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CT - 88 / 4 DANS L'AFFAIRE d'une demande du directeur des enquêtes et recherches en vertu de l'article 75 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, telle que modifiée;

ET DANS L'AFFAIRE du refus de Chrysler Canada Ltée de fournir des pièces d'automobile à Richard Brunet en vue de l'exportation.

E N T R E : Le directeur des enquêtes et recherches Demandeur - et -Chrysler Canada Ltée Défenderesse - et -Richard Brunet Intervenant

MOTIFS ET ORDONNANCE CONCERNANT UNE REQUÊTE VISANT À OBTENIR UNE ORDONNANCE DE JUSTIFICATION RELATIVEMENT À UNE ALLÉGATION D'OUTRAGE

- 2 -Date de l'audience : Le 27 février 1990 Président de l'audience : L'honorable juge Barbara J. Reed Juge : L'honorable juge Leonard A. Martin Autre membre : D r Frank Roseman Avocat pour le demandeur : Le directeur des enquêtes et recherches William J. Miller Avocats pour la défenderesse : Chrysler Canada Ltée Thomas A. McDougall, c.r. I.H. Fraser

Avocat pour l'intervenant : Richard Brunet William Brock

- 3 -TRIBUNAL DE LA CONCURRENCE MOTIFS ET ORDONNANCE CONCERNANT UNE REQUÊTE VISANT À OBTENIR UNE ORDONNANCE DE JUSTIFICATION RELATIVEMENT À UNE ALLÉGATION D'OUTRAGE

Le directeur des enquêtes et recherches c. Chrysler Canada Ltée

Le directeur des enquêtes et recherches (le « directeur ») a présenté une requête visant à obtenir une ordonnance de justification qui enjoigne à Chrysler Canada Ltée Chrysler Canada »), à Chrysler Motors Corporation Chrysler É.-U. ») et à Bernard Lerner d'exposer les motifs pour lesquels ils ne devraient pas être considérés coupables d'outrage relativement à l'ordonnance du Tribunal en date du 13 octobre 1989. Cette ordonnance exige que :

[...] Chrysler Canada Ltée accepte Richard Brunet comme client pour la fourniture de pièces Chrysler selon les conditions de commerce normales qui liaient la défenderesse et Brunet, dans la forme lesdites conditions existaient avant août 1986 1 . 1 Directeur des enquêtes et recherches c. Chrysler Canada Ltée (13 octobre 1989), CT-88/4, Motifs et ordonnance, à la p. 55 (Tribunal de la concurrence). (Version anglaise publiée dans (1989), 27 C.P.R. (3 e ) 1 à la p. 28.)

- 4 -L'outrage reproché à Chrysler Canada, d'une part, et celui reproché à Chrysler É.-U. et à M. Lerner, d'autre part, sont distincts et de nature différente. L'allégation envers Chrysler Canada veut qu'elle n'ait pas observé l'ordonnance en ayant recours à divers moyens d'atténuer l'exécution efficace de l'ordonnance. L'allégation à l'endroit de Chrysler É.-U. et de M. Lerner repose sur des moyens d'inciter M. Brunet à renoncer à l'exécution de l'ordonnance, tout particulièrement dans le contexte de l'appel interjeté relativement à celle-ci devant la Cour d'appel fédérale.

Il convient tout d'abord de relater les faits concernant Chrysler Canada. Le directeur soutient que Chrysler Canada contrevient à l'ordonnance du 13 octobre 1989 du fait que M. Brunet ne peut bénéficier des conditions de commerce normales qui avaient cours entre les parties avant août 1986. L'affidavit de M. Brunet, produit par le directeur, précise expressément que Chrysler Canada : 1) applique, semble-t-il, une politique de « ralentissement » à l'égard des commandes passées par M. Brunet, 2) semble peu encline à collaborer dans ses rapports avec M. Brunet, 3) a tenté de modifier les modalités déjà établies, 4) rend difficiles les communications avec M. Brunet et 5) a tenté de modifier les conditions de vente.

