propane, ce que des éléments de preuve établissant l'indépendance des prix du propane par rapport ceux d'autres combustibles soient soumis. Aucun n'a été présenté. Au contraire, les défenderesses ont déposé des éléments de preuve indiquant que les pratiques de prix sont régies par les comparaisons avec les prix d'autres combustibles 13 . [36] Revêtent également une certaine importance des déclarations faites dans le prospectus d'ICG du 22 avril 1998, publié avant le projet de fusionnement, lorsque ICG envisageait l'émission de parts de fiducie, ainsi que des affirmations contenues dans le rapport annuel de 1997 de Superior Propane Inc. Income Fund 14 . Je ne citerai pas ces documents au texte; il est suffisant de préciser qu'ils vont dans le sens du témoignage sous forme d'affidavit de M. Schweitzer devant le Tribunal. Ils ont été préparés d'autres fins attirer et convaincre des détenteurs d'unités et pour satisfaire d'autres exigences légales, non pour servir de preuve devant le Tribunal, c'est pourquoi je leur accorde une valeur probante. Si le propane n'avait pas subir de concurrence sérieuse des autres sources d'énergie, on s'attendrait ce que cet avantage commercial soit mentionné dans le prospectus ou le rapport annuel. Or, ces documents expriment clairement que m me si le propane offre des avantages, comme la propreté, la portabilité et la polyvalence, il subit la concurrence des autres sources d'énergie quant au coût. Les documents font état de la vulnérabilité du propane par rapport l'expansion du gaz naturel et aux autres 13 Voir, par exemple, le rapport annuel de 1997 de Supérieur : pièce E de l'affidavit de M. Schweitzer (3 décembre 1998) aux pp. 9 et 13.

14 Pièces D et E de l'affidavit de M. Schweitzer (3 décembre 1998).

carburants pour automobiles. Ils mentionnent que dans les marchés de l'agriculture et de l'automobile la concurrence est [TRADUCTION] « tr s vive » et « tr s sérieuse » 15 . [37] Il ressort du prospectus et du rapport annuel que les défenderesses estiment qu'elles livrent concurrence dans un vaste marché de l'énergie. M me si, de toute évidence, il existe une concurrence entre fournisseurs de propane, elle n'exclut pas, selon ces participants de l'industrie, la concurrence réelle avec d'autres sources d'énergie.

[38] Le directeur affirme que certaines utilisations sont exclusives au propane; cette source d'énergie est notamment utilisée des fins agricoles ou pour le séchage dans des régions o le gaz naturel n'est pas facilement accessible, pour le chauffage dans des sites éloignés et d'accès difficile, comme des chantiers de construction, des mines, des puits de pétrole ou des opérations forestières, dans des maisons transportables et comme carburant pour les parcs automobiles non polluants. Le directeur affirme aussi que le marché est stable ou déclinant.

[39] Au vu du dossier, la preuve générale soumise par le directeur au sujet du caractère exclusif de l'utilisation du propane ne me convainc pas. Relativement l'utilisation du propane lorsque le gaz naturel n'est pas facilement accessible, le témoignage de M. Schweitzer est le suivant : [TRADUCTION] « Si la différence de prix entre le propane et le gaz naturel devait se creuser, l'expansion de l'infrastructure de réseaux du gaz naturel serait encore plus rapide qu'elle ne l'est actuellement afin de gagner comme clients plus de collectivités, de fermes et de

15 Rapport annuel de 1997 de Supérieur à la p. 8, et prospectus d'ICG à la p. 20 : pièces D et E de l'affidavit de M. Schweitzer (3 décembre 1998).

