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Competition Tribunal AFFAIRE CONCERNANT une demande présentée par le Directeur des enquêtes et de recherches en vertu de l’article 79 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34;

ET AFFAIRE CONCERNANT certaines pratiques de The D & B Companies of Canada Ltd.

ENTRE : Le Directeur des enquêtes et de recherches Demandeur et The D & B Companies of Canada Ltd Défenderesse et Information Resources Inc Intervenante

MOTIFS ET ORDONNANCE CONCERNANT L’AJOURNEMENT EN ATTENDANT L’APPEL

Tribunal de la concurrence o CT-1994/001 Document n 104 No. Document du greffe : 169

Date de l’audience : Le 5 octobre 1994 Membre judiciaire présidant l’audience : Monsieur le juge Marshall E. Rothstein Avocat du demandeur : Le Directeur des enquêtes et de recherches Donald B. Houston Avocats de la défenderesse : The D & B Companies of Canada Ltd Randal T. Hughes Lawrence E. Ritchie

Avocats de l’intervenante : Information Resources Inc Gavin MacKenzie Geoffrey P. Cornish

LE TRIBUNAL DE LA CONCURRENCE MOTIFS ET ORDONNANCE CONCERNANT L’AJOURNEMENT EN ATTENDANT L’APPEL

Le Directeur des enquêtes et de recherches c The D & B Companies of Canada Ltd

La défenderesse, The D & B Companies of Canada Ltd, par un avis de requête déposé le 30 septembre 1994, a demandé une ordonnance visant à ajourner l’audience dans la présente affaire, dont le début était prévu pour le 17 octobre 1994, en attendant l’issue d’un appel de l’ordonnance interlocutoire du Tribunal, datée du 22 septembre 1994, à une date raisonnable après la conclusion de l’appel. Dans le cadre de l’ordonnance du 22 septembre 1994, le Tribunal, entre autres choses, a ordonné ce qui suit :

(3) La requête présentée par Nielsen (maintenant connu sous le nom de D & B Companies of Canada Ltd) tendant à la production de documents privilégiés par le directeur pour examen et reproduction par Nielsen, comme il est énoncé à 1 l’alinéa c) de l’avis de requête de la défenderesse, est rejetée. La défenderesse interjette appel de cette partie de l’ordonnance du Tribunal. L’avis d’appel a été déposé le 28 septembre 1994 et les documents indiquent que l’appel peut être entendu avant Noël.

Les renseignements que la défenderesse a demandés et qui lui ont été refusés étaient les suivants :

(i) la plainte d’Information Resources Inc (IRI) ou de ses avocats et d’autres lettres, mémoires ou arguments d’IRI ou de ses avocats envoyés au directeur, à son personnel ou à son avocat;

(ii) les notes, les documents et les déclarations obtenus ou préparés par le directeur, son personnel ou son avocat des réunions et discussions avec des représentants d’IRI ou ses avocats;

1 Le Directeur des enquêtes et recherches c AC Nielsen Company of Canada Limited (22 septembre 1994), CT9401/82, motifs et ordonnance concernant les questions examinées lors de la conférence préparatoire à l’audience du 14 septembre 1994 : modification à l’avis de demande, interrogatoire préalable et production de documents au o paragraphe 19, [1994] DTCC n 15 (QL).

(iii) les déclarations, les notes, les documents et les lettres obtenus ou préparés par le directeur, son personnel ou son avocat des réunions et discussions avec des détaillants, fabricants et sociétés d’étude de marché de produits emballés 2 canadiens et américains. La question en appel est la nature et l’étendue du privilège de l’intérêt public, qui a servi de motif à la décision du directeur de refuser la divulgation de ces renseignements.

La première question soulevée porte sur le critère que retiendra le Tribunal en examinant la possibilité d’accorder ou de refuser un ajournement de l’instance en attendant l’issue d’un appel interjeté contre une ordonnance interlocutoire du Tribunal. Les avocats de la défenderesse a fait valoir que le critère n’est pas le même que dans le cas d’un arrêt des procédures dans lequel un tribunal est appelé à suspendre les procédures d’un tribunal ou d’une cour inférieure. Tout en admettant que les principes applicables sont similaires à ceux qui régissent les cas d’un arrêt des procédures, il fait valoir que la véritable question est le pouvoir du Tribunal de contrôler ses propres procédures.

L’avocat du directeur ainsi que les avocats de l’intervenante soutiennent que le critère dans le cas d’un ajournement en attendant l’appel est le même que dans le cas d’un arrêt des procédures.