En ce qui concerne la première allégation, M. Brunet affirme que Chrysler Canada a mis 45 jours à exécuter 73 % d'une commande, alors qu'une

- 5 ­commande équivalente a été remplie en sept jours raison de 71 %) par un concessionnaire qui devait, à son tour, passer la commande à Chrysler Canada. De plus, le 3 janvier 1990, deux commandes ont été passées à Chrysler Canada et, six semaines plus tard, elles n'avaient toujours pas été remplies (une seule demeurait inexécutée au moment de l'audition de la requête). Certains éléments de preuve relatifs au délai de six semaines établissent que les pièces commandées auraient pu être livrées immédiatement.

La deuxième allégation voulant que Chrysler Canada soit peu encline à la collaboration se fonde sur un différend qui oppose M. Brunet et Chrysler Canada quant à savoir qui devrait payer les frais d'expédition des pièces et à quel endroit celles-ci devraient être livrées. Au mois d'août 1986, M. Brunet a pris livraison de pièces dont les frais de transport avaient été acquittés au préalable, à Hagersville (Ontario). L'expéditeur dont il retenait alors les services a cependant cessé ses activités. M. Brunet a demandé que les pièces soient livrées à l'établissement d'un emballeur situé à Montréal. Chrysler Canada a accepté à la condition que M. Brunet paie les frais d'expédition. M. Brunet prend actuellement livraison des pièces à Mississauga, et Chrysler Canada paie les frais d'expédition à cet endroit.

La troisième allégation découle de la déclaration de M. Brunet selon laquelle Chrysler Canada ne lui fournit pas de « rapports de disponibilité », alors

- 6 ­que de nouvelles fonctions informatiques le lui permettent. Avant août 1986, il recevait de tels rapports. À cette époque, lorsque M. Brunet passait une commande à Chrysler Canada, il recevait un rapport précisant les pièces qu'il pouvait obtenir immédiatement et le délai pour obtenir les autres. M. Brunet juge important de pouvoir fournir ces renseignements à ses clients. Le lendemain du dépôt de la demande du directeur visant à obtenir une ordonnance de justification, un rapport de disponibilité a été fourni. Les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir si un document transmis précédemment, le 25 janvier 1990, par télécopieur, devrait être considéré comme un rapport de disponibilité.

La quatrième allégation porte sur les discussions entre les parties concernant le sort réservé aux commandes en retard. Chrysler Canada a demandé à M. Brunet s'il donnerait son assentiment à une procédure comportant l'annulation de toutes les commandes en retard. Auparavant, une première livraison avait lieu puis, ultérieurement, les commandes en retard étaient livrées. M. Brunet n'a pas consenti. Selon son affidavit, après avoir répondu à la proposition de Chrysler Canada, celle-ci a répliqué qu'il n'avait pas répondu à la question, de sorte qu'il a réitérer sa réponse. L'exécution de ses commandes dépendait dès lors du règlement de cette question.

- 7 -La cinquième allégation se fonde également sur les préoccupations de M. Brunet concernant le choix du lieu de livraison et le paiement des frais de transport.

Les faits concernant l'allégation à l'endroit de Chrysler É.-U. et de M. Lerner sont les suivants. M. Lerner est directeur des ventes de pièces sur les marchés intérieur et international chez Chrysler É.-U. Entre le 1 er et le 7 décembre 1989, M. Brunet a passé quatre commandes de pièces à Chrysler É.-U. Trois de ces commandes visaient des pièces de véhicules que vendait Chrysler É.-U. avant 1987 (les « pièces Chrysler »). La quatrième avait trait à des pièces relatives à la gamme de produits Jeep/Eagle, laquelle a été lancée par Chrysler en 1987 (les « pièces Jeep »). Chrysler É.-U. a refusé de remplir la commande de pièces Jeep pour le motif que M. Brunet n'était pas « un distributeur autorisé Jeep/Eagle ». En se renseignant davantage, M. Brunet a appris que la commande de pièces Jeep n'était pas remplie « en raison de l'appel ». On lui a alors dit qu'aucune de ses quatre commandes ne serait remplie, et ce, pour le même motif 2 . On lui a appris 2 Extrait d'une lettre datée du 13 décembre 1989 que M. Brunet a transmis par télécopieur à M. Lerner :

