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Competition Tribunal

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Tribunal de la Concurrence

VERSION PUBLIQUE

Référence: Le commissaire de la concurrence c Compagnie de la Baie d’Hudson, 2018 Trib conc 20

N° de dossier: CT-2017-008

N° de document du greffe: 197

AFFAIRE CONCERNANT la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, dans sa version modifiée;

ET AFFAIRE CONCERNANT une demande présentée par le commissaire de la concurrence aux termes de l’article 74.1 de la Loi sur la concurrence, pour un comportement susceptible d’examen, en vertu de l’alinéa 74.01(1)a) et du paragraphe 74.01(3) de la Loi sur la concurrence.

ENTRE:

Le commissaire de la concurrence

(demandeur)

et

Compagnie de la Baie d’Hudson

(défenderesse)

Competition Tribunal Seal / Sceau Tribunal de la Concurrence

Date de l’audience : Le 20 novembre 2018

Devant le membre judiciaire : Madame la juge Gagné

Date de l’ordonnance : Le 28 novembre 2018

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE CONCERNANT DES REQUÊTES VISANT À OBTENIR DES RÉPONSES À DES QUESTIONS RESTÉES SANS RÉPONSE À L’INTERROGATOIRE PRÉALABLE


I.  APERÇU

[1]  Le Tribunal est saisi de deux requêtes déposées par les parties pour obliger les représentants de l’autre partie à répondre à plusieurs questions auxquelles ils ont refusé de répondre lors de l’interrogatoire préalable. Christine Jelley, la représentante de la Compagnie de la Baie d’Hudson (« HBC »), a été interrogée les 23 et 24 août 2018 et Adam Zimmermann, le représentant du commissaire de la concurrence, a été interrogé les 6 et 7 septembre 2018.

[2]  Ces interrogatoires ont été menés relativement à la demande du commissaire présentée en vertu de l’article 74.1 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34 (« Loi »), dans laquelle il soutient que HBC s’était livrée et continue de se livrer à deux types de comportements susceptibles d’examen. Tout d’abord, le commissaire soutient que HBC a eu recours à des pratiques commerciales trompeuses en proposant des ensembles de matelas à des prix indûment gonflés, puis en offrant des rabais substantiels de ces prix indûment gonflés afin de promouvoir la vente des ensembles de matelas auprès du public, ayant ainsi un comportement susceptible d’examen en vertu du paragraphe 74.01(3) de la Loi (indications sur les prix de vente habituels (« PVH »). Ensuite, le commissaire soutient que HBC a eu un comportement susceptible d’examen en vertu de l’alinéa 74.01(1)a) de la Loi en offrant des ensembles de matelas dans le cadre d’une « liquidation » [TRADUCTION] de l’inventaire ou de promotions de « fin de série » [TRADUCTION], en laissant sous-entendre que le prix était réduit de façon permanente pour vendre le reste de l’inventaire. Malgré ces annonces, le commissaire soutient que HBC continue de renouveler son stock en commandant de nouveaux ensembles de matelas auprès de fabricants pendant ces ventes.

[3]  La mesure corrective demandée par le commissaire comprend une ordonnance d’interdiction et une sanction administrative pécuniaire en vertu de l’article 74.1 de la Loi.

[4]  Dans la demande initiale du commissaire, les indications relatives au PVH portaient sur quatre ensembles de matelas précis et elles auraient été présentées du 19 juillet 2013 au 30 octobre 2014.

[5]  N’ayant pas réussi à obtenir la production des documents liés aux ensembles de matelas autres que les quatre indiqués dans la demande initiale et aux pratiques et politiques de conformité après janvier 2015 (Le commissaire de la concurrence v Compagnie de la Baie d’Hudson, 2017 Comp Tribunal 19) (la « décision sur les DAPD »), le commissaire a modifié sa demande pour qu’elle vise de façon générale tous les ensembles de matelas de HBC et qu’elle ajoute le fait que le comportement susceptible d’examen était en cours.

[6]  Dans sa réponse modifiée, HBC soutient qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable pour empêcher le comportement susceptible d’examen allégué en ayant en place un programme rigoureux et complet de conformité de la publicité pendant toute la période pertinente et en exigeant que tous ses employés des groupes de commercialisation et d’achat suivent un cours en ligne sur la conformité de la publicité tous les ans et assistent à une séance avec l’avocat de HBC sur le droit régissant la publicité. HBC soutient également que le Tribunal doit tenir compte du « paysage » [TRADUCTION] et de la concurrence du marché pertinent lorsqu’il évalue sa bonne foi, comme le prévoit l’alinéa 74.01(3)b) de la Loi, et détermine le recours approprié, s’il conclut qu’elle a eu un comportement susceptible d’examen dans l’application du paragraphe 74.1(5) de la Loi.