résidences isolées » 16 . On peut lire dans le prospectus d'ICG [TRADUCTION] « Dans ce marché (agricole), la concurrence est vive car les acheteurs réagissent tr s fortement au coût du propane et d'autres sources d'énergie » 17 . Le rapport annuel de Supérieur fait état de la concurrence extrêmement forte qui se livre dans le marché agricole, en particulier lorsque le gaz naturel commence être offert dans les zones rurales 18 . L'utilisation du propane comme carburant pour les véhicules automobiles décline. M. Pecman soutient que le propane est utilisé de façon exclusive dans les parcs de véhicules non polluants, toutefois, je considère plus convaincante la preuve que le propane est en concurrence avec d'autres carburants quant au coût du carburant lui-m me et de l'entretien des moteurs. Il ne faut voir l aucune critique dirigée contre l'utilisation de carburants non polluants ou les objectifs de cette utilisation et, cet égard je signale la preuve que l'éthanol et le méthanol sont utilisés comme carburants non polluants, mais je crois qu'il faut, d'un point de vue pratique, reconnaître que les exploitants de parcs automobiles accordent en général plus d'intérêt au coût des diverses sources de carburant.

[40] Quant à l'utilisation du propane dans les chantiers de construction, les mines, les puits de pétrole et les opérations forestières, la preuve du directeur ne renferme aucun renseignement. La preuve détaillée du directeur, relativement au marché, porte sur les collectivités de plus ou moins grande importance travers le Canada. Sa définition du marché géographique ne mentionne pas précisément ces sites, et il n'y a pratiquement aucun élément de preuve leur sujet. Le dossier dont je dispose ne renferme pas suffisamment de renseignements sur eux pour leur accorder un

16 Affidavit de M. Schweitzer (3 décembre 1998) au para. 34. 17 Prospectus d'ICG : pièce D de l'affidavit de M. Schweitzer (3 décembre 1998) à la p. 20. 18 Rapport annuel de Supérieur : pièce E de l'affidavit de M. Schweitzer (3 décembre 1998) à la p. 8.

poids important dans la définition du marché pour les fins de la présente demande fondée sur l'article 100.

[41] Le directeur a recueilli l'opinion des clients de Supérieur et d'ICG. Il a envoyé environ 7 500 questionnaires et a reçu 705 réponses. Les deux tiers des répondants se sont dits préoccupés par le fusionnement proposé. Leur préoccupation avait essentiellement trait au prix du propane après la transaction.

[42] Je pense que les sondages peuvent procurer des renseignements utiles pour établir l'opinion des acheteurs. Relativement la définition du marché, la question est de savoir si les acheteurs estiment qu'ils disposent de proches substituts. Cela a été dit cent fois : il faut faire preuve de prudence dans l'interprétation des sondages. Ils doivent satisfaire des normes statistiques pour que leur fiabilité soit assurée. Le directeur ne prétend pas que ce sondage répond des critères statistiques. Lorsqu'un échantillon aléatoire est statistiquement valide, on présume qu'il est représentatif de la population entière. Dans le cas du présent sondage, je ne puis faire cette présomption. Autrement dit, je ne peux présumer que les 10 p. 100 qui ont répondu sont représentatifs des 90 p. 100 qui ne l'ont pas fait.

[43] Comme je l'ai dit, ce qu'il importe de savoir pour la définition du marché du produit, c'est si les consommateurs estiment qu'ils disposent de proches substituts. Quatre-vingt-dix pour cent des personnes ou des sociétés sondées n'ont pas répondu au questionnaire. Comment interpréter leur abstention? Dans le cas qui nous concerne, cela peut vouloir dire que le fusionnement ne suscite pas d'intérêt pour eux. En d'autres termes, il est impossible de présumer que parce que les

deux tiers des répondants ont exprimé une inquiétude, celle-ci était partagée par toute la population concernée. Il se peut tout autant que les 90 p. 100 qui n'ont pas répondu ne soient aucunement préoccupés. Je ne conclus pas que c'était le cas. Tout ce que je puis dire, c'est qu'il est impossible de le savoir.

[44] M me si l'on tenait compte du sondage, ses résultats se révèlent ambigus quant à la question du caractère substitutif. En exprimant de l'inquiétude, on ne répond pas précisément la question de savoir s'il existe de proches substituts. L'inquiétude est un sentiment si général que d'en inférer qu'il n'existe pas de proches substituts relève de l'hypothétique. De fait, dans toutes les catégories d'utilisateurs sauf une, on constate que certains manifestent de l'inquiétude et d'autres non. Dans le cas de l'utilisation relative aux chariots élévateurs pour laquelle il existe peu d'autres sources d'énergie, sinon aucune, selon le directeur, 23 des 42 répondants, soit 55 p. 100, n'ont exprimé aucune inquiétude. Pour ces motifs, j'accorde peu de poids au sondage pour les fins de l'établissement du marché du produit.