Je suis d’accord avec l’avocat du directeur et avec les avocats de l’intervenante. Bien que les demandes d’ajournement ne soient pas toutes tranchées au moyen de l’application des principes régissant un arrêt des procédures, un ajournement accordé en attendant un appel a certes exactement le même résultat qu’une suspension accordée en attendant un appel. Les avocats de la défenderesse ont reconnu qu’il leur était également possible de demander une suspension à la Cour d’appel fédérale. Je ne comprends pas pourquoi le Tribunal, en examinant la présente demande d’ajournement, doit appliquer des principes différents de ceux que la Cour d’appel fédérale applique dans une demande de suspension lorsque la même instance est en cause. Je suis d’avis que les principes applicables à l’arrêt des procédures, qui sont les mêmes que ceux 3 régissant les injonctions interlocutoires , doivent être appliqués dans le cas d’une demande d’ajournement en attendant l’issue de l’appel.

Les principes sont énoncés par la Cour suprême du Canada dans Manitoba (Procureur Général) c Metropolitan Stores (MTS) Ltd et réitérés dans RJR - Macdonald Inc c Canada (Procureur général) :

L’arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d’instance ou d’injonction interlocutoire. Premièrement, une étude préliminaire du fond du

2 Ibid, page 7. 3 RJR - Macdonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, page 334.

litige doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse le redressement en attendant une 4 cision sur le fond. J’examine tout d’abord le critère de la question sérieuse. L’avocat du directeur et les avocats de l’intervenante reconnaissent qu’il s’agit d’un critère limité en bref, la question est-elle frivole ou vexatoire? En l’espèce, la question en litige se rapporte à la divulgation de renseignements invoqués comme étant assujettis au privilège de l’intérêt public. Cela a fait l’objet d’un argument devant le Tribunal et d’une décision du Tribunal. La question sera tranchée par la Cour d’appel fédérale, parce que l’appel de la défenderesse est de plein droit.

Je ne peux pas dire que la question est frivole ou vexatoire. Je ne vais pas, et en fait je ne devrais pas aller, plus loin compte tenu de l’avis des avocats sur ce point et de l’avertissement dans RJR - Macdonald Inc :

Une fois convaincu qu’une réclamation n’est ni futile ni vexatoire, le juge de la requête devrait examiner les deuxième et troisième critères, même s’il est d’avis que le demandeur sera probablement débouté au procès. Il n’est en général ni 5 cessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l’affaire. J’examine en suite le critère de préjudice irréparable. Les avocats de la défenderesse soutiennent que, si l’audience a lieu comme prévu, le Tribunal peut faire des constatations et tirer des conclusions sur les éléments de preuve présentés qui pourraient être préjudiciables à la défenderesse. Il prétend que telles constatations peuvent être mentionnées dans la presse professionnelle et que cela pourrait porter atteinte à la réputation de la défenderesse. Il soutient en outre que, si l’affaire est entendue et que la défenderesse obtient gain de cause en appel, la procédure sera grandement perturbée. Les interrogatoires et contre-interrogatoires peuvent être différents. Il peut s’avérer nécessaire pour le Tribunal d’entendre de nouveau l’affaire dans son intégralité, avec des membres différents. Enfin, il souligne qu’une décision favorable en appel serait susceptible de ne plus avoir d’effet juridique.

En ce qui concerne la question de la réputation de la défenderesse, j’accepte qu’une décision rendue par le Tribunal en fonction de renseignements insuffisants puisse comprendre des conclusions qui pourraient influer à tort sur la réputation de la défenderesse. Cependant, je n’ai aucune preuve devant moi concernant ce que ces conclusions pourraient être, la façon dont elles pourraient nuire à la réputation de la défenderesse ou tout autre détail qui pourrait me convaincre que la question du préjudice à la réputation n’est pas suffisamment conjecturale pour ne pas soutenir la conclusion de préjudice irréparable. De plus, à ce moment, l’issue de la procédure du Tribunal sur le bien-fondé et l’issue de l’appel sont inconnues. Les répercussions d’un appel accueilli sur toute autre procédure ou sur la décision du Tribunal sont également inconnues. Bien

4 Ibid 5 Ibid, pages 337 et 338

que ces dernières considérations elles-mêmes ne puissent pas empêcher la demande de suspension d’être accueillie en se fondant sur des conjectures, lorsqu’elles sont combinées avec les éléments de preuve insuffisants concernant le préjudice à la réputation en l’espèce, je suis d’avis qu’on ne peut pas conclure au préjudice irréparable.

