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Tribunal de la Concurrence

Competition Tribunal

VERSION PUBLIQUE

TRADUCTION OFFICIELLE

Référence : Le commissaire de la concurrence c Autorité aéroportuaire de Vancouver, 2019 Trib Conc 6

No de dossier : CT-2016-015

No de document du greffe : 433

AFFAIRE concernant une demande du commissaire de la concurrence en vue d’obtenir une ou plusieurs ordonnances fondées sur l’article 79 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C‐34, et ses modifications successives;

ENTRE :

Le commissaire de la concurrence

(demandeur)

et

L’Autorité aéroportuaire de Vancouver

(défenderesse)

Dates d’audience : du 2 au 5, les 9 et 10, du 15 au 17 et les 30 et 31 octobre, ainsi que les 1er et 2 et du 13 au 15 novembre 2018

Devant : le juge D. Gascon (président), le juge en chef P. Crampton et M. D. McFetridge

Date des motifs de l’ordonnance et ordonnance : 17 octobre 2019

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE


 

Table des matières

 

I. SOMMAIRE 6

II. INTRODUCTION ET SURVOL 7

A. Les parties 7

B. L’article 79 de la Loi 7

C. Les actes de procédure des parties 8

D. L’historique procédural 10

III. LE CONTEXTE FACTUEL 12

A. YVR 12

B. L’AAV 13

C. Les revenus et les frais de l’Aéroport 14

D. Les sociétés aériennes 16

E. Les services de restauration à bord 17

F. Les entreprises de services de restauration à bord 18

G. Les entreprises de services de restauration à bord à YVR 22

H. Les événements de 2013-2015 23

I. La DP de 2017 24

IV. UN SURVOL DES ÉLÉMENTS DE PREUVE 24

A. Les témoins ordinaires 24

(1) Le commissaire 24

(2) L’AAV 26

B. Les témoins experts 27

(1) Le commissaire 27

(2) L’AAV 28

(a) L’admissibilité d’un témoignage d’expert 29

(b) Le témoignage de M. Tretheway 31

C. Les éléments de preuve documentaires 34

V. LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES 34

A. L’admissibilité de certains éléments de preuve 34

(1) Les règles de preuve qu’applique le Tribunal 35

(2) Les témoignages d’opinion de profanes 38

(3) Les preuves par ouï-dire 40

(4) Conclusion 42

B. Les modifications tardives qui auraient été apportées aux actes de procédure 42

(1) Le cadre analytique 43

(2) L’expansion des marchés pertinents 44

(3) Un motif supplémentaire pour l’ICP de l’AAV 46

(4) Conclusion 46

VI. LES QUESTIONS EN LITIGE 46

VII. ANALYSE 47

A. La DCR a-t-elle pour effet d’exempter ou de mettre à l’abri l’AAV de l’application de l’article 79 au motif que la conduite reprochée a été entreprise dans le cadre d’un mandat législatif ou réglementaire validement adopté? 47

1) La DCR 48

2) Les positions des parties 51

a) L’AAV 51

b) Le commissaire 52

3) L’évaluation 52

a) Les mots accordant la latitude requise sont‐ils présents? 52

(i) Le libellé de l’article 79 53

(ii) Les fondements qui sous-tendent la DCR 56

(iii) La conclusion au sujet des mots accordant la latitude requise 60

b) La conduite est-elle prescrite, ordonnée ou permise par une loi ou un régime réglementaire validement adopté? 60

(i) La conduite permise par un régime législatif fédéral 60

(ii) Les motifs invoqués par l’AAV 63

(iii) La conclusion sur le second volet de la DCR 68

4) Conclusion 68

B. Pour les besoins de la présente instance, quel est ou quels sont le ou les marchés pertinents? 69

1) Le cadre analytique 69

2) La dimension « produits » 71

a) Les positions des parties 71

b) Le marché de l’accès au côté piste 72

c) Le marché des services de manutention 74

(i) Le cadre du monopoleur hypothétique 75

(ii) Les preuves étayant l’existence d’un marché pertinent distinct 77

(iii) La conclusion au sujet du marché des services de manutention 86

3) La dimension géographique 88

a) Les positions des parties 88

b) Le marché de l’accès au côté piste 89

c) Le marché des services de manutention 89

(i) Les services de restauration en double 90

(ii) L’autoapprovisionnement 93

(iii) La conclusion sur le marché des services de manutention 96

4) Conclusion 96

C. L’AAV contrôle-t-elle sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises dans l’une des régions du Canada, comme l’envisage l’alinéa 79(1)a) de la Loi? 96

1) Le cadre analytique 97

2) Les positions des parties 98

a) Le commissaire 98

b) L’AAV 98

3) L’évaluation 99

a) Le marché de l’accès au côté piste 99

b) Le marché des services de manutention 102

4) Conclusion 103

D. L’AAV se livre-t-elle ou s’est-elle livrée à une pratique d’agissements anticoncurrentiels, comme l’envisage l’alinéa 79(1)b) de la Loi? 103

(1) L’AAV a-t-elle un ICP dans le marché pertinent où le commissaire a allégué qu’une pratique d’agissements anticoncurrentiels a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence? 104

a) Le sens du mot « plausible » 104

b) Les positions des parties 106

(i) Le commissaire 106

(ii) L’AAV 107

c) L’évaluation 108

(i) Les observations du commissaire 108

(ii) Les observations de l’AAV 111

d) La conclusion 115

(2) La « nature générale » de la conduite reprochée de l’AAV était-elle anticoncurrentielle ou légitime? Dans la dernière éventualité, est-ce toujours le cas? 115

a) Le cadre analytique 116

b) Les positions des parties 118

(i) Le commissaire 119

(ii) L’AAV 119

c) L’évaluation 121

(i) La « pratique » 121

(ii) L’intention d’exclure et les effets raisonnablement prévisibles 121

(iii) Le fait de rattacher l’accès au côté piste à la location à bail de terrains à YVR 122

(iv) Les justifications de l’AAV quant à la conduite exclusionnaire 122

(v) La « nature générale » de la conduite de l’AAV 144

d) Conclusion 145

E. La conduite reprochée a-t-elle eu pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans le marché qui est pertinent aux fins de l’alinéa 79(1)c) de la Loi, ou a-t-elle ou aura-t-elle vraisemblablement cet effet? 146

1) Le cadre analytique 146

2) Les positions des parties 149

a) Le commissaire 149

b) L’AAV 150

3) L’évaluation 152

a) Les effets anticoncurrentiels allégués 152

(i) L’entrée sur le marché 152

(ii) Les changements de fournisseur 154

(iii) Les effets sur les prix 158

(iv) L’innovation et la concurrence dynamique 174

(v) La conclusion 178

b) L’importance, la durée et la portée 179

4) La conclusion 182

VIII. LA CONCLUSION 182

IX. LES DÉPENS 182

X. L’ORDONNANCE 185


 

 

I. SOMMAIRE

[1] Le 29 septembre 2016, le commissaire de la concurrence (le « commissaire ») a déposé un avis de demande (la « demande »), en vue d’obtenir réparation contre l’Autorité aéroportuaire de Vancouver (l’« AAV ») en application de l’article 79 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34 (la « Loi »), communément appelée la disposition relative à l’abus de position dominante de la Loi. La demande a trait à la décision de l’AAV de n’autoriser que deux entreprises de services de restauration à bord des aéronefs à exploiter leurs activités à l’Aéroport international de VancouverYVR » ou l’« Aéroport »), ainsi qu’à son refus de délivrer des permis à de nouveaux fournisseurs de ces services. L’AAV est chargée de la gestion et de l’exploitation de YVR.

[2] Le commissaire prétend qu’en limitant le nombre de fournisseurs de services de restauration à bord des aéronefs à YVR, en empêchant l’entrée de nouvelles entreprises sur le marché de ces services à l’Aéroport et en privant ce marché des avantages de la concurrence, l’AAV s’est livrée à une pratique d’agissements anticoncurrentiels qui a eu, ou aura vraisemblablement, pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. De l’avis du commissaire, les services de restauration à bord des aéronefs commerciaux comprennent l’achat et la préparation des aliments qui sont servis aux passagers (les « services de restauration à bord ») ainsi que le chargement de ces aliments à bord des aéronefs et leur déchargement (les « services de manutention liés aux cuisines des aéronefs » ou, par souci de concision, les « services de manutention »).

[3] L’AAV répond qu’elle a agi en tout temps d’une manière conforme au mandat que lui confère la loi, lequel consiste à gérer et à exploiter YVR de manière à favoriser l’intérêt du public, et que la doctrine de la conduite réglementée (la « DCR ») soustrait les pratiques contestées de l’application de l’article 79 de la Loi. Elle affirme de plus qu’elle n’exerce aucun contrôle sur les marchés des services de manutention ou de l’accès au côté piste allégués à YVR et qu’étant donné qu’elle ne participe pas à la prestation des services de restauration à bord elle n’a aucun intérêt concurrentiel plausible (« ICP ») au sein du marché des services de manutention. Elle ajoute qu’elle a une justification commerciale légitime pour ne pas autoriser d’autres entreprises de services de restauration à bord à exploiter leurs activités à YVR. En bref, elle indique que cela mettrait en péril la viabilité des deux entreprises qui sont actuellement en place à l’Aéroport. Elle soutient qu’elle ne visait aucun objectif anticoncurrentiel et que sa décision de limiter le nombre des fournisseurs de services de restauration à YVR n’a pas, et n’aura vraisemblablement pas, pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché pertinent quelconque.

[4] Pour les raisons qui suivent le Tribunal rejettera la demande du commissaire. Ce dernier n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que l’on a satisfait aux trois éléments de l’article 79. Le Tribunal [1] conclut tout d’abord que, dans les circonstances de l’espèce, la DCR ne met pas l’AAV à l’abri de l’application de l’article 79 la conduite qui lui est reprochée. Le Tribunal conclut par ailleurs que l’AAV contrôle sensiblement ou complètement la fourniture des services de manutention à YVR, au sens de l’alinéa 79(1)a) de la Loi. Toutefois, même si les membres judiciaires du Tribunal sont d’avis que l’AAV a un ICP dans le marché pertinent, le Tribunal a conclu à l’unanimité que l’AAV ne s’est pas livrée à une pratique d’agissements anticoncurrentiels, comme l’envisage l’alinéa 79(1)b). Le Tribunal est convaincu que l’AAV a, et continue d’avoir, une justification commerciale légitime pour sa décision de limiter le nombre d’entreprises de services de restauration à bord à YVR. Cette dernière conclusion est suffisante pour rejeter la demande du commissaire. Le Tribunal conclut également que le commissaire n’a pas établi que la conduite de l’AAV a eu, ou aura vraisemblablement, pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence, comme l’envisage l’alinéa 79(1)c). Il arrive à cette conclusion après avoir jugé que la conduite de l’AAV n’a pas sensiblement diminué le degré de concurrence par les prix ou par des éléments hors prix dans le cadre de la fourniture des services de manutention à YVR, par rapport au degré de concurrence qu’il y aurait vraisemblablement eu, n’eût été d’une telle conduite.

II. INTRODUCTION ET SURVOL

A. Les parties

[5] Le commissaire de la concurrence est l’agent de l’État nommé par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 7 de la Loi en vue d’assurer et de contrôler l’application de cette dernière.

[6] L’AAV est une société à but non lucratif constituée en 1992 sous le régime de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes, LRC (1970), c C-32, et prorogée en 2013 sous le régime de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, LC (2009), c 23. Elle gère et exploite YVR dans le cadre d’un bail foncier conclu le 30 juin 1992 avec le gouvernement du Canada, représenté par le ministre des Transports (le « bail foncier de 1992 »).

B. L’article 79 de la Loi

[7] Aux termes du paragraphe 79(1) de la Loi, le Tribunal peut rendre une ordonnance interdisant à l’une quelconque des personnes décrites à l’alinéa 79(1)a) de se livrer à une pratique décrite à l’alinéa 79(1)b) s’il conclut, selon la prépondérance des probabilités, à l’existence des trois éléments qui sont énoncés dans cette disposition :

a) Une ou plusieurs personnes contrôlent sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises à la grandeur du Canada ou d’une de ses régions;

b) cette personne ou ces personnes se livrent ou se sont livrées à la pratique d’agissements anticoncurrentiels en question;

c) la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché.

[8] Les trois éléments qui précèdent doivent chacun être évalués de façon indépendante. Dans l’arrêt Canada (Commissaire de la concurrence) c Tuyauteries Canada Ltée, 2006 CAF 233 (l’« arrêt Tuyauteries Canada CAF »), autorisation d’interjeter appel auprès de la CSC refusée par 31637 (10 mai 2007), la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a souligné que dans les affaires d’abus de position dominante le Tribunal se doit d’éviter « le danger que représente pour l’interprétation l’inacceptable érosion ou fusion des critères juridiques distincts qui doivent la guider » (arrêt Tuyauteries Canada CAF, au par. 28). Cependant, les mêmes preuves peuvent être pertinentes pour plus d’un seul élément (arrêt Tuyauteries Canada CAF, aux par. 27 et 28).

[9] Aux termes du paragraphe 79(2), si une ordonnance n’aura vraisemblablement pas pour effet de rétablir la concurrence dans un marché, le Tribunal peut, en sus ou au lieu de rendre l’ordonnance prévue au paragraphe 79(1), rendre une ordonnance enjoignant à l’une ou l’autre ou à l’ensemble des personnes visées par la demande d’ordonnance de prendre les mesures qui se révèlent raisonnables et nécessaires pour enrayer les effets de la pratique en cause sur le marché dans lequel le Tribunal a conclu que l’on a satisfait aux trois éléments susmentionnés.

[10] Il incombe au commissaire de satisfaire aux trois éléments énoncés au paragraphe 79(1), et le Tribunal est tenu de rendre une décision favorable à l’égard de chacun de ces éléments avant qu’il puisse rendre une ordonnance (Toronto Real Estate Board c Commissaire de la concurrence, 2017 CAF 236 (l’« arrêt TREB CAF »), au par. 48, autorisation d’interjeter appel auprès de la CSC refusée par 37932 (23 août 2018); arrêt Tuyauteries Canada CAF, aux par. 27 et 28). Pour ce qui est de chacun de ces éléments, le fardeau de preuve est la norme civile, c’est-à-dire la prépondérance des probabilités (arrêt TREB CAF, au par. 48; arrêt Tuyauteries Canada CAF, au par. 46).

[11] Le texte intégral de l’article 79 de la Loi, ainsi que celui de l’article 78, qui énumère une liste non exhaustive d’agissements anticoncurrentiels, est reproduit à l’annexe « A » de la présente décision.

C. Les actes de procédure des parties

[12] Dans sa demande, le commissaire allègue que les trois éléments auxquels il est nécessaire de satisfaire en vertu du paragraphe 79(1) de la Loi sont réunis.

[13] Pour ce qui est de l’alinéa 79(1)a), le commissaire soutient qu’il y a, dans la présente demande, deux marchés de produits : 1) le marché de la fourniture des services de manutention liés aux cuisines des aéronefs à YVR (le « marché des services de manutention »), au sens où ces services sont définis par le commissaire, et 2) le marché de l’accès au côté piste en vue de la fourniture des services de manutention (le « marché de l’accès au côté piste »). Le commissaire soutient de plus que le marché géographique pertinent est YVR. Il prétend que l’AAV contrôle sensiblement ou complètement le marché de l’accès au côté piste à YVR, de même que celui des services de manutention à l’Aéroport.

[14] Pour ce qui est de l’alinéa 79(1)b) de la Loi, le commissaire affirme que l’AAV s’est livrée ou se livre à une pratique d’agissements anticoncurrentiels en recourant à deux formes de conduite exclusionnaire (collectivement, les « pratiques ») : premièrement, en refusant de manière continue de donner accès au côté piste de YVR à de nouvelles entreprises en vue de la fourniture des services de manutention à l’Aéroport (la « conduite exclusionnaire »); deuxièmement, en rattachant de façon continue l’accès au côté piste de l’aéroport en vue de la fourniture des services de manutention à la location à bail d’un terrain aéroportuaire auprès de l’AAV en vue de l’exploitation d’installations de cuisine destinées aux services de restauration. En fin de compte, dans la présente instance, le commissaire a mis principalement l’accent sur la première pratique d’agissements anticoncurrentiels alléguée, à savoir la conduite exclusionnaire. Le Tribunal signale qu’au début de 2018 l’AAV a délivré un permis à un nouveau fournisseur de services de restauration à bord, appelé dnata Catering Services Ltd. (« dnata »), qui était censée entreprendre ses activités en 2019 à partir d’une cuisine dite « de l’air » située à l’extérieur des terrains aéroportuaires de YVR.

[15] Le commissaire allègue qu’avant que dnata reçoive un permis en 2018, aucune nouvelle entreprise n’était entrée sur le marché des services de restauration à bord à YVR depuis plus de 20 ans. Il soutient de plus qu’en 2014 l’AAV a rejeté les demandes de deux nouvelles entreprises, qui sont toutes deux bien implantées dans d’autres aéroports canadiens. Il ajoute que l’AAV a refusé d’autoriser l’entrée sur le marché de nouvelles entreprises en faisant fi des objections de plusieurs sociétés aériennes, qui lui avaient fait part de leur souhait que la concurrence soit plus vive dans les services de restauration à bord à YVR. Il soutient également que l’AAV a un intérêt commercial à écarter la concurrence au sein du marché de la fourniture de services de manutention à YVR, à cause des paiements de loyer et des redevances de concession que lui versent les entreprises de services de restauration à bord. Quant aux explications données par l’AAV pour sa conduite exclusionnaire, le commissaire fait valoir qu’aucune ne constitue une justification commerciale légitime.

[16] Enfin, le commissaire allègue que la conduite de l’AAV a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans le marché applicable. Il ajoute que, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV, le marché de la fourniture de services de manutention à YVR aurait été nettement plus concurrentiel, grâce, notamment, à des prix nettement inférieurs, à nettement plus d’innovations ou à des modèles d’affaires nettement plus efficients, ainsi qu’à une qualité de service nettement supérieure.

[17] Pour ce qui est des éléments qui précèdent, le commissaire demande au Tribunal de remédier l’empêchement allégué ou à la diminution sensible de la concurrence alléguée de trois façons générales. Premièrement, en interdisant à l’AAV de se livrer directement ou indirectement aux pratiques en cause. Deuxièmement, en obligeant l’AAV à autoriser l’accès au côté piste, à des conditions non discriminatoires, à n’importe quelle entreprise de services de restauration à bord qui répond aux exigences habituelles en matière de santé, de sécurité, de sûreté et de rendement, dans le but de fournir des services de manutention. Troisièmement, en ordonnant à l’AAV de prendre des mesures quelconques, ou de s’abstenir d’en prendre, selon le cas, pour donner effet aux interdictions et aux exigences qui précèdent. Le commissaire souhaite également que le Tribunal ordonne à l’AAV de payer les dépens qu’il a engagés et d’établir (et de maintenir par la suite) un programme de conformité de l’entreprise.

[18] Dans sa réponse, l’AAV demande au Tribunal de rejeter la demande du commissaire, avec dépens. En bref, elle soutient que : 1) la demande ne tient pas compte du fait que l’AAV agit d’une manière conforme au mandat que lui prescrit la Loi, soit d’exploiter YVR de manière à promouvoir l’intérêt du public et, dans ce contexte, l’article 79 de la Loi ne s’applique pas en raison de la DCR; 2) l’AAV ne contrôle pas sensiblement ou complètement le marché de l’accès au côté piste allégué dans le but de fournir des services de manutention; 3) l’AAV ne fournit pas elle-même de services de manutention, pas plus qu’elle n’a un intérêt commercial dans une entité quelconque qui fournit ces services à YVR et, de ce fait, elle ne contrôle pas sensiblement ou complètement le marché des services de manutention; 4) l’AAV n’a aucun ICP dans ce marché; 5) l’AAV a été en tout temps animée par le souhait de préserver et de favoriser la concurrence et elle avait une justification commerciale valide pour restreindre le nombre d’entreprises de services de restauration à bord qui était à la fois proconcurrentielle et porteuse de gains d’efficience; 6) les pratiques de l’AAV n’ont pas eu ou n’auront vraisemblablement pas pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.

[19] Dans sa réplique, le commissaire met en doute la justification commerciale légitime qu’avance l’AAV et sa prétention selon laquelle elle agissait dans l’« intérêt du public ». Il soutient que la DCR ne s’applique pas, en partie parce qu’aucune disposition législative n’oblige ou n’autorise spécifiquement l’AAV à se livrer aux pratiques anticoncurrentielles. Le commissaire soutient de plus que les explications que l’AAV a données pour justifier sa conduite exclusionnaire ne constituent pas des raisons proconcurrentielles ou d’efficience crédibles qui sont indépendantes des effets anticoncurrentiels et exclusionnaires de sa conduite. Il souligne également que c’est la concurrence et non l’AAV qui devrait déterminer le nombre et l’identité des entreprises de services de restauration de bord qui exploitent leurs activités à YVR. Il conteste finalement la position de l’AAV selon laquelle un marché concurrentiel pour les services de restauration de bord, fournis seulement par un nombre restreint de fournisseurs, est plus concurrentiel parce que les entreprises en place se trouveraient vraisemblablement dans une situation financière plus solide et seraient capables d’offrir aux sociétés aériennes l’éventail complet des services de restauration à bord.

D. L’historique procédural

[20] La décision que le Tribunal a rendue en l’espèce fait suite à un long historique procédural, ponctué par de nombreuses requêtes interlocutoires et ordonnances portant sur la communication préalable de documents par le commissaire, ainsi que sur des questions relatives aux interrogatoires préalables.

[21] Conformément à l’ordonnance établissant le calendrier que le Tribunal a rendu en décembre 2016, le commissaire a signifié à l’AAV son affidavit de documents en février 2017. Cet affidavit dressait la liste de tous les documents qui se rapportaient aux questions en litige dans la présente demande et qui se trouvaient en sa possession ou sous son autorité ou sa garde. Cet affidavit était divisé en trois annexes : i) l’annexe A, pour les documents qui ne contenaient pas de renseignements confidentiels; ii) l’annexe B, pour les documents qui, d’après le commissaire, contenaient des renseignements confidentiels et pour lesquels aucun privilège n’était revendiqué ou pour lesquels le commissaire avait renoncé au privilège aux fins de la demande; iii) l’annexe C, pour les dossiers qui, affirme le commissaire, contenaient des renseignements confidentiels et pour lesquels au moins un privilège (secret professionnel de l’avocat, privilège relatif au litige ou privilège de l’intérêt public) était revendiqué. L’affidavit de documents original a été modifié et complété un certain nombre de fois par le commissaire (collectivement, l’« ADO »).

[22] En mars 2017, l’AAV a contesté les revendications de privilège d’intérêt public du commissaire à l’égard de documents contenus à l’annexe C de l’ADO et elle a demandé que ces documents lui soient communiqués. L’AAV a soutenu que les revendications de privilège du commissaire avaient un effet préjudiciable sur le droit qu’elle avait de présenter une défense pleine et entière, ainsi que sur son droit à une audience équitable. Cette demande a donné lieu à une décision du Tribunal datée du 24 avril 2017 (Le commissaire de la concurrence c Autorité aéroportuaire de Vancouver, 2017 Trib conc 6 (la « Décision sur le privilège du TC »)). Dans cette décision, le Tribunal a confirmé la revendication, par le commissaire, d’un privilège générique relatif à l’intérêt public à l’égard des documents contestés. L’AAV a porté cette décision en appel auprès de la CAF et, par une décision datée du 24 janvier 2018, celle-ci a infirmé les conclusions antérieures du Tribunal et renvoyé la requête en divulgation au Tribunal en vue d’une nouvelle décision (Autorité aéroportuaire de Vancouver c Commissaire de la concurrence, 2018 CAF 24 (l’« arrêt Décision sur le privilège de la CAF »)). La CAF a décrété qu’il y avait lieu d’évaluer au cas par cas les revendications de privilège relatif à l’intérêt public.

[23] Dans l’intervalle, le commissaire a fourni à l’AAV des sommaires des faits qu’il avait obtenus de sources tierces au cours de son enquête préalable à la demande et qui étaient contenus dans les documents pour lesquels le commissaire avait revendiqué un privilège relatif à l’intérêt public (les « sommaires »). La première version des sommaires a été produite en avril 2017. Insatisfaite du degré de détail fourni dans les sommaires, l’AAV a présenté une requête visant à en contester le caractère approprié et l’exactitude. En juillet 2017, le Tribunal a rendu sa décision sur la requête relative aux sommaires de l’AAV (Le commissaire de la concurrence c Autorité aéroportuaire de Vancouver, 2017 Trib conc 8). Dans la décision, le Tribunal a rejeté la requête de l’AAV et conclu que cette dernière n’avait pas établi le bien-fondé d’une communication supplémentaire et meilleure d’indications de source dans les sommaires, même sous forme restreinte ou avec accès restreint.

[24] En septembre 2017, l’AAV a déposé une requête visant à contraindre le commissaire à répondre à plusieurs questions qui avaient été rejetées lors de l’interrogatoire préalable de son représentant. En octobre 2017, le Tribunal a publié sa décision sur la requête en refus de l’AAV (Le commissaire de la concurrence c Autorité aéroportuaire de Vancouver, 2017 Trib conc 16). Cette décision a fait droit à la requête en partie et il a été ordonné que le représentant du commissaire réponde à certaines questions, conformément aux lignes directrices établies dans cette décision.

[25] Après que le commissaire eut renoncé à son privilège relatif à l’intérêt public à l’égard de tous les renseignements pertinents fournis par les témoins comparaissant en son nom, des renseignements à la fois utiles et inutiles pour le commissaire, dont certains renseignements sur lesquels ce dernier ne s’était pas fondé, l’AAV a déposé une requête en décembre 2017 afin de pouvoir soumettre le représentant du commissaire à un interrogatoire supplémentaire. Dans sa décision (Le commissaire de la concurrence c Autorité aéroportuaire de Vancouver, 2017 Trib conc 20), le Tribunal a fait droit en partie à cette requête. Il a décrété que, en raison de la communication tardive, par le commissaire, des documents ayant fait l’objet d’une renonciation, de pair avec le grand nombre de documents en cause, l’équité exigeait que l’on accorde plus de temps à l’AAV pour passer en revue et assimiler les renseignements de façon à pouvoir préparer comme il faut son dossier en réponse.

[26] Après que la CAF eut rendu sa décision sur le privilège de la CAF à la fin de janvier 2018 et rejeté le privilège générique relatif à l’intérêt public du commissaire, le Tribunal a suspendu l’ordonnance établissant le calendrier et reporté l’audience qui était censée commencer au début de février 2018. L’audience a été reportée aux mois d’octobre et de novembre 2018.

[27] En septembre 2018, l’AAV a déposé une requête pour s’opposer à l’admissibilité de certaines parties de deux déclarations de témoin que le commissaire avait déposées, au motif qu’elles constituaient un témoignage d’opinion irrégulier de la part de témoins ordinaires ou du ouï-dire inadmissible. Cette requête avait trait aux déclarations de Mme Barbara Stewart, ancienne directrice principale de l’approvisionnement chez Air Transat A.T. Inc. (« Air Transat »), et de Mme Rhonda Bishop, directrice des services en vol et des produits à bord de Jazz Aviation LP (« Jazz »). Le Tribunal a rejeté la requête de l’AAV et a déclaré qu’il serait mieux placé à l’audience pour décider si les éléments de preuve contestés constituaient ou non un témoignage d’opinion irrégulier ou du ouï-dire inadmissible (Le commissaire de la concurrence c Autorité aéroportuaire de Vancouver, 2018 Trib conc 15 (la « Décision relative à l’admissibilité »)). La requête de l’AAV a donc été rejetée, mais sous réserve de son droit de présenter une autre requête à l’audience, suite aux contre-interrogatoires de Mme Stewart et de Mme Bishop, relativement à l’admissibilité de leur témoignage.

[28] L’audience s’est déroulée à Ottawa et à Vancouver, entre le 2 octobre et le 15 novembre 2018.

III. LE CONTEXTE FACTUEL

A. YVR

[29] YVR est situé sur l’île Sea, à une distance d’environ 12 kilomètres du centre-ville de Vancouver. L’île Sea n’est accessible depuis la Ville de Vancouver que par un pont et, depuis la Ville de Richmond, par trois ponts. Ces ponts agissent souvent comme des goulots d’étranglement, ce qui ralentit considérablement l’accès à l’aéroport, notamment aux heures de pointe de la circulation. De plus, les véhicules qui accèdent au côté piste de l’Aéroport doivent tout d’abord franchir un point de contrôle de sécurité, et les occupants de ces véhicules sont soumis eux aussi à des contrôles de sécurité.

[30] YVR est le deuxième aéroport le plus achalandé au Canada en déplacements d’aéronefs et en nombre de passagers. En 2017, il a servi plus de 24 millions de passagers et 55 sociétés aériennes, et offrait des liaisons vers 127 destinations. Depuis les quatre dernières années, YVR avait le taux de croissance le plus élevé sur le plan des destinations des passagers parmi les grands aéroports du Canada. Ces dernières années, il y a eu une croissance marquée du nombre des passagers venant de Chine, et plus de sociétés aériennes chinoises exploitent aujourd’hui leurs activités à YVR que dans n’importe quel autre aéroport des Amériques ou de l’Europe.

[31] Quand YVR a été établi, la Ville de Vancouver était propriétaire des terrains, et elle a exploité l’Aéroport de 1931 à 1962. En 1962, Vancouver a vendu les terrains et l’installation aéroportuaire au gouvernement du Canada. De 1962 à 1992, c’est le gouvernement du Canada qui a exploité l’Aéroport. En 1992, l’AAV a été créée et le gouvernement du Canada lui a transféré la responsabilité de l’exploitation de l’Aéroport. Ce transfert a été fait dans le cadre d’un choix de politique fait par le gouvernement fédéral pour céder le contrôle opérationnel des grands aéroports à des organismes communautaires.

B. L’AAV

[32] Le 19 mars 1992, par le décret no C.P. 1992-18/501 (le « décret de 1992 »), le gouverneur en conseil a autorisé le ministre des Transports à conclure une entente en vue de transférer à l’AAV la gestion, l’exploitation et l’entretien de l’Aéroport. Le 21 mai 1992, le gouverneur en conseil a pris le décret no C.P. 1992-1130 en vertu de la Loi relative aux cessions d’aéroport, LC 1992, c 5 (la « Loi relative aux cessions d’aéroport »), désignant l’AAV comme la société à laquelle le ministre de Transports était autorisé à transférer l’Aéroport. Ensuite, le 18 juin 1992, le gouverneur en conseil a pris le décret no C.P. 1992-1376 en vue d’autoriser le ministre des Transports à conclure un bail avec l’AAV, et ce, aux conditions prescrites dans un document joint en tant qu’annexe au décret. Ce document était une ébauche de bail foncier entre le ministère des Transports et l’AAV en vue de la location de YVR pour une durée de 60 ans. Les dispositions de l’ébauche de bail foncier sont identiques au bail foncier de 1992, qui a été signé en fin de compte le 30 juin 1992. Depuis cette date, c’est l’AAV qui exploite YVR, conformément aux dispositions du bail foncier de 1992.

[33] L’Énoncé des objectifs de l’AAV figure dans les Statuts de prorogation de l’AAV, lesquels sont datés du 21 janvier 2013 (les « Statuts de prorogation »). Les « objectifs » qui sont pertinents en l’espèce sont les suivants :

[traduction]
a) acquérir la totalité du bien comportant l’[Aéroport], ou un intérêt dans ce dernier, en vue d’entreprendre la gestion et l’exploitation de l’[Aéroport] d’une manière sûre et efficiente au bénéfice général du public;

b) entreprendre la mise en valeur des terrains de l’[Aéroport] en vue d’usages compatibles avec le transport aérien;

[...]

d) créer et suggérer des projets et des entreprises de développement économique, et y participer; ces projets et ces entreprises visent à étendre les installations de transport de la Colombie-Britannique, à contribuer à l’économie de la Colombie-Britannique ou à faciliter le déplacement de personnes et de marchandises entre le Canada et le reste du monde;

[...]

[34] L’AAV exploite ses activités dans un contexte commercial où elle doit toucher – et touche effectivement – des revenus supérieurs aux frais qu’engendre l’exploitation de YVR. Selon les états financiers consolidés et vérifiés de l’AAV, cette dernière a généré un excédent de revenus sur les dépenses d’environ 131,5 millions de dollars au cours de l’exercice terminé le 31 décembre 2015, de 85,1 millions de dollars au cours de l’exercice de 2016 et de 88,6 millions de dollars au cours de l’exercice de 2017. À titre de société à but non lucratif, et conformément à son mandat, l’AAV réinvestit tout excédent de revenus sur les dépenses qui peut s’accumuler au cours d’une année donnée dans des projets d’immobilisations destinés à l’Aéroport.

[35] Selon l’AAV, il lui incombe de gérer et d’exploiter YVR dans l’intérêt du public. Le commissaire reconnaît que l’AAV a conclu un contrat avec le ministre des Transports en vue d’exploiter YVR au bénéfice général du public. Il soutient toutefois que cela ne veut pas dire que l’AAV agit dans l’intérêt du public à toutes fins utiles.

[36] L’AAV dit s’acquitter du mandat d’intérêt public qui lui est conféré avec un succès remarquable. Quelle que soit la mesure utilisée – la croissance du nombre des passagers, la croissance du nombre des passagers sur la côte du Pacifique, la croissance du nombre de vols, la croissance du nombre de destinations desservies, l’efficacité de l’exploitation (mesurée par les revenus par passager, par les revenus par vol, par les dépenses d’exploitation par passager ou par les dépenses d’exploitation par vol), les initiatives écologiques, les investissements dans les transports publics, les engagements pris envers les Premières Nations ou les distinctions industrielles et gouvernementales accordées – l’AAV s’est acquittée de son mandat d’exploiter YVR de manière sûre et efficiente au bénéfice général du public, d’étendre les installations de transport de la Colombie-Britannique, de contribuer à l’économie de la Colombie-Britannique et, de façon plus générale, d’aider au déplacement de personnes et de marchandises entre le Canada et le reste du monde.

[37] L’AAV n’a pas d’actionnaires et la plupart des membres de son conseil d’administration sont nommés par divers échelons de gouvernement et organismes professionnels locaux, dont le gouvernement du Canada, la Ville de Vancouver, la Ville de Richmond, Metro Vancouver, la Chambre de commerce de la région métropolitaine de Vancouver, la Law Society of British Columbia, l’Institute of Chartered Accountants of British Columbia ainsi que l’Association of Professional Engineers and Geoscientists of British Columbia. De plus, il y a actuellement cinq membres qui agissent en tant qu’administrateurs « en général » (dont l’un est le président-directeur général (le « PDG ») de l’AAV, tandis que les autres sont des gens d’affaires locaux).

C. Les revenus et les frais de l’Aéroport

[38] Les autorités aéroportuaires telles que l’AAV tirent leurs revenus de sources diverses, dont des revenus aéronautiques, des revenus non aéronautiques et des frais d’amélioration aéroportuaires.

[39] Les revenus aéronautiques sont les frais que les autorités aéroportuaires facturent aux sociétés aériennes pour se poser à l’aéroport et utiliser ses services, dont les droits d’atterrissage et les droits d’aérogare. Le Tribunal comprend que les droits aéronautiques que l’AAV facture aux sociétés aériennes sont inférieurs à ceux que facturent d’autres grands aéroports en Amérique du Nord.

[40] Les revenus non aéronautiques comprennent ceux que génèrent les droits de concession que les autorités aéroportuaires facturent aux diverses entreprises de services qui exploitent leurs activités à l’aéroport, les revenus des stationnements d’automobiles, ainsi que les loyers relatifs aux aérogares et aux terrains. Les frais facturés aux entreprises de services de restauration à bord font partie de ces revenus non aéronautiques.

[41] L’accès au côté piste de l’aéroport est nécessaire pour fournir des services tels que la manutention des bagages et les services de manutention qui se rapportent aux cuisines des aéronefs. Le « côté piste » comprend la partie du terrain d’un aéroport qui se trouve à l’intérieur du périmètre de sécurité. Il inclut les pistes et les voies de circulation, de même que l’aire de trafic où, notamment, les aéronefs sont garés, les produits de restauration et les fournitures accessoires, ainsi que les bagages et les marchandises, sont chargés et déchargés, et où les passagers montent à bord des aéronefs. Les autorités aéroportuaires sont les seules entités qui peuvent autoriser un fournisseur de services à accéder au côté piste de l’aéroport. Habituellement, les entreprises concluent des ententes ou des arrangements dans le cadre desquels elles paient des frais à l’autorité aéroportuaire en échange de cette autorisation. Ces frais sont habituellement constitués d’un pourcentage des revenus bruts que les entreprises génèrent à l’Aéroport. Pour ce qui est des entreprises de services de restauration à bord qui exploitent leurs activités à YVR, les frais payés à l’AAV sont formés de : i) un pourcentage des revenus tirés des services fournis sur les terrains de YVR, [CONFIDENTIEL] les « redevances de concession »). Les redevances de concession sont habituellement retransmises aux sociétés aériennes sous la forme d’une [traduction] « redevance aéroportuaire », dans le cadre du montant total qui est facturé pour les services de restauration à bord.

[42] Les frais d’amélioration aéroportuaires sont ceux que les autorités aéroportuaires facturent aux passagers. Le Tribunal croit comprendre que ces frais sont habituellement ajoutés au prix des billets d’avion. L’AAV facture des frais d’amélioration aéroportuaires de 5 $ par passager transporté et par vol pour les voyages intraprovinciaux et de 20 $ pour tous les autres vols. La plupart des autres aéroports situés au Canada facturent eux aussi de tels frais.

[43] En 2017, l’AAV a déclaré des revenus bruts totaux d’un montant d’environ 531 millions de dollars, soit 136 millions de dollars en recettes aéronautiques, 235 millions de dollars en recettes non aéronautiques et 159 millions de dollars en frais d’amélioration aéroportuaires. Les revenus générés par les redevances de concession et les loyers payés par les entreprises de services de restauration à bord à YVR (lesquels sont inclus dans les recettes non aéronautiques) représentent environ [CONFIDENTIEL] du total des revenus bruts de l’AAV.

D. Les sociétés aériennes

[44] Plus de 55 sociétés aériennes exploitent leurs activités à YVR, dont des sociétés canadiennes, américaines et internationales.

[45] Les quatre grandes sociétés aériennes canadiennes (Air Canada, Jazz, WestJet et Air Transat) exploitent toutes leurs activités à YVR.

[46] Air Canada est la plus grande société aérienne canadienne, transfrontalière vers les États‐Unis et internationale au Canada. Air Canada fournit des services de transport de passagers par l’entremise de sa société aérienne principale (Air Canada), de sa société aérienne à coût inférieur et spécialisée dans les voyages d’agrément (Air Canada Rouge), ainsi que d’ententes d’achat de capacité conclues avec des sociétés aériennes régionales, telles que Jazz. Air Canada fournit ses services à partir de 64 aéroports au Canada, dont ses principales plaques tournantes, situées à YVR, à l’Aéroport international Pearson de Toronto (« YYZ ») et à l’Aéroport international Trudeau de Montréal (« YUL »). En 2016, Air Canada (de pair avec Rouge et ses transporteurs régionaux) a exploité, en moyenne, 150 départs quotidiens à YVR. En 2016, Air Canada (y compris Rouge et Jazz) a transporté 10,8 des 22,3 millions de passagers qui ont transité par YVR.

[47] Jazz fournit des services de transport aérien de passagers à Air Canada sous la dénomination « Air Canada Express ». Au mois d’août 2017, Jazz exploitait une flotte de 117 aéronefs, assurant plus de 660 départs par jour de semaine vers 70 destinations situées dans tout le Canada et aux États-Unis. YVR représente la station de transport la plus achalandée de Jazz en nombre de vols.

[48] WestJet est une société de personnes de l’Alberta. Sa société mère, WestJet Airlines Ltd., est constituée en vertu des lois de l’Alberta. WestJet offre des services de voyages aériens commerciaux, de forfaits vacances ainsi que de vols nolisés et de transport de marchandises à des invités du secteur de l’agrément et des affaires. WestJet est actuellement la deuxième société aérienne en importance du Canada. En 2017, elle a transporté plus de 24 millions de passagers (2 millions de plus par rapport à 2016) et a généré des revenus de plus de 4,5 milliards de dollars. WestJet se sert de YVR, de l’Aéroport international de Calgary (« YYC ») et de YYZ comme principales plaques tournantes au Canada. En 2016, 4,6 des 22,3 millions de passagers qui ont transité par YVR étaient des clients de WestJet.

[49] Air Transat est une société aérienne spécialisée dans les voyages de vacances; elle transporte environ quatre millions de passagers par année vers plus de 60 destinations situées dans 30 pays. Elle est une filiale de Transat A.T. Inc., une spécialiste des voyages de vacances, dont le siège social se trouve à Montréal et qui est cotée à la Bourse de Toronto. Air Transat effectue ses vols à partir de 22 aéroports au Canada, dont YVR. Au cours de la saison hivernale de 2018, Air Transat comptait 18 départs par semaine depuis YVR, vers des destinations soleil situées dans le sud. En 2016, Air Transat a transporté 323 000 passagers à YVR.

[50] Bien qu’elles ne représentent qu’une petite fraction du nombre total de sociétés aériennes (c’est-à-dire 55) qui exploitent leurs activités à YVR, les quatre grandes sociétés aériennes canadiennes représentent la grande majorité du trafic aérien à l’Aéroport.

E. Les services de restauration à bord

[51] La présente demande porte sur les services de restauration à bord et les services de manutention à YVR. Cependant, le commissaire et l’AAV ont une opinion différente sur ce que ces services englobent réellement et sur la manière de les définir.

[52] Selon le commissaire, l’industrie reconnaît qu’il y a une distinction entre les services de restauration et les services de manutention. Les services de restauration désignent le choix et la préparation de repas et de collations. Ils consistent principalement à préparer des repas à distribuer, à consommer ou à utiliser à bord d’un aéronef commercial par les passagers et les membres d’équipage, et ils comprennent les offres de produits et les collations à acheter à bord. Les services de manutention désignent les aspects logistiques liés au chargement de ces aliments à bord d’un aéronef. Ils consistent principalement à charger à bord d’un aéronef commercial – et à décharger de ce dernier – les produits de restauration, de commissariat (habituellement, les articles non alimentaires et les articles alimentaires non périssables) ainsi que les produits auxiliaires (produits hors taxes, linge et journaux). Ils incluent aussi l’entreposage, la gestion des stocks, le regroupement des plateaux-repas et des chariots à roulettes (ce qui inclut les produits de bar et de boutique), le transport des produits de restauration, des produits de commissariat et des produits auxiliaires entre l’aéronef et l’entrepôt ou les installations de cuisine des services de restauration, le nettoyage du matériel, la gestion des dispositifs de point de vente portables, ainsi que l’enlèvement des ordures. Les services de manutention sont parfois qualifiés de [traduction] « logistique du dernier kilomètre » ou [traduction] « approvisionnement du dernier kilomètre » par les sociétés aériennes ou les entreprises de services de restauration à bord. Il semble que ces termes désignent essentiellement le même groupe de produits que ceux que le commissaire définit comme des services de manutention. Bien que les limites exactes de la démarcation entre ces deux types de services varient d’une entreprise à une autre, le Tribunal croit comprendre que l’essentiel des services de manutention a besoin d’un accès au côté piste.

[53] Le commissaire définit les « services de restauration à bord » comme étant formés de deux groupes de produits et de services, c’est-à-dire ce qu’il définit comme des services de manutention et des services de restauration.

[54] L’AAV considère sous un autre angle la définition des services que vise la présente demande. Elle segmente les activités de restauration à bord en fonction du type d’aliments offerts aux passagers; plus précisément, elle fait une distinction entre les [traduction] « services de restauration-produits frais » et les [traduction] « services de restauration-produits standards ». Selon l’AAV, les services de restauration-produits frais comprennent la préparation et le chargement à bord des aéronefs de repas fraîchement cuisinés et d’autres aliments périssables. C’est donc dire que l’AAV inclut une bonne partie de ce que le commissaire définit comme des « services de manutention » dans ce qu’elle appelle les « services de restauration-produits frais ». Elle suit une démarche semblable pour ce qu’elle appelle les « services de restauration-produits standards ». Ces derniers, considère-t-elle, comprennent la fourniture et le chargement à bord des aéronefs d’aliments non périssables et de boissons ainsi que d’autres articles, comme des produits hors taxes.

[55] Pour les besoins de la présente décision, de même que pour éviter toute confusion dans la terminologie employée, le Tribunal adoptera les définitions que propose le commissaire pour ce qui est des services de restauration et des services de manutention. Le Tribunal souligne également que l’AAV ne fournit elle-même aucun service de restauration à bord, qu’il s’agisse de services de restauration ou de services de manutention.

[56] Presque toutes les sociétés aériennes commerciales qui exploitent leurs activités à partir de YVR offrent sur chaque vol un type quelconque d’aliments (périssables ou non périssables) ou de boissons (alcoolisées ou non alcoolisées). Les aliments qu’offrent les sociétés aériennes peuvent être servis aux passagers sous forme froide ou non cuite, comme du fromage ou des noix, ou sous forme cuite, comme un plat simple ou une entrée chaude. Les aliments périssables peuvent être eux aussi frais ou surgelés. Pour ce qui est des aliments ou des boissons, le niveau de service varie selon la société aérienne, la route suivie et la catégorie de siège, et les produits offerts vont des boissons et des arachides ou des bretzels, à un extrême, jusqu’aux repas de première qualité, fraîchement cuisinés et comprenant une entrée chaude, à l’autre extrême. Les sociétés aériennes fournissent des aliments et des boissons à leurs passagers à titre gratuit ou moyennant achat (ce que l’on appelle les « produits achetés à bord »).

[57] Au fil des ans, sur les vols nationaux et transfrontaliers, les sociétés aériennes ont graduellement délaissé les aliments frais en faveur des aliments surgelés. Les repas fraîchement cuisinés, que l’on servait autrefois à tous les passagers, ont été quasi éliminés des cabines de la classe économique au début des années 2000 et sont aujourd’hui essentiellement réservés aux passagers voyageant en classe affaires ou en première classe (ce que l’on appelle aussi les cabines avant). Aux passagers voyageant en classe économique on sert de plus en plus des repas surgelés à coût inférieur, venant parfois d’entreprises de services alimentaires exploitant leurs activités à l’échelle nationale. Sur la grande majorité des vols en partance de YVR, on offre maintenant des repas fraîchement cuisinés dans deux cas seulement : sur les vols outremer et aux passagers de la classe affaires ou de la première classe (lesquels sont particulièrement importants pour la rentabilité des sociétés aériennes) sur certains autres types de vols.

[58] L’AAV considère que, malgré cette nouvelle tendance à servir des repas surgelés, sa capacité d’offrir un choix concurrentiel de repas fraîchement cuisinés est importante pour attirer et retenir des sociétés aériennes et des routes à YVR, surtout dans le cas des sociétés aériennes internationales qui sont basées en Asie.

[59] Le Tribunal croit comprendre que les services de restauration à bord, même s’ils sont importants pour les sociétés aériennes et pour les passagers, ne représentent qu’une très petite fraction des coûts d’exploitation généraux des sociétés aériennes.

F. Les entreprises de services de restauration à bord

[60] À l’heure actuelle, six grandes entreprises fournissent, directement ou indirectement, des services de restauration ou des services de manutention au Canada. Il s’agit de Gate Gourmet Canada Inc. (« Gate Gourmet Canada »), de CLS Catering Services Ltd. CLS »), de dnata Catering Canada Inc. (« dnata Canada »), de Newrest Holding Canada Inc. Newrest Canada »), de Strategic Aviation Services Ltd. (« Strategic Aviation ») et d’Optimum Stratégies / Optimum Solutions (« Optimum »).

[61] Gate Gourmet Canada est une filiale de Gate Gourmet International Inc. (« Gate Gourmet »). Gate Gourmet exploite à l’heure actuelle ses activités à plus de 200 endroits et dans plus de 50 pays. Gate Gourmet Canada a été créée en 2010, lorsqu’elle a procédé à l’acquisition de Cara Airline Solutions (« Cara »), qui fournissait des services de restauration à bord à des sociétés aériennes, dans des aéroports canadiens, depuis 1939. Gate Gourmet Canada exploite ses activités dans neuf aéroports canadiens, dont YVR. En 2017, Gate Gourmet Canada avait [CONFIDENTIEL] sociétés aériennes comme clients au Canada, elle fournissait des services de restauration à plus de [CONFIDENTIEL] vols par année, et ses revenus déclarés s’élevaient à plus de [CONFIDENTIEL] $.

[62] CLS est une coentreprise formée de Cathay Pacific Airways Ltd. et de LSG Sky Chefs (« LSG »), la plus importante entreprise de services de restauration aériens et de solutions de service intégrées au monde. CLS fournit des services de restauration à bord au Canada depuis 20 ans, et elle exploite actuellement ses activités à YVR, à YYC et à YYZ.

[63] dnata est un fournisseur mondial de services aériens à plus de 300 sociétés aériennes et dans 35 pays. Cette entreprise, qui compte plus de 41 000 employés, fournit quatre types de services aériens par l’entremise de divisions commerciales distinctes : manutention au sol, marchandises et logistique, services de restauration et services de voyage. Les services de restauration de dnata comprennent : services de restauration à bord, services de vente au détail à bord, services d’aliments et de boissons dans les aéroports et services de solutions préemballées. La division alimentaire de dnata sert des clients situés dans 60 aéroports et dans 12 pays. Au Canada, YVR est le premier aéroport où dnata, par l’entremise de sa filiale dnata Canada, offrira des services de restauration à bord, à compter de 2019.

[64] Newrest Group Holding S.A. (« Newrest ») est la société mère ultime de Newrest Canada. Newrest est un fournisseur mondial de services de restauration multisectoriels, qui exploite ses activités dans 49 pays et qui compte plus de 30 000 employés. Newrest exploite ses activités dans quatre secteurs axés sur les services de restauration et les services d’accueil connexes et elle sert environ 1,1 million de repas par jour : i) services de restauration à bord; ii) services de restauration pour transporteur ferroviaire; iii) services de restauration pour restaurants et institutions, et iv) services de restauration au niveau de la vente au détail. Le volet « services de restauration à bord » de Newrest représentait environ 41 % de son chiffre d’affaires en 2016-2017. Ce volet commercial fournit des services de restauration à bord, des services logistiques ainsi que des services de chaîne et logistiques pour des produits à bord et des services de gestion de salons d’aéroport à environ 234 sociétés aériennes situées dans 31 pays. Newrest Canada a entrepris ses activités au Canada en 2009 et elle offre une gamme complète de services de restauration à bord au Canada, des services qui comprennent à la fois des services de restauration et des services de manutention, à YYC, à YYZ et à YUL.

[65] Strategic Aviation Holdings Ltd. est la société mère de Strategic Aviation et Sky Café Ltd. (« Sky Café »). Strategic Aviation fournit des services de restauration à bord dans 10 aéroports au Canada, dont YYC, YYZ et YUL. Cette entreprise offre aux sociétés aériennes une formule du type « guichet unique » pour les services de manutention et les services de restauration externalisés. Elle fournit des services de manutention en faisant appel à son propre personnel. Cependant, pour les services de restauration, Strategic Aviation s’associe avec des tierces parties spécialisées, qui sont chargées de la préparation et de l’emballage des aliments. Pour ce qui est des services de restauration, sa principale associée est Optimum.

[66] Le groupe Optimum est formé d’Optimum Solutions et de sa filiale Optimum Stratégies. Optimum ne fournit pas directement de services de restauration à bord, mais agit en tant qu’amalgamateur. Optimum Stratégies se spécialise en « approvisionnement » (c’est-à-dire, en services de manutention) dans le cadre de contrats de sous-traitance conclus avec [CONFIDENTIEL]. Optimum Solutions fournit également des services de restauration à des sociétés aériennes par l’intermédiaire d’un réseau de fournisseurs tiers indépendants. Cette entreprise sert essentiellement d’intermédiaire entre des fournisseurs alimentaires et des sociétés aériennes.

[67] Les entreprises de services de restauration à bord peuvent exploiter leurs activités dans l’enceinte d’un aéroport ou à l’extérieur de ce dernier. La location à bail d’installations situées à l’extérieur d’un aéroport, en vue d’y implanter des installations de services de restauration à bord, est une option nettement moins coûteuse que le tarif payé pour la location d’un terrain à l’aéroport.

[68] Il existe deux types d’entreprises de services de restauration à bord : « à service complet » ou « à service partiel ». Le Tribunal croit comprendre que, de façon caractéristique, une entreprise « à service complet » est en mesure d’offrir des repas fraîchement cuisinés, d’autres aliments périssables comme des repas surgelés, ainsi que des collations et des aliments non périssables. Les entreprises dites « à service partiel » n’offrent pas de repas frais aux sociétés aériennes. Indépendamment de ce qui précède, l’industrie donne aussi le nom d’entreprise de services de restauration à bord « à service complet » à celles qui sont en mesure de fournir à la fois des services de restauration et des services de manutention. À l’inverse, les entreprises dites « à service partiel » ne fournissent que des services de restauration ou que des services de manutention, et externalisent les autres. Le Tribunal signale que les entreprises de restauration à bord « à service complet » sont parfois appelées aussi les exploitants de cuisines de l’air « traditionnels ».

[69] Autrefois, les entreprises de restauration à bord étaient des entreprises à service complet qui fournissaient à la fois des services de restauration et des services de manutention, dont une gamme complète de repas frais, de repas surgelés et d’aliments non périssables. C’est le cas de Gate Gourmet dans la plupart des aéroports au Canada, de CLS à YVR et à YYZ, ainsi que de Newrest à YYC, à YYZ et à YUL (depuis 2009). dnata semble aussi être considérée comme une entreprise de services de restauration à bord à service complet [2] . Ce n’est toutefois pas le cas de Strategic Aviation et d’Optimum.

[70] Selon le commissaire, des modèles d’affaires nouveaux et différents ont récemment vu le jour dans le secteur des services de restauration à bord. À l’instar des aliments servis à bord des aéronefs, qui se sont éloignés des repas frais, les services de restauration à bord ont évolué eux aussi, s’éloignant des cuisines de l’air traditionnelles, à service complet, et situées dans des aéroports, pour s’orienter vers des options situées à l’extérieur des aéroports, vers le cloisonnement des services de restauration et des services de manutention (quand ils sont assurés par des fournisseurs différents) et vers l’externalisation de la confection de repas surgelés et d’articles alimentaires non périssables, à acheter à bord, auprès d’entreprises spécialisées. Le Commissaire soutient qu’en raison de l’évolution de la demande au sein du marché, les entreprises de restauration à bord sont en mesure de réaliser des gains en efficience en se spécialisant dans la fourniture de services de restauration ou de services de manutention. Par exemple, certaines entreprises achètent leurs repas cuisinés auprès de restaurants locaux situés à proximité des aéroports, et elles fournissent ensuite ces produits à des entreprises de manutention ou à des entreprises de restauration à bord à service complet. Strategic Aviation, par exemple, cherche à fournir des services de manutention et s’est associée à Optimum pour s’approvisionner en aliments à l’extérieur des aéroports.

[71] Selon le commissaire, cette évolution s’est traduite par des économies considérables ainsi que par de nouveaux choix de produits et de nouveaux modèles pour les sociétés aériennes. Le Tribunal croit comprendre de plus qu’avec la migration vers les repas surgelés et les aliments préemballés, même les entreprises de restauration à bord à service complet comme Gate Gourmet et CLS se concentrent principalement sur la fourniture, l’entreposage et le stockage de repas préemballés et d’aliments non périssables destinés aux sociétés aériennes. Pour dire les choses différemment, même si l’on s’attend toujours à ce que ces entreprises soient en mesure de fournir des repas frais pour les vols internationaux ainsi que pour les cabines avant sur certains autres vols, elles mettent moins l’accent sur la préparation et la fourniture de repas fraîchement cuisinés et davantage sur les aspects logistiques, l’inventoriage et la livraison d’aliments à bord des aéronefs.

[72] Les sociétés aériennes peuvent donc recourir à diverses méthodes pour obtenir ou acheter des aliments ou des boissons qui seront distribués à bord d’un aéronef commercial et consommés ou utilisés par les passagers ou les membres d’équipage. Le Tribunal croit comprendre que ces méthodes comprennent, notamment : 1) acheter un ou plusieurs aliments ou boissons auprès d’une entreprise de services de restauration à bord et 2) acheter un ou plusieurs aliments ou boissons auprès d’entreprises tierces spécialisées qui exploitent des activités de cuisine commerciales ou directement auprès de fabricants, de distributeurs ou de grossistes.

[73] L’AAV soutient que, en plus de se procurer les services de restauration à bord dont elles ont besoin auprès de tiers fournisseurs, les sociétés aériennes peuvent aussi recourir à des [traduction] « services de restauration en double » ou à l’[traduction] « autoapprovisionnement » pour obtenir les aliments ou les boissons dont elles ont besoin pour leurs vols.

[74] Les « services de restauration en double » désignent l’activité par laquelle une société aérienne charge à bord d’un aéronef, dans un aéroport en particulier, une quantité supplémentaire d’aliments ou de boissons afin de pouvoir s’en servir sur un ou plusieurs vols commerciaux subséquents de cet aéronef, en partance d’un deuxième (ou troisième, etc.) aéroport (les « services de restauration en double »). En chargeant cette quantité supplémentaire d’aliments, de boissons et de produits non alimentaires à bord d’un aéronef arrivant à un aéroport afin de pouvoir s’en servir lors d’un vol subséquent du même aéronef, la société aérienne est en mesure d’éviter de recourir à des services de manutention à ce deuxième (ou troisième, etc.) aéroport. Les services de restauration en double sont parfois désignés de la manière suivante : [traduction] « convoyage », [traduction] « service de restauration de retour » ou [traduction] « service de restauration aller-retour ».

[75] L’autoapprovisionnement désigne la pratique qu’a une société aérienne de se procurer elle-même ses repas et ses provisions auprès de ses propres installations, ou de tout autre endroit de son choix, et de charger elle-même tous les repas et toutes les provisions qui seront servis aux passagers se trouvant à bord de l’aéronef (l’« autoapprovisionnement »). Toutes les sociétés aériennes sont libres de s’autoapprovisionner à YVR et n’ont pas besoin de se voir accorder à cette fin un droit d’accès précis de la part de l’AAV.

[76] Le Tribunal croit comprendre que le nombre d’entreprises de services de restauration à bord qui sont autorisées à exploiter leurs activités dans les aéroports varie mais que, dans la plupart des aéroports canadiens, il existe habituellement deux ou trois entreprises de services de restauration à bord qui exploitent leurs activités. Il existe toutefois au Canada trois aéroports qui comptent quatre de ces entreprises : YYC, YYZ et YUL.

G. Les entreprises de services de restauration à bord à YVR

[77] Au moment où le commissaire a déposé sa demande, Gate Gourmet et CLS étaient les seules entreprises autorisées par l’AAV à fournir des services de restauration à bord à YVR. Ces deux entreprises (et leurs prédécesseurs respectifs) sont actives à YVR depuis environ 1970 et 1983, respectivement, dans le cadre de baux à long terme d’abord conclus par le ministre des Transports et plus tard, pris en charge par l’AAV. Au début de 2018, dnata est devenue le troisième fournisseur de services de restauration à bord autorisé à exploiter ses activités à YVR.

[78] Avant 2003, trois entreprises de services de restauration à bord exploitaient leurs activités à YVR : Cara (qui est devenue Gate Gourmet Canada), CLS et LSG. Le principal client de LSG était la société Lignes aériennes Canadien International Ltée (« Canadien International »). Après qu’Air Canada eut fait l’acquisition de Canadien International, les activités de restauration de LSG ont été réorientées vers Cara. En raison du ralentissement de ses activités par suite de cette acquisition, LSG a quitté YVR. À l’époque, aucune autre entreprise de services de restauration n’a pris la relève des cuisines de l’air de LSG et aucune n’a cherché à la remplacer à l’Aéroport. Selon l’AAV, le départ de LSG et l’absence d’une entreprise remplaçante dénote que, en 2003, les activités de restauration à bord à YVR n’étaient pas suffisantes pour soutenir trois entreprises de services de restauration à bord.

[79] Gate Gourmet, CLS et dnata sont des entreprises de restauration à bord à service complet qui fournissent à la fois des services de restauration et des services de manutention à YVR. Cela étant, elles confectionnent et offrent toutes des repas fraîchement cuisinés. Chaque entreprise exploite une cuisine complète, pour laquelle chacune a fait d’importants investissements dans l’enceinte de l’Aéroport (dans le cas de Gate Gourmet et de CLS) ou à l’extérieur de l’Aéroport (dans le cas de dnata). Outre des repas frais, Gate Gourmet, CLS et dnata fournissent chacune une gamme complète d’autres aliments, comme des repas surgelés, des collations fraîches et d’autres produits achetés à bord, de même que des boissons.

[80] Comme tous les fournisseurs qui ont besoin d’un accès au côté piste à YVR, les entreprises de services de restauration à bord doivent obtenir au préalable l’autorisation de l’AAV. Gate Gourmet et CLS ont chacune conclu avec l’AAV, il y a plusieurs années de cela, des accords de licence qui énoncent les conditions dans lesquelles elles exploitent leurs activités et obtiennent un accès au côté piste. Dans le cadre de ces accords, Gate Gourmet et CLS payent à l’AAV des redevances de concession, calculées selon un pourcentage des revenus que leur rapporte la vente des services de restauration et de manutention, [CONFIDENTIEL]. Lorsqu’elle commencera à exploiter ses activités en 2019, dnata devra elle aussi payer des redevances de concession à l’AAV, conformément à l’accord de licence relatif aux services de restauration à bord qu’elle a conclu avec l’AAV (l’« accord de licence de dnata »).

[81] Gate Gourmet et CLS ont chacune conclu des baux à long terme avec l’AAV pour le terrain qu’elles louent de cette dernière dans l’enceinte de l’Aéroport, et ce, pour une durée de [CONFIDENTIEL]. Aux termes des deux baux, [CONFIDENTIEL].

H. Les événements de 2013-2015

[82] Les faits particuliers qui ont donné lieu à la demande du commissaire peuvent se résumer comme suit.

[83] En décembre 2013, Newrest a présenté une demande à l’AAV pour qu’elle lui délivre un permis l’autorisant à fournir des services de restauration à bord à YVR, à partir d’une cuisine de l’air située à l’extérieur de l’Aéroport. Newrest a renouvelé sa demande en mars 2014. En avril 2014, Strategic Aviation a présenté une demande de permis semblable, l’autorisant à fournir des services de manutention. Ces demandes faisaient suite au lancement d’une demande de proposition (« DP ») que Jazz avait lancée en vue de répondre à ses besoins en services de restauration à bord.

[84] L’AAV a refusé les demandes de Newrest et de Strategic Aviation en avril 2014. Les permis ont été refusés parce que l’AAV croyait que la demande locale en services de restauration à bord à YVR ne pouvait pas accueillir une entreprise de plus à ce moment-là. Selon l’AAV, la décision de refuser l’accès à Newrest et Strategic Aviation en 2014 était motivée par des préoccupations relatives à l’état précaire des activités de restauration à bord à YVR. Elle estimait que le marché n’était pas suffisamment important pour soutenir l’arrivée d’une troisième entreprise de services de restauration à bord et que l’entrée de cette dernière amènerait peut-être l’une des entreprises en place (sinon les deux) à quitter le marché. Elle se souciait notamment du fait que cela perturberait considérablement YVR et nuirait à sa réputation.

[85] En 2015, Newrest et Strategic Aviation ont présenté d’autres demandes de permis, que l’AAV a refusés.

[86] [CONFIDENTIEL].

I. La DP de 2017

[87] En janvier 2017, M. Craig Richmond, président et chef de la direction de l’AAV, a commandé une étude sur l’état du marché des services de restauration à bord à YVR. Cette étude avait pour but de déterminer s’il y avait lieu d’accorder un permis à une troisième entreprise de services de restauration à bord à YVR (le « Rapport sur les services de cuisine à bord »). L’étude a été lancée après le dépôt de la demande du commissaire. Ce rapport concluait qu’en raison de l’augmentation du trafic de passagers et de l’ajout de plusieurs nouvelles sociétés aériennes à YVR, la taille du marché des services de restauration à bord à l’Aéroport avait suffisamment augmenté par rapport à 2013-2014 pour qu’il soit justifié de recommander que l’on accorde au moins un permis de plus.

[88] De ce fait, en septembre 2017, l’AAV a lancé une DP en vue de la délivrance d’un nouveau permis d’entreprise de services de restauration à bord à YVR. Elle a également recommandé que la DP soit ouverte à des exploitants à service complet et à service non complet situés à l’extérieur de l’Aéroport, et que les réponses soient jugées en fonction d’une série de principes directeurs et de critères d’évaluation. En novembre 2017, elle a retenu les services d’un conseiller en équité, qui a conclu que le processus de DP avait été équitable et raisonnable.

[89] L’AAV a reçu des réponses à la DP de la part de [CONFIDENTIEL] entreprises : [CONFIDENTIEL]. Le comité d’évaluation de l’AAV a recommandé à l’unanimité à l’équipe de direction de l’AAV que l’on retienne dnata comme proposant privilégié en vue de la délivrance d’un permis de services de restauration à bord à l’Aéroport.

[90] Le permis de dnata a une durée de [CONFIDENTIEL] années, et cette durée a commencé le [CONFIDENTIEL] et prendra fin le [CONFIDENTIEL]. dnata ne loue aucun terrain à l’AAV. Elle exploite plutôt une cuisine de l’air qui est située à l’extérieur de l’Aéroport. Le 19 février 2018, l’AAV a annoncé publiquement qu’elle avait accordé à dnata un nouveau permis de services de restauration à bord. À l’époque de l’audience, dnata s’attendait à commencer ses activités [CONFIDENTIEL].

IV. UN SURVOL DES ÉLÉMENTS DE PREUVE

[91] Les preuves que le Tribunal a prises en considération émanent de 14 témoins ordinaires, de trois témoins experts ainsi que des pièces que les parties ont déposées.

A. Les témoins ordinaires

(1) Le commissaire

[92] Le commissaire a présenté le témoignage des cinq témoins ordinaires qui suivent, lesquels sont associés aux quatre grandes sociétés aériennes nationales qui exploitent leurs activités au Canada :

  • Andrew Yiu : M. Yiu est vice-président, Produits, chez Air Canada depuis 2017. Il est chargé de la conception des produits, des services et des commodités dont bénéficient les clients présents dans les aéroports et à bord de tous les vols à l’échelle mondiale. À ce titre, il est au fait des activités de restauration à bord d’Air Canada. Il est le supérieur immédiat de M. Mark MacVittie, qui a signé les deux déclarations de témoin que le commissaire a déposées, mais il a plus tard démissionné de son poste avant l’audition de la présente affaire. M. Yiu a passé en revue et confirmé les déclarations de témoin de M. MacVittie.
  • Barbara Stewart : Avant de prendre sa retraite le 1er juin 2017, Mme Stewart exerçait les fonctions de directrice principale, Approvisionnement, chez Air Transat. À ce titre, elle était chargée de toutes les activités d’approvisionnement de cette société aérienne, relativement aux services de restauration à bord, aux services d’escale et d’avitaillement au sol, de pair avec la gestion des relations entre Air Transat et les grands aéroports que cette société dessert.
  • Rhonda Bishop : Mme Bishop est directrice, Services en vol et Produits à bord chez Jazz depuis 2010. À ce titre, il lui incombe de superviser les quatre volets d’affaires : 1) les Services en vol, où elle exerce les fonctions de gestionnaire des agents de bord, 2) la réglementation et les normes, où elle est chargée de l’application et de la mise en œuvre du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433 (le « Règlement de l’aviation canadien »), ce qui inclut les opérations aériennes, 3) la formation du personnel naviguant, où elle est chargée des normes professionnelles régissant les équipages de cabine, et 4) les produits à bord, où elle supervise l’efficacité des services à bord.
  • Simon Soni : M. Soni est directeur des Services de restauration de WestJet depuis novembre 2017. À ce titre, il est chargé de l’acquisition, de la sélection et l’approvisionnement sécuritaire des produits de restauration à bord de WestJet. Il a passé en revue et confirmé certaines parties des déclarations de témoin qu’a signées M. Colin Murphy, qui était le directeur de l’Expérience en cabine à bord pour WestJet et qui était chargé des activités de restauration à bord des aéronefs de WestJet, du développement et de la livraison des produits à bord, ainsi que des normes et des procédures à appliquer au cours des vols, avant qu’il quitte la société.
  • Steven Mood : M. Mood est gestionnaire principal, Opérations d’approvisionnement stratégique chez WestJet depuis janvier 2017. À ce titre, il est chargé de diriger une équipe de spécialistes de l’établissement des sources d’approvisionnement à l’appui des activités nationales, transfrontalières et internationales de WestJet et de WestJet Encore, ce qui inclut les activités de restauration à bord des aéronefs de WestJet, les services de gestion et de maintenance de la flotte, de même que les services d’escale. M. Mood a également passé en revue et confirmé des parties des déclarations de témoin de M. Murphy.

[93] Le commissaire a également produit en preuve les témoignages des six témoins ordinaires qui suivent, lesquels sont associés à des entreprises qui, directement ou indirectement, fournissent des services de restauration ou de manutention :

  • Ken Colangelo : M. Colangelo est président et directeur général de Gate Gourmet Canada depuis 2012. À ce titre, il est chargé de toutes les activités de Gate Gourmet Canada, dont celles qui se rapportent aux questions de nature commerciale, financière, juridique et réglementaire.
  • Maria Wall : Mme Wall exerce les fonctions de contrôleure des finances à CLS depuis 2008. Elle est chargée des activités de gestion et de production de rapports financiers à CLS. Le commissaire a déposé une déclaration de témoin très sommaire que Mme Wall avait préparée et qui ne portait sur aucune des questions qui sont en litige en l’espèce. Elle n’a pas été appelée à témoigner à l’audience.
  • Jonathan Stent‐Torriani : M. Stent Torriani est le codirecteur général de Newrest. Ce dernier, de pair avec M. Olivier Sadran, ont fondé conjointement Newrest en 2005‐2006.
  • Geoffrey Lineham : M. Lineham est président et copropriétaire d’Optimum Stratégies depuis 2015. Il est également vice-président, Développement de l’entreprise, chez Optimum Solutions.
  • Mark Brown : M. Brown est président et chef de la direction de Strategic Aviation depuis 2012. Il supervise la totalité des activités de cette entreprise, dont ses activités de restauration et de manutention au sol.
  • Robin Padgett : M. Padgett est le vice-président principal divisionnaire de dnata. À ce titre, il dirige la division des services de restauration de l’entreprise depuis les quatre dernières années et il assume l’entière responsabilité de la direction opérationnelle et stratégique de cette division.

[94] Le Tribunal a considéré de façon générale que MM. Yiu, Soni, Mood, Colangelo, Stent‐Torriani, Lineham, Brown et Padgett, ainsi que Mmes Stewart et Bishop, étaient crédibles, sincères, utiles et impartiaux.

(2) L’AAV

[95] L’AAV a produit le témoignage des quatre témoins ordinaires qui suivent, lesquels sont ou étaient tous au service de l’AAV :

· Craig Richmond : M. Richmond est le président et chef de la direction d’AAV depuis le 18 juin 2013, et il a accumulé plus de 40 années d’expérience dans le secteur de l’aviation, y compris à titre de chef de la direction de sept aéroports situés dans quatre pays différents (Bahamas, Angleterre, Chypre et Canada). M. Richmond s’est joint à l’AAV en 1995 et y a passé les 11 années suivantes à exercer diverses fonctions (dont celles de gestionnaire des opérations côté piste et de vice-président des opérations).

· Tony Gugliotta : M. Gugliotta a exercé diverses fonctions de niveau gestionnel à l’AAV, dont celles de vice-président principal, Mise en marché et Développement de l’entreprise, de 2007 à 2014. Il a pris sa retraite de l’AAV en 2016. Les responsabilités de M. Gugliotta comprenaient les suivantes : la gestion de la totalité des terrains et des biens à YVR, y compris l’immobilier commercial et le développement commercial, les activités de mise en marché de YVR à l’intention des sociétés aériennes et des passagers, ainsi que le transport terrestre.

· Scott Norris : M. Norris est vice-président, Développement commercial, à l’AAV depuis septembre 2016. Il est chargé de la supervision de secteurs tels que les suivants : location à bail de terminaux, stationnement et activités de transport terrestre et développement commercial, ainsi que gestion et mise en valeur des baux immobiliers à l’aéroport. M. Norris a occupé auparavant divers postes liés à la gestion et aux activités aéroportuaires dans plusieurs aéroports situés en Australie.

· John Miles : M. Miles est directeur, Financement de l’entreprise à l’AAV depuis 2007. Avant cette date, il exerçait les fonctions de gestionnaire, Finances de l’entreprise. M. Miles est chargé de superviser la préparation du budget annuel, la préparation des états financiers, le financement de l’entreprise, les analyses d’investissement ainsi que la gestion des risques d’entreprise à l’AAV. Le travail de préparation des budgets et des états financiers consistent, notamment, à contrôler les revenus tirés des cuisines de l’air.

[96] Le Tribunal a considéré de façon générale que MM. Richmond, Gugliotta, Norris et Miles étaient crédibles, sincères, utiles et impartiaux.

B. Les témoins experts

(1) Le commissaire

  • [97] M. Gunnar Niels a témoigné pour le compte du commissaire. M. Niels est un économiste professionnel qui a acquis plus de 25 années d’expérience de travail dans le domaine des analyses et des politiques en matière de concurrence. Il est associé chez Oxera, une société indépendante d’experts-conseils en économie établie en Europe et se spécialisant dans les domaines de la concurrence, de la réglementation et des finances. Il détient un doctorat en économie de l’Université Erasmus de Rotterdam (Pays-Bas). Le mandat de M. Niels consistait à déterminer : 1) si l’AAV exerce une position dominante sur le marché des services d’accès au côté piste à YVR pour ce qui est d’un ou de plusieurs éléments des services de restauration à bord, 2) s’il existe une justification économique quelconque pour le refus, par l’AAV, de faire droit à une concurrence supplémentaire dans un ou plusieurs éléments des services de restauration à bord à YVR, 3) si le refus de l’AAV de faire droit à une concurrence supplémentaire dans les services de restauration à bord ou le fait de rattacher l’accès au côté piste à la fourniture d’une installation de cuisine sur place a eu pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence, 4) si des fournisseurs supplémentaires de services de restauration à bord sont capables d’exercer leurs activités de façon rentable à YVR, et 5) si la politique de l’AAV qui consiste à limiter l’entrée de nouvelles entreprises à YVR, relativement à un ou plusieurs éléments des services de restauration à bord, a ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché pertinent.

  • [98] M. Niels a été reconnu compétent pour témoigner comme expert dans les domaines de l’organisation industrielle et de l’économie de concurrence. Le Tribunal a généralement considéré que M. Niels était digne de foi, sincère, objectif et impartial, et aussi qu’il était disposé à reconnaître les lacunes ou les faiblesses qu’il pouvait y avoir dans son témoignage ou dans l’argumentation du commissaire.

 

(2) L’AAV

[99] Deux experts ont témoigné pour le compte de l’AAV : M. David Reitman et M. Michael W. Tretheway.

[100] M. Reitman est vice-président de Charles River Associates, un cabinet d’experts-conseils en économie et en affaires. Avant cela, il a travaillé comme économiste à l’Antitrust Division du ministère de la Justice des États-Unis et il a été membre du corps professoral du Service d’études économiques de l’Ohio State University et de la Graduate School of Management, à l’UCLA. Il détient un doctorat en sciences décisionnelles de l’Université Stanford, aux États-Unis. M. Reitman indique dans son rapport que ses services ont été retenus pour [traduction] « procéder à une analyse économique concernant une allégation du commissaire de la concurrence selon laquelle les agissements de l’AAV ont mené ou mèneront vraisemblablement à un abus de position dominante au sein du marché des services de restauration à bord » à YVR. Pour procéder à cette analyse, son mandat était le suivant : 1) définir les marchés antitrust qui se rapportent aux services de restauration à bord, 2) déterminer si l’AAV avait une incitation quelconque pour restreindre la concurrence dans ces marchés, 3) déterminer s’il y a eu ou s’il y aura vraisemblablement une diminution sensible de la concurrence dans ces marchés, et 4) analyser le rapport de M. Niels et y répondre.

[101] Avec l’assentiment des parties, M. Reitman a été reconnu comme expert dans les domaines de l’organisation industrielle et de l’économie antitrust. En général, le Tribunal a considéré que M. Reitman était digne de foi, sincère, objectif et utile. Comme il est indiqué dans les motifs qui suivent, là où le témoignage de M. Niels et celui de M. Reitman divergeaient, le Tribunal a parfois privilégié celui de M. Niels et, à d’autres occasions, celui de M. Reitman, suivant le sujet particulier dont il était question.

[102] M. Tretheway est actuellement vice-président exécutif, économiste en chef et directeur de la Stratégie au sein du InterVISTAS Consulting Group, lequel fait partie de Royal Haskoning DHV, un fournisseur mondial de services de consultation et de génie dans les domaines de l’aviation, des transports, de l’eau, de l’environnement, de la construction et de la fabrication, de l’exploitation minière et de l’hydro-électricité. M. Tretheway détient un doctorat en économie de la University of Wisconsin-Madison, aux États-Unis. Son mandat était le suivant : 1) expliquer de quelle façon la demande en services de restauration à bord a évolué en Amérique du Nord depuis 1992, de même que les conditions d’approvisionnement qui ont eu une incidence sur la structure de l’industrie, 2) expliquer l’importance des services de restauration à bord pour les sociétés aériennes, 3) expliquer les mesures incitatives (objectifs) des autorités aéroportuaires en général, ainsi que celles de l’AAV, tant de manière générale qu’en ce qui concerne la fourniture d’un accès aux exploitants de services de restauration à bord, et 4) faire part d’une opinion sur la raison pour laquelle l’AAV a refusé de délivrer des permis à de nouvelles entreprises de services de restauration à bord en 2014.