[45] Quelques éléments de preuve indiquent que les coûts de substitution peuvent influer sur la capacité des utilisateurs de changer de combustible. Selon un mémoire du ministère de l'Expansion économique du Yukon daté de novembre 1998, les coûts de substitution du propane au mazout, pour une maison d'habitation, pouvaient varier de 2 500 $ 5 000 $ 19 . Les auteurs du rapport estiment qu'on peut escompter récupérer les coûts de conversion en une période de cinq dix ans, en raison du prix inférieur du mazout, selon toute probabilité. Le rapport précise que,

19 Pièce C de l'affidavit de J. Pecman (30 novembre 1998) à la p. 4.

dans le cas des restaurants, la conversion se fait du propane vers l'électricité, ce qui coûte plus cher.

[46] M. Schweitzer déclare, dans son affidavit, que la demande de propane provenant d'ailleurs que du secteur de l'automobile a chuté de 30 p. 100 depuis 1980. L'utilisation de propane comme source d'énergie domiciliaire a décliné, tandis que celle du gaz naturel et de l'électricité a augmenté. La demande de propane dans le secteur de l'automobile est également en perte de vitesse.

[47] M me s'il est établi en preuve que la substitution suppose des coûts, il y a substitution puisque la part du propane dans différents segments de marchés fluctue. Je ne puis, compte tenu de cette preuve, conclure que les coûts de substitution empêchent les clients de se tourner vers d'autres sources et que le propane constitue donc un marché du produit distinct.

[48] Le directeur attache une certaine importance la durée d'un, de trois et de cinq ans des contrats que Supérieur et ICG concluent avec leurs clients respectifs. Les clients résidentiels ou agricoles ont généralement des contrats de plus courte durée, contrairement aux clients commerciaux ou industriels, aux clients du secteur de l'automobile et certains autres clients agricoles. Le directeur affirme que ces contrats démontrent que les clients deviennent prisonniers du propane et ne peuvent utiliser d'autres sources d'énergie.

[49] Le dossier qui m'est soumis ne renferme pas suffisamment de renseignements pour que je puisse déterminer les effets réels de ces contrats. S'ils avaient pour but d'offrir des prix

avantageux aux consommateurs en contrepartie de leur engagement long terme, cela n'indique pas, selon moi, que le propane constitue un marché en lui-m me. Au contraire, on pourrait inférer des contrats que la concurrence entre le propane et d'autres sources d'énergie est tr s vive et que ces clauses contractuelles servent, dans un but de concurrence, attacher les consommateurs au propane. Peut- être ces contrats visent-ils attacher un client particulier un fournisseur ou l'autre de propane. Encore une fois, le contrat est alors un indice de concurrence et, s'il empêche le client de changer de fournisseur ou de source d'énergie, on peut présumer qu'il y a une contrepartie au niveau du prix. D'une façon ou d'une autre, la preuve ne me permet pas de conclure que l'existence des contrats, dans cette industrie, démontre que les autres sources d'énergie ne sont pas de proches substituts.

[50] Finalement, il existe des éléments de preuve établissant que le directeur, en 1993, était d'avis que le propane, l'essence et le gaz naturel étaient en concurrence. Cette opinion, ainsi que sa conclusion selon laquelle les entraves l'accès sont relativement faibles dans l'industrie, l'ont amené conclure qu'un fusionnement entre Supérieur et Premier Propane Inc. n'aurait pas vraisemblablement pour effet de diminuer sensiblement la concurrence. ce stade, ce qui est significatif, c'est que le directeur lui-m me reconnaissait qu'il existait des produits de substitution pour le propane. Le directeur n'a pas expliqué, en l'esp ce, ce qui avait changé depuis 1993.