La question d’interruption des procédures du Tribunal ne peut pas, à mon avis, être caractérisée comme appartenant à la catégorie du préjudice irréparable. Il est vrai qu’il peut y avoir de graves inconvénients, mais cela n’équivaut pas en soi à un préjudice irréparable. Il se peut que des interrogatoires et des contre-interrogatoires changent si la défenderesse a gain de cause en appel, si de plus amples renseignements sont produits et si l’affaire est entendue à nouveau. Cependant, encore une fois, il s’agit d’une question d’inconvénients et non de préjudice irréparable. Chaque fois qu’une affaire est renvoyée pour nouvelle audition à la suite d’un appel ou d’un contrôle judiciaire, les parties sont dans la même position. Ces nouvelles auditions font partie du processus judiciaire habituel; je ne peux pas conclure que la présente affaire est, d’une certaine façon, unique de manière à causer un préjudice irréparable à la défenderesse si, en effet, des interrogatoires et des contre-interrogatoires doivent changer.

Enfin, je ne suis pas convaincu que l’appel serait susceptible de ne plus avoir d’effet juridique. Si la défenderesse a gain de cause, le Tribunal se comportera de la manière dictée par la Cour d’appel fédérale.

Compte tenu de mes constatations en ce qui concerne le préjudice irréparable, il n’est pas nécessaire pour moi d’aborder la prépondérance des inconvénients. Toutefois, je soulignerais, comme l’avocat du directeur a signalé, que, dans la présente affaire, il y a une question d’intérêt public dont il faut tenir compte. L’avocat cite la décision de la Cour suprême dans l’arrêt RJR - MacDonald Inc, qui, tout en faisant référence à des affaires relatives à la Charte, est, à son avis, également applicable aux simples arrêts des procédures lorsque les autorités publiques, investies de l’obligation de protéger l’intérêt public, sont en cause. Les juges Sopinka et Cory déclarent ce qui suit :

À notre avis, le concept d’inconvénient doit recevoir une interprétation large dans les cas relevant de la Charte. Dans le cas d’un organisme public, le fardeau d’établir le préjudice irréparable à l’intérêt public est moins exigeant que pour un particulier en raison, en partie, de la nature même de l’organisme public et, en partie, de l’action qu’on veut faire interdire. On pourra presque toujours satisfaire au critère en établissant simplement que l’organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l’intérêt public et en indiquant que c’est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l’activité contestés. Si l’on a satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l’interdiction de l’action causera un 6 préjudice irréparable à l’intérêt public. En l’espèce, le directeur a la responsabilité de protéger l’intérêt public à l’égard de la concurrence 6 Ibid, page 346.

au Canada dans la manière qui lui est conférée par la législation pertinente. Il peut présenter des affaires devant le Tribunal de la concurrence lorsqu’il l’estime nécessaire pour s’acquitter de sa responsabilité de protéger la concurrence. En l’espèce, la présentation de la présente affaire devant le Tribunal a été faite conformément à cette responsabilité. Par conséquent, des arguments solides peuvent exister selon lesquels il y a préjudice irréparable si le directeur est empêché de poursuivre cette mesure.

Dans le cas présent, j’ai indiqué aux avocats que si la demande d’ajournement devait être accueillie, il se pourrait bien que le Tribunal soit en mesure d’entendre l’affaire sur le fond à compter du 16 janvier 1995. Ce délai n’est pas très long et ne serait pas en soi suffisant pour causer un préjudice irréparable. Toutefois, comme l’ont indiqué les avocats de l’intervenante, il n’existe aucune garantie que l’affaire puisse être entendue à partir de cette date. La Cour d’appel fédérale n’aura peut-être pas rendu sa décision à la date en question. La partie qui n’aura pas obtenu gain de cause interjettera peut-être appel à la Cour suprême du Canada. Évidemment, ces possibilités sont, pour l’instant, hypothétiques, mais elles soulèvent la question du délai qui peut fort bien dépasser trois mois. Si tel est le cas, un délai plus long peut occasionner un préjudice irréparable à l’intérêt public, de la manière indiquée dans l’arrêt RJR - MacDonald Inc.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ORDONNE QUE la requête présentée par la défenderesse sollicitant l’ajournement de l’audience dans la présente affaire soit rejetée.

e FAIT à Ottawa, ce 5 jour d’octobre 1994. SIGNÉ au nom du Tribunal par le membre judiciaire présidant l’audience.

(s) Marshall Rothstein Marshall Rothstein

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