[103] L’AAV souhaitait faire reconnaître M. Tretheway comme expert dans les domaines de l’économie des sociétés aériennes et des aéroports. Le commissaire s’y est opposé en partie et a demandé au Tribunal de déclarer inadmissibles et de radier de son rapport les parties qui avaient trait aux points 2, 3 et 4 de son mandat. Le commissaire estimait en effet que M. Tretheway ne possédait pas les qualifications requises pour témoigner sur ces questions et que son témoignage d’expert n’était pas nécessaire pour le Tribunal. Le Tribunal a refusé de radier les réponses données aux questions 2 et 3, car la formation s’est dite convaincue qu’elles répondaient aux facteurs de la « nécessité » et de la « qualification suffisante de l’expert » que la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a établis dans l’arrêt R c Mohan, [1994] 2 RCS 9, 114 DLR (4th) 419 (l’« arrêt Mohan ») et dans l’arrêt R c Bingley, 2017 CSC 12 (l’« arrêt Bingley »), et que ces réponses pouvaient donc être admises à bon droit en tant que témoignage d’expert. Cependant, le Tribunal a déclaré inadmissibles les parties du rapport de M. Tretheway qui portaient sur le point 4 indiqué ci-dessus, après avoir conclu que son opinion ne contribuait pas à trancher les questions en litige sur lesquelles la formation devait se prononcer.

[104] En fin de compte, le Tribunal a reconnu M. Tretheway comme compétent pour témoigner à titre d’expert dans les domaines de l’économie des sociétés aériennes et des aéroports. Lors de l’audience, le Tribunal a indiqué qu’étant donné que les objections du commissaire soulevaient un certain nombre d’éléments relatifs à l’applicabilité des facteurs énoncés dans l’arrêt Mohan et à la manière dont le Tribunal abordait les témoignages d’experts, il fournirait plus de détails dans sa décision finale. Les motifs pour lesquels le Tribunal est arrivé à sa conclusion au sujet du témoignage d’expert de M. Tretheway sont les suivants.

(a) L’admissibilité d’un témoignage d’expert

[105] Lors d’une instance judiciaire, l’admissibilité d’un témoignage d’expert est déterminée par l’application d’un critère à deux volets, ainsi que l’a confirmé la CSC dans les arrêts Bingley et White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23 (l’« arrêt White Burgess »), et ce critère peut être résumé comme suit.

[106] Le premier volet (le stade préliminaire) exige que la partie qui présente le témoignage d’expert proposé établisse que celui-ci répond aux quatre exigences établies dans l’arrêt Mohan, soit : i) la pertinence logique, ii) la nécessité d’aider le juge des faits, iii) l’absence de toute règle d’exclusion et iv) la qualification suffisante de l’expert. Chacune de ces conditions doit être établie selon la prépondérance des probabilités pour qu’un témoignage d’expert satisfasse au critère d’admissibilité. La seconde étape (celle du rôle de gardien) consiste à soupeser de manière discrétionnaire les avantages ou la valeur probante de l’admission d’un témoignage qui répond aux conditions préalables à l’admissibilité, par rapport aux « coûts » de son admission, ce qui inclut des aspects tels que le temps passé, le préjudice causé et le risque de causer une certaine confusion (arrêt White Burgess, au par. 16). Il s’agit là d’un exercice de nature discrétionnaire, et l’analyse coûts‐avantages est propre à chaque affaire. S’il est conclu que les coûts l’emportent sur les avantages, le témoignage peut être considéré comme inadmissible, même s’il répond à tous les facteurs énoncés dans l’arrêt Mohan.

[107] Dans les instances dont il est saisi, le Tribunal applique systématiquement les principes que la CSC a énoncés dans l’arrêt Mohan et les arrêts qui y font suite lorsqu’il examine l’admissibilité d’un témoignage d’expert (voir, par exemple : La commissaire de la concurrence c Imperial Brush Co Ltd et Kel Kem Ltd (faisant affaire sous le nom d’Imperial Manufacturing Group), 2007 Trib conc 22 (la décision « Imperial Brush »), au par. 13; B-Filer Inc. et al c La Banque de la Nouvelle-Écosse, 2006 Trib conc 42 (la décision « B-Filer »), au par. 257; Commissaire de la concurrence c Tuyauteries Canada Ltée, 2003 Trib conc 15 (la décision « Tuyauteries Canada 2003 »), au par. 36).

[108] Dans le cas de l’opinion de M. Tretheway, les deux seuls facteurs en jeu sont l’exigence de la « nécessité » et celle de la « qualification suffisante de l’expert ». Pour ce qui est de la « nécessité », la CSC insiste pour dire que, pour être admissible, le témoignage d’expert proposé doit être nécessaire pour aider le juge des faits, en gardant à l’esprit que le facteur de la nécessité ne doit pas être jugé de manière stricte. Le témoignage proposé doit être « raisonnablement nécessaire », en ce sens qu’il doit « dépasser l’expérience et la connaissance [ordinaire] [du juge des faits] » (arrêt Mohan, aux p. 23 et 24). Cela est notamment le cas si le témoignage d’expert est nécessaire pour aider le tribunal en raison de sa nature technique, ou s’il est nécessaire pour permettre au tribunal d’apprécier une question en litige et l’aider à trancher une question dans les cas où des personnes ordinaires ont peu de chances de pouvoir le faire sans l’aide de ceux qui possèdent des connaissances spéciales.

[109] Cependant, un témoignage qui contient des conclusions ou des opinions juridiques sur des questions en litige et des questions de fait qu’un tribunal doit trancher est inadmissible car il est inutile et usurpe le rôle et les fonctions du juge des faits : « [...] le rôle de l’expert n’est pas de se substituer au tribunal, mais uniquement de l’aider lorsqu’il doit apprécier des faits complexes et de nature technique ». (Québec (Procureur général) c Canada, 2008 CF 713, au par. 161, conf. par 2009 CAF 361, 2011 CSC 11; arrêt Mohan, à la p. 24).

[110] L’exigence de la « qualification suffisante de l’expert » est, elle aussi, bien établie. La partie qui propose un expert doit indiquer avec précision la portée et la nature du témoignage de cet expert, de même que les faits que ce dernier a l’intention de prouver. L’expertise est établie quand le témoin expert possède une connaissance et une expérience spécialisées qui va au-delà de celle du juge des faits, relativement au sujet particulier à propos duquel l’expertise est offerte (arrêt Bingley, au par. 15). Il faut donc montrer que le témoin « a acquis des connaissances spéciales ou particulières grâce à des études ou à une expérience relatives aux questions visées dans son témoignage » (arrêt Mohan, à la p. 25).

[111] L’admissibilité d’un témoignage d’expert ne dépend pas de la manière dont la compétence ou l’expertise ont été acquises. Tant que la Cour ou le Tribunal sont convaincus que le témoin jouit d’une expérience suffisante à l’égard du sujet en question, ils ne se soucieront pas de savoir si sa compétence est le fruit d’études particulières ou d’une formation pratique, encore que cela puisse avoir une incidence sur le poids à accorder au témoignage. Il n’est pas non plus nécessaire que le témoin expert possède les meilleures qualifications imaginables pour que son témoignage soit admissible. Tant qu’il possède des connaissances spécialisées que n’a pas le juge des faits, les lacunes de ces qualifications influent sur le poids du témoignage, et non sur son admissibilité.

[112] Bien que l’expertise puisse être décrite comme une norme modeste, il est important que l’expert possède le genre de connaissances et d’expérience spécialisées qui conviennent au sujet en question. C’est la raison pour laquelle il faut définir le champ d’expertise exact du témoin. Les témoins experts ne devraient pas fournir un témoignage d’opinion sur des questions pour lesquelles il ne possède aucune compétence, connaissance ou formation spéciale, pas plus que sur des questions qui sont de nature courante, et pour lesquelles il ne faut posséder aucune compétence, connaissance ou formation spéciale.

[113] Enfin, le fait que l’opinion d’un expert repose en tout ou en partie sur des informations qui n’ont pas été prouvées devant le juge des faits n’a pas pour effet de rendre cette opinion inadmissible. C’est plutôt la mesure dans laquelle le fondement factuel de l’opinion d’expert n’est pas étayé par une preuve admissible qui aura une incidence sur le poids que le juge des faits lui accordera.

(b) Le témoignage de M. Tretheway

[114] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal est convaincu que les réponses données aux questions 2 et 3 du rapport de M. Tretheway satisfont aux facteurs établis dans les arrêts Mohan et Bingley, et que l’analyse coûts-avantages que prescrit la CSC milite en faveur de l’admission de ce témoignage. Même si M. Tretheway n’a pas été reconnu comme un expert en « services de restauration à bord » à proprement parler, le Tribunal conclut qu’il était dûment qualifié pour fournir une opinion d’expert sur ces questions et que son témoignage était nécessaire au travail de la formation.

[115] Les points soulevés dans la question 2 du rapport de M. Tretheway ont trait à l’importance des services de restauration à bord pour les sociétés aériennes, comme l’effet que des retards peuvent avoir sur ces dernières relativement à la fourniture de ces services. Les points soulevés dans la question 3 ont trait aux mesures incitatives que prennent les autorités aéroportuaires ainsi qu’aux mesures incitatives particulières de l’AAV dans le contexte de ce que font d’autres autorités aéroportuaires.

[116] En l’espèce, M. Tretheway a été reconnu par le Tribunal comme un expert de l’économie des sociétés aériennes et des aéroports. L’AAV a soutenu que l’économie des transports aériens inclut les aspects économiques des interactions entre les aéroports et les sociétés aériennes et certains services complémentaires, c’est-à-dire ceux qui sont situés dans des aéroports et qui sont fournis non pas à l’aéroport lui-même, mais aux sociétés aériennes. L’AAV a fait valoir de plus que ces services complémentaires comprennent les services de restauration à bord, non pas sous l’angle de leur fonctionnement interne, mais sous l’angle de leur lien avec les coûts des sociétés aériennes et les activités aéroportuaires. Le Tribunal est d’accord.

[117] Le rapport de M. Tretheway et ses titres de compétence montrent qu’il est un expert en transports aériens. Cette expertise comprend l’utilisation que font les sociétés aériennes – et la fourniture par les aéroports – d’un accès à des services complémentaires, comme, notamment, les services de restauration à bord. M. Tretheway est l’un des économistes les plus publiés et les plus chevronnés en matière de transport aérien dans le monde, et ce domaine englobe les mesures incitatives que prennent les aéroports et la manière dont les sociétés aériennes et les aéroports abordent la question des services complémentaires. Le Tribunal signale de plus que M. Tretheway a étudié le secteur des services de restauration à bord et qu’il s’est servi de données connexes dans le cadre de sa thèse de doctorat. De plus, M. Tretheway a fait part de son expertise sur les mesures incitatives que prennent les autorités aéroportuaires dans le cadre d’une enquête menée par la Commerce Commission de la Nouvelle‐Zélande. Il a aussi acquis de l’expérience en travaillant comme consultant auprès de divers aéroports situés aux quatre coins du globe. M. Tretheway a témoigné en se fondant sur son expertise et son expérience en tant que consultant auprès de nombreuses sociétés aériennes et de nombreuses autorités aéroportuaires. Il considérait que les services de restauration à bord faisaient partie de l’économie des aéroports et qu’ils étaient un élément des coûts des sociétés aériennes.

[118] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal n’hésite aucunement à conclure que M. Tretheway possède une connaissance spéciale et une expérience particulière qui vont au-delà de celles de la formation en tant que juge des faits, relativement au sujet particulier à l’égard duquel son expertise est offerte pour les questions 2 et 3. Le Tribunal est également convaincu que le témoignage d’expert de M. Tretheway sur ces deux questions est « raisonnablement nécessaire », en ce sens qu’il dépasse l’expérience et la connaissance de la formation.

[119] Les sujets soulevés dans la question 4 ont trait à la [traduction] « justification » pour laquelle l’AAV a refusé de délivrer des permis à de nouvelles entreprises à YVR. Dans son rapport, M. Tretheway a fait part d’une opinion sur l’une des questions ultimes que le Tribunal doit trancher, à savoir la crédibilité et la fiabilité de la justification commerciale de la conduite exclusionnaire de l’AAV. Comme il a été indiqué plus tôt, ce témoignage d’expert est à l’évidence inadmissible, car il enfreint la règle d’admissibilité fondée sur la « nécessité », qui est décrite dans l’arrêt Mohan (à la p. 24). Le Tribunal n’a pas besoin d’un témoignage d’expert sur le caractère approprié ou la fiabilité de la justification commerciale qu’a soulevée l’AAV ou sur la raisonnabilité des décisions commerciales que celle-ci a prises. Ce sont là des questions qui doivent être tranchées par la formation, en tant que juge des faits, sur le fondement des éléments de preuve qui lui sont soumis. Pour cette raison, les parties du rapport de M. Tretheway qui traitent de la question 4 sont inadmissibles et elles ont été radiées de son document.

[120] Dans le cadre de sa contestation concernant l’admissibilité du témoignage d’expert de M. Tretheway et de ses qualifications à l’égard des questions 2, 3 et 4, le commissaire a insisté sur le fait qu’il fallait exclure l’opinion de M. Tretheway parce que celui-ci a été reconnu dûment compétent comme « économiste » spécialisé en sociétés aériennes et en aéroports, mais non comme « expert de l’industrie » des sociétés aériennes ou des aéroports. Le Tribunal ne souscrit pas à cet argument et ne voit pas en quoi le simple fait de reconnaître un expert compétent comme « économiste » ou comme « expert de l’industrie » suffirait pour étayer une conclusion d’inadmissibilité. Le fait de reconnaître M. Tretheway compétent comme « économiste » spécialisé en transport aérien, ainsi que l’AAV l’a fait, plutôt que comme expert de l’industrie ne change pas ses qualifications, pas plus que cela ne détermine son statut d’expert dûment qualifié.

[121] Le Tribunal convient qu’il existe une distinction générale entre les experts de l’industrie et les économistes. Habituellement, un expert de l’industrie donne son opinion sur les [traduction] « aspects de l’industrie dans laquelle le défendeur est situé ou sur le produit ou le marché géographique en cause, y compris les pratiques et les conditions du marché, la fixation des prix, l’offre et la demande ». À titre comparatif, un expert en économie donne habituellement son opinion sur les [traduction] « effets anticoncurrentiels, ou leur absence, d’une pratique susceptible d’examen ou du marché géographique et de produits pertinent » (Antonio Di Domenico, Competition Enforcement and Litigation in Canada, Toronto, Emond Montgomery Publications Limited, 2019, à la p. 753). Cependant, dans les deux cas, l’expert fournit un témoignage qui repose sur ses qualifications ainsi que sur la preuve au dossier.

[122] Le Tribunal reconnaît que si un économiste n’a aucune connaissance particulière sur une industrie, il peut ne pas être reconnu compétent pour fournir une opinion d’expert sur cette industrie en particulier. Cependant, le Tribunal n’est au courant d’aucun précédent qui étaye la thèse voulant que le simple fait de qualifier un expert d’« économiste » empêche celui-ci de rendre témoignage sur une industrie, comme le ferait un expert de l’industrie. La question qui est pertinente pour déterminer si un expert peut témoigner à juste titre sur un sujet particulier est celle de savoir si cet expert a les connaissances et l’expérience requises et si celles-ci dépassent l’expérience et la connaissance du juge des faits. C’est ce qui déterminera s’il est un expert dûment qualifié (arrêt Bingley, au par. 19; arrêt Mohan, à la p. 25).

[123] Cela étant, si un économiste a, au sujet d’une industrie particulière, une expertise qui va au-delà de l’expérience et de la connaissance du Tribunal, rien n’empêche ce témoin de fournir une opinion d’expert sur cette industrie, à la condition de répondre aux autres exigences énoncées dans l’arrêt Mohan. Que l’expert soit qualifié d’expert de l’industrie ou d’économiste n’est pas le facteur déterminant. Ce sont l’étendue et la nature de l’expertise qui comptent.

[124] Le Tribunal ajoute que l’absence d’analyses économétriques ou de preuves quantitatives n’est certes pas suffisante pour disqualifier M. Tretheway en tant qu’expert « économique ». Tout expert, et cela inclut les économistes, est en mesure de fournir des preuves qualitatives ou des preuves quantitatives. Le Tribunal peut se fonder sur ces deux types de preuve (arrêt TREB CAF, au par. 16; Le commissaire de la concurrence c The Toronto Real Estate Board, 2016 Trib conc 7 (la « décision TREB TC »), aux par. 470 et 471), et le même critère s’applique à la question de savoir si le témoignage d’expert fourni est de nature quantitative ou qualitative. Ce critère consiste à savoir si le témoignage fourni est suffisamment clair et convaincant pour répondre à la norme de la prépondérance des probabilités.

[125] Cela dit, le fait que l’on ait jugé que le témoignage d’expert de M. Tretheway était admissible à l’égard des questions 2 et 3 de son rapport ne veut pas dire que l’analyse ou la preuve sur laquelle il s’est fondé pour tirer ses conclusions ne présentait aucun problème ou aucune difficulté. Toutefois, cela touche à la fiabilité et à l’importance de son témoignage d’expert, et il en sera question plus loin dans les présents motifs.

[126] De façon plus générale, le Tribunal n’a pas trouvé que M. Tretheway était aussi fiable et utile que les deux autres témoins experts. Le Tribunal a eu des doutes au sujet de l’impartialité et de l’indépendance de M. Tretheway en raison de la relation commerciale étroite qu’il entretient avec l’AAV. De plus, M. Tretheway n’était pas aussi au fait qu’on aurait pu le penser de la preuve fournie en l’espèce par les sociétés aériennes et les entreprises de services de restauration à bord. Le Tribunal a également jugé que M. Tretheway avait été quelque peu évasif et moins coopératif à plusieurs moments au cours de son contre-interrogatoire, et qu’il avait formulé des affirmations non étayées et conjecturales à divers endroits dans son rapport d’expert écrit, ainsi que dans son témoignage. Dans les cas où son témoignage ne concordait pas avec celui de M. Niels, de M. Reitman ou de témoins ordinaires, le Tribunal a considéré que son témoignage était moins convaincant, objectif et fiable.

C. Les éléments de preuve documentaires

[127] À l’annexe « B » figure une liste des pièces qui ont été admises en l’espèce.

V. LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[128] Il y a deux questions préliminaires qu’il est nécessaire de régler avant de se tourner vers les principales questions qui sont en litige dans la demande du commissaire. Il s’agit des questions suivantes : 1) l’admissibilité de certains éléments de preuve d’Air Transat et de Jazz, et 2) les préoccupations de l’AAV au sujet de modifications tardives qui ont été censément apportées aux actes de procédure du commissaire lors de ses observations finales. Chacune de ces questions sera examinée successivement.

A. L’admissibilité de certains éléments de preuve

[129] Comme il a été indiqué à la section II.D qui précède, lors d’une requête antérieure à l’audience, l’AAV a contesté l’admissibilité du témoignage qu’allaient faire deux des témoins du commissaire, Mme Stewart d’Air Transat et Mme Bishop de Jazz, au motif qu’ils constituaient un témoignage d’opinion d’un profane qui était irrégulier ou du ouï-dire inadmissible. Dans la Décision relative à l’admissibilité, le Tribunal a reporté sa décision sur l’admissibilité de ces éléments de preuve jusqu’au moment où Mmes Stewart et Bishop auraient témoigné à l’audience, signalant que leurs témoignages établiraient un meilleur contexte factuel, qui aiderait le Tribunal à évaluer les éléments de preuve contestés.

[130] Dans sa déclaration de témoin et dans son témoignage, Mme Stewart a déclaré qu’en 2015 Air Transat avait lancé un processus de DP en vue de l’obtention de services de restauration à bord (la « DP d’Air Transat de 2015 »). Elle avait ensuite fait état des économies qu’Air Transat réaliserait censément ou qu’elle s’attendait à réaliser dans les aéroports situés d’un bout à l’autre du Canada, sauf à YVR, à la suite du remplacement de Gate Gourmet par Optimum. Elle avait aussi mentionné l’augmentation des dépenses qu’Air Transat aurait censément engagées ou qu’elle s’attendait à engager à YVR en raison de l’impossibilité d’effectuer un changement semblable à cet Aéroport.

[131] Dans sa déclaration de témoin et son témoignage, Mme Bishop a déclaré qu’en 2014 Jazz avait lancé un processus de DP en vue de l’obtention de services de restauration à bord (la « DP de Jazz de 2014 »). Mme Bishop avait fait état des économies que Jazz s’attendait à réaliser grâce au remplacement de Gate Gourmet par Newrest et Sky Café à YVR ainsi que dans huit autres aéroports, selon un document interne d’évaluation des propositions, joint en tant que pièce 10 à sa déclaration de témoin. Elle a également fait état des économies réelles qui auraient été réalisées à YVR si Jazz avait remplacé Gate Gourmet par [CONFIDENTIEL], selon une analyse, fondée sur les prix, du volume réel des vols, jointe en tant que pièce 13 à sa déclaration de témoin.

[132] L’AAV a soutenu que les conclusions que Mmes Stewart et Bishop avaient tirées, relativement à leurs preuves concernant les allégations d’économies non réalisées et de dépenses accrues à YVR, ne relevaient pas de leur connaissance personnelle et qu’elles n’avaient pas fait les calculs qui sous-tendaient leurs témoignages. L’AAV a donc fait valoir que leurs témoignages sur ces questions constituaient une preuve d’opinion de profane inadmissible ou du ouï-dire inadmissible. À l’audience, les allégations de l’AAV quant à une preuve par ouï-dire inadmissible ont été essentiellement liées au fait que Mme Bishop se fondait sur les pièces 10 et 13 de sa déclaration de témoin. L’AAV, à l’appui de sa position, a invoqué les règles de preuve civiles habituelles.

[133] Le Tribunal n’est pas du même avis que l’AAV. Après avoir entendu les témoignages de Mmes Stewart et Bishop, et après avoir examiné avec soin leurs preuves, le Tribunal conclut que les preuves de Mme Stewart et de Mme Bishop sont admissibles. Les préoccupations que l’AAV a évoquées au sujet de leurs preuves ont trait à leur valeur probante et à l’importance que le Tribunal devrait leur accorder, et non à leur admissibilité. Le Tribunal traitera de ces questions de fiabilité et d’importance plus loin dans sa décision.

(1) Les règles de preuve qu’applique le Tribunal

[134] D’entrée de jeu, les objections que l’AAV a formulées à l’égard des déclarations de témoin de Mmes Stewart et Bishop mettent en cause les règles de preuve que le Tribunal doit appliquer dans ses instances, et elles obligent celui-ci à clarifier son approche à cet égard.

[135] Dans l’arrêt Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2010 CAF 322 (l’« arrêt SOCAN »), la CAF a confirmé le principe général selon lequel les règles strictes de la présentation de la preuve ne s’appliquent pas aux tribunaux administratifs (arrêt SOCAN, au par. 20). Dans cet arrêt, la CAF a décrété qu’aucune exception précise dans la loi n’est nécessaire pour qu’un tribunal administratif s’écarte des règles de preuve officielles, tant qu’il n’y a rien dans sa loi habilitante qui exprime une intention contraire.

[136] Ce fait a été reconnu dans la Décision sur le privilège de la CAF où, dans une affaire mettant en cause le Tribunal, la CAF a réitéré que le droit régissant les éléments de preuve soumis aux décideurs administratifs « n’est pas nécessairement le même que celui applicable dans les procédures judiciaires » (la Décision sur le privilège de la CAF, au par. 25). Cependant, la CAF a formulé une mise en garde importante : « les exigences rigoureuses en matière de preuve ne s’appliquent pas nécessairement dans certaines procédures administratives; leur application dépend du texte, du contexte et de l’objet de la loi qui régit le décideur administratif » [non souligné dans l’original] (la Décision sur le privilège de la CAF, au par. 87). « La loi habilitante, bien interprétée, peut autoriser un décideur administratif à admettre des éléments que les cours de justice considéreraient habituellement comme inadmissibles et donc qu’elles rejetteraient » (la Décision sur le privilège de la CAF, au par. 25).

[137] Dans l’arrêt Pfizer Canada Inc c Teva Canada Limitée, 2016 CAF 161 (l’arrêt « Pfizer Canada »), la CAF a également prévenu que l’assouplissement accru des règles de preuve qui a pris naissance au sein des tribunaux ne veut pas dire qu’un tribunal judiciaire ou administratif peut s’écarter des règles de preuve comme bon lui semble. Dans ce que l’on peut considérer comme des remarques incidentes (car la CAF avait affaire à une décision de la Cour fédérale), la CAF a indiqué qu’il faut une autorisation législative pour qu’un décideur administratif s’écarte des règles de preuve, comme la règle du ouï-dire (arrêt Pfizer Canada, au par. 88) :

Il est vrai que certains décideurs administratifs peuvent s’affranchir de la règle du ouï-dire [...] Mais c’est uniquement parce que les dispositions législatives leur ont donné explicitement ou implicitement le pouvoir de le faire. Sans une disposition législative précise portant sur la question, tous les juges doivent appliquer les règles de preuve, y compris la règle du ouï-dire.

[Renvois omis.]

[138] Il est bien établi que le Tribunal dispose de règles de procédure souples et qu’il est maître de sa propre procédure. Le paragraphe 9(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, LRC (1985), c 19 (2e suppl.) (la « Loi sur le TC »), prescrit expressément au Tribunal de régler les instances qui lui sont soumises de la manière suivante : « [d]ans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, [...] d’agir sans formalisme, en procédure expéditive ». Le même libellé figure au paragraphe 2(1) des Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/2008-141 (les « Règles du TC »).

[139] Cependant, contrairement à de nombreux autres tribunaux administratifs (voir, par exemple : Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada, LC 2001, c 29, au par. 15(1) ou Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H-6, au par. 48.3(9)), il n’existe aucune disposition précise, ni dans la Loi sur le TC, ni dans les Règles du TC, qui assouplit les règles de preuve que le Tribunal est tenu d’appliquer. Il n’existe pas non plus de disposition qui indique explicitement ou implicitement que le Tribunal n’est pas lié par les règles de preuve ordinaires dans le cas des affaires qui lui sont soumises. Certes, il existe dans les Règles du TC des dispositions qui traitent de la production de preuves à l’audience, des déclarations de témoin et des preuves d’expert (p. ex., les Règles du TC, aux art. 71 à 80). Mais, pour reprendre les propos de la CAF dans l’arrêt Pfizer Canada, il n’existe aucune disposition législative précise qui se rapporte aux règles de preuve que le Tribunal doit appliquer. Autrement dit, même si le paragraphe 9(2) de la Loi sur le TC et l’article 2 des Règles du TC prescrivent au Tribunal d’aborder, de manière souple, les instances qui lui sont soumises, aucune disposition précise, dans cette loi et dans ces règles, n’ordonne au Tribunal d’adopter des règles de preuve souples.

[140] Comme l’a déclaré le Tribunal dans la décision B-Filer, dans le contexte de l’admissibilité d’une preuve d’expert, la directive énoncée au paragraphe 9(2) de la Loi sur le TC n’est pas suffisante pour empêcher que l’on applique, de manière générale, les règles de preuve civiles habituelles dans les instances du Tribunal, surtout quand ces règles de preuve ont évolué, en partie du moins, par souci d’équité (décision B-Filer, au par. 258). En fait, dans de nombreuses affaires, le Tribunal a décrété que les principes de preuve qui s’appliquent aux instances judiciaires s’appliquent également à lui dans le contexte de son évaluation de l’admissibilité d’une preuve d’expert (décision B-Filer, au par. 257). Dans la décision Imperial Brush, le Tribunal a décidé de radier la preuve par ouï-dire d’un témoin qui avait simplement répété les observations d’autres personnes sur l’efficacité d’un produit, le motif étant que cette preuve ne répondait pas aux exigences de la fiabilité et de la nécessité, et appliquant ainsi l’approche raisonnée qui régit cette règle de preuve (décision Imperial Brush, au par. 13). Dans le même ordre d’idées, dans la décision Tuyauteries Canada 2003, le Tribunal a appliqué les facteurs énoncés dans l’arrêt Mohan pour radier l’affidavit d’un témoin qui, a-t-il dit, « [n’était] pas nécessaire et [n’aidait] en rien [...] à trancher les questions en litige » (décision Tuyauteries Canada 2003, au par. 36).

[141] Le Tribunal souligne également que l’historique législatif du Tribunal, de même que sa loi habilitante, traduisent une intention de judiciariser, dans une large mesure, ses processus. C’est ce que dénotent notamment : le statut de « cour d’archives » du Tribunal que confère le paragraphe 9(1) de la Loi sur le TC, la présence de membres judiciaires qui, comme juges de la Cour fédérale, ont l’expertise voulue pour traiter des questions de preuve, l’obligation qu’un membre judiciaire préside les audiences du Tribunal, ainsi que les droits d’interjeter appel auprès de la CAF comme si une décision du Tribunal était un jugement de la Cour fédérale (décision B‐Filer, au par. 256). De plus, le paragraphe 9(2) de la Loi sur le TC impose une limite précise à la souplesse générale dont jouit le Tribunal, car il y est prévu que « [d]ans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, il appartient au Tribunal d’agir sans formalisme, en procédure expéditive » [non souligné dans l’original]. De plus, il a été maintes fois reconnu dans de récentes décisions qu’en raison de la nature judiciaire du Tribunal, et de l’effet marquant que ses décisions peuvent avoir sur les intérêts d’une partie, ce dernier est tenu de se soucier au plus haut point de l’équité procédurale : « [l]e Tribunal se situe très près de “l’extrémité judiciaire de l’échelle” – si ce n’est à l’extrémité même –, où les fonctions et les processus ressemblent davantage à ceux des cours de justice et commandent la plus grande mesure d’équité procédurale » (Décision sur le privilège de la CAF, au par. 29; Décision sur le privilège du TC, au par. 169).

[142] Dans la décision B-Filer, le Tribunal a décrété que le libellé du paragraphe 9(2) de la Loi sur le TC est « compatible avec le fait qu’il n’est pas interdit au Tribunal de s’éloigner d’une règle de preuve stricte lorsqu’il le juge à propos » (décision B-Filer, au par. 258). Le Tribunal considère que ce principe général est toujours valide. Cependant, compte tenu des deux arrêts récents de la CAF : Pfizer Canada et Décision sur le privilège de la CAF, de l’importance qu’attache le cadre législatif aux règles d’équité, et de l’absence de dispositions précises autorisant le Tribunal à s’écarter des règles de preuve ordinaires, ce dernier est d’avis que l’éventail des circonstances dans lesquelles il convient d’adopter des règles de preuve plus souples dans ses instances est aujourd’hui plus restreint. Au vu de ces facteurs, il convient de privilégier une approche plus prudente. En bref, le Tribunal considère qu’en l’absence d’une entente entre les parties, il se doit de respecter de manière plus stricte et plus étroite les règles de preuve que l’on applique habituellement dans les instances judiciaires. Cela vaut surtout pour les règles de preuve qui semblent être ancrées dans le souci de respecter les principes d’équité procédurale.

[143] Dans ce contexte, en l’absence de consentement, le Tribunal hésitera à s’écarter des règles de preuve ordinaires et habituelles dans les cas où la raison d’être des règles de preuve est l’équité procédurale, comme c’est le cas pour la règle du ouï-dire ou les règles régissant les preuves d’expert (arrêt Pfizer Canada, aux par. 95 à 98; décision Imperial Brush, au par. 13). Dans le même ordre d’idées, plus les éléments de preuve seront cruciaux et plus ils toucheront le cœur même de la question en litige qui est soumise au Tribunal, plus celui-ci se conformera de près aux règles de preuve. Quand il applique d’autres règles de preuve qui ne sont pas fondées sur l’équité procédurale, le Tribunal peut être disposé à faire montre de plus de souplesse (Décision sur le privilège de la CAF, au par. 87), compte tenu du fait que les tribunaux ont de plus en plus libéralisé les règles d’admissibilité ordinaires (arrêt Pfizer Canada, au par. 83).

[144] En l’espèce, même en tenant compte des règles de preuve civiles ordinaires qui régissent le témoignage d’opinion d’un profane et les preuves par ouï-dire et en les appliquant, le Tribunal est convaincu de l’admissibilité du témoignage de Mmes Stewart et Bishop que conteste l’AAV.

(2) Les témoignages d’opinion de profanes

[145] Si l’on examine tout d’abord l’argument qu’invoque l’AAV au sujet des témoignages d’opinion de profanes, la règle générale est la suivante : un témoin profane ne peut pas fournir un témoignage d’opinion; il peut uniquement témoigner sur les faits qui relèvent de ses connaissances, de ses observations et de son expérience (arrêt White Burgess, au par. 14; arrêt TREB CAF, au par. 78). La principale raison pour laquelle on exclut les témoignages d’opinion de témoins profanes est que ceux-ci ne sont pas utiles au décideur et qu’ils peuvent l’induire en erreur (arrêt White Burgess, au par. 14). Ce principe se reflète dans les paragraphes 68(2) et 69(2) des Règles du TC, qui indiquent tous deux que « [s]auf entente contraire entre les parties, la déclaration d’un témoin se limite aux faits dont il pourrait témoigner oralement ainsi qu’aux documents admissibles comme pièces jointes ou aux renvois à ceux-ci ».

[146] La CSC a toutefois reconnu que « [l]a distinction entre un ‘fait’ et une ‘opinion’ n’est pas nette » (Graat c La Reine, [1982] 2 RCS 819, 144 DLR (3d) 267, à la p. 835). Les tribunaux ont donc acquis plus de latitude pour recevoir les opinions d’un témoin profane si ce dernier a une connaissance personnelle des faits observés et s’il témoigne sur des faits qui relèvent de ses observations, de son expérience et de sa compréhension d’un événement, d’une conduite ou d’une action. À cet égard, la CAF a récemment décrété, là encore dans le contexte d’une instance du Tribunal, que l’opinion d’un témoin profane est acceptable « lorsque le témoin est mieux placé que le juge des faits pour former les conclusions; que les conclusions sont celles qu’une personne possédant une expérience ordinaire peut tirer; que les témoins ont l’expérience leur permettant de tirer les conclusions ou que donner des opinions est une méthode pratique pour déclarer des faits trop fugaces ou compliqués pour être énoncés autrement » (arrêt TREB CAF, au par. 79). Dans ce contexte, quand un témoin a une connaissance personnelle de faits observés, comme les activités réelles et pertinentes d’une entreprise, son témoignage peut être admis par un tribunal judiciaire ou le Tribunal, même s’il s’agit d’un témoignage d’opinion (arrêt TREB CAF, au par. 80; arrêt Pfizer Canada, aux par. 105 à 108).

[147] En outre, il a été reconnu que les témoins profanes peuvent faire part d’opinions au sujet de leur propre conduite et de leur propre entreprise (arrêt TREB CAF, aux par. 80 et 81). La CAF a toutefois précisé qu’il y a des limites à un tel témoignage : « des témoins profanes ne peuvent pas témoigner sur des questions allant au-delà de leur propre conduite et de celle de leur entreprise dans le monde hypothétique. Les témoins profanes ne sont pas mieux placés que le juge des faits pour tirer des conclusions au sujet des conséquences économiques globales, n’eût été de la pratique en question; ils ne possèdent pas non plus l’expérience pour le faire » [non souligné dans l’original] (arrêt TREB CAF, au par. 81).

[148] Autrement dit, lorsqu’un témoin a eu une « possibilité d’observation personnelle » et est « en mesure d’apporter une aide réelle à la Cour », le témoignage peut être admissible et le réel enjeu sera d’évaluer le poids du témoignage (décision Imperial Brush, au par. 11). Dans le même ordre d’idées, la CSC a décrété, dans le contexte d’un témoignage d’expert, que l’absence d’un fondement probatoire a une incidence sur le poids à accorder à une opinion, pas sur son admissibilité (R c Molodowic, 2000 CSC 16, au par. 7; R c Lavallée, [1990] 1 RCS 852, 108 NR 321, aux p. 896 et 897).

[149] Dans la présente affaire, le Tribunal est convaincu que Mmes Stewart et Bishop avaient toutes deux les connaissances personnelles, les observations et l’expérience qui étaient requises pour témoigner au sujet des questions que contestait l’AAV.

[150] Mme Stewart était chargée de toutes les activités d’approvisionnement liées aux services de restauration à bord d’Air Transat entre les années 2014 et 2017, et cela inclut le processus de DP d’Air Transat de 2015. Elle a également exposé les informations de base et témoigné sur le rôle qu’elle avait joué dans ce processus de DP, et elle a notamment déclaré qu’elle avait une [traduction] « connaissance personnelle des questions » analysées dans sa preuve. Il était évident que, dans son témoignage, Mme Stewart parlait des propres activités d’Air Transat, qu’elle avait participé de près au processus de DP et qu’elle jouissait de la compétence expérientielle requise pour aider la formation.

[151] Pour ce qui est de Mme Bishop, celle-ci avait assumé la responsabilité quotidienne du processus de DP de Jazz de 2014 et avait assuré la direction stratégique de l’équipe chargée du processus de DP de 2014. Elle a également mentionné qu’elle effectuait des examens mensuels afin de respecter les objectifs et les coûts fixés dans tous les secteurs et qu’elle avait supervisé le budget et les factures concernant la totalité des services de restauration à bord. De plus, elle a fourni quelques renseignements de base sur les économies manquées et les dépenses accrues censément engagées par Jazz à YVR. À l’instar de Mme Stewart, Mme Bishop a aussi déclaré qu’elle avait une [traduction] « connaissance personnelle des questions » analysées dans sa preuve.

[152] Pour ce qui est des déclarations de Mme Bishop à propos des économies qu’aurait permis de réaliser le remplacement de Gate Gourmet, elle avait une connaissance personnelle du processus d’évaluation des propositions qui avaient été présentées à la suite de la DP ainsi que des économies réelles que le remplacement de Gate Gourmet aurait permis de réaliser à YVR. À titre de directrice des services de restauration à bord et des produits à acheter à bord chez Jazz, elle a dirigé et supervisé le processus de DP et a supervisé une équipe de personnes participant à ce processus. Elle a assisté à des réunions et pris part à des appels avec les proposants et elle a passé en revue tous les documents justificatifs. Il ressortait de son témoignage que l’évaluation des soumissions avait été établie à sa demande et qu’elle connaissait bien la manière dont les soumissions étaient évaluées. Plus précisément, la pièce 10 a été établie par trois personnes travaillant directement sous ses ordres (M. Keith Lardner, M. Trevor Umlah et Mme Pamela Craig), en vue d’évaluer les soumissions reçues et de déterminer à qui seraient accordées les succursales en jeu. Dans le témoignage qu’elle a fait devant le Tribunal, Mme Bishop a été en mesure de parler du document. De la même façon, la pièce 13 a été établie à sa demande, par une personne relevant d’elle (Mme Craig), en vue de déterminer les économies manquées sur le plan des services de restauration à bord ou les pertes subies et effectuer l’analyse des prix. Mme Bishop n’est pas [traduction] « entrée dans les détails » des chiffres, mais elle connaissait suffisamment bien les deux pièces pour témoigner en détail sur leur teneur et expliquer de quelle façon les analyses qui y figuraient avaient été effectuées (Transcription, Conf. B, le 3 octobre 2018, à la p. 128).

[153] Le Tribunal reconnaît que Mme Bishop a confirmé qu’elle n’avait pas établi elle-même les pièces 10 et 13 et qu’elle n’avait pas fait directement les calculs qui sous-tendaient les conclusions tirées dans ces deux pièces. Cependant, le Tribunal considère que le fait qu’elle n’ait pas pu concilier de nombreux chiffres ou expliquer les différences avec d’autres chiffres cités n’a une incidence que sur l’importance à accorder au témoignage, et non son admissibilité.

[154] Après avoir entendu les deux témoins, l’interrogatoire auquel les avocats du commissaire les a soumises, le contre-interrogatoire qu’ont effectué les avocats de l’AAV et les questions posées par la formation, le Tribunal n’est pas convaincu que la preuve que conteste l’AAV ne relevait pas des connaissances, de la compréhension, des observations ou de l’expérience respectives de Mmes Stewart et Bishop, ou que ces deux témoins n’avaient pas observé les faits contenus dans leurs déclarations de témoin respectives, relativement à la preuve contestée. Il n’y a donc aucune raison de déclarer qu’une partie quelconque de leur témoignage est inadmissible parce qu’il s’agit d’un témoignage d’opinion de profane irrégulier.

(3) Les preuves par ouï-dire

[155] L’AAV a fait valoir de plus que le témoignage de Mme Bishop au sujet des pièces 10 et 13 constituait du ouï-dire inadmissible.

[156] Nul ne conteste qu’une preuve par ouï-dire est présumée inadmissible. Les caractéristiques déterminantes essentielles du ouï-dire sont les suivantes : « (1) le fait que la déclaration soit présentée pour établir la véracité de son contenu et (2) l’impossibilité de contre‐interroger le déclarant au moment précis où il fait cette déclaration » (R c Khelawon, 2006 CSC 57 (l’« arrêt Khelawon », au par. 35). Cela étant, les déclarations qui ne relèvent pas de la connaissance personnelle des témoins constituent du ouï-dire (arrêt Canadian Tire Corp Ltd c PS Partsource Inc, 2001 CAF 8, au par. 6). De plus, une preuve documentaire que l’on produit pour établir la véracité de sa teneur est du ouï-dire, car il est impossible de contre-interroger l’auteur du document en même temps que celui-ci est créé (Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, 5e édition, Toronto, LexisNexis Canada, 2018, à §18.9). L’objection fondamentale à une preuve par ouï-dire est qu’il est impossible de vérifier, par un contre‐interrogatoire approprié, la fiabilité des déclarations qui sont relatées. Il s’agit là d’un point préoccupant sur le plan de l’équité procédurale.

[157] Mais il est néanmoins possible de surmonter l’inadmissibilité présumée du ouï-dire en établissant que la preuve proposée tombe sous le coup d’une exception légale ou de common law reconnue à la règle du ouï-dire. Par exemple, les pièces commerciales sont une exception reconnue par l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5 ainsi que sous le régime de la common law (Cabral c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 4, aux par. 25 et 26). Une preuve par ouï-dire peut aussi être admissible si elle satisfait au double critère de la « nécessité » et de la « fiabilité », selon l’approche raisonnée qu’ont mise au point la CSC et les tribunaux (R c Bradshaw, 2017 CSC 35 (l’« arrêt Bradshaw »), au par. 23; arrêt R c Mapara, 2005 CSC 23, au par. 15). Ces exceptions à la règle du ouï-dire ont pour but de faciliter la recherche de la vérité en admettant en preuve des déclarations relatées qui sont faites de manière fiable ou qu’il est possible de vérifier adéquatement.

[158] Selon l’approche raisonnée, il incombe à la personne qui souhaite produire la preuve d’établir la nécessité et la fiabilité de cette dernière selon la prépondérance des probabilités (arrêt Khelawon, au par. 47). La « nécessité » a trait à la pertinence et à la disponibilité de la preuve. On répond à l’exigence de la « nécessité » s’il est « raisonnablement nécessaire » de présenter la preuve par ouï-dire en vue d’obtenir la version des faits du déclarant. La « fiabilité » renvoie au « seuil de fiabilité », qu’il appartient au juge des faits de déterminer. Le seuil de fiabilité « peut être atteint s’il est démontré (1) qu’il existe d’autres façons adéquates de vérifier la vérité et l’exactitude (fiabilité d’ordre procédural), ou (2) qu’il existe des garanties circonstancielles ou relatives à la preuve conférant une fiabilité inhérente à la déclaration relatée (fiabilité substantielle) » (arrêt Bradshaw, au par. 27). Le juge des faits a pour tâche de déterminer si la déclaration relatée en question présente des indices de nécessité et de fiabilité qui sont suffisants pour qu’il dispose d’une base suffisante pour examiner la véracité et la crédibilité de la déclaration.

[159] Les principes de nécessité et de fiabilité ne sont pas des normes fixes. Ils sont fluides et travaillent en tandem. Si une preuve précise démontre un degré élevé de fiabilité, la nécessité peut alors être assouplie; de la même façon, si le degré de nécessité est élevé, il est alors possible que l’on ait besoin de moins de fiabilité.

[160] Dans la présente affaire, après avoir entendu le témoignage de Mme Bishop, le Tribunal est convaincu que la preuve de cette dernière au sujet des pièces 10 et 13 de sa déclaration de témoin répond aux critères de la nécessité et de la fiabilité et n’est pas assimilable à du ouï-dire inadmissible. Même si l’on présume que les documents constituent une preuve par ouï-dire (car Mme Bishop n’était pas l’auteure de ces tableaux), le Tribunal signale que ces derniers ont été établis et consignés dans le cours habituel et ordinaire des affaires, dans le contexte du processus de DP de Jazz en 2014, à la demande de Mme Bishop. En sa qualité de superviseure, Mme Bishop avait une connaissance et une compréhension personnelles suffisantes du contenu de ces tableaux. Le témoignage et le contre-interrogatoire de Mme Bishop à l’audience montrent que l’AAV a eu la possibilité requise de vérifier la véracité et l’exactitude des deux tableaux sur lesquels Mme Bishop s’était fondée à l’appui de son témoignage au sujet des présumées économies manquées et dépenses accrues à YVR. En outre, le Tribunal est d’avis que cette preuve était pertinente et que Mme Bishop la connaissait suffisamment bien pour que la formation dispose d’une base satisfaisante pour examiner la véracité de la preuve. Autrement dit, les circonstances dans lesquelles les documents ont été créés procurent à la formation l’assurance nécessaire qu’ils sont suffisamment fiables pour être admis en preuve. Ces circonstances offraient une base suffisante pour évaluer la fiabilité et l’exactitude des documents, c’est-à-dire au moyen du témoignage et du contre-interrogatoire de Mme Bishop.

(4) Conclusion

[161] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que les parties de la preuve de Mmes Stewart et Bishop que l’AAV conteste ne sont pas inadmissibles. Cependant, comme il est décrit en détail à la section VII.E ci-après, dans le cadre de l’analyse portant sur l’alinéa 79(1)c), le Tribunal a de sérieux doutes quant au poids à accorder à cette preuve particulière au vu des nombreuses inexactitudes et différences notées dans les chiffres et les analyses qui ont été révélés en contre-interrogatoire.

B. Les modifications tardives qui auraient été apportées aux actes de procédure

[162] La seconde question préliminaire a trait aux modifications tardives que le commissaire a censément apportées à ses actes de procédure.

[163] Dans leurs observations finales, les avocats du commissaire ont invoqué l’argument subsidiaire selon lequel un marché regroupé des « services de restauration à bord », formé à la fois de services de restauration et de services de manutention, pouvait être pertinent aux fins de ses allégations d’abus de position dominante. Les avocats de l’AAV s’y sont opposés et ont fait valoir que le commissaire avait très clairement plaidé deux – et seulement deux – marchés pertinents dans sa demande, soit le marché relatif à l’accès au côté piste et le marché des services de manutention. Les avocats de l’AAV ont soulevé une question d’équité procédurale et ont fait valoir qu’une responsabilité au titre de l’article 79 ne pouvait être imposée à l’AAV que si le Tribunal concluait que c’étaient les services de manutention, et non les services de restauration à bord, qui constituaient le marché pertinent, car le second des deux n’était pas un marché pertinent que le commissaire avait plaidé.

[164] Les avocats de l’AAV ont également mis en doute le fait que, dans ses observations finales et sa plaidoirie finale, le commissaire avait fait référence à un troisième motif démontrant l’existence de l’ICP de l’AAV dans le marché pertinent. À l’appui de sa position sur l’ICP de l’AAV, le commissaire a fait état d’une preuve montrant que l’AAV tirerait des revenus aéronautiques supplémentaires des nouveaux vols ou des vols supplémentaires qu’elle serait en mesure d’attirer en évitant de perturber la concurrence dans le marché pertinent et en assurant une offre stable et concurrentielle sur le plan des services de restauration à bord. Les avocats de l’AAV ont fait valoir que le commissaire avait uniquement plaidé deux faits à l’appui de l’intérêt concurrentiel de l’AAV à l’égard du marché des services de manutention à YVR, soit les redevances de concession et les baux fonciers qu’elle recevait des entreprises de services de restauration à bord. Les avocats de l’AAV ont donc soutenu que le commissaire ne pouvait pas se fonder tout à coup sur un troisième fait dans sa plaidoirie finale, car celui-ci n’était pas inclus dans ses actes de procédure. L’AAV a donc demandé au Tribunal de faire abstraction d’une tentative quelconque du commissaire de prouver l’existence d’un ICP qui reposerait sur des faits autres que les redevances de concession et les loyers fonciers plaidés.

[165] Le Tribunal ne souscrit à ni l’une ni l’autre des deux objections que l’AAV a soulevées.

(1) Le cadre analytique

[166] Il est bien établi que, tant qu’il n’y a aucune « surprise » ou aucun « préjudice » causé aux parties lorsqu’une question qui n’a pas été clairement plaidée est soulevée, un tribunal judiciaire ou un décideur comme le Tribunal peut se prononcer sur une question qui ne cadre pas tout à fait avec les actes de procédure. Autrement dit, un tribunal judiciaire ou le Tribunal peut se prononcer sur une question nouvelle si les parties ont eu une possibilité raisonnable d’y répondre. Il n’y aura manquement à l’équité procédurale que si le fait d’examiner une nouvelle question cause préjudice à une partie.

[167] Dans l’arrêt Tervita Corporation c Commissaire de la concurrence, 2013 CAF 28 (l’« arrêt Tervita CAF »), infirmé pour d’autres motifs par 2015 CSC 3, la CAF a résumé de manière utile ce principe, aux paragraphes 71 à 74 :

[71] Dans le cadre normal d’une instance, les parties au litige sont en droit de voir le différend tranché en fonction des seules questions soulevées dans les actes de procédure. Cela tient au fait que le juge de première instance qui déborde le cadre des actes de procédure pour trancher le litige dont il est saisi risque de priver une des parties d’une possibilité équitable de traiter des questions de preuve connexes [...]

[72] Il ne s’ensuit pas pour autant que le juge de première instance doive toujours s’en tenir à ce qui est énoncé dans les actes de procédure. En fait, une décision peut reposer sur un fondement qui ne correspond pas parfaitement aux actes de procédure si aucune partie à l’instance n’est prise par surprise ou ne subit de préjudice [...]

[73] Le juge de première instance doit trancher l’affaire dont il est saisi en fonction des faits qu’il constate et du droit applicable. Par conséquent, il n’y a pas iniquité procédurale lorsque le juge, de sa propre initiative, soulève et tranche une question dans le cadre de l’instance dès lors qu’il signale la question aux parties et leur donne une possibilité raisonnable d’y répondre [...]

[74] Ces principes valent également dans le cas d’instances contestées introduites devant le Tribunal. Le Tribunal est assimilé à une cour de justice (article 8 et paragraphe 9(1) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence). Bien que le Tribunal doive agir sans formalisme, en procédure expéditive, il est néanmoins tenu de respecter les principes d’équité procédurale (paragraphe 9(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence). [...]

[Renvois omis]

[168] En outre, pour analyser s’il existe une « question nouvelle », les tribunaux ont pris en compte tous les aspects du procès et ne se sont pas limités à ce qui avait été plaidé dans la déclaration et dans d’autres actes de procédure. Cela inclut les preuves produites à l’audience et les arguments qui y sont invoqués, dans la mesure où les parties ont eu une possibilité raisonnable d’y répondre.

(2) L’expansion des marchés pertinents

[169] Dans la présente affaire, le Tribunal n’hésite aucunement à conclure qu’un marché regroupé des « services de restauration à bord » a été une question litigieuse pendant toute la durée de la présente affaire, même si le commissaire ne l’a pas expressément plaidée.

[170] Bien que le commissaire n’ait pas fait état d’un marché plus vaste que celui des services de manutention dans ses actes de procédure initiaux, un marché élargi, formé des services de restauration et des services de manutention, a été mis en jeu par l’AAV dans sa réponse modifiée à la demande du commissaire, ainsi que dans son Énoncé concis de la théorie économique applicable et dans son argumentation écrite finale. Par ailleurs, dans sa réplique aux actes de procédure initiaux de l’AAV, le commissaire a affirmé : [traduction] « l’AAV s’est livrée et continue de se livrer à un abus de position dominante dans le marché, relativement à la fourniture de services de restauration à bord à l’Aéroport » [non souligné dans l’original] (Réplique du commissaire, au par. 19), lesquels, a-t-il défini, comprennent à la fois les services de manutention et les services de restauration.

[171] La question d’un marché regroupé ou combiné des « services de restauration à bord » a également été analysée à divers stades dans le cadre du volet « Présentation de la preuve » de l’audience. Dans son premier rapport, M. Niels a examiné la question des marchés séparés ou regroupés de services de manutention et de services de restauration à bord. Il a émis l’opinion que la manière dont on délimite les marchés en aval importe peu car la contribution essentielle de l’accès au côté piste était requise, quelle que soit la définition adoptée, pour pouvoir charger des aliments à bord d’un aéronef. Il a donc laissé la question ouverte. À l’audience, M. Niels a été explicitement contre-interrogé sur le fait de savoir si le marché de produits pertinent était le regroupement des services de manutention et des services de restauration, plutôt que de constituer chacun un marché pertinent distinct.

[172] De plus, M. Reitman a pris acte de la question et l’a commentée dans son rapport, concluant en fin de compte que, si l’on retenait les définitions du commissaire, les services de manutention et les services de restauration constituaient des marchés distincts.

[173] De plus, en raison des différences entre les parties quant au lien existant entre les services de manutention et les services de restauration, la formation a explicitement demandé aux parties, au début de l’audience, de clarifier le lien juridique et factuel entre ces services complémentaires. Le Tribunal fait de plus remarquer que, lors de l’interrogatoire préalable, l’AAV a demandé si le commissaire considérait que les [traduction] « services de restauration fournis aux sociétés aériennes » étaient un marché pertinent et s’il était soutenu que l’AAV avait restreint la concurrence au sein de ce marché. Le représentant du commissaire a répondu par la négative à ces deux questions (pièces R-190, CR-188 et CR-189, mémoire des extraits des interrogatoires préalables et des réponses aux engagements de Kevin Rushton (volume 1 sur 3), aux p. 129 et 130).

[174] En résumé, l’AAV ne peut pas dire qu’elle a été prise par surprise par la pertinence de ce marché élargi des « services de restauration à bord ». En fait, elle a plutôt soutenu qu’une forme de marché regroupé des « services de restauration à bord », comprenant à la fois la préparation d’aliments et leur chargement à bord de l’aéronef ou leur déchargement de ce dernier, était le marché pertinent, d’après les éléments de preuve que les participants au marché avaient fournis. Dans les circonstances, le Tribunal est convaincu que l’AAV a eu une occasion raisonnable de traiter de la question de savoir si le marché pertinent dans lequel les services de manutention sont fournis comprend, en tout ou en partie, les services de restauration, et que le fait que le commissaire n’ait pas plaidé l’existence d’un marché pertinent plus large, subsidiairement à un marché pertinent formé des services de manutention seulement, n’a pas porté préjudice à l’AAV (arrêt Tervita CAF, aux par. 72 et 73; Husar Estate c P & M Construction Limited, 2007 ONCA 191, au par. 44).

[175] Les affaires que l’AAV a citées à l’appui de son objection peuvent être distinguées de la présente espèce. Premièrement, l’arrêt Kalkinis (Litigation Guardian of) c Allstate Insurance Co of Canada (1998), 41 OR (3d) 528, 117 OAC 193 (ONCA) portait sur le défaut de plaider une « cause d’action » particulière. En l’espèce, l’AAV ne soutient pas que le commissaire n’a pas plaidé une cause d’action; elle se plaint plutôt des définitions différentes du marché de produits pertinent que le commissaire propose. Dans la présente affaire, l’AAV a toujours soutenu que la distinction que faisait le commissaire entre les services de restauration et les services de manutention était artificielle et arbitraire. En fait, elle a proposé que les deux fonctions, soit celle d’apprêter les aliments et celle de les charger à bord de l’aéronef, étaient inextricablement liées et qu’elles devraient figurer dans le même marché de produits, qu’il s’agisse d’un marché de [traduction] « services de restauration à bord de première classe » ou d’un marché de [traduction] « services de restauration à bord standards ». Il a été très possible que le Tribunal conclut en faveur d’un regroupement des éléments « services de restauration » et « services de manutention », d’après les éléments de preuve et les arguments que l’AAV a elle-même invoqués.

[176] L’AAV cite également l’arrêt de la CAF Weatherall c Canada (Procureur général), [1989] 1 CF 18, 41 CRR 62, aux p. 30 à 35. Cependant, cette décision jurisprudentielle n’est pas d’une grande utilité pour l’AAV, car elle a trait à une question (la validité constitutionnelle d’une disposition réglementaire particulière) dont l’appelante n’avait pas eu la possibilité de traiter au procès, car elle n’avait pas du tout été mise en jeu. Là encore, dans la présente affaire, la question de savoir si le marché pertinent devrait être défini en fonction d’un marché regroupé des services de restauration et des services de manutention a été en litige pendant toute la durée de l’audience devant le Tribunal.

[177] Enfin, le Tribunal fait remarquer qu’il n’est au courant d’aucune affaire dans laquelle la thèse qu’avance l’AAV a été retenue, en prenant pour base que l’acte de procédure initial concernant un marché pertinent a été changé par la suite, que ce soit pour un marché plus restreint ou pour un marché plus vaste.

(3) Un motif supplémentaire pour l’ICP de l’AAV

[178] Pour ce qui est du fait supplémentaire que le commissaire a évoqué dans son plaidoyer final en vue d’ancrer l’intérêt concurrentiel de l’AAV, il s’agit simplement d’une preuve qui est ressortie à l’audience et qui découlait de l’opinion d’expert du propre témoin de l’AAV, M. Tretheway.

[179] Il convient de rappeler qu’un juge des faits tel que le Tribunal peut non seulement trancher une affaire sur un fondement différent de celui qui est énoncé dans les actes de procédure, mais il peut aussi se fonder sur tous les faits qui sont mis en preuve devant lui, et ce, même si ces faits particuliers n’ont pas été expressément mentionnés dans les actes de procédure. Autrement dit, le Tribunal est en droit de tirer des conclusions qui découlent directement de la preuve fournie et des observations finales des parties au procès. En fait, il arrive souvent, lors d’audiences tenues devant les tribunaux judiciaires ou le Tribunal, qu’un interrogatoire ou un contre-interrogatoire révèle l’existence d’un élément de preuve qui étaye la position de l’une des parties et qui n’était pas nécessairement envisagé dans les actes de procédure. Rien n’empêche une partie, un tribunal judiciaire ou le Tribunal de se fonder sur des éléments supplémentaires révélés par la preuve à l’appui d’un argument (arrêt Tervita CAF, aux par. 73 et 74).

[180] Une fois de plus, il n’est pas contesté que la question de l’intérêt concurrentiel de l’AAV dans le marché des services de manutention a été une question centrale dans la présente instance, et que le commissaire n’a pas soulevé une [traduction] « question nouvelle » dont l’AAV n’était pas au courant en signalant d’autres éléments de la preuve qui étayaient, à son avis, l’existence d’un ICP de l’AAV. Le commissaire a simplement fait référence à un autre élément de preuve pertinent dans le dossier qui étayait sa position sur ce point. Par ailleurs, cette preuve venait de l’un des propres témoins de l’AAV. Le Tribunal n’est au courant d’aucune règle de preuve ou d’aucun principe de preuve qui l’amènerait à faire abstraction d’une telle preuve ou à l’exclure dans son évaluation de l’ICP de l’AAV.

[181] Le Tribunal estime que ce qui s’est passé en l’espèce est nettement différent d’affaires dans lesquelles une partie a soulevé un nouveau point ou un nouvel argument auquel l’autre partie n’a pas eu la possibilité de répondre. Faire référence à un élément de preuve nouveau ou inattendu dans le dossier n’équivaut pas à soulever une nouvelle question et ne soulève certainement pas un éventuel manquement possible à l’équité procédurale.

(4) Conclusion

[182] Pour tous les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que les objections de l’AAV au sujet des observations finales du commissaire sont dénuées de tout fondement.

VI. LES QUESTIONS EN LITIGE

[183] La présente instance soulève les questions générales qui suivent :

  • La DCR a-t-elle pour effet d’exempter ou de mettre à l’abri l’AAV de l’application de l’article 79 au motif que la conduite reprochée a été entreprise dans le cadre d’un mandat législatif ou réglementaire validement adopté?
  • Pour les besoins de la présente instance, quel est ou quels sont le ou les marchés pertinents?
  • L’AAV contrôle-t-elle sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises dans l’une des régions du Canada, comme l’envisage l’alinéa 79(1)a) de la Loi?
  • L’AAV se livre-t-elle ou s’est-elle livrée à une pratique d’agissements anticoncurrentiels, comme l’envisage l’alinéa 79(1)b) de la Loi? Plus précisément :
    1. L’AAV a-t-elle un ICP dans le marché pertinent où, le commissaire a-t-il allégué, une pratique d’agissements anticoncurrentiels a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence?
    2. La « nature générale » de la conduite reprochée de l’AAV était-elle anticoncurrentiellee ou légitime? Dans la dernière éventualité, est-ce toujours le cas?
  • La conduite reprochée a-t-elle eu pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans le marché qui est pertinent aux fins de l’alinéa 79(1)c) de la Loi, ou a‐t‐elle ou aura-t-elle vraisemblablement cet effet?
  • Quels dépens convient-il d’adjuger?

[184] Chacune de ces questions sera analysée successivement.

VII. ANALYSE

A. La DCR a-t-elle pour effet d’exempter ou de mettre à l’abri l’AAV de l’application de l’article 79 au motif que la conduite reprochée a été entreprise dans le cadre d’un mandat législatif ou réglementaire validement adopté?

[185] Une question préliminaire qu’il convient de trancher dans la présente instance est celle de savoir si la DCR peut avoir pour effet d’exempter ou de mettre à l’abri l’AAV de l’application de l’article 79. Pour ce qui est de cette question, le fardeau incombe à la partie qui invoque la DCR, soit l’AAV.

[186] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que, en droit, la DCR ne s’applique pas à l’article 79 de la Loi car cette disposition ne contient pas les termes accordant la « latitude » requise pour que l’on puisse invoquer la doctrine, et les raisons d’être de cette dernière ne sont pas présentes en ce qui concerne l’article 79. De plus, en tant que question de fait en l’espèce, aucune loi, aucun règlement ou aucun instrument législatif subordonné validement adopté ne prescrivait, n’ordonnait ou ne permettait que l’AAV, expressément ou par déduction nécessaire, se livre à la conduite reprochée. Par ailleurs, même si un règlement ou un autre instrument législatif subordonné de nature fédérale avait prescrit, ordonné ou permis la conduite reprochée, la DCR n’aurait pas pu être invoquée car le conflit entre un tel instrument subordonné et la Loi aurait été tranché en faveur de cette dernière.

1) La DCR

[187] À l’origine, la DCR était une doctrine de common law qui prévoyait une certaine forme d’immunité contre certaines dispositions figurant dans les précurseurs de la Loi, à l’intention des personnes qui y avaient censément contrevenu. La doctrine a évolué et a été appliquée dans les cas où la conduite donnant lieu à la violation alléguée était exigée, prescrite ou permise, expressément ou de manière implicite, par une autre loi validement adoptée.

[188] Dans la pratique, la DCR est devenue un principe d’interprétation législative destiné à régler un conflit apparent entre les dispositions criminelles de la législation fédérale sur la concurrence (la Loi et celles qui l’ont précédée) et des régimes réglementaires provinciaux validement adoptés (Hughes c Liquor Control Board of Ontario, 2018 ONSC 1723 (la « décision Hughes »), au par. 202, conf. par 2019 ONCA 305; Law Society of Upper Canada c Canada (Procureur général) (1996), 28 OR (3d) 460, 134 DLR (4th) 300 (la « décision LSUC »), à la p. 468 (ONSC)). La doctrine avait pour objet général d’éviter de [traduction] « criminaliser une conduite qu’une province estime être dans l’intérêt du public » (Hughes c Liquor Control Board of Ontario, 2019 ONCA 305 (l’« arrêt Hughes CA »), au par. 38).

[189] Dans ce contexte, le principe qui sous-tend la DCR est le suivant : « [c]haque fois qu’on peut légitimement interpréter une loi fédérale de manière qu’elle n’entre pas en conflit avec une loi provinciale, il faut appliquer cette interprétation de préférence à toute autre qui entraînerait un conflit » (Garland c Consumers’ Gas Co, 2004 CSC 25 (l’« arrêt Garland »), au par. 76, citant Attorney General of Canada c Law Society of British Columbia, [1982] 2 RCS 307, 72 OR (3d) 80 (l’« arrêt Jabour »), à la p. 356).

[190] Il existe deux conditions préalables générales à l’application de la DCR. Premièrement, le législateur doit avoir fait état, expressément ou par déduction nécessaire, d’une intention claire d’accorder à ceux qui agissent conformément à un régime de réglementation provinciale valide la « latitude » de le faire (arrêt Garland, au par. 77; décision Hughes, aux par. 204 et 205). En d’autres termes, le libellé de la loi fédérale doit laisser à la législation provinciale la place voulue pour fonctionner et pour adopter une conduite qui, en d’autres circonstances, serait interdite, de manière à échapper à l’application de l’interdiction (arrêt Hughes CA, au par. 16; décision Hughes, au par. 200). Il a été conclu que cette latitude était accordée par des mots tels que « dans l’intérêt du public » ou « indûment » (en parlant d’empêcher ou de diminuer la concurrence) qui figuraient dans la loi fédérale en question (arrêt Garland, au par. 75; arrêt Jabour à la p. 348; R c Chung Chuck, [1929] 1 DLR 756, 1 WWR 394 (l’« arrêt Chung Chuck »), aux p. 759 à 761 (C.A.C.-B.)). Dans les cas où de tels mots étaient présents, les tribunaux ont déclaré, de diverses manières, que le fait de se conformer aux édits d’une mesure provinciale validement adoptée ne pouvait guère équivaloir à une chose qui est « contraire à l’intérêt public » ou à une chose qui est « indue » (arrêt Jabour, à la p. 354). À l’inverse, en l’absence de mots accordant une telle latitude, on ne peut pas invoquer la DCR, même dans le cas d’une conduite susceptible de favoriser l’intérêt public, comme une province le définit ou l’envisage implicitement (Canada (Procureur général) c PHS Community Services Society, 2011 CSC 44 (l’« arrêt PHS »), aux par. 54 à 56).

[191] Lorsqu’il est possible de déterminer que le texte législatif fédéral, par l’emploi de mots accordant la latitude requise, permet à la loi provinciale d’être appliquée ou à l’activité réglementée par la province d’être exécutée sans être criminalisée, il n’y a pas de conflit entre la disposition criminelle fédérale et la loi ou le régime réglementaire de la province (décision Hughes, aux par. 201 et 204). En ce sens, la DCR vise en fait à concilier les compétences fédérale et provinciale, de manière à ce que la Loi puisse atteindre ses objectifs sans faire obstacle à un régime réglementaire provincial validement adopté.

[192] Lorsqu’on conclut que les mots qui accordent la latitude requise dans la loi fédérale existent, l’analyse porte alors sur l’évaluation de la seconde condition préalable à l’application de la DCR. Cette condition exige que la conduite qui serait par ailleurs interdite par la Loi soit exigée, contrainte, mandatée ou à tout le moins permise par une loi provinciale validement adoptée (arrêt Jabour, aux p. 354 et 355; arrêt Hughes CA, aux par. 19 et 20; R c Independent Order of Foresters (1989), 26 CPR (3d) 229, 32 OAC 278 (l’« arrêt Foresters »), aux p. 233 et 234 (ONCA); décision Hughes, au par. 220; Fournier c Mercedes-Benz Canada, 2012 ONSC 2752 (la « décision Fournier Leasing »), au par. 58; Industrial Milk Producers Assn c British Columbia (Milk Board), [1989] 1 CF 463, 47 DLR (4th) 710 (la « décision Milk »), aux p. 484 et 485 (C.F. 1re inst.); la décision LSUC, aux p. 467 et 468).

[193] À cet égard, la conduite reprochée doit être précisément prescrite, ordonnée ou permise, et ce, [traduction] « expressément ou par déduction nécessaire », en vertu d’un texte législatif ou réglementaire validement adopté (arrêt Hughes CA, aux par. 20, 21 et 23; décision Hughes, au par. 200). Le pouvoir général de réglementer une industrie ou une profession ne suffit pas (arrêt Jabour, aux p. 341 et 342; décision Fournier Leasing, au par. 58). C’est donc dire que si des [traduction] « personnes prenant part à la réglementation d’une situation de marché se servent du pouvoir que leur confère la loi comme tremplin (ou comme moyen déguisé) pour se livrer à des pratiques anticoncurrentielles qui débordent le cadre de ce qu’autorisent les lois de nature réglementaire pertinentes, ces personnes enfreignent la [loi] » (décision Milk, aux p. 484 et 485). Autrement dit, [traduction] « le simple fait qu’une industrie soit réglementée ne veut pas dire que toutes les pratiques anticoncurrentielles sont permises au sein de cette dernière » (Cami International Poultry Incorporated c Chicken Farmers of Ontario, 2013 ONSC 7142 (la « décision Cami »), au par. 52; voir aussi R c Canadian Breweries Ltd, [1960] OR 601, 34 CPR 179, à la p. 611). Il en est ainsi même si le pouvoir de réglementation existe. À moins que l’on ait exercé le pouvoir en prescrivant, en ordonnant ou en permettant précisément des activités particulières, ces dernières ne bénéficieront de la protection de la DCR.

[194] Le degré de spécificité qui est nécessaire pour pouvoir prescrire, ordonner ou permettre la conduite reprochée n’est pas particulièrement élevé. Dans l’arrêt Jabour, la loi provinciale habilitante n’autorisait pas spécifiquement le Barreau à interdire aux avocats de faire de la publicité et elle ne contenait pas de dispositions qui limitaient directement cette activité. La CSC a néanmoins conclu que le large mandat et les vastes pouvoirs généraux que le Barreau détenait pour régir la profession juridique dans l’intérêt du public et veiller à ce qu’une bonne conduite professionnelle constituait un fondement suffisant pour conférer au Barreau le pouvoir de contrôler et d’interdire la publicité que faisaient les avocats (arrêt Jabour à la p. 341; arrêt Hughes CA, aux par. 20, 23 et 27). Cette détermination du degré de spécificité est une tâche hautement contextuelle, qui dépend de la manière dont la conduite ou les activités particulières sont réglementées, ainsi que du libellé précis des dispositions applicables en question.

[195] Pour déterminer si une conduite ou des activités particulières ont été exigées, contraintes, mandatées ou permises, [traduction] « il faut tenir compte non seulement des lois pertinentes, mais aussi des décrets et des règlements » (Sutherland c Vancouver International Airport Authority, 2002 BCCA 416 (l’« arrêt Sutherland »), au par. 68). C’est-à-dire que l’exigence, la prescription ou la permission doit émaner d’un texte législatif subordonné. Bien que ce principe ait été formulé dans le contexte d’une analyse du moyen de défense fondé sur l’autorisation du législateur en droit de la responsabilité délictuelle, le commissaire n’a pas relevé de fondement raisonné qui permettrait de l’exclure de la portée de la DCR.

[196] Le Tribunal fait remarquer que, ces dernières années, la DCR a été étendue au-delà du secteur du droit de la concurrence (arrêt Garland, aux par. 76 et 78).

[197] Il vaut la peine de souligner que la DCR a essentiellement pris naissance dans le contexte d’une violation alléguée des dispositions criminelles de la Loi et d’autres lois criminelles fédérales. La question de savoir si la doctrine peut s’étendre aux dispositions civiles ou non criminelles de la Loi demeure ouverte. Dans une affaire en particulier, la DCR a été appliquée de manière à éviter que l’on fasse enquête sur des allégations selon lesquelles un barreau provincial s’était peut-être livré à une conduite envisagée par diverses dispositions non criminelles de la Loi (décision LSUC, aux p. 463 et 474). Toutefois, cette affaire a été instruite sur le fondement de l’accord des parties selon lequel la DCR pouvait en fait être appliquée pour régler un conflit apparent entre les dispositions non criminelles de la Loi et une loi provinciale validement adoptée (décision LSUC, aux p. 468, 471 et 472). (Les seules questions en litige semblent avoir été le fait de savoir si la demande du Barreau du Haut-Canada en vue d’obtenir une déclaration portant que la Loi ne s’appliquait pas aux activités qu’on lui reprochait était prématurée, et si ces activités étaient en fait permises, comme l’envisageait la DCR.) Le Tribunal n’est au courant d’aucun précédent, et les parties n’en ont cité aucun, dans lequel un tribunal a clairement examiné et reconnu, dans le cadre d’une instance contestée, que l’on pouvait appliquer la DCR dans le contexte des dispositions civiles de la Loi. À l’inverse, à la connaissance du Tribunal, aucune affaire n’a expressément conclu qu’on ne pouvait pas appliquer la DCR à une conduite reprochée en vertu des dispositions civiles de la Loi.

[198] Dans la décision LSUC, l’effet et l’intention explicite de la décision du tribunal pour éviter que l’enquête se poursuive étaient d’invoquer la DCR pour exempter la conduite reprochée de l’application de la Loi, plutôt que pour fournir un moyen de défense. Dans le même ordre d’idées, dans la décision Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Landmark Cinemas of Canada Ltd, 45 CPR (3d) 346, 60 FTR 161 (la « décision Landmark »), à la p. 353 (C.F. 1re inst.), le tribunal a appliqué la DCR en vue d’« exempter » une conduite reprochée de l’application de la disposition relative au complot de la Loi. C’est de cette façon que l’AAV voudrait que l’on applique la DCR en l’espèce.

[199] Même si quelques tribunaux ont qualifié la DCR d’exemption (voir, p. ex., Waterloo Law Association et al c Procureur général du Canada (1986), 58 OR (2d) 275, 35 DLR (4th) 751, à la p. 282; arrêt Foresters, aux p. 233 et 234; Wakelam c Johnson & Johnson, 2011 BCSC 1765 (la « décision Wakelam »), au par. 99, inf. pour d’autres motifs par 2014 BCCA 36, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 35800 (4 septembre 2014)), d’autres soutiennent que la DCR est ou peut être un moyen de défense (décision Milk, aux p. 484 et 485; décision Hughes, au par. 205). Le mot « défense » est également employé au paragraphe 45(7) de la Loi.

[200] Malgré le fait que la DCR ait évolué de manière à régler les conflits entre la Loi et les lois provinciales, elle a également été appliquée, à une occasion au moins, pour régler un conflit apparent entre deux lois fédérales (décision Landmark, aux p. 353 et 354). D’autres tribunaux ont également examiné ou relevé la possibilité que la DCR puisse être invoquée dans un contexte où la loi habilitante est de nature fédérale (Rogers Communications Inc c Shaw Communications Inc, 2009 CanLII 48839, 63 BLR (4th) 102 (la « décision Rogers »), au par. 63 (ONSC); la décision Fournier Leasing, au par. 58; la décision Hughes, au par. 220; la décision Milk, à la p. 475). Cependant, un tribunal a fait remarquer que la possibilité d’invoquer la DCR dans une situation où la loi habilitante est de nature fédérale [traduction] « continue à susciter des doutes » (décision (Wakelam, au par. 100).

2) Les positions des parties

a) L’AAV

[201] Invoquant la DCR, l’AAV soutient que l’article 79 de la Loi ne s’applique pas aux pratiques que conteste le commissaire. À cet égard, elle affirme qu’elle a été autorisée de façon générale à se livrer aux pratiques en question et, en particulier, à la conduite exclusionnaire, tant dans le cadre de son mandat d’intérêt public qu’en vertu de son pouvoir particulier de contrôler l’accès au côté piste à YVR.

[202] S’agissant du mandat d’intérêt public, l’AAV se fonde sur quatre sources distinctes à l’appui de sa prétention relative à la DCR : i) l’Énoncé des objectifs de l’AAV, qui est inclus dans ses Statuts de prorogation, ii) le Décret de 1992, iii) le bail foncier de 1992, et iv) les membres du conseil d’administration de l’AAV. De plus, elle affirme que son statut d’organisme à but non lucratif renforce son mandat consistant à gérer l’Aéroport dans l’intérêt du public et que ce mandat se reflète en outre dans sa « mission », sa « vision » et ses « valeurs ». À ce dernier égard, elle indique que sa mission consiste à relier fièrement la Colombie-Britannique au reste du monde, que sa vision est d’être une passerelle durable, de classe mondiale, entre l’Asie et les Amériques et que ses valeurs consistent à promouvoir la sécurité, le travail d’équipe, la responsabilisation et l’innovation. De façon plus générale, elle soutient que lorsqu’une entité agit d’une manière conforme à un mandat législatif, comme elle l’a toujours fait, ses actes sont considérés comme étant exécutés dans l’intérêt du public et ne sont pas assujettis à la Loi.

[203] Pour ce qui est précisément du contrôle qu’elle exerce sur l’accès au côté piste, l’AAV se fonde également sur l’article 302.10 du Règlement de l’aviation canadien.

[204] Dans ses observations finales et son plaidoyer final, l’AAV a également fait valoir que l’article 79 contient des mots accordant une latitude suffisante pour que la DCR s’applique dans la présente affaire.

[205] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour signaler que les arguments de l’AAV au sujet de l’intérêt du public sont également examinés dans le contexte de l’évaluation de ses justifications commerciales légitimes, à la sous-section VII.D.2 ci-après.

b) Le commissaire

[206] En réponse aux observations de l’AAV, le commissaire avance cinq arguments principaux.

