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Tribunal de la concurrence Competition Tribunal CT-1996/002Doc # 114b DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par le directeur des enquêtes et recherches en vue d’obtenir des ordonnances sur le fondement de l’article 92 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, c. C-34;

ET DANS L’AFFAIRE du fusionnement par lequel CP Containers (Bermuda) Limited a acquis des éléments d’actif détenus par The Cast Group Limited et de l’acquisition par 3041123 Canada Inc. de la totalité des actions de Cast North America Inc. par voie d’ententes intervenues entre la Banque Royale du Canada, The Cast Group Limited, 3041123 Canada Inc., CP Containers (Bermuda) Limited et Canadien Pacifique Limitée.

E N T R E : Le directeur des enquêtes et recherches Demandeur - et - Canadien Pacifique Limitée Canada Maritime Limitée CP Containers (Bermuda) Limited 3041123 Canada Inc. Cast North America Inc. Banque Royale du Canada Défenderesses

- et - Société du port de Montréal Intervenante MOTIFS ET ORDONNANCE CONCERNANT LES TRANSCRIPTIONS DES INTERROGATOIRES EFFECTUÉS SOUS LE RÉGIME DE L’ARTICLE 11 ______________________________________________________________________

Date de la conférence préparatoire : le 14 mai 1997 Membre : M. le juge Noël (présidant) Avocats pour le demandeur : Le directeur des enquêtes et recherches Robert S. Russell Adam F. Fanaki

Avocats pour les défenderesses : Canadien Pacifique Limitée Canada Maritime Limitée CP Containers (Bermuda) Limited 3041123 Canada Inc. Cast North America Inc.

Mark C. Katz Banque Royale du Canada Annie M. Finn Avocats pour l’intervenante : Société du port de Montréal Sébastien Grammond Pierre Grenier

TRIBUNAL DE LA CONCURRENCE MOTIFS ET ORDONNANCE CONCERNANT LES TRANSCRIPTIONS DES INTERROGATOIRES EFFECTUÉS SOUS LE RÉGIME DE L’ARTICLE 11 _______________________________________________________________________

Le directeur des enquêtes et recherches c. Canadien Pacifique Limitée et les autres

Les défenderesses, Canadien Pacifique Limitée et les autres (“ CP “), demandent au Tribunal d'ordonner au directeur des enquêtes et recherches (le directeur “) de remettre à CP les transcriptions de deux interrogatoires qu'il a effectués sous le régime de l'alinéa 11(1)a) de la Loi sur la concurrence (la Loi “) dans le cadre de l'enquête qu’il a menée sur le fusionnement qui est à l'origine de cette demande. Le fusionnement en question consiste en l'acquisition par CP de certains éléments d'actif détenus par The Cast Group Limited et des actions de Cast North America Inc. (désignées avec leurs sociétés affiliées sous le nom de Cast “).

Sous le régime de l'article 11, le directeur a interrogé MM. Raymond Miles, Peter Keller et Joseph Storozuk. M. Miles dirige actuellement CP Navigation, M. Keller est l'ancien président et directeur général de Cast, et M. Storozuk est vice-président de l’Agence maritime Morlines et siège à son conseil d'administration. Cette dernière société est la représentante exclusive de BOLT Canada Ligne, un transporteur exploitant son entreprise à partir du port de Montréal. Le directeur a communiqué à CP la transcription de l'interrogatoire de M. Miles, mais il soutient que les transcriptions des interrogatoires de MM. Keller et Storozuk sont visées par un privilège lié à l'intérêt public. Il a consenti à fournir un résumé de ces interrogatoires, et il l’a fourni. CP demande subsidiairement que le Tribunal ordonne au directeur de fournir un résumé plus détaillé des deux interrogatoires.

Étant donné la requête subsidiaire de CP, laquelle aurait pu nécessiter l'examen des transcriptions elles-mêmes par le membre du Tribunal présidant la conférence préparatoire et aurait pu avoir des incidences sur la constitution de la formation chargée d'entendre l'affaire, le Tribunal a d'avance informé les parties qu'il ne serait pas procédé à un tel examen, mais que l'argumentation relative au privilège lié à l'intérêt public serait entendue. Naturellement, CP a le droit de renouveler, si elle le veut, sa requête visant l'évaluation de la suffisance du résumé.

CP conteste le fondement du privilège lié à l'intérêt public, plus particulièrement, dans son application aux transcriptions des interrogatoires effectués sous le régime de l'article 11. CP plaide que ce privilège ne couvre pas les renseignements fournis par des témoins qui sont tenus de témoigner en application de l'article 11 de la Loi, en faisant valoir que ni le juge Reed dans la décision Southam 1, ni le juge McKeown dans la décision Washington 2 n'ont examiné le fondement juridique du privilège dans le contexte de témoignages donnés sous le coup d'une obligation légale, et que cette question n'a donc pas été tranchée. Je ne suis pas d’accord.