[TRADUCTION] L'après-midi du 12 décembre, j'ai rappelé Phil Tarr, lequel avait tenté de me téléphoner plus tôt à un autre sujet. Comme il était devenu évident, au cours de l'entretien, qu'il ignorait tout de ma commande de pièces Jeep, j'en ai profité pour lui demander quelle était la politique actuelle concernant les pièces Jeep. Il m'a dit, entre autres choses, qu'il « était absolument certain » que nous pouvions acheter des pièces Jeep, que « tout le monde en achetait » et que si ma commande s'élevait à 3 000 $, on pourrait y donner suite sans aucun problème. Je lui ai alors parlé de la commande (qui s'élevait à 3 326 $) et de votre refus. Il a dit que c'était impossible et qu'il allait se renseigner et me rappeler. Lorsqu'il m'a rappelé au cours de l'après-midi, il a dit que la commande avait été refusée

- 8 -que, suivant les instructions de M. Lerner, pour obtenir des explications à ce sujet, son avocat devait communiquer avec les « avocats de Chrysler ». Voici le texte d'une note qu'un employé de Chrysler É.-U. a transmis par télécopieur à M. Brunet :

[TRADUCTION] M. B.J. Lerner m'a informé que la poursuite intentée contre Chrysler faisait l'objet d'un appel et que je ne pouvais donner suite à vos commandes de pièces.

Pour tout renseignement supplémentaire à ce sujet, veuillez communiquer directement avec B.J. Lerner 3 . Le directeur soutient que les mesures prises par Chrysler É.-U. et M. Lerner visaient à convaincre M. Brunet d'inciter le directeur à transiger relativement à l'appel et à l'appel incident. Dans une lettre datée du 22 janvier 1990

« en raison de l'appel ». Il faisait allusion à l'affaire du Tribunal de la concurrence concernant Chrysler Canada Ltée, dont on a interjeté appel. M. Tarr m'a également informé (pour la première fois) que toutes les commandes que j'avais passées à Detroit, et non seulement la commande de pièces Jeep, se verraient réserver le même sort. M me Stabile m'a confirmé ce dernier fait par télécopieur le 13 décembre.

... J'estime que vous auriez fort bien pu m'informer du sort qui serait réservé à cette commande ainsi qu'aux commandes de pièces Chrysler (et aux autres commandes passées depuis) bien avant que je ne propose des prix et ne conclue l'affaire pour votre compte. En ce qui concerne la commande de pièces Jeep, il s'agissait de notre première commande pour ce client étranger, lequel se trouvait dans mon bureau le 1 er décembre lorsque j'ai téléphoné à Brenda. (Affidavit de R. Brunet, 19 février 1990, pièce H.)

3 Ibid., pièce G.

- 9 ­et adressée à l'avocat de Chrysler Canada, l'avocat du directeur précise que ces mesures mettent l'ordonnance du Tribunal [TRADUCTION] « en péril » 4 . Bien que l'avocat de M. Brunet se soit mis en rapport avec l'avocat de Chrysler comme demandé, la documentation déposée relativement à l'affidavit ne donne aucun renseignement quant au contenu de cet entretien. La documentation déposée ne fait état que de l'extrait suivant de la lettre du directeur à l'avocat de Chrysler Canada :

[TRADUCTION] On m'informe qu'on a cessé d'approvisionner M. Brunet en pièces d'auto en lui recommandant de faire en sorte que son avocat communique avec les avocats de Chrysler. M. Brunet m'a informé que cette communication a eu lieu il y a quelque temps, mais la situation demeure inchangée 5 . En guise de réponse, le directeur a reçu une lettre de l'avocat de Chrysler Canada, dont voici le libellé :

[TRADUCTION] Premièrement, l'avocat de M. Brunet m'a téléphoné il y a quelque temps, mais nous n'avons discuté d'aucune des questions soulevées dans votre lettre. J'ignorais tout de ces questions jusqu'à ce que je reçoive votre lettre.

4 Ibid., pièce J, à la p. 1. 5 Ibid.

- 10 -Deuxièmement, nous constatons que Chrysler Corporation Chrysler É.-U. ») s'est mise en rapport avec Chrysler Canada après avoir reçu une lettre de M. Brunet demandant que certaines pièces Jeep lui soient vendues, M. Brunet ayant été informé auparavant que la commande ne serait pas exécutée. Chrysler Canada a recommandé à Chrysler É.-U. de considérer M. Brunet comme tout autre client ou personne qui demande des renseignements.