[207] Premièrement, il soutient que la DCR ne s’applique pas aux dispositions non criminelles de la Loi qui se rapportent aux comportements susceptibles d’examen, des dispositions que l’on appelle parfois aussi les dispositions « civiles » de la Loi.

[208] Deuxièmement, il affirme que même si la DCR pourrait être invoquée pour un comportement susceptible d’examen, le législateur n’a pas inclus à l’article 79 les mots accordant la latitude qui aurait permis à l’AAV de se prévaloir de la DCR en l’espèce.

[209] Troisièmement, il soutient que la DCR ne s’applique pas aux situations dans lesquelles il est allégué que la conduite reprochée est autorisée par une loi fédérale, par opposition à une loi provinciale.

[210] Quatrièmement, il allègue que la conduite de l’AAV n’a pas été prescrite, ordonnée ou permise (expressément ou implicitement) par une loi, un règlement ou un instrument législatif subordonné quelconque, comme l’envisage la jurisprudence relative à la DCR.

[211] Enfin, il signale que l’AAV ne peut pas se prévaloir de la DCR parce qu’elle est une société (à but non lucratif, plus précisément), plutôt qu’un organisme de réglementation.

[212] Le Tribunal signale que les deux premiers arguments du commissaire ont trait au premier volet de la DCR (c’est-à-dire, les mots accordant la latitude requise), tandis que les arguments suivants se rapportent au second volet (le fait qu’une conduite soit prescrite, ordonnée ou permise par une loi ou un régime réglementaire).

3) L’évaluation

a) Les mots accordant la latitude requise sont‐ils présents?

[213] Pendant toute la durée de la présente instance, la position de l’AAV au sujet de la DCR a été essentiellement axée sur la seconde condition préalable à son application, c’est-à-dire la manière dont le mandat d’intérêt public de l’AAV (ainsi que le régime législatif et réglementaire qui l’encadre) lui permet de se livrer à la conduite exclusionnaire. Cependant, dans ses observations finales, l’AAV a également fait valoir que le libellé de l’article 79 contient la latitude requise pour répondre à la première condition préalable à l’application de la doctrine.

[214] À ce dernier égard, l’AAV soutient qu’on ne peut pas conclure qu’elle s’est livrée à une « pratique d’agissements anticoncurrentiels » parce que ces mots visent un objectif anticoncurrentiel, ce que l’AAV ne peut avoir si elle agit simplement dans le cadre de son mandat d’intérêt public. L’AAV reconnaît que le genre de mots qui, considère-t-on, accordent une telle latitude sont quelque peu différents, c’est-à-dire, le mot « indûment » ou les mots « dans l’intérêt du public ». Cependant, soutient-elle, le paragraphe 79(1) contient ce que l’on peut considérer comme un libellé analogue.

[215] Le Tribunal n’est pas de cet avis. Il souscrit à la position du commissaire selon laquelle l’article 79 ne contient pas les mots qui accordent la latitude requise. De plus, il conclut de façon plus générale que les principales justifications qui sous-tendent l’évolution de la DCR ne s’appliquent pas dans le contexte de cet article.

(i) Le libellé de l’article 79

[216] Dans l’arrêt Garland, la CSC signale que les mots accordant la latitude requise qui avaient toujours permis d’appliquer la DCR étaient « indûment » ou « dans l’intérêt du public » (arrêt Garland, aux par. 75 et 76). Les tribunaux ont conclu que chaque fois que la loi fédérale contenait de tels mots, une conduite qui était exigée, contrainte, mandatée ou permise par une loi provinciale validement adoptée ne pouvait pas être considérée comme « indue » ou comme appliquée [traduction] « au détriment ou à l’encontre de l’intérêt du public », ainsi que l’envisagent les dispositions criminelles du droit de la concurrence (décision Chung Chuck, aux p. 759 et 760; Re The Farm Products Act (Ontario), [1957] RCS 198, 7 DLR (2d) 257 (l’« arrêt Farm Products »), aux p. 205, 239 et 258; arrêt Jabour, aux p. 348 et 349, ainsi que 353 et 354; décision Milk, aux p. 476 et 477). En l’absence de ces mots, ou d’autres termes dénotant que le législateur avait, expressément ou par déduction nécessaire, l’intention d’accorder aux personnes agissant dans le cadre d’un régime réglementaire valide la latitude de le faire, l’application de la DCR était interdite (arrêt Garland, aux par. 75, 76 et 79).

[217] L’argument de l’AAV selon lequel son mandat d’intérêt public général peut servir à la soustraire à l’application de l’article 79 est sans fondement. Le fait d’agir conformément à un mandat d’intérêt public n’empêche pas qu’une entité telle que l’AAV puisse prendre des mesures qui visent une fin exclusionnaire, disciplinaire ou abusive. Il n’est pas nécessaire de chercher plus loin que la décision Arriva The Shires Ltd c London Luton Airport Operations Ltd, [2014] EWHC 64 (Ch) (la « décision Luton Airport »), dans laquelle la Haute Cour de justice d’Angleterre a fait remarquer que la partie défenderesse, l’exploitant de l’aéroport, était incitée à favoriser un exploitant de service d’autobus à l’exclusion d’un autre, parce qu’elle pouvait ainsi en tirer un net avantage commercial et économique. La Cour a ensuite conclu que la partie défenderesse s’était livrée à une conduite qui constituait un abus de position dominante, en présumant qu’elle était en fait une entité dominante (décision Luton Airport, au par. 166).

[218] Dans la mesure où le mandat d’une entité telle que l’AAV peut inclure le fait de générer des revenus pour financer des dépenses d’immobilisations, il se peut fort bien que cette entité considère qu’il est compatible avec ce mandat de se livrer à une conduite semblable, ou à une autre, qui vise une fin exclusionnaire. Toutefois, cela ne veut pas dire que c’est ce que l’AAV a fait en lien avec le marché des services de manutention. Il s’agit là d’une question qui sera évaluée plus loin dans la présente décision.

[219] Il convient de réitérer que, en soi, le fait d’agir dans l’intérêt du public dans le cadre d’un régime réglementaire provincial n’exclut pas nécessairement l’application de la Loi ou ne soustrait pas nécessairement une conduite à l’application de dispositions législatives criminelles. Pour déclencher l’application de la DCR, il faut montrer, notamment, que le législateur a « soit expressément ou par déduction nécessaire [...] accord[é] la latitude de le faire à ceux qui agissent conformément à un régime de réglementation provinciale valide » [non souligné dans l’original] (arrêt PHS, au par. 55, citant l’arrêt Garland, au par. 77). Pour dire les choses différemment, l’intention du législateur de soustraire les activités qui tombent sous le coup de la DCR à l’application de la Loi « doit être évidente » dans la loi fédérale (R c Jorgensen, [1995] 4 RCS 55, 129 DLR (4th) 510, au par. 118). Aucune intention évidente de ce genre n’apparaît dans le libellé de l’article 79, que ce soit à l’alinéa 79(1)b) ou ailleurs.

[220] Par contraste avec la jurisprudence où l’on a appliqué la DCR ou avec le libellé du paragraphe 45(7) de la Loi, qui préserve explicitement la DCR à l’égard des infractions établies par le paragraphe 45(1), il n’y a aucun mot qui accorde expressément la latitude requise en lien avec le paragraphe 79(1) de la Loi.

[221] La situation dont il est question en l’espèce est différente de ce qu’elle était à l’époque où les tribunaux étaient confrontés, d’une part, à des dispositions criminelles du droit de la concurrence qui exigeaient qu’il soit démontré que l’on avait empêché ou diminué « indûment » la concurrence et, d’autre part, à une conduite à laquelle on s’était livré conformément à un régime réglementaire provincial validement adopté. Les tribunaux étaient capables de régler le conflit en concluant que le législateur n’aurait pas pu avoir l’intention qu’une telle conduite tombe sous le coup des dispositions du droit de la concurrence, étant donné que le mot « indûment » avait été interprété comme signifiant [traduction] « irrégulièrement, excessivement, exagérément » et même [traduction] « à tort » (R c Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 RCS 606, 93 DLR (4th) 36 (l’« arrêt PANS »), à la p. 646; R c Elliott (1905), 9 CCC 505, OLR 648, à la p. 520 (C.A. Ont.)). Essentiellement, les tribunaux se sont montrés peu disposés à conclure que la conduite exigée, contrainte, mandatée ou permise par une loi provinciale valide pouvait être qualifiée d’irrégulière, d’exagérée, d’excessive, d’abusive ou d’erronée.

[222] Le Tribunal conclut de plus qu’il n’y a aucun fondement à l’argument selon lequel les mots accordant la latitude requise pourraient découler du libellé de l’alinéa 79(1)b), et que l’objet anticoncurrentiel qu’envisage la disposition constitue, pourrait-on dire, une forme de terme analogue au mot « indûment ». Pour plus de certitude, le Tribunal signale de plus que le libellé requis ne découle pas des mots « sensiblement » ou « peut » qui figurent au paragraphe 79(1). Il reconnaît que les mots « indu » et « sensible » envisagent tous deux un degré d’importance et dénotent un sentiment de gravité ou de pertinence. Mais le mot « indûment » a d’autres connotations qui ne sont pas associées au mot « sensiblement ». En particulier, ce dernier n’a pas les nuances qui troublaient les tribunaux dans le passé, soit « irrégulier, exagéré, excessif, abusif » ou « erroné ». Une autre différence marquante entre le paragraphe 79(1) et les anciennes dispositions criminelles qui contenaient le mot « indûment » et qui étaient en litige dans les affaires importantes en matière de DCR est que l’alinéa 79(1)c) n’est pas fondé sur le même « substrat de valeurs » que ces dernières dispositions (arrêt PANS, à la p. 634). Bien que l’on puisse considérer que le mot « sensiblement » est souple et imprécis, le Tribunal ne conclut pas qu’il est comparable aux types de mots qui, d’après la CSC dans l’arrêt Garland, devaient être présents pour faire état d’une intention explicite ou implicite d’accorder une certaine latitude à ceux qui agissent conformément à un régime législatif provincial valide.

[223] Par ailleurs, aux yeux du Tribunal, il ne semble pas que cette latitude existe par déduction nécessaire à l’article 79. La situation dont il est question en l’espèce est différente de ce qu’elle était dans les affaires où les tribunaux avaient à déterminer si l’on pouvait dire que des activités menées en conformité avec une loi provinciale validement adoptée étaient effectuées « au détriment ou à l’encontre de l’intérêt du public », comme il était expressément indiqué dans des versions antérieures de la Loi et dans la loi qui l’a précédée, soit la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, LRC (1927), c 26. Dans ces affaires, les tribunaux ont conclu, et cela se comprend, que, par déduction nécessaire, on pouvait considérer que le législateur entendait que de telles activités ne nuisent pas à l’intérêt du public. Il était nécessaire d’arriver à cette conclusion pour régler ce qui, par ailleurs, aurait été un conflit entre la loi fédérale, qui pénalisait criminellement une certaine conduite qui était menée « au détriment ou à l’encontre de l’intérêt du public », et la loi provinciale, qui était réputée être dans l’intérêt du public.

[224] Dans la matrice juridique et factuelle qui est présentée en l’espèce, le conflit entre l’alinéa 79(1)b) et la manière dont l’AAV interprète son mandat n’obligent pas à conclure que le législateur entendait, par déduction nécessaire, que l’alinéa 79(1)b) cède le pas à un tel mandat. Les dispositions de l’alinéa 79(1)b) peuvent être aisément interprétées d’une manière qui permet d’atteindre en général les divers objectifs qui sous-tendent la Loi. En fait, la présomption selon laquelle le législateur a adopté une loi qui est cohérente exige une telle interprétation (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham, LexisNexis Canada, 2014) (« Sullivan »), §11.2). Cela s’applique également aux lois, aux lois subordonnées et aux autres instruments qu’invoque l’AAV en faisant valoir l’existence de la DCR.

[225] Le Tribunal reconnaît que le fait d’interpréter ainsi la Loi et le mandat de l’AAV peut imposer une limite à la capacité de cette dernière et d’autres entités d’exercer des pouvoirs légaux dans le but de poursuivre leurs mandats d’intérêt public respectifs. Cependant, cette limite est très étroite et empêche simplement de telles entités de se livrer à une pratique d’agissements anticoncurrentiels qui empêche ou diminue sensiblement la concurrence, ou qui est susceptible de le faire dans l’avenir. Par contraste, permettre à des entités d’invoquer la DCR pour éviter les recours qu’envisagent les paragraphes 79(1) et (2) minerait l’application d’un « système de réglementation complet qui vise à éliminer les pratiques commerciales contraires à une saine concurrence à travers le pays et non un endroit, une entreprise ou un secteur en particulier » [en italique dans l’original] (General Motors of Canada Ltd c City National Leasing Ltd, [1989] 1 RCS 641, 58 DLR (4th) 255 (l’« arrêt General Motors »), à la p. 678, citant la décision R c Miracle Mart Inc (1982), 68 CCC (2d) 242, 67 CPR (2d) 80, à la p. 259 (C.S. Qc)).

[226] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour ajouter qu’étant donné que « [l]es effets néfastes de pratiques monopolistiques dépassent les frontières provinciales » (arrêt General Motors, à la p. 678), le fait qu’une entité comme l’AAV puisse mener ses activités dans un environnement hautement local ne peut pas être invoqué pour justifier qu’on tranche en sa faveur tout conflit entre son mandat et la Loi, qui est une loi nationale d’application générale.

[227] La conclusion du Tribunal selon laquelle l’article 79 n’inclut pas les mots accordant la latitude requise dont il est question dans la jurisprudence constitue une raison suffisante pour rejeter le fait que l’AAV se fonde sur la DCR.

(ii) Les fondements qui sous-tendent la DCR

[228] Le Tribunal estime de plus que les deux fondements qui étayaient l’évolution de la DCR ne s’appliquent pas à la disposition relative à l’abus de position dominante et, par extension, de façon plus générale, aux autres dispositions de la Loi qui s’appliquent aux affaires que le Tribunal peut examiner.

[229] Le premier de ces deux fondements est que « l’accomplissement d’un acte que la législature a le pouvoir d’accomplir et qu’elle a autorisé ne peut constituer un crime contre l’État » (arrêt Farm Products, à la p. 239, cité en y souscrivant dans l’arrêt Jabour, à la p. 352; arrêt Chung Chuck, à la p. 756). Cela peut être considéré comme le fondement du « droit criminel ». Autrement dit, [traduction] « l’idée que des individus puissent être coupables d’une infraction criminelle pour s’être livrés à une conduite qui leur était spécifiquement prescrite par une législature n’était pas du genre de celle que les tribunaux étaient disposés à accepter » (décision Milk, à la p. 476).

[230] Étant donné qu’il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’une intention criminelle en vertu de l’article 79, et que cette disposition n’envisage pas de conséquences pénales ou de stigmatisation criminelle, ce fondement ne s’applique pas dans le présent contexte. Exposer un individu à des conséquences possibles, comme un emprisonnement, et à la stigmatisation sociale que l’on associe à une déclaration de culpabilité au criminel pour s’être livré à une conduite qui est contraire à la Loi, c’est une chose. C’en est une autre, très différente celle-là, que d’autoriser simplement l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire ou la délivrance d’une ordonnance obligeant un défendeur à cesser de se livrer à une telle conduite, ou à prendre d’autres mesures envisagées par les dispositions réparatrices de l’article 79 et les autres dispositions en matière de « comportement susceptible d’examen » de la Loi, quand cette conduite a des effets anticoncurrentiels.

[231] Le second fondement qui sous-tendait l’évolution de la DCR découlait du libellé précis de dispositions criminelles en matière de concurrence qui n’existent plus. Ce libellé exigeait que l’on fasse la démonstration d’une conduite qui empêchait ou diminuait « indûment » la concurrence, qui avait d’autres effets « indus » précisés, ou qui était menée « au détriment ou à l’encontre de l’intérêt du public » (arrêt Garland, aux par. 75 et 76; arrêt Jabour, à la p. 352). Vu l’analogie que certains tribunaux ont faite entre ces derniers mots et le mot « indûment », ce fondement peut être considéré comme celui de « l’intérêt du public ». Étant donné que les mots « indûment » et « au détriment ou à l’encontre de l’intérêt du public » ne figurent pas à l’article 79, ou quant à cela, dans l’une quelconque des autres dispositions relatives à un comportement susceptible d’examen de la Loi, ce second fondement de la DCR ne peut pas non plus être invoqué pour appuyer l’application de la doctrine à une conduite qu’envisagent ces dispositions.

[232] Il a été suggéré que l’un des objets qui sous-tendent la Loi dans son ensemble est de favoriser l’intérêt du public sur le plan de la concurrence, ainsi que les divers objectifs énoncés à l’article 1.1 de la Loi. Il est également suggéré, à partir de là, que l’on devrait pouvoir invoquer la DCR à l’égard de toutes les dispositions de la Loi, qu’elles soient de nature civile ou criminelle. Cependant, si tel était le cas, on pourrait en dire autant de toutes les dispositions législatives qui sont animées par une préoccupation pour l’intérêt du public. Le Tribunal ne considère pas que la doctrine de la « latitude requise » était destinée à s’appliquer en l’absence de termes précis, comme « indûment » ou « au détriment de l’intérêt du public ».

[233] En l’absence des principales justifications qui sous-tendaient le fait que les tribunaux recouraient à la DCR à l’égard des dispositions criminelles de la Loi dans des affaires antérieures, tout conflit entre l’article 79 (ou tout autre comportement susceptible d’examen) et les dispositions d’une loi provinciale ou fédérale validement adoptée devrait être réglé conformément à d’autres principes d’interprétation législative, dont ceux qui sont analysés aux paragraphes 257 à 262 qui suivent. L’AAV n’a fait état d’aucun principe différent qui étayerait sa position.

[234] Indépendamment de ce qui précède, l’AAV se fonde sur la décision LSUC, sur diverses affaires dans lesquelles les tribunaux ont reconnu l’application possible de la DCR dans le cadre d’une action civile en dommages-intérêts intentée en vertu de l’article 36 de la Loi, et sur la décision Edmonton Regional Airports Authority c North West Geomatics Ltd, 2002 ABQB 1041 (la « décision Edmonton Airports »).

[235] Pour les motifs énoncés au paragraphe 197 qui précède, le Tribunal n’estime pas que la décision LSUC étaye de manière particulièrement solide la thèse voulant que l’on puisse invoquer la DCR en vue de soustraire une conduite aux dispositions de la Loi en matière de comportement susceptible d’examen. En bref, cet aspect de l’affaire s’est déroulé sur consentement de façon à ce que le tribunal puisse se concentrer sur d’autres questions. La conclusion du Tribunal à cet égard est renforcée par le fait que la décision LSUC datait d’avant l’arrêt Garland de la CSC, dans laquelle a été établie l’obligation qu’il existe des mots accordant la latitude requise pour que l’on puisse appliquer la DCR.

[236] Pour ce qui est des affaires qui mettaient en cause l’article 36 de la Loi, ces dernières peuvent être distinguées de la présente espèce au motif que, dans chacune, la conduite sous-jacente pour laquelle les demandeurs sollicitaient des dommages-intérêts n’était pas une conduite qui pouvait être examinée au civil, mais une conduite à laquelle se seraient appliquées une ou plusieurs des dispositions criminelles de la Loi, n’eût été de la DCR. Dans ce contexte, il aurait été illogique de priver les défendeurs de l’avantage de cette doctrine, si elle procurait une défense ou une exemption contre une poursuite engagée en vertu des dispositions criminelles de la Loi pour la même conduite. Comme l’a fait remarquer l’un des tribunaux :

[traduction] [...] une partie lésée ne peut intenter une action civile avec succès en se fondant sur une violation de l’art. 45 de la Loi sur la concurrence si la partie accusée bénéficie d’un moyen de défense complet contre une poursuite engagée en vertu de cet article. Dans un tel cas, il n’y aurait aucune inconduite sur laquelle fonder l’action civile. C’est donc dire que si la défense fondée sur une conduite réglementée permet de se défendre entièrement contre une poursuite engagée en vertu de l’article 45, il s’ensuit qu’une action civile engagée en vertu de l’article 36 ne saurait aboutir.

Décision Cami, au par. 50. Voir aussi les décisions Milk, à la p. 476, et Hughes, aux par. 223 à 230.

[237] Invoquant la décision Edmonton Airports, l’AAV se fonde sur la remarque qui y est faite, à savoir que la Loi ne peut [traduction] « s’appliquer aux entités juridiques constituées en société par une loi et légalement tenues d’exercer leurs activités dans l’intérêt du public » (décision Edmonton Airports, au par. 127). Cependant, cette remarque a été faite dans le contexte d’une analyse de l’évaluation, par le tribunal, d’une défense contre une allégation de complot délictuel qui semble avoir été fondée sur une violation des dispositions criminelles de la Loi concernant les complots. Par ailleurs, il a par la suite été clairement indiqué que, en l’absence, dans la Loi, de termes accordant une certaine latitude, la DCR n’a pas pour effet de protéger une conduite à laquelle on se livre en application d’un régime législatif provincial, même si celui-ci est conçu pour favoriser l’intérêt du public (arrêt PHS, aux par. 54 à 56).

[238] En résumé, le Tribunal est d’avis que la DCR ne peut exempter ou mettre à l’abri une conduite que l’on conteste en vertu de l’article 79. Cette conclusion offre un second motif distinct pour rejeter le fait que l’AAV invoque la DCR.

[239] Le Tribunal signale que, dans ses observations, le commissaire a fait valoir de façon plus générale que la DCR ne peut être appliquée, en droit, à une conduite à laquelle on se livre non seulement en vertu de l’article 79, mais aussi en vertu de toutes les dispositions de la Loi qui ont trait à un comportement susceptible d’examen. Le Tribunal n’a pas à trancher cette question plus large dans la présente demande; cela attendra à plus tard. Il fait néanmoins les remarques qui suivent.

[240] Pour commencer, même si le libellé de chaque comportement susceptible d’examen diffère et varie, aucune des dispositions relatives à ces comportements ne contient les mots « indûment » ou « dans l’intérêt du public » dont il a été question plus tôt.

[241] De plus, le Tribunal signale que les modifications qui ont été apportées en 2009 aux dispositions de la Loi qui se rapportent aux complots semblent traduire l’intention du législateur de ne pas étendre la DCR à la disposition la plus récemment adoptée de la Loi en matière de comportement susceptible d’examen, soit l’article 90.1, qui porte sur les « accords ou arrangements empêchant ou diminuant sensiblement la concurrence ». Même si les modifications apportées en 2009 avaient trait à une disposition civile précise de la Loi et non aux « affaires que le Tribunal peut examiner » de façon générale, elles sont néanmoins instructives. Le Tribunal souligne que, comme c’est le cas pour d’autres affaires que le Tribunal peut examiner dans le cadre de la partie VIII de la Loi, telles que l’abus de position dominante ou les fusions, la présence d’effets anticoncurrentiels attribuables à la conduite est une caractéristique clé et essentielle de la pratique contestée qui est susceptible d’examen devant le Tribunal en application de l’article 90.1.

[242] Quand le nouvel article 45 a été adopté, le Parlement y a inclus le paragraphe 45(7), dont le texte est le suivant :

 

Complot, accord ou arrangement entre concurrents

Conspiracies, agreements or arrangements between competitors

45 (1) [...]

45 (1) [...]

Principes de la common law — comportement réglementé

Common law principles — regulated conduct

(7) Les règles et principes de la common law qui font d’une exigence ou d’une autorisation prévue par une autre loi fédérale ou une loi provinciale, ou par l’un de ses règlements, un moyen de défense contre des poursuites intentées en vertu du paragraphe 45(1) de la présente loi, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du présent article, demeurent en vigueur et s’appliquent à l’égard des poursuites intentées en vertu du paragraphe (1).

(7) The rules and principles of the common law that render a requirement or authorization by or under another Act of Parliament or the legislature of a province a defence to a prosecution under subsection 45(1) of this Act, as it read immediately before the coming into force of this section, continue in force and apply in respect of a prosecution under subsection (1).

[243] Les modifications de 2009 prévoyaient donc expressément à l’article 45 une DCR législative pour les dispositions criminelles, malgré l’absence du mot « indûment ». Cependant, aucune disposition complémentaire et parallèle n’a été adoptée pour compléter le nouvel article 90.1 sur les complots civils. Pour dire les choses différemment, le législateur n’a pas jugé bon de prévoir l’application de la DCR aux collaborations civiles entre concurrents; il ne l’a fait que pour la nouvelle infraction criminelle de complot.

[244] Si le législateur avait voulu étendre la DCR aux ententes civiles entre concurrents que régit l’article 90.1, il l’aurait dit expressément en ajoutant un libellé semblable à celui du paragraphe 45(7) au moment de structurer cette nouvelle disposition civile. Il ne l’a pas fait. La structure et le libellé simples de l’article 90.1 parlent d’eux-mêmes. Selon la règle d’interprétation dite de l’exclusion implicite, et même selon la règle du sens ordinaire, il est évident que l’intention du législateur n’était pas d’étendre la DCR à cette disposition civile la plus récente et de faire en sorte qu’on puisse l’invoquer pour ce comportement susceptible d’examen.

(iii) La conclusion au sujet des mots accordant la latitude requise

[245] Pour les motifs énoncés plus tôt, le Tribunal conclut que l’article 79 de la Loi ne contient pas les mots accordant la latitude requise pour ouvrir la voie à l’application possible de la DCR dans le contexte de la présente demande.

b) La conduite est-elle prescrite, ordonnée ou permise par une loi ou un régime réglementaire validement adopté?

[246] Le Tribunal analyse maintenant la seconde condition préalable à l’application de la DCR, à savoir l’obligation selon laquelle la conduite reprochée doit être prescrite, ordonnée ou permise, expressément ou par déduction nécessaire, par une loi, un règlement ou un instrument législatif subordonné validement adopté.

[247] Dès le début de la présente instance, l’AAV s’est principalement fondée sur le mandat d’intérêt public allégué dans le cadre duquel elle gère et exploite YVR pour étayer sa position selon laquelle la Loi ne s’applique pas à sa conduite. Pour ancrer sa prétention selon laquelle la DCR s’applique à elle et permet sa conduite exclusionnaire, l’AAV a essentiellement invoqué son Énoncé d’objectifs, le Décret de 1992, le bail foncier de 1992, les membres de son conseil d’administration ainsi que d’autres aspects généraux de sa mission, de ses valeurs et de sa vision. Dans ses observations finales, l’AAV a également fait valoir qu’elle se fondait sur l’article 302.10 du Règlement de l’aviation canadien.

[248] Les arguments de l’AAV ne convainquent pas le Tribunal. Pour les raisons qui suivent, il conclut plutôt que l’AAV a été incapable de signaler une disposition expresse ou une déduction nécessaire dans le régime réglementaire en vigueur qui l’oblige ou l’autorise à se livrer à la conduite exclusionnaire, comme l’envisage la jurisprudence relative à la DCR. Autrement dit, aucun aspect précis du mandat de l’AAV ou du régime réglementaire dans le cadre duquel cette dernière exploite ses activités exigeait, prescrivait ou lui permettait de s’abstenir de délivrer un permis à une ou plusieurs autres entreprises de services de restauration à bord, que ce soit pour les mêmes raisons qu’elle a indiquées, ou autrement.

(i) La conduite permise par un régime législatif fédéral

[249] Avant d’examiner les sources précises que l’AAV a mentionnées, le Tribunal fait remarquer que le régime législatif sur lequel cette dernière se fonde pour se prévaloir de la DCR est fédéral. Le commissaire soutient que, en principe, la DCR ne s’applique pas dans les cas où la conduite reprochée est censément permise par une loi fédérale, plutôt que par une loi provinciale.

[250] Le Tribunal n’est pas d’accord avec le commissaire sur ce point. Cependant, compte tenu des conclusions qu’il a tirées en l’espèce sur les deux conditions préalables à l’application de la DCR, cela importe peu.

[251] Pour commencer, le Tribunal signale que plusieurs tribunaux ont examiné ou relevé la possibilité que l’on puisse invoquer la DCR dans un contexte où la loi habilitante est fédérale (décision Rogers, au par. 63; décision Fournier Leasing, au par. 58; décision Hughes, au par. 220; décision Milk, à la p. 475), et qu’au moins un tribunal l’a même appliquée dans un tel contexte (Landmark, aux p. 353 et 354).

[252] De plus, en adoptant le paragraphe 45(7), le législateur a maintenant précisé que la DCR peut être appliquée dans le contexte d’une loi fédérale. Le paragraphe 45(7) mentionne expressément que les « règles et principes de la common law qui font d’une exigence ou d’une autorisation prévue par une autre loi fédérale ou une loi provinciale, ou par l’un de ses règlements, un moyen de défense contre des poursuites intentées en vertu du paragraphe 45(1) [...] demeurent en vigueur et s’appliquent à l’égard des poursuites intentées en vertu du paragraphe (1) » [non souligné dans l’original]. Cette modification législative la plus récente reconnaît donc explicitement que les « règles et principes » de la DCR englobent les situations dans lesquelles une conduite est réglementée par des lois fédérales, tout comme elle s’applique à une conduite réglementée par des lois provinciales.

[253] En fait, même le bulletin de septembre 2010 du Bureau, intitulé « Les activités ‘réglementées’ » (le « Bulletin sur la DCR ») reconnaît implicitement que la DCR pourrait être disponible dans un contexte où les activités sont permises par un régime législatif fédéral. À cet égard, le Bulletin sur la DCR mentionne que la manière dont le Bureau aborde l’application de la loi ne serait pas semblable et ne serait pas menée de la même façon pour des activités réglementées par des lois fédérales, comparativement à des activités réglementées par des lois provinciales (Bulletin sur la DCR, aux p. 1 et 7).

[254] Cependant, le fait de pouvoir invoquer la DCR pour régler un conflit apparent entre la Loi et une autre loi fédérale ne met pas fin à l’analyse. Les circonstances et le contexte particuliers qui régissent le régime réglementé par une loi fédérale doivent être pris en compte pour déterminer si, dans chaque cas particulier, la DCR est requise pour régler un conflit entre deux régimes législatifs fédéraux.

[255] Le commissaire soutient qu’on ne peut invoquer la DCR dans le contexte particulier d’un régime réglementaire fédéral comme celui que l’AAV invoque. Il maintient que lorsqu’une conduite reprochée en vertu de l’article 79 de la Loi est censément permise par un régime législatif fédéral, le Tribunal devrait appliquer les principes d’interprétation législative ordinaires pour régler tout conflit qui peut prendre naissance entre un tel régime et une disposition de la Loi. Le commissaire ajoute que, conformément à ces principes ordinaires, les lois fédérales qui s’appliquent aux mêmes faits s’appliqueront en même temps, à moins d’un conflit inévitable (Sullivan, à §11.30 - §11.33). Le commissaire soutient également qu’au vu des faits particuliers de la présente espèce, il n’existe aucun conflit inévitable de ce genre.

[256] Le Tribunal souscrit à cet aspect de la position du commissaire. S’il existe un conflit apparent entre une disposition de la Loi et une autre loi fédérale (ce qui inclut n’importe quelle disposition législative subordonnée), le Tribunal devrait tout d’abord appliquer les principes d’interprétation législative ordinaires, plutôt que la DCR, pour tenter de le régler. À cet égard, il devrait commencer par appliquer le principe fondamental selon lequel cette loi devrait être interprétée dans son contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, 154 DLR (4th) 193, au par. 21).

[257] Si cette première mesure ne règle pas le conflit, le Tribunal devrait ensuite vérifier si le conflit peut être réglé « au moyen d’une interprétation qui éliminerait l’incohérence » (Lévis (Ville) c Fraternité des policiers de Lévis Inc., 2007 CSC 14, au par. 58). En d’autres termes, une interprétation qui permet à deux lois fédérales de s’appliquer et d’atteindre leurs objectifs respectifs doit être privilégiée par rapport à une interprétation qui donne lieu à un conflit (Apotex Inc c Eli Lilly and Company, 2005 CAF 361, aux par. 22, 23, 28 et 32). Il s’agit simplement d’une autre façon d’énoncer le principe selon lequel le législateur est présumé avoir légiféré de manière cohérente (Friends of Oldman River Society c Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 RCS 3, 88 DLR (4th) 1 (l’« arrêt Oldman River »), à la p. 38). Le Tribunal fait remarquer en passant que cette présomption a été qualifiée de [traduction] « quasi irréfutable » (Sullivan, à §11.4).

[258] Quand il est encore impossible de régler le conflit et que ce dernier survient entre une loi fédérale et une loi fédérale subordonnée, le Tribunal doit donner préséance à la première des deux (Oldman River, à la p. 38; Sullivan, à §11.56).

[259] Si l’application des principes qui précèdent ne permet pas de régler le conflit, la disponibilité de la DCR semble dépendre de la question de savoir si le conflit concerne une disposition criminelle ou non criminelle de la Loi. Pour les raisons énoncées aux paragraphes 216 à 245 qui précèdent, le Tribunal est d’avis que la DCR ne peut pas être invoquée à l’égard de l’article 79. Pour les besoins de la présente affaire, il est inutile d’en dire plus, étant donné surtout que l’application des principes décrits plus tôt à propos du second volet de la DCR suffit pour régler le conflit allégué entre le paragraphe 79(1) de la Loi et le régime législatif sur lequel se fonde l’AAV pour invoquer la DCR, comme il est expliqué ci-dessous.

[260] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer que, dans le Bulletin sur la DCR, on peut lire ce qui suit :

[L]e Bureau n’engagera pas de procédure en vertu d’une disposition de la Loi lorsque le Parlement a exprimé l’intention d’exclure l’application de la Loi en établissant un régime complet et en conférant à une autorité réglementaire le pouvoir de prendre ou de faire prendre une mesure incompatible avec la Loi, à condition néanmoins que l’autorité réglementaire ait exercé son pouvoir de réglementation relativement à la conduite en cause.

[261] Le Tribunal fait remarquer de plus en passant que, dans le contexte criminel, l’un des deux principaux fondements qui étayaient dans le passé l’application de la DCR continuerait d’étayer son application. C’est-à-dire que l’on pourrait inférer que le législateur n’entendait pas que la conduite prescrite, ordonnée ou permise par une loi fédérale fasse l’objet d’une sanction criminelle sous le régime de la Loi (voir les paragraphes 228 à 230 qui précèdent). C’est peut-être pour cela que le législateur a jugé bon de préserver, au paragraphe 45(7) de la Loi, la DCR pour les conduites qu’interdit le paragraphe 45(1), indépendamment de la disparition du mot « indûment » que contenait cette dernière disposition. Le Tribunal reconnaît que l’absence, dans les autres dispositions criminelles de la Loi, d’un libellé semblable à celui qui figure au paragraphe 45(7) présente un facteur qui complique la situation et qu’il faudra vraisemblablement que les tribunaux règlent ultérieurement.

(ii) Les motifs invoqués par l’AAV

[262] Le Tribunal se penche maintenant sur les diverses sources sur lesquelles l’AAV s’est fondée pour montrer que sa conduite exclusionnaire est exigée, prescrite ou permise, expressément ou par déduction nécessaire, par une loi validement adoptée.

· L’Énoncé des objectifs de l’AAV

[263] L’Énoncé des objectifs de l’AAV figure dans ses Statuts de prorogation. Par souci de commodité, le Tribunal répétera les [traduction] « objectifs » qui sont susceptibles d’être pertinents en l’espèce. Il s’agit des suivants :

[traduction]
a) acquérir la totalité du bien comportant l’Aéroport international de Vancouver, ou un intérêt dans ce dernier, en vue d’entreprendre la gestion et l’exploitation de [cet aéroport] d’une manière sûre et efficiente au bénéfice général du public;

b) entreprendre la mise en valeur des terrains de [l’aéroport] en vue d’usages compatibles avec le transport aérien;

[...]

d) créer et proposer des projets et des entreprises de développement économique et y participer; ces projets et ces entreprises visent à étendre les installations de transport de la Colombie-Britannique, à contribuer à l’économie de la Colombie-Britannique ou à faciliter le déplacement de personnes et de marchandises entre le Canada et le reste du monde;

[...]

[264] Le Tribunal considère qu’aucun des trois « objectifs » qui précèdent ne prescrit, n’ordonne ou ne permet explicitement à l’AAV de se livrer à la conduite exclusionnaire. De plus, ils peuvent être facilement interprétés d’une manière qui ne donne lieu à aucun conflit irréconciliable avec la Loi et qui permet d’atteindre les objectifs de l’AAV.

[265] Pour ce qui est de l’alinéa a), le seul passage qui pourrait se rapporter à la conduite exclusionnaire sont les mots « entreprendre la gestion et l’exploitation de [cet aéroport] d’une manière sûre et efficiente au bénéfice général du public » [non souligné dans l’original].

[266] Comme nous le verrons à la sous-section VII.D ci-après, pour ce qui est de l’alinéa 79(1)b), les justifications données par l’AAV pour se livrer à la conduite exclusionnaire n’incluaient aucun aspect lié à la sécurité. Par ailleurs, la réparation que sollicite le commissaire se limite précisément à [traduction] « toute entreprise qui répond aux exigences habituelles en matière de santé, de sécurité, de sûreté et de rendement ». C’est donc dire que si cette réparation était accordée par le Tribunal, cela n’empêcherait nullement l’AAV de poursuivre l’aspect « sécurité » de son mandat.

[267] Pour ce qui est de l’« objectif » de l’AAV qui consiste à [traduction] « entreprendre la gestion et l’exploitation [...] d’une manière [...] efficiente au bénéfice général du public » [non souligné dans l’original], le fait que l’AAV se fonde sur ces mots pose au moins trois problèmes.

[268] Premièrement, les mots [traduction] « d’une manière [...] efficiente » ne sont pas suffisamment précis pour répondre aux exigences de la DCR. Pour dire les choses différemment, ils sont « bien loin de correspondre » au degré de spécificité qui est nécessaire pour pouvoir conclure que des activités accomplies en vue de la réalisation de l’« objectif » ont été « autorisées », comme l’envisage la DCR (arrêt Jabour, aux p. 341 et 342; décision Fournier Leasing, au par. 58; décision Milk, aux p. 478, 479 et 483; décision LSUC, à la p. 474; décision Hughes, aux par. 144, 145, 163, 164, 198 et 240 à 244. Voir aussi l’arrêt Sutherland, aux par. 77 à 84, 107 et 117). Le Tribunal n’est au courant d’aucune décision qui étayerait la position de l’AAV selon laquelle un tel « objectif » général présente un degré de spécificité suffisant pour constituer ce qui est, essentiellement, une exemption par rapport aux exigences de la Loi.

[269] Deuxièmement, la mention de l’efficience peut être facilement interprétée d’une manière qui laisse à l’AAV une grande latitude pour ce qui est d’accomplir cet « objectif » sans entrer en conflit avec la Loi, et en particulier avec le paragraphe 79(1) de la Loi (arrêt Garland, au par. 76). Autrement dit, il n’y a aucun conflit irréconciliable entre ces mots et la Loi.

[270] Troisièmement, le Tribunal n’est au courant d’aucune jurisprudence à l’appui de la thèse voulant qu’un énoncé d’objectifs ou toute autre disposition figurant dans les statuts de prorogation d’une entité ou dans ses autres documents d’entreprise, à eux seuls, puisse servir de fondement pour revendiquer la DCR.

[271] En ce qui concerne l’alinéa b) de l’Énoncé des objectifs de l’AAV, la disposition tout entière est susceptible d’être pertinente pour l’allégation selon laquelle l’AAV a rattaché l’accès au côté piste à la location à bail de terrains à YVR. Cependant, les justifications qu’invoque l’AAV pour se livrer à la conduite exclusionnaire n’incluaient aucun aspect lié à la mise en valeur des terrains de YVR en vue d’usages compatibles avec le transport aérien, même si M. Richmond a déclaré que l’AAV préfère que les entreprises de services de restauration à bord soient situées à YVR.

[272] Quant à l’alinéa d) de l’Énoncé des objectifs de l’AAV, les problèmes qui existent sont essentiellement les mêmes. C’est-à-dire que ces mots ne sont pas suffisamment précis pour répondre aux exigences de la DCR, il n’existe aucun conflit irréconciliable entre le libellé de cette disposition et l’article 79 de la Loi, et le Tribunal n’est au courant d’aucune jurisprudence qui étaye la thèse énoncée au paragraphe 270 qui précède.

· Le Décret et le Bail foncier de 1992

[273] Dans le Décret de 1992, l’un des attendus indique que Sa Majesté du chef du Canada souhaitait transférer aux autorités locales au Canada la gestion, l’exploitation et l’entretien de certains aéroports [traduction] « dans le but de favoriser le développement économique des collectivités que ces aéroports desservent ainsi que le développement commercial de ces derniers, grâce à la participation au niveau local ». Pour ce qui est de l’AAV en particulier, la disposition applicable dans ce décret [traduction] « autorise le ministre des Transports, au nom de Sa Majesté du chef du Canada, à conclure un accord de transfert avec [l’AAV] qui est essentiellement conforme à l’ébauche d’accord annexée ci-après », c’est-à-dire le Bail foncier de 1992. L’une des dispositions de ce dernier document indique que l’AAV aura pour tâche de [traduction] « gérer, exploiter et entretenir l’Aéroport [...] d’une manière moderne et fiable, qui sied à une installation de première classe et à un grand aéroport international, et ce, dans un état et à un niveau de service permettant de répondre aux besoins en services aéroportuaires d’utilisateurs situés dans un rayon de 75 kilomètres ». L’AAV indique que, depuis son établissement, elle a réinvesti la totalité des revenus, déduction faite des dépenses, dans l’Aéroport.

[274] Le Tribunal convient que, en principe, un texte législatif subordonné tel qu’un décret peut servir de fondement à l’autorisation qu’envisage la DCR (arrêt Sutherland, au par. 68). Cependant, compte tenu d’une observation contraire que la CSC a faite dans l’arrêt Oldman River, à la page 38, il faudrait que le libellé du texte législatif subordonné soit très clair. Même là, la question est loin d’être évidente. Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne le fait que l’AAV invoque la DCR, le Décret de 1992 et le Bail foncier de 1992 présentent certaines des mêmes lacunes que celles de l’Énoncé des objectifs qui figure dans les Statuts de prorogation de l’AAV.

[275] Premièrement, les passages tirés du Décret de 1992 et du Bail foncier de 1992 sur lesquels l’AAV se fonde sont, là encore, insuffisamment précis pour répondre aux exigences de la DCR. Il n’y a rien dans ces deux instruments qui, peut-on considérer, exige, prescrit ou permet, expressément ou par déduction nécessaire, à l’AAV de se livrer à la conduite reprochée.

[276] Deuxièmement, il n’y a aucun conflit irréconciliable entre les passages cités ci-dessus et, extraits de ces deux documents, et la Loi (arrêt Garland, au par. 76). Au contraire, ces passages peuvent être facilement interprétés d’une manière qui confère à l’AAV une grande latitude pour ce qui est de favoriser le développement économique de la collectivité locale qu’elle dessert, pour favoriser le développement commercial de YVR et pour [traduction] « gérer, exploiter et entretenir [YVR] [...] d’une manière moderne et fiable », comme nous l’avons vu plus tôt. Il est difficile d’imaginer de quelle façon le fait que l’AAV doive s’abstenir de se livrer à une conduite qu’envisage l’article 79 de la Loi mine sérieusement ce mandat. La position du Tribunal à cet égard est renforcée par le fait que le Décret de 1992 a été pris en vertu du paragraphe 2(2) de la Loi relative aux cessions d’aéroports, qui prévoit simplement que le gouverneur en conseil peut, prendre un décret :

a) conférant le statut d’administration aéroportuaire désignée à la personne morale ou l’organisme cessionnaire;

b) désignant la date prévue pour l’opération en cause comme date de cession.

[277] Par ailleurs, l’article 8.06.01 du Bail foncier de 1992 prescrit explicitement que l’AAV doit [traduction] « observer et respecter toutes les lois applicables qui sont actuellement en vigueur ou qui le seront ultérieurement ». Le Tribunal fait remarquer que M. Richmond a admis lors de son interrogatoire que cela voulait dire que l’AAV est tenue de se conformer aux lois du Canada, et ces dernières comprennent la Loi.

[278] Troisièmement, même s’il était possible de dire qu’il y a un conflit irréconciliable entre la Loi et le Décret de 1992 ou le Bail foncier de 1992, il faudrait donner préséance à la Loi, qui est d’un rang supérieur à un texte réglementaire fédéral ainsi qu’aux contrats que conclut le gouvernement fédéral (arrêt Oldman River, à la p. 38).

[279] Le Tribunal signale que la situation est nettement différente de celle dont il était question dans l’arrêt Sutherland, qu’invoque l’AAV. Dans cet arrêt, il n’y avait aucun doute que le régime législatif avait expressément permis la construction de la piste d’atterrissage qui était en litige à YVR, à l’endroit exact qu’elle occupe. L’emplacement précis et la configuration exacte de la piste étaient clairement indiqués dans le bail ainsi que dans le certificat d’aéroport (arrêt Sutherland, aux par. 78 et 107). Il n’existe aucun degré de spécificité de cette nature dans les sources qu’invoque l’AAV à l’appui de sa prétention selon laquelle on devrait pouvoir invoquer la DCR pour exempter sa conduite exclusionnaire de l’article 79 de la Loi.

· Le conseil d’administration de l’AAV

[280] L’AAV affirme que son mandat d’intérêt public se reflète également dans le fait que la plupart des membres siégeant à son conseil d’administration sont nommés par divers paliers de gouvernement et diverses organisations professionnelles locales.

[281] Cependant, le Tribunal est incapable de voir en quoi ce fait aide l’AAV à établir que la conduite qui est visée par la présente instance a été « permise » par une loi validement adoptée ou par un texte réglementaire.

· Les arguments supplémentaires de l’AAV au sujet de l’intérêt du public

[282] Les autres arguments que l’AAV a invoqués au sujet de son mandat d’intérêt public n’aident pas non plus le fait qu’elle se fonde sur la DCR. Plus précisément, la « mission », la « vision » et les « valeurs » de l’AAV, qui sont décrites au paragraphe 202 qui précède, ne permettent pas, même de loin, à l’AAV de se livrer à la conduite exclusionnaire. En outre, ces déclarations d’entreprise ne peuvent pas supplanter la Loi.

[283] L’AAV affirme également que les mesures qu’elle a prises peuvent être considérées comme étant dans l’intérêt du public et donc non assujetties à la Loi, parce qu’elle agit conformément à un mandat législatif. Cependant, cela ne suffit pas pour lui permettre de se prévaloir de la DCR. Un comportement qui est envisagé par la Loi doit être prescrit, ordonné ou spécifiquement permis, expressément ou par déduction nécessaire, avant qu’il puisse être soustrait à l’application de la Loi par la DCR (voir les décisions citées aux paragraphes 192 à 200 qui précèdent).

· Le Règlement de l’aviation canadien

[284] Dans son plaidoyer final à l’audience, l’AAV a également invoqué l’article 302.10 du Règlement de l’aviation canadien, dont le texte est le suivant :

302.10 Il est interdit :

[...]

c) de circuler à pied, de se tenir debout, de conduire un véhicule ou de stationner un véhicule ou un aéronef sur l’aire de mouvement d’un aéroport ou d’y créer un obstacle, sauf si une permission a été accordée à la fois par :

(i) l’exploitant de l’aéroport,

(ii) l’unité de contrôle de la circulation aérienne ou la station d’information de vol compétente, s’il y a lieu;

[285] L’AAV soutient que cette disposition l’autorise expressément à contrôler l’accès au côté piste à YVR, et que cette autorisation suffit pour lui permettre de se prévaloir de la DCR. Le Tribunal n’est pas de cet avis. Bien que l’alinéa 302.10c) du Règlement de l’aviation canadien confère précisément à l’AAV le pouvoir de contrôler l’accès, elle ne l’autorise pas expressément, de manière directe ou indirecte, à limiter le nombre d’entreprises de services de restauration à bord et de se livrer à la conduite exclusionnaire qui est visée par la présente instance. En fait, il est difficile de voir en quoi cette disposition autorise même de manière large ou implicite l’AAV à se livrer à une telle conduite.

[286] Il vaut la peine de réitérer que les organismes de réglementation et les autres entités qui exercent des pouvoirs conférés par la loi ne peuvent pas se servir de ce [traduction] « pouvoir que leur confère la loi comme tremplin (ou moyen déguisé) pour se livrer à des pratiques anticoncurrentielles qui débordent le cadre de ce qu’autorisent les lois de nature réglementaire pertinentes » (décision Milk, aux p. 484 et 485). Comme l’a fait remarquer le Tribunal, la mesure de redressement que souhaite obtenir le commissaire se limite précisément à [traduction] « toute entreprise qui répond aux exigences habituelles en matière de santé, de sécurité, de sûreté et de rendement ». C’est donc dire que si le Tribunal accordait cette mesure, cela n’empêcherait pas l’AAV de contrôler l’accès au côté piste à YVR d’une manière qui garantit que l’on répond à ces exigences légitimes. Cependant, l’AAV ne peut se servir de ces facteurs ou d’autres comme prétexte pour se livrer à une conduite qu’envisage l’article 79 de la Loi.

[287] À l’instar des autres dispositions sur lesquelles l’AAV se fonde pour invoquer la DCR, il n’y a aucun conflit irréconciliable entre l’article 79 de la Loi et l’alinéa 302.10c) du Règlement de l’aviation canadien. En bref, cette dernière disposition peut être facilement interprétée de façon à permettre à l’AAV de contrôler l’accès au côté piste à YVR d’une manière qui repose sur les genres de facteurs qui guident de telles décisions dans d’autres aéroports au Canada, et qui ne contreviennent pas à la Loi. Contrairement aux affirmations de l’AAV, le fait de l’assujettir à la Loi ne l’obligera pas à [traduction] « accepter toutes les demandes d’accès » (Réponse modifiée de l’AAV, (Réponse modifiée de l’AAV, au par. 22). Comme les autres, l’AAV doit simplement se conformer à la Loi.

[288] Enfin, à titre de texte réglementaire fédéral, l’alinéa 302.10c) ne peut pas être invoqué pour mettre à l’abri une conduite anticoncurrentielle qui est envisagée par la Loi.

(iii) La conclusion sur le second volet de la DCR

[289] Pour tous les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut qu’il n’existe aucune loi, aucun règlement ou aucun autre texte réglementaire qui prescrit, ordonne ou permet à l’AAV, expressément ou par déduction nécessaire, de se livrer à la conduite reprochée. En conséquence, comme cela a été le cas pour la première condition préalable à l’application de la DCR, la seconde condition préalable n’est pas remplie non plus.

4) Conclusion

[290] Pour tous les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que l’AAV ne peut pas se prévaloir de la DCR en l’espèce.

[291] En résumé, l’article 79 ne comporte pas les mots accordant la latitude requise qui doivent être présents avant que l’on puisse se fonder sur la DCR pour exempter ou mettre à l’abri une conduite de l’application de la Loi. De plus, les deux justifications qui étayent depuis toujours l’application de la DCR ne sont pas présentes dans le contexte de l’article 79. Par ailleurs, la Loi, le texte réglementaire et les autres dispositions sur lesquelles l’AAV se fonde pour invoquer la DCR ne prescrivent pas, n’ordonnent pas ou ne permettant pas de se livrer à la conduite exclusionnaire, de la manière dont la jurisprudence le prévoit. Dans chaque cas, le libellé général de ces dispositions n’est pas suffisamment précis pour permettre à l’AAV de se prévaloir de la DCR en l’espèce. Par ailleurs, ces dispositions peuvent être interprétées d’une manière qui confère à l’AAV une grande latitude pour ce qui est de s’acquitter de son mandat, et ce, sans susciter de conflit avec l’article 79. Enfin, ces dispositions figurent dans des textes réglementaires fédéraux ou d’autres instruments qui ne peuvent pas supplanter la Loi.

[292] Vu la conclusion qui précède, il est inutile d’examiner l’argument qu’a invoqué le commissaire au sujet du statut de société à but non lucratif de l’AAV.

[293] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour souligner que même si la DCR ne s’applique pas en l’espèce, le fait qu’un défendeur se conforme à une exigence législative ou réglementaire peut néanmoins constituer une justification au regard de l’alinéa 79(1)b), relativement à une conduite susceptible d’être anticoncurrentielle. Dans l’arrêt TREB CAF, la CAF a décrété que si un défendeur se livre à une pratique qui est exigée par une loi ou un règlement, ce fait pourrait constituer une justification commerciale légitime et pourrait autoriser le tribunal à conclure que la conduite n’est pas un agissement « anticoncurrentiel » au sens de l’alinéa 79(1)b) (arrêt TREB CAF, au par. 146). Dans la décision TREB, l’argument du défendeur a été rejeté parce que la preuve a montré qu’il n’avait pas mis en œuvre la conduite reprochée pour se conformer à la Loi sur la protection des renseignements personnels qui était invoquée pour justifier les restrictions imposées.

[294] Cette question sera analysée plus en détail à la sous-section VII.D.2 ci-après, dans le cadre de l’analyse que fait le Tribunal des prétentions de l’AAV selon lesquelles il y avait des considérations commerciales légitimes qui étayaient sa conduite exclusionnaire.

B. Pour les besoins de la présente instance, quel est ou quels sont le ou les marchés pertinents?

[295] La question suivante que le Tribunal doit trancher est la détermination du ou des marchés pertinents pour les besoins de la présente instance. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut qu’il existe à YVR deux marchés pertinents : le marché de l’accès au côté piste et le marché des services de manutention. Chacun de ces marchés est une catégorie ou une espèce d’entreprises pour l’application de l’alinéa 79(1)a) de la Loi, tandis que seul le marché des services de manutention est pertinent pour l’application de l’alinéa 79(1)c).

[296] Le Tribunal reconnaît qu’il existe des aspects qui confirment le fait qu’on considère que le marché dans lequel les services de manutention sont fournis comprend au moins quelques services de restauration. Cependant, il en existe d’autres qui confirment le fait qu’on circonscrive ce marché aux services de manutention. De l’avis du Tribunal, il importe peu que le marché pertinent, pour l’application de l’alinéa 79(1)c), se limite uniquement aux services de manutention ou qu’il comprenne quelques services de restauration, car les services de manutention et les services de restauration sont des compléments plutôt que des substituts.

1) Le cadre analytique

[297] Aux termes de l’alinéa 79(1)a), il doit être établi qu’une ou plusieurs personnes contrôlent sensiblement une catégorie ou une espèce d’entreprises à la grandeur du Canada ou d’une de ses régions. Le passage souligné a été systématiquement interprété comme désignant la dimension géographique et la dimension « produit » du marché pertinent dans lequel la défenderesse exerce censément un « contrôle sensible ou complet » (Canada (Commissaire de la concurrence) c Tuyauteries Canada Ltée, 2006 CAF 236 (l’« arrêt Tuyauteries Canada CAF Appel incident »), aux par. 16 et 64, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 31637 (10 mai 2007); décision TREB TC, au par. 164).

[298] Comme le Tribunal en a déjà parlé, pour l’application de l’alinéa 79(1)a) le marché pertinent peut être différent de celui qu’envisage l’alinéa 79(1)c) (décision TREB TC, au par. 116). En fait, en l’espèce, l’un des marchés que l’AAV contrôle censément – le marché de l’accès au côté piste – est différent de celui dans lequel il est allégué que la pratique en cause a pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence pour l’application de l’alinéa 79(1)c), c’est-à-dire le marché des services de manutention. Il sera donc nécessaire que le Tribunal évalue chacun de ces deux marchés.

[299] Dans la plupart des instances engagées en vertu de l’article 79 de la Loi, la manière dont le Tribunal aborde la définition des marchés pertinents consiste principalement à se demander s’il existe de proches substituts du « produit considéré » (décision TREB TC, au par. 117). Cependant, en l’espèce, le Tribunal a principalement axé son évaluation sur le fait de savoir si la fourniture des services de manutention constitue un marché pertinent distinct, ou s’il y a lieu de l’élargir de manière à englober des services complémentaires qui sont habituellement vendus avec les services de manutention, c’est-à-dire la totalité ou une partie des services de restauration.

[300] Pour évaluer l’étendue de la dimension géographique et la dimension « produits » des marchés pertinents dans le contexte d’une instance engagée en vertu de l’article 79 de la Loi, le Tribunal considère qu’il est utile d’appliquer le cadre analytique du monopoleur hypothétique. Dans la décision TREB TC, aux paragraphes 121 à 124, le Tribunal a adopté l’explication de ce cadre qui est énoncée dans un document du Bureau, daté de 2011 et intitulé Fusions – Lignes directrices pour l’application de la loi :

Sur le plan conceptuel, un marché pertinent correspond au groupe le plus restreint de produits, y compris au moins un produit des parties à la fusion, et à la plus petite région géographique pour laquelle un vendeur unique cherchant à maximiser ses profits (un « monopoleur hypothétique ») peut imposer et maintenir une augmentation de prix modeste, mais significative et non transitoire (ci-après « SSNIP » pour « small but significant and non-transitory increase in price »), par rapport aux prix qui seraient vraisemblablement pratiqués en l’absence de la fusion.

[301] Pour appliquer le critère de la SSNIP, le Tribunal se sert habituellement d’une augmentation de prix de 5 % sur un an. Autrement dit, si les vendeurs d’un produit ou d’un groupe de produits qui sont présents dans un marché provisoirement défini et qui agissent comme un monopoleur hypothétique ne seraient pas capables d’imposer et de maintenir une augmentation de prix de 5 % sur un an, les limites du marché pertinent, sur le plan des produits, seront progressivement élargies jusqu’au point où un monopoleur hypothétique aurait cette capacité et ce degré de puissance commerciale. C’est essentiellement la même approche que l’on suit pour déterminer la dimension géographique des marchés pertinents.

[302] Vu les difficultés pratiques que l’on associe à la détermination du prix de base à l’égard duquel on procédera à l’évaluation de la SSNIP dans une instance engagée en vertu de l’article 79 de la Loi, la définition du marché, dans une telle instance, consiste en grande partie à évaluer la preuve indirecte du caractère substitutif, ce qui inclut des facteurs tels que l’interchangeabilité fonctionnelle relativement à l’utilisation finale, les coûts d’adaptation, les opinions, les stratégies, le comportement et l’identité des acheteurs, les opinions, les stratégies et le comportement des intervenants du milieu commercial, les caractéristiques physiques et techniques, de même que les liens entre les prix et les niveaux de prix relatifs (décision TREB TC, au par. 130).

[303] Dans une affaire où l’évaluation que fait le Tribunal porte principalement sur le fait de savoir s’il faut inclure des compléments dans le même marché pertinent, il y a d’autres facteurs qu’il faut prendre en compte, dont celui de savoir si les produits en question sont habituellement mis en vente et achetés ensemble, s’ils sont vendus à un prix regroupé, s’ils sont produits ensemble, s’ils émanent des mêmes entreprises et s’ils sont utilisés dans des proportions fixes ou variables.

[304] Dans le contexte géographique, il faudrait également évaluer les coûts de transport et les tendances liées à l’expédition, y compris au-delà des frontières du Canada.

[305] Pour définir la portée de la dimension géographique et de la dimension « produit » des marchés pertinents, il n’est souvent ni possible ni nécessaire d’établir ces dimensions avec précision. Cependant, il faut évaluer en fin de compte (à l’étape de l’analyse de l’alinéa 79(1)c)) la mesure dans laquelle les produits et les points d’approvisionnement qui n’ont pas été inclus dans le marché pertinent font ou feraient vraisemblablement concurrence aux produits et aux endroits qui ont été inclus dans le marché et agissent comme des facteurs limitatifs (décision TREB TC, au par. 132).

2) La dimension « produits »

a) Les positions des parties

[306] Dans sa demande, le commissaire allègue que l’AAV contrôle sensiblement ou complètement à la fois le marché de l’accès au côté piste et le marché des services de manutention.

[307] Selon la description qu’en donne le commissaire, le côté piste comprend l’accès aux pistes et aux voies d’accès, de même que l’« aire de trafic » où, notamment, un aéronef est garé, les produits de restauration et les fournitures accessoires, telles que les bagages et les marchandises, sont chargés et déchargés, et les passagers embarquent.

[308] Selon la description qu’en donne le commissaire, le marché des services de manutention se compose principalement du chargement à bord d’aéronefs commerciaux – et du déchargement – des produits de restauration, des produits de commissariat (habituellement les articles non alimentaires et les aliments non périssables) et des produits accessoires (produits hors taxes, linge et journaux). Ils incluent aussi l’entreposage connexe, la gestion des stocks, le regroupement des plateaux-repas et des chariots à roulettes (ce qui inclut les produits de bar et de boutique), le transport des produits de restauration, des produits de commissariat et des produits accessoires entre l’aéronef et l’entrepôt ou les installations de cuisine des services de restauration, le nettoyage du matériel, la gestion des dispositifs de point de vente portables, ainsi que l’enlèvement des ordures. En faisant la description qui précède, le commissaire fait remarquer que les services de manutention et les services de restauration sont les deux principaux groupes de produits qui, ensemble, constituent les services de restauration à bord.

[309] Dans sa réponse modifiée, l’AAV remet en question cette catégorisation des deux groupes de produits complémentaires que le commissaire décrit comme étant les services de manutention et les services de restauration, respectivement. Essentiellement, comme l’explique M. Reitman, contrairement au commissaire, qui définit des marchés distincts pour deux groupes de compléments horizontaux, l’AAV soutient que les marchés pertinents devraient être définis en fonction de groupes de produits verticaux : i) la préparation de plats cuisinés frais et d’autres aliments périssables, ainsi que le chargement de ces plats ou aliments à bord de l’aéronef (une opération qualifiée de [traduction] « services de restauration à bord haut de gamme ») et ii) la fourniture d’aliments non périssables et de boissons, ce qui inclut d’autres articles tels que les produits hors taxes, ainsi que le chargement de ces produits à bord de l’aéronef (une opération qu’elle qualifie de « services de restauration à bord standards »). En adoptant cette position, l’AAV semble tenir pour acquis que les repas préemballés, lesquels comprennent les repas surgelés, ne sont pas des aliments périssables et ne peuvent pas être remplacés par des repas frais.

[310] Pour ce qui est du marché de l’accès au côté piste, l’AAV nie être en mesure d’exercer un « contrôle sensible ou complet », un aspect qui sera analysé séparément à la sous‐section VII.C ci‐après, en lien avec l’alinéa 79(1)a). Cependant, elle ne semble pas mettre en doute la manière dont le commissaire définit ce marché. En fait, dans son Énoncé concis de la thèse économique applicable, l’AAV a déclaré que l’une des principales responsabilités qu’elle assume dans le cadre de l’exécution de son mandat d’intérêt public consiste à contrôler l’accès au côté piste à l’AAV. Elle a expliqué : [traduction] « [e]n plus d’assurer la sécurité à l’aéroport, ce contrôle [lui] permet d’autoriser la présence d’un nombre efficient de fournisseurs qui recoupent la gamme complète des entreprises de services complémentaires, ce qui inclut les services de restauration et les services de manutention ». Elle dit de plus de l’accès au côté piste qu’il s’agit d’un [traduction] « intrant au titre des services de restauration » et des [traduction] « services de manutention qui ont lieu à l’Aéroport » (Énoncé concis de la thèse économique applicable de l’AAV, aux par. 3 et 5).

[311] Les parties sont restées sur leurs positions respectives pendant toute la durée de l’instance. Toutefois, dans son plaidoyer final, le commissaire a exprimé l’avis qu’il importe peu de savoir si le marché est défini en fonction des services de manutention ou des services de restauration à bord. Il a affirmé que, dans l’un ou l’autre cas, il s’agit là du marché pertinent que l’AAV contrôle sensiblement ou complètement.

[312] Pour ce qui concerne l’AAV, en plus de maintenir la distinction entre les services de restauration à bord haut de gamme et les services de restauration à bord standards, elle a souligné que les services de manutention et les services de restauration (tels que définis par le commissaire) sont inextricablement liés et sont formés de groupes imprécis de services complémentaires qu’il est difficile, voire impossible, d’identifier et de circonscrire avec précision.

b) Le marché de l’accès au côté piste

[313] Le commissaire soutient qu’il existe un marché distinct, celui de l’accès au côté piste, qui est situé directement en amont du marché des services de manutention. À l’appui de cette position, il soutient que les entreprises qui fournissent des services de manutention doivent tout d’abord avoir accès au « tarmac », et plus précisément à l’« aire de trafic », là où les aéronefs sont garés. Pour obtenir cet accès, elles sont tenues de conclure avec l’AAV un contrat de licence en matière de services de restauration à bord.

[314] Les conditions de ces contrats de licence prévoient, notamment, le paiement de [CONFIDENTIEL]. Selon les contrats de licence actuels que l’AAV a conclus avec les entreprises de services de restauration à bord, les redevances de concession sont présentement fixées à [CONFIDENTIEL] % des revenus bruts tirés des services fournis à YVR, [CONFIDENTIEL]. Comme il a été mentionné plus tôt, il semble que ces redevances soient habituellement transmises, en tout ou en partie, par les entreprises de services de restauration à bord aux sociétés aériennes clientes, sous la forme d’une [traduction] « redevance aéroportuaire » qu’elles facturent, en sus du coût de leurs services de manutention et de restauration.

[315] De plus, les permis de services de restauration à bord de l’AAV prévoient le paiement d’un loyer pour les installations que le fournisseur de services de restauration à bord loue à bail à YVR. De façon générale, le montant du loyer à payer aux termes du permis est fonction de la valeur marchande des locaux que loue l’AAV, le cas échéant. (L’AAV n’exige pas que les entreprises de services de restauration à bord exploitent une cuisine de l’air à YVR pour pouvoir obtenir un permis de services de restauration à bord. À cet égard, Gate Gourmet et CLS exploitent une cuisine de l’air à YVR, mais pas dnata.) Pour les besoins de la présente analyse du marché de l’accès au côté piste allégué, il n’est pas nécessaire d’analyser plus avant les paiements de loyer que facture l’AAV.

[316] Compte tenu de ce qui précède, le commissaire est d’avis que le « produit » en amont qui est fourni aux entreprises de services de restauration à bord est l’accès, par le côté piste, aux aéronefs qui atterrissent et décollent à YVR, et que le prix auquel chaque produit est fourni est [CONFIDENTIEL] les redevances de concession décrites plus tôt. Le commissaire soutient qu’il n’existe aucun substitut acceptable à l’accès au côté piste pour la fourniture des services de manutention et que, de ce fait, un monopoleur hypothétique ou réel serait en mesure d’imposer et de maintenir de façon rentable une SSNIP pour ce qui est de la fourniture de l’accès au côté piste.

[317] M. Niels a appuyé la position du commissaire au sujet de l’existence d’un marché distinct de l’accès au côté piste en se basant sur le fait que cet accès est [traduction] « très important (voire essentiel) pour la fourniture des services de restauration à bord à YVR » (pièces A-082, CA-083 et CA-084, Rapport d’expert de M. Gunnar Niels (le « Rapport de M. Niels »), au par. 2.64). Pour dire les choses différemment, il a soutenu que les services de manutention [traduction] « exigent clairement un accès au côté piste » (Rapport de M. Niels, au par. 2.71). Il a affirmé qu’un substitut hypothétique exigerait que les produits des services de restauration soient chargés à bord d’un aéronef, et déchargés de celui-ci, à un endroit situé à l’extérieur de l’Aéroport, ce qui obligerait à déplacer l’aéronef à l’extérieur des lieux qu’occupe l’aéroport. Il a déclaré que, pour [traduction] « des raisons logistiques, financières (et probablement juridiques), ce serait impossible » (Rapport de M. Niels, au par. 2.71, note de bas de page no 34).

[318] Dans son rapport, M. Reitman a soutenu qu’il n’est pas nécessaire de définir un marché en amont qui soit distinct pour la fourniture de l’accès au côté piste, afin d’évaluer si le contrôle de cet accès confère à l’AAV un contrôle sensible du marché en aval. Il a donc explicitement refusé d’analyser le marché de l’accès au côté piste allégué. Il a plutôt admis que : [traduction] « étant donné que l’AAV contrôle l’accès au côté piste à YVR et que les services de restauration à bord haut de gamme à YVR constituent un marché anticoncurrentiel pertinent, l’AAV exercerait un contrôle sur le marché des services de restauration à bord haut de gamme » (pièces R-098, CR‐099 et CR-100, Rapport d’expert supplémentaire de M. David Reitman (le « Rapport de M. Reitman »), au par. 69). M. Reitman a maintenu cette position en contre-interrogatoire.

[319] Étant donné que l’accès au côté piste peut être légitimement qualifié d’intrant au titre du marché des services de manutention allégué, et que l’AAV facture un prix pour cet intrant, sous la forme de redevances de concession, le Tribunal est disposé à conclure qu’il existe à YVR un marché pour l’accès au côté piste à YVR. Étant donné qu’il n’existe aucun substitut pour cet intrant, le Tribunal est convaincu que le marché de l’accès au côté piste allégué est bel et bien un marché pertinent, pour l’application de l’alinéa 79(1)a) de la Loi. Cela dit, il fait remarquer que cela importe peu pour la présente affaire, car il est également persuadé que les services de manutention sont un marché qui est contrôlé par l’AAV, et ce, pour les raisons analysées ci-après.

c) Le marché des services de manutention

[320] À l’appui de la position selon laquelle le marché des services de manutention est un marché pertinent distinct, le commissaire invoque trois arguments principaux. Premièrement, il dit qu’il est possible de satisfaire au critère du monopoleur hypothétique sans inclure les produits de restauration, qui sont des compléments des services de manutention dans le marché pertinent. Deuxièmement, il affirme que les sociétés aériennes peuvent acheter des produits de restauration séparément des services de manutention et que, ces dernières années, elles le font de plus en plus. Troisièmement, il soutient que la documentation relative à l’industrie, de même que la terminologie employée au sein de cette dernière, fait une distinction entre les services de manutention et les services de restauration, et cela confirme la thèse voulant que ces deux types de services soient considérés comme des produits différents.

[321] En réponse, l’AAV soutient qu’il ressort de la preuve qu’en général les sociétés aériennes demandent – et les entreprises de services de restauration à bord fournissent – un groupe de services qui inclut à la fois les services de restauration et les services de manutention. M. Reitman a maintenu que, pour cette raison, il serait arbitraire de définir des marchés distincts pour ces deux types de services. L’AAV ajoute qu’il ressort également de la preuve que les sociétés aériennes considèrent les deux types de services ensemble, particulièrement lorsqu’elles examinent les coûts qu’elles engagent pour ces services. De plus, le groupe de produits autour desquels le commissaire a défini le marché des services de manutention est imprécis et, de ce fait, il est difficile, voire impossible, de définir avec précision quels produits se situent – ou non – dans les limites de ce marché. Enfin, l’AAV soutient que s’il faut faire une distinction quelconque au sein du secteur général des services de restauration à bord, il faudrait que ce soit celle qu’a proposée M. Reitman, c’est-à-dire entre les services de restauration à bord haut de gamme et les services de restauration à bord standards.

[322] Le Tribunal reconnaît que la preuve sur laquelle se fonde l’AAV donne à penser que les sociétés aériennes préfèrent encore acheter les services de manutention et les services de restauration ensemble. Il reconnaît de plus que ce facteur, de pair avec le faible niveau de substitution de la demande entre les aliments frais/périssables et les aliments surgelés/non périssables sur certains types de vol en partance d’YVR, étayerait la position qu’avance l’AAV.

[323] Néanmoins, pour les motifs qui suivent, le Tribunal est d’avis que la preuve dans son ensemble montre, selon la prépondérance des probabilités, que le marché des services de manutention, comme le commissaire les définit, est un marché pertinent pour l’application de l’article 79 de la Loi. Plus précisément, l’application du cadre du monopoleur hypothétique, étayé par des preuves abondantes concernant les facteurs d’évaluation suivants, confirme cette conclusion : le comportement, les opinions et les stratégies des sociétés aériennes et des entreprises de services de restauration à bord, la manière dont les services de manutention et de restauration sont produits, de même que les relations entre les prix et les niveaux de prix relatifs entre ces catégories de services.

(i) Le cadre du monopoleur hypothétique

[324] Le commissaire affirme qu’il est possible de satisfaire au critère qui se situe au cœur du cadre du monopoleur hypothétique en appliquant ce cadre uniquement au groupe de produits qui, selon lui, constitue le marché des services de manutention. Le Tribunal souscrit à cette opinion.

[325] Conformément à ce cadre, et pour l’application de l’article 79 de la Loi, la dimension « produit » d’un marché pertinent est définie en fonction du plus petit groupe de produits à l’égard duquel un monopoleur hypothétique aurait la capacité d’imposer et de maintenir une SSNIP au‐delà des niveaux qui existeraient vraisemblablement en l’absence d’une pratique reprochée.

[326] Le principe du « plus petit groupe » est un élément important du critère car, sans lui, il n’y aurait aucun fondement objectif à partir duquel faire une distinction entre un plus petit groupe de produits à l’égard duquel un monopoleur hypothétique aurait la capacité d’imposer de façon rentable une SSNIP et un groupe de produits plus vaste à l’égard duquel ce monopoleur pourrait aussi avoir une telle capacité (décision TREB TC, au par. 124). Par exemple, en l’absence du principe du groupe le plus petit, aucun fondement objectif ne permettrait de faire un choix entre un groupe de produits A, B, C et D à l’égard duquel un monopoleur hypothétique aurait la capacité d’imposer de façon rentable une SSNIP, et un groupe plus vaste de produits, formé des produits A, B, C, D, E et F, à l’égard desquels le monopoliseur pourrait aussi avoir une telle capacité. Dans de telles circonstances, le choix entre le groupe plus petit et le groupe plus vaste serait arbitraire, en présumant que les autres facteurs demeurent égaux.

[327] En conséquence, comme l’a reconnu M. Reitman à l’audience, même s’il était établi qu’un monopoleur hypothétique de deux groupes distincts de produits serait capable d’imposer et de maintenir de façon rentable une SSNIP, le principe du marché le plus petit exige que la dimension « produits » du marché pertinent se limite au groupe le plus petit de produits à l’égard duquel le monopoleur aurait une telle capacité. Dans la présente instance, il s’agirait du groupe de produits que constituent les services de manutention. Il en est ainsi même si un monopoleur hypothétique de ce groupe et du groupe supplémentaire des services de restauration avait aussi la capacité d’imposer une SSNIP à l’égard de ces deux groupes de produits complémentaires, combinés.

[328] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer que même si M. Niels a déclaré qu’il avait appliqué la logique du monopoleur hypothétique dans toute son analyse, il a indiqué qu’il considérait qu’il était inutile de le faire pour arriver à une conclusion à l’égard de la question de savoir si les services de manutention et les services de restauration, respectivement, sont des marchés pertinents distincts.

[329] L’AAV soutient que le défaut de M. Niels de conclure de manière explicite que les services de manutention constituent un marché pertinent distinct porterait un coup fatal aux arguments du commissaire. Elle soutient de plus que le Tribunal devrait tirer une inférence défavorable du défaut de M. Niels de formuler une opinion précise quant à la question de savoir si les services de manutention constituent un marché pertinent, comme l’affirme le commissaire. Plus précisément, elle soutient qu’étant donné que M. Niels a confirmé en contre-interrogatoire qu’il avait examiné la question, le Tribunal devrait inférer que s’il avait fourni une opinion, cela aurait été que les services de manutention ne constituent pas un marché pertinent.

[330] Le Tribunal n’est pas de cet avis. En bref, il n’hésite aucunement à décider, sans l’avantage du témoignage de M. Niels sur ce point particulier, que le commissaire a établi selon la prépondérance des probabilités que les services de manutention constituent un marché de produits pertinent. Le Tribunal ajouterait simplement que M. Neils a déclaré que les conclusions qu’il avait tirées dans son rapport resteraient les mêmes, que les services de manutention et les services de restauration constituent des marchés pertinents distincts, ou qu’ils forment un seul marché pertinent combiné.

[331] Lors de son contre-interrogatoire, M. Niels a précisé qu’il avait examiné cette question mais qu’il était venu rapidement à la conclusion qu’il importait peu de savoir si les services de manutention constituaient un marché pertinent distinct ou s’ils faisaient partie d’un marché pertinent plus large qui incluait les services de restauration. Dans l’un ou l’autre cas, les conclusions qu’il a tirées dans son rapport ne changeraient pas. Pour cette raison, il a expliqué qu’il n’avait pas traité de façon détaillée du fait de savoir s’il fallait définir le marché pertinent en fonction des services de manutention seulement, ou en fonction des services de manutention plus les services de restauration. Il a déclaré que ce fait, de pair avec celui que le commissaire n’avait fait état d’aucun effet anticoncurrentiel en lien avec les services de restauration, explique aussi pourquoi il n’a pas analysé les prix des services de restauration.

[332] Compte tenu de cette explication de M. Niels, le Tribunal ne considère pas qu’il convient de tirer une inférence défavorable du défaut de M. Niels d’indiquer explicitement que les services de manutention constituent un marché pertinent. Il ressort clairement du témoignage analysé plus tôt qu’il n’a pas consacré beaucoup de temps à cette question particulière ou qu’il ne l’a pas examinée de façon détaillée, car il considérait qu’il était inutile de le faire.

(ii) Les preuves étayant l’existence d’un marché pertinent distinct

[333] Le Tribunal se penche maintenant sur les facteurs d’évaluation que l’on prend habituellement en compte au moment de définir la dimension « produits » des marchés pertinents.

· L’interchangeabilité fonctionnelle

[334] Le Tribunal a fait remarquer plus tôt que l’« interchangeabilité fonctionnelle relativement à l’utilisation finale est une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour que les produits soient inclus dans le même marché pertinent » (décision TREB TC, au par. 130). Cependant, ce commentaire ne s’appliquait qu’à l’évaluation des substituts de produit allégués. Il ne s’applique pas à l’évaluation de la question de savoir si les compléments de produit devraient être inclus dans le même marché pertinent. Cela s’explique par le fait que ces compléments sont, par définition, non interchangeables fonctionnellement. De ce fait, dans le contexte de l’évaluation du fait de savoir si les compléments de produit se situent dans le même marché pertinent, l’absence d’interchangeabilité fonctionnelle entre eux n’est pas pertinente. Autrement dit, ce facteur d’évaluation mérite d’être pondéré de manière neutre.

