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Tribunal de la concurrence Competition Tribunal CT-1996/002Doc # 108b DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par le directeur des enquêtes et recherches en vue d’obtenir des ordonnances sur le fondement de l’article 92 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, c. C-34;

ET DANS L’AFFAIRE du fusionnement par lequel CP Containers (Bermuda) Limited a acquis des éléments d’actif détenus par The Cast Group Limited et de l’acquisition par 3041123 Canada Inc. de la totalité des actions de Cast North America Inc. par voie d’ententes intervenues entre la Banque Royale du Canada, The Cast Group Limited, 3041123 Canada Inc., CP Containers (Bermuda) Limited et Canadien Pacifique Limitée.

E N T R E : Le directeur des enquêtes et recherches Demandeur - et - Canadien Pacifique Limitée Canada Maritime Limitée CP Containers (Bermuda) Limited 3041123 Canada Inc. Cast North America Inc. Banque Royale du Canada

Défenderesses - et - Société du port de Montréal Intervenante - et - Conférence Maritime Canada - United Kingdom Conférence Maritime Canada - Continent

Requérantes en intervention MOTIFS DE L’ORDONNANCE REJETANT LA DEMANDE D’AUTORISATION D’INTERVENIR

Date de la conférence préparatoire : le 25 avril 1997 Membre : M. le juge McKeown (présidant) Avocats pour le demandeur : Le directeur des enquêtes et recherches Robert S. Russell Adam F. Fanaki

Avocats pour les défenderesses : Canadien Pacifique Limitée Canada Maritime Limitée CP Containers (Bermuda) Limited 3041123 Canada Inc. Cast North America Inc.

Mark C. Katz Russell Cohen

Banque Royale du Canada Peter L. Roy Annie M. Finn

Avocat pour l’intervenante : Société du port de Montréal Adam Bobker Avocat pour les requérantes en intervention : Conférence Maritime Canada - United Kingdom Conférence Maritime Canada - Continent

Marc-André Blanchard

TRIBUNAL DE LA CONCURRENCE MOTIFS DE L’ORDONNANCE REJETANT LA DEMANDE D’AUTORISATION D’INTERVENIR _____________________________________________________________

Le directeur des enquêtes et recherches c. Canadien Pacifique Limitée et les autres

Lors de la conférence préparatoire tenue le 25 avril 1997, le Tribunal a refusé d’accorder l’autorisation d’intervenir en l’espèce à la Conférence Maritime Canada - United Kingdom ainsi qu’à la Conférence Maritime Canada - Continent (les “ conférences “). Il a alors indiqué que des motifs seraient rendus ultérieurement. Les voici.

Les conférences sont des regroupements de transporteurs maritimes dont font partie les défenderesses Canada Maritime Limitée et Cast North America Inc. Dans leur demande d’autorisation d’intervenir, les conférences disent vouloir [TRADUCTION] intervenir à l’instance à la seule fin de formuler des observations concernant le caractère confidentiel des documents qu’elles ont remis au directeur et d’obtenir une ordonnance de protection de la confidentialité en application du paragraphe 16(2) des Règles du Tribunal de la concurrence et prouver que la divulgation complète des documents leur infligerait, ainsi qu’à leurs membres, un préjudice direct et précis “.

Les documents en cause ont été remis au directeur des enquêtes et recherches (le directeur “) aux termes d’une ordonnance rendue sur le fondement de l’article 11 de la Loi sur la concurrence (la “ Loi “) et visant le président des conférences, Peter Raimondo. Le directeur les énumère dans son affidavit. Il a invoqué un privilège fondé sur l’intérêt public à l’égard de certains de ces documents et la

confidentialité à l’égard d’autres d’entre eux. Selon la documentation présentée au Tribunal par le directeur et par les conférences, les documents à l’égard desquels un privilège est invoqué renferment des renseignements de nature délicate fournis confidentiellement aux conférences par leurs membres individuels et utilisés par les conférences afin d’établir des données statistiques globales. L’information fournie par chacun des membres n’est pas communiquée aux autres membres, mais les statistiques établies par les conférences le sont. Les documents dont la confidentialité est invoquée sont pour la plupart mis à la disposition des membres des conférences, mais ne sont pas diffusés à l’externe.

À l’audience de la demande d’autorisation d’intervenir, les conférences ont adopté un point de vue différent de celui énoncé dans leur demande. Elles ont prétendu, en se fondant essentiellement sur l’arrêt R. c. O’Connor1 de la Cour suprême du Canada, avoir un droit à la protection de la vie privée relativement à leurs documents. Elles ont ajouté que la qualité d’intervenantes leur permettrait d’assurer la protection de cet intérêt de nature privée pendant le déroulement de l’instance. Dans sa réplique, l’avocat des conférences a précisé qu’il n’invoquait alors aucun privilège pour le compte de ses clientes à l’égard des documents et que toute difficulté éventuelle que pourraient avoir les conférences concernant l’existence d’un privilège ou le caractère confidentiel serait soulevée en temps et lieu.