... Chrysler É.-U. a choisi de ne pas donner suite à la demande et de plus a informé M. Brunet qu'il devrait, à l'avenir, acheminer toute demande à Chrysler Canada. Tel que mentionné à l'audience de cette affaire et comme en font état les motifs de la décision du Tribunal en date du 13 octobre 1989, Chrysler É.-U. offre le programme d'achat en gros Interparts (p. 7) aux termes duquel les pièces sont vendues à des concessionnaires (ce que n'est pas M. Brunet (p. 27)), et que Chrysler É.-U. aurait préféré exporter ses pièces par l'intermédiaire d'exportateurs établis aux États-Unis et qui respectent des règles du jeu équitables (p. 52).

Si M. Brunet estime que Chrysler É.-U. a refusé de lui vendre des pièces et a choisi de le renvoyer à Chrysler Canada en raison de l'ordonnance du Tribunal ou de l'appel, il fait erreur et peut avoir considéré une déclaration hors de son contexte. À cet égard, nous souhaiterions obtenir des détails quant aux allégations qui fondent le premier paragraphe de la page 1 de votre lettre.

Nous constatons également que, selon le Tribunal, les marchés canadien et américain sont distincts (p. 24) et que l'ordonnance ne vise que Chrysler Canada (p. 55), laquelle s'y conforme, à l'égard de M. Brunet, en attendant le dénouement de l'appel 6 . Le critère juridique applicable au prononcé d'une ordonnance de justification a été établi dans La Reine c. Perry 7 . Suivant cet arrêt, il incombe au juge saisi d'une demande visant à obtenir une ordonnance de justification de déterminer si les affidavits produits établissent, prima facie, que l'injonction ou

6 Ibid., pièce K. 7 [1982] 2 C.F. 519 à la p. 525 (C.A.F.).

- 11 -l'autre ordonnance en cause a été transgressée. Si tel est le cas, le juge doit rendre une ordonnance de justification, à moins que la preuve n'établisse clairement qu'il s'agit d'une violation insignifiante au point que le juge est absolument certain qu'il est inutile de la sanctionner.

Cette détermination comporte la question de savoir si, en tenant pour acquis que tous les faits relatés dans l'affidavit sont vrais, il y a matière à ce que la ou les défenderesses soient tenues de se justifier. À cet égard, il va de soi que le non-respect de l'esprit de l'ordonnance, tout comme le non-respect de ses dispositions littérales, constitue un outrage. Voici un extrait du jugement rendu dans l'affaire Dubiner v. Cheerio Toys and Games Ltd. :

[TRADUCTION] ... il ne convient pas de jouer au plus fin lorsqu'il s'agit de respecter une ordonnance d'un tribunal, mais ... une telle ordonnance doit toujours être respectée tant en ce qui concerne son esprit que sa lettre 8 . Dans Metaxas c. Le navire Galaxias, le tribunal fait remarquer ce qui suit : La Couronne (sic) est investie du pouvoir de sanctionner les outrages afin d'assurer le respect de la Cour et de ses actes et de

8 [1965] 2 R.C. de l'É. 488 à la p. 499.

- 12 ­veiller à ce qu'on obéisse aux ordres qu'elle prend, tant dans leur lettre que dans leur esprit 9 . Il va de soi qu'il n'est probablement pas facile d'exécuter une ordonnance du Tribunal comme celle qui fait l'objet des présentes. Toute ordonnance d'exécution intégrale qui touche à la conduite des parties permet malgré tout à celles-ci de se livrer à des activités qui vont manifestement à l'encontre de l'esprit de l'ordonnance, mais dont on peut prétendre qu'elles ne sont pas contraires aux dispositions « expresses » de l'ordonnance. Dans la présente affaire, l'ordonnance exige que Chrysler Canada fasse affaire avec M. Brunet comme elle le faisait avant le mois d'août 1986.