· Le comportement des sociétés aériennes et des entreprises de services de restauration à bord

[335] Les éléments de preuve concernant la manière dont les sociétés aériennes achètent les services de restauration et de manutention, respectivement, émanent principalement des quatre transporteurs canadiens qui ont participé à l’audience. Comme nous le verrons plus en détail ci-après, ces éléments montrent que leur comportement varie selon, dans une large mesure, qu’elles achètent des produits frais ou surgelés/non périssables. En bref, bien que ces sociétés semblent encore privilégier une approche du type « ressource unique » pour les produits frais, elles achètent de plus en plus leurs produits surgelés/non périssables directement auprès de multiples fournisseurs. Pour ce qui est des sociétés aériennes étrangères, le peu de preuves fournies au Tribunal dénotent que celles-ci préfèrent répondre à leurs besoins en services de restauration et de manutention ensemble, selon la formule du « guichet unique ».

[336] Quant aux entreprises de services de restauration à bord, il ressort de la preuve que les entités à service complet préfèrent fournir les services de restauration et de manutention ensemble. Cependant, elles sont de plus en plus disposées à dégrouper ces services, en partie à la demande de sociétés aériennes canadiennes et en partie par réaction concurrentielle face à de nouveaux fournisseurs novateurs et à moindre coût.

Air Canada

[337] Selon M. Yiu, Air Canada achète directement, auprès de tiers fournisseurs, un large éventail de produits non périssables et périssables (comme des sandwichs et des aliments à acheter à bord). Cela inclut les repas surgelés et le pain servis aux passagers de la classe affaires sur tous les vols à destination de l’Amérique du Nord et des Antilles, ainsi qu’aux passagers de la classe économique à bord des vols internationaux. Ces repas sont achetés auprès de [CONFIDENTIEL], et expédiés à des aéroports situés d’un bout à l’autre du Canada. Air Canada achète directement aussi les repas qu’elle sert aux personnes ayant des restrictions alimentaires. À YVR et dans plusieurs autres aéroports, ces produits périssables et non périssables sont chargés par Gate Gourmet à bord des aéronefs d’Air Canada, moyennant certains frais. Cependant, [CONFIDENTIEL].

[338] M. Yiu a déclaré que le fait d’acheter des produits directement auprès de tierces parties, plutôt qu’auprès d’entreprises de services de restauration à bord, permet à Air Canada de réaliser des économies sur ses coûts de services de restauration. À cet égard, il a confirmé que [traduction] « en achetant [CONFIDENTIEL], Air Canada a pu améliorer sa structure de coûts et continuer à rivaliser avec les sociétés aériennes canadiennes, nord-américaines et internationales qui adoptent les mêmes pratiques ou des pratiques semblables » (pièces A-010 et CA-011, Déclaration de témoin d’Andrew Yiu (la « Déclaration de M. Yiu »), à la pièce 1, au par. 27). Cet[te] [CONFIDENTIEL] a notamment permis à Air Canada et à d’autres sociétés aériennes canadiennes de remplacer des repas surgelés de haute qualité par des repas fraîchement cuisinés, à l’intention des passagers de première classe, sauf sur les très longues routes internationales (c’est‐à-dire, outre-mer).

Jazz

[339] Pour ce qui est de Jazz, il semble que cette société achetait un large éventail de produits de restauration directement auprès d’un grand nombre de tierces parties, et ce, avant le moment où elle a cédé ses contrats de fourniture de services de restauration à Air Canada en mai 2017. Cependant, dans neuf aéroports au Canada, dont YVR, elle achetait aussi certains produits frais et d’autres produits [CONFIDENTIEL]. Plus précisément, en vertu de contrats adjugés à Strategic Aviation et à Gate Gourmet en 2014, Jazz achetait des repas frais à l’intention des passagers de la classe affaires sur certains types d’aéronefs, quelques articles périssables à acheter à bord (comme des sandwichs), des collations pour les membres d’équipage et certains autres produits dans le cadre d’ententes de nature plus générale qui comportaient la fourniture de services de manutention.

WestJet

[340] En ce qui concerne WestJet, pendant plusieurs années après le lancement de ses activités en 1996, cette société aérienne n’a pas servi de repas à bord de ses vols. Elle fournissait simplement des collations gratuites et des boissons non alcoolisées. Cependant, à compter de 2004, elle a commencé à offrir des aliments à acheter à bord (comme des sandwichs, des bols de fruits et des collations non périssables) sur les vols dont la durée était de plus de 2 heures et demie. À cette époque, elle achetait ces aliments directement, auprès d’épiceries fines locales et d’autres tiers fournisseurs. Elle en faisait de même pour les produits de commissariat non alimentaires qui étaient servis à bord.

[341] Pendant de nombreuses années, WestJet a également répondu elle-même à ses besoins en services de manutention dans les aéroports les plus achalandés qu’elle fréquentait, par l’entremise de la division Air Supply (« Air Supply »). Cependant, dans les aéroports où il n’était pas logique que WestJet investisse dans du matériel et du personnel de manutention, il était plus rentable d’obtenir les services de manutention dont elle avait besoin auprès d’entreprises de services de restauration à bord, comme Gate Gourmet ou [traduction] « quiconque était disponible » (Transcription, séance publique, le 10 octobre 2018, à la p. 372).

[342] [CONFIDENTIEL], elle a lancé une DP à l’échelle du pays en 2013. Dans cette DP, [CONFIDENTIEL]. En fin de compte, elle a adjugé un contrat national de services de restauration à Optimum, qui ne fournit pas directement de services de manutention. [CONFIDENTIEL].

[343] À mesure qu’elle est passée du statut de transporteur à coût modique à celui de société aérienne internationale, WestJet a ajouté des routes plus longues à son réseau ainsi que des aéronefs gros porteurs à sa flotte. [CONFIDENTIEL], elle a commencé à passer des contrats avec Gate Gourmet pour la fourniture des services de manutention qui étaient habituellement fournis par Air Supply. À la date de l’audition de la présente instance, WestJet avait obtenu ces services de manutention auprès de Gate Gourmet dans les cinq grands aéroports qu’elle fréquente (dont YVR), et elle obtenait ces mêmes services auprès d’autres tiers fournisseurs dans neuf aéroports de plus petite taille au Canada. [CONFIDENTIEL].

[344] Les méthodes variées qui précèdent, qui lui permettent de répondre à ses besoins en services de manutention [CONFIDENTIEL]. WestJet n’achète aucun service de restauration dans le nombre d’environ [CONFIDENTIEL] aéroports de plus petite taille où elle exploite ses activités.

Air Transat

[345] Air Transat achète directement auprès de fabricants, de distributeurs et de grossistes les aliments non périssables et les boissons dont elle a besoin, les produits jetables qu’elle utilise en lien avec la fourniture de services de restauration à bord, les articles réutilisables qui doivent être nettoyés avant d’être réutilisés ainsi que les produits hors taxes.

[346] Pour ce qui est des aliments périssables, cette société aérienne a aujourd’hui remplacé les repas frais qu’elle servait sur les vols long-courrier, y compris aux passagers de première classe, par des repas surgelés qui sont confectionnés par Fleury Michon au Québec et expédiés à des aéroports situés dans tout le Canada en vue d’être chargés à bord de ses aéronefs. Cependant, elle continue d’acheter des sandwichs, des sushis, des fruits et certains autres aliments frais auprès d’entreprises de services de restauration à bord dans les aéroports où elle exploite ses activités.

[347] Entre 2009 et 2015, dans le cas des 10 grands aéroports où elle exploite ses activités au Canada, Air Transat a obtenu les services de restauration locaux dont elle avait besoin, de pair avec des services de manutention, auprès de Gate Gourmet et de la société qui l’a précédée, Cara. Dans huit autres aéroports, Air Transat a obtenu ces services de restauration et de manutention auprès d’entreprises locales, mais pas nécessairement du même fournisseur.

[348] À la suite d’un processus d’appel d’offres concurrentiel qu’elle a lancé en 2015, Air Transat a commencé à répondre à ses besoins en services de restauration et de manutention auprès d’Optimum dans 9 des 10 aéroports où Gate Gourmet Canada s’en chargeait auparavant. Optimum confie à son tour à des tiers fournisseurs, en sous-traitance, les services de restauration et de manutention d’Air Transat. (Dans le cas des services de manutention, ce tiers fournisseur est principalement Sky Café.) À YVR, elle continue d’obtenir ses services de restauration et de manutention auprès de Gate Gourmet.

 

Les fournisseurs de services de restauration et de manutention

[349] Comme il a été mentionné plus tôt, le Tribunal a entendu le témoignage de représentants de cinq entreprises qui fournissent, directement ou indirectement, des services de restauration ou de manutention : Gate Gourmet, Strategic Aviation, Optimum, Newrest et dnata.

[350] Selon M. Colangelo, Gate Gourmet [CONFIDENTIEL]. Il croit que la plupart des sociétés aériennes préfèrent faire affaire avec un seul fournisseur pour leurs services de restauration et de manutention. Selon son expérience, la plupart des sociétés aériennes lancent également une seule DP pour ces services, mais certaines procèdent à des DP distinctes pour les services de restauration et les services de manutention, respectivement. En tout état de cause, pour ce qui est des sociétés aériennes qui servent aujourd’hui des aliments surgelés plutôt que des aliments frais, [CONFIDENTIEL], de pair avec d’autres aliments ou produits non alimentaires qu’elles peuvent avoir achetés directement. Gate Gourmet semble aussi être disposée à fournir les services de manutention seuls, sans services de restauration, comme elle le fait pour WestJet et Air Transat.

[351] Pour ce qui est de Strategic Aviation, M. Brown, chef de la direction, a déclaré que les sociétés aériennes préfèrent disposer d’un « guichet unique », mais elles se soucient moins de savoir si les services de restauration et les services de manutention sont produits en fait par l’entité avec laquelle elles passent un contrat, ou si ces services sont confiés en sous-traitance à des tierces parties. [CONFIDENTIEL]. Il a ajouté que ce modèle permet aux sociétés aériennes d’obtenir les services de manutention et de restauration à prix inférieur. [CONFIDENTIEL]. M. Brown a fait écho au témoignage de M. Colangelo, à savoir que dans les cas où les sociétés aériennes achètent des repas surgelés et des produits à acheter à bord directement auprès de tiers fournisseurs, ils engagent simplement ensuite quelqu’un pour fournir les services de manutention relatifs à ces articles, à l’aéroport même.

[352] Optimum est essentiellement une entreprise de logistique qui coordonne la fourniture de services de restauration et de manutention au moyen d’un réseau étendu de tierces parties avec lesquelles elle sous-traite. Selon M. Lineham, Optimum [traduction] « agit simplement comme point de contact pour ses clients », en ce qui concerne les services de restauration et de manutention (pièces A-008 et CA-009, Déclaration de témoin de M. Geoffrey Lineham (la « Déclaration de M. Lineham »), au par. 10). Elle ne possède pas de [CONFIDENTIEL] ou de matériel. À la date de l’audition de la présente affaire, Optimum servait [CONFIDENTIEL] clients aériens au Canada, soit Air Transat, [CONFIDENTIEL]. Comme il a été mentionné plus tôt, pour l’un de ces clients, Air Transat, Optimum a décroché un contrat de fourniture de services de restauration et de manutention combinés dans [CONFIDENTIEL] aéroports, [CONFIDENTIEL]. Pour ses autres clients, la situation à cet égard est moins claire.

[353] En ce qui concerne Newrest, M. Stent‐Torriani a déclaré que cette société fournit des services complets de restauration et de manutention à ses clients environ 90 % du temps. Étant donné que les clients de Newrest sont principalement des sociétés aériennes étrangères, le Tribunal en a déduit que ces transporteurs ont tendance à acheter en bloc les services de restauration et de manutention dont ils ont besoin. M. Stent‐Torriani a ajouté que quand Newrest répond à des demandes de propositions, elle offre habituellement de fournir la totalité de ses services en bloc. Même si Newrest est disposée à offrir uniquement des services de restauration, elle n’est pas disposée à offrir uniquement des services de manutention.

[354] Quant à dnata, son représentant, M. Padgett, a déclaré que l’entreprise [CONFIDENTIEL]. Le Tribunal a cru comprendre que, pour ces clients, dnata sert de « guichet unique » pour la gamme complète des services de restauration et de manutention qui peuvent être nécessaires. Il a néanmoins déclaré [CONFIDENTIEL] (Transcription, Conf. A, le 2 octobre 2018, aux p. 17 et 18). Cela explique peut-être pourquoi dnata fournit aux clients des services de « logistique du dernier kilomètre » seulement [traduction] « dans de nombreux cas » (Transcription, séance publique, le 2 octobre 2018, à la p. 143). [CONFIDENTIEL]. Cependant, il a ajouté qu’il est rare que dans les grands aéroports les entreprises fournissent uniquement des services de logistique du dernier kilomètre, sans services de restauration; toutefois, cette pratique est plus fréquente dans les aéroports de petite taille ou secondaires, c’est-à-dire, ceux par lesquels transitent moins de 5 à 10 millions de passagers par année et qui ne desservent pas de vols transcontinentaux.

Sommaire

[355] Compte tenu de ce qui précède, il ressort de la preuve que le comportement des sociétés aériennes varie, selon qu’elles sont canadiennes ou étrangères. Les sociétés canadiennes préfèrent acheter, et achètent habituellement, un large éventail de produits alimentaires et non alimentaires directement auprès de divers fournisseurs. Ces produits comprennent des repas surgelés, qui remplacent de plus en plus les repas frais, y compris en classe affaires. Les fournisseurs expédient ensuite ces produits à divers aéroports, où les sociétés aériennes paient ensuite des frais minimes pour les faire entreposer, mettre sur des plateaux et charger à bord de leurs aéronefs par des entreprises de restauration à bord ou de nouveaux genres de concurrents, comme Strategic Aviation. Dans ces circonstances, les sociétés aériennes obtiennent essentiellement un service de manutention à l’aéroport. Cela semble faire partie de ce que M. Niels a qualifié de [traduction] « tendance à dissocier la fonction restauration de la fonction manutention » (Rapport de M. Niels, au par. 2.87). Cependant, pour les vols long-courrier (qui représentent une faible proportion des vols qu’elles offrent), les sociétés aériennes canadiennes regroupent l’achat de repas frais pour leurs clients de première classe, et peut-être d’autres articles, avec l’achat de services de manutention. Autrement dit, pour ces besoins particuliers et à bord de ces vols particuliers, les sociétés aériennes canadiennes préfèrent la formule du « guichet unique ». Cela dit, la situation paraît fluide et complexe, et elle évolue rapidement.

[356] Quant aux sociétés aériennes étrangères, qui sont nettement plus nombreuses que les transporteurs canadiens dans les aéroports du type « point d’accès » au Canada [3] , et dont YVR fait partie, il ressort du témoignage de MM. Padgett et Stent‐Torriani que les sociétés aériennes obtiennent habituellement la gamme complète des services de restauration et de manutention dont elles ont besoin en bloc, auprès d’un fournisseur de services de restauration à bord. Dans la mesure où M. Colangelo faisait peut-être référence, en partie du moins, aux transporteurs étrangers quand il a dit croire que la plupart des sociétés aériennes préfèrent faire affaire avec un fournisseur unique pour leurs services de restauration et de manutention, cela confirmerait davantage le point de vue qu’ont exprimé MM. Padgett et Stent‐Torriani.

[357] Compte tenu de tout ce qui précède, le Tribunal considère que la formule du « guichet unique » que préfèrent les transporteurs étrangers, de pair avec la préférence semblable des transporteurs canadiens pour les repas frais et les services de manutention destinés aux routes outre-mer, confirme l’opinion que le marché pertinent devrait être considéré comme plus vaste que les simples services de manutention. Cependant, le Tribunal n’estime pas que cette confirmation est particulièrement solide, car les transporteurs canadiens, qui représentent la grande majorité des vols au Canada, dégroupent leurs besoins en services de restauration de leurs besoins en services de manutention pour la grande majorité de leurs vols.

· Les opinions et les stratégies des sociétés aériennes et des entreprises de services de restauration à bord

[358] Le fait que les sociétés aériennes et les entreprises de services de restauration à bord semblent généralement faire une distinction entre les services de restauration et les services de manutention est un facteur qui milite en faveur du fait de traiter ces services comme s’ils se trouvaient dans des marchés pertinents différents. Le Tribunal considère que c’est le cas, même si certains participants de l’industrie qualifient les services de manutention de « logistique du dernier kilomètre » et même s’il semble y avoir quelques différences dans les cas limites, entre ce qui est considéré comme faisant partie des services de restauration et ce qui est considéré comme faisant partie des services de manutention. À la base, les services de restauration sont la préparation d’aliments, et les services de manutention sont la prestation des divers services logistiques qui sont liés au chargement des aliments ainsi que des produits associés à leur consommation à bord des aéronefs. Indépendamment des différences dans la terminologie particulière qui est employée et des contours précis de ces groupes de services respectifs, on semble reconnaître en général dans l’industrie des services de restauration à bord qu’il existe une distinction claire entre ces deux groupes de services.

[359] Un autre facteur qui milite en faveur du fait de considérer que les services de restauration et les services de manutention se situent dans des marchés pertinents différents est que l’établissement de leurs prix est différent. En particulier, le prix des services de restauration et celui des services de manutention sont fixés selon des méthodes différentes. Par exemple, [CONFIDENTIEL], avant de transférer ses contrats de services de restauration à bord à Air Canada en 2017, [CONFIDENTIEL].

[360] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer que M. Colangelo, bien qu’il ait déclaré que la plupart des sociétés aériennes semblent recourir encore au lancement d’une seule DP pour répondre à leurs besoins en services de restauration et de manutention, a également signalé que certaines sociétés aériennes procèdent de plus en plus à des DP distinctes pour ces groupes respectifs de services. [CONFIDENTIEL]. En conséquence, même si le fait que la plupart des sociétés aériennes continuent de lancer une seule DP pour les services de restauration et de manutention dont elles ont besoin milite en faveur de la conclusion selon laquelle il existe un seul marché pour la prestation de ces services, nous attribuerons un poids réduit à ce facteur, en raison de [CONFIDENTIEL]. En réduisant le poids accordé à ce facteur, le Tribunal gardera à l’esprit que Jazz a adjugé en fin de compte ses besoins en services de restauration et de manutention à la même entité dans chacun des aéroports qui étaient visés par sa DP de 2014.

[361] Outre ce qui précède, il ressort de la preuve que les services de restauration et de manutention sont traités, par au moins quelques participants du marché, comme des axes de travail distincts. À cet égard, M. Soni, de WestJet, a déclaré que les services de manutention constituent un axe de travail [traduction] « distinct et séparé » de ce que WestJet appelle les [traduction] « services à bord », c’est-à-dire [traduction] « la préparation et la fourniture d’aliments périssables et non périssables et de boissons servis aux invités à bord des aéronefs de WestJet » (pièces A-080 et CA-081, Déclaration de témoin modifiée et supplémentaire de M. Simon Soni (la « Déclaration de M. Soni »), au par. 9). Dans le même ordre d’idées, M. Lineham, d’Optimum, a déclaré que les [traduction] « services de restauration » et les [traduction] « services d’approvisionnement » sont des [traduction] « axes de travail dissociables et distincts » (Déclaration de M. Lineham, au par. 12).

[362] En résumé, le Tribunal estime que les opinions et les stratégies des sociétés aériennes et des entreprises de services de restauration à bord militent en faveur du fait de considérer la fourniture des services de manutention comme un marché pertinent distinct. Cependant, étant donné que la plupart des sociétés aériennes continuent de lancer des DP uniques pour répondre à leurs besoins de services de restauration et de manutention combinés, et que même les sociétés aériennes qui ont lancé des DP distinctes semblent finir par adjuger les deux volets au même fournisseur de services, ce facteur mérite moins de poids que ce ne serait le cas autrement.

· Les caractéristiques physiques et techniques

[363] Lorsqu’on évalue s’il faudrait inclure deux substituts allégués dans le même marché pertinent, il convient d’examiner leurs caractéristiques physiques et techniques respectives (décision TREB TC, au par. 130). Cependant, ce facteur, en soi, n’est pas pertinent quand on examine s’il convient d’inclure les compléments de produit dans le même marché pertinent.

· La production des services de manutention et de restauration

[364] Un facteur qui est liés aux caractéristiques physiques et techniques des produits est la manière dont ceux-ci sont produits. Quand deux produits ou groupes de produits complémentaires sont produits ensemble, ce fait peut militer en faveur de la conclusion selon laquelle ils devraient être groupés ensemble dans le même marché pertinent. À l’inverse, s’ils sont produits séparément, cela peut militer en faveur de la conclusion opposée, surtout s’ils sont produits par des entreprises différentes.

[365] Pour ce qui est des services de restauration et de manutention, le fait qu’ils soient produits séparément, et parfois par des entreprises qui ne produisent qu’un ou l’autre de ces groupes de services, est un facteur qui milite en faveur d’une conclusion que ces services sont fournis dans des marchés pertinents différents.

[366] En bref, en plus d’être produits par du matériel et un personnel différents, les produits alimentaires qui se situent au cœur des services de restauration sont de plus en plus achetés directement par les sociétés aériennes auprès d’entités différentes, qui expédient ensuite ces produits aux aéroports pour entreposage, mise sur plateaux et en chariots et chargement à bord d’aéronefs par les fournisseurs de services de manutention. En fait, les entreprises de services de restauration à bord à service complet tels que Gate Gourmet et dnata sont prêtes à fournir, et ont bel et bien fourni, ces services de manutention pour des sociétés aériennes, quand les sociétés aériennes obtiennent ailleurs les services de restauration dont elles ont besoin. La société affiliée de Strategic Aviation, Sky Café, a également fait une offre pour fournir des services de manutention seulement, et pour sous-traiter les besoins en services de restauration de Jazz à [CONFIDENTIEL]. À l’inverse, quelques entreprises sont prêtes à fournir des services de restauration seulement, sans services de manutention. Par exemple, [CONFIDENTIEL]. Le Tribunal croit comprendre que d’autres sociétés aériennes ont étudié la possibilité d’obtenir des services de restauration auprès de traiteurs et de restaurants indépendants situés à l’extérieur de YVR. [CONFIDENTIEL].

· Les liens entre les prix et les niveaux de prix relatifs

[367] D’autres facteurs que l’on prend habituellement en considération au moment d’évaluer si des produits devraient être inclus dans le même marché pertinent sont les liens entre les prix et les niveaux de prix relatifs de ces produits (décision TREB TC, au par. 130). Pour déterminer si deux compléments de produit ou plus devraient être inclus dans le même marché pertinent, d’autres facteurs qu’il est utile de prendre en compte sont le fait de savoir si les produits sont vendus ensemble et, dans l’affirmative, à un prix global.

[368] Pour ce qui est des liens entre les prix, aucune preuve convaincante n’a été fournie au Tribunal au sujet des liens entre les prix des services de manutention et des services de restauration au fil des ans.

[369] Cependant, il existe une preuve qui donne à penser que lorsque des sociétés aériennes comparent les réponses données à leurs DP, elles se soucient davantage du prix total qu’elles paieraient pour les services de restauration et de manutention combinés que des prix qu’elles paieraient pour chacun de ces deux groupes de services séparément. [CONFIDENTIEL].

[370] Cette preuve milite en faveur d’une conclusion selon laquelle il existe un seul marché pertinent pour le groupe des services de manutention et de restauration qui était l’objet des DP d’Air Transat et de Jazz.

[371] Indépendamment de ce qui précède, d’autres preuves que M. Niels a fournies, sur les économies réalisées par Jazz dans les aéroports où elle a changé de fournisseur, militent en faveur de la conclusion selon laquelle il existe pour les services de manutention un marché pertinent distinct. En particulier, en analysant [CONFIDENTIEL] de Jazz, il a découvert que dans l’année suivant le changement, Jazz avait économisé environ [CONFIDENTIEL] $, et que [traduction] « cette économie [était] en grande partie attribuable à [CONFIDENTIEL] » (Rapport de M. Niels, au par. 1.42).

[372] Pour ce qui est des prix relatifs, le Tribunal fait remarquer que, habituellement, ce facteur est davantage lié à une évaluation de deux substituts de produit allégués qu’à une évaluation de deux compléments de produit allégués. Par exemple, si l’on soutenait que toutes les automobiles ou tous les stylos faisaient partie d’un seul marché, le fait que le prix d’une automobile de luxe dépassait de loin le prix d’une automobile économique, ou que le prix d’un stylo de luxe dépassait de loin le prix d’un stylo jetable à rabais, donnerait à penser que les produits nettement plus coûteux ne se trouvent pas dans le même marché que les produits économiques ou à rabais. Pour ce qui est des compléments de produit, la situation est moins claire, car il peut être fréquent que l’on achète un ou plusieurs produits accessoires relativement peu coûteux au moment d’acheter un complément coûteux. Par exemple, il peut être fréquent d’acheter un ouvre-porte de garage quand on se procure une nouvelle porte de garage. La grande différence entre leurs prix relatifs n’est pas nécessairement un facteur qui milite en faveur d’une conclusion selon laquelle les deux sont vendus dans des marchés différents. Si le prix global est nettement inférieur à la somme des prix distincts de ces produits, il se peut fort bien qu’on considère qu’ils sont vendus dans le même marché pertinent.

[373] En l’espèce, aucune preuve convaincante n’établit que le prix des services de manutention est inférieur quand ces derniers sont vendus avec les services de restauration que quand ils sont achetés séparément, pour chargement dans un aéroport particulier. La seule exception est celle où les entreprises font des offres dans le cadre de DP visant plusieurs aéroports. Dans ces cas, il semble qu’il soit d’usage d’offrir pour les services de manutention ou les services de restauration un prix inférieur à celui que l’on proposerait si ces services étaient fournis dans moins d’aéroports. En l’absence d’autres informations, cette preuve n’est pas particulièrement pertinente pour ce qui est de la question de savoir s’il existe un marché pertinent distinct pour les services de manutention, ou un marché pertinent de plus grande envergure pour les services de manutention et les services de restauration combinés.

[374] En résumé, la preuve relative aux liens entre les prix milite en faveur d’une conclusion selon laquelle les services de manutention sont fournis dans un marché plus vaste, qui inclut au moins quelques services de restauration. Cependant, la preuve que les économies que Jazz a réalisées en changeant pour Strategic Aviation étaient [CONFIDENTIEL] milite en faveur d’une conclusion selon laquelle les services de manutention sont fournis dans un marché pertinent distinct. Tout compte fait, le Tribunal considère que toutes ces preuves en matière de fixation des prix, lorsqu’elles sont combinées, militent en faveur de la première des deux conclusions.

· Les proportions fixes ou variables

[375] Quand on examine si deux compléments de produit, ou groupes de compléments de produit, devraient être réunis dans le même marché pertinent, un dernier facteur qu’il est utile de prendre en compte est celui de savoir s’ils sont utilisés dans des proportions fixes ou variables.

[376] En l’espèce, il ressort de la preuve que les sociétés aériennes peuvent répondre – et répondent effectivement – à leurs besoins en services de manutention et de restauration, respectivement, dans des proportions variables. En bref, elles achètent – et achètent effectivement – des proportions variables de services de restauration lorsqu’elles considèrent qu’il est dans leur intérêt de le faire. Comme il a été analysé plus en détail aux paragraphes 338 à 349 qui précèdent, c’est ce qu’illustre le comportement de chacune des sociétés aériennes canadiennes. Ce fait milite en faveur d’une conclusion selon laquelle les services de manutention et les services de restauration, respectivement, sont fournis dans des marchés pertinents différents.

(iii) La conclusion au sujet du marché des services de manutention

[377] Comme il appert de ce qui précède, les divers indices pratiques qui sont pertinents pour l’évaluation de la dimension « produits » du marché pertinent ne militent pas tous en faveur d’une conclusion particulière. Ils orientent plutôt vers une conclusion qui se situe en grande partie dans la « zone grise ».

[378] Les facteurs qui militent en faveur d’une conclusion que le marché dans lequel les services de manutention sont fournis se compose d’au moins quelques services de restauration (c’est-à‐dire, ceux que l’on tend à acheter avec des services de manutention) comprennent les suivants :

· Les sociétés aériennes étrangères continuent d’acheter des services de manutention et de restauration en bloc, selon la formule du « guichet unique », et en vertu d’une DP unique, tandis que les sociétés aériennes canadiennes continuent aussi d’acheter au moins certains services de restauration (les services de première classe) selon la même formule, même si elles sont conscientes que le soumissionnaire retenu prévoit peut-être sous-traiter la fourniture des services de manutention (et même les services de restauration en question) à une ou plusieurs tierces parties;

· Les sociétés aériennes semblent se soucier davantage du prix global qu’elles paieraient pour les services de restauration et les services de manutention combinés que des prix qu’elles paieraient pour chacun de ces deux groupes de services, séparément.

[379] Cependant, les facteurs qui militent en faveur d’une conclusion qu’il existe un marché pertinent distinct pour la fourniture des services de manutention comprennent les suivants :

· Le principe du « plus petit marché » qui fait partie de l’approche du monopoleur hypothétique à l’égard de la définition du marché;

· La tendance des sociétés aériennes à acheter un éventail de plus en plus large de produits de restauration, dont des repas surgelés, séparément de leurs achats de services de manutention;

· La disposition des entreprises de services de restauration à bord à dégrouper la fourniture des services de restauration et de manutention, et à facturer simplement des frais minimes pour l’entreposage, l’assemblage et le chargement, à bord des aéronefs, des produits de restauration que les sociétés aériennes achètent auprès de tierces parties;

· La distinction claire que l’on fait dans une large mesure au sein de l’industrie entre les services de manutention et les services de restauration, malgré les différences dans la terminologie précise qui est employée et dans les contours précis de ces groupes respectifs de services;

· Les sociétés aériennes procèdent de plus en plus à des DP distinctes pour les services de manutention et les services de restauration, respectivement;

· Au moins quelques participants du marché considèrent les services de manutention et les services de restauration comme des axes de travail distincts;

· Les services de manutention et les services de restauration sont produits différemment et leur prix est lui aussi fixé différemment;

· Les entreprises qui lancent des offres pour fournir à la fois des services de manutention et des services de restauration peuvent – et décident parfois de le faire – intégrer certains frais, vraisemblablement des frais communs aux prix qu’elles proposent pour l’un de ces groupes de services, par opposition à l’autre. Il ressort de la preuve que les entreprises intègrent principalement les frais dans les services de manutention, où les sociétés aériennes ont moins de choix;

· Dans l’année suivant le changement qu’elle a fait en faveur de Strategic Aviation dans huit aéroports, Jazz aurait réalisé des économies de [CONFIDENTIEL]. (Même si le Tribunal ne considère pas que l’ampleur de ces économies a été démontrée selon la prépondérance des probabilités, [CONFIDENTIEL] vient appuyer la thèse selon laquelle ces derniers services sont distincts des services de restauration;

· Les services de manutention et les services de restauration sont fournis dans des proportions variables, plutôt que fixes, du moins dans le cas des transporteurs canadiens au pays, lesquels représentent la grande majorité du trafic aérien au Canada.

[380] Compte tenu de tout ce qui précède, et d’après les éléments de preuve qui figurent dans le dossier de la présente instance, le Tribunal conclut que le commissaire a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe un marché pertinent distinct pour la fourniture des services de manutention. Même si cette conclusion n’est pas exempte de doutes, le Tribunal estime qu’elle a été démontrée, selon toute vraisemblance.

3) La dimension géographique

a) Les positions des parties

[381] Le commissaire soutient que la dimension géographique du marché de l’accès au côté piste et du marché des services de manutention se limite à YVR. L’AAV n’est pas de cet avis, encore que sa position sur la question ne soit pas tout à fait claire.

[382] Pour ce qui est de l’étendue géographique de l’accès au côté piste, ni l’AAV ni M. Reitman n’ont adopté une position précise. Cependant, dans sa Réponse modifiée, l’AAV a soutenu que sa capacité de dicter les conditions auxquelles elle vend ou fournit l’accès au côté piste en vue de la prestation de services de manutention à YVR est restreinte. Elle a indiqué que cette restriction découle du besoin qu’a l’AAV de demeurer concurrentielle par rapport à d’autres aéroports, le but étant d’attirer à elle des sociétés aériennes. M. Niels a dit de cette restriction qu’elle découle d’un [traduction] « marché des aéroports » en amont, un marché dans lequel les aéroports se font concurrence pour attirer des passagers et des sociétés aériennes. L’AAV n’a pas poursuivi par la suite cette théorie du « marché des aéroports » dans une large mesure à l’audience ou dans ses observations finales. Cela s’explique peut-être par le fait que son expert, M. Reitman, n’a pas jugé nécessaire d’évaluer le marché de l’accès au côté piste ou de traiter du « marché des aéroports » en amont allégué de l’AAV, à part de laisser entendre que M. Niels avait mesuré la mauvaise chose et que, dans son analyse, il était donc arrivé à la mauvaise conclusion. M. Reitman a ajouté que, du point de vue économique, si la théorie du commissaire est que l’objet sous-tendant les mesures prises par l’AAV était de hausser les revenus tirés des redevances de concession et des loyers facturés aux fournisseurs des services de manutention, cela voulait dire que la [traduction] « concurrence entre les aéroports sur le plan des services fournis aux sociétés aériennes ne [pouvait] pas limiter le comportement de l’AAV dans le marché des services de restauration à bord » (Rapport de M. Reitman, au par. 63). Il a expliqué que cela est dû au fait que l’AAV pouvait tirer des revenus des entreprises de services de restauration à bord tout en réduisant simultanément d’autres frais payés par les sociétés aériennes, de sorte que ces dernières ne s’en porteraient pas plus mal et que cela n’affecterait pas la concurrence entre les aéroports.

[383] Compte tenu de ce qui précède, et en l’absence d’une preuve importante qui donnerait à penser que toute influence exercée par d’autres aéroports serait suffisante pour empêcher l’AAV de hausser de manière importante le niveau des redevances de concession qu’elle facture à ses entreprises de services de restauration à bord, le Tribunal estime qu’il est inutile d’examiner plus avant dans la présente décision le « marché des aéroports » allégué de l’AAV.

[384] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour ajouter pour mémoire que M. Niels a conclu que la [traduction] « concurrence qu’exercent d’autres aéroports à l’égard du trafic de la côte du Pacifique n’impose pas de contrainte marquée à YVR, parce que la taille du marché contestable est petite » et que, aussi, YVR [traduction] « n’est pas confronté à un degré élevé de concurrence pour ce qui est des passagers [au point d’origine et au point de destination] d’autres aéroports » (Rapport de M. Niels, aux par. 2.38 et 2.60).

[385] Pour ce qui est du marché des services de manutention, l’AAV a déclaré dans sa Réponse modifiée que YVR [traduction] « est le marché géographique pertinent pour la fourniture de services de restauration aux sociétés aériennes qui utilisent l’Aéroport », et que [traduction] « le marché géographique pertinent, pour ce qui est des services de manutention, est plus vaste que » YVR, car les sociétés aériennes peuvent – et elles le font effectivement – i) se livrer à ce que l’on appelle des services de restauration en double et ii) s’autoapprovisionner en services de manutention (Énoncé concis de la thèse économique de l’AAV, au par. 4). À cet égard, il semble que le terme « services de restauration » dénotait peut-être ce que M. Reitman a défini comme des services de restauration à bord haut de gamme, et que l’expression « services de manutention » peut avoir voulu dénoter ce qu’il a défini comme des services de restauration à bord standards.

[386] Dans ses observations écrites finales, l’AAV a émis l’avis que si les services de restauration et les services de manutention sont considérés comme fournis dans les marchés pertinents distincts, YVR n’est pas un marché pour les services de restauration à bord standards, en raison des possibilités qu’ont les sociétés aériennes de s’autoapprovisionner et d’obtenir des services de restauration en double dans d’autres aéroports. Elle n’a pas adopté de position explicite au sujet de l’étendue géographique du marché des « services de restauration à bord haut de gamme » de M. Reitman. Cependant, ce dernier a admis dans son rapport que la dimension géographique de ce « marché » se limitait à YVR.

b) Le marché de l’accès au côté piste

[387] En l’absence de tout substitut géographique pour ce qui est de la fourniture d’un accès au côté piste aux aéronefs qui sont présents sur l’aire de trafic à YVR, le Tribunal est convaincu que l’étendue géographique du marché de l’accès au côté piste à YVR se limite à YVR. Par définition, à YVR l’accès au côté piste ne peut être assuré qu’à YVR.

c) Le marché des services de manutention

[388] Le commissaire soutient qu’il n’existe aucun substitut acceptable pour l’achat des services de manutention à YVR. S’agissant plus particulièrement des services de restauration en double et de l’autoapprovisionnement, le commissaire affirme qu’il ne s’agit pas de substituts faisables ou préférables à des services de manutention pour la grande majorité des sociétés aériennes, et ce, pour des raisons, notamment, d’ordre logistique et financier. Dans son plaidoyer final, le commissaire a ajouté que les sociétés aériennes s’occupent déjà de [traduction] « repousser les limites » le plus possible lorsqu’elles se prévalent de ces options, de sorte qu’en réponse à une SSNIP, il n’y aurait pas beaucoup de substitution additionnelle à ces solutions de rechange. Pour les raisons énoncées ci-après, le Tribunal souscrit à cette opinion.

(i) Les services de restauration en double

[389] Les représentants des sociétés aériennes qui ont témoigné dans le cadre de la présente instance ont tous dit que l’option des services de restauration en double est impossible pour certains types de vols et que le fait de recourir à de tels services sur d’autres types de vols présente des difficultés logistiques.

[390] Selon M. Yiu, Air Canada tente déjà d’optimiser l’utilisation des services de restauration en double. Il en est ainsi parce que [CONFIDENTIEL], quand il lui est possible de le faire. De plus, les services de restauration en double réduisent les risques d’endommager un aéronef, à cause du nombre réduit de fois où les entreprises de services de manutention s’en approchent. Par ailleurs, les services de restauration en double permettent parfois d’économiser du temps, en réduisant le temps d’escale au second aéroport, et peuvent aussi amoindrir le risque d’un départ retardé à cet endroit.

[391] De pair avec Air Canada Rouge, Air Canada assure des services de restauration en double à environ [CONFIDENTIEL] % de ses vols en partance des [CONFIDENTIEL] aéroports où elle obtient de Gate Gourmet des services de restauration à bord. ([CONFIDENTIEL]) Ce pourcentage n’est pas plus élevé parce qu’il est impossible de fournir des services de restauration en double ou parce que cette option peut poser des difficultés dans certaines situations. Par exemple, pour se conformer aux lignes directrices de l’Agence de la santé publique du Canada intitulées Guidelines for Time and Temperature Requirements for Ready-to-Eat, Potentially Hazardous Foods, Air Canada n’est pas en mesure de fournir des services de restauration en double sur la plupart des vols internationaux, ou sur certains vols intérieurs ou vols transfrontaliers à destination des États-Unis, où des aliments frais ou surgelés se trouveraient à bord d’un aéronef pendant une période totale de plus de 12 heures (en vol et à terre), et dans les cas où le temps passé au sol excède trois heures. De plus, si un aéronef ayant fait l’objet de services de restauration en double est réacheminé, échangé ou changé pour un autre aéronef à cause d’un problème mécanique, certains aliments frais ou surgelés pourraient s’avarier et Air Canada serait tenue de réapprovisionner ponctuellement l’aéronef avant son départ. Dans le même ordre d’idées, si un vol est retardé longtemps, il serait nécessaire de réapprovisionner l’aéronef en aliments, en boissons et en fournitures.

[392] La possibilité qu’Air Canada puisse obtenir des services de restauration en double est également limitée par l’espace disponible dans les offices des aéronefs, espace qui, dans la plupart des cas, est déjà utilisé au maximum sur les vols internationaux ayant fait l’objet de services de restauration uniques.

[393] Pour ce qui est de YVR, Air Canada doit obtenir les services de restauration à bord à cet Aéroport [CONFIDENTIEL]. Les vols faisant escale à YVR ou en partance de ce dernier, et pour lesquels les services de restauration en double ne sont pas une option, comprennent : [CONFIDENTIEL].

[394] [CONFIDENTIEL]. De plus, compte tenu de la manière dont les routes de Jazz sont structurées, la possibilité pour cette dernière d’arriver à YVR après avoir obtenu des services de restauration en double dans l’un des neuf grands aéroports visés par la DP de Jazz en 2014 [traduction] « serait d’une grande complexité logistique et imposerait à Jazz des frais additionnels considérables » (pièces A-004 et CA-005, Déclaration de témoin de Mme Rhonda Bishop (la « Déclaration de Mme Bishop »), au par. 26).

[395] Pour ce qui est de WestJet, M. Soni a déclaré que cette société obtient des services de restauration en double [traduction] « là où cela est possible », y compris pour les vols en partance de YVR vers le sud, une destination où il peut être difficile d’obtenir des produits qui correspondent aux menus qu’elle offre à bord (Déclaration de M. Soni, au par. 26). Cependant, malgré les avantages qu’offrent les services de restauration en double, [CONFIDENTIEL], y compris les cas où il existe des contraintes en matière de place ou de poids à bord de l’aéronef et où il peut être difficile de conserver la nourriture à une température appropriée ou de garantir que les produits frais resteront propres à la consommation. De plus, [CONFIDENTIEL].

[396] Quant à Air Transat, Mme Stewart a déclaré qu’il n’y a pas de services de restauration disponibles dans quatre des 22 aéroports qui lui servent de points de départ au Canada et que, pour les vols quittant les 18 autres, les aliments doivent être chargés à ces endroits pour un certain nombre de raisons. Premièrement, la plupart des aéronefs quittant ces endroits y sont stationnés pour la nuit. Deuxièmement, les aéronefs font ensuite en général un vol direct jusqu’à une destination étrangère, et Air Transat n’obtient pas de services de restauration à bord à ses destinations étrangères (à part de la glace, du lait et des produits laitiers). Troisièmement, il est plus rentable pour Air Transat d’obtenir ces services de restauration à bord au Canada, dans ses aéroports-pivots, plutôt qu’aux destinations étrangères. Quatrièmement, le chargement au Canada réduit le temps qu’Air Transat passe au sol à ses destinations étrangères, ce qui lui permet de maximiser ses vols et l’utilisation de ses aéronefs, tout en respectant les exigences en matière d’atténuation du bruit dans les grands aéroports qu’elle fréquente. À ce dernier égard, Mme Stewart a ajouté qu’Air Transat s’efforce de veiller à ce que la totalité de son temps d’immobilisation se passe au Canada, où elle bénéficie de son propre personnel de soutien technique. Enfin, Air Transat change souvent l’aéronef qu’elle prévoyait utiliser, de sorte que si les aliments et les autres produits y sont déjà chargés, elle engagerait des frais supplémentaires pour faire transférer les aliments de cet aéronef dans un autre. Pour ce qui est de YVR en particulier, Mme Stewart a ajouté que les services de restauration en double à cet Aéroport [traduction] « ne sont pas une option réalisable » (pièces A-035 et CA-036, Déclaration de témoin de Mme Barbara Stewart (la « Déclaration de Mme Stewart »), au par. 20).

[397] Outre ces représentants de sociétés aériennes, un certain nombre d’autres témoins ont parlé des services de restauration en double. En particulier, M. Richmond, de l’AAV, a déclaré [CONFIDENTIEL] (pièces R-108 et CR-109, Déclaration de témoin de M. Craig Richmond (la « Déclaration de M. Richmond »), aux par. 73 et 74). À cet égard, il semble qu’il ait peut-être employé l’expression « services de restauration en double » en voulant dire « autoapprovisionnement ». Pour ce qui est de [CONFIDENTIEL], M. Gugliotta, de l’AAV, a expliqué que ces sociétés aériennes obtiennent leurs services de restauration en double à [CONFIDENTIEL], de sorte qu’ils n’ont pas besoin de services de restauration à YVR. Le Tribunal fait remarquer que [CONFIDENTIEL] sont des sociétés aériennes de petite taille qui représentent une part minime du nombre total de vols en partance de YVR et du nombre total de passagers que l’Aéroport accueille.

[398] De façon plus générale, M. Colangelo, de Gate Gourmet, a déclaré que [traduction] « les sociétés aériennes n’obtiennent habituellement pas de [services de restauration en double] pour les vols transcontinentaux ou internationaux » et que les vols pour lesquels Gate Gourmet Canada fournit des services de restauration en double [traduction] « viennent habituellement de [CONFIDENTIEL] » (pièces A-039, CA-040 et CA-041, Déclaration de témoin de M. Ken Colangelo (la « Déclaration de M. Colangelo »), aux par. 40 et 42). Il a ajouté que Gate Gourmet dessert aussi en double les vols en partance de YVR vers des destinations [CONFIDENTIEL]. En termes de chiffres, il a déclaré que sur un nombre total d’environ [CONFIDENTIEL] vols par jour en partance de YVR, Gate Gourmet a environ [CONFIDENTIEL] vols [traduction] « à services de restauration obligatoires » et environ [CONFIDENTIEL] vols qu’elle sert en double en se rendant dans cet Aéroport. De plus, un certain nombre d’autres vols arrivant à YVR sont servis en double par d’autres entreprises de services de restauration à bord. Contre-interrogé par les avocats de l’AAV, M. Colangelo a admis que les sociétés aériennes s’efforcent d’obtenir des services de restauration en double chaque fois qu’elles le peuvent. [CONFIDENTIEL].

[399] Outre ce qui précède, M. Padgett, de dnata, a déclaré qu’il voit habituellement des services de restauration en double sur des vols de durée courte ou moyenne d’environ quatre heures ou moins, encore que, a-t-il ajouté, ces services de restauration en double soient possibles pour des vols plus longs. Les remarques de M. Padgett concordent avec la manière dont M. Niels a évalué les services de restauration en double à YVR. M. Niels a conclu que [traduction] « les services de restauration en double ne sont réellement possibles que pour les vols d’une durée de moins de 200 minutes » et que [traduction] « la grande majorité des vols (exclusion faite de WestJet) qui durent plus de 200 minutes obtiennent leurs services de restauration à YVR, ce qui dénote que ce type de services n’est peut-être pas possible pour des vols plus longs » [non souligné dans l’original] (Rapport de M. Niels, au par. 2.82). Plus précisément, il a conclu que [traduction] « pour les vols d’une durée de plus de 400 minutes dans toutes les sociétés aériennes, seule une faible proportion de vols en partance de YVR (environ 15 %) n’obtiennent pas leurs services de restauration à YVR, ce qui dénote que les services de restauration à YVR sont nécessaires pour une grande proportion de ces vols plus longs » [non souligné dans l’original] (Rapport de M. Niels, au par. 2.81). Quant aux durées de vol de moins de 200 minutes, il a déterminé que l’on recourt aux services de restauration en double pour environ 47 % des vols, dont un grand nombre ont lieu entre YVR et les aéroports de plus petite taille situés en Colombie-Britannique.

[400] Compte tenu de ces résultats et de certains des aspects que les sociétés aériennes ont relevés, dont le fait que les [traduction] « sociétés aériennes s’efforcent d’obtenir des services de restauration en double chaque fois qu’elles le peuvent », M. Niels a conclu que l’étendue actuelle des services de restauration en double à YVR [traduction] « est probablement un juste reflet du maximum des services de restauration en double qui peuvent être fournis sur le marché » (Transcription, Conf. B, le 16 octobre 2018, à la p. 576). Pour dire les choses différemment, il a émis l’opinion qu’il est peu probable que les sociétés aériennes étendent l’usage qu’elles font des services de restauration en double pour restreindre la puissance commerciale qu’exercent les entreprises de services de restauration à bord à YVR.

[401] Répondant à une question de la formation, M. Reitman a exprimé son accord. Plus précisément, on lui a demandé combien de sociétés aériennes de plus recourraient probablement davantage aux services de restauration en double en réaction à une SSNIP à YVR, si elles se prévalent déjà de ces services dans toute la mesure où elles le peuvent à présent. M. Reitman a répondu : [traduction] « Je conviens donc que si toutes les sociétés aériennes font le plus qu’elles peuvent à l’heure actuelle, il est donc probable que cela ne change pas grand-chose à la situation » (Transcription, Conf. A, le 17 octobre 2018, à la p. 391). Il a ajouté que s’il y a quelques sociétés aériennes qui ne maximisent pas à l’heure actuelle l’utilisation qu’elles font des services de restauration en double, elles pourraient peut-être en faire davantage.

[402] Enfin, M. Tretheway a déclaré que les services de restauration en double sont une option que les [traduction] « sociétés aériennes sont loin de privilégier » pour les vols long-courrier ainsi que pour les vols continentaux; [traduction] « leur préférence générale va aux services de restauration fournis à l’escale d’origine » (pièces R-133 et CR-134, Rapport d’expert supplémentaire de M. Michael W. Tretheway, aux par. 2.1.7 à 2.1.9).

[403] Compte tenu de tout ce qui précède, le Tribunal conclut que : i) les sociétés aériennes sont fortement incitées à maximiser l’utilisation qu’elles font des services de restauration en double, ii) elles le font déjà probablement et iii) il est peu probable qu’elles recourent davantage aux services de restauration en double pour les vols arrivant à YVR, et ce, à un degré qui limiterait une éventuelle SSNIP dans la fourniture des services de manutention à cet Aéroport. En fait, si le prix de base à l’égard duquel cette SSNIP était établie se révélait nettement inférieur (p. ex., de 5 à 10 %) que les prix en vigueur, ce à quoi on pourrait s’attendre si la pratique en cause a déjà sensiblement empêché la concurrence (comme l’allègue le commissaire), le niveau actuel des services de restauration en double refléterait déjà les réactions des sociétés aériennes à cette SSNIP.

[404] Quoi qu’il en soit, compte tenu de ces conclusions, le Tribunal est d’avis que la possibilité que l’on intensifie les services de restauration en double sur les vols à destination de YVR n’est pas de nature à justifier une conclusion que la dimension géographique du marché de la fourniture des services de manutention s’étend au-delà de YVR.

(ii) L’autoapprovisionnement

[405] L’autoapprovisionnement étant une forme de pouvoir compensateur, le Tribunal est d’avis qu’il serait plus logique de traiter de cette question au stade de l’analyse qui suit la définition du ou des marchés pertinents. Cependant, comme l’AAV a évoqué la question de l’autoapprovisionnement en réponse à l’affirmation du commissaire selon laquelle il existe un marché pertinent pour les services de manutention à YVR, il en sera question dans la présente section.

[406] Le commissaire soutient que, pour la plupart des sociétés aériennes, l’autoapprovisionnement n’est pas un substitut faisable ou préférable aux services de manutention, et ce, notamment pour des raisons d’ordre logistique et financier. Plus précisément, il fait valoir que la possibilité que les sociétés aériennes s’autoapprovisionnent n’impose pas une contrainte suffisante aux fournisseurs de services de manutention à YVR pour qu’une SSNIP relative à ces services devienne peu rentable.

[407] En réponse, l’AAV soutient que la capacité d’autoapprovisionnement des sociétés aériennes limite effectivement la capacité qu’ont les entreprises de services de restauration à bord qui sont en place à YVR d’imposer une SSNIP à l’égard de ce qui correspond à sa définition des services de restauration et de manutention. À ce sujet, l’AAV fait remarquer que les sociétés aériennes sont libres de s’autoapprovisionner à YVR sans qu’il faille obtenir d’elle une permission précise pour le faire. Dans la mesure où ces sociétés peuvent avoir besoin de services comme des services d’entreposage, de gestion des stocks et de chargement des chariots, elles peuvent retenir les services d’une tierce partie située à l’extérieur de l’Aéroport et n’ayant pas besoin d’un accès au côté piste. M. Reitman a ajouté que le fait que WestJet et d’autres sociétés aériennes, [CONFIDENTIEL], avaient répondu par voie d’autoapprovisionnement [CONFIDENTIEL] à leurs besoins en services de manutention à YVR donne à penser que [traduction] « l’autoapprovisionnement serait une menace crédible pour limiter une augmentation de prix concernant les produits des services de restauration à bord standards » (Rapport de M. Reitman, aux par. 55 à 57). Cependant, il a admis que l’autoapprovisionnement a moins de chances d’être une option faisable à l’égard de ce qu’il a défini comme étant des services de restauration à bord haut de gamme, lesquels comprennent les services de manutention qui sont requis pour ces repas haut de gamme.

[408] Compte tenu des éléments de preuve qui sont analysés ci-après, le Tribunal conclut que les sociétés aériennes qui exploitent leurs activités à partir de YVR ne se tourneraient vraisemblablement pas vers l’option de l’autoapprovisionnement en réaction à une SSNIP, du moins pas au point où une tentative de SSNIP ne serait pas rentable.

[409] Pour ce qui est de WestJet, le Tribunal a analysé, aux paragraphes 340 à 344 qui précèdent, le fait qu’elle s’autoapprovisionnait auparavant en services de manutention dans divers aéroports, dont YVR, par l’entremise de sa division Air Supply. Comme l’a fait remarquer le Tribunal, WestJet a fermé cette division et a commencé à faire affaire avec Gate Gourmet pour répondre à ses besoins en services de manutention, [CONFIDENTIEL]. M. Mood a déclaré que la division n’avait ni l’expertise ni l’extensibilité nécessaires pour répondre aux besoins grandissants de WestJet, [CONFIDENTIEL] (Transcription, Conf. B, le 10 octobre 2018, à la p. 449). Il a ajouté qu’étant donné que la fermeture d’Air Supply était la première fois dans l’histoire de la société aérienne qu’elle mettait fin à une partie de ses activités, cette décision avait été une [traduction] « grosse affaire pour WestJet » (Transcription, Conf. B, le 10 octobre 2018, à la p. 450). Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal établit que WestJet ne recourrait vraisemblablement pas à l’autoapprovisionnement pour répondre à ses besoins en services de manutention à YVR en réaction à une augmentation de prix de 5 % à 10 % pour ses services de manutention.

[410] En ce qui concerne Air Canada, M. Yiu a déclaré que même si cette société répondait par elle-même à ses besoins en services de restauration à bord avant le milieu des années 1980 « [CONFIDENTIEL] » (Déclaration de M. Yiu, au par. 48). Il a expliqué qu’Air Canada [CONFIDENTIEL]. À cet égard, il a fait remarquer : « [CONFIDENTIEL] » (Déclaration de M. Yiu, aux par. 48 et 49). Dans son témoignage, il a ajouté qu’Air Canada [CONFIDENTIEL]. Compte tenu de tout ce qui précède, le Tribunal est d’avis qu’Air Canada ne recourrait vraisemblablement pas de nouveau à l’autoapprovisionnement pour répondre à ses besoins en services de manutention à YVR en réaction à une augmentation de prix de 5 % à 10 % pour ses services de manutention.

[411] Pour ce qui est d’Air Transat, Mme Stewart a indiqué que l’option de l’autoapprovisionnement pour les services de restauration à bord à YVR n’est [traduction] « pas possible ». Elle a expliqué qu’en plus de l’absence de l’expertise requise, cette option serait [traduction] « simplement trop coûteuse » pour qu’Air Transat se lance dans cette voie (Déclaration de Mme Stewart, à l’al. 20b)).

[412] Quant à Jazz lors de son processus de DP de 2014, [CONFIDENTIEL] (pièce CR-007, courriel de [CONFIDENTIEL] daté du 29 mai 2014, à la p. 3). [CONFIDENTIEL], Jazz a décidé en fin de compte de continuer de faire affaire avec Gate Gourmet à cet Aéroport. Dans sa déclaration de témoin, Mme Bishop a expliqué comme suit la décision de Jazz (Déclaration de Mme Bishop, au par. 46) :

[traduction] Il est important de signaler que Jazz ne pouvait pas recourir à l’« autoapprovisionnement » pour répondre à ses besoins en services de restauration à bord à YVR comme solution de rechange au paiement des prix élevés de Gate Gourmet. [CONFIDENTIEL] de Jazz. De plus, Jazz aurait engagé d’importants coûts en immobilisations initiaux (p. ex., matériel, etc.) pour mettre sur pied un service de restauration à bord à YVR. Dans l’ensemble, l’autoapprovisionnement en services de restauration à bord aurait coûté à Jazz [CONFIDENTIEL].

[413] Même si l’explication qui précède vise à la fois les services de restauration et les services de manutention, le Tribunal est convaincu que Jazz a pris en considération les coûts et d’autres facteurs associés à l’autoapprovisionnement en services de manutention à YVR, et qu’elle a décidé qu’ils étaient de nature telle que la meilleure option consistait à continuer de faire affaire avec Gate Gourmet. Le Tribunal est convaincu que Jazz ne recourrait vraisemblablement pas à l’autoapprovisionnement pour les services de manutention dont elle a besoin en réponse à l’augmentation supplémentaire de 5 % à 10 % du prix des services de manutention dont elle a besoin à YVR.

[414] Outre les témoignages susmentionnés, qui ont été faits pour le compte de WestJet, d’Air Canada, d’Air Transat et de Jazz, M. Stent‐Torriani a déclaré en contre-interrogatoire que même s’il existe un certain nombre de sociétés aériennes dans le monde qui fournissent quelques formes de services de manutention par elles-mêmes [traduction] « elles sont vraiment l’exception » (Transcription, séance publique, le 4 octobre 2018, à la p. 235). Dans le même ordre d’idées, M. Colangelo a indiqué que même si Gate Gourmet sait qu’un certain nombre de sociétés aériennes répondaient auparavant par elles-mêmes à un grand nombre de leurs besoins en services de restauration à bord, elles [traduction] « ont depuis ce temps délaissé ce secteur d’activités et ont passé des contrats avec des entreprises de services de restauration ou des entreprises d’approvisionnement du dernier kilomètre, ou avec des entreprises spécialisées comme Gate Gourmet Canada qui sont en mesure de fournir les deux types de services » (Déclaration de M. Colangelo, au par. 44). Le Tribunal estime que ce témoignage de M. Stent‐Torriani et de M. Colangelo étaye généralement son opinion selon laquelle les sociétés aériennes ont peu de chances de recourir à l’autoapprovisionnement pour répondre à leurs besoins en services de manutention à YVR en réaction à une SSNIP dans le coût de ces besoins à cet endroit. Quoi qu’il en soit, cette preuve n’étaye pas la position de l’AAV sur ce point.

[415] La conclusion que le Tribunal a tirée sur cette question est également soutenue de façon générale par M. Niels, qui a déclaré que les [traduction] « sociétés aériennes ne peuvent pas vraiment éviter de recourir aux entreprises de services de restauration et de services de manutention qui ont accès au côté piste de l’aéroport ». Il a ajouté que l’analyse qu’il a faite de cette question concorde avec ce qu’il a [traduction] « retenu des déclarations des témoins à propos de la faisabilité des services de restauration en double et de l’autoapprovisionnement, notamment ceux des sociétés aériennes » (Transcription, Conf. B, le 15 octobre 2018, aux p. 418 et 419).

[416] Même si M. Reitman a fait valoir que les sociétés aériennes décideraient vraisemblablement de s’autoapprovisionner en certains produits de restauration standards en réaction à une SSNIP, son opinion reposait principalement sur le fait que des sociétés aériennes avaient décidé de recourir à l’autoapprovisionnement à YVR au cours des dernières années. Cependant, d’après les éléments de preuve qu’ont fournis ces sociétés aériennes, et qui sont analysés ci-dessus, le Tribunal n’est pas convaincu par la position de M. Reitman sur la question.

[417] En résumé, compte tenu des éléments de preuve fournis pour le compte de WestJet, d’Air Canada, d’Air Transat et de Jazz, ainsi que des témoignages de M. Stent‐Torriani, de M. Colangelo et de M. Niels, le Tribunal conclut que les sociétés aériennes ne recourraient vraisemblablement pas à l’autoapprovisionnement pour répondre à leurs besoins en services de manutention à YVR, en réaction à une SSNIP dans les prix qu’elles paient pour ces services à cet endroit.

(iii) La conclusion sur le marché des services de manutention

[418] Compte tenu des conclusions qu’il a tirées au sujet des services de restauration en double et de l’autoapprovisionnement, le Tribunal conclut que la dimension géographique du marché des services de manutention se limite à YVR.

4) Conclusion

[419] Pour tous les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que le marché pertinent, pour les besoins de la présente instance, est la fourniture de services de manutention à YVR (le « marché pertinent »).

C. L’AAV contrôle-t-elle sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises dans l’une des régions du Canada, comme l’envisage l’alinéa 79(1)a) de la Loi?

[420] Le Tribunal se penche maintenant sur le premier élément de fond de l’article 79, c’est-à-dire si l’AAV contrôle sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises dans l’une des régions du Canada, comme l’envisage l’alinéa 79(1)a) de la Loi. Pour les motifs énoncés ci‐après, le Tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que l’AAV contrôle sensiblement ou complètement tant le marché de l’accès au côté piste que le marché des services de manutention à YVR.

[421] Compte tenu de cette conclusion, et comme il a été signalé aux paragraphes 313 à 319 de la sous-section VII.B, qui porte sur les marchés pertinents, il importe peu de se demander s’il existe un marché distinct pour ce qui est de l’accès au côté piste à YVR. En bref, la conclusion du Tribunal selon laquelle l’AAV contrôle le marché des services de manutention parce qu’il exerce un contrôle sur un intrant crucial de ce marché (l’accès au côté piste), suffit pour répondre aux exigences de l’alinéa 79(1)a) de la Loi.

1) Le cadre analytique

[422] Le cadre analytique sur lequel le Tribunal s’appuie pour évaluer l’alinéa 79(1)a) a été analysé en détail dans la décision TREB TC, aux paragraphes 162 à 213, et il est inutile de le répéter ici. Pour les besoins de la présente décision, il suffit de souligner simplement ce qui suit.

[423] L’alinéa 79(1)a) exige que le Tribunal conclue qu’une ou plusieurs personnes contrôlent sensiblement ou complètement, à la grandeur du Canada ou d’une de ses régions, une catégorie ou une espèce d’entreprises. Le Tribunal considère depuis toujours que les mots « à la grandeur du Canada ou d’une de ses régions » et « catégorie ou espèce d’entreprises » désignent la dimension géographique et la dimension « produit », respectivement, du marché pertinent dans lequel le défendeur est censé exercer un « contrôle sensible ou complet » (décision TREB TC, au par. 164). Le Tribunal estime également depuis toujours que les mots « contrôle sensiblement ou complètement » sont synonymes de puissance commerciale (décision TREB TC, au par. 165). Dans la décision TREB TC, au paragraphe 173, il a précisé que l’alinéa 79(1)a) envisage un degré sensible de puissance commerciale.

[424] Les mots employés à l’alinéa 79(1)a) sont suffisamment larges pour englober une entreprise qui n’exerce aucune concurrence dans le marché qu’elle contrôle censément de manière substantielle ou complète. Cela inclut une entité sans but lucratif (décision TREB TC, aux par. 179, 187 et 188; Le commissaire de la concurrence c Toronto Real Estate Board, 2014 CAF 29 (l’arrêt « TREB CAF 2014 »), aux par. 14 et 18). Cela inclut également une entreprise qui contrôle un intrant important pour les entreprises qui rivalisent entre elles au sein du marché pertinent (arrêt TREB CAF 2014, au par. 13).

[425] Le pouvoir d’exclusion peut être une manifestation importante de la puissance commerciale. Cela s’explique par le fait que « c’est souvent l’exercice du pouvoir d’exclusion qui permet à une [entreprise] qui occupe une position dominante d’exercer avec profit une influence sur les dimensions de la concurrence » qui revêtent une importance primordiale en vertu de la Loi. Ces dimensions comprennent la capacité d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur les prix, la qualité, la variété, le service, la publicité et l’innovation (décision TREB TC, aux par. 175 et 176).

[426] Dans la mesure où une entreprise située en amont ou en aval d’un marché pertinent a la capacité d’isoler les entreprises exerçant une concurrence au sein de ce marché de sources additionnelles des dimensions « prix » ou « autres que les prix » (ci-après « hors prix ») de la concurrence, il est possible de conclure que cette entreprise a le degré sensible de puissance commerciale qu’envisage l’alinéa 79(1)a) de la Loi (décision TREB TC, aux par. 188 et 189).

2) Les positions des parties

a) Le commissaire

[427] Le commissaire soutient que l’AAV exerce sensiblement un contrôle sur le marché de l’accès au côté piste et sur le marché des services de manutention à YVR.

[428] Pour ce qui est du marché de l’accès au côté piste, le commissaire soutient que l’AAV est un monopoleur, car il s’agit de la seule entité auprès de laquelle une entreprise qui souhaite fournir des services de manutention ou, de façon plus générale, des services de restauration à bord, peut obtenir l’autorisation d’accéder au côté piste à YVR. Le commissaire fait valoir de plus que les barrières à l’entrée de nouvelles entreprises et à l’expansion au sein du marché de l’accès au côté piste sont absolus, car aucune entité autre que l’AAV ne peut vendre ou, par ailleurs, assurer l’accès au côté piste à YVR. L’entrée d’une autre source d’accès au côté piste à YVR est tout simplement impossible. Par ailleurs, le commissaire soutient que l’AAV est généralement capable de dicter les conditions dans lesquelles elle vend ou fournit l’accès au côté piste à YVR.

[429] Compte tenu de ce qui précède, le commissaire émet l’avis que l’AAV a un degré sensible de puissance commerciale au sein du marché de l’accès au côté piste.

[430] Étant donné que l’AAV contrôle un intrant crucial du marché des services de manutention, c’est-à-dire l’accès au côté piste, et qu’elle a la capacité correspondante d’exclure les nouveaux venus dans le marché des services de manutention, le commissaire soutient de plus que l’AAV contrôle le marché des services de manutention de même que le groupe de produits plus large que constituent les services de manutention et de restauration combinés. Autrement dit, le commissaire soutient que l’AAV contrôle le marché des services de manutention parce que non seulement il contrôle les conditions dans lesquelles les entreprises de services de restauration à bord peuvent obtenir la permission d’accéder au côté piste à YVR, mais aussi parce qu’elle a le pouvoir de décider si ces entreprises peuvent tout simplement exploiter leurs activités dans le marché des services de manutention.

b) L’AAV

[431] L’AAV nie qu’elle contrôle sensiblement ou complètement soit le marché de l’accès au côté piste, soit le marché des services de manutention.

[432] Pour ce qui est du marché de l’accès au côté piste, l’AAV soutient qu’elle n’est pas en mesure de dicter les conditions dans lesquelles elle vend ou fournit l’accès au côté piste à YVR, principalement parce qu’il est loisible aux sociétés aériennes de s’autoapprovisionner en tout ou en partie ou qu’elles peuvent recourir à des services de restauration en double. L’AAV affirme également qu’elle est limitée, par la concurrence exercée avec d’autres aéroports, dans sa capacité de fixer les conditions dans lesquelles elle vend ou fournit l’accès au côté piste à YVR en vue de la fourniture de services de manutention.

[433] En ce qui concerne le marché des services de manutention, là encore, l’AAV encourage le Tribunal à rejeter la position du commissaire parce que les sociétés aériennes peuvent, en tout ou en partie, s’autoapprovisionner ou recourir aux services de restauration en double. De plus, elle se fonde sur le fait qu’elle ne fournit aucun service de manutention ou ne possède aucun intérêt dans un fournisseur quelconque de services de manutention ou ne représente aucun de ces fournisseurs.

[434] Indépendamment de ce qui précède, dans ses observations finales l’AAV a clarifié que [traduction] « pour les besoins du débat » elle a tenu pour acquis qu’elle contrôle la fourniture des services particuliers de chargement et de déchargement des produits des services de restauration. En faisant cette concession, elle a reconnu que sans sa permission, une entreprise autre qu’une société aérienne ne peut avoir accès au côté piste pour fournir ces services. Cependant, elle a maintenu que la définition que donne le commissaire des services de manutention inclut un large éventail de services qui n’obligent pas à avoir accès au côté piste. À cet égard, elle a déclaré : [traduction] « aucun des services que sont l’entreposage, la gestion des stocks, l’assemblage des plateaux-repas et des chariots d’aéronef, le nettoyage du matériel et la gestion des terminaux de vente manuels n’obligent à avoir accès au côté piste de l’aéroport ou à obtenir une autre permission de l’AAV » (Observations finales de l’AAV, au par. 33). Par conséquent, a‐t‐elle affirmé, on ne peut pas dire qu’elle contrôle le marché qui s’applique à ces services.

3) L’évaluation

a) Le marché de l’accès au côté piste

[435] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que l’AAV contrôle ou contrôle sensiblement le marché de l’accès au côté piste, en raison du contrôle qu’elle exerce sur ceux qui peuvent avoir accès au côté piste à YVR.

[436] L’AAV ne conteste pas que, sans sa permission, une entreprise autre qu’une société aérienne n’a pas accès au côté piste à YVR pour pouvoir charger des produits des services de restauration et en décharger. En fait, au paragraphe 69 de son rapport, M. Reitman a explicitement reconnu que [traduction] « l’AAV contrôle l’accès au côté piste à YVR », même s’il a plus tard précisé qu’il l’avait simplement présumé. M. Niels a également conclu que l’AAV contrôle le marché de l’accès au côté piste.

[437] L’AAV ne soutient pas qu’il puisse y avoir de substitut possible pour ce qui est d’obtenir de l’AAV la permission d’accéder au côté piste à YVR. Cependant, elle soutient qu’elle ne contrôle pas l’accès au côté piste parce que les sociétés aériennes peuvent, en tout ou en partie, s’autoapprovisionner en services de manutention, ou recourir à des services de restauration en double.

[438] Pour les motifs énoncés aux paragraphes 388 à 417 de la sous-section VII.B qui précède, le Tribunal a déterminé que la possibilité qu’ont les sociétés aériennes, en tout ou en partie, de s’autoapprovisionner ou de recourir davantage aux services de restauration en double, n’exerce pas une influence restrictive marquée sur les prix des services de manutention à YVR. Pour les mêmes raisons, le Tribunal a aussi conclu que ces solutions de rechange alléguées ne limitent pas les conditions dans lesquelles l’AAV fournit l’accès au côté piste, et cela inclut les redevances de concession qu’elle facture pour cet accès.

[439] Pour ce qui est de l’affirmation de l’AAV selon laquelle elle est limitée par le fait qu’elle doit rivaliser avec d’autres aéroports pour attirer des sociétés aériennes à YVR, cette position a été avancée dans la Réponse modifiée de l’AAV. Cependant, comme il a été mentionné plus tôt, l’AAV n’a pas poursuivi par la suite cette théorie dans une large mesure à l’audience ou dans ses observations finales. Comme le Tribunal l’a fait remarquer aussi, M. Reitman n’a pas estimé qu’il était nécessaire de traiter de cette théorie, à part suggérer que M. Niels avait mesuré la mauvaise chose et qu’il était donc arrivé à la mauvaise conclusion en examinant cet aspect de la position de l’AAV. À ce dernier égard, M. Niels a conclu que [traduction] « la concurrence qu’exercent d’autres aéroports pour le trafic de transfert de la côte du Pacifique n’impose pas une limite importante à YVR, parce que la taille du marché contestable est petite » et que, de plus, YVR [traduction] « n’est pas confronté à un niveau important de concurrence pour ce qui est des passagers [au point d’origine et au point de destination] d’autres aéroports » (Rapport de M. Niels, aux par. 2.38 et 2.60).

[440] À l’appui de son affirmation au sujet de la concurrence qu’exercent d’autres aéroports, l’AAV a déclaré que l’influence restrictive qu’ils exercent sur elle est illustrée par le fait qu’elle a [traduction] « décidé de ne pas hausser les tarifs des [redevances de concession] qu’elle facture à Gate Gourmet et à CLS pour une période de plus de 10 ans [...] » [non souligné dans l’original] (Réponse modifiée de l’AAV, au par. 68). Cependant, l’AAV n’a pas fait valoir qu’elle est incapable de hausser ces redevances de concession sans risquer de perdre des sociétés aériennes particulières ou des routes de sociétés aériennes. En fait, son affirmation n’était rien de plus que cela – une simple affirmation, sans preuve à l’appui pour montrer quelles activités réelles ou possibles elle risquait de perdre, en réaction à toute tentative de hausse de ses redevances de concession. En l’absence d’une telle preuve, le Tribunal est incapable de souscrire à la position de l’AAV selon laquelle d’autres aéroports exercent une influence restrictive suffisante sur l’AAV pour qu’il soit justifié de conclure que cette dernière n’exerce pas un contrôle sensible sur le marché de l’accès au côté piste à YVR.

[441] En fait, le Tribunal estime que le lien que fait l’AAV entre le niveau de ses redevances de concession et la concurrence qu’exercent d’autres aéroports ne concorde pas avec le témoignage de MM. Richmond et Gugliotta.

[442] En particulier, M. Richmond a déclaré que [traduction] « l’AAV a systématiquement renoncé à des possibilités d’accroître ses revenus – d’un montant pouvant atteindre jusqu’à 150 millions de dollars par année – parce que sa direction et son conseil d’administration ont conclu qu’il était au mieux des intérêts de YVR et des collectivités qu’il sert d’agir ainsi » [non souligné dans l’original] (Déclaration de M. Richmond, au par. 26). En ce qui concerne les redevances de concession, il a ajouté (Déclaration de M. Richmond, au par. 80) :

[traduction] La redevance de concession actuelle qui est imposée à la fois à Gate Gourmet et à CLS est fixée à [CONFIDENTIEL] % des revenus bruts. Avant 2006, la redevance était de [CONFIDENTIEL] %. Elle a été haussée à [CONFIDENTIEL] % à la suite d’un examen exhaustif des redevances de concession de YVR, qui a conclu que le tarif facturé à YVR était inférieur à la limite inférieure du marché. Le taux actuel de [CONFIDENTIEL] % est identique ou inférieur aux redevances que facturent d’autres grands aéroports situés au Canada et aux États-Unis. Par exemple, Edmonton et Portland fixent leurs redevances de concession à [CONFIDENTIEL] %, tandis que Toronto, Calgary et Montréal fixent toutes leurs redevances de concession à [CONFIDENTIEL] %.

[443] M. Gugliotta a présenté un historique plus détaillé des redevances de concession facturées à YVR par l’AAV et son prédécesseur, Transports Canada. Ce faisant, il a expliqué pourquoi l’AAV s’était abstenue d’augmenter le niveau de ces redevances de [CONFIDENTIEL] pendant un certain temps, quand [traduction] « les entreprises de services de restauration à bord dans d’autres aéroports payaient souvent [...] environ [CONFIDENTIEL] des revenus bruts » et que d’autres [traduction] « payaient des redevances de concession qui se situaient entre [CONFIDENTIEL] » (pièces R-159, CR-160 et CA-161, Déclaration de témoin de M. Tony Gugliotta (la « Déclaration de M. Gugliotta »), au par. 67). La principale raison semble avoir été des doutes [traduction] « au sujet de la viabilité de CLS et de Cara » (le prédécesseur de Gate Gourmet Canada) (Déclaration de M. Gugliotta, au par. 72). Après avoir décidé de [traduction] « faire correspondre [ses redevances de concession] à la redevance minimale qui était facturée dans tous les autres grands aéroports canadiens », elle a négocié en fin de compte une formule progressive, conformément à laquelle ses redevances de concession étaient [CONFIDENTIEL] (Déclaration de M. Gugliotta, au par. 74). Nulle part dans son explication M. Gugliotta a-t-il fait référence de quelque manière à une inquiétude quant au fait de perdre des activités réelles ou potentielles quelconques aux mains d’un autre aéroport si l’AAV rehaussait le niveau de ses redevances de concession plus rapidement, ou à un degré supérieur.

[444] Le témoignage de MM. Richmond et Gugliotta qui précède démontre aisément que l’AAV s’est abstenue par bienveillance de hausser le niveau de ses redevances de concession, plutôt que d’être empêchée de le faire par la concurrence d’autres aéroports. Le témoignage de M. Richmond dénote de plus que le niveau existant des redevances de concession n’est pas principalement attribuable à l’influence restrictive de la concurrence exercée par d’autres aéroports. Le Tribunal conclut plutôt que ce niveau est principalement attribuable à la poursuite, par l’AAV, de ce qu’elle considère être au mieux des intérêts de YVR et des collectivités qu’il sert. En l’absence de toute preuve convaincante que le niveau existant des redevances de concession est principalement attribuable à l’influence restrictive de la concurrence qu’exercent d’autres aéroports, le Tribunal rejette cette affirmation de l’AAV.

[445] En résumé, compte tenu de tout ce qui précède, le Tribunal conclut que l’AAV contrôle ou contrôle sensiblement le marché de l’accès au côté piste à l’AAV.

b) Le marché des services de manutention

[446] Pour les raisons qui suivent, le Tribunal conclut également que l’AAV contrôle ou contrôle sensiblement le marché des services de manutention.

[447] La position de l’AAV selon laquelle les sociétés aériennes peuvent, en tout ou en partie, s’autoapprovisionner ou recourir à des services de restauration en double est examinée aux paragraphes 388 à 417 de la sous-section VII.B, ainsi qu’à la section qui précède. Il n’est pas nécessaire de la répéter. En bref, ces possibilités n’exercent pas une influence restrictive marquée sur les prix des services de manutention à YVR.

[448] Cela laisse l’affirmation de l’AAV selon laquelle elle ne contrôle pas ou ne contrôle pas sensiblement le marché des services de manutention parce qu’un grand nombre des services qui sont inclus dans ce marché n’ont pas besoin d’accès au côté piste.

[449] Le Tribunal reconnaît que les services tels que l’entreposage, la gestion des stocks, l’assemblage des plateaux-repas et des chariots d’aéronef, le nettoyage du matériel et la gestion des terminaux de vente manuels peuvent être fournis à l’extérieur de YVR. En fait, il reconnaît que dnata fournira au moins certains de ces services dans ses installations de cuisine situées à l’extérieur de l’aéroport, à proximité de YVR, quand y elle fera son entrée sur le marché des services de manutention en 2019.

