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Competition Tribunal Tribunal de la concurrence o CT - 1994 / 003 Document n 140 No. Document du greffe : 214

AFFAIRE CONCERNANT une demande présentée par le directeur des enquêtes et recherches en vertu des articles 77 et 79 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34.

ENTRE : Le directeur des enquêtes et recherches Demandeur - et - Télé-Direct (Publications) Inc Télé-Direct (Services) Inc

Défenderesses - et - Compagnie de téléphone anglo-canadienne NDAP-TMP Worldwide Ltd et Directory Advertising Consultants Limited Thunder Bay Telephone

Intervenantes MOTIFS DE L’ORDONNANCE CONCERNANT LA PRODUCTION DE DOCUMENTS VISÉS PAR UNE ALLÉGATION DE PRIVILÈGE ╶───────────────────────────────────────────────

- 2 - Date de l’audience : er Les 1 et 2 août 1995 Membre judiciaire : Monsieur le juge William P. McKeown (président) Avocat du demandeur : Directeur des enquêtes et recherches James W. Leising Avocat des défenderesses : Télé-Direct (Publications) Inc Télé-Direct (Services) Inc

Mark J. Nicholson Avocat des intervenantes : NDAP-TMP Worldwide Ltd et Directory Advertising Consultants Limited John M. Hovland

- 3 - TRIBUNAL DE LA CONCURRENCE MOTIFS DE L’ORDONNANCE CONCERNANT LA PRODUCTION DE DOCUMENTS VISÉS PAR UNE ALLÉGATION DE PRIVILÈGE ╶──────────────────────────────────────────────

Le directeur des enquêtes et recherches c Télé-Direct (Publications) Inc et al

Le directeur des enquêtes et recherches (le « directeur ») a déposé une requête afin d’exiger que les défenderesses produisent un groupe de documents pour obliger leurs représentants à comparaître de nouveau à l’interrogatoire préalable afin de répondre à des questions liées au groupe de documents et à comparaître de nouveau pour répondre à des questions au sujet d’un autre document. Le premier groupe de documents est composé de documents internes des défenderesses (également appelées « Télé-Direct ») liés aux soi-disant « changements au caractère commissionnable de juillet 1993 » qui seront expliqués plus loin dans les présents motifs. Le deuxième document unique est une lettre de Thomas Bourke, président de Télé-Direct, à Howard Wetston, alors administrateur, datée du 12 juillet 1991. Une troisième partie de la requête liée à la production d’études sur l’établissement des prix a été réglée entre les parties.

Les défenderesses refusent de produire ces documents parce qu’elles invoquent un privilège. En particulier, elles invoquent le privilège à l’égard de la négociation d’un règlement ou le privilège « sans préjudice ». Même si leur mémoire écrit des arguments mentionne le privilège relatif au litige et le secret professionnel liant l’avocat à son client, leur plaidoirie a porté sur le privilège à l’égard de la négociation d’un règlement. La nature inhabituelle de la présente affaire concerne le fait que les défenderesses ont cherché à mettre en œuvre des critères relatifs au caractère commissionnable qui étaient pratiquement les mêmes que la proposition indiquée dans les discussions sur le règlement et que les défenderesses élaboraient depuis un an.

Les parties s’entendent sur les principes généraux visant la reconnaissance d’un privilège. L’avocat des défenderesses a reconnu que le fardeau de prouver l’existence du privilège repose sur la personne qui l’invoque, comme il est indiqué dans Procter & Gamble Co 1 c Nabisco Brands Ltd . Le juge Dubé a noté dans Santa Ursula Navigation S A c St Lawrence Seaway Authority que :

Pour commencer, il est dans l’intérêt de la justice que l’ensemble des documents pertinents fassent l’objet de la divulgation la plus complète possible qui permettra de faire la lumière sur les questions en litige. Une partie qui revendique un privilège devrait être clairement visée par les exigences de

- 4 - 2 l’allégation d’un privilège […] [TRADUCTION]. En l’espèce, cela signifie que les défenderesses ont le fardeau de la preuve en ce qui concerne l’état des documents en question.