Le Tribunal tient à ce que ses ordonnances, en particulier celles qui portent sur le rétablissement de relations d'affaires, soient exécutées en s'efforçant de tenir compte du but et de l'esprit des ordonnances, et non en tentant de saisir toute occasion de les contourner de manière à les rendre inefficaces dans les faits. L'un des motifs pour lesquels la Cour suprême du Canada a jugé que le Tribunal avait compétence en matière de procédures pour outrage relativement à l'exécution de ses ordonnances est que le Tribunal a une certaine expertise dans les domaines

9 (8 avril 1988), T-2406-86, à la p. 4 (C.F. (1 re inst.)). (Version anglaise publiée dans (1988), 19 F.T.R. 104 à la p. 106.) Se reporter également à Canada Metal Co. v. Canadian Broadcasting Corp. (N o . 2) (1974), 4 O.R. (2 e ) 585 à la p. 603, 48 D.L.R. (3 e ) 641 (H.C.), conf. par (1975), 11 O.R. (2 e ) 167, 65 D.L.R. (3 e ) 231 (C.A.).

- 13 ­en cause 10 . Cette expertise englobe évidemment sa connaissance des difficultés inhérentes à l'exécution efficace d'une ordonnance comme celle qui fait l'objet de la présente demande. Il est donc peu probable que l'on fasse droit à un moyen de défense fondé sur la stricte formulation d'une ordonnance sans tenir compte de l'intention sous-jacente.

Toutefois, l'accusation d'outrage est une grave allégation et elle doit se fonder sur des éléments de preuve suffisamment explicites. De plus, dans un cas comme celui dont nous sommes saisis, le Tribunal aurait estimé préférable que le directeur communique avec l'avocat de Chrysler Canada pour lui faire part de ses préoccupations concernant le non-respect de l'ordonnance avant de faire une demande visant à obtenir une ordonnance de justification. Nous ne voulons pas dire qu'il convient, dans tous les cas, de donner à l'auteur d'un prétendu outrage un avis quant aux actes qu'on lui reproche avant de déposer une demande visant à obtenir une ordonnance de justification. Tel n'est évidemment pas le cas. Or, en l'espèce, le prétendu outrage consiste à saisir toute occasion de contourner l'ordonnance, de sorte que le Tribunal estime qu'il aurait été préférable de procéder ainsi.

10 Tribunal de la concurrence c. Chrysler Canada Ltée (25 juin 1992), 22151/22152 à la p. 12 (C.S.C.).

- 14 -En ce qui concerne les actes de Chrysler Canada qui, en l'espèce, constitueraient un outrage, deux membres du Tribunal sont d'avis que l'affidavit de M. Brunet constitue une preuve insuffisante pour conclure, prima facie, à un outrage 11 . Le juge qui préside ne partage pas cet avis. Les explications qui suivent, concernant le prétendu outrage de Chrysler Canada, correspondent à la décision majoritaire.

En ce qui a trait à l'allégation selon laquelle Chrysler Canada n'a pas rempli les commandes de M. Brunet en temps opportun, le Tribunal accepte que la déclaration de M. Brunet voulant que les commandes passées par l'intermédiaire d'un concessionnaire et celles passées directement à Chrysler Canada étaient « équivalentes » signifie que les pièces étaient équivalentes quant à leur disponibilité. Il est difficile de déterminer si la rapidité avec laquelle Chrysler Canada remplit les commandes des concessionnaires devrait être considérée comme le critère applicable pour déterminer si Chrysler Canada a rempli les commandes de M. Brunet en temps opportun. La situation de M. Brunet était et demeure unique. Il ne s'agit pas d'un concessionnaire. À première vue, le meilleur critère pour juger de l'exécution des commandes de M. Brunet par Chrysler Canada correspond aux pratiques qui avaient cours pendant les années ce dernier était en bons termes avec l'entreprise. Le fait que Chrysler Canada ait mis six semaines

11 M. le juge Martin n'est plus membre du Tribunal, mais sa décision a été consignée avant son départ.

- 15 ­à remplir une commande et qu'une deuxième demeurait inexécutée après ce délai a également été présenté au Tribunal sans que ce dernier ne dispose d'un contexte pour se prononcer. Quel est le point de comparaison applicable en la matière? S'agit-il d'un court ou d'un long délai compte tenu de l'expérience de M. Brunet? Étant donné l'absence de tout point de comparaison, il est impossible de déterminer si Chrysler Canada a ou n'a pas rempli en temps raisonnablement opportun les commandes passées par M. Brunet.