[450] Néanmoins, en l’absence d’une capacité de charger des produits de restauration dans des aéronefs et d’en décharger à YVR, il ne semble pas que des entreprises puissent réellement entrer sur le marché des services de manutention à cet endroit. À ce jour, aucune ne l’a fait. De plus, M. Padgett a confirmé que si dnata n’avait pas reçu l’accès au côté piste, elle ne serait pas venue à YVR pour exécuter seulement les fonctions d’entreposage que l’on associe aux services de manutention.

[451] L’AAV souligne qu’en 2014, [CONFIDENTIEL].

[452] En l’absence d’autres preuves convaincantes que les sociétés aériennes seraient disposées à faire affaire avec un nouvel arrivant qui n’est pas autorisé à avoir accès au côté piste à YVR, et à s’autoapprovisionner les fonctions de chargement et de déchargement qui requièrent un tel accès, le Tribunal conclut que l’accès au côté piste est une chose dont une nouvelle entreprise a besoin si elle veut exercer une concurrence au sein du marché des services de manutention. Autrement dit, l’accès au côté piste est un intrant crucial dans le marché des services de manutention. Le Tribunal convient avec l’évaluation de M. Niels, à savoir que les sociétés aériennes ont peu de chances de délaisser l’une des entreprises en place (Gate Gourmet et CLS) en faveur d’un nouvel arrivant qui n’est pas autorisé par l’AAV à accéder au côté piste à YVR.

[453] Les entreprises qui ne sont pas en mesure d’obtenir l’autorisation de l’AAV pour avoir accès au côté piste à YVR n’exercent pas – et ne peuvent pas exercer – de concurrence dans le marché des services de manutention à cet endroit. Le Tribunal convient avec le commissaire que l’AAV, du fait du contrôle qu’elle exerce sur l’accès au côté piste, est en mesure de contrôler qui exerce une concurrence et qui ne le fait pas, ainsi que le nombre d’entreprises qui exercent leur concurrence au sein de ce marché. En fait, elle a cherché précisément et avec succès à le faire. Grâce à ce contrôle, l’AAV est également en mesure d’influencer directement le degré de rivalité au sein du marché des services de manutention, et donc les dimensions « prix » et « hors prix » de la concurrence dans ce marché.

[454] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer que, dans son rapport, M. Reitman a tenu pour acquis qu’une [traduction] « entreprise qui fournit un intrant important peut contrôler sensiblement un marché dans lequel elle n’exerce aucune concurrence, dans le sens qui est requis pour l’article 79 de la Loi sur la concurrence » (Rapport de M. Reitman, au par. 60). M. Reitman a également conclu que [traduction] « on considérerait que l’AAV exerce un ‘contrôle’ sur la fourniture des services de restauration à bord haut de gamme à YVR en raison du contrôle qu’elle exerce sur un intrant clé qui est requis pour fournir de tels services à YVR », c’est-à-dire l’accès au côté piste (Rapport de M. Reitman, au par. 61). Le Tribunal estime que cette logique s’applique également au marché des services de manutention.

[455] Compte tenu de tout ce qui précède, le Tribunal conclut que l’AAV contrôle ou contrôle sensiblement le marché des services de manutention en raison du contrôle qu’elle exerce sur un intrant crucial du marché, soit la fourniture de l’accès au côté piste (arrêt Tuyauteries Canada CAF, appel incident, au par. 13).

4) Conclusion

[456] Pour les raisons susmentionnées, le Tribunal conclut que le commissaire a établi, selon la prépondérance des probabilités, que les exigences de l’alinéa 79(1)a) sont remplies et que l’AAV contrôle sensiblement ou complètement, à la grandeur du Canada ou d’une de ces régions, une catégorie ou une espèce d’entreprises, à savoir, tant le marché de l’accès au côté piste que le marché des services de manutention à YVR. Comme l’a fait remarquer le Tribunal, cette dernière conclusion suffit à elle seule pour répondre aux exigences de l’alinéa 79(1)a).

D. L’AAV se livre-t-elle ou s’est-elle livrée à une pratique d’agissements anticoncurrentiels, comme l’envisage l’alinéa 79(1)b) de la Loi?

[457] Le Tribunal examine maintenant la question de savoir si l’AAV s’est livrée ou se livre à une pratique d’agissements anticoncurrentiels, comme l’envisage l’alinéa 79(1)b) de la Loi. Étant donné que l’AAV n’exerce aucune concurrence dans le marché pertinent, le Tribunal a abordé l’analyse de cette question en deux étapes. Dans le cadre de la première, il a évalué si l’AAV a un ICP dans le marché des services de manutention. En l’absence d’un tel ICP, il est présumé que la conduite reprochée au titre de l’article 79 n’aura généralement pas l’objet abusif, exclusif ou disciplinaire qu’envisage l’alinéa 79(1)b) (décision TREB TC, aux par. 279 à 282). Quoi qu’il en soit, quand, comme c’est le cas en l’espèce, il a été conclu qu’il existe un ICP, le Tribunal procède à la seconde étape de l’analyse, qui consiste à évaluer si la [traduction] « nature générale » de la conduite reprochée était anticoncurrentielle ou reflétait plutôt un objet prépondérant légitime.

(1) L’AAV a-t-elle un ICP dans le marché pertinent où le commissaire a allégué qu’une pratique d’agissements anticoncurrentiels a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence?

[458] Pour les motifs énoncés ci-après, les membres judiciaires du Tribunal concluent, selon la prépondérance des probabilités, que l’AAV a un ICP dans le marché pertinent.

a) Le sens du mot « plausible »

[459] Dans la décision TREB TC, au paragraphe 279, le Tribunal a fait remarquer que « pour qu’il soit établi qu’une pratique à laquelle se livre un défendeur qui n’est pas un concurrent dans le marché pertinent est anticoncurrentielle, le commissaire devra convaincre le Tribunal que le défendeur a un intérêt concurrentiel [plausible] dans le marché en question » [souligné dans l’original]. Le Tribunal a donné les précisions suivantes :

[281] Dans le cas d’une entité qui est en aval ou en amont du marché pertinent, il pourrait falloir démontrer que l’entité a un intérêt concurrentiel [plausible] qui n’est pas l’intérêt typique d’un fournisseur à cultiver la concurrence en amont pour ses biens ou services, ou l’intérêt typique d’un client à cultiver la concurrence en aval pour l’approvisionnement en biens ou en services dont il fait l’acquisition. Cela permettrait notamment de faire en sorte que les refus ordinaires d’approvisionner ou les autres comportements verticaux qui n’ont rien à voir avec l’intérêt concurrentiel [plausible] du défendeur dans le marché pertinent ne seront pas pris pour le type de comportement anticoncurrentiel qui est prévu à l’alinéa 79(1)b).

[282] Il est entendu que s’il est établi qu’un défendeur, qui est un fournisseur principal d’entreprises qui font partie du marché pertinent ou un client de celles-ci, n’a aucun intérêt concurrentiel [plausible] pour rechercher un effet négatif sur la concurrence dans le marché pertinent, mis à part les comportements décrits plus haut, de façon générale, ses pratiques ne seront pas jugées comme tombant sous le coup de l’alinéa 79(1)b). Il en est ainsi, peu importe si les comportements de l’entité ont pu avoir, incidemment, un effet négatif sur la concurrence. Par exemple, un fournisseur en aval qui cesse d’approvisionner un client parce que celui-ci ne respecte pas les conditions convenues pour leurs échanges ne serait pas jugé s’être livré à une pratique d’agissements anticoncurrentiels parce que le client en question ne peut plus s’approvisionner auprès de lui (peut-être à cause de sa mauvaise réputation) et est obligé de quitter le marché ou occupe une position amoindrie dans celui-ci.

[460] Essentiellement, l’obligation de montrer qu’un défendeur qui n’exerce aucune concurrence dans le marché pertinent a néanmoins une ICP dans ce marché sert d’écran. Cet écran est destiné à exclure, tôt dans le processus d’évaluation du Tribunal, une conduite qui est peu susceptible de tomber sous le coup de l’alinéa 79(1)b). En bref, en l’absence d’un ICP, il est présumé que la conduite reprochée n’a pas l’objet anticoncurrentiel qu’envisage l’alinéa 79(1)b). À moins que le commissaire soit capable de réfuter cette présomption en montrant clairement et, de façon convaincante, l’existence d’un tel objet anticoncurrentiel même si la défenderesse n’a aucun ICP, le Tribunal s’attend à ce qu’il conclue habituellement que les exigences de l’alinéa 79(1)b) n’ont pas été remplies. Le Tribunal s’attend de plus que, en l’absence d’un ICP, la défenderesse soit habituellement capable de démontrer facilement qu’elle a une justification commerciale légitime pour se livrer à la conduite reprochée contestée et que la [traduction] « nature générale » de la conduite, ou son [traduction] « objet prépondérant » n’étaient pas et ne sont pas anticoncurrentiels, comme l’envisage l’alinéa 79(1)b) (arrêt Tuyauteries Canada CAF, aux par. 67, 73, 87 et 88).

[461] Outre le recalibrage susmentionné du rôle que joue l’ICP, la présente demande oblige le Tribunal à expliciter le sens du mot « plausible ».

[462] Le dictionnaire en ligne Lexico définit le mot « plausible » comme une chose qui est [traduction] « raisonnable ou probable ». Le thésaurus en ligne de Lexico donne les synonymes suivants : [traduction] « crédible, raisonnable, digne de foi, vraisemblable, faisable, probable, défendable, possible, concevable, imaginable, dans les limites du possible, convaincant, cohérent, bien fondé, rationnel, logique, acceptable, pensable » (Lexico Dictionary powered by Oxford, « plausible », en ligne : <https://www.lexico.com/en/synonym/plausible>). Par comparaison, le Merriam-Webster définit le mot « plausible » comme une chose qui est [traduction] « en apparence juste, raisonnable ou valable, mais souvent spécieuse », une chose qui est [traduction] « en apparence plaisante ou convaincante » ou une chose qui paraît être [traduction] « digne de foi » (Merriam-Webster Dictionary, « plausible », en ligne : <https://www.merriam-webster.com/dictionary/plausible>).

[463] Ces deux définitions ont une vaste portée, et certains des synonymes susmentionnés permettraient de fixer l’écran que constitue l’ICP à un niveau qui le priverait en grande partie de son utilité, soit parce qu’il ferait tomber une trop grande part de la conduite sous le coup éventuel de l’alinéa 79(1)b), soit parce qu’il aurait l’effet contraire. Cela pourrait avoir le premier de ces deux résultats en intégrant une gamme de conduites potentiellement importantes qu’il y a peu de chance que l’on trouve qu’elles ont l’objet anticoncurrentiel qu’envisage cette disposition. Cela pourrait aussi avoir le second de ces résultats en excluant toute conduite qui, en fait, pourrait bien avoir un tel objet anticoncurrentiel.

[464] Le Tribunal estime qu’il est approprié de calibrer le sens du mot « plausible », tel qu’il est employé dans le contexte particulier de l’article 79, de façon à ce qu’il dénote quelque chose de plus que simplement [traduction] « possible », [traduction] « concevable », [traduction] « imaginable », [traduction] « pensable » ou [traduction] « dans les limites du possible ». En même temps, le Tribunal estime qu’il ne conviendrait pas d’aller jusqu’à exiger que l’on démontre l’existence d’un intérêt concurrentiel [traduction] « probable », [traduction] « convaincant » ou [traduction] « persuasif » dans le marché pertinent. Le Tribunal hésite également à exiger que l’on montre qu’un intérêt est [traduction] « économiquement rationnel », car les humains et les entreprises n’agissent pas toujours de manières économiquement rationnelles et l’objet de l’écran que constitue l’ICP serait miné si les entreprises avaient à se demander si un économiste considérerait qu’un mode de conduite potentiel est économiquement rationnel.

[465] Pour servir d’écran utile, sans exclure par inadvertance une conduite qui, en fait, peut fort bien avoir un objet anticoncurrentiel, le Tribunal estime que le mot « plausible » devrait être interprété comme voulant dire [traduction] « raisonnablement crédible ». Pour qu’une chose soit raisonnablement crédible, il doit y avoir un fondement factuel digne de foi et objectivement vérifiable pour croire que le défendeur a un intérêt concurrentiel dans le marché pertinent. Cependant, par contraste avec la norme de preuve des « motifs raisonnables de croire », il n’est pas nécessaire que le fondement factuel atteigne le niveau des motifs « convaincants » qui sont mentionnés dans les affaires d’immigration que le commissaire a citées et sur lesquelles il s’est fondé (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au par. 114; Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, au par. 89). Une telle exigence pourrait amener à exclure par inadvertance une vaste gamme de conduites potentiellement anticoncurrentielles qui méritent une évaluation plus approfondie.

[466] Il vaut la peine de souligner que le simple fait que l’on ait satisfait au critère de l’ICP dans n’importe quelle affaire particulière ne veut pas dire que l’on conclura vraisemblablement que la conduite reprochée répond aux éléments de l’article 79. La démonstration d’un ICP veut simplement dire que la conduite ne sera pas exclue au début du processus. La conduite reprochée sera ensuite examinée à peu près de la même façon qu’elle l’aurait été par ailleurs, si le Tribunal n’avait pas introduit le critère de l’ICP pour exclure les situations ayant fort peu de chances de justifier le temps, les efforts et les ressources qui sont nécessaires pour évaluer chacun des éléments de l’article 79.

b) Les positions des parties

(i) Le commissaire

[467] Au début de l’audience tenue en l’espèce, le commissaire a exprimé l’avis qu’il n’est pas nécessaire que le Tribunal se serve de l’écran que constitue l’ICP dans une affaire comme celle‐ci, où l’objet explicite de la conduite reprochée [traduction] « est manifestement l’exclusion d’un concurrent du marché » (Transcription, séance publique, le 2 octobre 2018, à la p. 26). Dans les circonstances, et en présence d’une intention si clairement exclusionnaire, il a affirmé que l’écran que constitue l’ICP n’est pas nécessaire. Il a soutenu, subsidiairement, que si l’on emploie le critère de l’ICP, celui-ci devrait jouer un rôle atténué pour ce qui est de déterminer si l’objet général de la conduite reprochée est exclusionnaire.

[468] Plus tard à l’audience, le commissaire a affirmé que l’écran que constitue l’ICP ne devrait pas exiger une preuve que la conduite reprochée pourrait peut-être ou vraisemblablement amoindrir la concurrence dans le marché pertinent. Il a fait valoir qu’une telle exigence fusionnerait en fait les éléments envisagés par les alinéas 79(1)b) et c), contrairement à l’arrêt Tuyauteries Canada CAF, au paragraphe 83.

[469] En réponse à une question précise de la formation, le commissaire a répondu que si le Tribunal vient à conclure que l’AAV a un ICP conceptuel en poursuivant un mode de conduite susceptible de maintenir ou de hausser ses revenus, cela serait suffisant pour les besoins de l’écran de l’ICP. Il ne serait pas nécessaire que le Tribunal conclue de plus, au vu des faits particuliers de l’affaire, que, en fait, l’AAV a un intérêt concurrentiel dans le marché des services de manutention.

[470] Indépendamment de tout ce qui précède, le commissaire soutient que l’AAV a un intérêt concurrentiel dans le marché des services de manutention à YVR, et ce, pour deux grandes raisons, liées aux loyers fonciers et aux redevances de concession, respectivement.

[471] Pour ce qui est des loyers fonciers, le commissaire semble avoir pour position qu’en délivrant un permis à une ou plusieurs autres entreprises de services de restauration à bord, l’AAV s’exposerait au risque que Gate Gourmet ou CLS aient moins besoin de certaines des installations dont elles disposent présentement, ce qui ferait baisser les revenus que l’AAV tire de ses baux.

[472] Quant aux redevances de concession, le commissaire est d’avis que, par contraste avec un fournisseur en amont caractéristique, qui souffrirait d’un marché en aval moins concurrentiel, l’AAV profite de la situation (grâce à des redevances de concession accrues) en excluant des entrepreneurs de services de restauration à bord supplémentaires. À cet égard, M. Niels a émis l’avis que le total des revenus que reçoivent les entreprises de services de restauration à bord actuelles sont supérieurs et que, de ce fait, le total des revenus que tire l’AAV des redevances de concession sont plus élevés, dans le cadre de la situation actuelle, que si l’on autorisait d’autres entreprises de services de restauration à bord à entrer sur le marché des services de manutention. Dans ses observations finales, le commissaire a fait remarquer que cette [traduction] « participation à l’aspect positif de la situation » distingue l’AAV d’un fournisseur caractéristique, dont les bénéfices ne sont pas liés, par une formule, aux revenus du fournisseur en aval. (Observations finales du commissaire, au par. 62).

[473] Dans son plaidoyer final, le commissaire a également ajouté un troisième motif pour appuyer l’ICP de l’AAV : le fait que l’AAV tirerait des revenus aéronautiques supplémentaires des vols supplémentaires qu’elle serait capable d’attirer à l’Aéroport, grâce à la garantie d’un approvisionnement stable et concurrentiel en services de restauration à bord.

(ii) L’AAV

[474] L’AAV soutient qu’une relation propriétaire-locataire, comme celle qu’elle entretient avec Gate Gourmet et CLS, ne peut pas être suffisante pour donner lieu à un ICP en ayant une incidence négative sur la concurrence dans le marché dans lequel le locataire exerce une concurrence. À cet égard, elle signale que l’influence, quelle qu’elle soit, qu’elle peut avoir sur les prix facturés aux entreprises de services de restauration à bord est uniquement exercée par l’intermédiaire de ses redevances de concession, dont la nature n’est pas différente de celle des frais, calculés en pourcentage, que le propriétaire d’un centre commercial facture aux détaillants. Elle ajoute que son statut de société à but non lucratif exerçant ses activités dans l’intérêt du public est tel qu’elle ne peut avoir un ICP en ayant une incidence négative sur la concurrence dans le marché des services de manutention. Elle indique que cela s’explique particulièrement par le fait qu’elle n’intervient pas dans ce marché et qu’elle n’y a aucun intérêt commercial. Compte tenu de ce qui précède, elle soutient qu’elle n’a aucun incitatif économique à se livrer à une conduite anticoncurrentielle et que, en fait, elle n’était pas motivée par le souhait de hausser ou de maintenir le niveau de ses redevances de concession.

[475] Par ailleurs, l’AAV affirme qu’elle ne peut tirer aucun avantage du fait de restreindre la concurrence dans le marché des services de manutention, si cette restriction rendrait la structure de marché inefficace. À cet égard, et comme nous le verrons plus loin, M. Reitman a expliqué que s’il était présumé que l’AAV agissait de manière rationnelle, et qu’elle cherchait à maximiser les redevances et les loyers qu’elle tirait des entreprises de services de restauration à bord, elle dispose d’autres manières de procéder qui les laisseraient, elle et les sociétés aériennes, en meilleure posture. Il a soutenu, de ce fait, que l’AAV ne déciderait jamais de restreindre l’entrée d’une nouvelle entreprise sur le marché en tant que solution de rechange à l’un de ces autres modes d’action.

[476] Pour ce qui est des loyers fonciers, l’AAV soutient que Gate Gourmet et CLS ont chacun des baux de longue durée exécutoires qui leur imposent des obligations auxquelles elles ne pourraient pas se soustraire s’il leur arrivait d’avoir moins besoin de certaines de leurs installations. De plus, l’AAV indique que le témoignage non contesté de M. Richmond est que l’AAV n’aurait aucune difficulté à trouver un locataire de remplacement qui serait disposé à payer un loyer comparable pour les locaux situés à YVR auxquels Gate Gourmet ou CLS pourrait vouloir renoncer.

[477] Enfin, l’AAV signale que le total des revenus qu’elle tire des redevances de concession et des baux fonciers payés par les entreprises de services de restauration à bord représente [CONFIDENTIEL] % de ses revenus globaux.

c) L’évaluation

[478] Le Tribunal examinera en premier les observations du commissaire et il traitera ensuite des observations de l’AAV qu’il reste encore à régler. Il fait tout d’abord remarquer que la matrice factuelle très particulière qu’on lui a présentée dans la présente instance ne s’inscrit pas parfaitement dans le cadre de l’article 79 de la Loi. Il est néanmoins tenu d’accepter chacune des situations qui lui sont présentées, et de jouer son rôle. Pour les raisons indiquées ci-après, les membres judiciaires du Tribunal ont conclu que l’AAV a bel et bien un ICP dans le marché des services de manutention, même si cet ICP se situe très près de la limite inférieure de ce que constitue, selon lui, un ICP.

(i) Les observations du commissaire

[479] La position du commissaire, à savoir que le Tribunal n’a pas besoin d’utiliser l’écran que constitue l’ICP dans une affaire comme celle-ci, dénote qu’il comprend mal la nature de ce critère. Comme il a été expliqué plus tôt, cet écran est destiné à exclure, au début de l’évaluation qu’effectue le Tribunal, les formes de conduite qui ne semblent pas avoir un fondement plausible pour conclure à l’intention anticoncurrentielle qu’exige l’alinéa 79(1)b). Le simple fait qu’une pratique reprochée puisse sembler, à première vue, exclusive, n’a pas pour objet de faire disparaître l’utilité de l’écran. Cela s’explique par le fait qu’il peut y avoir d’autres aspects de la matrice factuelle qui démontrent l’absence d’un fondement factuel crédible et objectivement vérifiable pour croire que le défendeur a un intérêt concurrentiel plausible dans le marché pertinent. Ce commentaire a pour seul but d’indiquer qu’il peut y avoir des situations dans lesquelles une conduite qui est exclusionnaire à première vue ne satisfait pas au critère de l’ICP.

[480] Le Tribunal ne souscrit pas à la position subsidiaire du commissaire selon laquelle l’ICP devrait jouer un rôle atténué en l’espèce, essentiellement pour la même raison. Par ailleurs, en sa qualité d’écran, le critère de l’ICP est appliqué avant l’évaluation de la nature générale, ou de l’objet prépondérant, de la conduite reprochée. Il n’est pas appliqué en même temps que cette évaluation.

[481] Le Tribunal souscrit à la position du commissaire selon laquelle l’écran de l’ICP n’exige pas une preuve que la conduite reprochée puisse peut-être ou vraisemblablement amoindrir la concurrence dans le marché pertinent. Une telle exigence fusionnerait bel et bien les éléments qu’envisagent les alinéas 79(1)b) et c) (arrêt Tuyauteries Canada CAF, au par. 83). Cependant, il ne souscrit pas à la position du commissaire selon laquelle l’établissement d’un ICP conceptuel dans le marché des services de manutention est suffisant pour les besoins de ce critère. Le commissaire doit aller plus loin et établir un fondement factuel crédible et objectivement vérifiable pour croire que l’AAV a un intérêt concurrentiel dans ce marché.

[482] Quant à la position du commissaire au sujet de l’intérêt de l’AAV dans les loyers fonciers qu’elle reçoit de Gate Gourmet et de CLS, le Tribunal souscrit à la position de l’AAV. C’est-à‐dire qu’il souscrit au témoignage de M. Richmond, à savoir que l’AAV n’aurait aucune difficulté à trouver un ou plusieurs locataires de remplacement qui seraient disposés à payer un loyer comparable pour les locaux auxquels Gate Gourmet ou CLS pourraient vouloir renoncer s’il fallait qu’elles perdent des occasions d’affaires au profit d’une ou plusieurs nouvelles entreprises, et qu’elles n’auraient donc plus besoin d’autant de terrain à YVR. Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour ajouter que dnata s’est vue récemment délivrer un permis d’accès au côté piste à YVR, indépendamment du fait que sa cuisine de l’air sera située à l’extérieur de l’Aéroport. De plus, conformément aux modalités de leurs baux, les loyers que Gate Gourmet et CLS [CONFIDENTIEL]. Par ailleurs, le commissaire n’a pas pu expliquer de quelle façon Gate Gourmet ou CLS pourraient se soustraire à leurs obligations envers l’AAV en vertu des baux de longue durée qu’elles ont conclus avec elle. Compte tenu de ce qui précède, le reste de la présente section traite exclusivement de l’intérêt allégué de l’AAV dans les revenus qu’elle tire des redevances de concession.

[483] Pour ce qui est des redevances de concession de l’AAV, le Tribunal convient avec le commissaire que la [traduction] « participation [de l’AAV] à l’aspect positif » de l’ensemble des revenus que génèrent les entreprises de services de restauration à bord à YVR, de pair avec sa capacité d’exclure d’autres fournisseurs du marché des services de manutention à cet endroit, distingue la position qu’occupe l’AAV de celle d’un fournisseur en amont caractéristique qui souffrirait d’un marché en aval moins concurrentiel. Comme l’a fait remarquer la Haute Cour de justice du Royaume-Uni dans Luton Airport, au paragraphe 100 : [traduction] « [la participation des activités de Luton dans le marché en aval] constitue un intérêt commercial et économique dans l’état de la concurrence exercée sur le marché en aval : Luton Operations n’est pas un fournisseur en amont d’installations qui est neutre ou indifférent ».

[484] Le Tribunal ne souscrit pas à la position de l’AAV selon laquelle la conclusion qui précède, tirée de la décision Luton Airport, peut être distinguée au vu des faits de la présente espèce, ou au vu du fait que cette affaire ne traitait pas de la question de savoir si une défenderesse avait un ICP à nuire à la concurrence dans le marché pertinent. Pour ce qui est des faits, Luton Operations, à l’instar de l’AAV, exploitait un aéroport. De plus, à l’instar de l’AAV, cette société était en mesure de décider qui pouvait se faire concurrence pour la fourniture de certains services à l’aéroport. En fin de compte, il a été conclu qu’elle avait abusé de sa position dominante dans le marché pour ce qui était de concéder des droits d’exploiter un service d’autobus à l’aéroport, en accordant une concession exclusive, d’une durée de sept ans, à une entité particulière en vue de la prestation de ces services. Contrairement à ce qu’affirme l’AAV, le Tribunal ne considère pas le fait que l’accès aux fournisseurs de services d’autobus était auparavant ouvert à l’Aéroport Luton comme fondement pour distinguer cette affaire de la présente instance. De plus, le fait que l’ampleur du gain que Luton Operations avait tiré de la conduite reprochée était nettement supérieure à celle qui est alléguée dans la présente instance n’est pas un motif raisonné pour distinguer cette affaire de celle dont le Tribunal est maintenant saisi.

[485] Pour ce qui est de la question de l’intérêt commercial et économique de Luton Operations à nuire à la concurrence, la Cour a explicitement signalé que Luton Operations [traduction] « participait aux revenus générés dans le marché en aval » et qu’elle [traduction] « en bénéficierait aussi si la protection contre la concurrence que conférait à National Express l’octroi d’une exclusivité [permettait] à cette société de facturer à ses clients des prix supérieurs à ceux qui, en d’autres circonstances, auraient cours » (décision Luton Airport, au par. 100).

[486] De l’avis du Tribunal, c’est le lien avec ce dernier avantage qui distingue la matrice factuelle particulière de la présente instance d’une relation propriétaire-locataire caractéristique, ainsi que d’une gamme d’autres situations dans lesquelles une partie en amont loue à bail, délivre un permis ou accorde un avantage à une partie située en aval en échange d’un pourcentage des revenus que cette dernière tire des ventes. C’est-à-dire que, contrairement à l’AAV et à Luton Operations, le propriétaire, franchiseur, concédant, etc. caractéristique n’est pas en mesure d’empêcher ou de diminuer potentiellement la concurrence d’une manière sensible dans un marché situé en aval, uniquement grâce au pouvoir dont il dispose de refuser de délivrer un permis à d’autres tierces parties pour exploiter leurs activités dans ce marché. Cette capacité alléguée de tirer avantage d’une restriction de la concurrence distingue également la présente affaire de la situation dont il est question dans Interface Group, Inc v Massachusetts Port Authority, 816 F.2d 9, citée par l’AAV et dans laquelle la plaignante n’avançait aucune théorie de cette nature, pas plus, à vrai dire, que toute autre théorie de préjudice antitrust.

[487] Comme l’AAV a cette capacité potentielle, le Tribunal estime que son statut d’organisation à but non lucratif, investie du vaste mandat d’exercer ses activités dans l’intérêt du public, n’exclut pas, en droit, cette dernière et d’autres monopoleurs investis d’un mandat semblable du champ d’application de l’article 79 de la Loi, sauf si elle est en mesure de répondre aux exigences de la DCR. Comme nous l’avons vu plus tôt à la sous-section VII.A. des présents motifs, les exigences de la DCR ne sont pas remplies en l’espèce.

(ii) Les observations de l’AAV

[488] Le Tribunal se penche maintenant sur l’affirmation de l’AAV selon laquelle celle-ci ne peut tirer aucun avantage du fait de restreindre la concurrence dans le marché des services de manutention, si cette restriction aurait pour effet de rendre inefficace la structure de ce marché. Comme il a été signalé aux paragraphes 474 et 475 qui précèdent, cette affirmation repose sur le fait que l’AAV dispose d’autres options, censément plus efficaces, pour accroître les revenus qu’elle touche des entreprises de services de restauration à bord. En particulier, M. Reitman a soutenu que s’il était présumé que l’AAV agissait de manière rationnelle et qu’elle cherchait à maximiser les redevances reçues des entreprises de services de restauration à bord, elle ne déciderait donc jamais, pour des raisons de théorie économique, de restreindre l’entrée sur ce marché en tant que solution de rechange à l’un de ces autres modes d’action.

[489] L’option particulière qui, selon M. Reitman, serait plus rationnelle et efficace pour l’AAV, si l’on fait les deux présomptions qu’il mentionne, serait de hausser ses redevances de concession. Le point de départ de la position de M. Reitman semble être la suivante (Rapport de M. Reitman, au par. 85) :

[traduction] Si l’AAV est un agent économique rationnel et si (comme je l’ai présumé) son objectif est de maximiser les revenus qu’elle tire des frais aéroportuaires, cela veut dire qu’elle majorerait son taux de frais aéroportuaires jusqu’à ce que la demande du marché soit suffisamment élastique pour rendre non rentable toute autre augmentation du taux de frais aéroportuaires. À ce stade, la théorie économique indique que la quantité permettant de maximiser les bénéfices se situerait sur une partie élastique de la courbe de la demande.

[490] Cette thèse amène M. Reitman à émettre la thèse supplémentaire suivante : [traduction] « [s]i la demande est élastique, le fait de restreindre l’entrée n’augmenterait pas les revenus » (Rapport de M. Reitman, au par. 86). Cependant, cette thèse fait abstraction du fait que la principale théorie de préjudice du commissaire est que la concurrence au sein du marché des services de manutention a été, et est, empêchée, et est susceptible d’être empêchée dans l’avenir. Conformément à cette théorie, le fait que l’AAV ait exclu d’autres entreprises de services de restauration à bord du marché des services de manutention a empêché de réduire les prix des services par rapport aux niveaux actuels, et qui continueront d’avoir cours en l’absence de la conduite reprochée. À son tour, cette prévention de la réduction des prix au sein du marché des services de manutention a empêché une réduction des revenus tirés des redevances de concession que l’AAV reçoit de Gate Gourmet et de CLS.

[491] Quoi qu’il en soit, le commissaire n’a pas allégué que l’un des objectifs de l’AAV est de maximiser les revenus qu’elle tire des redevances de concession. Il a simplement allégué que l’AAV tire des avantages financiers, grâce à ses redevances de concession, de la protection contre toute concurrence qu’elle confère à Gate Gourmet et à CLS.

[492] À cet égard, M. Richmond a déclaré que le mandat de l’AAV n’est pas de maximiser ses revenus, mais plutôt de gérer YVR dans l’intérêt du public. Par ailleurs, le Tribunal signale que M. Reitman, en contre-interrogatoire, a admis que le fait d’être une entité rationnelle qui maximise son profit serait incohérent avec le mandat d’intérêt public de l’AAV. De plus, M. Tretheway a déclaré qu’il ne croit pas que l’AAV soit un [traduction] « maximisateur de revenus » (Transcription, Conf. B, 31 octobre 2018, aux p. 900 et 901). Quoi qu’il en soit, le Tribunal souscrit au témoignage de M. Niels selon lequel il ne découlerait pas logiquement du fait qu’une entreprise ne maximise pas ses profits que cette dernière en fait entièrement abstraction. Le Tribunal souscrit également au témoignage de M. Niels que l’AAV peut avoir une incitation pour restreindre la concurrence dans le marché des services de manutention, même si elle ne cherche pas à tirer le maximum de revenus des entreprises de services de restauration à bord existantes. Le Tribunal n’a aucune raison de douter du témoignage de M. Niels, à savoir qu’il est [traduction] « très normal [...] que des entités sans but lucratif cherchent néanmoins des occasions commercialement avantageuses dans des marchés », même si elles ne cherchent peut-être pas à tirer des niveaux de revenus qui maximisent les profits d’entreprises situées dans des marchés situés en aval (Transcription, séance publique, 15 octobre 2018, à la p. 429).

[493] Le commissaire n’a pas allégué non plus que l’AAV est un agent économique rationnel.

[494] Les observations qui précèdent aident aussi à répondre à la thèse de M. Reitman selon laquelle il ne pouvait pas y avoir assez de profits disponibles dans le marché des services de manutention à YVR pour permettre à trois entreprises de services de restauration à bord viables de fonctionner. M. Reitman a fondé cette thèse sur la théorie selon laquelle l’AAV aurait déjà tiré tous les loyers économiques disponibles au sein du marché, ce qui ne laisserait à Gate Gourmet et à CLS qu’une [traduction] « rentabilité suffisante pour les garder au sein du marché » (Rapport de M. Reitman, au par. 87). Cependant, cette théorie dépendait des deux hypothèses non prouvées dont il a été question plus tôt. On peut en dire autant de la théorie de M. Reitman selon laquelle, même si le marché ne pouvait soutenir que deux entreprises de services de restauration à bord, l’AAV n’aurait aucune incitation à restreindre l’entrée d’une nouvelle entreprise sur le marché parce que cela l’empêcherait elle-même d’extraire les revenus supplémentaires que gagnerait une nouvelle entreprise à coûts inférieurs, par rapport à une entreprise existante moins efficace.

[495] Outre tout ce qui précède, M. Reitman a soutenu que même si l’AAV facture des frais aéroportuaires qui sont assez bas pour que la demande en services de manutention à YVR se situe encore sur la partie inélastique de la courbe de demande, elle aurait une meilleure solution de rechange que le fait de restreindre la concurrence au sein de ce marché. Il a affirmé qu’une stratégie plus simple, et supérieure, qui générerait au moins autant de revenus pour l’AAV, tout en étant meilleure pour les sociétés aériennes et les clients, serait d’autoriser l’entrée sur le marché et de hausser les redevances de concession (c’est-à-dire, les frais aéroportuaires). Le Tribunal fait remarquer qu’en avançant cette thèse, M. Reitman n’a pas adopté la position que l’AAV n’a aucune justification économique pour restreindre l’entrée sur le marché des services de manutention. En contre-interrogatoire, il a précisé que l’AAV a simplement [traduction] « une stratégie de rechange qui serait encore meilleure » (Transcription, Conf. B, 17 octobre 2018, à la p. 692).

[496] À cet égard, M. Reitman a émis l’hypothèse que si l’on supposait que l’entrée sur le marché d’une troisième entreprise de services de restauration, comme il a été suggéré dans l’une des analyses de M. Niels, avait un effet de prix de [CONFIDENTIEL]et que la demande du marché était inélastique, il s’ensuivrait que l’entrée sur le marché d’une troisième entreprise de services de restauration en 2014 se serait soldée par une réduction du montant total des dépenses des sociétés aériennes en matière de services de restauration de [CONFIDENTIEL]. M. Reitman a estimé que, par ricochet, cela aurait réduit les revenus de l’AAV de [CONFIDENTIEL], ce qui correspond à seulement [CONFIDENTIEL] du montant total des revenus bruts de l’AAV en 2014, soit environ 465 millions de dollars. M. Reitman a ensuite estimé que l’AAV aurait pu recouvrer cette perte en majorant ses redevances de concession aéroportuaires de [CONFIDENTIEL] % à [CONFIDENTIEL] %. Il fait remarquer que cela aurait eu pour effet que l’AAV n’aurait subi aucune perte de revenus, tout en permettant aux sociétés aériennes d’économiser plus de [CONFIDENTIEL] – un résultat nettement plus efficace. (Le Tribunal présume que M. Reitman a utilisé les mots « [CONFIDENTIEL] » au lieu de « [CONFIDENTIEL] », parce qu’il a tenu pour acquis que les entreprises de services de restauration à bord transmettraient aux sociétés aériennes la légère hausse de la redevance de concession, comme ils le font avec les redevances de concession existantes.)

[497] Compte tenu de ce qui précède, l’AAV soutient qu’il n’est pas crédible de la part du commissaire de donner à penser que l’AAV aurait une incitation économique à nuire à la concurrence exercée sur le marché des services de manutention. Pour dire les choses différemment, l’AAV indique que le fait de maintenir le niveau des revenus qu’elle tire des redevances de concession ne procurera pas à un intervenant économique rationnel qui se trouve dans sa position une incitation à exclure de ce marché une troisième entreprise de services de restauration, et que cela ne lui fournirait pas un ICP à nuire à la concurrence au sein de ce marché.

[498] Les membres judiciaires de la formation concluent que, aussi attrayant que puisse sembler à première vue l’argument économique qui précède, il ne concorde pas avec certains faits importants qui ont été mis en preuve devant le Tribunal.

[499] En particulier, le Plan directeur – YVR 2037 de l’AAV indique : [CONFIDENTIEL] [non souligné dans l’original] (Déclaration de M. Richmond, à la pièce 10). [CONFIDENTIEL] (Déclaration de M. Richmond, à la pièce 10). [CONFIDENTIEL].

[500] De la même façon, dans son Plan stratégique de 2018-2020, l’AAV indique : [CONFIDENTIEL] [non souligné dans l’original] (Déclaration de M. Richmond, à la pièce 9). En réponse à une question posée par la formation, M. Richmond a répondu que [CONFIDENTIEL] (Transcription, Conf. B, 30 octobre 2018, à la p. 874).

[501] Conformément à ce qui précède, M. Tretheway a confirmé lors de son contre-interrogatoire que le paradoxe du modèle de gouvernance sans but lucratif est qu’il exige en général que de telles entités génèrent un excédent des revenus par rapport aux coûts, de façon à produire les « profits » qui sont nécessaires pour financer les investissements en cours (Transcription, séance publique, 1er novembre 2018, aux p. 846 et 847). Pour cette raison, M. Norris a confirmé que même si les redevances de concession ne représentent qu’environ [CONFIDENTIEL] % des revenus de l’AAV, [CONFIDENTIEL] (Transcription, Conf. B, 1er novembre 2018, aux p. 1134 et 1135).

[502] Le degré d’intérêt de l’AAV dans ses redevances de concession [CONFIDENTIEL] [non souligné dans l’original].

[503] De plus, la preuve qu’a produite M. Brown, de Strategic Aviation, sous la forme d’un courriel qu’il a transmis le [CONFIDENTIEL] (Déclaration de M. Brown, à la pièce 9).

[504] Par ailleurs, [CONFIDENTIEL] (Déclaration de M. Norris, à la pièce 30). Dans le même ordre d’idées, [CONFIDENTIEL] [non souligné dans l’original] (Déclaration de M. Richmond, à la pièce 19). Le Tribunal signale que le [...] susmentionné [CONFIDENTIEL].

[505] Le membre non judiciaire de la formation, M. McFetridge, conteste le fait de considérer que le témoignage de M. Reitman mentionné au paragraphe 496 qui précède ne concorde pas avec d’autres éléments de preuve soumis au Tribunal. De l’avis de M. McFetridge, l’essentiel du témoignage de M. Reitman sur ce point est que la perte de revenus, quelle qu’elle soit, que l’on éviterait en évitant l’arrivée d’une nouvelle entreprise sur le marché, serait minime (c’est-à-dire, [CONFIDENTIEL] ou [CONFIDENTIEL] du montant total des revenus bruts de l’AAV en 2014) et qu’elle pourrait être compensée par un léger changement dans les redevances de concession (c’est-à-dire, une hausse [... d’un montant minime...]). M. McFetridge est d’avis que cette preuve ne dépend pas d’hypothèses au sujet d’un comportement maximisateur rationnel, pas plus qu’elle n’exige, pour son explication, un économiste de formation. De plus, il ne considère pas que la preuve documentaire dont il est question aux paragraphes 499 à 504 qui précèdent est incompatible avec le témoignage de M. Reitman, encore qu’il reconnaisse effectivement que l’on pourrait considérer que ces paragraphes donnent à penser que la direction de l’AAV aurait pu voir les choses différemment.

[506] Les membres judiciaires du Tribunal estiment que la preuve analysée plus tôt étaye la position du commissaire selon laquelle l’AAV a un ICP dans le marché des services de manutention parce qu’elle a un intérêt dans le niveau général des revenus qu’elle tire des redevances de concession que lui versent les entreprises de services de restauration à bord. De l’avis du Tribunal, cette preuve, considérée dans son ensemble, fournit un fondement factuel crédible et objectivement vérifiable qui permet de croire que l’AAV a un intérêt concurrentiel dans le marché des services de manutention. Comme [CONFIDENTIEL] cité au paragraphe 504 qui précède, l’AAV « [CONFIDENTIEL] ». À ce stade de l’évaluation, c’est-à-dire celui de l’examen préliminaire, les membres judiciaires du Tribunal considèrent que ce fait, de pair avec les autres preuves analysées plus tôt, suffit pour satisfaire au seuil de l’ICP et pour qu’il soit justifié de passer à l’évaluation des éléments énoncés aux alinéas 79(1)b) et c). M. McFetridge n’est pas de cet avis. Selon lui, bien que l’AAV ait un intérêt, d’une part, dans le fait de hausser ou, à tout le moins, de maintenir les revenus fondés sur les redevances de concession qu’elle tire des fournisseurs de services qui exploitent leurs activités à YVR et, d’autre part, dans leur rendement concurrentiel, la perte de revenus qu’il serait possible d’éviter en empêchant toute nouvelle entreprise d’entrer sur le marché des services de manutention est trop conjecturale, trop restreinte (en fait, négligeable en termes relatifs) et trop facilement compensée par de légers changements dans les redevances de concession pour être considérée comme un ICP pour les besoins de l’article 79.

[507] Compte tenu des conclusions qui précèdent, il est inutile que le Tribunal examine l’argument tardif qu’a invoqué le commissaire, à savoir que l’ICP de l’AAV est également ancré dans son incitation à hausser ses revenus aéronautiques en offrant un environnement concurrentiel stable aux entreprises de services de restauration à bord qui sont en place.

[508] Contrairement à la position de l’AAV, le Tribunal estime qu’il serait inapproprié, au stade de l’examen préliminaire de son évaluation, d’aller de l’avant et de déterminer si l’AAV était, en fait, motivée par le souhait de hausser ou de maintenir le niveau des revenus qu’elle tire de ses redevances de concession. Cela s’explique par le fait qu’une telle exigence entraînerait loin le Tribunal dans l’analyse de la justification commerciale légitime alléguée de l’AAV. En bref, le fait de déterminer si l’AAV était effectivement motivée par le souhait de hausser ou de maintenir les revenus qu’elle tire des redevances de concession est inextricablement lié à l’évaluation de la justification commerciale alléguée. On peut en dire autant de la preuve selon laquelle l’AAV s’est généreusement abstenue de hausser les redevances de concession jusqu’au niveau que facturent d’autres aéroports nord-américains. C’est donc dire que la preuve que l’AAV a fournie à l’appui de sa position sur ce point sera appréciée en lien avec l’évaluation, par le Tribunal, du fait de savoir si la nature générale ou l’objet prépondérant de la conduite reprochée de l’AAV étaient anticoncurrentiels, comme l’envisage l’alinéa 79(1)b) de la Loi.

[509] En plus de tout ce qui précède, l’AAV soutient que le commissaire n’a produit aucune preuve économique à l’appui de sa position selon laquelle elle a un ICP dans le marché des services de manutention et que cette omission, en soi, est fatale. Le Tribunal ne souscrit pas à ces deux arguments. Premièrement, M. Niels a bel et bien fait le témoignage d’expert auquel il est fait référence aux paragraphes 472 et 492 qui précèdent. Deuxièmement, les preuves émanant d’autres sources analysées plus tôt ont été suffisantes pour permettre au Tribunal de conclure que l’AAV a un ICP dans le marché des services de manutention. Le Tribunal n’avait pas besoin du témoignage de M. Niels pour arriver à cette conclusion.

d) La conclusion

[510] Pour les motifs énoncés plus tôt, les membres judiciaires du Tribunal concluent que l’AAV a un ICP dans le marché des services de manutention parce que la preuve, considérée globalement, et selon la prépondérance des probabilités, fournit un fondement factuel crédible et objectivement vérifiable qui permet de croire que l’AAV a un intérêt concurrentiel dans ce marché.

(2) La « nature générale » de la conduite reprochée de l’AAV était-elle anticoncurrentielle ou légitime? Dans la dernière éventualité, est-ce toujours le cas?

[511] Le Tribunal aborde maintenant la seconde étape de son analyse au regard de l’alinéa 79(1)b) de la Loi. Pour les raisons exposées en détail ci-après, il conclut, selon la prépondérance des probabilités, que la conduite reprochée n’est pas une pratique anticoncurrentielle qu’envisage cette disposition. Cela s’explique par le fait que la « nature générale » du refus de l’AAV d’autoriser Newrest et Strategic Aviation à avoir accès au côté piste à YVR était, et continue d’être, légitime plutôt qu’anticoncurrentielle.

[512] En bref, même si l’AAV avait, et continue d’avoir, l’intention d’exclure Newrest, Strategic Aviation et d’autres éventuelles nouvelles entreprises du marché des services de manutention, il ressort de la preuve qu’elle se souciait principalement du fait que l’octroi d’une autorisation à une ou plusieurs nouvelles entreprises donnerait lieu à trois risques bien réels. Premièrement l’AAV craignait que CLS ou Gate Gourmet quittent le marché des services de manutention, ne laissant que l’autre entreprise existante comme seul fournisseur à service complet. L’AAV avait des motifs raisonnables de croire que dans une telle éventualité ni Newrest ni Strategic Aviation ne remplaceraient entièrement l’entreprise disparue, du moins pendant un temps considérable. Deuxièmement, l’AAV s’inquiétait du fait que certaines sociétés aériennes et certains clients connaîtraient d’importantes perturbations sur le plan du service pendant une période de transition qui durerait au moins plusieurs mois. Troisièmement, l’AAV se préoccupait du fait que la concrétisation des deux premiers risques aurait un effet négatif sur sa capacité de rivaliser avec d’autres aéroports pour ce qui était d’attirer de nouvelles sociétés aériennes, de même que de nouvelles routes de la part de sociétés aériennes faisant déjà affaire avec elle, et que la réputation générale de YVR en souffrirait.

[513] Collectivement, ces sujets de préoccupation étaient et sont liés à des considérations proconcurrentielles ou d’efficience recevables, qui sont indépendantes des effets anticoncurrentiels que pourrait avoir la conduite reprochée. Compte tenu des conclusions tirées à la sous-section VII.E ci-après en lien avec l’alinéa 79(1)c), le Tribunal conclut que les effets anticoncurrentiels réels et raisonnablement prévisibles de la conduite reprochée ne sont pas disproportionnés par rapport à ces justifications proconcurrentielles et d’efficience. En fait, le Tribunal est convaincu que ces considérations commerciales légitimes, lorsqu’elles sont soupesées par rapport aux effets négatifs et exclusionnaires de la conduite de l’AAV, sont suffisantes pour les contrebalancer.

a) Le cadre analytique

[514] Le cadre analytique qui s’applique à l’évaluation que fait le Tribunal de l’alinéa 79(1)b) a été analysé en détail dans la décision TREB TC, aux paragraphes 270 à 318, et la CAF a confirmé qu’il s’agissait du bon cadre (arrêt TREB CAF, au par. 55). Il est inutile de le répéter ici. Pour les besoins des présentes, il suffit de réitérer les principes suivants, en y apportant les modifications qui s’imposent pour tenir compte du fait que l’AAV n’exerce aucune concurrence dans le marché des services de manutention.

[515] Les paramètres les plus fondamentaux du cadre analytique qui s’appliquent à l’alinéa 79(1)b) sont décrits comme suit dans la décision TREB TC :

[272] [...] l’appréciation effectuée au titre de l’alinéa 79(1)b) de la Loi vise à examiner le but de la pratique contestée et, expressément, la question de savoir si la pratique vise un effet négatif intentionnel sur un concurrent, lequel effet doit être abusif, ou viser une exclusion ou une mise au pas (Tuyauteries Canada CAF, aux paragraphes 67 à 72 et 77).

[273] L’expression « pratique » figurant à l’alinéa 79(1)b) est généralement interprétée de façon à envisager davantage qu’un acte isolé, mais plutôt des agissements constants, soutenus et systémiques ou visant à avoir un effet durable sur la concurrence (Tuyauteries Canada CAF, au paragraphe 60). De plus, différents agissements anticoncurrentiels individuels pris collectivement peuvent constituer une « pratique » (NutraSweet, au paragraphe 35).

[274] Dans ce contexte, l’intention subjective aura valeur probante et instructive, si elle est présente, mais il n’est pas nécessaire d’en faire la preuve (Tuyauteries Canada CAF, au paragraphe 70; Laidlaw, au paragraphe 334). Le Tribunal appréciera et pondérera plutôt tous les facteurs pertinents, y compris les « effets objectifs prévus ou raisonnablement prévisibles » du comportement, pour tenter de dégager la « nature générale » du comportement (Tuyauteries Canada CAF, au paragraphe 67). Dans cette appréciation, le défendeur sera réputé avoir recherché intentionnellement les conséquences de ses actes (Tuyauteries Canada CAF, aux paragraphes 67 à 70; Nielsen, au paragraphe 257).

[275] Il importe de souligner que l’appréciation vise à déterminer si le défendeur a, subjectivement ou objectivement, cherché à avoir un effet négatif intentionnel, abusif ou visant une exclusion ou une mise au pas sur un concurrent, plutôt que sur la concurrence. Même si les effets négatifs sur la concurrence peuvent être pertinents quand il s’agit d’établir la nature générale ou le but objectif d’une pratique contestée, il n’est pas nécessaire d’établir avec certitude un effet négatif réel sur la concurrence pour conclure que la pratique est anticoncurrentielle, au sens de l’alinéa 79(1)b). À ce stade, il s’agit d’établir l’existence de l’effet négatif intentionnel subjectif ou objectif sur au moins un concurrent. L’appréciation de l’effet réel ou présumé de la pratique contestée sur la concurrence s’effectue à l’étape finale de l’analyse, conformément à l’alinéa 79(1)c) (Tuyauteries Canada CAF, aux paragraphes 74 à 78).

[Souligné dans l’original.]

[516] Pour distinguer la nature générale d’une pratique contestée, il est important de prendre en compte et de soupeser tous les facteurs pertinents (arrêt Tuyauteries Canada CAF, au par. 78). Cela inclut les facteurs commerciaux légitimes que le défendeur peut avoir avancés. Ces facteurs doivent ensuite être pondérés en fonction des effets négatifs abusifs, exclusionnaires ou disciplinaires qui visent une intention subjective ou qui sont raisonnablement prévisibles à l’encontre d’un concurrent qui ont été établis (arrêt Tuyauteries Canada CAF, au par. 67; décision TREB TC, au par. 285).

[517] Dans la décision TREB TC, le Tribunal a développé davantage cet aspect de l’évaluation :

[293] En effectuant cette démarche de pondération, le Tribunal s’efforcera de vérifier si, selon la prépondérance des probabilités, les effets anti-concurrentiels réels ou raisonnablement prévisibles sont disproportionnés par rapport aux justifications relatives à l’efficience ou proconcurrentielles formulées par le défendeur; ou si suffisamment d’éléments de preuve convaincants démontrent que le défendeur était motivé davantage par des intentions anti-concurrentielles subjectives que par des considérations liées à l’efficience ou proconcurrentielles. Autrement dit, même avec des éléments de preuve démontrant que le défendeur avait une intention anti-concurrentielle subjective, la preuve doit démontrer de façon convaincante que le but premier des agissements était de nature anti‐concurrentielle. S’il y a des éléments de preuve d’une intention subjective et d’effets anti-concurrentiels réels ou raisonnablement prévisibles, le critère consiste à se demander si la preuve est suffisamment claire et convaincante pour démontrer que de telles motivations subjectives et des effets raisonnablement prévisibles (qui sont réputés avoir été recherchés), pris ensemble, l’emportent sur toute justification liée à l’efficience ou proconcurrentielle envisagée par le défendeur. En effectuant cette appréciation, le Tribunal tentera de voir si les motivations subjectives et celles qui sont attribuées au défendeur importaient davantage à celui-ci que la volonté de réaliser des gains en efficience ou de poursuivre d’autres objectifs proconcurrentiels.

[Non souligné dans l’original.]

[518] Aux fins de l’alinéa 79(1)b), une justification commerciale légitime doit être « une raison fondée sur l’efficience ou proconcurrentielle du comportement en question, raison attribuable au défendeur, qui se rapporte aux effets anticoncurrentiels et/ou à l’intention subjective de ce comportement et leur fait contrepoids » (arrêt Tuyauteries Canada CAF, au par. 73; arrêt TREB CAF, au par. 148). Autrement dit, pour être considérée comme légitime dans ce contexte, la justification commerciale doit non seulement fournir une raison proconcurrentielle ou fondée sur l’efficience qui soit crédible pour la pratique reprochée, mais elle doit aussi être liée au défendeur (arrêt TREB CAF, au par. 149; arrêt Tuyauteries Canada CAF, au par. 91). Il est possible d’établir un tel lien en faisant la démonstration, notamment, d’un ou plusieurs types de gains d’efficience que le défendeur est susceptible de réaliser par suite de la pratique reprochée, en établissant les améliorations apportées sur le plan de la qualité ou du service ou en expliquant par ailleurs de quelle façon la pratique en cause est susceptible d’aider le défendeur à exercer une meilleure concurrence (arrêt TREB CAF, au par. 149; décision TREB TC, aux par. 303 et 304). Même si cette exigence a été formulée antérieurement en fonction d’une meilleure façon de faire concurrence dans le marché pertinent, cela serait manifestement impossible si le défendeur n’exerçait aucune concurrence au sein de ce marché. Il faut donc considérer que cette exigence s’applique au(x) marché(s) dans lequel ou lesquels le défendeur livre concurrence.

[519] Il faut aussi que la justification commerciale soit indépendante des effets anticoncurrentiels de la pratique reprochée, qu’elle comporte plus que l’intérêt personnel du défendeur et qu’elle comprenne plus qu’une intention de profiter aux clients ou au client ultime (arrêt Tuyauteries Canada CAF, aux par. 90 et 91; décision TREB TC, au par. 294).

[520] L’existence d’une ou plusieurs justifications commerciales légitimes pour une conduite reprochée doit être établie, selon la prépondérance des probabilités, par la partie qui les avance (décision TREB TC, aux par. 429 et 430). Il incombe également à cette partie de montrer que les justifications commerciales légitimes l’emportent sur tout effet négatif et exclusionnaire de la conduite sur un concurrent et/ou l’intention subjective de l’agissement, de sorte que la nature générale ou l’objet prépondérant de la conduite reprochée n’était pas de nature anticoncurrentielle (arrêt Tuyauteries Canada CAF, aux par. 67, 73, 87 et 88; décision TREB TC, au par. 429).

b) Les positions des parties

(i) Le commissaire

[521] Dans ses actes de procédure initiaux, le commissaire a fait valoir que l’AAV s’est livrée et se livre à des pratiques d’agissements anticoncurrentiels par : i) son refus constant de permettre à des entreprises, dont Newrest et Strategic Aviation, d’avoir accès au côté piste dans le but de fournir des services de manutention à YVR, et ii) le fait de rattacher de manière constante l’accès au côté piste pour la fourniture de services de manutention à la location à bail de terrains à YVR en vue de l’exploitation d’installations de cuisine de l’air. Cependant, comme il a été indiqué plus tôt, le commissaire a mis l’accent, tout au long de l’audience, sur la première de ces deux allégations, c’est‐à-dire la conduite exclusionnaire. En fait, le commissaire n’a pas traité de la seconde de ses allégations à l’audience ou dans ses observations écrites finales.

[522] Le commissaire soutient que l’objet et l’effet visés des pratiques reprochées ont consisté et consistent à exclure de nouvelles entreprises qui souhaitent fournir des services de manutention à YVR. Il affirme de plus que cet effet était et continue d’être raisonnablement prévisible. Il signale que Newrest ou Strategic Aviation, ou les deux, ont eu accès au côté piste dans plusieurs autres aéroports canadiens.

[523] De plus, le commissaire soutient qu’aucune des explications que l’AAV a avancées pour justifier les pratiques reprochées sont des raisons proconcurrentielles ou fondées sur l’efficience crédibles qui sont indépendantes de leurs effets anticoncurrentiels. À cet égard, il affirme que l’AAV n’a produit aucune preuve de réduction de coûts ou d’autres gains d’efficience qu’elle a réalisés grâce aux pratiques reprochées. Il affirme de plus qu’avant de refuser de donner accès au côté piste à Newrest et à Strategic Aviation, l’AAV a procédé à une analyse inadéquate et superficielle sur laquelle elle s’est ensuite fondée pour justifier ses refus. Plus précisément, il déclare que l’AAV n’a pas demandé de renseignements qu’elle aurait pu aisément obtenir auprès des sociétés aériennes et ailleurs et qui auraient montré que ses inquiétudes quant à la viabilité de Gate Gourmet et de CLS face à de nouvelles entreprises n’étaient pas fondées.

[524] En tout état de cause, le commissaire indique que ces explications ne sont pas étayées par des preuves et ne l’emportent pas sur l’intention subjective de l’AAV d’exclure d’éventuelles entreprises, ou les effets exclusionnaires raisonnablement prévisibles ou prévus des pratiques reprochées. Il affirme donc que la nature générale de ces dernières est anticoncurrentielle.

(ii) L’AAV

[525] L’AAV soutient qu’elle ne s’est pas livrée à une pratique d’agissements anticoncurrentiels, au sens de l’alinéa 79(1)b) de la Loi.

[526] L’AAV soutient plutôt qu’elle avait (et continue d’avoir) des justifications commerciales proconcurrentielles valides et de nature à réaliser des gains d’efficience pour ne pas autoriser de nouvelles entreprises sur le marché, avant qu’elle décide en 2017 d’autoriser dnata à avoir accès au côté piste de YVR dans le but de fournir à cet endroit des services de manutention. Elle souligne que dans le cadre de l’exercice de son jugement commercial, éclairé par son expertise et son expérience, elle s’inquiétait (et s’inquiète toujours) du fait que la demande était insuffisante pour justifier l’entrée d’autres entreprises sur le marché des services de manutention à YVR. Quand l’AAV a tout d’abord refusé d’accorder l’accès au côté piste à Newrest et à Strategic Aviation en 2014, elle s’inquiétait du fait que l’état du marché des services de manutention demeurerait [traduction] « précaire », principalement à cause de la baisse radicale des revenus réalisés au sein de ce marché au cours des 10 années précédentes. Même si l’AAV a mené par la suite (en 2017) une étude de ce marché et a conclu qu’il pouvait à ce moment soutenir une troisième entreprise, elle continue d’être d’avis qu’à ce stade-ci le marché ne peut pas soutenir d’autres nouvelles entreprises.

[527] L’AAV affirme que sa préoccupation principale est de veiller à ce que les deux entreprises de services de restauration à bord qui existent à YVR (Gate Gourmet et CLS) soient capables de continuer d’exploiter leurs activités de manière efficiente. Ayant vécu le départ d’une entreprise (LSG) du marché des services de manutention en 2003, l’AAV dit qu’elle s’inquiétait, et qu’elle s’inquiète toujours, du fait que si l’on permettait à une ou plusieurs entreprises supplémentaires de fournir des services de manutention à YVR, l’une des entreprises en place, ou les deux, ne seraient plus viables. Par ailleurs, l’AAV a cru et croit toujours que si l’une de ces entreprises ou les deux venaient à quitter le marché, il serait difficile d’attirer un autre fournisseur de services de manutention à service complet [traduction] « sur place » à YVR et que les niveaux de qualité et de service au sein du marché en souffriraient donc.

[528] L’AAV ajoute que son principal objectif a été, en tout temps, de veiller à pouvoir retenir les sociétés aériennes et en attirer d’autres à YVR en leur offrant – en particulier, aux transporteurs long-courrier – un choix concurrentiel d’au moins deux entreprises de services de restauration à bord à YVR. Pour dire les choses différemment, l’AAV soutient qu’elle a toujours raisonnablement cru que la présence sur place, à YVR, d’entreprises de services de restauration à bord à service complet est importante pour assurer des niveaux optimaux de qualité et de service aux sociétés aériennes. Elle estime de plus que ce dernier aspect est important pour le bon fonctionnement de l’Aéroport dans son ensemble, ce qui inclut le fait de réaliser le mandat d’intérêt public, la mission et la vision de l’AAV. Par ailleurs, l’AAV se soucie du fait que si, à YVR, les sociétés aériennes sont incapables de répondre à leurs besoins en services de restauration à bord, YVR en subirait un grave préjudice sur le plan de ses activités et de sa réputation. Elle soutient que ce fait aurait une incidence négative sur les efforts qu’elle fait pour attirer de nouvelles routes et de nouveaux transporteurs, dont les transporteurs asiatiques.

[529] Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle elle a rattaché l’accès au côté piste à la location à bail de terrains, l’AAV indique que cela est faux et n’est étayé par aucun fondement factuel ou juridique.

[530] L’AAV soutient de plus que tout effet négatif exclusionnaire sur Newrest ou Strategic Aviation est compensé par ses justifications commerciales légitimes pour refuser d’accorder un accès au côté piste à d’autres nouvelles entreprises au sein du marché des services de restauration à bord à YVR.

[531] Quant à l’allégation selon laquelle elle n’a pas cherché des informations qu’elle aurait pu aisément obtenir auprès de sociétés aériennes et ailleurs, l’AAV indique qu’aucune de ces informations n’aurait pu l’aider à évaluer la situation financière de Gate Gourmet et de CLS à YVR. En tout état de cause, elle indique qu’elle avait des rapports réguliers avec des sociétés aériennes et que ces dernières, en général, n’étaient pas réticentes à l’idée de faire part de leurs préoccupations à l’AAV. De façon plus fondamentale, l’AAV soutient que tout défaut de sa part d’obtenir des informations supplémentaires avant de prendre la décision de refuser d’accorder un accès au côté piste à d’autres entreprises de services de restauration à bord ne mine pas la légitimité de son objectif déclaré et ne rend pas ce dernier anticoncurrentiel.

c) L’évaluation

(i) La « pratique »

[532] Le commissaire soutient que le refus constant de l’AAV de permettre à Newrest et à Strategic Aviation d’avoir accès au côté piste à YVR constitue une « pratique ». Le Tribunal est d’accord et fait remarquer en passant que l’AAV ne conteste pas ce point particulier.

(ii) L’intention d’exclure et les effets raisonnablement prévisibles

[533] Le commissaire estime que l’AAV avait expressément l’intention d’exclure Newrest et Strategic Aviation du marché des services de manutention, et que l’effet raisonnablement prévisible de son refus de les autoriser à avoir accès au côté piste pour charger des produits de restauration à bord des aéronefs et en décharger est – et continue d’être – qu’elles sont exclues du marché des services de manutention.

[534] Le Tribunal souscrit à cette opinion et comprend que l’AAV ne conteste pas ces observations particulières.

[535] Il ressort clairement du témoignage de MM. Richmond et Gugliotta qu’ils avaient l’intention subjective d’exclure Newrest et Strategic Aviation du marché des services de manutention à YVR, tant avant de décider d’autoriser une troisième entreprise (dnata) à avoir accès au côté piste pour fournir des services de manutention qu’après. Il est également tout à fait évident que l’effet raisonnablement prévisible de la conduite de l’AAV était – et est encore – que Newrest, Strategic Aviation et d’autres nouvelles entreprises possibles ont été exclues du marché des services de manutention.

[536] Cependant, cela ne met pas fin à l’examen mené en vertu de l’alinéa 79(1)b). Le Tribunal se doit d’évaluer si la « nature générale » ou l’« objet prépondérant » de la conduite exclusionnaire de l’AAV était – et est encore – de nature proconcurrentielle ou de nature à réaliser des gains d’efficience (arrêt Tuyauteries Canada CAF, aux par. 73, 87 et 88). À cet égard, l’AAV peut se soustraire à la conclusion qu’elle s’est livrée à une pratique d’agissements anticoncurrentiels au sens de l’alinéa 79(1)b) de la Loi en démontrant l’une des deux choses suivantes : i) qu’elle était motivée davantage par des facteurs proconcurrentiels ou fondés sur l’efficience que par des facteurs subjectifs ou réputés anticoncurrentiels (décision TREB TC, au par. 293), ou ii) que les effets anticoncurrentiels réels et raisonnablement prévisibles de la conduite reprochée ne sont pas disproportionnés par rapport aux raisons proconcurrentielles ou fondées sur l’efficience que le défendeur a mentionnées. Cette démonstration doit être faite au moyen de preuves claires et convaincantes, selon la prépondérance des probabilités.

[537] Le Tribunal traitera des justifications que l’AAV a avancées pour s’être livrée à la conduite exclusionnaire à la sous-section VII.D.2.c.iv ci-après.

(iii) Le fait de rattacher l’accès au côté piste à la location à bail de terrains à YVR

[538] Dans son avis de demande, le commissaire a fait valoir que l’AAV a pour pratique de rattacher l’autorisation d’accès au côté piste à YVR, dans le but de fournir des services de manutention, à la location à bail de terrains à l’Aéroport pour y exploiter des installations de cuisine de l’air.

[539] À l’appui de cette position, le commissaire a déclaré que les accords d’accès au côté piste que l’AAV a conclus avec Gate Gourmet et CLS prennent fin si et quand chaque entité, selon le cas, cesse de louer auprès de l’AAV des terrains à YVR en vue de l’exploitation d’une installation de cuisine de l’air. Le commissaire a affirmé de plus que l’AAV avait l’intention, de manière constante et délibérée, d’exclure de nouvelles entreprises du marché des services de manutention en exigeant que ces dernières louent à bail des terrains de l’Aéroport, plutôt que des terrains moins coûteux situés à l’extérieur de l’Aéroport, en vue de l’exploitation d’installations de cuisine de l’air.

[540] Cependant, comme il a été mentionné plus tôt, le commissaire n’a pas traité de cette allégation à l’audience, et il n’y a fait aucune référence dans ses observations finales, tant écrites qu’orales.

[541] S’exprimant au nom de l’AAV, M. Richmond a déclaré que cette dernière n’a jamais exigé que les entreprises de services de restauration à bord exploitent une cuisine de l’air à YVR pour pouvoir obtenir un permis de services de restauration à bord. Il a soutenu que l’AAV n’a simplement qu’une préférence à cet égard, parce qu’elle croit que le fait d’être située à YVR présente des avantages pour l’efficacité opérationnelle de l’Aéroport dans son ensemble. Cela consiste, notamment, à assurer des niveaux optimaux de qualité et de service aux sociétés aériennes et à leurs passagers. Le témoignage de M. Richmond est corroboré par le fait que l’AAV a porté son choix sur dnata lors du récent processus de DP qu’elle a mené après avoir décidé d’autoriser une troisième entreprise de services de restauration à bord à YVR, et ce, indépendamment du fait que la cuisine de l’air de dnata sera située à l’extérieur de YVR.

[542] En l’absence de preuves à l’effet contraire, le Tribunal souscrit au témoignage de M. Richmond et rejette cette allégation. Le reste de la décision est donc axé uniquement sur la conduite exclusionnaire.

(iv) Les justifications de l’AAV quant à la conduite exclusionnaire
· La preuve

[543] La preuve des justifications pour lesquelles l’AAV a exclu Newrest et Strategic Aviation du marché des services de manutention a été fournie principalement par MM. Richmond et Gugliotta, même s’ils ont joint les communications d’autres personnes en tant que pièces à leurs déclarations de témoin respectives. De plus, leur témoignage a été largement corroboré par d’autres participants de l’industrie, dont MM. Stent‐Torriani et Brown, ainsi que dans un courriel interne que se sont échangés deux employés de Jazz. (Il n’a pas été demandé à M. Reitman et à M. Niels d’évaluer les justifications de l’AAV, et ils n’ont donc pas été particulièrement utiles dans le cas de cette question). Même si l’AAV a demandé à M. Tretheway de traiter de cette question, son témoignage sur ce point a été jugé inadmissible, ainsi qu’il a été expliqué plus tôt, à la sous‐section IV.B.2. des présents motifs.

Les faits survenus en avril 2014

[544] M. Richmond a déclaré avoir pris connaissance pour la première fois de l’intérêt de Newrest à entrer sur le marché des services de manutention, et de sa demande connexe de renseignements sur le processus d’autorisation, le 31 mars 2014. À ce moment, M. Olivier Sadran, le co-chef de la direction de Newrest, lui a écrit pour donner suite à une demande que le gestionnaire national de Newrest au Canada, M. Frederic Hillion, avait faite à cet égard en décembre 2013. M. Richmond a expliqué qu’après avoir reçu la lettre de M. Sadran, il a jugé important de se familiariser de nouveau avec le [traduction] « marché des services de restauration à bord à YVR » pour qu’il puisse étudier convenablement la demande de renseignements de Newrest et y répondre (Déclaration de M. Richmond, au par. 93). À cette fin, plus tard le même jour, (le 31 mars 2014), il a demandé à deux employés de l’AAV qui avaient une certaine expertise en la matière de l’informer de l’état de ce marché.

[545] La première des deux personnes en question était M. Gugliotta, qui a commencé à travailler à YVR en 1985 et a acquis des connaissances et une expertise détaillées sur tous les aspects des activités de YVR, dont les services de restauration à bord. La seconde personne a été M. Raymond Segat, qui avait accumulé près de 20 ans d’expérience à titre de directeur du Développement des affaires et du Secteur des marchandises à YVR, dont la supervision des concessions de services de restauration à bord à l’Aéroport.

[546] Le lendemain de la demande de M. Richmond, M. Gugliotta a envoyé un courriel à M. Richmond. À ce courriel était jointe une chaîne d’autres courriels, dont ceux de M. Segat et de M. Eccott, lesquels avaient été envoyés plus tôt ce jour-là (le 1er avril 2014) et le jour précédent.

[547] Le courriel de M. Eccott décrivait, notamment [CONFIDENTIEL] [non souligné dans l’original], M. Eccott a déclaré « [CONFIDENTIEL] » (Déclaration de M. Richmond, à la pièce 19).

[548] Ces opinions concordaient avec les opinions antérieures que M. Eccott avait exprimées dans un courriel interne daté du 12 décembre 2013, après que l’AAV avait reçu la demande initiale de M. Hillion pour le compte de Newrest. À ce moment, M. Eccott avait déclaré ce qui suit (Déclaration de M. Richmond, à la pièce 15) :

[traduction] La redevance de concession est la même pour les deux exploitants actuels, et elle génère pour nous des revenus considérables. Néanmoins, depuis les huit dernières années le secteur des cuisines de l’air est aux prises avec des coupures, des marchés restreints, etc. la [sic] décision d’autoriser une troisième entreprise de cuisine de l’air à YVR devrait vraisemblablement être prise en haut lieu, même si, selon toute vraisemblance, nous ne le recommanderions pas.

[549] M. Richmond a dit s’être réuni avec M. Gugliotta pendant une heure environ, plus tard dans la journée du 1er avril 2014, pour discuter de la demande de Newrest. M. Richmond a résumé la réunion comme suit : [traduction] « M. Gugliotta a exprimé de sérieux doutes quant à l’effet que l’introduction d’une troisième entreprise de services de restauration pouvait avoir sur le marché des services de restauration à bord à YVR » (Déclaration de M. Richmond, au par. 98). Selon M. Richmond, ces doutes étaient partagés par d’autres personnes à l’AAV, dont MM. Segat et Eccott. Plus précisément, [traduction] « M. Gugliotta s’est dit inquiet qu’il n’y avait pas assez de demande à l’Aéroport pour soutenir trois entreprises de services de restauration et que, de ce fait, l’entrée d’une troisième entreprise pourrait amener une des entreprises en place, sinon les deux, à quitter le marché à YVR, en tout ou en partie, sans un remplaçant comparable » [non souligné dans l’original]. M. Richmond a ajouté : [traduction] « D’après les informations dont nous disposons à ce moment, nous considérons que le risque que cela survienne est important » (Déclaration de M. Richmond, au par. 99). M. Richmond a ajouté que [traduction] « un facteur qui n’a pas joué dans [sa] décision était celui de savoir si l’entrée ou l’exclusion d’une troisième entreprise de services de restauration aurait une incidence sur les revenus de l’AAV » et il a signalé que ces revenus [traduction] « n’ont jamais été pris en considération ni été l’objet d’une discussion lors de [sa] réunion avec M. Gugliotta » (Déclaration de M. Richmond, au par. 118).

[550] À titre de contexte et d’explication, M. Richmond a fourni les informations suivantes, qui représentent le compte rendu le plus complet des idées et des intentions qu’avait l’AAV à l’époque, de même que le contexte dans lequel ont été prises ses décisions concernant Newrest Canada et Strategic Aviation (Déclaration de M. Richmond, aux par. 101 à 118) :

[traduction]
101. Le marché des services de restauration à bord atteignait un objectif important pour l’AAV, c’est-à-dire, fournir un approvisionnement fiable en services de restauration à bord à service complet et à prix concurrentiels. Ce faisant, il aidait à attirer des sociétés aériennes à YVR et à mettre en valeur l’Aéroport pour l’avantage du public, ce qui se situe au cœur du mandat de l’AAV.

102. En même temps, il y avait de sérieuses raisons de croire que le marché des services de restauration à bord à YVR se trouvait dans un état précaire. Les 10 années antérieures avaient été tumultueuses pour l’industrie des services de restauration à bord au Canada, une industrie qui avait subi d’importantes baisses de la demande en services de restauration à bord. Au cours de cette période, de nombreuses sociétés aériennes avaient décidé de cesser de servir des repas frais aux passagers de la classe économique ainsi que sur les vols à courte distance (où les repas frais étaient auparavant la norme) et de les remplacer par des offres d’aliments à « acheter à bord ». Le service de repas frais était de plus en plus réservé aux vols outre-mer et au nombre nettement plus restreint de passagers de la première classe et de la classe affaires. Cela contribuait [CONFIDENTIEL].

103. De plus, l’industrie du transport aérien avait récemment subi plusieurs ralentissements économiques, ce qui avait eu une incidence marquée sur le trafic aérien et le nombre de passagers. Par exemple, au cours des 10 dernières années, l’industrie du transport aérien au Canada avait eu beaucoup de difficulté à maintenir le nombre de passagers à la suite d’événements tels que les attaques terroristes du 11 septembre 2001, l’épidémie de SRAS en 2003-2004, et la grave récession de 2008. Il y avait des signes que le nombre de passagers se stabilisait à la fin de 2013, mais cela était encore incertain au vu des informations dont nous disposions au début de 2014.

104. Il y avait auparavant trois entreprises de services de restauration à bord à YVR, mais pas depuis 2003. Il s’agissait de Cara Airline Solutions (aujourd’hui Gate Gourmet), CLS et LSG Sky Chefs (« Sky Chefs »). Sky Chefs approvisionnait principalement la société Canadien International, qui, à l’époque, était le deuxième transporteur en importance au Canada. Après l’acquisition de Canadien International, par Air Canada au début des années 2000, une part importante des activités de Sky Chefs ont été réorientées vers l’entreprise de services de restauration que privilégiait Air Canada à l’époque, Cara. Par suite de la diminution de ses activités que cela a occasionné, Sky Chefs a pris la décision de quitter YVR.

105. M. Gugliotta m’a informé que, après que Sky Chefs a quitté le marché en 2003, elle a tenté de louer la cuisine de l’air qu’elle exploitait à une autre entreprise de services de restauration à bord. Aucune entreprise de cette nature n’a repris le bail de Sky Chefs et, plus préoccupant encore, aucune ne l’a remplacée à YVR. Le départ de Sky Chefs, sans remplaçant équivalent, nous a indiqué que, en 2003, le marché des services de restauration à bord à YVR n’était pas capable de soutenir trois organismes de services de restauration.

106. Après le départ de Sky Chefs, l’AAV a continué d’avoir des doutes au sujet du marché des services de restauration à bord, même avec deux entreprises en place. M. Gugliotta a signalé que, pendant plusieurs années après le départ de Sky Chefs, l’AAV a maintenu les redevances de concession des deux entreprises de services de restauration à bord qui restaient à un niveau inférieur à ce que de nombreux autres aéroports facturaient, en partie à cause d’inquiétudes à propos de la viabilité financière de Gate Gourmet et de CLS.

107. Au vu de cet historique, M. Gugliotta et moi-même avons discuté de [CONFIDENTIEL]. À cet égard, un tableau illustrant les revenus des entreprises de services de restauration à bord à YVR, de 1999 à 2013, est joint ci-après en tant que pièce « 20 ».

108. M. Gugliotta et moi avons noté que [CONFIDENTIEL].

109. M. Gugliotta a souligné d’autres facteurs. Par exemple, il a fait remarquer que, [CONFIDENTIEL].

110. [CONFIDENTIEL].

111. Compte tenu de toutes ces informations, M. Gugliotta et moi avons examiné quelle serait l’incidence de l’introduction d’une nouvelle entreprise de services de restauration sur le marché des services de restauration à bord à YVR et, de façon plus générale, sur l’Aéroport dans son ensemble. En nous fondant sur les informations dont nous disposions, nous avons conclu que le marché des services de restauration à bord à YVR demeurait précaire et que l’entrée sur le marché d’une troisième entreprise présenterait le risque important qu’une des entreprises en place, ou les deux, quittent YVR.