Dans l'affaire Southam, le juge Reed, en reconnaissant que le directeur pouvait invoquer le privilège lié à l'intérêt public relativement au détail des entrevues, a exposé le fondement juridique du privilège en ces termes : [TRADUCTION] ... En droit de la concurrence, du moins en matière de fusionnement et d'abus de position dominante, les personnes rencontrées en entrevue peuvent être des clients potentiels ou actuels des défenderesses; elles peuvent être des employés potentiels ou actuels, qui peuvent craindre des représailles si elles fournissent au directeur des renseignements défavorables aux défenderesses. Il est probable que beaucoup de ces personnes se trouvent dans une

______________________________________ 1 Director of Investigation and Research v. Southam Inc. (1991), 38 C.P.R. (3e) 68, [1991] C.C.T.D. n 1 o 6 (QL) (Trib. conc.)

2 Director of Investigation and Research v. Washington (21 novembre 1996), CT9601/156, Order Regarding Motion Regarding Discovery Issues, [1996] C.C.T.D. n o 24 (QL) (Trib. conc.).

situation vulnérable par rapport aux défenderesses. Il est donc dans l'intérêt public de permettre au directeur de garder leur identité confidentielle afin de préserver l'efficacité de ses enquêtes. Il est dans l'intérêt public de protéger la confidentialité des notes d'entrevue, exception faite du cas les personnes rencontrées en entrevue sont citées comme témoins ou sont autrement identifiées par la partie invoquant le privilège. En outre, le directeur n'a pas à préparer la preuve des défenderesses en identifiant pour elles des témoins potentiels. 3

Bien que l'examen du juge Reed ait porté sur des entrevues volontaires “, rien dans le raisonnement qu'elle a tenu ne justifie l'exclusion du privilège pour le seul motif que les renseignements en cause ont été obtenus sous l'autorité de la loi. Dans l'affaire Washington, le juge McKeown a analysé le fondement juridique du privilège et a expressément statué qu'il s'appliquait à des renseignements obtenus sous l'autorité de la loi : [TRADUCTION] Nous estimons que ces mots employés par le Tribunal, [dans l'affaire Southam], et les autres décisions du Tribunal et de la Cour d'appel portant sur le privilège lié à l'intérêt public et sur les renseignements fournis volontairement s'appliquent avec autant sinon plus de force aux renseignements, y compris les documents, fournis pendant les interrogatoires effectués sous le régime de l'article 11. Cette disposition confère au directeur un instrument d'enquête. Il est dans l'intérêt public de protéger la capacité du directeur d'avoir recours à tous les instruments dont elle peut disposer pour faire enquête sur des problèmes potentiels de concurrence. 4

CP soutient qu'en tirant cette conclusion, le juge McKeown n'a pas tenu compte du fait que les personnes soumises à l'interrogatoire visé à l'article 11 doivent accepter le fait que les renseignements qu'elles fournissent peuvent éventuellement être utilisés par le directeur dans des instances introduites sous le régime de la Loi. Cette éventualité ne fait pas de doute, mais je ne vois pas en quoi elle touche les raisons de principe sous-tendant l'existence du privilège. Le directeur, lorsqu'il invoque le privilège doit, en définitive, être guidé par l'obligation qu'il assume d'appliquer la Loi, ce qui fait qu'il sera toujours possible que les renseignements connaissent une divulgation plus importante que leur source ne l'aurait souhaité, qu'ils aient été donnés volontairement ou par suite d'une contrainte légale. L'effet du privilège, ___________________________________ 3 Supra note 1 à la p. 84. 4 Supra note 2 à la p. 10.

toutefois, est d'habiliter le directeur à exercer un droit de regard sur les renseignements qui lui sont confiés, réduisant ainsi le risque de divulgation et protégeant l'efficacité du processus d'enquête.

L'argument de CP selon lequel le privilège ne couvre pas les renseignements fournis sous l'effet d'une contrainte légale n'est pas fondé.