Les deux parties acceptent également l’énoncé des conditions en vue de la reconnaissance d’un privilège à l’égard de la négociation d’un règlement indiqué dans le texte sur la preuve de Sopinka, Lederman et Bryant. Selon cet ouvrage, pour avoir un privilège valide à l’égard de la négociation d’un règlement :

a) un différend prêtant à litige doit exister ou être prévu; 1 (1988), 22 CPR (3d) 365, à la p 366 (FCTD). 2 (1981), 25 CPC 78, aux pp 79 et 80 (FCTD). b) la communication doit être effectuée dans l’intention expresse ou implicite qu’elle ne serait pas divulguée au tribunal judiciaire advenant le cas les négociations échoueraient;

3 c) la communication doit viser la conclusion d’un règlement . [TRADUCTION]. Je reconnais que l’intérêt public sous-tend ce type de privilège, puisqu’il favorise le règlement 4 des litiges. Cela est confirmé par diverses décisions parmi celles que m’ont citées les avocats . Les politiques générales d’intérêt public qui visent à encourager le règlement s’appliquent avec la même force aux procédures en matière de concurrence.

J’examinerai le bien-fondé des allégations de privilège des défenderesses en ce qui concerne les documents individuels. Certains détails liés au contexte sont nécessaires pour bien évaluer ces allégations. Comme le premier groupe de documents et le deuxième document individuel visent deux périodes distinctes, il conviendra mieux d’indiquer séparément les faits concernant chacun d’eux.

- 5 - (1) Documents internes liés aux changements au caractère commissionnable de juillet 1993 Le premier groupe de documents en litige est composé de documents internes liés aux changements au caractère commissionnable de juillet 1993. Ainsi que je le comprends, les « changements au caractère commissionnable » renvoient aux changements dans les critères utilisés par les défenderesses afin de déterminer quels comptes d’annonceur dans les er Pages Jaunes attirera une commission et à quelles conditions. Le 1 juillet 1993, les 3 J. Sopinka, S N Lederman et A W Bryant, The Law of Evidence in Canada, Toronto, Butterworths, 1992, à la p 722.

4 I. Waxman & Sons Ltd. c Texaco Canada Ltd., [1968] 1 OR 642 (HC), conf par [1968] 2 OR 452 (CA); Rush & Tompkins Ltd. c Greater London Council, [1988] 3 WLR 939 (HL); Ed Miller Sales & Rentals Ltd. c Caterpillar Tractor Co., [1990] 4 WWR 39 (BR AB), conf par [1990] 5 W.W.R. 377 (CA AB).

- 8 - défenderesses ont modifié les critères du régime qui existaient auparavant. Les critères relatifs aux commissions employés par les défenderesses sont visés par au moins deux recours demandés par le directeur dans sa demande au Tribunal. Au point 1a)(ii) de l’avis de demande, par exemple, le directeur demande une ordonnance pour que les défenderesses élargissent leurs critères relatifs aux commissions de façon à inclure des agences de publicité indépendantes certifiées, alors qu’au point 1b)(ii), il demande qu’il soit interdit aux défenderesses de fournir de l’espace publicitaire à des agences indépendantes à des conditions moins favorables que celles offertes à leur propre personnel.

Les documents portant sur les critères relatifs au caractère commissionnable sont pertinents. La principale question est celle de savoir si les documents sont assujettis au privilège à l’égard de la négociation d’un règlement. Les documents à l’égard desquels les défenderesses invoquent un privilège remontent à la période entre février 1993 et août 1993 et sont en général décrits dans l’affidavit de Charles Mitchell, représentant des défenderesses, établi sous serment le 27 juillet 1995 concernant la requête. Les documents étaient joints sous scellés à titre de pièces A à I à l’affidavit de M. Mitchell et ils ont été mis à ma disposition pour que je les examine.