112. Les conséquences du fait qu’une entreprise en place quitte YVR aurait été très problématique et peu favorable aux intérêts de l’Aéroport.

113. À tout le moins cela aurait sérieusement perturbé la disponibilité des services de restauration à bord à service complet à YVR. En particulier, le départ subit ou inattendu d’une entreprise existante aurait obligé des douzaines de sociétés aériennes à faire des pieds et des mains pour trouver un nouveau fournisseur pour des centaines de vols. Il y a plus de 400 vols qui quittent tous les jours YVR, et presque tous comptent sur une forme quelconque de services de restauration à bord. Pour la plupart des vols internationaux et des vols comptant des passagers de première classe, les services de restauration à service complet sont une obligation, pas une option. Les sociétés aériennes ne peuvent pas effectuer ces routes sans un service de restauration à bord à service complet, comprenant des repas frais. De plus, les sociétés aériennes ne peuvent pas arrêter ou suspendre leurs activités sur ces vols pendant qu’elles cherchent un nouveau fournisseur.

114. Trouver une nouvelle entreprise de services de restauration à bord n’est pas une tâche facile pour une société aérienne, surtout dans les cas où son fournisseur existant quitte le marché subitement ou de manière imprévue. D’autres fournisseurs de services de restauration à l’Aéroport, même s’ils offrent bel et bien la gamme complète des services que requiert la société aérienne, n’ont peut-être pas la capacité voulue pour absorber toutes les activités du fournisseur partant. Et même s’il est possible que l’une des entreprises de services de restauration à bord restante accroisse sa capacité ou étende ses offres de service, il pourrait s’écouler un temps considérable – voire des mois – pendant qu’il embauche et forme de nouveaux travailleurs ou agrandisse ses installations. Au cours de cette période, la fourniture de services de restauration à bord serait perturbée.

115. De plus, le fait qu’une nouvelle entreprise de services de restauration entre sur le marché n’est pas une tâche simple ou rapide, quelles que soient les circonstances, y compris le fait de remplacer une entreprise partante. Il y a de nombreuses mesures qu’une nouvelle entreprise doit prendre avant qu’elle puisse commencer à approvisionner les sociétés aériennes à YVR, comme se soumettre à de multiples contrôles de sécurité, obtenir les permis requis, embaucher et former les employés, dont des chauffeurs qui auront accès au côté piste, et établir une nouvelle installation de cuisine ou prendre en charge une installation existante. Là encore, ce processus prend un temps considérable.

116. Au vu de ces problèmes, M. Gugliotta et moi nous inquiétions du fait que, compte tenu des circonstances qui existaient à l’époque, le départ d’une entreprise de restauration à bord à service complet risquerait de perturber considérablement la fourniture des services de restauration à YVR. Ce fait aurait été des plus problématiques pour les sociétés aériennes, aurait porté atteinte à la réputation de YVR et aurait causé beaucoup plus de problèmes à l’AAV pour ce qui était d’attirer et de retenir des sociétés aériennes et des routes à YVR, ce qui est un élément clé de son mandat d’intérêt public.

117. Après avoir pris en considération la totalité des facteurs qui précèdent, M. Gugliotta et moi avons conclu qu’il n’était pas au mieux des intérêts de l’Aéroport d’accorder à ce moment-là un permis de services de restauration à bord supplémentaire.

118. Je dois souligner qu’un facteur qui n’a pas eu d’incidence sur ma décision a été celui de savoir si l’entrée ou l’exclusion d’une troisième entreprise aurait eu une incidence quelconque sur les revenus de l’AAV. Ces derniers n’ont jamais été pris en considération ou fait l’objet d’une discussion lors de la réunion que j’ai eue avec M. Gugliotta. Nous nous concentrions sur le maintien de la concurrence, du choix et de la fiabilité dans le marché des services de restauration à bord à YVR, ce qui était et est nettement plus important aux yeux de l’AAV que les revenus relativement faibles qu’elle reçoit des entreprises de services de restauration à bord par l’entremise des redevances de concession et des loyers.

[551] Selon le « tableau » mentionné au paragraphe 107 de la déclaration de témoin de M. Richmond qui précède, [CONFIDENTIEL].

[552] Lors de l’audition de la présente demande, il y a eu un désaccord entre les parties quant au fait de savoir si le « tableau » susmentionné (que l’on a aussi appelé un [traduction] « chiffrier électronique ») avait en fait été établi avant que M. Richmond rencontre M. Gugliotta le 1er avril 2014. Même si ces deux personnes ont soutenu qu’il s’agissait bel et bien du document dont ils avaient parlé, le commissaire a montré qu’il avait été établi le 9 mai 2014, au plus tôt, longtemps après la réunion. Néanmoins, se fondant sur l’explication de M. Gugliotta selon laquelle l’AAV établit des chiffriers électroniques semblables de manière constante, le Tribunal est convaincu que lors de leur réunion du 1er avril MM. Richmond et Gugliotta ont examiné une sorte de chiffrier électronique qui contenait des informations combinées sur les revenus touchés par les entreprises de services de restauration en place depuis un certain nombre d’années. Le Tribunal fait remarquer qu’indépendamment du moment où ce chiffrier électronique particulier a été créé, ce document a confirmé l’impression générale et le souvenir général qu’avaient MM. Richmond et Gugliotta au sujet de la situation financière des entreprises de services de restauration à bord qui étaient en place, à la réunion du 1er avril 2014.

Les échanges avec Newrest et Strategic Aviation

[553] Le 2 avril 2014, le lendemain de sa réunion avec M. Gugliotta, M. Richmond a écrit un courriel à M. Stent‐Torriani, de Newrest, qui indiquait ce qui suit (Déclaration de M. Richmond, à la pièce 21) :

[traduction]
Jonathan,

J’ai réexaminé la situation de nos entreprises de services de restauration à bord et, malheureusement, je ne pense pas que nous ayons besoin d’un autre fournisseur à ce stade-ci. Le marché stagne essentiellement depuis 10 ans, avec deux fournisseurs, et nos sociétés aériennes sont satisfaites de l’état de la concurrence.

Si vous souhaitez en parler davantage, je vous rencontrerais quand même avec plaisir le 9 ou le 10. Veuillez communiquer [...] pour fixer une heure.

Cordialement,

Craig Richmond

[554] Plus tard ce mois-là, M. Eccott a écrit un autre courriel interne à M. Segat au sujet d’une seconde demande d’accès au côté piste, relativement à la fourniture de services de manutention à YVR, cette fois-ci de M. Brown, de Strategic Aviation. Au début, M. Richmond n’a pas été mis au courant de cette demande. (Pendant un certain temps après la demande initiale du 1er avril 2014, M. Brown a eu affaire à d’autres personnes à l’AAV.) Pour les besoins de la présente espèce, les passages pertinents de ce courriel sont les suivants (Déclaration de M. Richmond, à la pièce 24) :

[traduction]
Ray – Comme suite à notre discussion antérieure, Brett a transmis un courriel de Mark Brown, de Strategic Aviation Services. Mark Brown est au service d’une entreprise qui serait intéressée à soumettre une offre dans le cadre d’une DP que Jazz (pas Westjet) a récemment lancée pour ses activités de cuisine de l’air dans tout le Canada. Si j’ai bien compris, le contrat consisterait essentiellement à charger des aliments préemballés à bord d’aéronefs de Jazz. Selon la situation actuelle à YVR, seules CLS et Gate Gourmet ont un permis de concession qui autorise ce service.

Mark a, semble-t-il, soumis à Steve Hankinson une question à propos de la possibilité d’obtenir un troisième permis de concession pour effectuer le travail. Malheureusement, cela va au cœur des doutes que nous avions auparavant, relativement à la demande d’informations du Groupe Newrest. C’est-à-dire, en nous fiant à l’expérience passée, nous ne croyons pas que YVR pourrait soutenir une troisième entreprise de cuisine de l’air. Cette dernière demande de la part de Strategic Aviation Services va dans le même sens et elle équivaudrait à un troisième exploitant de services de cuisine de l’air à YVR.

[555] Au cours du mois de mai 2014, M. Richmond a écrit des lettres à M. Stent‐Torriani ainsi qu’au président et chef de la direction d’Air Canada et à Jazz; ces lettres expliquaient de la même façon la décision de l’AAV de ne pas autoriser un troisième fournisseur de services de restauration à bord à avoir accès au côté piste à YVR.

[556] Le témoignage de M. Richmond au sujet du refus initial de l’AAV de délivrer des permis d’accès au côté piste à Newrest et à Strategic Aviation a été corroboré par M. Gugliotta, tant dans sa preuve écrite que lors de son témoignage devant le Tribunal.

[557] L’essentiel du témoignage de M. Gugliotta figure dans le passage suivant, extrait de sa déclaration de témoin (Déclaration de M. Gugliotta, aux par. 94 à 96) :

[traduction]
94. Notamment, nous nous inquiétions des sérieuses perturbations sur le plan du service qui suivraient le départ de l’une ou l’autre des entreprises de services de restauration en place. Ce départ perturberait les activités des sociétés aériennes desservies par ce fournisseur. Ces sociétés aériennes se retrouveraient à devoir signer un contrat avec un nouveau fournisseur à un moment où, en raison de ses besoins pressants, elle aurait moins de pouvoir de négociation. Une nouvelle entreprise doit aussi obtenir les permis nécessaires pour que ses chauffeurs puissent avoir accès au côté piste de l’aéroport et servir les sociétés aériennes, et elle doit aussi redoubler d’efforts pour servir les sociétés aériennes que servait antérieurement l’entreprise partante.

95. Le remplacement d’un fournisseur de services qui a fermé ses portes comporte des coûts transactionnels pour l’Aéroport, dont les coûts liés à la délivrance d’un permis et à l’établissement de systèmes de comptabilité pour une nouvelle entreprise. De plus, le départ d’un fournisseur de services qui est aux prises avec des difficultés financières créera souvent de sérieuses perturbations sur le plan transitionnel, car l’Aéroport sera forcé de faire affaire avec des créanciers et des réclamations concurrentes à l’égard des biens de cette entreprise.

96. De plus, le départ subit ou inattendu d’un fournisseur de services important peut avoir une influence négative sur la réputation qu’a l’aéroport sur le plan de la stabilité, de fiabilité et de l’efficacité de ses activités, une chose qui peut avoir une incidence défavorable sur les efforts qu’il fait pour encourager les sociétés aériennes à créer de nouvelles routes.

[558] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer que des facteurs liés à la logistique, à la sécurité et à la sûreté n’ont pas occupé une place importante dans le témoignage qu’ont fait MM. Richmond et Gugliotta au sujet des intentions qu’avait l’AAV à cette époque.

[559] Comme il est indiqué au paragraphe 543 qui précède, le témoignage de MM. Richmond et Gugliotta au sujet de la justification donnée par l’AAV pour refuser d’accorder à Newrest et à Strategic Aviation l’accès au côté piste a été corroboré de façon générale par MM. Stent‐Torriani et Brown. Même si ces personnes ne souscrivaient pas aux raisons données par l’AAV pour refuser l’accès au côté piste, elles ont confirmé qu’il s’agissait bien des raisons que l’AAV avait données à l’époque pertinente. En bref, M. Stent‐Torriani a expliqué que quand il avait rencontré M. Richmond, il s’était fait dire que [CONFIDENTIEL] (Déclaration de M. Stent‐Torriani, au par. 46). [CONFIDENTIEL] (Déclaration de M. Stent‐Torriani, au par. 46).

[560] M. Brown, quant à lui [CONFIDENTIEL], a déclaré ce qui suit (Transcription, Conf. B, 5 octobre 2018, à la p. 342) :

[traduction] La question était – la discussion a toujours été, dans mon esprit, de protéger les revenus, ils ne pouvaient pas autoriser – ils pensaient que parce qu’il y avait moins de demande, selon eux, à l’égard des services de restauration à l’aéroport, parce que LSG avait fermé ses portes, qu’ils devaient protéger les deux entreprises de restauration en place et qu’ils s’inquiétaient du fait qu’à cause de la présence d’une troisième compagnie, l’une de ces compagnies ne serait plus viable.

[561] Le Tribunal reconnaît que M. Brown a également déclaré que [CONFIDENTIEL] (pièce CR-031, courriel de [CONFIDENTIEL] daté du 27 juin 2014).

[562] Au cours des mois qui ont suivi, MM. Stent‐Torriani et Brown ont continué de faire pression sur M. Richmond et d’autres à l’AAV en vue d’obtenir l’autorisation d’accéder au côté piste à YVR. Malgré leurs demandes répétées d’accès au côté piste à YVR, l’AAV a maintenu sa position selon laquelle le niveau de la demande en services de restauration à bord à l’Aéroport n’était pas suffisant pour soutenir une troisième entreprise.

[563] Notamment, les communications qui ont eu lieu au cours de cette période comprennent un courriel destiné à MM. Richmond, Gugliotta et Hankinson, daté du 13 août 2014 et dans lequel M. Brown souligne que [traduction] « Strategic Aviation/Sky Café ne concurrenceront jamais » Gate Gourmet et CLS pour les repas de la première classe et de la classe affaires que servent les grandes sociétés aériennes internationales. Dans cette optique, M. Brown a soutenu que l’entrée de Strategic Aviation sur le marché des services de manutention [traduction] « minimiserait tout impact négatif sur les détenteurs de permis existants, tout en envoyant le message que les niveaux de service et les prix doivent s’améliorer » (Déclaration de M. Richmond, à la pièce 37). En réponse à une question des membres de la formation, M. Brown a expliqué qu’il serait [CONFIDENTIEL] (Transcription, Conf. B, 5 octobre 2018, aux p. 342 et 343). En contre‐interrogatoire, il a ajouté que [CONFIDENTIEL]. Pour les besoins de la présente espèce, le Tribunal signale que cette preuve confirme les doutes de l’AAV que si l’entrée de Strategic Aviation se soldait par le départ de CLS ou de Gate Gourmet, il ne resterait qu’un seul fournisseur de services de restauration à service complet au sein du marché des services de manutention à YVR. À cet égard, M. Richmond a déclaré que [CONFIDENTIEL] (Déclaration de M. Richmond, au par. 142).

[564] Le Tribunal fait remarquer en passant que, le 5 août 2014, MM. Richmond et Gugliotta se sont entretenus au téléphone avec le président et chef de la direction de Jazz, M. Joseph Randell, pour [traduction] « entendre directement les préoccupations de Jazz ». M. Richmond a déclaré qu’il ne se souvenait pas clairement de cet appel téléphonique, mais qu’il savait que ce que M. Randell lui avait dit n’avait pas changé son [traduction] « opinion quant au fait de savoir s’il était au mieux des intérêts de l’Aéroport d’accorder un permis à une troisième entreprise de services de restauration en général, ou d’en accorder un à Strategic précisément » (Déclaration de M. Richmond, au par. 149). M. Gugliotta a ajouté que M. Richmond et lui ont expliqué à M. Randell que [traduction] « à YVR, le marché des services de restauration à bord n’était pas suffisamment viable pour soutenir une troisième entreprise de services de restauration et [...] que si une troisième entreprise absorbait une part des activités de CLS et de Gate Gourmet, elles ne seraient pas capables de rester financièrement viables ». M. Gugliotta a ajouté que [traduction] « M. Randell n’a pas fait d’autres commentaires en réponse à ces arguments » (Déclaration de M. Gugliotta, au par. 125). [CONFIDENTIEL] (Déclaration de Mme Bishop, à la pièce 14).

La note d’information d’août 2014

[565] Plus tard au mois d’août 2014, M. Gugliotta a rédigé une note d’information à l’intention de M. Richmond, intitulée [traduction] « Activités de cuisine de l’air à YVR (la « Note d’information d’août 2014 »). La conclusion de ce document est la suivante :

  • Deux exploitants de cuisine de l’air à YVR semblent être le nombre viable à ce stade-ci.

  • Les cuisines de l’air actuelles ont une capacité suffisante pour soutenir d’autres activités.

  • À YVR l’environnement est concurrentiel, car les deux exploitants ont indiqué qu’ils présenteraient des offres défiant toute concurrence pour n’importe quelle occasion commerciale à l’aéroport.

  • Le modèle des entreprises de services de restauration a subi de profonds changements et YVR se doit de veiller à conserver un cadre durable, de manière à ce que les exploitants en place puissent fonctionner avec succès et que les sociétés aériennes continuent de bénéficier à YVR d’un service concurrentiel de classe mondiale.

  • Il semble que Gate Gourmet répondra aux préoccupations et aux exigences de Jazz.

  • Il faudra que nous répondions à l’allégation de Newrest que le refus de YVR de lui délivrer un permis est un geste anticoncurrentiel.

[Non souligné dans l’original.]

[566] M. Richmond a déclaré qu’il était d’accord avec les conclusions qui précèdent et que les renseignements supplémentaires qui figuraient dans la Note d’information d’août 2014 ne dissipaient pas ses préoccupations principales quant au niveau de la demande en services de restauration à YVR. Il s’agissait plus précisément de [traduction] « la question de savoir si la demande était suffisante pour soutenir trois entreprises de services de restauration » et des [traduction] « conséquences défavorables possibles pour l’Aéroport dans son ensemble si l’AAV venait à délivrer à ce moment-là un troisième permis d’entreprise de services de restauration à bord, et si l’une des entreprises en place serait de ce fait vouée à l’échec » (Déclaration de M. Richmond, au par. 165).

[567] Cela dit, M. Richmond a ajouté qu’il a toujours été d’avis [traduction] « que, s’il y survenait des changements sur le marché qui dénotaient que YVR pouvait soutenir trois entreprises de services de restauration, ce serait cette option-là qu’il préfèrerait, car elle offrirait plus de choix aux sociétés aériennes tout en favorisant l’objectif de l’AAV, qui était de maintenir un marché concurrentiel et durable pour les services de restauration à bord » (Déclaration de M. Richmond, au par. 166).

[568] Le même mois (août 2014), [CONFIDENTIEL] (Déclaration de M. Richmond, au par. 161). [CONFIDENTIEL].

[569] En ce qui concerne CLS, M. Gugliotta a déclaré que le directeur général de CLS, M. David Wainman, l’avait informé que cette société « [CONFIDENTIEL] » (Déclaration de M. Gugliotta, au par. 133).

[570] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour signaler que les préoccupations de l’AAV quant à la capacité de CLS et de Gate Gourmet de subir la perte d’une partie de leurs activités au profit d’une ou de plusieurs nouvelles entreprises sur le marché des services de manutention ont aussi été corroborées dans [CONFIDENTIEL] (pièce CR‐075, courriel de M. Ken Colangelo daté du 8 août 2014). En contre-interrogatoire, il a confirmé que [CONFIDENTIEL].

[571] Au mois d’août de l’année suivante, M. Stent‐Torriani a écrit de nouveau à M. Richmond. À ce moment-là, Newrest souhaitait avoir accès au côté piste à YVR afin de pouvoir présenter une offre liée aux activités d’Air Transat à cet endroit, dans le cadre du processus de DP de 2015 de cette société. En réponse à cette lettre, M. Richmond a déclaré, notamment, que l’AAV avait besoin de [traduction] « s’assurer que l’on établisse des situations concurrentielles et financièrement durables dans plusieurs secteurs, notamment celui des services fournis aux sociétés aériennes » (Déclaration de M. Richmond, à la pièce 41). Répondant à la suggestion de M. Stent‐Torriani que Newrest serait disposée à servir les sociétés aériennes à partir d’installations situées à l’extérieur de YVR, ainsi qu’à payer [traduction] « des frais d’accès à l’aéroport équivalents à ceux que les deux fournisseurs actuels paient à l’AAV », M. Richmond a déclaré (Déclaration de M. Richmond, à la pièce 41) :

[traduction] [...] ce modèle minerait beaucoup les investissements très précieux que ces deux fournisseurs ont faits à l’Aéroport, des investissements qui, selon ce que l’AAV a déterminé, sont efficaces et à l’avantage du public. Cela étant, le modèle que propose Newrest aurait une incidence nettement négative sur la capacité des fournisseurs actuels de rivaliser avec Newrest, et il menacerait les niveaux d’investissement et de service que l’AAV a obtenus par contrat en vue de favoriser l’intérêt du public.

Les événements de 2017

[572] En janvier 2017, M. Richmond a donné instruction à M. Norris, vice-président, Développement commercial, à l’AAV d’effectuer une étude sur le « marché » des services de restauration à bord à l’AAV et de recommander s’il était dans l’intérêt de l’AAV de compter seulement sur deux entreprises de services de restauration à bord ou d’autoriser la présence d’autres fournisseurs. (M. Norris a succédé à M. Gugliotta, qui a pris sa retraite de l’AAV en 2016.) Cette mesure a été prise après que le commissaire eut déposé la présente demande auprès du Tribunal, et après que le trafic de passagers à l’AAV eut augmenté d’environ 18 millions (en 2013) à environ 22,3 millions (en 2016).

[573] En fin de compte, l’étude menée par M. Norris a donné lieu à la rédaction du Rapport sur les cuisines de l’air, dans lequel il a été recommandé que l’AAV envisage de délivrer au moins un permis supplémentaire à une entreprise de services de restauration à bord à YVR. Plus précisément, l’ébauche de Rapport sur les cuisines de l’air recommandait que [CONFIDENTIEL] (Déclaration de M. Richmond, à la pièce 48, p. 3). Selon M. Richmond, le seul commentaire important qu’il avait fait au sujet de l’ébauche de ce rapport, avant de le transmettre au conseil d’administration de l’AAV, était de remplacer les mots [traduction] « envisage de délivrer » par le mot [traduction] « délivre » de façon à donner à la recommandation un caractère plus définitif (Déclaration de M. Richmond, au par. 186).

[574] Après que [CONFIDENTIEL] entreprises eurent répondu à une demande d’expression d’intérêt, chacune a été invitée à participer à un processus de DP officiel. Ces entreprises étaient [CONFIDENTIEL].

[575] Les critères d’évaluation que le comité d’évaluation de l’AAV a établis incluaient des facteurs tels que [CONFIDENTIEL].

[576] En novembre 2017, le comité d’évaluation a recommandé à l’unanimité que dnata soit retenue comme proposante privilégiée, sous réserve d’activités de diligence raisonnable qu’il restait au comité à exécuter. Au cours du même mois, un conseiller en équité externe a passé en revue le processus de DP de 2017 de l’AAV et a conclu que celui-ci avait été équitable et raisonnable. Le comité d’évaluation a donc recommandé dnata, et cette société a ensuite été approuvée par M. Richmond et le conseil d’administration de l’AAV, même si elle proposait d’exploiter ses activités à partir d’une installation située à l’extérieur de l’Aéroport.

[577] Lors de l’audition de la présente demande, MM. Richmond et Norris ont déclaré que dnata était censée entreprendre ses activités à YVR au début de l’année 2019.

· La légitimité des justifications de l’AAV

[578] Le commissaire soutient qu’aucune des explications que l’AAV a avancées pour justifier la conduite exclusionnaire constitue une raison proconcurrentielle ou fondée sur l’efficience qui est recevable pour l’AAV et indépendante des effets anticoncurrentiels de cette conduite. Le Tribunal n’est pas de cet avis.

[579] Pour ce qui est des gains d’efficience, le commissaire affirme que l’AAV n’a pas produit de preuve établissant que le fait d’exclure de nouvelles entreprises (dont Newrest et Strategic Aviation) du marché des services de manutention lui permettrait vraisemblablement de réaliser des réductions de coût, des améliorations sur le plan de la technologie ou de la production ou des améliorations sur le plan des services. Dans le même ordre d’idées, pour ce qui est de la concurrence, le commissaire indique que l’AAV n’a produit aucune preuve montrant en quoi le fait d’exclure de nouvelles entreprises du marché des services de manutention permettait à l’AAV d’offrir aux sociétés aériennes de meilleurs prix ou un meilleur service. Il ajoute que le souhait de l’AAV d’éviter toute perturbation repose simplement sur son intérêt personnel à majorer ses revenus en attirant de nouvelles routes.

[580] Cependant, il ressort des preuves que MM. Richmond et Gugliotta ont produites que l’AAV ne se soucie pas seulement d’attirer de nouvelles routes. Comme nous le verrons plus loin, ces preuves montrent que la justification qu’elle a invoquée pour refuser d’accorder à Newrest et à Strategic Aviation un accès au côté piste à YVR comportait trois aspects distincts. Le Tribunal reconnaît que les motivations de l’AAV n’incluaient peut-être pas la réalisation de gains d’efficience dans le cadre de ses propres activités, par exemple, en lien avec des réductions de coût sur le plan de la production ou de l’exploitation, des améliorations sur le plan de la technologie ou des processus de production ou de l’amélioration des produits, ou des améliorations sur le plan de la qualité des services. Cependant, des justifications commerciales légitimes peuvent également revêtir d’autres formes, dont des explications proconcurrentielles quant à la raison pour laquelle on s’est livré à une conduite reprochée. Il est nécessaire de prendre en considération la totalité des circonstances (décision TREB TC, au par. 295).

La préservation de la concurrence

[581] Le premier – et principal – aspect de la justification de l’AAV a été formulé de la meilleure façon par M. Richmond au stade des interrogatoires préalables. Quand on lui a demandé quelle était l’intention de l’AAV quand elle a décidé de ne pas délivrer de permis à Newrest et Strategic Aviation, M. Richmond a répondu ceci (pièce CA-096, extrait du Mémoire du commissaire, volume I, à la p. 1783) :

[traduction] L’intention était de préserver deux entreprises de services de restauration à [YVR] de façon à maintenir cette concurrence et à ne pas courir le risque bien réel que, à notre avis, l’une de ces entreprises à service complet ferme ses portes.

[582] Cette preuve concorde avec le témoignage qu’a fait M. Richmond devant le Tribunal, à savoir que l’AAV s’inquiétait du fait d’être [traduction] « coincée avec une entreprise de services de restauration à service complet et une entreprise de services de restauration à service partiel, si l’on veut. Et il y aurait alors une seule entreprise qui dominerait le marché, et qui serait capable ou pas de répondre à tous les besoins de toutes les autres sociétés aériennes [...] » (Transcription, Conf. B, 30 octobre 2018, aux p. 885 et 886). Dans sa déclaration de témoin, M. Richmond a expliqué que, lors de sa réunion avec M. Gugliotta le 1er avril 2014, [traduction] « M. Gugliotta s’est dit inquiet qu’il n’y avait pas assez de demande à l’Aéroport pour soutenir trois entreprises de services de restauration et que, de ce fait, l’entrée d’une troisième entité pourrait amener l’une des deux entreprises en place, sinon les deux, à quitter le marché à YVR, en tout ou en partie, sans remplaçant comparable » [non souligné dans l’original] (Déclaration de M. Richmond, au par. 99).

[583] Dans la mesure où l’AAV se souciait de préserver deux entreprises de services de restauration à service complet et d’éviter le risque de se retrouver avec une seule entreprise à service complet dans le marché des services de manutention, sa motivation pour refuser d’accorder un accès au côté piste à Newrest et à Strategic Aviation était de nature proconcurrentielle, plutôt qu’anticoncurrentielle. Son souci n’était pas de maintenir deux entreprises à service complet plutôt d’autoriser trois entreprises de cette nature, ou plus, à s’installer. Son souci consistait plutôt à maintenir deux entreprises à service complet plutôt que de prendre le risque de se retrouver dans une situation où il n’y aurait qu’une seule entreprise de cette nature, même pendant une courte période. Autrement dit, elle croyait qu’elle préservait la concurrence, le choix et la fiabilité pour les sociétés aériennes.

La protection de la réputation de YVR

[584] Le premier aspect de la justification de l’AAV était et est toujours lié à un second facteur : l’AAV se préoccupait dans une large mesure du fait que sa réputation en souffrirait si les sociétés aériennes subissaient de graves conséquences négatives par suite de l’entrée sur le marché d’une autre entreprise de services de restauration et du départ possible de CLS ou de Gate Gourmet Canada. Comme il est indiqué aux paragraphes 112 à 116 de la déclaration de témoin de M. Richmond (lesquels sont reproduits au paragraphe 550 qui précède), l’AAV s’inquiétait du fait que le départ d’une entreprise [traduction] « [...] risquerait de perturber considérablement la fourniture des services de restauration à YVR [...]. Ce fait aurait été des plus problématiques pour les sociétés aériennes, aurait porté atteinte à la réputation de YVR et aurait causé beaucoup plus de problèmes à l’AAV pour ce qui était d’attirer et de retenir des sociétés aériennes et des routes à YVR, ce qui est un élément clé de son mandat d’intérêt public » (Déclaration de M. Richmond, au par. 116). Pour ce qui était de la réputation de YVR, M. Gugliotta a expliqué que l’AAV se préoccupait du fait que la perturbation qui pourrait être associée au départ subit ou imprévu de l’une des entreprises de services de restauration à bord en place puisse avoir un effet défavorable sur la « réputation [de l’AAV] » sur le plan de la stabilité, de la fiabilité et de l’efficacité de ses activités » et, par conséquent, de ses [traduction] « efforts pour encourager les sociétés aériennes à établir de nouvelles routes » à YVR (Déclaration de M. Gugliotta, au par. 96). Dans cette optique, il a été [traduction] « conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’Aéroport de délivrer un permis de services de restauration à bord supplémentaire à ce moment-là » (Déclaration de M. Richmond, au par. 117).

[585] En bref, en évitant la sérieuse perturbation qui, croyait-elle, serait associée au départ de Gate Gourmet ou de CLS du marché des services de manutention, l’AAV souhaitait éviter le préjudice pour sa réputation que l’on aurait associé à ce qui équivalait à une réduction du niveau de service ou de qualité assuré aux sociétés aériennes et à leurs clients à YVR. Les niveaux de service et de qualité fournis aux sociétés aériennes au sein du marché des services de manutention sont des dimensions importantes de la concurrence qui, s’inquiétait l’AAV, auraient été négativement touchés par le départ de Gate Gourmet ou CLS. En fait, on peut raisonnablement inférer de l’inquiétude de l’AAV quant à la possibilité qu’il n’y ait qu’une seule entreprise de services de restauration à bord à service complet à YVR que l’AAV se souciait également, de façon plus générale, de l’effet négatif que pourrait avoir sur sa réputation l’existence d’un monopole sur le plan de la fourniture de services de manutention aux sociétés aériennes internationales. Par ricochet, l’AAV s’inquiétait du fait que ces effets négatifs sur sa réputation porteraient préjudice à sa capacité d’inciter les sociétés aériennes à établir de nouvelles routes à YVR, plutôt qu’ailleurs.

[586] Dans la mesure où cette inquiétude implique la capacité de YVR de rivaliser avec d’autres aéroports en vue de l’obtention de nouvelles routes, elle constitue une seconde raison proconcurrentielle légitime qui n’a rien à voir avec un objet anticoncurrentiel et qui a avec l’AAV un lien qui va au-delà du seul intérêt propre de cette dernière (arrêt Tuyauteries Canada CAF, aux par. 90 et 91). Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour signaler que M. Niels a admis en contre‐interrogatoire qu’il n’est pas nécessaire de constater que l’AAV est limitée par la concurrence exercée avec d’autres aéroports pour conclure qu’elle veut attirer de nouvelles sociétés aériennes à YVR.

Éviter de perturber les sociétés aériennes

[587] Le troisième aspect de la justification légitime de l’AAV avait trait à son souhait d’éviter le risque que des aéronefs quittent l’aéroport sans avoir à bord de repas suffisants, ou de repas de qualité supérieure. Le Tribunal considère qu’il s’agit là d’une raison fondée sur l’efficience et recevable pour se livrer à la conduite exclusionnaire. Cela s’applique également au souhait de l’AAV d’éviter certains des autres coûts transactionnels associés au départ d’une entreprise qu’ont relevés MM. Richmond et Gugliotta, par exemple, aux paragraphes 114 et 115 et 94 à 96 de leurs déclarations de témoin respectives (ces paragraphes sont reproduits aux paragraphes 550 et 557 qui précèdent). Ces raisons proconcurrentielles et fondées sur l’efficience n’étaient pas liées à un objet anticoncurrentiel, et ne le sont toujours pas.

[588] Par contraste avec les avantages du Programme des distributeurs stockistes qui était en litige dans l’arrêt Tuyauteries Canada CAF, ces raisons n’étaient pas uniquement liées à une amélioration du bien-être des consommateurs (arrêt Tuyauteries Canada CAF, au par. 90). Comme il a été signalé plus tôt, il y avait et il y a toujours un lien important avec l’AAV qui va au-delà de l’intérêt propre de cette dernière.

[589] Le Tribunal reconnaît que l’AAV n’a produit aucune preuve directe de la part des sociétés aériennes elles-mêmes pour établir que le risque de perturber le niveau de service ou de qualité au sein du marché des services de manutention était un sujet qui préoccupait les sociétés aériennes exploitant leurs activités à YVR, ou que la présence de deux entreprises de services de restauration à service complet avait une incidence sur la décision de n’importe quelle société aérienne d’utiliser YVR comme aéroport de départ ou d’y créer une ou plusieurs routes nouvelles. Une telle preuve aurait été utile. De la même façon, l’AAV n’a produit aucune preuve permettant d’établir que le départ de LSG du marché des services de manutention à YVR en 2003, ou le départ d’une entreprise de services de restauration à bord à l’aéroport d’Edmonton entre 2015 et 2017, avaient causé des effets perturbateurs. Cependant, l’absence d’une telle preuve n’exclut pas la légitimité de ce que le Tribunal considère comme une préoccupation véritable de l’AAV quant au fait de préserver deux entreprises de services de restauration à service complet, d’éviter de perturber la fourniture des services de restauration à bord aux sociétés aériennes et à leurs clients, et de ne pas porter atteinte à sa réputation.

[590] Le Tribunal fait remarquer en passant que d’autres éléments de preuve produits dans le cadre de la présente instance corroborent la position de l’AAV selon laquelle toute perturbation dans le niveau des services de restauration à bord qui sont fournis dans un aéroport peuvent avoir une incidence négative marquée sur les sociétés aériennes et leurs clients. En particulier, [CONFIDENTIEL] (Transcription, Conf. B, 9 octobre 2018, à la p. 348). En contre‐interrogatoire, [CONFIDENTIEL] (Transcription, Conf. B, 3 octobre 2018, à la p. 147).

[591] [CONFIDENTIEL] (Transcription, Conf. B, 5 octobre 2018, à la p. 304). [CONFIDENTIEL] (pièce CR-032, lettre de [CONFIDENTIEL] datée du 14 juillet 2016).

[592] Outre ce qui précède, Mme Stewart a décrit un éventail d’effets négatifs potentiels auxquels Air Transat a été confrontée quand Gate Gourmet s’est trouvée aux prises avec un conflit de travail au cours de l’été de 2016. Ces effets négatifs ont été suffisamment importants pour Air Transat qu’elle demande à l’AAV d’accorder une autorisation provisoire à la division Sky Café de Strategic Aviation afin que celle-ci puisse fournir des services de restauration à bord à YVR. À cet égard, Mme Stewart a déclaré (Déclaration de Mme Stewart, au par. 40) :

[traduction] J’ai expliqué à M. Parson [de l’AAV] les répercussions très néfastes sur le plan de la santé, de la sécurité et de l’expérience passagers qui surviendraient en cas de perturbation du service de Gate Gourmet. J’ai mentionné que les vols long-courrier d’Air Transat auraient une grande quantité de déchets internationaux pour lesquels il n’y aurait pas d’option d’élimination autorisée au moment de l’arrivée à YVR, qu’il faudrait que ces déchets soient ramenés vers l’Europe et que le plus qu’Air Transat pourrait faire, en termes d’autoapprovisionnement, serait d’offrir aux passagers un maigre sac-repas. J’ai expliqué de plus que, dans de telles circonstances, Air Transat serait contrainte d’évaluer si elle pouvait continuer d’exploiter des vols long-courrier à YVR pendant la période que durerait n’importe quelle perturbation des services de restauration à bord.

[593] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour signaler que si dnata a bel et bien entrepris ses activités à YVR en janvier 2019, cela équivaudrait à un délai d’environ 11 mois à compter du moment où sa candidature a été retenue dans le cadre du processus de DP de l’AAV. [CONFIDENTIEL] (Transcription, Conf. B, 4 octobre 2018, à la p. 213). À cet égard, [CONFIDENTIEL] (Transcription, Conf. B, 3 octobre 2018, à la p. 126). En fait, M. Brown a déclaré qu’il faut parfois attendre [traduction] « jusqu’à six mois » ne serait-ce que pour qu’une entreprise de services de restauration à bord obtienne une attestation de sécurité du Service canadien du renseignement de sécurité (Transcription, Conf. B, 5 octobre 2018, à la p. 315).

[594] Cette preuve corrobore l’opinion de l’AAV selon laquelle le départ d’une entreprise de services de restauration et son remplacement par un nouvel arrivant peut causer de sérieux effets perturbateurs aux sociétés aériennes et à leurs clients.

· Le caractère suffisant et la crédibilité des justifications de l’AAV

[595] Le commissaire affirme que les explications que l’AAV a avancées ne sont pas suffisantes ou crédibles parce que l’AAV n’a effectué qu’une analyse superficielle et a omis de prendre en compte ou de solliciter des informations qu’il était possible d’obtenir aisément auprès des sociétés aériennes et ailleurs. Le commissaire soutient que ces informations auraient montré que les préoccupations de l’AAV à l’égard de la viabilité de Gate Gourmet et de CLS face à un nouvel arrivant étaient infondées.

[596] En particulier, le commissaire affirme que la décision de ne pas autoriser Newrest et Strategic Aviation à disposer d’un accès au côté piste au sein du marché des services de manutention a été prise après une seule réunion, qui n’a duré qu’une heure, [CONFIDENTIEL]. Sans laisser entendre explicitement que la décision de l’AAV de refuser l’accès au côté piste à Newrest et à Strategic Aviation a été prise de mauvaise foi, le commissaire soutient que cette décision a été prise de manière si superficielle que la justification que l’AAV a avancée ne peut pas être considérée comme crédible ou qu’on ne peut lui accorder un poids considérable. À l’appui de cet argument, il souligne que l’AAV n’a consulté aucune des sociétés aériennes qu’elle sert, à part Jazz. Il ajoute que si l’AAV s’était véritablement souciée des conséquences négatives possibles, pour les sociétés aériennes, du fait d’autoriser la présence d’une ou plusieurs nouvelles entreprises supplémentaires au sein du marché des services de manutention à YVR, elle les aurait consultées.

[597] De plus, le commissaire soutient que l’AAV n’a pas pris en compte d’autres informations aisément disponibles qui auraient montré que les préoccupations qu’il avait quant à la capacité des entreprises de services de restauration qui étaient en place à YVR de survivre à une concurrence supplémentaire étaient infondées. À cet égard, le commissaire a admis, en réponse à des questions de la formation, que les entreprises se trouvant dans la situation de l’AAV ne doivent pas nécessairement [traduction] « consulter Google [...] [ou] procéder à une analyse de marché » ou [traduction] « retenir les services d’un expert pour procéder à une étude ». Il soutient toutefois qu’une entreprise ne peut pas tout simplement dire : [traduction] « Faites-nous seulement confiance, nous savions ce que nous faisions ». Quoi qu’il en soit, il affirme que le degré de diligence raisonnable qu’exerce une entreprise qui souhaite justifier sa conduite est pertinent pour évaluer la crédibilité de cette justification, et devrait suffire pour pouvoir justifier une conviction rationnelle. Il ajoute que le défaut de l’AAV de prendre en compte des informations aisément accessibles avant de refuser d’accorder un accès au côté piste à Newrest et à Strategic Aviation vicie la crédibilité de sa justification. Cela est d’autant plus vrai, soutient-il, que l’AAV a admis en contre-interrogatoire qu’il s’agissait d’une décision [traduction] « importante ».

[598] Les informations aisément disponibles que, d’après le commissaire, l’AAV aurait dû prendre en compte avant de prendre sa décision incluent un rapport de 2013 qu’a publié l’Association du transport aérien international (le « Rapport de l’IATA de 2013 »), ainsi que des informations publiquement produites par Gategroup Holding AG (la société-mère de Gate Gourmet) et LSG. Par ailleurs, le commissaire signale que l’AAV a établi la note d’information d’août 2014 bien après qu’elle rejette initialement les demandes de Newrest et de Strategic Aviation en vue de l’obtention d’un permis d’accès au côté piste, et uniquement après [CONFIDENTIEL] (Déclaration de M. Stent‐Torriani, à la pièce 13). Il ajoute que le Rapport sur les cuisines de l’air de 2017 [traduction] « a été manifestement produit, en partie du moins, parce que le commissaire avait déposé la présente demande » et qu’il était, en tout état de cause, [traduction] « fondamentalement vicié » (Observations finales du commissaire, au par. 45).

[599] Pour les motifs énoncés ci-après, le Tribunal n’est pas du même avis que le commissaire et estime que, dans les circonstances très particulières de la présente affaire, les justifications qu’invoque l’AAV pour s’être livrée à la conduite exclusionnaire en cause sont en fait suffisantes et crédibles.

[600] Avant d’expliquer ses motifs à cet égard, le Tribunal fait remarquer ce qui suit. Il souscrit à la thèse générale selon laquelle une justification commerciale déclarée pour s’être livrée à une conduite anticoncurrentielle n’est pas suffisante pour les besoins de l’alinéa 79(1)b), sauf si la preuve est suffisamment claire, convaincante et concluante pour étayer cette justification, selon la prépondérance des probabilités (FH c McDougall, 2008 CSC 53, aux par. 45 à 47; décision TREB TC, aux par. 288 et 289). Par exemple, dans la décision TREB TC, au paragraphe 390, le Tribunal a conclu que les préoccupations relatives à la protection des renseignements personnels que le défendeur avait invoquées dans cette affaire étaient une pensée après coup et un prétexte pour adopter et maintenir les pratiques anticoncurrentielles qui étaient contestées dans cette affaire. C’est donc dire que ces facteurs n’étaient pas suffisants pour montrer le caractère légitime de la nature générale de la conduite reprochée. Cependant, en l’espèce, le Tribunal est convaincu, au vu des éléments de preuve qui lui ont été soumis, que les justifications que l’AAV a avancées sont en fait suffisantes à cet égard. Ces justifications étaient présentes dès le départ et se situaient à l’avant‐plan des motivations de l’AAV depuis le 1er avril 2014, quand elle a décidé, la première fois, de rejeter la demande de Newrest en vue d’obtenir un accès au côté piste à YVR. Il ne s’agissait pas d’un prétexte ou d’une pensée après coup. Même si le fait que l’AAV n’a pas cherché à obtenir des informations supplémentaires auprès des sources aériennes et d’autres sources aisément accessibles puisse soulever des questions à propos de ses processus décisionnels, ce fait n’invalide pas, au vu des faits particuliers de l’espèce, la crédibilité et le caractère suffisant de ses justifications. Après avoir entendu les témoignages de MM. Richmond et Gugliotta, que la formation a considérés comme des témoins convaincants et fiables, le Tribunal est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la justification commerciale de l’AAV est crédible et suffisante.

[601] En ce qui concerne la position du commissaire selon laquelle l’AAV a pris sa décision initiale après une réunion d’une durée d’une heure seulement le 1er avril 2014, le Tribunal estime que cela ne dénote pas nécessairement que sa décision de ne pas autoriser une ou plusieurs entreprises de services de restauration à bord supplémentaires à accéder au côté piste à YVR était de nature « superficielle ». Les dirigeants d’organismes complexes prennent tous les jours de nombreuses décisions, parfois lors de réunions qui durent moins qu’une heure. En fait, les avocats du commissaire ont fait remarquer que ce dernier pourrait fort bien décider de soumettre une demande au Tribunal après une [traduction] « séance d’information rapide, d’une durée de 30 minutes, de la part du personnel » (Transcription, séance publique, 13 novembre 2018, à la p. 972).

[602] Dans la présente instance, M. Richmond a déclaré que cette réunion d’une heure avec M. Gugliotta avait été [traduction] « très, très intense et approfondie » (Transcription, Conf. B, 30 octobre 2018, à la p. 830). Il a aussi fait remarquer que l’AAV suit [traduction] « de très près le dossier [des services de restauration à bord] depuis de nombreuses années » en raison de ses discussions avec les entreprises de services de restauration au sujet du niveau des redevances de concession (Transcription, Conf. B, 30 octobre 2018, à la p. 829). Quant à M. Gugliotta, lorsqu’on l’a interrogé sur ce point, lors de son contre-interrogatoire, il a fait remarquer qu’il [traduction] « s’occupait des cuisines de l’air depuis les 20 dernières années à l’aéroport [...] et il ne s’agissait donc pas juste d’une heure. C’est – c’était la totalité de notre expérience en matière de gestion de l’aéroport qui nous a conduits à cette conclusion » (Transcription, Conf. B, 1er novembre 2018, aux p. 1014 et 1015). Par ailleurs, M. Richmond a expressément demandé qu’on l’informe de la situation en prévision de la réunion et il a reçu les informations décrites au paragraphe 550 qui précède de M. Eccott, de pair avec un chiffrier électronique [CONFIDENTIEL].

[603] M. Richmond a expliqué qu’il avait besoin de [traduction] « se refamiliariser » avec le [traduction] « marché des services de restauration à bord à YVR », de sorte qu’il avait sollicité la contribution des personnes qui possédaient l’expertise requise pour l’aider à prendre une décision éclairée (Déclaration de M. Richmond, au par. 93). C’est précisément ce à quoi l’on s’attendrait de la part d’un dirigeant qui se trouverait dans sa situation. Après avoir passé en revue les informations reçues de MM. Gugliotta (qui semble avoir été la personne la plus au fait de la situation à l’AAV), Segat et Eccott, et après en avoir discuté de manière [traduction] « très intense et approfondie » pendant une heure, M. Gugliotta et lui ont décidé conjointement de ne pas autoriser Newrest à avoir accès au côté piste à YVR. M. Eccott s’est ensuite fondé sur cette décision pour tirer une conclusion semblable quelques semaines plus tard, à la suite d’une demande semblable de Strategic Aviation. En l’absence de toute indication ou toute preuve que ces deux hommes ont délibérément fait abstraction d’informations qui n’étayeraient peut-être pas leur décision, le Tribunal hésite à imposer un fardeau plus lourd de recherches, d’études ou de diligence raisonnable prédécisionnelles à ces deux hommes, ainsi qu’à d’autres qui, un jour prochain, pourraient se retrouver dans la même situation qu’eux.

[604] Compte tenu de la preuve qui précède, le Tribunal ne souscrit pas à la position du commissaire selon laquelle la seule heure qu’a duré la réunion, en soi, confirme l’opinion que la décision de l’AAV était superficielle ou manquait de crédibilité.

[605] Aux yeux d’observateurs externes, la décision de l’AAV de ne pas consulter de sociétés aériennes ou de sources tierces peut paraître cavalière ou désinvolte. Le Tribunal est toutefois convaincu que cela ne peut être assimilé à un objet anticoncurrentiel ou à de l’aveuglement volontaire. Pour déterminer si les explications que donnent des gens d’affaires constituent des justifications commerciales légitimes, comme l’envisage l’alinéa 79(1)b), le Tribunal estime qu’il ne devrait pas s’immiscer dans le processus décisionnel d’une entreprise ou le réexaminer et imposer à cette dernière un fardeau arbitraire qu’elle ne s’imposerait pas par elle-même, lorsqu’elle agit de bonne foi. Il faut plutôt que le Tribunal soit convaincu, en se basant sur son évaluation de la preuve, que les justifications invoquées sont crédibles et suffisantes selon la prépondérance des probabilités. Dans le cas présent, la preuve combinée au sujet des délibérations internes de MM. Richmond, Gugliotta, Eccott et d’autres, leurs contacts et leurs échanges réguliers avec des sociétés aériennes et la baisse des revenus des entreprises de services de restauration à bord montrent collectivement que l’AAV s’est livrée à un exercice de diligence raisonnable suffisant pour permettre au Tribunal de conclure que l’AAV avait la conviction rationnelle nécessaire pour appuyer sa décision de limiter le nombre des entreprises de services de restauration à bord. Vu la longue expérience de M. Gugliotta en particulier, le Tribunal hésite à conclure que la diligence raisonnable dont l’AAV a fait preuve avant de se livrer à la conduite exclusionnaire en cause était insuffisante.

[606] Collectivement, les membres de la direction de l’AAV se sont peut-être trompés dans leur évaluation selon laquelle les sociétés aériennes se trouveraient en meilleure posture et seraient plus susceptibles d’établir de nouvelles routes à YVR s’ils s’abstenaient d’autoriser Newrest et Strategic Aviation à entrer sur le marché des services de manutention. En fait, le Tribunal reconnaît qu’il pourrait sembler quelque peu surprenant aux yeux d’un certain nombre d’observateurs que l’AAV ait omis de communiquer avec une seule société aérienne, à part Jazz, avant de prendre ses décisions concernant les demandes ultérieures de Newrest et de Strategic Aviation, plus tard en 2014 et en 2015. Dans le même ordre d’idées, le fait que les sociétés aériennes ne s’étaient pas plaintes auparavant du nombre d’entreprises de services de restauration peut ne pas être considéré, aux yeux de quelques observateurs, comme une justification suffisante pour ne pas solliciter leurs points de vue, compte tenu surtout de leurs lettres d’appui en faveur de Newrest et de Strategic Aviation. Le Tribunal signale cependant que, d’après MM. Richmond et Gugliotta, l’AAV avait des contacts constants et réguliers avec les sociétés aériennes exploitant leurs activités à YVR, que les sociétés aériennes n’hésitaient pas à signaler des problèmes à YVR et qu’aucune société aérienne n’avait fait état directement à l’AAV d’une préoccupation précise quant aux services de restauration à bord à l’Aéroport.

[607] Quelques observateurs auraient pu également tirer des conclusions différentes de celles de l’AAV en se fondant sur [CONFIDENTIEL] que MM. Richmond et Gugliotta ont évalué au cours de leur réunion d’une durée d’une heure. On pourrait dire aussi la même chose au sujet de l’importance du départ de LSG en 2003, parce que ce fait était survenu après que l’entreprise avait perdu son principal client au Canada, à la suite de l’acquisition de Canadien International par Air Canada, plutôt qu’en raison d’une faiblesse quelconque de la part de LSG. De plus, à cette époque, LSG avait un droit de propriété de 40 % dans CLS, et ce droit avait augmenté à 70 % en 2008.

[608] Cependant, la question n’est pas de savoir si la haute direction de l’AAV a été aussi juste et aussi minutieuse que le commissaire l’aurait préféré ou que quelques observateurs auraient pu s’y attendre. Il est plutôt question de savoir si les personnes en question ont pris une décision sincère et de bonne foi en s’appuyant sur des informations qui étaient suffisamment solides pour résister à l’allégation selon laquelle ils avaient agi de manière à ce point superficielle que leur décision manquait de crédibilité ou était par ailleurs inadéquate. Compte tenu des informations énoncées plus tôt, le Tribunal se prononce en faveur de l’AAV sur cette question.

[609] Le Tribunal est d’avis que le caractère suffisant et la crédibilité de la justification de l’AAV se sont affermis après que celle-ci a pris sa décision initiale en avril 2014. Cela s’explique par le fait que, quand Newrest et Strategic Aviation ont continué d’insister auprès de l’AAV pour obtenir l’autorisation d’entrer sur le marché des services de manutention, M. Richmond a demandé à M. Gugliotta de préparer la Note d’information d’août 2014. Celle-ci a été suivie d’un document plus détaillé, le Rapport sur les cuisines de l’air de 2017, qui a été rédigé après que le commissaire eut déposé la présente demande, et après que l’AAV eut réuni trois autres années de données faisant état d’un redressement de la situation et d’une hausse des revenus tirés des services de restauration à bord à YVR.

[610] Pour ce qui est de l’argument du commissaire selon lequel le défaut de l’AAV de faire preuve d’une « diligence raisonnable » supplémentaire viciait la crédibilité des justifications qu’elle invoquait pour exclure Newrest, Strategic Aviation et d’autres du marché des services de manutention, cette position ne convainc pas le Tribunal.

[611] Comme il a été signalé au paragraphe 598 qui précède, les informations aisément disponibles dont, soutient le commissaire, l’AAV aurait dû tenir compte comprenait le Rapport de l’IATA de 2013 ainsi que des informations que Gate Group et LSG avaient publiquement produites. Notamment, le Rapport de l’IATA de 2013 indiquait que les entreprises de services de restauration à bord et d’autres fournisseurs de sociétés aériennes situés aux quatre coins du monde avaient obtenu un rendement moyen d’environ 11 % au cours de la période de 2004‐2011, tout en supportant un coût en capital moyen pondéré d’environ 7 % à 9 %. De plus, ce document signalait que la volatilité des rendements des entreprises de services de restauration à bord, à l’échelle mondiale, avait été nettement inférieure au cours de cette période que dans le cas des sociétés aériennes. À cet égard, le rapport indique que les entreprises de services de restauration à bord étudiées représentaient environ 40 % à 50 % du total global des revenus de l’ensemble des entreprises de services de restauration à bord (pièce A-151, Document d’informations économiques de l’IATA N.4 : Rentabilité de la chaîne de valeur, aux p. 19, 27 et 47).

[612] Au sujet des informations publiées par Gate Group, le commissaire a fait remarquer que ses résultats annuels pour 2013 projetaient une hausse de la croissance des revenus de 2 % à 4 % et une marge de bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (« BAIIA ») de 6 % à 7 % pour ses activités en Amérique du Nord, de même qu’une croissance du total des revenus jusqu’en 2016 de 8 % à 10 % et un BAIIA prévu de l’ordre de 8 % à 9 % pour cette région. (Pièce A-152, Profitability and the Air Transportation Value Chain, juin 2013, aux p. 23 et 25). De plus, le commissaire a signalé que dans le Rapport annuel de 2013 de Gate Group il était indiqué que [traduction] « tous les éléments du Groupe ont contribué au résultat positif » obtenu en 2013, et que [traduction] « les activités en Amérique du Nord ont continué de connaître une croissance des revenus dans les plates-formes internationales grâce à la croissance du volume des transporteurs internationaux » (pièce A-154, Rapport annuel de 2013 de Gategroup, aux p. 4 et 19).

[613] Pour ce qui est de LSG, le commissaire a également signalé que son Examen annuel de 2013 signalait que l’entreprise avait augmenté ses revenus [traduction] « dans chacune de [ses] régions, même dans les marchés établis de l’Europe et de l’Amérique du Nord ». Ce document faisait également état de la foi de l’entreprise en l’avenir, grâce en partie à l’expectative que le [traduction] « nombre des passagers continuera d’augmenter » et en partie à la prévision selon laquelle [traduction] « [c]e volume de marché augmentera dans les services de restauration aérienne conventionnels [...] » (pièce A-157, Revue annuelle de 2013 de LSG Sky Chefs, aux p. 2 et 6).

[614] Aux dires du commissaire, les informations qui précèdent étaient aisément disponibles et montraient que les préoccupations de l’AAV à l’égard du départ possible de Gate Gourmet ou de CLS (une filiale de LSG) n’étaient ni fondées ni crédibles. Le commissaire ajoute que [CONFIDENTIEL].

[615] Le Tribunal ne souscrit pas à la position du commissaire selon laquelle le défaut de l’AAV d’obtenir les informations susmentionnées viciait la crédibilité des justifications qu’elle invoquait pour refuser d’autoriser Newrest et Strategic Aviation à accéder au côté piste à YVR. À l’instar du défaut de l’AAV de communiquer avec l’une quelconque des sociétés aériennes internationales qui font partie de sa clientèle, l’omission de prendre le peu de temps qui aurait été nécessaire pour obtenir et examiner les informations en question peut paraître surprenant aux yeux de certains observateurs. Cependant, ce fait ne vicie pas la crédibilité des justifications qu’elle avait et qu’elle continue d’avoir pour refuser d’autoriser Newrest, Strategic Aviation ou d’autres nouvelles entreprises possibles (à part dnata) à avoir accès au côté piste. Là encore, en l’absence de toute indication (ou preuve) que l’AAV a délibérément fait abstraction d’informations qui auraient pu ne pas étayer sa décision, le Tribunal hésite à conclure qu’il incombait à cette dernière de chercher des informations supplémentaires qui auraient été susceptibles de miner ou de contredire la décision sérieuse qu’elle a prise. Cette hésitation repose sur les aspects suivants : i) la connaissance et l’expertise considérables de plusieurs membres de sa haute direction, qui ont pris part aux décisions de refuser d’autoriser la présence de nouvelles entreprises, ii) les rapports et les contacts constants que l’AAV entretient avec les sociétés aériennes, et iii) les informations que l’AAV avait reçues de Gate Gourmet et de CLS, notamment en lien avec leurs revenus et d’autres aspects de leur situation financière. La diligence raisonnable dont l’AAV devait faire preuve n’avait pas à être parfaite ou même complète; il fallait qu’elle soit crédible et adéquate. Le Tribunal conclut que l’AAV a satisfait à cette norme.

[616] En ce qui concerne les données relatives aux passagers et aux revenus sur lesquels MM. Richmond et Gugliotta se sont fondés, le Tribunal fait remarquer que M. Niels a effectué une analyse de fiabilité qui l’a amené à conclure qu’à YVR les activités de restauration disponibles auraient pu soutenir la présence d’une troisième entreprise depuis 2014. La formation n’a pas conclu que cet aspect du témoignage de M. Niels était solide. Notamment, le Tribunal signale que la rentabilité moyenne des trois fournisseurs aurait été inférieure aux seuils de viabilité dont M. Niels a fait état dans son analyse statique prolongée sur les effets de l’arrivée d’une nouvelle entreprise dotée d’une cuisine, ce qui aurait eu un effet de [CONFIDENTIEL] % sur les prix. Cela dit, l’analyse qu’ont effectuée MM. Richmond et Gugliotta n’était pas très solide elle non plus. Le Tribunal a donc le sentiment que des personnes raisonnables pourraient ne pas être du même avis quant à la question de savoir si les marchés relatifs aux services de restauration à bord et aux services de manutention à YVR étaient en mesure de soutenir la présence d’un troisième concurrent depuis 2014.

[617] Le commissaire soutient de plus que la portée du Rapport sur les cuisines de l’air de 2017 que l’AAV a produit n’était pas adéquate ou crédible elle non plus. À cet égard, il signale que l’AAV [CONFIDENTIEL].

[618] Cependant, pour des raisons identiques à celles qui ont été évoquées plus tôt, et même si le Tribunal reconnaît qu’il y a eu dans cette étude quelques lacunes (par exemple, [CONFIDENTIEL]), il hésite à conclure qu’il incombait à l’AAV de veiller à ce que ce rapport de 2017 soit plus solide.

[619] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer que, depuis de nombreuses années maintenant, [CONFIDENTIEL]. Il n’était pas déraisonnable de la part de MM. Richmond et Gugliotta d’avoir considéré que cette tendance reflétait l’affaiblissement ou l’incertitude de la situation dans laquelle se trouvaient ces entreprises à YVR.

(v) La « nature générale » de la conduite de l’AAV

[620] Le commissaire soutient que même si les justifications que l’AAV a invoquées pour s’être livrée à la conduite exclusionnaire en cause peuvent être considérées comme légitimes, la nature générale ou l’objectif premier de cette conduite est et demeure de nature anticoncurrentielle, vu l’intention qu’avait l’AAV d’exclure les concurrents et les effets exclusionnaires raisonnablement prévisibles de cette pratique.

[621] Le Tribunal n’est pas d’accord. Compte tenu des éléments de preuve qui ont été résumés dans les sections qui précèdent, le Tribunal estime que l’objectif premier pour lequel l’AAV a refusé d’autoriser Newrest et Strategic Aviation à accéder au côté piste était et est toujours légitime. Dès le départ, à compter du 1er avril 2014, les préoccupations constantes et prédominantes de l’AAV ont été les suivantes : i) s’assurer que les sociétés aériennes exploitant leurs activités à YVR sont desservies par au moins deux entreprises de services de restauration à service complet, ii) éviter les effets perturbateurs qui, croit-elle, seraient associés au départ de l’une des entreprises de services de restauration en place, et iii) éviter que l’on porte atteinte à sa réputation. Par ricochet, l’AAV a toujours cru que cette atteinte à sa réputation aurait une incidence négative sur sa capacité de rivaliser avec d’autres aéroports en vue d’attirer de nouvelles routes à YVR. Pour plus de certitude, il ne ressort pas de la preuve que la pratique reprochée était principalement motivée par une intention abusive, exclusionnaire ou disciplinaire à l’endroit d’un concurrent. Par ailleurs, le Tribunal conclut que l’AAV n’était pas motivée par le souhait de porter atteinte à la concurrence de manière à pouvoir hausser ou maintenir ses redevances de concession ou ses revenus de location.

[622] Le simple fait qu’une pratique puisse être exclusionnaire n’est pas une raison suffisante pour conclure qu’elle a un objet ou un caractère anticoncurrentiel prépondérant. Tout dépend du contexte factuel et des éléments de preuve qui se rapportent à chaque affaire particulière.

[623] Le Tribunal reconnaît que, en l’espèce, l’AAV avait l’intention d’exclure, et continue en fait d’exclure, Newrest et Strategic Aviation du marché des services de manutention. Cependant, il ressort de la preuve que, selon la prépondérance des probabilités, l’objectif premier de l’AAV n’a jamais été d’exclure ces entités de ce marché. Elle a toujours mis l’accent sur les considérations légitimes décrites plus tôt. Le Tribunal considère que ces considérations ont toujours neutralisé et supplanté l’intention subjective de l’AAV d’exclure Newrest et Strategic Aviation du marché des services de manutention. Pour cette raison, ces considérations établissent une justification commerciale valide à l’égard du fait d’exclure ces entités de ce marché (arrêt Tuyauteries Canada CAF, aux par. 73, 87 et 88).

[624] En conséquence, le Tribunal conclut que la « nature générale » de la conduite de l’AAV était de nature légitime et non anticoncurrentielle.

[625] Le Tribunal estime qu’il convient de réitérer que l’exercice d’une puissance commerciale préexistante qui permet d’exclure toute entrée sur le marché (ou même de hausser les prix) ne constitue pas forcément un agissement anticoncurrentiel, au sens de l’alinéa 79(1)b). Comme le Tribunal l’a déjà fait remarquer, « [...] cette disposition [l’article 79] ne condamne pas la simple possession d’une puissance commerciale. Son objet est plutôt de faire en sorte que les entreprises dominantes livrent une saine concurrence, non fondée sur l’abus de leur puissance commerciale » (Canada (Director of Investigation and Research) c Tele-Direct (Publications) Inc et al, [1997] CCTD no 8, 73 CPR (3d) 1 (Trib conc), à la p. 179). À cet égard, M. McFetridge signale que toute limitation, par l’AAV, du nombre de permis d’accès au côté piste pourrait être interprétée comme le simple exercice de sa puissance commerciale préexistante au sein du marché de l’accès au côté piste.

d) Conclusion

[626] Pour les raisons énoncées plus tôt, le Tribunal conclut que la conduite exclusionnaire en cause n’est pas de nature anticoncurrentielle. Même si l’AAV a toujours eu l’intention d’exclure – et a en fait exclu – Newrest et Strategic Aviation du marché des services de manutention depuis avril 2014, elle a fourni à cet égard des justifications commerciales légitimes. Elle a également établi que ces justifications avaient plus d’importance dans son processus décisionnel que n’importe quelle intention subjective ou présumée intention anticoncurrentielle, ou tout effet anticoncurrentiel raisonnablement prévisible de la conduite exclusionnaire en cause. En d’autres termes, les éléments de preuve qui ont été produits à l’appui des justifications commerciales légitimes alléguées que l’AAV a démontrées l’emportent sur les preuves d’une intention anticoncurrentielle subjective et des effets exclusionnaires raisonnablement prévisibles de la conduite reprochée. C’est donc dire que la nature générale, ou l’objectif premier, de la conduite exclusionnaire en cause n’étaient pas anticoncurrentiels, comme l’envisage l’alinéa 79(1)b).

[627] La conclusion du Tribunal à cet égard est renforcée par son opinion selon laquelle les justifications commerciales pour lesquelles l’AAV a limité le nombre des entreprises de services de restauration à bord étaient logiques du point de vue économique et commercial. À cet égard, on a fourni au Tribunal une preuve convaincante que, en faisant abstraction des effets anticoncurrentiels de la conduite exclusionnaire de l’AAV, sa décision d’exclure des entreprises de services de restauration à bord conférait à l’Aéroport ce que l’on considérait comme des avantages importants (décision TREB TC, aux par. 430 et 431).

[628] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que le commissaire n’a pas montré, selon la prépondérance des probabilités, que les exigences de l’alinéa 79(1)b) ont été remplies et que l’AAV s’est livrée – et continue de se livrer – à une pratique d’agissements anticoncurrentiels. Cette conclusion constitue un motif suffisant pour rejeter la demande du commissaire.

[629] Néanmoins, par souci d’intégralité, le Tribunal fera part de son point de vue sur l’évaluation du troisième élément de l’article 79, soit la question de savoir si la conduite reprochée a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.

E. La conduite reprochée a-t-elle eu pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans le marché qui est pertinent aux fins de l’alinéa 79(1)c) de la Loi, ou a-t-elle ou aura-t-elle vraisemblablement cet effet?

[630] Le Tribunal se tourne maintenant vers le troisième élément de la disposition relative à l’abus de position dominante, soit la question de savoir si la conduite exclusionnaire de l’AAV a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans le marché pertinent, ainsi que l’envisage l’alinéa 79(1)c) de la Loi. Pour les raisons décrites en détail ci-après, le Tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le commissaire n’a pas montré que c’est le cas.

[631] Comme il a été mentionné plus tôt, à la sous-section VII.B qui précède, seul le marché des services de manutention à YVR est pertinent pour les besoins de l’alinéa 79(1)c).

1) Le cadre analytique

[632] Le cadre analytique dans lequel s’inscrit l’évaluation que fait le Tribunal de l’alinéa 79(1)c) a été examiné en détail dans la décision TREB TC, aux paragraphes 456 à 483, et il n’est pas nécessaire de le répéter ici. Pour les besoins de la présente espèce, il suffira de souligner simplement ce qui suit.

[633] En bref, l’alinéa 79(1)c) oblige le Tribunal à procéder à une évaluation en deux étapes. Premièrement, il doit comparer, d’une part, le degré de concurrence qui existe, ou qui existerait vraisemblablement, en présence de la pratique reprochée et, d’autre part, le degré de concurrence qui aurait vraisemblablement été exercé dans le passé, à l’heure actuelle et dans l’avenir en l’absence de cette pratique. Autrement dit, le Tribunal doit décider ce qui se serait vraisemblablement produit, n’eût été de la pratique reprochée (Tervita Corp c Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3 (arrêt « Tervita CSC »), aux par. 50 et 51; arrêt TREB CAF, au par. 86; arrêt Tuyauteries Canada CAF, aux par. 44 et 58). Pour ce faire, le Tribunal doit comparer l’état de la concurrence au sein du marché pertinent à un scénario contre‐factuel dans lequel la pratique reprochée n’a pas eu lieu. La démarche que suit le Tribunal au regard de l’alinéa 79(1)c) envisage donc une évaluation qui souligne l’état comparatif et relatif de la concurrence dans le passé, à l’heure actuelle et dans l’avenir, par opposition à l’état absolu de la concurrence à l’un quelconque de ces moments précis dans le temps (arrêt TREB CAF, au par. 66; arrêt Tuyauteries Canada CAF, aux par. 36 et 37).

[634] À la seconde étape de l’analyse, le Tribunal doit décider si la différence entre le degré de concurrence en présence de la conduite reprochée, et celui qui aurait existé n’eût été de la conduite reprochée, est importante. La question consiste à savoir si la concurrence aurait vraisemblablement été sensiblement supérieure, par exemple à la suite de l’apparition d’encore plus de nouvelles entreprises ou d’innovations, n’eût été de la mise en œuvre de la pratique reprochée (arrêt Tuyauteries Canada CAF, aux par. 36, 37, 53, 57 et 58). Pour procéder à cet exercice, le Tribunal examine le degré général de concurrence dans le marché pertinent, dans le monde réel ainsi que dans le monde hypothétique envisagé (arrêt TREB CAF, au par. 70).

[635] L’alinéa 79(1)c) comporte deux éléments distincts et subsidiaires. Le premier oblige le Tribunal à décider si une pratique contestée a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence dans un marché. Le second l’oblige à vérifier si la pratique a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché.

[636] Malgré la similitude du point de mire général du Tribunal lorsqu’il examine les deux volets de l’alinéa 79(1)c), il existe néanmoins des différences importantes dans son évaluation du volet « empêchement » et du volet « diminution » (arrêt Tervita CSC, au par. 55). Plus précisément, pour évaluer si la pratique a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet de diminuer la concurrence, l’évaluation met plus particulièrement l’accent sur le fait de savoir si la pratique reprochée a facilité, facilite ou facilitera vraisemblablement l’exercice, par le ou les défendeurs, d’une puissance commerciale nouvelle ou accrue. Si le défendeur n’exerce aucune concurrence dans le marché pertinent, l’accent est mis sur les entreprises qui exercent effectivement une telle concurrence au sein de ce marché. Dans le cadre de cette évaluation, le Tribunal s’efforce habituellement de déterminer si la pratique contestée a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet de diminuer ou de réduire le degré de rivalité. Si le Tribunal décide que cela ne sera vraisemblablement pas le cas, il conclura généralement que la pratique n’a pas eu, n’a pas et n’aura vraisemblablement pas pour effet de diminuer le moindrement, et encore moins sensiblement, la concurrence.

[637] Par contraste, pour évaluer si la pratique aura vraisemblablement pour effet d’empêcher la concurrence, le Tribunal met particulièrement l’accent sur le fait de savoir si la pratique reprochée a préservé, préserve ou préservera vraisemblablement la puissance commerciale dont jouissent le ou les défendeurs, et ce, en faisant obstacle à une nouvelle concurrence qui, par ailleurs, se serait vraisemblablement concrétisée en l’absence de la pratique reprochée. Dans le cadre de cette évaluation, le Tribunal s’efforce habituellement de déterminer si le degré de rivalité se serait vraisemblablement accru, n’eût été de la mise en œuvre de cette pratique. Comme nous venons de le signaler, si le défendeur n’exerce aucune concurrence dans le marché pertinent, l’accent est mis sur les entreprises qui exercent bel et bien cette concurrence au sein de ce marché. Si le Tribunal décide que cela n’est vraisemblablement pas le cas, il conclura généralement que la pratique reprochée n’a pas eu, n’a pas et n’aura vraisemblablement pas pour effet d’empêcher la concurrence du tout, et encore moins sensiblement.

[638] L’étendue de l’effet vraisemblable d’une pratique contestée sur la puissance commerciale est ce qui détermine si son effet sur la concurrence sera vraisemblablement « sensible » (arrêt Tervita CSC, au par. 45; arrêt TREB CAF, aux par. 82, 86 à 92). Là encore, le critère à appliquer est relatif et il oblige à évaluer la différence qu’il y a entre le degré de concurrence dans le monde réel et celui qui existe dans le monde hypothétique envisagé (arrêt TREB CAF, au par. 90).

[639] Le « caractère sensible » peut être établi par le commissaire au moyen de preuves de nature quantitative ou qualitative, ou des deux (décision TREB TC, aux par. 469 à 471). Ce dernier doit toutefois toujours produire des preuves suffisamment claires et convaincantes pour montrer, selon la prépondérance des probabilités, que la pratique reprochée a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence (arrêt Tervita CSC, au par. 65; arrêt TREB CAF, au par. 87; arrêt Tuyauteries Canada CAF, au par. 46).

[640] Pour procéder à son évaluation du caractère sensible au regard de l’alinéa 79(1)c), le Tribunal évalue à la fois le degré d’empêchement ou de diminution de la concurrence, de même que sa durée (arrêt Tervita CSC, aux par. 45 et 78). Si l’empêchement ou la diminution de la concurrence ne s’étend pas à l’ensemble du marché pertinent, le Tribunal évalue également sa portée et s’il s’étend à toute une partie « importante » du marché (Le commissaire de la concurrence c CCS Corporation et al, 2012 Trib conc 14 (la décision « CCS »), aux par. 375 et 378, inf. par 2013 CAF 28, inf. par 2015 CSC 3).

[641] En ce qui concerne le degré, ou l’ampleur, des effets, le Tribunal évalue si la pratique reprochée a permis, permet ou permettra vraisemblablement au défendeur d’exercer une puissance commerciale sensiblement supérieure à ce qu’elle serait en l’absence de cette pratique (arrêt Tervita CSC, aux par. 50, 51 et 54). Le Tribunal n’a pas jugé utile d’appliquer des critères numériques rigides au moment d’effectuer la présente évaluation. Ce qui constitue une puissance commerciale « sensiblement » plus marquée varie d’une situation à une autre et dépend des faits de l’espèce (arrêt Tervita CSC, au par. 46; arrêt TREB CAF, au par. 88). Pour évaluer si le degré ou l’ampleur de l’empêchement ou de la diminution de la concurrence est suffisant pour être considéré comme « sensible », le Tribunal examine l’effet économique général d’une pratique contestée dans le marché pertinent. Pour ce qui est de l’aspect « durée » de son évaluation, le critère qu’applique le Tribunal est celui de savoir si cette augmentation sensible des prix ou cette réduction sensible des dimensions « hors prix » de la concurrence qui découlent d’une pratique reprochée a duré ou durera vraisemblablement pendant une période d’environ deux ans (arrêt Tervita CSC, au par. 80; CSC, au par. 123).

[642] Pour plus de certitude, au moment d’évaluer si la pratique a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence, le critère qu’applique le Tribunal consiste à déterminer si les prix étaient, sont ou seraient de manière vraisemblable sensiblement supérieurs à ce qu’ils seraient en l’absence de la pratique reprochée. Pour ce qui est des dimensions « hors prix » de la concurrence, comme la qualité, la diversité, le service ou l’innovation, le critère appliqué consiste à déterminer si une ou plusieurs de ces dimensions de la concurrence ont été, sont ou seraient de manière vraisemblable sensiblement inférieures à ce qu’elles seraient en l’absence de la pratique reprochée (arrêt Tervita CSC, au par. 80; CSC, aux par. 123 à 125, 376 et 377).

[643] S’il est allégué qu’une pratique reprochée a empêché, empêche ou empêchera vraisemblablement la concurrence future, la période en cause s’écoule à partir du moment où cette concurrence future se serait vraisemblablement concrétisée, en l’absence de la pratique contestée. S’il ne peut pas être montré qu’en l’absence de la pratique contestée cette concurrence future s’est concrétisée, se concrétise ou se concrétisera vraisemblablement, le critère qu’envisage l’alinéa 79(1)c) n’est pas respecté. Pour que la concurrence future se concrétise vraisemblablement, il faut montrer qu’il est plus probable qu’elle survienne en l’absence de la pratique reprochée que le contraire (arrêt Tervita CSC, au par. 66). Pour satisfaire à ce critère, le commissaire est tenu de montrer que la concurrence future, qu’elle revête la forme de l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché ou de l’expansion des concurrents existants (cela inclut aussi l’introduction de nouvelles offres de produits), se serait vraisemblablement concrétisée dans un délai discernable. Il n’est pas nécessaire que ce délai soit calibré avec précision. Il doit toutefois être fondé sur une preuve du moment où l’entrée sur le marché ou l’expansion en question se serait produite de façon réaliste, compte tenu de la période de battement caractéristique qui est requise pour qu’une nouvelle entrée sur le marché ou une expansion se produise dans le marché pertinent en question.

[644] Il convient de souligner qu’il incombe au commissaire de montrer à la fois le caractère sensible de l’empêchement allégué ou de la diminution alléguée de la concurrence, et les faits fondamentaux du scénario hypothétique qui sont requis pour faire cette démonstration (arrêt Tervita CAF, aux par. 107 et 108).

2) Les positions des parties

a) Le commissaire

[645] Le commissaire fait valoir que la conduite de l’AAV a eu, a et aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans le marché des services de manutention. À l’appui de cette position, il soutient que, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV, le marché de la fourniture des services de manutention à YVR serait sensiblement plus concurrentiel, grâce, notamment, à des prix sensiblement inférieurs, à des innovations sensiblement améliorées ou à des modèles d’affaires sensiblement plus efficients, de même qu’à une qualité de service sensiblement supérieure.

[646] Le commissaire soutient qu’en l’absence de la conduite reprochée de l’AAV, il y aurait vraisemblablement eu lieu, et il y aurait vraisemblablement eu lieu dans l’avenir, de nombreuses nouvelles entreprises sur le marché des services de manutention à YVR. À cet égard, il signale que d’éventuelles nouvelles entreprises ont déjà demandé l’autorisation d’avoir accès au côté piste en vue de fournir des services de restauration à bord à l’Aéroport, et que, n’eût été de la pratique de l’AAV, ces nouvelles entreprises auraient vraisemblablement commencé à exercer leurs activités à l’Aéroport. Il soutient donc que la conduite de l’AAV isole les entreprises de services de restauration à bord qui sont en place de ces nouvelles sources de concurrence, et permet à ces dernières entreprises d’exercer une puissance commerciale sensiblement supérieure, grâce à des prix sensiblement plus élevés et à des niveaux de qualité de service sensiblement inférieurs, par rapport à ce qui prévaudrait par ailleurs en l’absence de la pratique de l’AAV.

[647] Le commissaire estime que la capacité des sociétés aériennes ayant besoin de services de manutention à YVR de passer des contrats avec des entités autres que les fournisseurs en place leur permettrait de réaliser à YVR des avantages sur le plan des prix et « hors prix » dont elle jouit dans d’autres aéroports du Canada où l’on a permis à de nouvelles entreprises d’entrer sur le marché.