En ce qui concerne le différend relatif aux frais d'expédition et au lieu de livraison, il est clair que Montréal est beaucoup plus éloignée du dépôt de pièces Chrysler que ne l'est Hagersville. Le désaccord sur les frais de transport imputables à Chrysler Canada peut constituer une divergence d'opinions légitime et ne saurait être considéré comme une preuve prima facie d'outrage en l'absence de preuve plus précise quant aux circonstances du désaccord.

Suivant la preuve la plus récente présentée au Tribunal concernant les rapports de disponibilité, aucun n'est en suspens 12 . Aucune preuve n'a été présentée quant à savoir si les rapports reçus étaient suffisants ou transmis en temps opportun. La question de la procédure applicable aux commandes en retard demeure, semble-t-il, non résolue, mais elle a fait l'objet de discussions entre les

12 Affidavit de R. Brunet, 28 février 1990, au para. 3 (déposé par le directeur après l'audience).

- 16 -parties. Or, dans un cas comme dans l'autre, la preuve produite n'est pas suffisante pour obtenir une ordonnance de justification à l'égard de Chrysler Canada.

Quoi qu'il en soit, le Tribunal se demande si la manière dont Chrysler Canada respecte l'ordonnance traduit une volonté de s'y conformer véritablement. Bien qu'il existe un motif légitime de désaccord, une telle volonté ne semble pas se refléter dans son attitude vis-à-vis des frais de livraison. Il en va de même de la discussion relative aux commandes en retard. Dans une communication concernant la procédure applicable aux commandes en retard, Chrysler Canada propose d'annuler celles-ci si cela est « acceptable » à M. Brunet 13 . Il est difficile de concevoir pourquoi M. Brunet répondrait favorablement à une telle proposition, puisqu'il voyait auparavant ses commandes en retard exécutées. Il est également difficile d'imaginer que la remise de rapports de disponibilité par Chrysler Canada ait pu devenir une source de conflit avec M. Brunet.

L'ordonnance en cause est la première qu'a rendue le Tribunal à la suite de procédures contestées et elle enjoint à des personnes de rétablir une relation d'affaires contre leur gré. Au moment de l'audition de la requête visant à obtenir une ordonnance de justification, une période de temps relativement courte s'était écoulée depuis le prononcé de l'ordonnance. Compte tenu de la preuve qui lui est

13 Affidavit de R. Brunet, 19 février 1990, pièce M.

- 17 -présentée, la majorité du Tribunal estime que Chrysler Canada veut se conformer à l'ordonnance. Dans son affidavit produit en Cour d'appel à l'appui de la requête de Chrysler Canada visant à surseoir à l'audition de la requête qui fait l'objet des présentes et que son avocat a porté à l'attention du Tribunal, P. Richard Williams déclare qu'il croit que Chrysler Canada s'est conformée à l'ordonnance et instruit la Cour qu'elle continuera de le faire. Principal responsable des pièces au Canada, M. Williams fait part également qu'il s'engage à se mettre à la disposition de M. Brunet relativement à ses commandes et à faire « de son mieux » pour en accélérer celles-ci 14 . Compte tenu de ces facteurs, la majorité des membres qui ont entendu la demande visant à obtenir une ordonnance de justification en arrive à la conclusion que la preuve est insuffisante pour justifier le prononcé d'une telle ordonnance.

Pour ce qui concerne Chrysler É.-U. et M. Lerner, ceux-ci n'étaient pas officiellement représentés par un avocat devant le Tribunal. Par contre, l'avocat de Chrysler Canada a formulé certains arguments pour leur compte. Il a cependant précisé que ses observations étaient formulées pour le compte de Chrysler Canada dans la mesure cette entreprise était visée par l'allégation d'outrage dirigée

14 Affidavit de P.R. Williams, 26 février 1990, aux para. 13 et 19.

- 18 ­contre Chrysler É.-U. et M. Lerner. Il s'agit d'une position quelque peu difficile à soutenir. Même si l'avis de requête déposé par le directeur vise également Chrysler Canada en ce qui a trait au prétendu outrage de Chrysler É.-U. et de M. Lerner, le directeur n'a pas donné suite à cette allégation dans sa plaidoirie. Le Tribunal juge néanmoins souhaitable d'examiner ces arguments avant même de se prononcer sur la question de savoir si Chrysler É.-U. ou M. Lerner ont reconnu la compétence du Tribunal. (La demande présentée par le directeur en vue d'obtenir une ordonnance de justification est accompagnée d'une demande d'autorisation de signifier ex juris l'ordonnance de justification à Chrysler É.-U. et à M. Lerner.)