D’autres documents et événements antérieurs à février 1993 sont décrits dans l’affidavit de Warren Grover, établi sous serment le 23 juin 1995, au soutien des défenderesses et l’affidavit de Brian Linseman, établi sous serment le 20 juin 1995, au soutien du directeur. Les affidavits révèlent qu’une présentation a été faite au sujet de la politique du Bureau de la concurrence par l’avocat des défenderesses en juin 1992 en ce qui concerne les changements aux critères relatifs au caractère commissionnable. Les changements en question étaient ceux qui ont déjà été approuvés par l’association des éditeurs d’annuaires des Pages Jaunes canadiennes. En décembre 1992, l’avocat du directeur a indiqué que les nouveaux critères des Pages Jaunes canadiennes n’étaient pas acceptables pour lui, mais il a laissé la porte ouverte à une nouvelle présentation des défenderesses de leur propre initiative. Il est indiscutable qu’aucun règlement de la question n’a été conclu, comme l’atteste la demande présentée au Tribunal. La preuve révèle qu’en avril 1993, il n’y a plus eu de négociation entre les parties sur cette question jusqu’en décembre 1993, au moment M. Grover a écrit au directeur pour offrir de modifier les nouvelles exigences relatives au caractère commissionnable. Au paragraphe 6 de son affidavit, M. Linseman cite une lettre de l’avocat des défenderesses datée du 20 avril 1993 qui indique ce qui suit :

Pendant notre réunion avec M. Rook [avocat de NDAP de DAC, deux agences indépendantes qui sont également intervenantes dans la présente procédure], nous croyions que nous avions gardé la question du caractère commissionnable distincte de celle de l’ordonnance sur consentement. La lettre de M. Rook, toutefois, confond les deux questions. Nous croyons que la distinction doit demeurer et que le progrès pour chaque question doit se faire indépendamment de l’autre.

[…] À notre avis, le directeur et les membres des Pages Jaunes canadiennes devraient procéder à la préparation de l’ordonnance sur consentement avec l’hypothèse qu’aucune entente ne sera

- 9 - conclue avec DAC et NDAP qui nécessitera leur collaboration.

[TRADUCTION]

L’ordonnance sur consentement mentionnée a finalement été rendue par le Tribunal en novembre 1994. L’ordonnance portait sur diverses questions concernant les membres, mais non sur les critères relatifs au caractère commissionnable qui font partie de la demande actuellement contestée. Il ressort également clairement de la preuve que les critères adoptés par Télé-Direct en juillet 1993 sont, à tout le moins, très semblables à ceux des Pages Jaunes canadiennes et que le directeur et le Bureau n’ont pas ajoutés à leur libellé.

Les faits en l’espèce sont uniques. Les parties ont clairement tenté de parvenir au règlement de la question concernant les critères relatifs au caractère commissionnable. Pourtant, en même temps, les défenderesses ont procédé à leur processus interne d’examen et d’approbation des changements et ont annoncé les changements le 22 juin 1993. Les nouveaux critères sont er entrés en vigueur le 1 juillet 1993. Pendant l’interrogatoire préalable, l’avocat du directeur a demandé à M. Mitchell qui, à Télé-Direct, avait la responsabilité d’effectuer l’examen qui a entraîné les changements au caractère commissionnable de juillet 1993, qui a pris la décision ultime de mettre en œuvre ces changements et à quel moment ce processus d’étude d’évaluation a commencé. M. Mitchell a répondu qu’il était la principale personne ayant participé à l’élaboration des nouveaux critères, même si les diverses propositions ont fait l’objet de débats et d’un examen à l’interne et que Douglas Renwicke, vice-président exécutif, et M. Bourke, président, ont pris la décision. Il a indiqué que le processus a commencé avant la présentation des Pages Jaunes canadiennes au directeur en juin 1992. Le directeur ne demande pas de documents élaborés avant février 1993.