[648] Le commissaire soutient de plus que la présence de nouvelles entreprises sur le marché permettrait également à YVR d’introduire, pour les services de manutention, des modèles d’affaires innovateurs ou plus efficients. Par exemple, les sociétés aériennes acquerraient la capacité d’obtenir les services de manutention dont elles ont besoin auprès d’une entreprise de services de restauration à bord offrant moins qu’un service complet, ou d’entreprises de services de restauration à bord situées à l’extérieur de l’Aéroport et, de ce fait, à coût inférieur, ce qui procurerait des gains d’efficience aux fournisseurs de services et des économies aux sociétés aériennes.

[649] À l’appui de sa position, le commissaire se fonde sur les preuves des participants du marché qui sont directement touchés par la conduite exclusionnaire de l’AAV, c’est-à-dire plusieurs sociétés aériennes et entreprises de services de restauration à bord, de même que sur le témoignage d’expert de M. Niels. Le témoignage de ce dernier comporte ce qui suit : i) l’analyse des sociétés aériennes ayant changé de fournisseur dans des aéroports canadiens; ii) les gains réalisés par Jazz en changeant pour des aéroports autres que YVR; iii) les effets sur les prix chez les sociétés aériennes n’ayant pas fait de changement; iv) [CONFIDENTIEL]. Le commissaire soutient que, par elles-mêmes et certainement de manière globale, ces diverses sources de preuves montrent que la conduite anticoncurrentielle de l’AAV a eu, a et aura vraisemblablement pour effet d’empêcher et de diminuer sensiblement la concurrence à l’égard de la fourniture de services de manutention à YVR. Plus précisément, il soutient que, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV, il y aurait vraisemblablement eu en 2014‐2015 et vraisemblablement dans l’avenir : i) une entrée sur le marché de nouveaux concurrents en vue de la fourniture de services de manutention à YVR; ii) un changement et des menaces de changement de la part de sociétés aériennes à YVR en faveur de nouveaux concurrents pour ce qui est de la fourniture de services de manutention; iii) des prix inférieurs pour les sociétés aériennes, relativement à la fourniture de services de manutention à YVR; iv) un degré supérieur de concurrence dynamique à l’égard des services de manutention à YVR.

[650] Enfin, le commissaire fait valoir que l’empêchement allégué ou la diminution alléguée de la concurrence serait sensible en termes d’ampleur, de durée et de portée : elle a une incidence négative sur la concurrence à un degré sensible, la durée des effets négatifs est sensible et les effets négatifs touchent une part sensible du marché pertinent.

[651] Comme il a été indiqué plus tôt, pendant toute la durée de l’audience, le commissaire a mis l’accent sur l’une des deux pratiques alléguées contestées de l’AAV, soit la conduite exclusionnaire. En fait, l’autre allégation concernant le lien constant entre l’accès au côté piste pour la fourniture de services de manutention et la location à bail de terrains à YVR auprès de l’AAV n’a pas été analysée par le commissaire pendant l’audience ou dans ses observations écrites finales.

b) L’AAV

[652] L’AAV répond que ses pratiques n’ont pas, ou n’auront vraisemblablement pas, pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché quelconque. Plus précisément, elle soutient que le commissaire ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le refus de l’AAV de délivrer un permis à Newrest et à Strategic Aviation a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans le marché des services de manutention.

[653] Dans sa réponse modifiée, l’AAV a soutenu que sa décision de limiter le nombre d’entreprises de services de restauration à bord à l’Aéroport n’a pas permis aux entreprises en place d’exercer une puissance commerciale sensiblement supérieure à celle qu’elles auraient pu exercer en l’absence des agissements en question. L’AAV a de plus soutenu qu’il existe une vive concurrence entre Gate Gourmet et CLS, que la présence de deux entreprises de services de restauration à bord à service complet concorde avec le nombre des concurrents de cette nature dans d’autres aéroports comparables en Amérique du Nord, et que les sociétés aériennes peuvent changer et changent effectivement d’entreprise en réaction à une concurrence exercée sur les prix et le service.

[654] L’AAV a fait valoir en outre que les sociétés aériennes (et leurs vastes alliances internationales) jouissent d’une puissance commerciale compensatoire considérable. Enfin, elle a ajouté que l’octroi d’un permis à dnata et l’arrivée de cette troisième entreprise de services de restauration à bord à YVR feront disparaître tout empêchement ou toute diminution de la concurrence qui aurait pu découler de son refus de délivrer des permis à Newrest et à Strategic Aviation.

[655] Dans ses observations finales, l’AAV a précisé que, au vu des faits uniques de la présente affaire où elle n’exerce aucune concurrence dans le marché pertinent (c’est-à-dire, le marché des services de manutention), le commissaire se doit de prouver que ses agissements ont créé, amélioré ou maintenu sensiblement la puissance commerciale de Gate Gourmet et de CLS, relativement à la fourniture de services de manutention à YVR. Elle a soutenu que la preuve au dossier n’établit pas que « le marché serait sensiblement plus concurrentiel » (arrêt TREB CAF, au par. 88), n’eût été de la conduite exclusionnaire.

[656] L’AAV a réitéré qu’en évaluant si sa conduite rehaussait sensiblement la puissance commerciale de Gate Gourmet ou de CLS, le Tribunal doit également prendre en compte l’interaction qui existe entre l’effet du refus de délivrer des permis à Newrest et Strategic Aviation et la puissance commerciale compensatoire qu’exercent ou que peuvent exercer les sociétés aériennes qui forment la clientèle de Gate Gourmet et de CLS.

[657] L’AAV soutient également que la preuve que le commissaire a fournie, qu’elle émane des participants du marché ou de M. Niels, ne suffit pas pour satisfaire aux critères prévus à l’alinéa 79(1)c). Plus précisément, elle ajoute que la preuve anecdotique de Jazz et d’Air Transat est peu fiable et sujette à débat, suite au contre-interrogatoire des témoins du commissaire. Elle affirme de plus que la preuve du commissaire se limite à deux transporteurs de petite taille. En outre, elle soutient que la preuve économique de M. Niels souffre de nombreuses lacunes. Par exemple, ce dernier indique que les effets allégués sur les prix ne touchent que les [traduction] « petites » sociétés aériennes, qu’ils sont largement associés à l’entrée d’une nouvelle entreprise dans les aéroports allant d’une position monopolistique à deux entreprises de services de restauration à bord, et que ces petites sociétés aériennes ne représentent qu’environ [CONFIDENTIEL] % des vols à YVR, sans indication aucune quant à la part du marché des services de manutention qu’elles représentent à YVR.

[658] L’AAV reconnaît que le Tribunal peut évaluer les effets à la fois quantitatifs et qualitatifs de la conduite reprochée et que les effets qualitatifs sont plus pertinents pour une évaluation de la concurrence dynamique que l’on exerce dans des marchés de l’innovation, en ce sens que l’innovation ou la technologie joue un rôle de premier plan dans le processus concurrentiel. Cependant, elle soutient que le marché des services de manutention n’est pas un marché de cette nature, et qu’il n’existe en l’espèce aucune preuve claire et convaincante d’un effet préjudiciable quelconque sur l’innovation.

[659] Enfin, l’AAV ajoute que les circonstances de fait qui se rapportent à la question de savoir s’il y a eu ou s’il y aura vraisemblablement un empêchement ou une diminution sensibles de la concurrence devraient être mises à jour à la date de l’audience. Dans la présente affaire, l’AAV soutient que, compte tenu de l’entrée imminente de dnata sur le marché, le commissaire est tenu de prouver que la conduite de l’AAV est susceptible d’avoir pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence sous un angle prospectif. Elle ajoute que si la conduite reprochée a eu des effets négatifs sur les prix, ces effets seront corrigés par l’entrée de dnata sur le marché à YVR.

3) L’évaluation

[660] Le Tribunal signale au départ que la plupart des éléments de preuve que le commissaire a produits étaient des preuves de nature quantitative se rapportant aux effets allégués de la conduite exclusionnaire de l’AAV sur les prix. Dans le cadre de son évaluation, le Tribunal s’est donc concentré dans une large mesure sur la question de savoir si les prix auraient été, ou seraient de manière vraisemblable sensiblement inférieurs, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV. Le Tribunal a également évalué si, vraisemblablement, une entrée sur le marché aurait été ou serait sensiblement supérieure en l’absence de cette conduite, si, vraisemblablement, le fait de changer de fournisseur de services de manutention aurait été ou serait sensiblement fréquent, et si, vraisemblablement, l’innovation, sur le plan des services de manutention offerts, aurait été ou serait sensiblement supérieure.

[661] Pour les raisons analysées ci-après, le Tribunal conclut que le commissaire n’a pas montré que l’effet préjudiciable progressif de la conduite exclusionnaire de l’AAV sur la concurrence exercée au sein du marché des services de manutention a été, est ou sera vraisemblablement sensible, par rapport au monde hypothétique dans lequel cette conduite n’a pas eu lieu. De ce fait, le commissaire n’a pas établi que la conduite exclusionnaire a ou a eu pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence, ou qu’il est vraisemblable qu’elle l’empêchera ou la diminuera sensiblement dans l’avenir.

a) Les effets anticoncurrentiels allégués

(i) L’entrée sur le marché

[662] Pour évaluer si une pratique d’agissements anticoncurrentiels a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence, l’un des facteurs qu’il faut prendre en considération est de savoir si une entrée ou une expansion dans le marché pertinent aurait été, est ou serait vraisemblablement, n’eût été de cette pratique, sensiblement plus rapide, plus fréquente ou plus importante (arrêt Tuyauteries Canada CAF, au par. 58; décision TREB TC, au par. 505).

[663] Selon le commissaire, la conduite exclusionnaire de l’AAV constitue un obstacle de taille à l’entrée de nouveaux fournisseurs de services de manutention qui, en d’autres circonstances, seraient entrés sur le marché pertinent.

[664] Le Tribunal est convaincu que plusieurs des témoins du commissaire ont fourni un témoignage crédible et convaincant au sujet de l’effet exclusionnaire que la conduite de l’AAV a eue sur eux au chapitre de l’entrée sur le marché. Se fondant sur cette preuve, le Tribunal reconnaît que cette conduite a empêché l’apparition d’au moins quelques nouveaux concurrents au sein du marché des services de manutention. En fait, elle ne conteste pas que Newrest, Strategic Aviation et Optimum aimeraient se faire concurrence à YVR. Des témoins de chacune de ces entreprises (M. Stent‐Torriani pour Newrest, M. Brown pour Strategic Aviation et M. Lineham pour Optimum) ont déclaré que, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV, leurs entreprises se seraient implantées à YVR en 2014‐2015 et se seraient fait concurrence pour attirer les sociétés aériennes. Il ressort de la preuve qu’elles ont participé à des DP lancées par Jazz et Air Transat au cours de la période de 2014‐2015 et qu’elles n’ont pas eu de succès à YVR parce qu’elles n’ont pas pu obtenir de l’AAV un permis qui leur permettait d’offrir leurs services de manutention.

[665] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est convaincu qu’il y aurait eu quelques nouvelles entrées de plus dans le marché pertinent qu’il y en a eu en réalité, n’eût été de la conduite reprochée (arrêt Tuyauteries Canada CAF, au par. 58).

[666] Les représentants de Newrest, Strategic Aviation et Optimum ont tous témoigné que, malgré l’entrée de dnata à YVR, ces entreprises seraient quand même intéressées à commencer à exercer leurs activités à YVR et à rivaliser entre elles pour attirer des sociétés aériennes au sein du marché des services de manutention. Il existe également une preuve, notamment de la part des témoins qui ont comparu pour le compte d’Air Canada (M. Yiu) et de WestJet (M. Soni), que les sociétés aériennes souhaitent encore de façon générale qu’il y ait plus de concurrence dans le secteur des services de restauration à bord. Cependant, à part les déclarations générales de Newrest, de Strategic Aviation et d’Optimum au sujet de leur intérêt constant envers l’idée d’exploiter leurs activités à YVR, ainsi que des déclarations semblables de la part Air Canada et de WestJet au sujet des avantages d’une concurrence plus vive dans le secteur des services de manutention, le commissaire a fourni peu de preuves sur les avantages supplémentaires que de nouvelles entrées dans le passé, à l’heure actuelle ou dans l’avenir auraient produit, produisent ou produiront dans le marché des services de manutention. Habituellement, dans le cadre d’une analyse des entrées sur le marché vraisemblables dans le passé, dans le présent ou dans l’avenir, le commissaire est censé fournir une preuve concernant la proportion du marché qui était, qui est ou qui sera vraisemblablement mise à la disposition des nouvelles entreprises. Dans le cadre de cet exercice, il incombe au commissaire de relever les débouchés concrets qui auraient vraisemblablement été, qui sont ou qui seraient vraisemblablement disponibles pour ces nouvelles entreprises. Autrement dit, le commissaire a le fardeau d’établir que de nouvelles entreprises seraient vraisemblablement entrées ou auraient vraisemblablement pris de l’expansion dans le marché pertinent, ou qu’elle l’auraient fait vraisemblablement, « dans un laps de temps raisonnable et à une échelle suffisante pour entraîner soit une réduction sensible des prix ou une augmentation sensible de la concurrence hors prix, à un ou à plusieurs niveaux, dans une portion sensible du marché » (arrêt Tervita CAF, au par. 108). Une telle preuve n’a pas été présentée en l’espèce. Notamment, le commissaire n’a pas traité du fait que les contrats conclus entre les entreprises de services de restauration à bord qui sont en place et les sociétés aériennes sont habituellement de longue durée, c’est-à-dire d’une durée de trois à cinq ans.

[667] En conséquence, le Tribunal n’est pas convaincu qu’il existe une preuve claire et convaincante à l’appui de la conclusion que, vraisembablement, il y avait, il y a ou il y aurait suffisamment de possibilités offertes à de nouvelles entreprises pour soutenir leur entrée, et ce, à une échelle qui aurait vraisemblablement été ou qui serait vraisemblablement suffisante pour avoir un effet sensible sur les dimensions « prix » et « hors prix » de la concurrence dans le marché des services de manutention.

[668] Le Tribunal souligne que la situation est aujourd’hui différente de celle qui existait en 2014‐2015 et en 2017, quand des sociétés aériennes telles qu’Air Transat, Jazz ou Air Canada ont lancé des DP pour la fourniture de services de manutention et quand Newrest, Strategic Aviation ou Optimum ont offert leurs services et pris part à ce processus. Aucune preuve n’a été produite pour montrer que de nouveaux contrats relatifs à la fourniture de services de manutention sont actuellement disponibles ou le seraient bientôt pour une société aérienne quelconque à YVR. Lorsqu’il se fonde sur une allégation selon laquelle une conduite reprochée empêche ou empêcherait vraisemblablement de nouvelles entreprises d’avoir une incidence sensible sur les dimensions « prix » ou « hors prix » de la concurrence, le commissaire se doit de montrer plus que la simple existence d’entreprises qui sont intéressées à entrer sur le marché pertinent. Il doit aller plus loin que cela et établir que ces entreprises connaîtront vraisemblablement le succès et qu’elles atteindront vraisemblablement une échelle d’activités qui leur permettrait d’avoir une incidence sensible sur une ou plusieurs dimensions importantes de la concurrence. Il ne l’a pas fait pour l’entrée d’entreprises sur le marché dans le présent ou dans l’avenir. Dans le même ordre d’idées, pour ce qui est des périodes de 2014‐2015 et de 2017 susmentionnées, le commissaire n’a pas établi que l’entrée sur le marché de Newrest, de Strategic Aviation et d’Optimum aurait vraisemblablement eu lieu à une échelle suffisante pour donner lieu à une diminution sensible des prix ou à une augmentation sensible de l’innovation, de la qualité, du service ou d’autres effets « hors prix » dans une portion importante du marché.

[669] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que le commissaire n’a pas établi, par une preuve claire et convaincante, que, n’eût été de la conduite exclusionnaire, l’entrée fructueuse et suffisante de nouvelles entreprises à YVR a été ou est empêchée, ou le sera vraisemblablement, dans l’avenir prévisible.

(ii) Les changements de fournisseur

[670] Le commissaire soutient que, si l’on avait permis à de nouvelles entreprises d’entrer sur le marché, l’abandon de Gate Gourmet ou de CLS en faveur de ces dernières aurait vraisemblablement eu lieu à un degré nettement supérieur à ce qu’il aurait été en présence de la conduite exclusionnaire de l’AAV. Il ajoute que les sociétés aériennes auraient vraisemblablement eu recours, et adopteraient vraisemblablement dans l’avenir, de nouveaux fournisseurs de services de manutention à YVR. L’AAV réplique que la preuve relative au changement de fournisseur ne montre pas que la conduite exclusionnaire de l’AAV a eu ou aura vraisemblablement pour effet de limiter la concurrence dans le marché des services de manutention à YVR, et encore moins de manière sensible.

· Les changements de fournisseur par les sociétés aériennes

[671] À cet égard, le commissaire s’est fondé sur l’analyse de M. Niels au sujet de l’ampleur des changements de fournisseur dans divers aéroports canadiens. L’analyse de M. Niels a consisté à compter le nombre de changements de fournisseur de services de restauration à bord qu’ont effectués les sociétés aériennes dans des aéroports différents au cours de la période de 2013 à 2017. Dans son analyse, M. Niels a relevé [CONFIDENTIEL] cas dans lesquels les sociétés aériennes avaient changé de fournisseur de services de restauration à bord au cours de cette période. Parmi ces derniers, [CONFIDENTIEL] ont eu lieu à YVR, [CONFIDENTIEL]. Parmi les autres [CONFIDENTIEL] qui ont eu lieu dans d’autres aéroports, [CONFIDENTIEL] ont consisté à opter pour une nouvelle entreprise. Un peu plus de la moitié de ces changements ont eu lieu parmi les fournisseurs de services de restauration à bord (c’est-à-dire, [CONFIDENTIEL]) ont été effectués par [CONFIDENTIEL].

[672] La preuve de M. Niels a également fait état d’un changement marquant dans le pourcentage annuel moyen du total des achats de services de restauration à bord faits par les sociétés aériennes auprès d’une autre entreprise de services de restauration à bord au cours de la période de 2013 à 2017. Ce pourcentage se situait à [CONFIDENTIEL] % à YVR, tandis qu’il était nettement plus élevé dans tous les autres aéroports du Canada, variant de [CONFIDENTIEL] % à [CONFIDENTIEL] %, ce qui inclut YYZ, à [CONFIDENTIEL] %. Autrement dit, M. Niels a découvert que la proportion des dépenses qu’avait faites les sociétés aériennes auprès d’une nouvelle entreprise de services de restauration à bord au cours de la période de 2013 à 2017 était nettement plus faible à YVR que dans d’autres grands aéroports canadiens. En réplique à M. Reitman, M. Niels a ajouté que [CONFIDENTIEL], ce qui implique que le refus d’AAV d’autoriser de nouvelles entreprises sur le marché s’est soldé par une dynamique concurrentielle plus faible à YVR.

[673] Selon le commissaire, cette analyse de M. Niels montre ce qui suit : i) il y a eu fort peu de changements de la part des sociétés aériennes entre les fournisseurs de services de restauration à bord qui sont en place à YVR, ii) comparativement, de nombreux changements ont eu lieu dans des aéroports autres que YVR et iii) ces changements sont souvent associés à l’arrivée de nouvelles entreprises de services de restauration à bord.

[674] Le commissaire soutient que cette différence entre les changements de fournisseur à YVR et les autres aéroports est pertinente, et ce, pour deux raisons. Premièrement, d’éventuelles nouvelles entreprises du Canada tout entier étaient prêtes à entrer sur le marché des services de manutention en 2014 et elles le sont encore. En conséquence, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV, il y aurait vraisemblablement eu plus de changements à YVR dans le passé et il y en aurait vraisemblablement plus dans l’avenir. Deuxièmement, le commissaire laisse entendre que MM. Niels et Reitman s’entendent pour dire qu’il est raisonnable de présumer que les sociétés aériennes qui changent de fournisseur de services de restauration à bord en tirent avantage. Compte tenu de cela, il soutient qu’il existe un lien direct entre le changement de fournisseur et l’avantage que cela rapporte aux sociétés aériennes, ainsi qu’un lien direct entre l’absence de changement de fournisseur et une hausse des coûts ou une réduction de la qualité du service fourni aux sociétés aériennes.

[675] Le Tribunal reconnaît qu’il y aurait vraisemblablement eu au moins quelques changements de fournisseur de plus à YVR, n’eût été de la conduite exclusionnaire. Cependant, il considère que l’analyse qu’a effectuée M. Niels sur ces changements comporte quelques lacunes importantes. Premièrement, comme l’a fait remarquer l’AAV, les changements de fournisseur que M. Niels a comptés dans son analyse concernaient les marchés combinés des services de restauration et des services de manutention. Il est impossible de discerner des effets précis dans le marché des services de manutention en soi, ou de déterminer si les changements de fournisseur observés concernaient ce marché-là ou celui des services de restauration. Deuxièmement, l’analyse de M. Niels était incomplète. Comme ce dernier l’a reconnu, il n’a pas tenu compte dans son analyse des cas de changement partiel effectués par des sociétés aériennes sur le plan de leurs services de manutention. Troisièmement, à part le fait qu’il y a eu plus d’entrées de nouvelles entreprises dans certains autres aéroports qu’à YVR, il n’est pas clair qu’il existe une différence notable entre l’intensité de la concurrence à l’égard de la fourniture de services de manutention à YVR, par rapport à d’autres aéroports. M. Niels a essentiellement admis ce point.

[676] Cela dit, à la suite de cette évaluation de la preuve de M. Niels sur ce point, et compte tenu aussi de la preuve d’Air Transat et de Jazz montrant que ces deux sociétés aériennes auraient changé pour une nouvelle entreprise de services de restauration à bord à la suite de leurs DP respectives de 2014 et de 2015, le Tribunal convient avec le commissaire que, selon la prépondérance des probabilités, les changements de fournisseur auraient été et seraient vraisemblablement plus nombreux et plus fréquents en l’absence de la conduite exclusionnaire de l’AAV. Cependant, cela ne clôt pas l’analyse. Comme nous l’avons vu plus tôt, le commissaire doit également examiner si ces changements de fournisseur auraient vraisemblablement été suffisants pour donner lieu à des prix nettement inférieurs, ou des niveaux d’avantages « hors prix » nettement supérieurs, dans une portion importante du marché, n’eût été de la conduite exclusionnaire. Pour les raisons analysées à la sous-section VII.E.3.b ci‐après, il ne s’est pas acquitté de son fardeau à cet égard.

· L’entrée de dnata sur le marché

[677] Le commissaire soutient également que l’entrée sur le marché de dnata à titre de troisième fournisseur de services de restauration à bord à YVR en 2019 aura un effet restreint sur le marché des services de manutention. Il soutient que, contrairement à ce qu’était la situation pour Newrest, Strategic Aviation et Optimum, il existe une preuve restreinte que dnata sera vraisemblablement un concurrent véritable à YVR.

[678] Le commissaire soutient que dnata n’a aucune présence au Canada et presque aucune présence en Amérique du Nord (elle n’est présente qu’à Orlando, en Floride). Il ajoute que la présence restreinte de dnata en Amérique du Nord sera un obstacle à son succès à YVR, car il lui sera impossible d’offrir des prix « réseau » et de répondre aux préférences qu’ont les sociétés aériennes pour un seul fournisseur de services de restauration d’un bout à l’autre du Canada.

[679] Le commissaire soutient également que [CONFIDENTIEL] (Plaidoyer final du commissaire, au par. 78). Il signale de plus que, [CONFIDENTIEL]. Pour dire les choses différemment, en dépit du fait que les vols intérieurs représentent 67 % du nombre hebdomadaire de vols à YVR, [CONFIDENTIEL]. Il ajoute qu’étant donné que les vols internationaux représentent une plus petite proportion des vols hebdomadaires à YVR, [CONFIDENTIEL].

[680] Le commissaire allègue de plus que le processus que l’AAV a suivi pour choisir dnata – c’est-à-dire, le Rapport sur les cuisines de l’air et la DP de 2017 elle-même – était essentiellement vicié à de nombreux égards, tout comme les résultats du processus.

[681] Enfin, le commissaire soutient que dnata est un « [CONFIDENTIEL] » type de nouveau concurrent par rapport aux deux entreprises de services de restauration qui sont en place à YVR, dans un contexte de services de restauration à bord où il existe des modèles commerciaux innovateurs et qui profitent aux sociétés aériennes partout, sauf à YVR (Plaidoyer final du commissaire, au par. 77).

[682] Le Tribunal ne souscrit pas à la position du commissaire au sujet de dnata. En bref, la preuve n’étaye pas la prétention de ce dernier selon laquelle dnata a peu de chances d’être un concurrent véritable.

[683] Pour ce qui est de l’ampleur de la présence de dnata, la preuve n’étaye pas la prétention du commissaire selon laquelle l’entrée sur le marché de dnata sera restreinte et ciblée. Lors du contre‐interrogatoire auquel l’a soumis les avocats de l’AAV, [CONFIDENTIEL].

[684] Quant à la DP que l’AAV a menée en 2017, les arguments qu’invoque le commissaire ne convainquent pas le Tribunal. Ce dernier convient avec l’AAV que, eu égard à la preuve concernant le Rapport sur les cuisines de l’air et la DP elle-même, cette dernière était sans reproche. Le Tribunal ne conclut pas que le processus était vicié ou axé sur un résultat donné. Le commissaire n’a relevé aucune preuve convaincante à cet égard. En fait, le processus de DP a été jugé équitable par un conseiller en équité tiers. Il s’adressait expressément aux entreprises de services de restauration à bord à service complet et à service partiel. Il s’adressait également aux entreprises exploitant une cuisine à l’Aéroport même, ainsi qu’à celles qui exploitaient leurs activités à l’extérieur de ce dernier. Et les critères servant à analyser les soumissions étaient extrêmement détaillés et objectifs. Contrairement à ce que le commissaire a laissé entendre, le Tribunal ne relève aucune preuve montrant que le processus de DP était axé sur une entreprise exploitant une [traduction] « cuisine de l’air à service complet » ou qu’il était défavorable à des fournisseurs tels que Strategic Aviation ou Optimum.

[685] Le Tribunal ne souscrit pas non au commentaire du commissaire selon lequel dnata est « [CONFIDENTIEL] » et ne prendra pas en considération de nouveaux modèles commerciaux [traduction] « innovateurs ». Au contraire, il est ressorti du témoignage de M. Padgett que dnata est prête et apte à se lancer dans n’importe quel type de travail de restauration à bord, que ce dernier consiste en des services de restauration ou en des services logistiques du dernier kilomètre, ou les deux. Autrement dit, dnata est disposée à ne fournir que des services de manutention aux sociétés aériennes clientes qui ne souhaitent peut-être pas obtenir d’elle leurs services de restauration.

[686] Le Tribunal estime que tout indique que dnata fera son entrée et rivalisera entièrement avec Gate Gourmet et CLS au sein du marché des services de manutention à YVR. En fait, M. Niels a reconnu que l’entrée de dnata intensifiera la rivalité dans le marché des services de manutention à YVR, car il ressort de son témoignage qu’au moins quelques changements de fournisseur ont lieu après l’arrivée de nouvelles entreprises de services de restauration à bord. M. Niels a de plus admis que, avec l’entrée sur le marché de dnata et la présence future de trois entreprises de services de restauration à YVR, la concurrence sera plus vive que dans le cas où il n’y en avait que deux, encore qu’il ait dit de cette concurrence accrue qu’il s’agissait d’une question de degré. [CONFIDENTIEL].

[687] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal n’est pas convaincu que dnata ne sera pas un concurrent véritable. Au contraire, il tend à souscrire au témoignage de M. Padgett, à savoir que [CONFIDENTIEL].

[688] Cela dit, le Tribunal convient avec le commissaire que, en ce qui concerne l’alinéa 79(1)c), l’analyse hypothétique appropriée consiste à comparer les résultats obtenus en tenant compte de la présence de la pratique exclusionnaire d’AAV et de ceux qui se réaliseraient vraisemblablement en l’absence de cette pratique. Il ne s’agit pas de comparer les résultats obtenus avec la présence des deux concurrents qui sont en place et les résultats que l’on obtient avec ces deux mêmes concurrents plus dnata. Cependant, l’entrée de dnata sur le marché fait qu’il est plus difficile pour le commissaire de montrer que, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV, les prix seraient vraisemblablement nettement inférieurs, ou les niveaux de concurrence à l’égard d’éléments « hors prix » seraient nettement supérieurs, comparativement aux niveaux des prix et de la concurrence à l’égard d’éléments « hors prix » qui sont en fait susceptibles d’exister maintenant que dnata est entrée sur le marché pertinent.

(iii) Les effets sur les prix

[689] Les arguments que le commissaire a invoqués au sujet des effets anticoncurrentiels allégués ont principalement porté sur les dimensions « prix » de la conduite exclusionnaire de l’AAV ainsi que sur la façon dont les prix des services de manutention auraient vraisemblablement été et seraient vraisemblablement inférieurs, n’eût été de la conduite reprochée. Le commissaire s’est fondé sur les preuves d’un certain nombre de participants du marché, notamment les diverses sociétés aériennes appelées à témoigner, ainsi que sur la preuve d’expert de M. Niels, à l’appui de sa position selon laquelle les prix au sein du marché des services de manutention à YVR sont nettement supérieurs à ce qu’ils seraient ou ce qu’ils auraient été vraisemblablement, n’eût été de la conduite exclusionnaire. Le commissaire soutient que les économies globales qui auraient découlé d’une réduction des prix des services de manutention auraient vraisemblablement été, et seraient vraisemblablement dans l’avenir, importantes.

[690] L’AAV répond que le commissaire n’a pas démontré que les sociétés aériennes auraient vraisemblablement bénéficié de prix nettement inférieurs, ou s’en seraient fait offrir vraisemblablement, au sein du marché pertinent, en l’absence de la conduite exclusionnaire de l’AAV.

[691] Le Tribunal est du même avis que l’AAV. À la suite de son examen de la preuve, le Tribunal n’est pas convaincu que la conduite exclusionnaire de l’AAV a eu, a ou aura pour effet d’augmenter vraisemblablement les prix des services de manutention à un degré non négligeable dans le marché pertinent, par rapport aux prix qui auraient vraisemblablement existé, n’eût été de la conduite exclusionnaire. Pour dire les choses différemment, le commissaire n’a pas établi que, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV, les prix des services de manutention à YVR auraient vraisemblablement été ou seraient vraisemblablement inférieurs, et encore moins « sensiblement » inférieurs.

[692] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour souligner, au départ, que la preuve du commissaire se limite essentiellement à [CONFIDENTIEL] du total des revenus générés par les entreprises de services de restauration à bord exploitant leurs activités à YVR de 2013 à 2017. Aucune preuve n’a expressément porté sur [CONFIDENTIEL] des revenus tirés des services de restauration à bord à YVR. Cela, dit l’AAV, est une lacune fatale dans les arguments du commissaire, car ce dernier n’a allégué aucune forme de collusion entre Gate Gourmet et CLS. Le Tribunal convient que ce fait affaiblit nettement les arguments du commissaire sur l’alinéa 79(1)c). Dans les circonstances de l’espèce, la preuve ne permet pas au Tribunal d’inférer ou de sous‐entendre quoi que ce soit à l’égard de [CONFIDENTIEL] en l’absence de la conduite exclusionnaire.

[693] Pour ce qui est des effets anticoncurrentiels allégués de la conduite exclusionnaire de l’AAV sur les prix, le commissaire s’est fondé sur les aspects suivants : i) les analyses économiques de M. Niels au sujet des effets sur le prix dans le cas des sociétés aériennes n’ayant pas changé de fournisseur, les gains réalisés par Jazz en changeant de fournisseur, et [CONFIDENTIEL], et ii) les preuves émanant directement de diverses sociétés aériennes (Jazz, Air Transat, Air Canada et WestJet, ainsi que des huit sociétés aériennes ayant envoyé des lettres de plaintes).

· Les prix facturés aux entreprises n’ayant pas changé de fournisseur

[694] La principale analyse économique sur laquelle le commissaire s’est fondé est une analyse de régression réalisée par M. Niels pour les sociétés aériennes clientes n’ayant pas changé d’entreprise de services de restauration à bord. Il s’agit là de la seule preuve économétrique sur laquelle le commissaire s’est appuyé.

[695] M. Niels s’est servi d’une approche événementielle pour analyser l’effet de l’entrée sur le marché de Strategic Aviation ou de Newrest sur les prix mensuels moyens payés par une société aérienne donnée [CONFIDENTIEL], et ce, pour un produit donné des services de manutention, à divers aéroports autre que YVR entre 2014 et 2016. Il a comparé les prix payés [CONFIDENTIEL] pour les services de manutention fournis avant et après l’entrée sur le marché de Strategic Aviation ([CONFIDENTIEL]) et de Newrest ([CONFIDENTIEL]), dans le cas des sociétés aériennes qui n’avaient pas opté pour les nouvelles entreprises. L’analyse de M. Niels était essentiellement une comparaison entre les prix payés [CONFIDENTIEL] pendant les deux années précédant l’entrée sur le marché à l’aéroport et les prix moyens payés pendant les deux années suivant cette entrée. Cette analyse a donné ce que M. Niels a considéré comme une estimation de l’effet moyen d’une nouvelle entrée sur les prix payés par les sociétés aériennes clientes qui sont restées avec [CONFIDENTIEL] et qui n’ont pas fait de changement.

[696] Cette analyse de régression [CONFIDENTIEL]. M. Niels n’a pas non plus examiné les prix des services de restauration, même s’il a reconnu qu’il avait les données pour le faire.

[697] M. Niels a tout d’abord conclu que l’entrée de nouveaux concurrents n’avait pas d’effet statistiquement important sur les prix payés [CONFIDENTIEL] au cours de la période de 2013 à 2017. Cependant, il a déterminé que [CONFIDENTIEL] « petites sociétés aériennes » clientes par [CONFIDENTIEL] % si l’on pondère également les observations relatives au prix, par [CONFIDENTIEL] % s’ils sont pondérés par les revenus et par [CONFIDENTIEL] % s’ils sont pondérés par la quantité. Ces résultats étaient statistiquement significatifs au niveau de 5 % pour ce qui était des résultats non pondérés et des résultats pondérés par les revenus, et se situaient au niveau de 1 % pour ce qui était des résultats pondérés par la quantité. [CONFIDENTIEL] % s’ils étaient pondérés par les revenus, mais ce résultat était statistiquement peu significatif. M. Niels a conclu que l’analyse faisait état d’une [traduction] « preuve solide d’une réduction [CONFIDENTIEL] des prix des services de manutention pour les petites sociétés aériennes en réaction à l’entrée de [CONFIDENTIEL], et ce, même si ces sociétés aériennes n’[avaient] pas réellement fait de changement elles-mêmes » (Rapport de M. Niels, au par. 1.43).

[698] M. Niels a indiqué lors de son témoignage qu’il avait tout d’abord exécuté la régression pour toutes les sociétés aériennes clientes [CONFIDENTIEL] qui n’avaient pas changé de fournisseur, [CONFIDENTIEL]. Il a expliqué qu’il n’avait relevé aucun effet de prix pour cet échantillon composé de [traduction] « toutes les sociétés aériennes » et qu’il avait ensuite refait l’analyse, en se servant d’un échantillon plus restreint pour les [traduction] « petites sociétés aériennes ».

[699] M. Reitman a critiqué l’analyse de régression de M. Niels à trois niveaux.

[700] Tout d’abord, il a déclaré que l’analyse de régression de M. Niels était fondée sur une période plus courte que celle pour laquelle ce dernier possédait les données pertinentes. M. Niels s’était servi de données applicables à une fenêtre de deux ans qui était antérieure et postérieure à l’entrée sur le marché, mais il avait en main des données de cette nature pour des périodes d’une durée de trois ans avant et après l’entrée sur le marché.

[701] Deuxièmement, M. Reitman a critiqué le fait que M. Niels n’avait pas fait de distinction entre les marchés où [CONFIDENTIEL] un monopole et les marchés où [CONFIDENTIEL] concurrence. Autrement dit, l’analyse de régression de M. Niels ne faisait pas de distinction entre les entrées qui reflétaient la situation concurrentielle à YVR (c’est-à-dire, deux entreprises de services de restauration à bord qui se font concurrence) et celles qui ne le faisaient pas (c’est-à-dire, les situations monopolistiques). En fait, l’analyse de M. Niels accordait la même importance à l’effet sur [CONFIDENTIEL] un monopole avant l’entrée [CONFIDENTIEL], qu’à l’effet subi à d’autres aéroports où il y avait déjà des entreprises qui se faisaient concurrence. Sur les [CONFIDENTIEL] cas dans lesquels une entrée avait eu lieu au cours de la période de 2014 à 2016, [CONFIDENTIEL] mettait en cause l’entrée d’un [CONFIDENTIEL]. Ces faits avaient tous trait à des aéroports où [CONFIDENTIEL] avait fait son entrée. Un certain nombre d’autres cas (p. ex., [CONFIDENTIEL]) concernaient des situations dans lesquelles un fournisseur de services de restauration avait fait son entrée dans un aéroport où deux entreprises ou plus étaient déjà en place.

[702] Troisièmement, M. Niels n’avait pas défini ses fenêtres temporelles d’une manière qui garantissait que les changements de prix dans les aéroports où de nouvelles entreprises s’étaient implantées étaient comparés aux changements de prix dans les aéroports où il n’y avait eu aucune nouvelle entreprise. Selon M. Reitman, M. Niels [traduction] n’a pas réalisé « une étude convenablement conçue qui vérifie l’effet de l’entrée de nouveaux fournisseurs dans des marchés où des entrées ont eu lieu par rapport à un groupe témoin dans lequel il n’y a pas eu d’entrées. [...] Au lieu de cela, il confond les effets des entrées dans de multiples marchés et périodes sans un échantillon témoin valide » (Rapport de M. Reitman, au par. 196).

[703] M. Reitman a adapté le modèle de régression employé par M. Niels pour estimer les effets de prix respectifs de l’entrée de nouvelles entreprises dans des marchés auparavant monopolisés et l’entrée d’entreprises sur des marchés où il existe déjà une concurrence. M. Reitman a comparé les différences, avant et après l’entrée des entreprises, dans les prix des services de manutention entre les aéroports dans lesquels ces entrées avaient eu lieu et un groupe témoin d’aéroports dans lesquels aucune entrée n’était survenue, et ce, pour trois événements différents. De cette manière, M. Reitman a estimé les effets sur les prix de l’entrée [CONFIDENTIEL] dans les aéroports exerçant un monopole [CONFIDENTIEL], et [CONFIDENTIEL] dans les aéroports où il existait déjà des entreprises concurrentes. M. Reitman a fait ce calcul pour un échantillon formé de « toutes les sociétés aériennes » et un échantillon composé des [traduction] « petites sociétés aériennes ».

[704] Pour l’échantillon formé de toutes les sociétés aériennes, les résultats relatifs aux entrées survenues dans les aéroports où il y avait déjà en place au moins deux entreprises de services de restauration n’ont fourni aucune preuve statistiquement significative que les prix avaient baissé à la suite de ces entrées. M. Reitman a conclu : [traduction] « il n’existe aucune preuve qu’une entrée dans les aéroports qui comptaient déjà au moins deux fournisseurs a eu un net effet à la baisse sur les prix » (Rapport de M. Reitman, au par. 210). M. Reitman a également conclu que [CONFIDENTIEL] avec des pondérations par les revenus et [CONFIDENTIEL] avec des pondérations égales, même si ces estimations n’étaient statistiquement significatives qu’au niveau [CONFIDENTIEL].

[705] Avec son échantillon limité aux « petites sociétés aériennes », M. Reitman a conclu que, dans le cas des entrées survenant dans une situation de monopole, [CONFIDENTIEL] n’était pas statistiquement significatif, sauf dans le cas des prix pondérés par la quantité où il y avait [CONFIDENTIEL] statistiquement significatif. Par comparaison, M. Reitman a conclu que [CONFIDENTIEL] pondéré par les revenus et un [CONFIDENTIEL] pondéré de manière égale, n’étaient ni l’un ni l’autre statistiquement significatifs [CONFIDENTIEL]. Indépendamment [CONFIDENTIEL] de deux de ses estimations pondérées par la quantité de [CONFIDENTIEL] et de [CONFIDENTIEL], M. Reitman a moyenné les trois et déclaré que [CONFIDENTIEL] (Rapport de M. Reitman, au par. 211).

[706] Dans le cas d’une entrée sur le marché [CONFIDENTIEL], M. Reitman a conclu que [CONFIDENTIEL].

[707] Le Tribunal est convaincu que la critique de M. Reitman au sujet de l’analyse de M. Niels mine sérieusement les conclusions que ce dernier a tirées de cette analyse. En bref, compte tenu de la critique de M. Reitman, le Tribunal est d’avis que l’analyse de M. Niels ne fournit pas la preuve claire et convaincante que, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV, les prix relatifs aux services de manutention auraient été vraisemblablement inférieurs à YVR. Le Tribunal estime que, pour les motifs qui suivent, il ne peut accorder grand poids à l’analyse de régression de M. Niels pour ce qui est d’évaluer les effets négatifs vraisemblables de la conduite exclusionnaire de l’AAV sur les prix.

[708] Premièrement, pour ce qui est de la période qu’il a utilisée pour son analyse de régression, M. Niels a été incapable de fournir, suite aux questions de la formation, une justification quant au fait d’avoir restreint la fenêtre de l’étude à une période de deux ans antérieure et postérieure à l’entrée sur le marché. M. Niels a admis que son estimation de la réduction de prix à la suite d’une nouvelle entrée sur le marché devient statistiquement peu significative si l’on opte pour une fenêtre plus longue de six ans (c’est-à-dire trois années avant l’entrée sur le marché et trois années après).

[709] Deuxièmement, pour ce qui est des résultats statistiques, M. Reitman a témoigné de façon convaincante que les chiffres pondérés par les revenus se classaient à un niveau supérieur à celui des chiffres pondérés de manière égale ou pondérés par la quantité lorsqu’il était question d’estimer ce qui arrivait aux prix payés par les sociétés aériennes pour des services de restauration à bord. M. Reitman a également mentionné que M. Niels et lui préfèrent les pondérations par les revenus plutôt que les pondérations par les quantités (Rapport de M. Reitman, au par. 212). Le Tribunal partage cette position et estime que les chiffres pondérés par les revenus des diverses analyses de régression sont les plus pertinents pour son analyse. [traduction] « L’estimation mixte » de M. Niels quant aux effets sur les prix [CONFIDENTIEL] mais quand on prend en considération les pondérations par des revenus, [CONFIDENTIEL]. Pour sa part, lorsqu’on prend en considération les chiffres pondérés par les revenus, M. Reitman conclut [CONFIDENTIEL].

[710] Troisièmement, et ceci est plus important, le Tribunal estime que les résultats relatifs aux entrées sur les marchés où se trouvent les entreprises concurrentes (par opposition à des situations non monopolistiques) sont ceux qui sont pertinents pour son analyse, car ils reflètent mieux la situation qui existe à YVR. Le Tribunal convient avec l’AAV que les effets observés sur les prix d’une entrée sur des marchés antérieurement monopolisés ne sont pas particulièrement pertinents pour ce qui est d’évaluer les effets sur les prix à YVR, où, dans le délai de 2014 à 2016, se trouvaient deux entreprises concurrentes. Dans le même ordre d’idées, le Tribunal convient qu’on ne peut extrapoler n’importe quel effet [CONFIDENTIEL] à YVR. De façon générale, on s’attendrait à ce que l’effet de l’introduction d’un concurrent dans une situation monopolistique sur les prix soit peut-être bien différente de l’effet qu’aurait l’ajout d’un troisième concurrent à une situation duopolistique sur les prix. En fait, il ressort de l’analyse de M. Reitman que c’est effectivement le cas. M. Niels a admis que, en théorie, l’effet réducteur d’une entrée sur le marché sur les prix devrait diminuer à mesure que le nombre de concurrents présents sur le marché en question augmente. Cependant, il a soutenu que cette diminution est [traduction] « une question de degré » (Transcription, Conf. B, 15 octobre 2018, aux p. 491 et 492). M. Niels a de plus admis, à la suite de questions posées par la formation, qu’il aurait pu mesurer les effets séparément pour les aéroports qui étaient passés de un à deux fournisseurs par rapport à ceux qui étaient passés de deux à trois fournisseurs, mais qu’il ne l’avait pas fait.

[711] Étant donné que dnata est maintenant présente sur le marché des services de manutention à YVR, il est encore plus difficile de voir comment l’effet d’une entrée dans une situation monopolistique peut être extrapolé au marché pertinent à YVR. L’effet de l’entrée d’un troisième concurrent (avant l’entrée récente de dnata sur le marché) est ce qui est pertinent en l’espèce. Par ailleurs, le Tribunal doit se pencher sur l’effet qu’a l’entrée sur le marché sur les prix que paient toutes les sociétés aériennes, ou du moins celles qui représentent une part importante du marché pertinent, plutôt qu’un sous-ensemble petit et arbitraire d’entre elles. Seules deux estimations de paramètre pondérées par les revenus permettent de répondre à ces deux exigences. La première est le paramètre de M. Reitman qui s’applique à [CONFIDENTIEL]. Le second est le paramètre de M. Reitman qui s’applique à [CONFIDENTIEL].

[712] Le Tribunal signale que, à cet égard, M. Niels a répondu qu’il y avait, outre le nombre de concurrents, d’autres facteurs qui avaient une incidence sur l’intensité de la concurrence. Il a cité des preuves indiquant que [CONFIDENTIEL]. Le Tribunal ne souscrit pas à cette affirmation, car la preuve au dossier n’établit pas, selon la prépondérance des probabilités, que [CONFIDENTIEL].

[713] Pour tous les motifs qui précèdent, le Tribunal souscrit à la conclusion de M. Reitman, à savoir que l’effet de l’entrée d’un troisième concurrent sur les prix des services de manutention que paient toutes les sociétés aériennes n’est pas statistiquement significatif. Pour plus de certitude, l’analyse économétrique qu’a faite M. Niels au sujet des prix que paient les entreprises n’ayant pas changé de fournisseur ne constitue donc pas une preuve claire et fiable qui étaye la conclusion que, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV, les prix des services de manutention à YVR auraient vraisemblablement été ou seraient vraisemblablement inférieurs, ou encore moins « sensiblement » inférieurs.

· Les gains réalisés par Jazz à la suite d’un changement de fournisseur

[714] Le commissaire se fonde également sur une autre analyse économique qu’a effectuée M. Niels, relativement aux gains réalisés par Jazz grâce à un changement de fournisseur à la suite de sa DP de 2014 (l’« Analyse de Jazz »). Cette analyse [CONFIDENTIEL] les propres gains estimatifs que Jazz a réalisés à la suite d’un changement de fournisseur a été effectuée par Mme Bishop, dont il est question plus loin dans la présente section.

[715] M. Niels s’est servi de données sur les fournisseurs de services de restauration à bord pour déterminer les économies que Jazz avait réalisées en changeant de fournisseur de services de restauration à bord en 2015 (de Gate Gourmet à Strategic Aviation et Newrest dans huit aéroports autres que YVR). L’analyse de M. Niels a relevé des avantages financiers précis dont Jazz avait bénéficié lorsqu’une entrée sur le marché n’était pas exclue. M. Niels a conclu que Jazz avait économisé environ [CONFIDENTIEL] dans l’année suivant le changement, [CONFIDENTIEL] découlait des économies réalisées sur le plan des services de manutention. La conclusion de M. Niels était que les économies réalisées par Jazz découlaient de la concurrence que les nouvelles entreprises avaient introduite.

[716] Le commissaire soutient que les prix inférieurs que Jazz a payés après avoir changé de fournisseur reflètent un changement dans la position concurrentielle des nouvelles entreprises de services de restauration à bord et les avantages de la concurrence. Le commissaire soutient que [CONFIDENTIEL] représentent d’importantes économies pour ce qui est du marché des services de restauration à bord en 2015 dans ces aéroports.

[717] L’AAV a répondu que l’analyse de Jazz se limite à Gate Gourmet, et qu’elle fait donc entièrement abstraction de CLS.

[718] M. Reitman a ajouté que M. Niels a surestimé les économies réalisées par Jazz. M. Reitman a soutenu que M. Niels a fait abstraction des économies que Jazz aurait réalisées si elle avait renouvelé son contrat avec Gate Gourmet. Selon M. Reitman, Gate Gourmet avait initialement offert à Jazz [CONFIDENTIEL] dans le cadre de son nouveau contrat, ce qui représentait une économie de [CONFIDENTIEL], et [CONFIDENTIEL]. C’est donc dire que si Jazz avait continué de faire affaire avec Gate Gourmet, elle aurait [CONFIDENTIEL]. M. Niels a répondu que [CONFIDENTIEL].

[719] M. Reitman a soutenu également que, en tout état de cause, les économies réalisées dans d’autres aéroports ne s’appliquent pas à YVR, car les prix pratiqués à YVR n’ont peut-être pas été [CONFIDENTIEL] qu’ils l’étaient dans d’autres aéroports (Rapport de M. Reitman, aux par. 188 à 190). Pour dire les choses différemment, les autres aéroports où les économies ont été réalisées ne se comparent peut-être pas tout à fait à YVR. M. Reitman a déclaré que le [CONFIDENTIEL]. Par contraste, il a signalé que la preuve de Jazz [CONFIDENTIEL]. Il a donc conclu que les économies réalisées dans ces [CONFIDENTIEL] ne reflètent pas les conditions du marché à YVR.

[720] De plus, l’AAV a soutenu que l’analyse de Jazz ne se limite pas aux prix des services de manutention, et qu’elle ne tient donc pas compte de la possibilité que les économies réalisées sur le plan des services de manutention, quelles qu’elles soient, étaient compensées en tout ou en partie par des coûts plus élevés pour les services de restauration. L’AAV dit donc que ces résultats ne sont pas fiables en tant que preuve des coûts généraux inférieurs qui résultent d’un changement de fournisseur. Le Tribunal fait remarquer que M. Niels a également fait une analyse semblable pour les prix des services de manutention seulement, et a fait la mise en garde siovante : [traduction] « [l]e résultat concernant uniquement les services de manutention devrait être interprété avec soin » (Rapport de M. Niels, au par. 4.55).

[721] L’AAV a déclaré de plus que l’analyse de Jazz employait un scénario hypothétique inexact et qu’elle n’indique donc pas les économies réelles réalisées en optant pour Gate Gourmet. Cette analyse a mesuré les différences dans les coûts engagés par Jazz dans huit succursales en comparant le montant que Gate Gourmet avait facturé à Jazz en 2014 avec celui que Jazz avait payé à Strategic Aviation ou à Newrest en 2015. Cependant, les conditions de renouvellement du contrat que Gate Gourmet avait offertes pour 2015 [CONFIDENTIEL]. La situation hypothétique pertinente aurait comparé le montant que Jazz aurait payé à Gate Gourmet l’année suivante, si cette société n’avait pas changé de fournisseur, avec ce que Jazz avait payé plutôt aux autres entreprises de services de restauration.

[722] L’AAV a ajouté qu’il ressortait de la preuve que [CONFIDENTIEL].

[723] Suite à son évaluation de la preuve, le Tribunal est du même avis que le Commissaire et il souscrit à la preuve de M. Niels au sujet des [CONFIDENTIEL] économies qu’il a relevées dans son analyse de Jazz. Le fait que Jazz [CONFIDENTIEL]. De plus, bien qu’il soit vrai que les économies ne se limitent pas toutes aux services de manutention, M. Niels a reconnu que [CONFIDENTIEL] se rapportait à ces services. De plus, pour ce qui est de sa déclaration selon laquelle [CONFIDENTIEL].

[724] Pour tous les motifs qui précèdent, le tribunal conclut que l’analyse de Jazz de M. Niels, qui porte sur les économies que Jazz a réalisées dans les aéroports autres que YVR, constitue une preuve fiable à l’appui de la conclusion que, n’eût été de la conduite exclusionnaire, les prix des services de manutention fournis à Jazz auraient été ou seraient vraisemblablement quelque peu inférieurs. Cependant, ce fait à lui seul ne suffit pas pour acquitter le fardeau qu’a le Commissaire au titre de l’alinéa 79(1)c), étant donné surtout que [CONFIDENTIEL].

  • [CONFIDENTIEL]

[725] Un troisième élément de preuve économique que M. Niels a établi et sur lequel le Commissaire s’est fondé à l’audience est une preuve concernant la renégociation d’un contrat entre [CONFIDENTIEL] en 2014.

[726] [CONFIDENTIEL].

[727] Dans son rapport en réponse, M. Niels a analysé [CONFIDENTIEL].

[728] M. Reitman a formulé deux critiques à l’égard de l’analyse de M. Niels : (i) [CONFIDENTIEL] et (ii) sans changement au nombre de concurrents à YVR, l’augmentation des prix n’aurait pas pu se solder par un accroissement de la puissance commerciale.

[729] Le Tribunal souscrit à l’observation du Commissaire selon laquelle même si [CONFIDENTIEL].

[730] Cependant, le Tribunal n’est toujours pas convaincu que [CONFIDENTIEL] était attribuable à l’exercice d’une puissance commerciale que [CONFIDENTIEL] n’aurait vraisemblablement pas été en mesure d’exercer, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV. [CONFIDENTIEL] rivalisait contre [CONFIDENTIEL] tant avant qu’après le changement, et le Commissaire n’a pas montré que la présence de Newrest, de Strategic Aviation ou d’Optimum aurait vraisemblablement empêché [CONFIDENTIEL] d’être en mesure d’imposer l’augmentation de prix en question. Par ailleurs, en ce qui concerne [CONFIDENTIEL], le Tribunal réitère que la prétention de M. Niels selon laquelle il a été montré que [CONFIDENTIEL] n’était pas étayée par la preuve disponible, y compris le [CONFIDENTIEL] à YVR. Cela était également contredit par le [CONFIDENTIEL] à YVR.

[731] Le Tribunal conclut donc que le Commissaire n’a pas montré au moyen d’une preuve claire et convaincante que, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV, [CONFIDENTIEL] pour les services de manutention à YVR aurait été ou serait vraisemblablement inférieur, et encore moins « sensiblement » inférieur.

  • Jazz

[732] À l’appui de son argument concernant les effets de prix anticoncurrentiels de la conduite de l’AAV, le Commissaire s’est également fondé sur des éléments de preuve émanant directement de certaines sociétés aériennes. L’une d’entre elles était Jazz, qui a fourni des preuves au sujet de la DP qu’elle avait lancée en 2014. Dans cette DP de 2014, [CONFIDENTIEL].

[733] Mme Bishop, de Jazz, a témoigné que, suite à la DP, Jazz a changé de fournisseur, passant de Gate Gourmet à Newrest, à YYZ, à YUL et à YYC, et de Gate Gourmet à Strategic Aviation dans cinq autres aéroports. Dans sa déclaration de témoin ainsi que lors de son interrogatoire principal, Mme Bishop a fourni des preuves au sujet des dépenses accrues que Jazz avait censément engagées parce qu’elle était obligée de signer un contrat avec Gate Gourmet, par opposition à [CONFIDENTIEL], à YVR. Elle a aussi fourni des preuves au sujet des économies que Jazz avait censément réalisées après avoir signé un contrat avec Newrest et Sky Café dans les huit autres aéroports situés dans tout le pays. Elle a déclaré que le fait de changer de fournisseur dans ces huit aéroports avait permis à Jazz de réaliser des économies de 2,9 millions de dollars (ou 16 %), en 2015 seulement. Comme il était impossible de changer de fournisseur à YVR, Jazz a dû accepter une offre de Gate Gourmet qui était environ [CONFIDENTIEL] supérieure à ce que Jazz aurait payé à cet aéroport si son fournisseur privilégié, [CONFIDENTIEL], avait été autorisé à accéder au côté piste à YVR. En tenant compte des changements importants apportés à la flotte de Jazz depuis 2015, cette société a estimé qu’elle a été forcée de payer environ [CONFIDENTIEL], sur une période de deux ans et trois mois, ou [CONFIDENTIEL], pour des services de restauration à bord à YVR, par rapport à ce qu’elle aurait eu à payer si elle avait été capable de recourir aux services de son fournisseur privilégié.

[734] Toutes les preuves que Mme Bishop a fournies à cet égard étaient fondées sur les pièces 10 et 13 jointes à sa déclaration de témoin.

[735] Mme Bishop a de plus témoigné que, lorsqu’elle a pris conscience que Jazz avait l’intention de changer pour d’autres fournisseurs de services à bord dans d’autres aéroports au Canada, Gate Gourmet a présenté une offre pour YVR qui reflétait en fin de compte une augmentation [CONFIDENTIEL] par rapport aux prix qu’elle demandait à Jazz en 2014 à YVR. Mme Bishop a déclaré que, malgré cette augmentation et [CONFIDENTIEL], Jazz n’a pas eu d’autre choix que d’adjuger le contrat [CONFIDENTIEL] à Gate Gourmet.

[736] Cependant, en contre‐interrogatoire, Mme Bishop a déclaré qu’elle n’avait joué aucun rôle dans l’exécution des calculs qui sous‐tendaient les chiffres indiqués dans les pièces 10 et 13. Elle n’était pas au courant non plus des détails entourant la manière dont les chiffres avaient été calculés. Mme Bishop n’a pas pu concilier les incohérences qu’il y avait entre les chiffres indiqués à la pièce 10 et ceux qui figuraient dans un courriel qu’un collègue, M. Umlah, lui avait envoyé. De la même façon, Mme Bishop n’a pas pu concilier les incohérences qu’il y avait entre les chiffres figurant à la pièce 10 et ceux obtenus à la suite d’une tentative pour recréer les chiffres figurant à la pièce 10, en se servant des explications fournies par les avocats de Jazz et adoptées par Mme Bishop. Cette dernière a été invitée par les avocats de l’AAV à concilier plusieurs autres incohérences et, à chaque occasion, elle a déclaré qu’elle ne le pouvait pas. Le Tribunal fait remarquer qu’il y avait d’importantes différences dans les chiffres découlant de ces calculs, comparativement à ce qui était déclaré à la pièce 10. Mme Bishop n’a pas été capable non plus de fournir des renseignements complets sur la manière dont les chiffres figurant à la pièce 13 avaient été calculés.

[737] Suite au contre‐interrogatoire de Mme Bishop, et après avoir entendu comment celle-ci a témoigné et répondu en contre‐interrogatoire à l’audience, et après avoir observé son comportement, le Tribunal n’est pas convaincu que les chiffres utilisés dans sa déclaration ou lors de son témoignage au sujet de ces derniers peuvent être considérés comme fiables. Mme Bishop a pu expliquer comment certains calculs arithmétiques avaient été faits, mais elle n’a pas pu préciser les différences apparentes qu’ils présentaient avec d’autres documents émanent de Jazz. Le Tribunal conclut donc que les preuves que comporte la déclaration de témoin de Mme Bishop au sujet des pièces 10 et 13 et les économies manquées ou dépenses supérieures à YVR alléguées ne constituent pas une preuve fiable, crédible et probante, et on ne peut leur accorder que peu de poids. Les chiffres qu’elle a avancés ne peuvent pas être vérifiés, et ils sont contredits par la preuve.

[738] Pour tous les motifs qui précèdent, la preuve concernant la DP de 2014 de Jazz n’aide pas le Commissaire à établir les effets de prix anticoncurrentiels qui sont liés à la conduite exclusionnaire de l’AAV.

  • Air Transat

[739] Le Commissaire a fait référence à des preuves semblables d’Air Transat, relativement à une DP de 2015 concernant la fourniture de services de restauration à bord dans un nombre total de 11 aéroports desservis par cette société aérienne. Dans le cadre de la DP, Air Transat a reçu des propositions de [CONFIDENTIEL].

[740] À l’instar de Mme Bishop, la témoin d’Air Transat, Mme Stewart, a témoigné au sujet des dépenses supérieures alléguées qu’Air Transat s’attendait à engager à YVR par suite de la signature d’un contrat avec Gate Gourmet, par opposition à Optimum. Elle a également témoigné au sujet des économies alléguées qu’Air Transat avait réalisées à la suite de la signature d’un contrat avec Optimum, par opposition à Gate Gourmet, dans d’autres aéroports situés au pays.

[741] Mme Stewart a déclaré que les prix réels d’Optimum représentaient des économies d’environ [CONFIDENTIEL], ou [CONFIDENTIEL], sur [CONFIDENTIEL] années, et ce, pour des succursales situées dans tout le pays, comparativement aux coûts réels payés par Air Transat à [CONFIDENTIEL]. Mme Stewart a de plus déclaré qu’à YVR le fait qu’elle avait signé un contrat avec Gate Gourmet dans ce seul aéroport avait obligé Air Transat à payer environ [CONFIDENTIEL] % de plus à YVR qu’elle s’attendait à payer à Optimum, le fournisseur de services de restauration à bord qu’elle privilégiait à YVR.

[742] De plus, Mme Stewart a indiqué que [CONFIDENTIEL]. Néanmoins, [CONFIDENTIEL] n’ont pas été quantifies par Mme Stewart dans sa déclaration de témoin.

[743] Pour ce qui est de l’augmentation alléguée des dépenses à YVR, Mme Stewart a affirmé dans sa déclaration de témoin : [traduction] « Air Transat a conclu que l’offre d’Optimum concernant YVR était supérieure à celle de Gate Gourmet, tant sur le plan du prix que sur celui du service » (Déclaration de Mme Stewart, au par. 33). Cependant, en contre‐interrogatoire, Mme Stewart a convenu que [CONFIDENTIEL].

[744] En contre‐interrogatoire, Mme Stewart a également reconnu que sa déclaration de témoin comportait une erreur importante, relativement à son affirmation selon laquelle, parce qu’elle avait signé un contrat avec Gate Gourmet à YVR, Air Transat avait payé [traduction] « environ [CONFIDENTIEL] que ce qu’elle aurait payé pour les services d’Optimum à YVR » (Déclaration de Mme Stewart, au par. 35). Mme Stewart a précisé qu’Air Transat avait payé environ [CONFIDENTIEL], pas [CONFIDENTIEL] que ce qu’elle aurait payé à Optimum.

[745] Le Tribunal convient avec l’AAV que, même après correction, la déclaration de Mme Stewart n’est pas une preuve particulièrement convaincante d’une augmentation vraisemblable des prix relatifs aux services de manutention à YVR. Premièrement, la prétention de Mme Stewart au sujet d’une augmentation de [CONFIDENTIEL] % dans les coûts payés à Gate Gourmet englobe à la fois les services de restauration et les services de manutention. Deuxièmement, dans son témoignage, Mme Stewart a reconnu qu’elle n’était pas en mesure d’indiquer si les économies de coût qu’offrait Optimum découlaient des services de manutention ou des services de restauration. Troisièmement, même si l’on présume que l’offre de [CONFIDENTIEL] pour les services de manutention [CONFIDENTIEL], ce prix [CONFIDENTIEL] pour les services de manutention [CONFIDENTIEL]. Enfin, une comparaison des prix [CONFIDENTIEL] auraient facturés à YVR [CONFIDENTIEL] avec les prix qu’elle facturait [CONFIDENTIEL] n’est pas une preuve convaincante de l’existence d’une puissance commerciale quelconque [CONFIDENTIEL] à YVR. Dans les deux cas, [CONFIDENTIEL].

[746] La preuve de Mme Stewart au sujet des économies qu’aurait réalisées par Air Transat à la suite de la signature d’un contrat avec Optimum, par opposition à Gate Gourmet, dans des aéroports autres que YVR présentait des problèmes analogues. Mme Stewart a admis en contre‐interrogatoire que si l’on ne prenait en compte que les prix relatifs aux services de manutention, [CONFIDENTIEL] l’analyse de coûts d’Air Transat révélait de plus que [CONFIDENTIEL].

[747] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer que même M. Niels, l’expert du Commissaire, a reconnu que [CONFIDENTIEL], il était impossible de chiffrer avec précision les gains découlant du fait que cette société aérienne était passée de Gate Gourmet à Optimum.

[748] En résumé, pour les motifs susmentionnés, et après avoir entendu Mme Stewart lors de son témoignage et observé son comportement, le Tribunal n’estime pas que ses preuves sur les dépenses supérieures alléguées et économies prévues d’Air Transat constituent une preuve claire, convaincante et fiable à cet égard. Le Tribunal conclut que cette preuve ne mérite pas beaucoup de poids pour ce qui est des effets anticoncurrentiels allégués de la conduite exclusionnaire de l’AAV sur les prix, comparativement au monde hypothétique.

  • Le témoignage d’Air Canada et de WestJet

[749] Le Commissaire a également fait référence aux témoignages de témoins d’Air Canada (M. Yiu) et de WestJet (M. Soni), au sujet des effets de la conduite exclusionnaire de l’AAV sur les prix. Le Commissaire soutient qu’il ressort de cette preuve que, n’eût été de cette conduite, ces sociétés aériennes auraient vraisemblablement eu, et auraient dans l’avenir, accès à des options dont les prix seraient fixés de manière plus concurrentielle à YVR pour les services de restauration à bord.

[750] Cependant, le Tribunal signale que la preuve sur laquelle le Commissaire s’est fondé se compose de déclarations générales et génériques contenues dans les déclarations de témoin au sujet de l’absence de concurrence et des avantages d’une concurrence accrue dans les services de manutention, sans préoccupations précises ou sans exemples donnés par ces deux grandes sociétés aériennes, qui représentaient près de 70 % des vols à YVR en 2016 et en 2017. Dans le même ordre d’idées, et comme il en est question plus en détail à la section suivante, [CONFIDENTIEL] d’Air Canada, faisant part de préoccupations au sujet des refus d’accorder des permis à Newrest et à Strategic Aviation, ne donnent aucun exemple précis ou ne font état d’aucune préoccupation à l’égard des services de manutention fournis à YVR, en dépit du fait qu’Air Canada est, de loin, la principale société aérienne qui exploite ses activités à YVR, et [CONFIDENTIEL] dans tout le Canada et [CONFIDENTIEL] à YVR.

[751] Le Tribunal considère que cette preuve générique d’Air Canada et de WestJet ne fournit pas une preuve claire, convaincante et non conjecturale, avec un degré suffisant de précision, au sujet des effets négatifs de la conduite exclusionnaire de l’AAV sur les prix.

[752] Le Tribunal est conscient que les sociétés aériennes préfèreraient, pour ce qui est des services de restauration à bord, plus d’options que moins. Mais, pour constituer une preuve qui soit suffisamment claire et convaincante pour répondre à la norme de la prépondérance des probabilités, et pour étayer la conclusion d’un empêchement ou d’une diminution vraisemblable de la concurrence dans le marché des services de manutention par suite de la conduite exclusionnaire de l’AAV, il aurait fallu que les éléments de preuve de ces deux grandes sociétés aériennes soient plus précis et détaillés.

  • Les lettres des sociétés aériennes

[753] À l’audience, le Commissaire a beaucoup insisté sur des lettres de huit sociétés aériennes qui faisaient état de leur appui en faveur d’une plus grande concurrence dans les services de manutention à YVR. Il s’agit de quatre lettres envoyées en avril 2014 par chacune des sociétés suivantes : Air Canada, Jazz, Air France / KLM et British Airways, ainsi que de cinq lettres envoyées en novembre et en décembre 2016 par [CONFIDENTIEL], Korean Air, Delta Airlines et Air France.

[754] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal n’estime pas que ces lettres soient particulièrement convaincantes et il estime qu’il ne peut leur accorder qu’un poids restreint en tant que preuve d’effets vraisemblablement anticoncurrentiels au sein du marché des services de manutention par suite de la conduite exclusionnaire de l’AAV.

[755] Pour ce qui est des quatre premières lettres écrites en avril 2014, le Tribunal signale qu’elles ont été envoyées à la requête de Newrest, dans le contexte de la demande de cette dernière en vue d’obtenir un permis relatif aux services de restauration à bord à YVR. Seules deux de ces lettres (celles d’Air Canada et de Jazz) ont été adressées à l’AAV. (Les deux autres ont été adressées à Newrest.) Les lettres étaient brèves, exprimaient l’appui des sociétés aériennes envers les demandes de Newrest (et de Strategic Aviation) en vue d’obtenir des permis de fourniture de services de restauration à YVR, et indiquaient que la concurrence n’était pas optimisée à YVR, qui ne comptait que deux grandes entreprises de services de restauration à bord. À part leur appui général en faveur de l’entrée sur le marché d’une nouvelle entreprise, aucune des lettres ne faisait état de préoccupations particulières quant aux services de manutention fournis à YVR.

[756] Dans leurs déclarations de témoin ainsi que dans les témoignages qu’ils ont rendus devant le Tribunal, MM. Richmond et Gugliotta ont souligné que les lettres se limitaient à quelques phrases exprimant l’appui général de chacune des sociétés aériennes à l’égard de la demande de Newrest. Ils ont signalé qu’aucune ne contenait des informations particulières ou des plaintes concernant précisément les services de restauration à bord à YVR que l’AAV n’avait pas prises en considération. Dans le même ordre d’idées, les lettres ne fournissaient aucune raison pour reconsidérer la décision de l’AAV.

[757] Pendant le mois de mai 2014, M. Richmond a écrit des lettres de réponse au président et chef de la direction d’Air Canada et à Jazz (les deux seules sociétés aériennes qui avaient directement écrit à l’AAV), pour expliquer la décision de l’AAV de ne pas autoriser une troisième entreprise de services de restauration à bord à accéder au côté piste à YVR. À une exception près, il n’y a aucune preuve que, suite à la réponse de M. Richmond et à l’explication concernant la décision de l’AAV de ne pas délivrer un permis à Newrest et à Strategic Aviation, Air Canada ou Jazz a répondu à l’AAV au sujet de la situation des services de restauration à bord à YVR. Le Tribunal signale que, dans la déclaration de témoin qu’elle a préparée pour la présente demande, Mme Bishop a indiqué que Jazz n’accepte pas la façon dont l’AAV évaluait le marché des services de restauration à bord à YVR, comme M. Richmond l’avait exprimé à l’époque. Cependant, la preuve de 2014‐2015 ne montre pas que ces deux sociétés aériennes ont exprimé des préoccupations particulières à l’AAV à la suite de la réponse de mai 2014. L’exception est une conversation téléphonique avec le chef de la direction de Jazz, une conversation que M. Richmond a mentionnée dans sa déclaration de témoin, dont il ne se souvenait pas précisément et qui n’a pas changé le point de vue de l’AAV.

[758] Il n’y a aussi dans le dossier aucune preuve de préoccupations ou de plaintes précises qu’auraient exprimées à l’AAV Air France / KLM ou British Airways (les deux sociétés aériennes qui ont écrit les autres lettres de 2014) à l’égard des services de manutention fournis à YVR.

[759] Quant aux cinq lettres datant de la fin de novembre et du début de décembre 2016, le Tribunal fait remarquer qu’elles ont été envoyées dans le contexte de la demande du Commissaire, peu après que ce dernier eut déposé la demande, à la fin de septembre 2016. Le Tribunal signale de plus que les lettres sont toutes passablement brèves, qu’elles ne contiennent, elles aussi, que des commentaires généraux sur les avantages des marchés concurrentiels et qu’elles ne font référence à aucune question ou à aucun problème précis au sujet des services de restauration à bord qui sont fournis à YVR. De plus, elles sont libellées d’une manière très semblable (quelques phrases sont quasi identiques), et ce, même si elles proviennent de sociétés aériennes réparties aux quatre coins du globe (c’est-à-dire, [CONFIDENTIEL], Air France, Delta Airlines et Korean Airlines).

[760] Chaque lettre débute par un paragraphe indiquant qu’elle est envoyée dans le contexte de la demande que le Commissaire a déposée. Elle mentionne ensuite que la concurrence est presque toujours [traduction] « bien accueillie » dans les aéroports où la société aérienne en question exploite ses activités et que, à YVR, la concurrence est insuffisante ou non optimisée car il ne s’y trouve que deux entreprises de services de restauration à bord. Enfin, elle affirme que la société aérienne appuie la demande de Newrest en vue d’obtenir un permis de fourniture de services de restauration à YVR. Pour ce qui est plus précisément de [CONFIDENTIEL] à l’exception d’une référence introductive supplémentaire à la demande du Commissaire.

[761] Ces lettres générales (et les preuves fournies par les témoins ayant comparu pour le compte de ces sociétés aériennes, c’est‐à‐dire Air Canada et Jazz) doivent être mises en balance avec le témoignage de MM. Richmond et Gugliotta, qui montre que l’AAV avait des contacts réguliers et continus avec toutes les sociétés aériennes qui étaient présentes à YVR et que, lors de ces contacts au cours de la période pertinente, les dirigeants des sociétés aériennes avec lesquelles MM. Richmond et Gugliotta faisaient affaire n’avaient soulevé auprès de l’AAV aucune préoccupation à l’égard des services de restauration à bord ou de la concurrence à YVR (à l’exception de la conversation téléphonique avec Jazz qui a été mentionnée plus tôt). Plus précisément, aucune preuve n’indique que, [CONFIDENTIEL] a fait part d’une préoccupation quelconque à l’AAV au sujet du prix ou de la qualité des services de manutention à YVR.

[762] M. Richmond a de plus signalé que, d’après son expérience, lorsqu’une société aérienne a un grave problème au sujet d’une activité aéroportuaire, elle n’hésite pas à en faire part sur‐le‐champ à la direction de l’aéroport. M. Richmond a également déclaré qu’en avril 2014 aucune société aérienne n’avait soulevé des préoccupations de nature opérationnelle ou financière quelconques au sujet des services de restauration et que [traduction] « aucune société aérienne, soit avant, soit depuis ce temps, ne [l’a] appelé au sujet des services de restauration à l’aéroport » (Transcription, Conf. B, le 30 octobre 2018, à la p. 818). M. Gugliotta a ajouté qu’il existe un mécanisme officiel à YVR, le Comité consultatif des sociétés aériennes, dans le cadre duquel l’AAV et les sociétés aériennes se réunissent de façon régulière. Cependant, aucune société aérienne n’a fait état d’un problème quelconque au sein de ce comité, pas plus que lors des autres contacts réguliers entre l’AAV et les sociétés aériennes, relativement à la qualité du service ou au prix des services de restauration à bord.

[763] M. Gugliotta a également fait référence aux réunions régulières que tient l’AAV avec la haute direction d’Air Canada et de WestJet, les deux plus grandes sociétés aériennes qui exploitent leurs activités à YVR. Il a déclaré que [traduction] « ce problème des cuisines de l’air, en termes de service ou de prix, n’a jamais été évoqué » par l’une ou l’autre de ces sociétés lors de ces réunions régulières (Transcription, Conf. B, le 1er novembre 2018, à la p. 1036). Cette preuve précise de l’AAV n’a pas été contredite par les témoins qui ont comparu pour le compte d’Air Canada et de WestJet, soit M. Yiu et M. Soni, respectivement.

[764] Le Tribunal a conclu que le témoignage de MM. Richmond et Gugliotta sur ce point était crédible et fiable. Il attribue plus de poids à leur témoignage particulier au sujet de leurs contacts avec les sociétés aériennes clientes qu’aux commentaires généraux qu’ont faits les huit sociétés aériennes dans les lettres de 2014 et de 2016 qui ont été envoyées à la demande de Newrest ou dans le contexte de la présente instance, lesquelles faisaient simplement état d’une préférence générale pour qu’il y ait plus de concurrence sur le plan des services de restauration à YVR.

[765] Pour étayer une conclusion d’effets vraisemblablement négatifs sur les prix ou les éléments hors prix, relativement au scénario hypothétique requis, il faut que le Commissaire produise une preuve claire, convaincante et cohérente qui soit suffisante pour répondre au critère de la prépondérance des probabilités. Il va sans dire que les lettres et les documents de la part de clients touchés par la conduite reprochée sont des plus pertinents et probants dans ce contexte. Cependant, quand il est question de clients avertis, il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce que les lettres en question fournissent un minimum de détails au sujet des effets réels ou anticipés de la conduite reprochée sur leurs activités respectives ou sur le marché en général. Le Tribunal conclut que les lettres dont il a été question plus tôt n’aident pas beaucoup à répondre à ce critère. Lorsque le Commissaire se fonde sur des lettres de participants de l’industrie avertis, comme les sociétés aériennes en l’espèce, le Tribunal a besoin de plus que des énoncés standards en faveur d’une concurrence accrue.

[766] Dans les circonstances, le Tribunal est d’avis que les lettres des sociétés aériennes que le Commissaire a produites ne sont pas assimilables à une preuve claire et convaincante qui étaye la conclusion selon laquelle, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV, les prix des services de manutention à YVR auraient été vraisemblablement inférieurs, ou le seraient vraisemblablement.

[767] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer que l’AAV a fait valoir que le pouvoir compensateur des sociétés aériennes doit être pris en compte à titre de facteur limitatif qui influe sur tout exercice, de la part des entreprises de services de restauration à bord, d’une puissance commerciale. Cependant, en l’absence d’une preuve précise à cet effet, le Tribunal n’est pas disposé à accorder beaucoup de poids à cet argument.

  • Les analyses de prix de l’AAV

[768] Le Tribunal a un commentaire de plus à faire sur les analyses de prix que l’AAV a soumises. Répondant à l’analyse de M. Niels au sujet des changements de fournisseur, M. Reitman a procédé à des analyses de régression en vue de comparer les prix des services de manutention à YVR aux prix de ces services dans d’autres aéroports du Canada.

[769] M. Reitman a produit deux modèles économétriques qu’il a lui‐même établis (en se servant de données relatives à Gate Gourmet et conçues par M. Niels). Dans ces modèles, il a comparé les prix payés pour tous les produits de restauration à bord par l’ensemble des sociétés aériennes présentes à YVR aux prix correspondants payés dans d’autres aéroports canadiens. Il a également comparé les prix d’un aéroport à un autre pour tous les produits des services de restauration à bord et des services de manutention, de même que pour les services de manutention seulement, et ce, pour toutes les sociétés aériennes clientes au cours de la période de 2013 à 2017. De plus, il a estimé l’effet de l’entrée sur le marché d’un nouveau fournisseur sur la différence entre les prix facturés [CONFIDENTIEL] dans les aéroports où une telle entrée avait eu lieu et les prix facturés dans les aéroports où il n’y avait eu aucune entrée.