L'avocat de Chrysler Canada a demandé au Tribunal d'examiner attentivement deux éléments de l'ordonnance demandée à l'égard de Chrysler É.-U. et de M. Lerner : 1) le prétendu outrage est lié à l'appel interjeté devant la Cour d'appel fédérale et, par conséquent, il appartient à cette cour, et non au Tribunal, de statuer sur la demande visant à obtenir une ordonnance de justification et 2) la preuve selon laquelle Chrysler É.-U. aurait refusé de vendre des pièces à M. Brunet « en raison de l'appel » et que l'avocat de ce dernier aurait communiquer avec les avocats de Chrysler est tout simplement insuffisante pour conclure que ces mesures ont été prises dans le but d'exercer des pressions sur M. Brunet afin qu'il incite le directeur à transiger relativement à l'appel. À cet égard, l'avocat fait valoir que le Tribunal ne dispose pas de preuve suffisante pour lui permettre de conclure, prima facie, à l'existence d'un outrage.

- 19 -Seul le deuxième argument doit être examiné. L'ordonnance du 13 octobre 1989 ne vise que Chrysler Canada et le marché canadien. Il n'existe aucune allégation voulant que Chrysler É.-U. ou M. Lerner ait tenté d'inciter Chrysler Canada à transgresser l'ordonnance ou bien de l'influencer. Le refus d'approvisionner M. Brunet en pièces aux États-Unis ne saurait constituer en soi une violation de l'ordonnance du Tribunal. Pour que cette question puisse relever de notre compétence, il faut établir que les mesures prises par Chrysler É.-U. et M. Lerner avaient pour objectif de compromettre l'exécution de l'ordonnance du Tribunal. Les affidavits produits révèlent que le refus de fournir des pièces était « en raison de l'appel » et que M. Brunet avait été invité à faire en sorte que son avocat se mette en rapport avec les avocats de Chrysler. Un entretien téléphonique a en effet eu lieu entre ceux-ci, mais le Tribunal en ignore le contenu. La lettre de l'avocat de Chrysler Canada envoyée à l'avocat du directeur, produite au dossier du Tribunal, révèle que même si l'avocat de Chrysler avait parlé à l'avocat de M. Brunet, il n'était pas au courant des allégations de M. Brunet. Dans ce contexte, on soutient que la crainte de M. Brunet selon laquelle on refusait de lui fournir des pièces aux États-Unis afin de l'inciter à transiger relativement à l'appel, et non pour des raisons commerciales légitimes, ne soit que pure spéculation 15 . Le Tribunal convient du bien-fondé de cet argument. À son avis, la preuve produite ne lui

15 Se reporter à ce sujet à Imperial Chemical Industries Inc. c. Apotex Inc. (1989) 2 C.F. 608.

- 20 ­permet pas de conclure que les actes de Chrysler É.-U. et de M. Lerner avaient pour but d'influencer le déroulement de l'appel.

Étant donné cette conclusion, il n'est pas nécessaire de déterminer si le Tribunal a compétence pour se prononcer sur l'outrage dont se seraient rendus coupables Chrysler É.-U. et M. Lerner ou sur la question de savoir s'il aurait été plus approprié que la Cour d'appel fédérale soit saisie de l'affaire.

En conséquence, la demande visant à obtenir une ordonnance de justification est rejetée. Le Tribunal tient cependant à insister sur le fait que sa décision n'empêche pas le directeur de faire une nouvelle demande visant à obtenir une ordonnance de justification relativement aux mêmes faits en litige dans la présente affaire, advenant qu'il ait d'autres éléments de preuve à fournir, ou relativement à des actes subséquents qui pourraient constituer un outrage, le cas échéant.

FAIT à Ottawa, ce 22 ième jour de septembre 1992. Signé au nom du Tribunal par le juge présidant. (s) B. Reed B. Reed

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