De façon générale, on parvient à un règlement, auquel cas le litige ne va pas de l’avant sur cette question, ou on échoue dans une tentative de règlement, auquel cas la partie donne rarement suite à la conduite proposée de toute façon, comme c’est le cas en l’espèce. Rien dans la preuve ne m’indique pourquoi ceci est arrivé. L’existence de deux processus concurrents en l’espèce complique l’évaluation de la validité de l’allégation de privilège, en particulier la détermination de la question de savoir si la raison pour laquelle ces documents ont été créés consistait à « tenter de parvenir à un règlement » [TRADUCTION]. Comme deux processus parallèles ont eu lieu, il est probable qu’au moins certains des documents eussent deux objets.

- 10 - À mon avis, il est utile dans ces circonstances d’adopter le critère de l’« objectif principal » utilisé dans l’évaluation des allégations de privilège relatif au litige afin de régler les questions de la présente requête. Pour voir leur allégation de privilège accueillie, les défenderesses doivent prouver que l’objectif principal les poussant à créer les documents était la négociation d’un règlement. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, le fardeau de la preuve leur revient. Le juge Dubé a noté que « pour établir une allégation valide de relation entre un avocat et son client, l’objectif principal de la préparation des documents doit viser le litige et elle doit l’emporter sur l’intérêt public dans sa divulgation (Vide New West Construction Co Ltd c La Reine (1979), 5 106 DLR (3d) 272 (FCTD)) » [TRADUCTION] . Le résumé dans l’affaire New West Construction Co Ltd est instructif :

Pour appuyer une allégation de privilège, la remise du document concerné aux conseillers juridiques de la partie en prévision d’un litige doit pour le moins être la raison majeure pour laquelle il a été préparé. Par conséquent, lorsqu’à la suite d’un litige découlant d’un contrat de construction on retient les services d’un expert pour aider à préparer cette réclamation, ces rapports ne sont pas nécessairement privilégiés. Les réclamations présentées par des entrepreneurs contre des propriétaires à l’occasion de contrats de construction sont monnaie courante et il ne faut pas en déduire que la plupart, ou même un pourcentage élevé d’entre elles, donnent lieu à des procédures judiciaires. L’objectif principal des travaux d’un tel expert jusqu’au moment la demanderesse a jugé que les négociations ne lui permettraient vraisemblablement pas d’obtenir satisfaction, est d’assumer leur rôle d’agent de la demanderesse dans ces négociations. Par conséquent, les rapports préparés à cette étape 6 ne sont pas protégés de la communication préalable [TRADUCTION] . Je vais maintenant examiner plus en détail le premier groupe de documents. Le directeur ne conteste pas que la pièce B à l’affidavit de M. Mitchell, une présentation du 15 février 1993 au Bureau, est visée par un privilège à l’égard de la négociation d’un règlement. C’est clairement le cas puisque la présentation découlait d’une invitation envoyée dans une lettre de décembre 2012,

5 Supra, note 2 à la p 80. 6 (1979), 106 DLR (3d) 272 (FCTD). susmentionnée. Le directeur ne demande pas non plus la pièce I, qui est postérieure à la mise en œuvre du nouveau critère.

Je remarque dès le début que ni l’affidavit de l’avocat des défenderesses, l’affidavit de M. Grover, ni l’affidavit de M. Mitchell n’indiquent que l’objectif principal de la création des documents était la négociation d’un règlement. Les affidavits ont été rédigés avec soin afin d’éviter les déclarations relatives à l’objectif principal.

- 11 - La pièce A est composée d’un certain nombre de documents préparés au début de

février 1993 qui, comme l’a indiqué M. Mitchell, « constituaient le fondement » [TRADUCTION] des déclarations de la pièce B. La pièce C, est une étude de l’incidence de la règle des huit marchés (l’ancienne règle) que M. Mitchell qualifie comme ayant « fait partie de notre engagement auprès du Bureau [dans la présentation de février] de revoir la nouvelle norme » [TRADUCTION]. Elle est datée du 18 février 1993. La pièce D est datée du 23 février 1993 et elle « a aussi [...] été préparée pour montrer l’incidence d’annonces d’importances différentes sur les recettes prévues » [TRADUCTION].