[770] Dans ses analyses, M. Reitman a conclu que les prix facturés aux sociétés aériennes présentes à YVR [CONFIDENTIEL], que dans les autres aéroports. Autrement dit, il a relevé [CONFIDENTIEL] à YVR, par rapport aux prix pratiqués dans d’autres aéroports. La conclusion de M. Reitman a résisté à de nombreux tests de sensibilité, dont le fait de limiter l’échantillon aux produits des services de manutention et à des sociétés aériennes de petite taille. Il est arrivé à la même conclusion lorsqu’il a limité son analyse à une comparaison entre la période précédant l’entrée quelconque d’un nouveau fournisseur dans les aéroports en question et la période suivant toutes les entrées d’un nouveau fournisseur. Pour ce qui est de la totalité des produits relatifs aux services de restauration à bord et aux services de manutention, il a conclu que [traduction] « la régression donne lieu à [CONFIDENTIEL] coefficients par rapport aux variables relevées dans d’autres aéroports » (Rapport de M. Reitman, au par. 163). Pour ce qui est des services de manutention seulement, il a fait remarquer que [CONFIDENTIEL] (Rapport de M. Reitman, au par. 171). M. Reitman a également exécuté différentes variantes du modèle afin de vérifier s’il y avait des différences de prix entre YVR et d’autres aéroports au chapitre des produits et des services de restauration à bord au cours de la période précédant celle où d’autres aéroports avaient vécu l’entrée sur le marché d’autres fournisseurs de services de restauration à bord [CONFIDENTIEL], de même qu’au cours de la période postérieure à la dernière entrée sur le marché de [CONFIDENTIEL]]. M. Reitman a conclu que [CONFIDENTIEL].

[771] En réponse à cette preuve, le Commissaire a fait valoir que l’opinion de M. Reitman faisait montre d’une incompréhension fondamentale de l’évaluation économique pertinente à effectuer.

[772] M. Niels a fait valoir que M. Reitman n’avait pas contrôlé comme il faut les différences entre les aéroports sur le plan des salaires, des prix d’intrants pertinents et des taxes. Par exemple, [CONFIDENTIEL] que M. Reitman a employés ne reflète pas les différences de prix entre les villes. En conséquence, l’effet des restrictions appliquées par l’AAV en matière d’entrées sur le marché sur [CONFIDENTIEL] à YVR par rapport à d’autres aéroports peut être obscurci par d’autres influences qu’il n’a pas contrôlées. Pour ce faire, M. Niels a comparé les marges de BAIIA [CONFIDENTIEL] dans divers aéroports, plutôt que ses prix d’un aéroport à un autre. M. Niels a conclu que ces marges [CONFIDENTIEL] à YVR. M. Reitman a convenu que les marges étaient un meilleur outil de mesure que les prix. Cependant, il a critiqué M. Niels pour s’être servi de marges de BAIIA au lieu de marges sur coûts variables pour évaluer la concurrence. M. Reitman a jugé que, lorsqu’on se sert de marges sur coûts variables, les différences dans les marges sur coûts variables acquises [CONFIDENTIEL] dans l’ensemble des aéroports canadiens [CONFIDENTIEL].

[773] De façon plus formelle, le Commissaire a fait valoir que la méthode que M. Reitman a suivie ne traite pas des effets anticoncurrentiels de la conduite exclusionnaire de l’AAV parce que la question hypothétique appropriée (« n’eût été ») ne consiste pas à demander si, à YVR, les prix ou les marges sont peu élevés par rapport à ceux d’autres aéroports, mais plutôt s’ils auraient été vraisemblablement inférieurs en l’absence de la conduite de l’AAV.

[774] Le Tribunal est d’accord avec le Commissaire sur ce point et conclut que les analyses de prix de M. Reitman ne sont pas d’une grande utilité pour ce qui est d’évaluer les effets réels et vraisemblables de la conduite exclusionnaire de l’AAV qu’envisage l’alinéa 79(1)c). M. Reitman n’a pas évalué les changements de prix dans son analyse. Il a examiné les niveaux de prix dans leur ensemble, ainsi qu’au cours des périodes antérieures et postérieures, et il a conclu que, à YVR, les prix [CONFIDENTIEL] que dans d’autres aéroports, soit avant que de nouvelles entreprises s’y soient installées, soit après. Cependant, son analyse n’a pas utilisé de façon constante – ce qu’il aurait fallu faire – d’autres sources de différences dans les niveaux de prix d’un aéroport à un autre. Son analyse ne vérifie pas non plus si les différences de prix entre YVR et les autres aéroports ont changé entre les périodes préalables et postérieures à l’entrée de nouvelles entreprises sur le marché. Cet aspect de son analyse n’a donc pas traité de manière convaincante de l’effet de l’entrée de nouvelles entreprises sur les prix. En conséquence, cette preuve mérite peu de poids, sinon aucun.

  • La conclusion concernant les effets sur les prix

[775] À la lumière de ce qui précède, le Tribunal ne dispose que d’une preuve non convaincante et insuffisante au sujet des effets allégués de la conduite exclusionnaire de l’AAV sur les prix au sein du marché des services de manutention. Il conclut donc que le Commissaire n’a pas montré que la conduite exclusionnaire de l’AAV a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet d’avoir une incidence négative sur les prix facturés pour les services de manutention dans le marché pertinent.

(iv) L’innovation et la concurrence dynamique

[776] En ce qui concerne les effets de la conduite exclusionnaire de l’AAV sur les éléments « hors prix », le Commissaire soutient que cette conduite a entravé l’innovation ou privé les sociétés aériennes de formes innovatrices de concurrence, et ce, en excluant de nouveaux modèles de fourniture de services de restauration à bord du marché pertinent et en empêchant les fournisseurs de services de restauration à bord d’offrir aux sociétés aériennes des services innovateurs hybrides ou mixtes. Le Commissaire soutient que les participants du marché ont confirmé que l’innovation dans les services de restauration à bord est une dimension importante de la concurrence, qui a créé (et qui crée) pour les clients d’importants avantages sur le plan des prix et des éléments « hors prix » grâce à de nouveaux modèles et processus d’affaires. Le Commissaire indique que, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV, les sociétés aériennes auraient eu le choix d’obtenir à YVR des services de manutention auprès d’entreprise autres que les fournisseurs de services de restauration à bord à service complet qui sont en place et que, de ce fait, dans cet aéroport l’innovation et la concurrence dynamique auraient été nettement supérieures.

[777] Invoquant un article de l’économiste Carl Shapiro (Carl Shapiro, « Competition and innovation : Did Arrow Hit the Bull’s Eye? » dans Josh Lerner et Scott Stern (dir.), The Rate and Direction of Inventive Activity Revisited, (Chicago : University of Chicago Press, 2012), aux p. 376 et 377), le Commissaire souligne que l’innovation englobe un large éventail d’améliorations et de gains d’efficience, et pas seulement la mise au point de nouveaux processus et produits. Il ajoute qu’il existe une preuve considérable d’améliorations sur le plan de l’efficience et des modèles d’affaires pour les produits et les services existants, et que ces améliorations sont toutes aussi importantes pour la concurrence dynamique et l’innovation que les offres de produits et de service elles‐mêmes.

[778] Le Commissaire se fonde sur quatre sources de preuves à cet égard, soit les témoignages des représentants des entreprises de services de restauration à bord Strategic Aviation, Optimum et Newrest, ainsi que le témoignage qu’a rendu la représentante d’Air Transat, Mme Stewart.

[779] Selon le Commissaire, Strategic Aviation a introduit un modèle d’affaires différencié et économique, à savoir un [traduction] « guichet unique » qui englobe à la fois les services de restauration et les services de manutention. Contrairement aux entreprises dites traditionnelles, Strategic Aviation fournit des services de manutention en se servant de son propre personnel, mais elle s’associe à des tierces parties spécialisées pour fournir les services de restauration aux sociétés aériennes qui en ont besoin. Ce modèle permet aux sociétés aériennes d’obtenir la combinaison précise de services de manutention et de restauration dont elles ont besoin, sans être obligées d’absorber leur part des frais généraux fixes qui s’appliquent aux services de restauration à bord dont elles n’ont pas besoin. Cette nouvelle approche est elle‐même le produit de l’émergence d’un nouveau modèle d’affaires pour les sociétés aériennes, c’est‐à‐dire le modèle du transporteur à faible coût et l’accent qu’il met sur les achats à bord. M. Brown, de Strategic Aviation, a témoigné qu’il y avait une possibilité de tirer avantage du nouveau modèle, qui consistait à servir de meilleurs aliments aux passagers. Il a de plus déclaré que ces modèles d’affaires plus souples permettent non seulement aux sociétés aériennes d’obtenir plus facilement un type particulier d’aliments, mais aussi de réaliser des gains importants sur le plan de l’efficience économique et des prix inférieurs pour les sociétés aériennes en leur offrant, essentiellement, la possibilité de recourir à des cuisines externes bénéficiant d’un excédent de capacité.

[780] Un autre exemple sur lequel le Commissaire s’est fondé est Optimum. Cette dernière n’exploite pas d’installations de restauration, pas plus qu’elle ne fournit des services de manutention. Elle sous‐traite la totalité de ces services à des fournisseurs tiers indépendants. Elle agit essentiellement comme intermédiaire et trouve les meilleurs fournisseurs qui répondront aux besoins de chaque société aérienne dans chaque aéroport. M. Lineham, d’Optimum, a témoigné que son modèle d’affaires permet aux sociétés aériennes de [traduction] « trouver les bonnes cuisines qui peuvent apprêter les aliments qui conviennent » (Transcription, séance publique, le 3 octobre 2018, à la p. 180).

[781] Pour ce qui est de Newrest, M. Stent‐Torriani a témoigné que l’innovation se range en deux catégories : (i) le [traduction] « côté clientèle de première ligne » et (ii) le côté production. Pour ce qui est du [traduction] « côté clientèle de première ligne », M. Stent‐Torriani a déclaré qu’il y a [traduction] « bien des choses qui peuvent être faites en ce qui concerne le point de vente, c’est-à-dire, numérique, précommande, etc. » (Transcription, séance publique, le 4 octobre 2018, à la p. 239). Quant au côté production, il a ajouté qu’il existe aussi des améliorations technologiques qui peuvent être poursuivies sur le plan de la robotique, ce qui procure aux clients un niveau supérieur de traçabilité et de qualité.

[782] Le représentant d’Air Transat a également déclaré que sa société accorde de la valeur aux manières originales de faire des affaires, ce que favorisent l’entrée de nouvelles entreprises et la concurrence. Mme Stewart a déclaré que [CONFIDENTIEL] (Transcription, Conf. B, le 9 octobre 2018, à la p. 356).

[783] L’AAV répond que le marché des services de manutention n’est pas [traduction] « dynamique » c’est‐à‐dire qu’un tel marché a pour caractéristiques d’importants changements ou innovations de nature technologique, qui sont les deux caractéristiques distinctives d’un marché dans lequel, dit‐elle, les effets qualitatifs revêtent une pertinence particulière. L’AAV soutient que les services de manutention sont une activité dans laquelle les principaux intrants sont la main‐d’œuvre, les installations physiques, comme les entrepôts, ainsi que le matériel, comme les camions. Selon l’AAV, Strategic Aviation ne proposait pas [traduction] « d’innover »; elle proposait plutôt de suivre un modèle d’affaires qui consistait à ne fournir que l’élément « manutention » des services de restauration à bord, tout en s’associant avec Optimum ou d’autres entreprises pour la fourniture d’aliments. Lors du contre‐interrogatoire, [CONFIDENTIEL].

[784] Comme il est affirmé dans la décision TREB TC, le Tribunal estime que la concurrence dynamique, y compris l’innovation, est la dimension la plus importante de la concurrence (décision TREB TC, au par. 712). Pour faire écho aux propos de l’économiste Joseph Schumpeter, la concurrence est, à la base, un processus dynamique « par lequel les entreprises s’efforcent de survivre en se fondant sur un modèle de règles évolutives qui produit constamment des gagnants et des perdants » (décision TREB TC, au par. 618). Le Tribunal ne conteste pas non plus que l’innovation peut revêtir des formes différentes et qu’elle englobe plus que la mise au point de nouveaux produits ou de nouveaux processus, ou l’introduction de nouvelles technologies de pointe. Elle peut en fait s’étendre à des entreprises concurrentes qui imaginent des modèles d’affaires différents ou améliorés.

[785] Cependant, en l’espèce, la preuve relative à l’innovation rate la cible. Le Tribunal n’est pas convaincu qu’il ressort de la preuve au dossier que, n’eût été de la conduite exclusionnaire, il y aurait eu, ou il y aurait, vraisemblablement une perspective réaliste de changements importants en matière d’innovation, liés à l’arrivée de nouvelles entreprises dans le marché des services de manutention.

[786] Premièrement, à part une seule référence faite par [CONFIDENTIEL], il n’existe aucune preuve claire et convaincante d’avantages qualitatifs, hormis une réduction du coût des intrants, que Strategic Aviation, Optimum ou Newrest aurait vraisemblablement apportés. La preuve émanant de ces trois fournisseurs de services de restauration à bord ne comportait pas d’exemples convaincants d’approches ou de produits sensiblement plus innovateurs qu’ils auraient offerts aux sociétés aériennes.

[787] Deuxièmement, les modèles d’affaires de Strategic Aviation et d’Optimum, lesquels consistent à offrir séparément des services de restauration et des services de manutention, ne sont pas nouveaux. Il ressort de la preuve que Gate Gourmet et d’autres fournisseurs de services de restauration à bord à service complet ont également évolué dans cette direction et qu’ils sont capables de fournir ‐ et fournissent ‐ des services de manutention séparément. Autrement dit, les services de manutention censément novateurs que Strategic Aviation propose de fournir (c’est‐à‐dire, uniquement la partie « manutention » des services de restauration à bord) sont actuellement fournis par Gate Gourmet à YVR et pourraient fort bien l’être aussi par dnata, une fois que celle-ci entreprendra ses activités.

[788] Il existe une preuve que Gate Gourmet est disposée à offrir le volet « manutention » de ses services complets aux sociétés aériennes qui ne souhaitent pas profiter de la capacité qu’a Gate Gourmet de préparer les aliments. Notamment, depuis 2017, Gate Gourmet fournit uniquement à WestJet des services de manutention à YVR. Dans le même ordre d’idées, Gate Gourmet fournit à Air Canada des services qui consistent à charger et à décharger des aliments surgelés préemballés qu’ont préparés [CONFIDENTIEL] d’Air Canada et Optimum. Comme en fait foi le succès de [CONFIDENTIEL] et la tendance qu’ont les sociétés aériennes à faire davantage affaire avec des entreprises de restauration situées à l’extérieur des aéroports, ces options existent déjà et les entreprises de services de restauration à bord qui sont en place offrent déjà de nouveaux modèles et processus d’affaires, qui peuvent être adaptés aux besoins des sociétés aériennes. Les entreprises de services de restauration à bord qui sont en place se servent également de leurs cuisines pour approvisionner des clients autres que les sociétés aériennes.

[789] [CONFIDENTIEL].

[790] [CONFIDENTIEL].

[791] Le Tribunal reconnaît que les modèles d’affaires de Gate Gourmet, de CLS et de dnata ne sont pas identiques à ceux qu’emploient Strategic Aviation et Optimum, car ces dernières obtiennent principalement leurs produits auprès de restaurants différents ayant un excédent de capacité. Mais, pour ce qui est des services de manutention, le Commissaire n’a pas montré qu’il est vraisemblable que, n’eût été de la conduite exclusionnaire, de nouvelles entreprises auraient apporté, ou apporteraient, de nouveaux modèles ou des innovations particulièrement importantes au sein du marché pertinent. Pour dire les choses différemment, pour ce qui est de cette dimension « hors prix » de la concurrence, le Tribunal ne conclut pas que l’innovation ou la gamme des services offerts dans le marché des services de manutention était, est ou serait sensiblement inférieure à ce qu’elle serait en l’absence de la conduite exclusionnaire de l’AAV.

[792] En fait, M. Brown, de Strategic Aviation, et Mme Bishop, de Jazz, ont confirmé que les services de manutention que fournissait Strategic Aviation n’étaient pas différents de ceux de Gate Gourmet ou d’autres entreprises de services de restauration à bord à service complet.

[793] Il ressort de la preuve que la seule entreprise qui a explicitement déclaré qu’elle hésiterait à fournir des services de manutention de façon indépendante à des sociétés aériennes à YVR était une des nouvelles entreprises, soit Newrest. Dans son témoignage, M. Stent‐Torriani a indiqué que Newrest pourrait offrir des services de restauration sans services de manutention, mais que ce n’était pas l’option qu’il privilégiait, et qu’elle ne fournirait [traduction] « presque certainement » pas de tels services de manutention sous forme séparée (Transcription, séance publique, le 4 octobre 2018, aux p. 236 et 237).

[794] Il n’existe pas non plus de preuve claire et convaincante d’une diminution de la qualité du service dans le marché des services de manutention à YVR, par rapport au scénario hypothétique dans lequel l’AAV ne s’est pas livrée à sa conduite exclusionnaire. À part un exemple donné par la témoin d’Air Transat dans le contexte de la DP de 2015 (voir plus haut), aucune preuve n’a été produite pour montrer que le fait que des sociétés aériennes avait changé pour des fournisseurs de services de restauration [traduction] « innovateurs » dans d’autres aéroports avait permis de réaliser d’importantes améliorations sur le plan de la qualité du service ou des produits.

[795] Pour les raisons qui précédent, le Tribunal ne relève aucune preuve claire et convaincante que la décision de l’AAV de ne pas délivrer de permis à Newrest ou à Strategic Aviation s’est soldée par une diminution de l’innovation ou de la qualité des services, comparativement à ce qui aurait vraisemblablement existé en l’absence de la conduite exclusionnaire. Par ailleurs, il ressort de la preuve que dnata a l’intention de fournir la gamme complète des services de restauration à bord à partir de sa cuisine moderne et souple qui est située à l’extérieur de l’aéroport, près de YVR, à Richmond. En conséquence, surtout si l’on considère l’entrée de dnata sur le marché dans le cadre des circonstances de fait existantes, il n’existe aucune preuve convaincante d’une diminution du choix, du service ou de l’innovation à YVR par suite de la conduite exclusionnaire. Autrement dit, il n’a pas été établi que les niveaux de ces dimensions « hors prix » de la concurrence n’auraient vraisemblablement pas été, et ne seraient pas, sensiblement supérieurs, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV.

[796] Le Tribunal souligne que les entreprises de services de restauration à bord en place ont mis au point de nouveaux types d’offres et d’autres innovations qui procurent aux sociétés aériennes des options nouvelles et utiles, car les aliments servis à bord des aéronefs sont de moins en moins des repas frais et de plus en plus des repas surgelés et des aliments préemballés. Ce fait a joué de manière importante dans la manière dont le Tribunal a évalué si, vraisemblablement, l’innovation serait, ou aurait été, sensiblement supérieure en l’absence de la conduite exclusionnaire de l’AAV, et si l’élimination de la conduite exclusionnaire aurait vraisemblablement permis à des entreprises de services de restauration à bord innovatrices, ayant adopté de nouveaux modèles d’affaires, de faire progresser le marché des services de manutention sensiblement plus loin sur l’échelle de l’innovation. Le Tribunal n’est pas convaincu que, selon toute vraisemblance, ce soit le cas dans la présente demande.

[797] Compte tenu de tout ce qui précède, le Tribunal conclut donc que, n’eût été de la conduite exclusionnaire, il aurait pu y avoir quelques effets relativement restreints et positifs, sur le plan des prix et des éléments « hors prix », sur la concurrence dans le marché des services de manutention à YVR. À cet égard, il y aurait vraisemblablement eu quelques nouveaux arrivants sur le marché des services de manutention, il y aurait vraisemblablement eu quelques changements de fournisseur supplémentaires, et Jazz aurait peut‐être payé des prix quelque peu inférieurs à Gate Gourmet, y compris dans des aéroports autres que YVR. Cependant, ces effets sont nettement inférieurs à ce que le Commissaire alléguait. Par ailleurs, la conclusion qui précède ne représente pas la fin de l’analyse requise.

[798] Le Tribunal examine maintenant si les effets anticoncurrentiels restreints qui ont été relevés plus tôt, considérés ensemble, atteignent le niveau du « caractère sensible » qu’exige l’alinéa 79(1)c) de la Loi. Le Tribunal conclut que non. En bref, l’incidence globale des effets anticoncurrentiels restreints qui, a‐t‐il été démontré, découlent de la conduite exclusionnaire de l’AAV ne constitue pas un empêchement ou une diminution vraisemblablement sensible de la concurrence au sein du marché pertinent. Autrement dit, le Tribunal n’est pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV, les prix des services de manutention auraient vraisemblablement été, ou seraient vraisemblablement, sensiblement inférieurs dans le marché des services de manutention, ou qu’il y aurait vraisemblablement eu, ou qu’il y aurait vraisemblablement, une concurrence nettement moindre à l’égard des éléments « hors prix » dans ce marché, par exemple sur le plan des niveaux de service ou de l’innovation.

[799] Le Tribunal n’est pas convaincu que la preuve relative à la probabilité de l’entrée de fournisseurs supplémentaires sur le marché et à la probabilité de changements supplémentaires de fournisseur dans le marché pertinent est suffisante pour permettre au Commissaire de s’acquitter du fardeau que lui impose l’alinéa 79(1)c). Sans l’existence d’un lien entre, d’une part, ces nouvelles entrées sur le marché et ces nouveaux changements de fournisseur et, d’autre part, une incidence marquée sur les dimensions « prix » ou « hors prix » de la concurrence dans une partie importante du marché des services de manutention (arrêt Tervita CAF, au par. 108), la preuve du Commissaire rate la cible. À cet égard, le Tribunal convient avec l’AAV que la preuve du Commissaire ne démontre pas de manière claire et convaincante qu’il y aurait vraisemblablement eu, ou qu’il y aurait vraisemblablement, une concurrence par les prix ou hors prix sensiblement supérieure à YVR, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV.

[800] Dans ses observations finales, le Commissaire a déclaré de façon générale que les effets anticoncurrentiels qui étaient attribuables à la conduite exclusionnaire de l’AAV atteignent le niveau du caractère sensible [traduction] « parce que l’AAV a exclu, et continue d’exclure, toute rivalité dans le marché de la fourniture de services de manutention à YVR » et que [traduction] « Gate Gourmet, CLS et, bientôt, dnata servent les sociétés aériennes présentes à YVR sans être menacées par un nouvel arrivant » (Plaidoyer final du Commissaire, au par. 112). Le Commissaire a de plus fait référence à ce qu’a déclaré le Tribunal dans la décision TREB TC, à savoir qu’« [e]n l’absence de rivalité, la concurrence n’existe pas et ne peut limiter la puissance commerciale, sauf si la menace de concurrence potentielle est particulièrement forte » (décision TREB TC, au par. 462).

[801] Cependant, on ne peut pas dire nécessairement que les effets anticoncurrentiels attribuables à la conduite exclusionnaire de l’AAV atteignent le niveau du caractère sensible juste parce que l’AAV a exclu l’entrée de nouvelles entreprises sur le marché en vue de la fourniture de services de manutention à YVR.

[802] Comme la CSC l’a indiqué dans l’arrêt Tervita, il ne suffit pas qu’un concurrent éventuel pénètre vraisemblablement le marché. « [I]l faut aussi que cette pénétration ait vraisemblablement un effet sensible sur le marché. [...] [P]our déterminer s’il y aurait un effet sensible, il faut nécessairement examiner diverses dimensions de la concurrence, dont le prix et les extrants. Il faut également mesurer l’ampleur et la durée de tout effet qu’elle aurait sur le marché » (arrêt Tervita, au par. 78). Il faut donc que le Commissaire montre que l’entrée d’une nouvelle entreprise sur le marché aurait vraisemblablement réduit la puissance commerciale des entreprises en place, ou qu’elle aurait vraisemblablement eu cet effet dans l’avenir. En l’absence d’une telle preuve, on ne peut pas dire que la conduite reprochée empêche sensiblement la concurrence (arrêt Tervita, au par. 64). Dans la présente affaire, le Commissaire n’a pas démontré la mesure dans laquelle l’une ou l’autre des deux entreprises en place avait une puissance commerciale et en quoi la conduite exclusionnaire de l’AAV a permis à ces participants du marché de conserver leur puissance commerciale, ou aurait vraisemblablement cet effet dans l’avenir.

[803] Il doit y avoir une preuve que le fait d’empêcher que de nouvelles entreprises entrent sur le marché ou qu’il y ait plus de changements de fournisseur se traduise par des effets vraisemblables et importants sur les prix ou sur les aspects autres que les prix dans le marché pertinent. Cette preuve n’a pas été fournie en l’espèce, et il s’agit là d’une lacune fatale dans l’argumentation du Commissaire.

[804] Pour ce qui est des gains que Jazz a réalisés en changeant de fournisseur, le fait qu’il existe une preuve d’économies de l’ordre de [CONFIDENTIEL] est de peu d’utilité pour l’analyse que fait le Tribunal au regard de l’alinéa 79(1)c) parce que cette preuve se rapporte aux économies qu’une seule société aérienne a réalisées dans des aéroports autres que YVR. Par ailleurs, le Commissaire n’a fourni aucune preuve au sujet de la taille des marchés de services de manutention dans ces autres aéroports, ou des dépenses totales que Jazz a effectuées au titre des services de manutention dans ces aéroports. Par conséquent, même si le chiffre [CONFIDENTIEL] qu’a estimé M. Niels [CONFIDENTIEL], le Tribunal n’a pas la preuve voulue pour, d’une part, déterminer l’importance et l’ampleur relatives des économies que Jazz a réalisées en changeant de fournisseur de services de restauration à bord dans d’autres aéroports et, d’autre part, le caractère substantiel de ces économies. Il faut que la mesure soit relative, par rapport à la taille du marché dans son ensemble et aux dépenses générales que Jazz a effectuées au titre des services de manutention dans les aéroports autres que YVR. Cette preuve n’a pas été fournie, et le Tribunal ne peut donc pas déterminer l’importance relative de cet effet allégué sur les prix et la mesure dans laquelle il faut l’attribuer en grande partie à la conduite exclusionnaire à YVR.

[805] Même si le Tribunal venait à considérer que certains des autres éléments de preuve produits par le Commissaire à propos des effets de la conduite de l’AAV sur les prix pourraient être interprétés comme ayant eu pour effet d’empêcher ou de diminuer réellement ou vraisemblablement la concurrence dans le marché pertinent, il ne conclurait pas, au vu des éléments de preuve qui lui ont été soumis, que le marché des services de manutention, vraisemblablement, aurait été, ou serait, sensiblement plus concurrentiel, n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV. Par exemple, la preuve du Commissaire au sujet de [CONFIDENTIEL] et de la diminution de prix de [CONFIDENTIEL] % dans le cas des sociétés aériennes de petite taille n’ayant pas changé de fournisseur ne l’aide pas beaucoup à démontrer qu’il y a eu un empêchement ou une diminution de la concurrence qui atteint un degré [traduction] « sensible », que ce soit en termes d’importance ou de portée.

[806] En ce qui concerne [CONFIDENTIEL], cette preuve avait trait à une seule petite société aérienne à YVR et à [CONFIDENTIEL], dans le cas d’un produit bien précis. La seule preuve qu’a fournie M. Niels d’une augmentation du prix des services de manutention facturés à [CONFIDENTIEL] était une augmentation du prix de [traduction] « [CONFIDENTIEL] », qui représentait [CONFIDENTIEL]. Et cette société aérienne est [CONFIDENTIEL] qui exploite ses activités à YVR.

[807] Dans le même ordre d’idées, en ce qui concerne la preuve des diminutions de prix dont ont bénéficié de petites sociétés aériennes dans d’autres aéroports, le Tribunal estime que le [CONFIDENTIEL] pondéré par les revenus que M. Niels a jugé comme assez modeste et guère importante, dans le contexte de ce marché pertinent particulier. Même M. Niels a qualifié cela de [traduction] « preuve de [CONFIDENTIEL] d’entrée pour les petites sociétés aériennes » (Pièces A‐085, CA‐086 et CA‐087, Rapport en réplique de M. Gunnar Niels, au par. 5.89). De plus, cela ne concerne que les [traduction] « petites sociétés aériennes » qui, dans l’ensemble, représentent environ [CONFIDENTIEL] du trafic (en termes de vols) à YVR. Même dans son analyse [traduction] « mixte » qui englobait les entrées de nouvelles entreprises sur le marché dans des situations monopolistiques, M. Niels n’a pas relevé d’effets marquants sur les prix dans le cas d’un échantillon formé de [traduction] « toutes les sociétés aériennes », soit les sociétés aériennes [CONFIDENTIEL] clientes de [CONFIDENTIEL]. Par ailleurs, aucune preuve n’a été fournie au sujet de la proportion que représentent ces « petites sociétés aériennes » dans le marché des services de manutention, par opposition au nombre de vols qui ont lieu à YVR. Le chiffre de « [CONFIDENTIEL] » susmentionné ne reflète pas une part de passagers, pas plus qu’il ne reflète nécessairement une part des dépenses de manutention à YVR. Comme l’a mentionné M. Reitman, la mesure qui s’applique à l’évaluation d’un empêchement ou d’une diminution sensibles allégués de la concurrence est la part des dépenses de manutention effectuées à YVR que représentent ces sociétés aériennes, et non la part des vols à YVR qu’elles représentent. Comme M. Niels l’a lui‐même déclaré, les [CONFIDENTIEL] sociétés aériennes [CONFIDENTIEL] qui ont été exclues de cet échantillon plus restreint représentent une part importante de [CONFIDENTIEL].

[808] Il vaut la peine de signaler qu’aucune preuve n’indique que le pourcentage des vols que représente une société aérienne est un bon indicateur du pourcentage des services de manutention qu’elle achète. En fait, la preuve donne plutôt à penser que les sociétés aériennes ayant une plus grande part de vols internationaux représentent vraisemblablement une part plus importante des services de manutention que leur proportion réelle de vols. Ce fait mine davantage l’importance de la preuve de M. Niels concernant les « petites sociétés aériennes ».

[809] Le Tribunal ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer que l’argument du Commissaire au sujet de l’empêchement ou de la diminution sensibles allégés du marché des services de manutention présente un problème : il n’a pas fourni de preuves claires, convaincantes et fiables au sujet de l’importance relative des diverses sociétés aériennes au sein du marché des services de manutention.

[810] De plus, comme il a été indiqué plus tôt, la preuve du Commissaire sur les effets de la conduite exclusionnaire de l’AAV sur les prix se limite à [CONFIDENTIEL] du total des revenus générés par les entreprises de services de restauration à bord qui exploitaient leurs activités à YVR, entre 2013 et 2017. Aucune preuve n’a précisément porté sur [CONFIDENTIEL] des revenus découlant des services de restauration à bord.

[811] Compte tenu de tout ce qui précède, le Tribunal n’est pas convaincu que les effets de prix ou hors prix anticoncurrentiels susmentionnés qui pourraient être imputables à la conduite exclusionnaire de l’AAV sont, individuellement ou globalement, « sensibles » comme l’exige l’alinéa 79(1)c) de la Loi. La preuve ne permet pas au Tribunal de conclure que la conduite exclusionnaire de l’AAV a eu, ou a, une incidence négative sur la concurrence par les prix ou hors prix dans le marché pertinent, et ce, dans une mesure importante, ou qu’elle l’aura vraisemblablement dans l’avenir.

[812] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que le Commissaire n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les exigences de l’alinéa 79(1)c) sont remplies. En bref, il n’est pas convaincu qu’il existe une preuve claire et convaincante démontrant, selon la prépondérance des probabilités, que vraisemblablement, dans le marché pertinent, et n’eût été de la conduite exclusionnaire de l’AAV, les prix des services de manutention seraient nettement inférieurs, qu’il y aurait une gamme nettement supérieure de services ou qu’il y aurait nettement plus d’innovations.

VIII. LA CONCLUSION

[813] Pour tous les motifs qui précèdent, la demande du Commissaire est rejetée. Compte tenu de cette conclusion, aucune mesure de réparation ne sera ordonnée.

IX. LES DÉPENS

[814] À l’issue de l’audience, le Tribunal a encouragé les parties à s’entendre sur le montant des dépens sans connaître l’issue de l’affaire. Il a expliqué que si elles ne réussissaient pas à s’entendre, elles pourraient présenter des observations sur les dépens en temps utile. Il réaffirme qu’il favorise de plus en plus cette approche parce qu’il y a plus de chances que le fait de demander aux parties de s’entendre sur la question des dépens avant qu’elles connaissent l’issue donne lieu à un règlement raisonnable et expéditif de la question des dépens. Il réitère en outre qu’il privilégie habituellement une adjudication de dépens sous forme globale, plutôt que la taxation formelle d’un mémoire de dépens.

[815] Par une lettre datée du 14 décembre 2018, les avocats du Commissaire et de l’AAV ont informé le Tribunal qu’ils avaient convenu d’une entente sur les honoraires d’avocat ainsi que d’une entente partielle sur les débours. Aux termes de cette entente, si le Tribunal adjugeait les dépens au Commissaire, l’AAV paierait 101 000 $ à ce dernier pour les honoraires d’avocat, tandis que le Commissaire paierait 103 000 $ à l’AAV, si les dépens étaient adjugés à cette dernière. Cependant, les parties ne sont pas parvenues à s’entendre sur les débours, à l’exception des frais de déplacement et des frais de transcription, qui, ont‐ils tous deux convenus, devraient s’élever à 73 314 $ et à 35 258 $, respectivement. Les parties n’ont pas réussi à s’entendre sur le reste des débours, et notamment sur leurs honoraires d’expert respectifs. Elles ont présenté chacune des mémoires de dépens détaillés.

[816] Comme l’AAV obtient gain de cause en l’espèce, elle a le droit de recouvrer au moins une partie de ses dépens.

[817] L’article 8.1 de la Loi sur le TC confère au Tribunal le pouvoir d’adjuger les dépens relatifs aux instances qui lui sont soumises conformément aux dispositions qui régissent les dépens dans les Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 (les « Règles des CF »). En conséquence, conformément au paragraphe 400(1) des Règles des CF, le Tribunal a « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ». Une liste non exhaustive des facteurs que le Tribunal peut prendre en compte au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire est énoncée au paragraphe 400(3) des Règles des CF. Il est un principe fondamental qu’une adjudication de dépens représente un compromis entre l’indemnisation de la partie ayant gain de cause et l’imposition d’une charge non indue à la partie déboutée (Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd (1998), 159 FTR 233 (CF 1re inst.), 84 CPR (3d) 303, conf. par (2001), 199 FTR 320 (CAF)).

[818] Dans l’arrêt Consorzio del Prosciutto di Parma c Maple Leaf Meats Inc, 2002 CAF 417 (l’« arrêt Maple Leaf Meats »), la CAF a décrit que l’adjudication des dépens est une question de jugement plutôt qu’un exercice comptable. Il ne s’agit pas d’un exercice exact, mais simplement d’une « estimation du montant que la Cour juge approprié » (arrêt Maple Leaf Meats, au par. 8). Les dépens adjugés ne devraient pas être excessifs ou punitifs, mais ils devraient plutôt refléter un juste rapport avec les dépens réels du litige. Le Tribunal doit donc décider ce qui constitue, dans les circonstances, les dépens et les débours juridiques qui sont nécessaires et raisonnables (Nadeau Ferme Avicole Ltée c Groupe Westco Inc, 2010 Trib conc 1, au par. 49).

[819] Pour ce qui est des dépens juridiques, les parties s’entendent sur le montant à payer à la partie ayant gain de cause. Cependant, en l’espèce, le succès remporté à l’égard des questions en litige a été partagé; le Commissaire a eu gain de cause à l’égard des définitions des produits et du marché géographique, de l’alinéa 79(1)a) et de l’ICP. L’AAV a consacré un temps passablement long à contester ces questions. Dans les circonstances, le Tribunal est d’avis que les dépens à payer à l’AAV devraient être réduits, d’un tiers environ, d’autant plus que cette dernière a persisté à consacrer du temps à la définition du marché, à l’alinéa 79(1)a) et à l’ICP, même si le Tribunal l’a encouragée à s’orienter vers les questions pour lesquelles c’est elle qui a finalement eu gain de cause. Le Tribunal fixe donc à 70 000 $ les dépens prévus au tarif B que le Commissaire doit payer à l’AAV.

[820] Quant aux débours, en plus des frais de déplacement et de transcription convenus, l’AAV réclame des honoraires d’expert de 1 834 848 $ pour M. Reitman et de 379 228 $ pour M. Tretheway, de même que des frais de gestion de documents et de communication préalable par voie électronique de 291 290 $, soit plus de 2,6 millions de dollars en tout. Le Commissaire soutient que ces débours sont excessifs et qu’il faudrait nettement les réduire.

[821] Le Tribunal est convaincu que les deux parties ont fourni, dans leurs mémoires de dépens respectifs, des renseignements détaillés et des justifications suffisantes pour expliquer les débours engagés et le fondement de leurs diverses réclamations. Les mémoires de dépens ont été établis conformément à la colonne III du tarif B des Règles des CF, et des preuves ont été produites au sujet de la facturation, du paiement et des justifications des services fournis et des dépenses engagées. Pour ce qui est des experts, des détails sur les tâches exécutées par chaque expert (et son équipe), ainsi que le temps consacré à chaque tâche, ont été présentés. La question n’est pas de savoir si les débours en litige ont été engagés, mais plutôt s’ils sont raisonnables, nécessaires et justifiés.

[822] Le Tribunal signale que les honoraires d’expert que réclame l’AAV sont nettement supérieurs aux honoraires du seul témoin expert du Commissaire, M. Niels, qui totalisaient 1 333 209 $ pour ses deux rapports. Comme M. Reitman n’a pas eu à concevoir sa propre série de données pour exécuter ses analyses et qu’il répondait essentiellement à l’analyse de M. Niels, le Tribunal convient avec le Commissaire qu’il y a lieu de réduire le montant total de ses honoraires. Les dépens relatifs aux experts ne sont pas automatiquement recouvrables en entier, et le Tribunal peut les rajuster s’ils ne semblent pas raisonnables. En ce qui concerne les honoraires d’expert de M. Tretheway, le Tribunal est également d’avis qu’il y a lieu de les réduire car ils englobent des dépenses qui ont été engagées avant le dépôt de la demande et le Tribunal a radié une partie de son rapport (c’est-à-dire la question 4) au motif qu’il s’agissait d’une preuve d’expert inadmissible.

[823] Quant aux débours que réclame l’AAV au titre de la communication préalable par voie électronique et de la gestion de documents, ils se rapportent essentiellement aux honoraires facturés par un tiers fournisseur. Le Tribunal convient avec l’AAV qu’il serait injuste de s’attendre à ce qu’une partie se conforme aux exigences en matière de gestion des documents et de communication préalable par voie électronique en vue d’une audition électronique, sans autoriser un recouvrement des honoraires engagés à cette fin. L’utilisation d’un système de gestion de documents efficace est essentielle au bon déroulement des audiences électroniques que tient le Tribunal, et ce système a un impact fondamental à chacune des étapes de l’instance (qu’il s’agisse d’interrogatoires préalables, de requêtes, de la préparation de déclarations de témoin et de rapports d’expert, de la production de documents ou de l’audience elle‐même). Les frais engagés à cet égard sont des débours qui, en principe, devraient être recouvrables par la partie ayant gain de cause.

[824] Il y a toutefois des limites aux débours de cette nature. Seuls les montants engagés après le dépôt de la demande peuvent être réclamés à bon droit. À cet égard, les frais de communication préalable par voie électronique qu’engage une partie pour se conformer aux ordonnances de production impératives que prévoit l’article 11 de la Loi dans le cadre de l’enquête antérieure et sous‐jacente menée par le Bureau ne devraient pas faire partie des débours réclamés, même si un grand nombre des documents produits dans ce contexte peuvent finir par être directement liés aux documents soumis par la suite au Tribunal. Dans la décision La Commissaire de la concurrence c Canada Pipe, 2005 Trib conc 17 (la « décision Tuyauteries Canada Ltée 2005 »), le Tribunal a décrété qu’il serait contraire à l’intérêt du public de condamner le Commissaire à des dépens pour « se conformer à une ordonnance prescrite par la Loi et ratifiée par un Tribunal compétent » (décision Tuyauteries Canada 2005, au par. 12). Il sera donc nécessaire de réduire le montant des débours que réclame l’AAV au titre de la gestion de documents et de la communication préalable par voie électronique pour exclure ces montants.

[825] Comme il a été mentionné plus tôt, le Tribunal est en faveur de l’adjudication d’une somme globale car cela simplifie le processus d’évaluation. En fait, il existe aujourd’hui « une tendance judiciaire à l’adjudication, autant que possible, d’une somme globale » (Philip Morris Products SA c Marlboro Canada Ltd, 2015 CAF 9, au par. 4). L’adjudication d’une somme globale permet d’économiser du temps et de causer moins de difficultés aux parties en évitant de faire des calculs précis et inutilement compliqués. L’adjudication d’une somme globale concorde également avec l’objectif qui consiste à apporter au litige une solution qui est « juste et la plus expéditive et économique possible », ainsi que le prévoit l’article 3 des Règles des CF, ce qui fait écho à la directive qui figure au paragraphe 9(2) de la Loi sur le TC : dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, agir sans formalisme, en procédure expéditive.

[826] Dans ses observations relatives aux dépens, le Commissaire a fait valoir que le Tribunal devrait prendre en considération l’alinéa 400(3)h) des Règles des CF au moment de procéder à son évaluation, de même que le vaste intérêt public à ce que les instances soient débattues devant le Tribunal. Se fondant sur la décision La Commissaire de la concurrence c Visa Canada Corporation, 2013 Trib conc 10 (la « décision Visa Canada »), dans laquelle le Tribunal n’a pas adjugé de dépens car il y avait un vaste intérêt public à ce que l’on instruise l’affaire, le Commissaire soutient qu’il y avait un intérêt public aussi vaste dans le cas de la présente affaire car celle‐ci clarifierait l’interprétation de l’article 79 de la Loi, ses défenses et son application à des entités telles que l’AAV. Le Tribunal n’est pas de cet avis. Il ne considère pas que, dans la présente affaire, l’argument de l’« intérêt public » soit aussi « convaincant » qu’il l’était dans la décision Visa Canada, où l’affaire qui lui était soumise était plus nouvelle (décision Visa Canada, aux par. 405 et 407). Toutes les affaires que présente le Commissaire revêtent un intérêt public et contribuent à clarifier des sujets litigieux en matière de droit de la concurrence, mais cela ne veut pas dire que le Commissaire peut se soustraire, dans tous les cas, à une adjudication de dépens.

[827] Compte tenu de ce qui précède, ainsi que des conditions de raisonnabilité et de nécessité, le Tribunal conclut que la somme de 1 850 000 $ serait un chiffre acceptable au titre des débours de l’AAV, plutôt que le montant total de plus de 2,6 millions de dollars que réclame l’AAV. Cependant, à l’instar des dépens, il faudrait tenir compte du succès obtenu à l’égard des questions qui étaient en litige en l’espèce. Le Tribunal est d’avis que les débours à payer à l’AAV devraient être réduits eux aussi d’un tiers environ. Il fixe donc à 1 250 000 $ les débours que le Commissaire paiera à l’AAV.

[828] Le Commissaire sera donc tenu de payer à l’AAV une somme globale de 70 000 $ au titre des dépens prévus au tarif B, et de 1 250 000 $ au titre des débours.

X. L’ORDONNANCE

[829] La demande que le Commissaire a déposée est rejetée.

[830] Dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance, le Commissaire paiera à l’AAV un montant de 70 000 $ au titre des dépens et de 1 250 000 $ au titre des débours.

[831] Les présents motifs sont confidentiels. Pour qu’il puisse diffuser une version publique de la présente décision, le Tribunal ordonne aux parties de tenter de s’entendre sur les éléments à expurger des présents motifs, de façon à protéger les renseignements et les éléments de preuve confidentiels. Les parties sont tenues de correspondre conjointement avec le Tribunal avant l’heure de fermeture du greffe le 31 octobre 2019 au plus tard, pour faire part de leur entente ainsi que de tout point de désaccord concernant les éléments à expurger de la version confidentielle de la décision. En cas de désaccord, les parties correspondront séparément avec le Tribunal et lui feront part de leurs observations respectives quant aux éléments proposés, mais contestés, qu’il convient d’expurger des présents motifs confidentiels. Ces observations doivent être signifiées et déposées avant l’heure de fermeture du greffe le 31 octobre 2019.

FAIT à Ottawa, ce 17e jour d’octobre 2019.

SIGNÉ au nom du Tribunal par les membres de la formation.

(s) Le juge Denis Gascon (président)

(s) Le juge en chef Paul Crampton

(s) M. Donald McFetridge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc

Annexe « A »Dispositions applicables de la Loi

Abus de position dominante

Abuse of Dominant Position

Définition de agissement anti-concurrentiel

Definition of anti-competitive act

78 (1) Pour l’application de l’article 79, agissement anti-concurrentiel s’entend notamment des agissements suivants :

78 (1) For the purposes of section 79, anti-competitive act, without restricting the generality of the term, includes any of the following acts:

a) la compression, par un fournisseur intégré verticalement, de la marge bénéficiaire accessible à un client non intégré qui est en concurrence avec ce fournisseur, dans les cas où cette compression a pour but d’empêcher l’entrée ou la participation accrue du client dans un marché ou encore de faire obstacle à cette entrée ou à cette participation accrue;

(a) squeezing, by a vertically integrated supplier, of the margin available to an unintegrated customer who competes with the supplier, for the purpose of impeding or preventing the customer’s entry into, or expansion in, a market;

b) l’acquisition par un fournisseur d’un client qui serait par ailleurs accessible à un concurrent du fournisseur, ou l’acquisition par un client d’un fournisseur qui serait par ailleurs accessible à un concurrent du client, dans le but d’empêcher ce concurrent d’entrer dans un marché, dans le but de faire obstacle à cette entrée ou encore dans le but de l’éliminer d’un marché;

(b) acquisition by a supplier of a customer who would otherwise be available to a competitor of the supplier, or acquisition by a customer of a supplier who would otherwise be available to a competitor of the customer, for the purpose of impeding or preventing the competitor’s entry into, or eliminating the competitor from, a market;

c) la péréquation du fret en utilisant comme base l’établissement d’un concurrent dans le but d’empêcher son entrée dans un marché ou d’y faire obstacle ou encore de l’éliminer d’un marché;

(c) freight equalization on the plant of a competitor for the purpose of impeding or preventing the competitor’s entry into, or eliminating the competitor from, a market;

d) l’utilisation sélective et temporaire de marques de combat destinées à mettre au pas ou à éliminer un concurrent;

(d) use of fighting brands introduced selectively on a temporary basis to discipline or eliminate a competitor;

e) la préemption d’installations ou de ressources rares nécessaires à un concurrent pour l’exploitation d’une entreprise, dans le but de retenir ces installations ou ces ressources hors d’un marché;

(e) pre-emption of scarce facilities or resources required by a competitor for the operation of a business, with the object of withholding the facilities or resources from a market;

f) l’achat de produits dans le but d’empêcher l’érosion des structures de prix existantes;

(f) buying up of products to prevent the erosion of existing price levels;

g) l’adoption, pour des produits, de normes incompatibles avec les produits fabriqués par une autre personne et destinées à empêcher l’entrée de cette dernière dans un marché ou à l’éliminer d’un marché;

(g) adoption of product specifications that are incompatible with products produced by any other person and are designed to prevent his entry into, or to eliminate him from, a market;

h) le fait d’inciter un fournisseur à ne vendre uniquement ou principalement qu’à certains clients, ou à ne pas vendre à un concurrent ou encore le fait d’exiger l’une ou l’autre de ces attitudes de la part de ce fournisseur, afin d’empêcher l’entrée ou la participation accrue d’un concurrent dans un marché;

(h) requiring or inducing a supplier to sell only or primarily to certain customers, or to refrain from selling to a competitor, with the object of preventing a competitor’s entry into, or expansion in, a market; and

i) le fait de vendre des articles à un prix inférieur au coût d’acquisition de ces articles dans le but de discipliner ou d’éliminer un concurrent.

(i) selling articles at a price lower than the acquisition cost for the purpose of disciplining or eliminating a competitor.

j) et k) [Abrogés, 2009, ch. 2, art. 427]

(j) and (k) [Repealed, 2009, c. 2, s. 427]

[...]

[...]

Ordonnance d’interdiction dans les cas d’abus de position dominante

Prohibition where abuse of dominant position

79 (1) Lorsque, à la suite d’une demande du commissaire, il conclut à l’existence de la situation suivante :

79 (1) Where, on application by the Commissioner, the Tribunal finds that

a) une ou plusieurs personnes contrôlent sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises à la grandeur du Canada ou d’une de ses régions;

(a) one or more persons substantially or completely control, throughout Canada or any area thereof, a class or species of business,

b) cette personne ou ces personnes se livrent ou se sont livrées à une pratique d’agissements anti-concurrentiels;

(b) that person or those persons have engaged in or are engaging in a practice of anti-competitive acts, and

c) la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché,

(c) the practice has had, is having or is likely to have the effect of preventing or lessening competition substantially in a market,

le Tribunal peut rendre une ordonnance interdisant à ces personnes ou à l’une ou l’autre d’entre elles de se livrer à une telle pratique.

the Tribunal may make an order prohibiting all or any of those persons from engaging in that practice.

Ordonnance supplémentaire ou substitutive

Additional or alternative order

(2) Dans les cas où à la suite de la demande visée au paragraphe (1) il conclut qu’une pratique d’agissements anti-concurrentiels a eu ou a pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché et qu’une ordonnance rendue aux termes du paragraphe (1) n’aura vraisemblablement pas pour effet de rétablir la concurrence dans ce marché, le Tribunal peut, en sus ou au lieu de rendre l’ordonnance prévue au paragraphe (1), rendre une ordonnance enjoignant à l’une ou l’autre ou à l’ensemble des personnes visées par la demande d’ordonnance de prendre des mesures raisonnables et nécessaires dans le but d’enrayer les effets de la pratique sur le marché en question et, notamment, de se départir d’éléments d’actif ou d’actions.

(2) Where, on an application under subsection (1), the Tribunal finds that a practice of anti-competitive acts has had or is having the effect of preventing or lessening competition substantially in a market and that an order under subsection (1) is not likely to restore competition in that market, the Tribunal may, in addition to or in lieu of making an order under subsection (1), make an order directing any or all the persons against whom an order is sought to take such actions, including the divestiture of assets or shares, as are reasonable and as are necessary to overcome the effects of the practice in that market.

Restriction

Limitation

(3) Lorsque le Tribunal rend une ordonnance en application du paragraphe (2), il le fait aux conditions qui, à son avis, ne porteront atteinte aux droits de la personne visée par cette ordonnance ou à ceux des autres personnes touchées par cette ordonnance que dans la mesure de ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objet de l’ordonnance.

(3) In making an order under subsection (2), the Tribunal shall make the order in such terms as will in its opinion interfere with the rights of any person to whom the order is directed or any other person affected by it only to the extent necessary to achieve the purpose of the order.

Sanction administrative pécuniaire

Administrative monetary penalty

(3.1) S’il rend une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2), le Tribunal peut aussi ordonner à la personne visée de payer, selon les modalités qu’il peut préciser, une sanction administrative pécuniaire maximale de 10 000 000 $ et, pour toute ordonnance subséquente rendue en vertu de l’un de ces paragraphes, de 15 000 000 $.

(3.1) If the Tribunal makes an order against a person under subsection (1) or (2), it may also order them to pay, in any manner that the Tribunal specifies, an administrative monetary penalty in an amount not exceeding $10,000,000 and, for each subsequent order under either of those subsections, an amount not exceeding $15,000,000.

Facteurs à prendre en compte

Aggravating or mitigating factors

(3.2) Pour la détermination du montant de la sanction administrative pécuniaire, il est tenu compte des éléments suivants :

(3.2) In determining the amount of an administrative monetary penalty, the Tribunal shall take into account any evidence of the following:

a) l’effet sur la concurrence dans le marché pertinent;

(a) the effect on competition in the relevant market;

b) le revenu brut provenant des ventes sur lesquelles la pratique a eu une incidence;

(b) the gross revenue from sales affected by the practice;

c) les bénéfices réels ou prévus sur lesquels la pratique a eu une incidence;

(c) any actual or anticipated profits affected by the practice;

d) la situation financière de la personne visée par l’ordonnance;

(d) the financial position of the person against whom the order is made;

e) le comportement antérieur de la personne visée par l’ordonnance en ce qui a trait au respect de la présente loi;

(e) the history of compliance with this Act by the person against whom the order is made; and

f) tout autre élément pertinent.

(f) any other relevant factor.

But de la sanction

Purpose of order

(3.3) La sanction prévue au paragraphe (3.1) vise à encourager la personne visée par l’ordonnance à adopter des pratiques compatibles avec les objectifs du présent article et non pas à la punir.

(3.3) The purpose of an order made against a person under subsection (3.1) is to promote practices by that person that are in conformity with the purposes of this section and not to punish that person.

Efficience économique supérieure

Superior competitive performance

(4) Pour l’application du paragraphe (1), lorsque le Tribunal décide de la question de savoir si une pratique a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché, il doit évaluer si la pratique résulte du rendement concurrentiel supérieur.

(4) In determining, for the purposes of subsection (1), whether a practice has had, is having or is likely to have the effect of preventing or lessening competition substantially in a market, the Tribunal shall consider whether the practice is a result of superior competitive performance.

Exception

Exception

(5) Pour l’application du présent article, un agissement résultant du seul fait de l’exercice de quelque droit ou de la jouissance de quelque intérêt découlant de la Loi sur les brevets, de la Loi sur les dessins industriels, de la Loi sur le droit d’auteur, de la Loi sur les marques de commerce, de la Loi sur les topographies de circuits intégrés ou de toute autre loi fédérale relative à la propriété intellectuelle ou industrielle ne constitue pas un agissement anti-concurrentiel.

(5) For the purpose of this section, an act engaged in pursuant only to the exercise of any right or enjoyment of any interest derived under the Copyright Act, Industrial Design Act, Integrated Circuit Topography Act, Patent Act, Trade-marks Act or any other Act of Parliament pertaining to intellectual or industrial property is not an anti-competitive act.

Prescription

Limitation period

(6) Une demande ne peut pas être présentée en application du présent article à l’égard d’une pratique d’agissements anti-concurrentiels si la pratique en question a cessé depuis plus de trois ans.

(6) No application may be made under this section in respect of a practice of anti-competitive acts more than three years after the practice has ceased.

Procédures en vertu des articles 45, 49, 76, 90.1 ou 92

Where proceedings commenced under section 45, 49, 76, 90.1 or 92

(7) Aucune demande à l’endroit d’une personne ne peut être présentée au titre du présent article si les faits au soutien de la demande sont les mêmes ou essentiellement les mêmes que ceux qui ont été allégués au soutien :

(7) No application may be made under this section against a person on the basis of facts that are the same or substantially the same as the facts on the basis of which

a) d’une procédure engagée à l’endroit de cette personne en vertu des articles 45 ou 49;

(a) proceedings have been commenced against that person under section 45 or 49; or

b) d’une ordonnance demandée par le commissaire à l’endroit de cette personne en vertu des articles 76, 90.1 ou 92.

(b) an order against that person is sought by the Commissioner under section 76, 90.1 or 92.


 

Annexe « B » – Liste des pièces

A-001 Déclaration de témoin de M. Robin Padgett (dnata Catering Services Ltd.)

CA-002 Déclaration de témoin de M. Robin Padgett (dnata Catering Services Ltd.) (Confidentiel – Niveau A)

CA-003 Déclaration de témoin de M. Robin Padgett (dnata Catering Services Ltd.) (Confidentiel – Niveau B)

A-004 Déclaration de témoin de Mme Rhonda Bishop (Jazz Aviation LP)

CA-005 Déclaration de témoin de Mme Rhonda Bishop (Jazz Aviation LP) (Confidentiel – Niveau B)

CR-006 Courriel de [CONFIDENTIEL] daté du 31 mars 2014 (Confidentiel – Niveau B)

CR-007 Courriel de [CONFIDENTIEL] daté du 29 mai 2014 (Confidentiel – Niveau A)

A-008 Déclaration de témoin de M. Geoffrey Lineham (Optimum Stratégies Inc.)

CA-009 Déclaration de témoin de M. Geoffrey Lineham (Optimum Stratégies Inc.) (Confidentiel – Niveau B)

A-010 Déclaration de témoin de M. Andrew Yiu (Air Canada)

CA-011 Déclaration de témoin de M. Andrew Yiu (Air Canada) (Confidentiel – Niveau B)

R-012 Communiqué de presse daté du 31 août 2017 – Air Canada to Launch New International 787 Dreamliner Routes from Vancouver ([traduction] Air Canada : Lancement de nouveaux trajets internationaux depuis Vancouver à bord du 787 Dreamliner)

R-013 Chronique de Calin datée d’octobre 2017 – Our Love for Vancouver – ([traduction] Notre amour pour Vancouver)

CR-014 [CONFIDENTIEL] (Confidentiel – Niveau A)

CA-015 [CONFIDENTIEL] (Confidentiel – Niveau A)

A-016 Déclaration de témoin de M. Jonathan Stent‐Torriani (Newrest Group Holdings S.A.)

CA-017 Déclaration de témoin de M. Jonathan Stent‐Torriani (Newrest Group Holdings S.A.) (Confidentiel – Niveau A)

CA-018 Déclaration de témoin de M. Jonathan Stent‐Torriani (Newrest Group Holdings S.A.) (Confidentiel – Niveau B)

A-019 Déclaration de témoin supplémentaire de M. Jonathan Stent‐Torriani (Newrest Group Holdings S.A.)

CA-020 Déclaration de témoin supplémentaire de N. Jonathan Stent‐Torriani (Newrest Group Holdings S.A.) (Confidentiel – Niveau A)

CA-021 Déclaration de témoin supplémentaire de M. Jonathan Stent‐Torriani (Newrest Group Holdings S.A.) (Confidentiel – Niveau B)

CR-022 Courriel de M. Jonathan Stent‐Torriani daté du 7 mars 2015 (Confidentiel – Niveau B)

CR-023 Courriel de M. Trevor Umlah daté du 9 juillet 2014 [CONFIDENTIEL] (Confidentiel – Niveau B)

A-024 Déclaration de témoin de M. Mark Brown (Strategic Aviation Holdings Ltd.)

CA-025 Déclaration de témoin de M. Mark Brown (Strategic Aviation Holdings Ltd.) (Confidentiel – Niveau A)

CA-026 Déclaration de témoin de M. Mark Brown (Strategic Aviation Holdings Ltd.) (Confidentiel – Niveau B)

A-027 Déclaration de témoin supplémentaire de M. Mark Brown (Strategic Aviation Holdings Ltd.)

CA-028 Déclaration de témoin supplémentaire de M. Mark Brown (Strategic Aviation Holdings Ltd.) (Confidentiel – Niveau A)

CA-029 Déclaration de témoin supplémentaire de M. Mark Brown (Strategic Aviation Holdings Ltd.) (Confidentiel – Niveau B)

CR-030 Lettre de Sky Café datée du 5 septembre 2014 (Confidentiel – Niveau B)

CR-031 Courriel de [CONFIDENTIEL] daté du 27 juin 2014 (Confidentiel – Niveau B)

CR-032 Lettre de [CONFIDENTIEL] datée du 14 juillet 2016 (Confidentiel – Niveau B)

CR-033 Lettre de [CONFIDENTIEL] datée du 30 avril 2015 (Confidentiel – Niveau B)

CR-034 Lettre de [CONFIDENTIEL] datée du 29 septembre 2015 (Confidentiel – Niveau B)

A-035 Déclaration de témoin de Mme Barbara Stewart (Air Transat A.T. Inc.)

CA-036 Déclaration de témoin de Mme Barbara Stewart (Air Transat A.T. Inc.) (Confidentiel – Niveau B)

A-037 Déclaration de témoin supplémentaire de Mme Barbara Stewart (Air Transat A.T. Inc.)

CR-038 [traduction] Analyse finale du coût des services de restauration – DP canadienne, datée du 28 juillet 2016 (Confidentiel – Niveau A)

A-039 Déclaration de témoin de M. Ken Colangelo (Gate Gourmet Canada Inc.)

CA-040 Déclaration de témoin de M. Ken Colangelo (Gate Gourmet Canada Inc.) (Confidentiel – Niveau A)

CA-041 Déclaration de témoin de M. Ken Colangelo (Gate Gourmet Canada Inc.) (Confidentiel – Niveau B)

A-042 Déclaration de témoin de supplémentaire de M. Ken Colangelo (Gate Gourmet Canada Inc.)

CA-043 Déclaration de témoin supplémentaire de M. Ken Colangelo (Gate Gourmet Canada Inc.) (Confidentiel – Niveau A)

CA-044 Déclaration de témoin supplémentaire de M. Ken Colangelo (Gate Gourmet Canada Inc.) (Confidentiel – Niveau B)

CA-045 [CONFIDENTIEL] daté du 22 février 2012 (Confidentiel – Niveau A)

CA-046 [CONFIDENTIEL] daté du 22 février 2012 (Confidentiel – Niveau B)

A-047 Document de GG Canada daté du 22 février 2012

CA-048 [CONFIDENTIEL] daté du 21 janvier 2014 (Confidentiel – Niveau A)

CA-049 [CONFIDENTIEL] daté du 21 janvier 2014 (Confidentiel – Niveau B)

A-050 Examen de la stratégie de GG daté du 21 janvier 2014

CA-051 [CONFIDENTIEL] daté du 3 juillet 2014 (Confidentiel – Niveau A)

CA-052 [CONFIDENTIEL] daté du 3 juillet 2014 (Confidentiel – Niveau B)

A-053 Examen de la haute direction de GG daté du 3 juillet 2014

CA-054 Canada In-Flight Catering Market Size & Share ([traduction] Taille et part du marché des services de restauration à bord au Canada) (Confidentiel – Niveau A)

CA-055 Canada In-Flight Catering Market Size & Share ([traduction] Taille et part du marché des services de restauration à bord au Canada) (Confidentiel – Niveau B)

A-056 Canada In-Flight Catering Market Size & Share ([traduction] Taille et part du marché des services de restauration à bord au Canada)

CA-057 [CONFIDENTIEL] (Confidentiel – Niveau A)

CA-058 [CONFIDENTIEL] (Confidentiel – Niveau B)

A-059 [CONFIDENTIEL]

CA-060 [CONFIDENTIEL] daté du 21 novembre 2013 (Confidentiel – Niveau A)

CA-061 [CONFIDENTIEL] daté du 21 novembre 2013 (Confidentiel – Niveau B)

A-062 Document de GG daté du 21 novembre 2013

CA-063 [CONFIDENTIEL] daté du 24 mars 2014 (Confidentiel – Niveau A)

CA-064 [CONFIDENTIEL] daté du 24 mars 2014 (Confidentiel – Niveau B)

A-065 Document de GG daté du 24 mars 2014

CA-066 [CONFIDENTIEL] (Confidentiel – Niveau A)

CA-067 [CONFIDENTIEL] (Confidentiel – Niveau B)

A-068 [CONFIDENTIEL]

CA-069 [CONFIDENTIEL] (Confidentiel – Niveau A)

CA-070 [CONFIDENTIEL] (Confidentiel – Niveau B)

A-071 [CONFIDENTIEL]

CA-072 [CONFIDENTIEL] daté de mai 2015 (Confidentiel – Niveau A)

CA-073 [CONFIDENTIEL] daté de mai 2015 (Confidentiel – Niveau B)

A-074 Document de GG daté de mai 2015

CR-075 Courriel de M. Ken Colangelo daté du 8 août 2014 (Confidentiel – Niveau B)

A-076 Déclaration de témoin de Mme Maria Wall (CLS Catering Services Ltd.)

A-077 Déclaration de témoin modifiée et supplémentaire de M. Steven Mood (WestJet)

CA-078 Déclaration de témoin modifiée et supplémentaire de M. Steven Mood (WestJet) (Confidentiel – Niveau B)

CR-079 [CONFIDENTIEL] daté du 4 avril 2017 (Confidentiel – Niveau B)

A-080 Déclaration de témoin modifiée et supplémentaire de M. Simon Soni (WestJet)

CA-081 Déclaration de témoin modifiée et supplémentaire de M. Simon Soni (WestJet) (Confidentiel – Niveau B)

A-082 Rapport d’expert de M. Gunnar Niels

CA-083 Rapport d’expert de M. Gunnar Niels (Confidentiel – Niveau A)

CA-084 Rapport d’expert de M. Gunnar Niels (Confidentiel – Niveau B)

A-085 Rapport en réplique de M. Gunnar Niels

CA-086 Rapport en réplique de M. Gunnar Niels (Confidentiel – Niveau A)

CA-087 Rapport en réplique de M. Gunnar Niels (Confidentiel – Niveau B)

A-088 Ensemble de données d’expert – Juillet 2018

A-089 Ensemble de données d’expert – Août 2018

A-090 M. Gunnar Niels – Exposé

CA-091 M. Gunnar Niels – Exposé (Confidentiel – Niveau A)

CA-092 M. Gunnar Niels – Exposé (Confidentiel – Niveau B)

R-093 Lignes directrices sur l’abus de position dominante – Articles 78 et 79 de la Loi sur la concurrence

R-094 Ground rules on airport access : the Arriva c Luton case ([traduction] Les règles de base sur l’accès aux aéroports : l’affaire Arriva c. Luton)

CA-095 YUL-1402-2017-FILE 3 (Confidentiel – Niveau A)

CA-096 Extrait du Mémoire du commissaire, volume I (Confidentiel – Niveau B)

CA-097 Extrait du Mémoire du commissaire, volume II (Confidentiel – Niveau B)

R-098 Rapport d’expert supplémentaire de M. David Reitman

CR-099 Rapport d’expert supplémentaire de M. David Reitman (Confidentiel – Niveau A)

CR-100 Rapport d’expert supplémentaire de M. David Reitman (Confidentiel – Niveau B)

R-101 Série de diapositives de M. Reitman

CR-102 Série de diapositives de M. Reitman (Confidentiel – Niveau A)

CR-103 Série de diapositives de M. Reitman (Confidentiel – Niveau B)

CA-104 [CONFIDENTIEL] (Confidentiel – Niveau B)

CA-105 [CONFIDENTIEL] (Confidentiel – Niveau B)

A-106 Lettre adressée à M. Young-Don Lim, Korean Air, par M. Craig Richmond, Autorité aéroportuaire de Vancouver, datée du 7 décembre 2016

A-107 Page web de Statistique Canada – IPC

R-108 Déclaration de témoin de M. Craig Richmond

CR-109 Déclaration de témoin de M. Craig Richmond (Confidentiel – Niveau B)

R-110 Déclaration de témoin supplémentaire de M. Craig Richmond

CR-111 Déclaration de témoin supplémentaire de M. Craig Richmond (Confidentiel – Niveau B)

CA-112 Document du Tribunal no 58072 (Confidentiel – Niveau B)

A-113 Lettre adressée à M. Craig Richmond, Autorité aéroportuaire de Vancouver, par M. Young-Don Lim, Korean Air, datée du 25 novembre 2016

CA-114 Ground Handling License ([traduction] : Permis de manutention au sol) (Confidentiel – Niveau B)

A-115 Delta Airlines – Lettre sur les services de restauration à bord datée du 28 novembre 2016 (PDF) – 1/10/2017

A-116 Lettre de Mme Françoise Renon, Air France, à Craig Richmond, Autorité aéroportuaire de Vancouver, datée du 5 décembre 2016

A-117 Rapport de durabilité de 2015 – YVR Connects

A-118 Autorité aéroportuaire de Vancouver – Rapport annuel de 2014 (PDF) – 00/00/2014

A-119 Autorité aéroportuaire de Vancouver – Rapport annuel et de durabilité 2013

A-120 Autorité aéroportuaire de Vancouver – Rapport annuel et de durabilité 2012

A-121 Enregistrement de M. Mike Tretheway, consultant à titre de lobbyiste auprès de l’AAV, version 1 de 2 (26-05-2000 à 10-06- 2005)

A-122 Enregistrement de M. Mike Tretheway, consultant à titre de lobbyiste auprès de l’AAV, version 2 de 2 (16-08-2005 au 11-04-2006)

A-123 Enregistrement de M. Gerry Bruno, consultant à titre de lobbyiste auprès de l’AAV

A-124 Enregistrement de M. Paul Ouimet, consultant à titre de lobbyiste auprès de l’AAV

A-125 Enregistrement de M. Sam Barone, consultant à titre de lobbyiste auprès de l’AAV

A-126 Enregistrement de M. Solomon Wong, consultant à titre de lobbyiste auprès de l’AAV

A-127 Enregistrement de M. Fred Gaspar, consultant à titre de lobbyiste auprès de l’AAV

A-128 Enregistrement de M. Robert Andriulaitis, consultant à titre de lobbyiste auprès de l’AAV

A-129 Enregistrement de M. Mike Tretheway, consultant à titre de lobbyiste auprès d’ADM (aéroports de Montréal)

A-130 Enregistrement de M. Mike Tretheway, consultant à titre de lobbyiste auprès de la Greater Toronto Airports Authority

A-131 Enregistrement de M. Mike Tretheway, consultant à titre de lobbyiste auprès du Conseil des aéroports du Canada

A-132 Affidavit de M. Michael W. Tretheway

R-133 Rapport d’expert supplémentaire de M. Michael W. Tretheway

CR-134 Rapport d’expert supplémentaire de M. Michael W. Tretheway (Confidentiel – Niveau B)

R-135 Présentation à l’audience

CR-136 Présentation à l’audience (Confidentiel – Niveau B)

CA-137 Entreprises de services de restauration vs Passagers dans les aéroports du Canada et quelques aéroports des États-Unis (Confidentiel – Niveau B)

CA-138 [traduction] La conciliation est que le plan directeur ne compte que les fournisseurs de services de restauration sur place, deux ont un accès autorisé mais hors site (Confidentiel – Niveau B)

A-139 « Delta Dailyfood and Fleury Michon become Fleury Michon Airline Catering”, article de PAX International daté du 3 avril 2018

A-140 Repas reçus, classe affaires

A-141 Repas servis, classe affaires

A-142 Repas spéciaux

A-143 Repas asiatiques

A-144 Chefs

CA-145 Pièce jointe au courriel de Mme Michelle Wilson adressé à M. Geoff Eccott, daté du 9 mai 2014 à 15 h 10. Objet : Cuisines de l’air (Confidentiel – Niveau B)

CA-146 Courriel de Mme Michelle Wilson à M. Geoff Eccott, daté du 9 mai 2014 à 15 h 10. Objet : Cuisines de l’air. Pièce jointe : Cuisines de l’air v2.xlsx (Confidentiel – Niveau B)

CA-147 Courriel de Mme Michelle Wilson à M. Geoff Eccott, daté du 9 mai 2014 à 10 h 33. Objet : Cuisines de l’air. Pièce jointe : Cuisines de l’air.xlsx (Confidentiel – Niveau B)

CA-148 Affidavit de documents – Autorité aéroportuaire de Vancouver (3 mars 2017) (Confidentiel – Niveau B)

CA-149 Pièce jointe au courriel de Mme Michelle Wilson à M. Geoff Eccott, daté du 9 mai 2014 à 10 h 33. Objet : Cuisines de l’air (Confidentiel – Niveau B)

A-150 Objet : Lettre à Newrest – 5/9/2014

A-151 IATA Economics Briefing No. 4 : Value Chain Profitability ([traduction] Rentabilité des chaînes de valeur)

A-152 [traduction] La rentabilité et la chaîne de valeur dans le transport aérien, juin 2013

A-153 Résultats annuels de Gategroup 2013 – Présentation aux investisseurs et aux analystes (13 mars 2014)

A-154 Rapport annuel de Gategroup 2013 (version couleur)

CA-155 Définitions des données (Confidentiel – Niveau A)

CA-156 États des revenus – Chiffres réels – 2011 à 2016 (Confidentiel – Niveau A)

A-157 LSG Sky Chefs – Examen annuel de 2013

A-158 Tretheway, M. et Andriulaitis, R., « Airport Policy in Canada : Limitations de la Not-for-Profit Governance Model »

A-159 Déclaration de témoin de M. Tony Gugliotta

CR-160 Déclaration de témoin de M. Tony Gugliotta (Confidentiel – Niveau B)

CA-161 Déclaration de témoin de M. Tony Gugliotta (version donnée au Commissaire de la concurrence le 12 janvier 2018) (Confidentiel – Niveau B)

CA-162 Autorité aéroportuaire de Vancouver – [traduction] Budget d’exploitation et d’immobilisations de 2015 (ÉBAUCHE), par le Comité des finances et de la vérification, daté du 6 novembre 2014 (Confidentiel – Niveau B)

CA-163 Note de service sommaire 3,05.doc – 4/4/2005 (Confidentiel – Niveau B)

CR-164 Facture no 4771516 de CX (Confidentiel – Niveau B)

CR-165 Projection 2016 (Confidentiel – Niveau A)

CR-166 Projection 2015 (Confidentiel – Niveau A)

CR-167 180323 – États des revenus – Chiffres réels – 2017 (Confidentiel – Niveau A)

CR-168 État des revenus – 2011 à 2014 – Chiffres réels (Confidentiel – Niveau A)

CR-169 Projection 2014 (Confidentiel – Niveau A)

CR-170 [traduction] Chiffrier électronique – Services de restauration et ventes au détail des sociétés aériennes à YVR en 2017 (Confidentiel – Niveau A)

R-171 Déclaration de témoin de M. Scott Norris

CR-172 Déclaration de témoin de M. Scott Norris (Confidentiel – Niveau B)

R-173 Déclaration de témoin supplémentaire de M. Scott Norris

CR-174 Déclaration de témoin supplémentaire de M. Scott Norris (Confidentiel – Niveau B)

CA-175 Autorité aéroportuaire de Vancouver, affidavit supplémentaire de documents, signé le 13 octobre 2017 (Confidentiel – Niveau B)

CA-176 DP services de restauration à bord – Tiger team!!!.msg – 8/31/2017 (Confidentiel – Niveau B)

CA-177 Tableau des engagements, des questions en délibéré et des refus signifiés à l’interrogatoire préalable complémentaire de Craig Richmond tenu le 1er novembre 2017 (réponses fournies le 21 décembre 2017) – Demandes 3, 5 et 26 (Confidentiel – Niveau B)

R-178 Déclaration de témoin de M. John Miles

CR-179 Déclaration de témoin de M. John Miles (Confidentiel – Niveau B)

CA-180 Gate Gourmet Canada Inc. – État des redevances de concession, daté du 8 janvier 2014 (Confidentiel – Niveau B)

CA-181 CLS Catering Services Ltd. – Redevances de concession aéroportuaires pour le mois terminé le 31 juillet 2017 (Confidentiel – Niveau B)

CA-182 Chiffrier électronique – Évaluation des cuisines de l’air, datée du 16 juin 2017 (Confidentiel – Niveau B)

A-183 Rapport annuel du Groupe Lufthansa de 2016

A-184 Rapport annuel du Groupe Lufthansa de 2013

CA-185 Version modifiée de la référence 13228 du Tribunal (Confidentiel – Niveau B)

A-186 Extrait modifié du Mémoire du commissaire de la concurrence en date du 19 octobre 2018, volume I

A-187 Extrait modifié du Mémoire du commissaire de la concurrence en date du 19 octobre 2018, volume II

CR-188 Mémoire des extraits des interrogatoires préalables et des réponses aux engagements de M. Kevin Rushton (Volume 1 de 3) (Confidentiel – Niveau A)

CR-189 Mémoire des extraits des interrogatoires préalables et des réponses aux engagements de M. Kevin Rushton (Volume 1 de 3) (Confidentiel – Niveau B)

R-190 Mémoire des extraits des interrogatoires préalables et des réponses aux engagements de M. Kevin Rushton (Volume 1 de 3)

CR-191 Mémoire des extraits des interrogatoires préalables et des réponses aux engagements de M. Kevin Rushton (Volume 2 de 3) (Confidentiel – Niveau B)

CR-192 Mémoire des extraits des interrogatoires préalables et des réponses aux engagements de M. Kevin Rushton (Volume 3 de 3) (Confidentiel – Niveau A)

R-193 Mémoire des extraits des interrogatoires préalables et des réponses aux engagements de M. Kevin Rushton (Volume 2 de 3)

R-194 Mémoire des extraits des interrogatoires préalables et des réponses aux engagements de M. Kevin Rushton (Volume 3 de 3)

CR-195 Mémoire des extraits des interrogatoires préalables et des réponses aux engagements de M. Kevin Rushton (Volume 3 de 3) (Confidentiel – Niveau B)


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour le demandeur :

Commissaire de la concurrence

Jonathan Hood
Antonio Di Domenico
Katherine Rydel
Ryan Caron

Pour la défenderesse :

Autorité aéroportuaire de Vancouver

Calvin S. Goldman, c.r.
Michael Koch
Richard Annan
Julie Rosenthal
Ryan Cookson
Sarah Stothart

 



[1] Lorsque les mots « Tribunal » ou « formation » sont employés et que la décision ne concerne qu’une question de droit, cette décision a été rendue uniquement par les membres judiciaires du Tribunal.

[2] Dans la présente décision, le Tribunal se servira des noms Gate Gourmet, Newrest et dnata pour faire référence aux activités de chacune de ces entités au Canada, même si ces dernières agissent parfois par l’entremise de leurs filiales canadiennes respectives, soit Gate Gourmet Canada, Newrest Canada et dnata Canada, respectivement.

[3] Par souci de clarté, Air Canada et WestJet représentent la très grande majorité du trafic aérien au Canada.

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