Les conférences font valoir que la Constitution leur confère le droit de formuler des observations devant le Tribunal chaque fois que le directeur envisage une utilisation de leurs documents à laquelle elles s’opposent et, vraisemblablement, celui de contester toute décision du Tribunal avec laquelle elles sont en désaccord. Il ne s’agit pas d’allégations à faire à la légère. Toutefois, le jugement invoqué au premier chef par les conférences a été rendu dans un contexte totalement différent et je vois mal comment il pourrait s’appliquer aux faits en l’espèce. ________________________________ 1 [1995] 4 R.C.S. 411. Elles ont également cité l’arrêt de la Cour suprême M.(A.) c. Ryan (6 février 1997), 24612,

[1997] A.C.S. n o 13 (QL). Celui-ci porte uniquement sur la possibilité d’invoquer un privilège à l’égard de dossiers médicaux et n’étaye pas davantage la thèse des conférences.

L’arrêt R. c. O’Connor tranche la question de savoir dans quel cas et de quelle façon les dossiers médicaux détenus par un tiers (et non par le ministère public) devraient être communiqués à l’accusé dans une affaire d’agression sexuelle. La Cour suprême soupèse le droit à la protection de la vie privée du tiers et le droit de l’accusé à une défense pleine et entière pour en arriver à une procédure en deux étapes régissant la demande de communication de tels documents présentée par un accusé. La “ pertinence probable “ des documents doit être établie par l’accusé, après quoi le tribunal soupèse les intérêts en jeu. À chacune des étapes, on devrait accorder aux avocats des parties intéressées la possibilité de présenter des arguments “2. Tel est le fondement de la prétention des conférences selon laquelle elles auraient le droit d’être entendues en tant qu’intervenantes relativement à toute question liée à la communication de leurs documents en l’instance.

L’affaire O’Connor était évidemment de nature pénale. Il s’agit en soi d’une différence fondamentale. Ce qui s’applique en matière pénale ne s’applique pas nécessairement d’emblée en matière civile devant le Tribunal. Par exemple, il a été statué que l’obligation stricte qu’a le ministère public de communiquer sa preuve, établie en ce qui concerne les actes criminels dans l’arrêt R. c. Stinchcombe, ne s’appliquait pas à la procédure devant le Tribunal3.

Par ailleurs, dans l’affaire O’Connor, les dossiers en cause étaient en la possession d’un tiers et leur communication à l’accusé par le tiers était demandée 4. Les documents des conférences sont en la possession du directeur, qui est l’une des parties au litige, après avoir été valablement obtenus grâce à une ordonnance fondée sur l’article 11. Ils ne s’apparentent aucunement à des dossiers médicaux; il s’agit de documents de nature commerciale, à l’instar de la plupart des documents visés par l’ordonnance qu’obtient le directeur en application de l’article 11 dans le cadre d’une enquête. _______________________________ 2 O’Connor, ibid. à la p. 495 (le juge L’Heureux-Dubé).

3 Director of Investigation and Research v. A.C. Nielsen Co. of Canada (22 septembre 1994), CT9401/82, Reasons

and Order Regarding Matters Considered at Pre-hearing Conference on September 14, 1994, [1994] C.C.T.D. n o 15 (QL), conf. par (1994), 176 N.R. 62, 58 C.P.R. (3 e ) 353 (C.A.F.), autorisation de pourvoi refusée [1995] 1 R.C.S. vi.

Les observations du juge La Forest dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Directeur des enquêtes et recherches 5 soulèvent un doute véritable quant à savoir si, compte tenu des faits de l’espèce, les conférences peuvent tout simplement alléguer, sans plus, qu’elles ont une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée à l’égard de leurs documents. Dans cette affaire, la majorité des juges de la Cour suprême conclut que l’article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions (“ LEC “), dont le libellé est repris, pour l’essentiel, à l’actuel article 11 de la Loi 6, ne viole ni l’article 7 (en ce qu’il obligerait à témoigner) ni l’article 8 (parce qu’il permettrait une saisie abusive de documents) de la Charte 7. Les juges La Forest et L’Heureux-Dubé concluent que la LEC, et par conséquent l’article 17, appartient au droit administratif ou réglementaire, et non au droit pénal. Il s’ensuit donc, selon le juge La Forest, que : ... le respect du droit à la vie privée auquel on peut raisonnablement s’attendre dans le cadre d’une enquête en vertu de la Loi est semblable à celui auquel peuvent s’attendre ceux qui sont assujettis à d’autres lois de nature administrative et réglementaire, plutôt qu’à celui auquel peuvent légitimement s’attendre ceux qui font l’objet d’une enquête policière relativement à ce que j’ai appelé des crimes “proprement dits 8 Le juge La Forest opine que les dossiers de l’entreprise, qui sont habituellement ceux visés par une ordonnance fondée sur l’article 17, justifient uniquement des “ attentes limitées en matière de vie privée et que, même si ces dossiers ne sont pas dépourvus d’intérêt de nature privée, il est raisonnable de dire qu’ils soulèvent des préoccupations beaucoup moins importantes que les documents personnels“9. _____________________________ 4 Les conférences s’appuient sur le jugement du juge L’Heureux-Dubé. D’autres juges de la Cour suprême se sont prononcés sur l’obligation du ministère public de communiquer les renseignements qu’il a en sa possession, mais il s’agissait d’opinions incidentes applicables au contexte pénal particulier et aux dossiers médicaux.