Comme ces pièces sont composées uniquement de chiffres et de calculs, les documents eux-mêmes offrent peu d’indications de leur raison. Si l’objectif principal est le règlement, elle doit ressortir clairement du témoignage de M. Mitchell. Ce dernier n’indique pas dans son affidavit que l’objectif principal de la création des documents de la pièce A était la négociation d’un règlement. Je reconnais qu’il ne devrait pas être tenu d’utiliser ces mots exacts et que des mots différents ayant le même effet peuvent suffire. Toutefois, en discutant de la pièce A, M. Mitchell dit uniquement que les documents « constituaient le fondement » [TRADUCTION] de la déclaration citée. Il n’indique même pas que les documents ont été préparés pour la présentation du 15 février 1993.

Les dates des pièces C et D suivaient de près la présentation du 15 février 1993. En ce qui concerne ces pièces, M. Mitchell indique qu’elles ont été préparées « dans le cadre de l’engagement de Télé-Direct envers le Bureau à revoir la nouvelle norme » [TRADUCTION]. Si les critères de juillet n’avaient pas été annoncés, ces deux pièces seraient protégées par le privilège à l’égard de la négociation d’un règlement.

La pièce E, datée du 24 mars 1993 et ayant une date de rédaction antérieure du 8 mars 1993, est une recommandation quant aux critères acceptables possibles relatifs au caractère commissionnable présentés par M. Mitchell à M. Renwicke et à M. Bourke. Pendant l’interrogatoire préalable, M. Mitchell a désigné ce document comme celui qu’il a communiqué par écrit à M. Renwicke et à M. Bourke pour leur demander « d’examiner et d’approuver le critère [qu’il avait] élaboré » [TRADUCTION]. L’affidavit de M. Mitchell confirme que « ces documents ont été préparés pour une réunion interne à Télé-Direct » [TRADUCTION]. Le document indique les objectifs des défenderesses et les options à leur disposition quant à la question du caractère commissionnable. Le document indique que l’objectif de Télé Direct était le suivant :

Élaborer une définition de comptes commissionnables qui établit un marché national, qui est égal ou supérieur au marché actuel en nombre de comptes et en dollars, tout en évitant d’absorber le marché local [GSF]. [TRADUCTION]

- 12 - En outre, le document indique sous l’intitulé « Examen des options » [TRADUCTION] que : À la suite de la réunion récente entre les Pages Jaunes canadiennes et le Bureau de la concurrence, il est manifeste qu’il n’y aura qu’une seule définition normalisée pour un compte national commissionable.

Toutefois, en tant que leader de l’industrie des Pages Jaunes du Canada, Télé-Direct devrait fournir une définition qui peut être utilisée comme modèle que [TRADUCTION]

Ce document contient des renvois à la réaction possible du gouvernement aux propositions, mais un seul avantage et un seul inconvénient aux diverses solutions de rechange. Il a été créé pour la première fois au début du mois de mars et mis au point à la fin du mois de mars, un délai antérieur à avril 1993, moment les négociations avec le Bureau ont clairement pris fin. Néanmoins, je suis d’avis que les propres déclarations de M. Mitchell indiquent que l’objectif principal consistait à faire avancer les processus internes d’examen de Télé Direct, qui ont mené au bout du compte à la décision d’adopter les nouveaux critères en juillet 1993. Il n’a pas été contesté que, si Télé-Direct devait changer, le changement devrait d’abord être accepté par Télé-Direct au niveau commercial puis par le directeur pour ce qui est du règlement.

Les pièces F, G et H ont été créées après la date à laquelle les négociations avec le Bureau ont cessé. La pièce F est une présentation du 18 mai 1993 par M. Renwicke aux cadres dirigeants de la société. M. Mitchell indique qu’il a été informé par M. Renwicke et qu’il croit que la présentation a été faite pour « expliquer l’orientation de Télé-Direct dans ses discussions en cours avec le Bureau et les options qu’elle envisageait de présenter au Bureau en ce qui concerne la définition du caractère commissionnable » [TRADUCTION]. L’objet n’est pas indiqué dans le texte de la présentation dont le contenu pourrait appuyer diverses fins.