[51] Pour tous ces motifs, je ne suis pas convaincu que le marché pertinent du produit soit celui qu'a défini le directeur. Sur la base du caractère substitutif du propane et d'autres sources d'énergie, la part du propane dans le marché de l'énergie semble être d'environ deux pour cent; m me au Yukon, cette part n'est que de cinq six pour cent. Il me faut alors conclure qu'une part de

marché élevée dans l'industrie du propane elle-m me ne veut pas nécessairement dire que le fusionnement proposé, en toute raison, aura vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.

ENTRAVES À L'ACCÈS [52] Vu cette conclusion, je n'estime pas nécessaire de poursuivre l'analyse, mais je formulerai quelques observations supplémentaires sur les entraves l'accès, pour faire le tour de la question. M. Pecman dit que l'industrie est en déclin, et qu'il faudrait du temps un nouveau venu pour aménager les installations de stockage et pour se faire une réputation. Il affirme en outre que les contrats en vigueur empêcheraient les clients de délaisser les fournisseurs actuels, et que les nouveaux venus se heurteraient l'obstacle des économies d'échelle réalisées par l'entité fusionnée. Selon lui, la réunion de ces facteurs rend improbable la venue de nouveaux concurrents.

[53] M. Schweitzer affirme que peu d'exigences s'appliquent l'entrée dans l'industrie. Il suffit d'avoir accès un fournisseur de propane et de se procurer des véhicules de livraison, des installations de stockage et quelques employés. Selon son témoignage, il existe 105 détaillants de propane au Canada, dont des distributeurs multirégionaux, des concurrents régionaux et des petits concurrents pratiquant des bas prix. Il déclare que l'arrivée de nouveaux venus sur le marché est continue, ainsi qu'en fait foi l'entrée de 29 nouveaux distributeurs au cours des derniers deux quatre ans.

[54] Relativement aux contrats, les défenderesses déclarent qu'elles sont disposées ne pas rechercher l'exécution de la clause de durée quinquennale, afin de ne pas opposer d'obstacle juridique au changement de fournisseurs par les clients et qu'elles renonceront aux dommages-intérêts conventionnels, au droit contractuel d'égaler les prix inférieurs établis par les concurrents ainsi qu'aux clauses contractuelles limitant le droit d'anciens clients et entrepreneurs d'entrer dans l'industrie du propane. M me si l'on concluait que l'existence de ces contrats est un indice de puissance commerciale, la preuve établit que le degré de puissance qu'ils peuvent procurer sera éliminé.

[55] Encore une fois, je signale qu' l'occasion du fusionnement Supérieur/Premier Propane Inc., en 1993, le directeur a exprimé l'opinion que les entraves l'accès dans cette industrie étaient plus ou moins faibles.

[56] Compte tenu de la preuve que des nouveaux venus sont entrés dans le marché au cours des quatre dernières années, de la propre position du directeur sur la question en 1993 et de l'élimination des clauses contractuelles restrictives, l'existence d'importantes entraves l'accès est loin d’être évidente. Bien s r, il faut disposer de fonds et établir sa réputation, mais cela ne signifie pas, mon avis, qu'il faille exclure toute possibilité de concurrence de la part de nouveaux venus de m me que la concurrence provenant, bien s r, d'actuels participants du marché.

CONCLUSION [57] J'ai soupesé la preuve, mais il n'est pas nécessaire que je m'attache aux détails. Il incombe au directeur de convaincre le Tribunal que le fusionnement proposé, en toute raison, aura

vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Au vu du dossier, il ne l'a pas fait.

[58] Je le répète, ma décision repose sur le dossier qui m'a été soumis. J'ai appliqué la norme moins rigoureuse établie par les mots « en toute raison, aura vraisemblablement pour effet ». En me fondant sur la preuve présentée et en appliquant cette norme de preuve, je conclus que le directeur n'a pas satisfait l'une des exigences préalables l'octroi d'une ordonnance sous le régime de l'article 100. Sa demande doit donc être rejetée.

FAIT à Ottawa, ce 6 e jour de décembre 1998. SIGNÉ au nom du Tribunal par le juge présidant. (s) Marshall Rothstein__________ Marshall Rothstein

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