CP prétend, dans l'hypothèse où le privilège s'appliquerait, qu'elle a quand même droit aux transcriptions parce que l'intérêt qu'il y a à assurer une audition équitable reposant sur une communication complète l'emporte sur celui que protège le privilège invoqué. Citant Biscotti v. Ontario Securities Commission 5, CP soutient que le Tribunal doit procéder à la conciliation de ces intérêts pour chaque témoin “, en prenant en considération toutes les circonstances et tous les intérêts pertinents. Je conviens qu'il s'agit d'une démarche raisonnable, et j'ajouterais que constitue une circonstance hautement pertinente le fait que le directeur ne puisse utiliser devant le Tribunal les renseignements qui lui ont été fournis et pour lesquels il requiert l'application du privilège. Si le directeur renonce au privilège plus tard au cours de l'instance, il devra communiquer à temps et de façon satisfaisante les renseignements aux défenderesses. Évidemment, CP est maintenant propriétaire de Cast. Elle affirme que M. Keller a été interrogé en qualité de dirigeant de cette société, que le représentant de CP peut être soumis à un interrogatoire préalable en fonction de ce que M. Keller a dit et que la transcription de la déposition de ce dernier devrait recevoir le même traitement que celle de la déposition de M. Miles. CP fait valoir que, dans ces circonstances, l'équité exige qu'elle obtienne la transcription mot-à-mot de l'interrogatoire de M. Keller et non un résumé de celle-ci. ____________________________________ 5 (1991), 1 O.R. (3e) 409 (C.A.).

Relativement à M. Storozuk, CP prétend que son identité étant déjà connue et que le directeur ayant déjà largement fait état des faits concernant BOLT dans son avis de demande, le privilège protège peu. Étant donné que les renseignements concernant BOLT semblent tenir beaucoup d'importance dans la position du directeur, CP soutient qu’elle doit disposer de la transcription mot-à-mot pour être en mesure d'évaluer convenablement la validité des actes de procédure. La situation de M. Storozuk, qui est affilié à un concurrent de CP, est claire. Les intérêts que l'on cherche à protéger en invoquant le privilège sont manifestes, et un résumé des renseignements que M. Storozuk a donnés au directeur a été remis à CP. Le fait que, dans son cas, il reste peu d'éléments encore couverts par le privilège met en évidence qu'il n'y a pas eu abus du privilège. La situation de M. Keller n'est pas aussi évidente. Toutefois, je crois que les circonstances entourant son interrogatoire diffèrent totalement de celles entourant l'interrogatoire de M. Miles. Ce dernier faisait partie de l'organisation de CP avant l'acquisition, et il en fait encore partie. CP a été autorisée à se faire représenter à l’interrogatoire de M. Miles effectué sous le régime de l’article 11. M. Keller, par contre, appartenait à l'entité acquise, avant qu'elle ne passe à CP, mais il n'est pas demeuré au sein de CP après l'acquisition. Les avocats de CP ont été exclus de cet interrogatoire. De toute évidence, la nature de la relation entre CP et M. Miles et entre CP et M. Keller n'est pas la même. Il importe aussi de signaler que la transcription de la déposition de M. Miles a été communiquée après que l'ordonnance provisoire protégeant la confidentialité est devenue exécutoire, et que celle-ci en interdit la communication à d'autres témoins potentiels. Le directeur affirme en outre que la transcription de la déposition de M. Keller comme celle de la déposition de M. Storozuk peuvent révéler des renseignements qui lui ont été fournis par d'autres participants dans l'industrie 6 ainsi que des renseignements que les personnes interrogées ont donnés au ______________________________ 6 L'avocat du directeur a signalé que M. Miles n'avait pas obtenu de tels renseignements au cours de son interrogatoire, parce que les particularités et la nature de sa relation avec CP différaient.

sujet d'autres participants. Ce type de renseignements, y compris l'identité des personnes dont ils émanent, est clairement couvert par le privilège lié à l'intérêt public.

CP ne m'a pas convaincu qu'il faille, pour être équitable, ordonner au directeur de produire les transcriptions mot-à-mot des interrogatoires de MM. Keller et Storozuk effectués sous le régime de l'article 11, aux dépens du privilège lié à l'intérêt public qui les protège. CP dispose d'un résumé des renseignements fournis pendant ces interrogatoires, et elle n'a avancé aucune raison expliquant pourquoi elle doit savoir si les renseignements proviennent de M. Keller ou de M. Storozuk et pourquoi il lui faut la transcription mot-à-mot des interrogatoires. Si CP estime que le résumé lui-même est insuffisant, il lui est toujours possible de présenter la requête appropriée au Tribunal pour que celui-ci en examine le bien-fondé. POUR CES MOTIFS, la requête visant la production des transcriptions des interrogatoires de MM. Keller et Storozuk effectués sous le régime de l'article 11 est rejetée.

FAIT à Ottawa, ce 21 ième jour de mai 1997. SIGNÉ au nom du Tribunal par le juge présidant. (s) Marc Noël Marc Noël

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