Je trouve difficile d’accepter la preuve par ouï-dire selon laquelle il s’agissait de la raison principale de la présentation étant donné que les changements au caractère commissionnable seraient annoncés peu de temps par la suite, le 22 juin 1993, sans présentation au Bureau ou commentaires de ce dernier. La seule prochaine « présentation possible au Bureau » [TRADUCTION] mentionnée dans l’affidavit de M. Mitchell est une lettre du 15 juin 1993 de M. Grover à M. Gilles Ménard puisqu’il n’y a eu aucune autre présentation avant la date de mise en œuvre de juillet 1993. À mon avis, la lettre avise simplement le Bureau de ce que Télé-Direct propose de faire et indique son point de vue sur certains des effets des changements. Les changements ont été annoncés une semaine plus tard. Au paragraphe 7 de son affidavit, M. Linseman indique à juste titre que la lettre a été rédigée simplement « à des fins informatives et non dans le cadre de “négociations en cours en vue d’un règlement avec le directeur”, comme l’a déclaré l’avocat des défenderesses dans sa lettre du 26 mai 1995 » [TRADUCTION]. M. Grover décrit cette lettre au paragraphe 11 de son affidavit presque dans les mêmes termes lorsqu’il dit « J’ai avisé M. Ménard des critères sur le caractère commissionnable que Télé-Direct “propose d’utiliser”. Dans cette lettre, j’ai également indiqué “les conséquences financières de cette définition” sur Télé-Direct » [TRADUCTION]. Il ne fait pas allusion à une tentative de parvenir à un règlement; il déclare simplement que l’ordonnance sur consentement proposée et les critères sur le caractère commissionnable étaient « clairement liés » [TRADUCTION], une déclaration plutôt

les autres sociétés suivront.

- 13 - ambiguë.

L’avocat des défenderesses a également fait valoir brièvement que la pièce F était protégée par le secret professionnel liant l’avocat à son client puisque M. Renwicke transmettait simplement un avis juridique de l’avocat aux cadres dirigeants. Je ne trouve aucun élément de preuve à cet égard dans le dossier. Cela ne ressort pas clairement du texte de document, et M. Mitchell n’a fait aucune affirmation à cet égard.

Les pièces G et H à l’affidavit de M. Mitchell ont également été préparées, selon M. Mitchell, « dans le but d’une présentation » [TRADUCTION] ou « pour être utilisée » [TRADUCTION] dans cette présentation au Bureau, à savoir la lettre du 15 juin 1993 susmentionnée. Je ne peux accepter que la raison principale de ces documents concernât les négociations en vue d’un règlement puisque je ne considère pas que la lettre du 15 juin 1993 a été rédigée à cette fin.

Après avoir terminé un examen des documents individuels, j’aimerais aborder un autre point général. Il s’applique en particulier aux pièces C et D, ainsi qu’aux autres pièces dans l’éventualité j’aurais tort dans mon évaluation de leurs objectifs principaux, pièces qui peuvent en effet être considérées comme ayant été créés pour les négociations en vue d’un règlement. Je ne crois pas qu’un privilège à l’égard du règlement puisse exister dans les circonstances de l’affaire dont je suis saisi.

La demande du directeur allègue que les critères sur le caractère commissionnable des défenderesses représentent un acte anticoncurrentiel. Au paragraphe 46 de la réponse, les défenderesses « nient que leurs critères relatifs au caractère commissionnaire sont “arbitraires” » [TRADUCTION] et déclarent qu’ils sont établis « en fonction du jugement commercial de la direction de Télé-Direct afin de respecter les besoins spécialisés d’une catégorie précise de clients de Télé-Direct » [TRADUCTION]. Ainsi, la justification des critères est manifestement en litige. En raison de cette question, je ne vois pas pourquoi les défenderesses devraient être en mesure d’utiliser le privilège pour soustraire de l’examen du Tribunal les éléments de preuve pertinents concernant cette justification.