5 [1990] 1 R.C.S. 425. 6 L’article 11 est libellé différemment. Il contient des exigences plus rigoureuses que celles prévues dans la disposition qu’il a remplacée pour ce qui est du prononcé d’une ordonnance.

7 Les juges La Forest et L’Heureux-Dubé concluent que la saisie prévue à l’article 17 n’est pas abusive et ne viole pas l’article 8 de la Charte. Le juge Sopinka conclut qu’il ne s’agit pas du tout d’une saisie ≈, en sorte il ne peut y avoir de violation de l’article 8.

8 Thomson, supra note 5 aux pp. 516-17. 9 Ibid. à la p. 517.

Ils ne suscitent pas les mêmes attentes en matière de protection de la vie privée que les écrits et les documents qui révèlent la façon dont une personne mène sa vie privée, l’identité personnelle et d’autres détails intimes 10. Le juge L’Heureux-Dubé, qui, dans l’affaire O’Connor, a rédigé le jugement dont les conférences citent de larges extraits, estime également que l’intérêt public à la liberté et à la protection des citoyens sur le marché l’emporte sur l’atteinte minimale aux droits à la vie privée de ceux qui sont tenus de révéler des renseignements de nature économique “11.

Si les attentes des conférences en matière de protection de la vie privée étaient minimes vis-à-vis de leurs documents avant que l’ordonnance fondée sur l’article 11 ne soit exécutée, elles ne peuvent être plus grandes une fois le directeur en possession des documents. La production prévue à l’article 11 peut constituer une “ atteinte à tout droit à la protection de la vie privée afférent à ces documents, mais la Cour suprême du Canada conclut, tout compte fait, que l’atteinte n’est pas abusive. Une fois les documents produits, cependant, toute attente raisonnable en matière de protection de la vie privée s’y rapportant diminue radicalement, voire disparaît totalement. Il s’agit d’une situation tout à fait différente de celle considérée dans l’affaire O’Connor.

Les conférences s’appuient sur l’arrêt O’Connor pour faire reconnaître leur droit à la protection de la vie privée et leur droit d’intervenir devant le Tribunal. Les arguments qu’elles avancent ne fournissent aucun éclaircissement quant à ces divers points de divergence entre les deux situations. Compte tenu de ces différences fondamentales, je ne peux conclure que l’arrêt O’Connor s’applique comme elles le prétendent et, par conséquent, la demande d’autorisation d’intervenir a été rejetée. Même si les conférences n’ont aucun droit constitutionnel à la protection de la vie privée en ce ___________________________ 10 Ibid. aux pp. 517-18. 11 Ibid. à la p. 596.

qui concerne les documents produits à l’intention du directeur, le Tribunal reconnaît qu’il est toujours possible d’invoquer à bon droit la confidentialité ou un privilège à l’égard de ceux-ci. À l’instar de tout autre document pris en considération dans le cadre d’une instance, le Tribunal peut avoir des motifs valables de restreindre la communication des documents produits en l’espèce. Les Règles du Tribunal de la concurrence établissent la procédure qui doit alors être suivie. Bien que, normalement, les parties soient les personnes habilitées à invoquer la confidentialité ou un privilège et à étayer leur thèse à cet égard, le Tribunal peut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, autoriser un tiers à formuler des observations dans un cas particulier. Des tiers ont été autorisés à présenter des observations par écrit sur la question de la confidentialité en vue de la conférence préparatoire du 25 avril 1997. De fait, les conférences ont elles-mêmes saisi l’occasion qui leur était donnée de le faire.

FAIT à Vancouver, ce 9 e jour de mai 1997. SIGNÉ au nom du Tribunal par le juge présidant. (s) W.P. McKeown W. P. McKeown

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