Le privilège a pour but d’empêcher que les parties soient tenues de soumettre au Tribunal leurs discussions en vue d’un règlement de bonne foi, même si elles sont infructueuses, afin d’encourager un règlement. En l’espèce, les changements qui constituent les négociations infructueuses en vue d’un règlement sont eux-mêmes directement en litige devant le Tribunal parce qu’ils ont réellement été mis en place par les défenderesses, malgré le fait qu’aucun règlement n’a été conclu. Les défenderesses demandent de justifier les critères en fonction du jugement commercial de la direction de Télé-Direct, mais elles empêchent le directeur d’examiner les renseignements commerciaux et financiers sur lesquels le jugement était fondé.

- 14 - La justification d’intérêt public de ce privilège n’a pas pour but de permettre à une partie de l’utiliser pour décider de façon sélective quels éléments de preuve devraient être présentés. Il s’agit d’un rare cas le privilège rattaché aux négociations en vue d’un règlement peut être perdu.

(2) La « lettre de M. Bourke » Les événements liés à la lettre de M. Bourke remontent à 1991. En 1991, le directeur a repris son enquête sur l’industrie canadienne des Pages Jaunes. L’enquête s’est amorcée en 1985, mais elle s’est interrompue entre 1988 et 1990. Comme l’indique l’affidavit de Brian MacLeod Rogers, établi sous serment le 23 juin 1995, à l’appui de la position des défenderesses, l’avocate du directeur a communiqué avec M. Rogers, en sa qualité d’avocat des défenderesses, en mars 1991. Une correspondance a ensuite suivi au cours de laquelle des documents et des renseignements ont été demandés par l’avocate du directeur et fournis par M. Rogers. Au début de juin 1991, M. Rogers a rencontré l’avocate du directeur pour lui fournir plus de renseignements. Au cours de la réunion, l’avocate du directeur a indiqué qu’elle recommanderait que le directeur présente une demande au Tribunal et a suggéré que M. Rogers encourage ses clients à prendre les mesures nécessaires pour éviter un litige. Le 12 juillet 1991, M. Bourke a envoyé sa lettre au directeur.

La lettre, qui fait plus de 30 pages, fournit beaucoup de renseignements sur l’industrie des Pages Jaunes et l’annonce dans les Pages Jaunes qui semblent certainement, à première vue, être pertinents à la demande présentée au Tribunal. Les défenderesses revendiquent le privilège à l’égard de la négociation d’un règlement pour la lettre.

- 15 - La lettre ne porte pas la mention « sous toutes réserves ». Même si l’omission d’apposer cette mention sur la lettre ne tranche pas la question, il s’agit d’un élément de preuve qui est pris en considération. Comme M. Bourke n’a pas fourni d’affidavit quant à la raison de la lettre, je dois examiner le texte de cette dernière ainsi que les circonstances l’entourant pour trouver une indication de la question de savoir si les parties souhaitaient en venir à un compromis et si cette lettre faisait partie des négociations.

À mon avis, le texte de la lettre ne fournit aucune preuve de la moindre « possibilité » de règlement, mais il indique plutôt qu’elle a été écrite simplement dans le but de fournir des renseignements sur un fondement très préliminaire. Dans l’introduction, l’auteur indique ce qui suit :

Nous comprenons que le directeur examine en ce moment les pratiques de vente de publicité de Télé-Direct en ce qui concerne la structure du service des Pages Jaunes canadiennes. La présente lettre indique notre avis sur la façon dont l’industrie des Pages Jaunes canadiennes fonctionne et décrit le rôle important que jouent les Pages Jaunes canadiennes dans l’industrie des Pages Jaunes. En particulier, elle porte sur la description de la façon dont l’espace publicitaire dans les Pages Jaunes est vendu au Canada. [TRADUCTION]

En conclusion, il écrit ce qui suit : La présente lettre a été écrite rapidement et ne donne qu’un aperçu de l’industrie des Pages Jaunes canadiennes. Par conséquent, il se peut que vous ayez besoin d’autres faits ou renseignements pour effectuer votre enquête. Afin de faciliter les choses, nous aimerions vous rencontrer pour discuter de toute question préoccupante. Conformément à l’objet informel et informatif de la présente réunion, nous proposons qu’elle ait lieu sans les avocats. [TRADUCTION]

Plus loin, il ajoute ce qui suit : Bien que nous croyions que la plupart des renseignements figurant dans la présente relèvent du domaine public, nous vous demanderions de traiter de façon confidentielle les renseignements suivants : […] [TRADUCTION]

et il ajoute trois éléments précis qui doivent être gardés confidentiels. Cette demande de confidentialité est particulièrement importante. Même si la lettre était décrite comme faisant partie des négociations en vue d’un règlement, la reconnaissance du fait par l’auteur que la majorité des renseignements relèvent « du domaine public » [TRADUCTION] semble nier toute intention « explicite ou implicite » [TRADUCTION] de sa part qu’elle « ne serait pas divulguée à la cour si les négociations en cause échouaient » [TRADUCTION], soit la deuxième condition indiquée par Sopinka et al.

Les circonstances ne changent pas non plus mon évaluation de l’objet de cette lettre. Dans son affidavit, M. Rogers affirme qu’il considérait que les lettres et les discussions qu’il a eues avec l’avocate du directeur étaient « privées » [TRADUCTION] selon sa lettre du 31 mai 1991. En outre, il affirme que la lettre de M. Bourke était un argument dans le cadre des négociations en vue d’un règlement entre lui-même et l’avocate du directeur, fait « entre clients » pour compléter ses arguments à titre d’avocat.

M. Rogers a écrit la lettre du 31 mai 1991 avant la rencontre en personne avec l’avocate du directeur au début du mois de juin. Lors de la rencontre, M. Rogers devait fournir des copies de documents et répondre à des questions. Dans la lettre, M. Rogers indiquait clairement que la rencontre devait être « privée » [TRADUCTION]. Selon le libellé de la lettre, il semblait toutefois se préoccuper du fait que, si l’utilisation faite des renseignements transmis lors de la rencontre dans le cadre de procédures éventuelles, lui-même et l’avocate du directeur deviendraient des témoins potentiels, plutôt que de s’inquiéter de protéger les négociations en vue du règlement contre une exposition future. L’utilisation par M. Rogers du terme « privée » [TRADUCTION] dans ce contexte était très différente de ce que signifiait la mention « sous toutes réserves » dans les discussions en vue d’un règlement. Je ne crois pas que la lettre du 31 mai 1991 assujettisse la lettre de M. Bourke au privilège à l’égard de la négociation d’un règlement.

Je fais remarquer que la lettre de M. Bourke a été incluse dans l’affidavit de documents du directeur dans la liste des documents privilégiés et qu’elle était (apparemment) assujettie à une allégation de privilège d’intérêt public du directeur. En tout état de cause, il ressort clairement de la présente requête, et cela peut avoir été clair plus tôt pendant l’interrogatoire préalable, que le directeur a changé d’avis. Les défenderesses ne peuvent invoquer un privilège d’intérêt public et elles doivent donc invoquer et prouver certains autres motifs de privilège pour refuser la production de la lettre. Elles n’y sont pas parvenues.

Pour ces raisons, j’ai accordé, par ordonnance rendue sous plis séparé, la requête du directeur et exigé que les défenderesses produisent les pièces A, C, E, F, G et H à l’affidavit de M. Mitchell et qu’elles obligent leur représentant à comparaître de nouveau à l’interrogatoire préalable afin de répondre aux questions sur ces documents et la lettre de M. Bourke.

e FAIT à Ottawa, ce 9 jour d’août 1995. SIGNÉ au nom du Tribunal par le président.

(s) W.P. McKeown W.P. McKeown

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