II.  LA REQUÊTE DU COMMISSAIRE

[7]  À l’audience devant le Tribunal, seuls cinq refus de répondre à des questions formulées durant l’interrogatoire de Mme Jelley demeuraient en litige et ils portaient tous, directement ou indirectement, sur les efforts et les politiques de conformité de HBC en ce qui concerne les ensembles de matelas et d’autres produits vendus par HBC au Canada.

[8]  Le commissaire soutient qu’il devrait être autorisé à poser des questions sur le programme de conformité de HBC puisqu’il s’applique à tout produit vendu au Canada parce que :

  1. la mesure corrective demandée dans sa demande modifiée s’applique non seulement aux ensembles de matelas de HBC, mais également au « comportement susceptible d’examen essentiellement semblable pour tout produit fourni par HBC » [TRADUCTION];
  2. le programme de conformité de HBC s’applique en général à tous les produits vendus.

[9]  HBC répond que ces questions ne sont pas pertinentes aux questions soulevées par le commissaire dans sa demande modifiée et que, en tout état de cause, elles sont trop générales. HBC ajoute que le commissaire tente également de plaider de nouveau des questions qui ont été réglées par la décision sur les DAPD du Tribunal.

[10]  Dans Canada c Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120 au para 34, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer la vaste portée de la pertinence sur l’interrogatoire préalable :

Il appert de la jurisprudence qu’une question est pertinente lorsqu’il est raisonnablement possible qu’elle mène à l’obtention de renseignements pouvant directement ou indirectement permettre à la partie qui sollicite la réponse de faire valoir ses arguments ou de réfuter ceux de son adversaire ou de la lancer dans une enquête qui pourra produire l’un ou l’autre de ces effets.

A.  Demande 1 : Attestations en ce qui concerne le Code de conduite de HBC

[11]  On a demandé à Mme Jelley de produire les registres liés aux attestations pour toutes les personnes responsables des matelas et chacun des superviseurs, niveau par niveau. Les attestations indiquent qu’une personne a lu et compris le Code de conduite de HBC. Le commissaire soutient que cette demande est pertinente à la défense de diligence raisonnable, à la question de la conformité et à la portée de la mesure corrective.

[12]  Puisque le Code de conduite de HBC ne fait même pas partie du programme de conformité de la publicité que HBC invoque pour sa défense de diligence raisonnable dans la présente instance, je suis d’avis qu’il n'est pas pertinent aux questions soulevées par la présente affaire. Le Code de conduite de HBC est très général et il porte sur de vastes principes éthiques, comme les conflits d’intérêts, le traitement des renseignements confidentiels, les occasions d’affaires, les renseignements d’initiés, entre autres. En plus de ne pas être pertinents, les renseignements demandés sont trop généraux.

[13]  HBC n’a pas à répondre à la question 1.

B.  Demande 3 : Mesure disciplinaire pour le non-respect du Manuel de publicité

[14]  On a demandé à Mme Jelley si des employés de HBC avaient fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir omis de respecter les règles du manuel de conformité de la publicité depuis mars 2013.

[15]  HBC soutient qu’à première vue, cette question (i) viserait tout produit offert à la vente par HBC et (ii) viserait les « règles » de publicité du manuel de conformité de la publicité de HBC qui ne sont pas liées à un comportement susceptible d’examen en vertu de l’article 74.01 de la Loi, comme le soutient le commissaire dans la présente instance. À ce titre, la question contrevient à la décision sur les DAPD du Tribunal qui limitait la portée des éléments pertinents à ceux concernant les ensembles de matelas de HBC.

[16]  Le commissaire répond que cette question doit être générale puisque (i) HBC n’a pas de manuel distinct qui s’appliquerait précisément à la publicité des ensembles de matelas et (ii) HBC n’établit pas de « défauts de conformité » [TRADUCTION] en ce qui concerne les indications concernant les matelas contestés par le commissaire dans la présente instance.

[17]  À mon avis, les seuls renseignements pertinents concernent les mesures disciplinaires pour le non-respect du manuel de conformité de la publicité de HBC liées à tout comportement susceptible d’examen en vertu de l’article 74.01 de la Loi quant à la publicité des ensembles de matelas.

[18]  Telle qu’elle a été formulée, HBC n’a pas à répondre à la question 3.

C.  Demande 4 : Documents envoyés et reçus par le comité de vérification de HBC

[19]  On a demandé à Mme Jelley de produire tous les documents envoyés et reçus par le comité de vérification de HBC en ce qui concerne l’enquête du commissaire.

[20]  HBC déclare que cette demande n’est pas limitée à la conformité de la publicité et qu’en tout état de cause, la responsabilité de la conformité de la publicité a été déléguée au vice-président directeur, avocat général de HBC, et à son délégué au secteur juridique de HBC.

[21]  Je suis d’avis que le renvoi susmentionné à l’enquête du commissaire fait référence à l’enquête qui a mené à sa demande modifiée, qui est une enquête sur la conformité de la publicité de HBC.

[22]  En gardant cela à l’esprit, je suis d’avis que la question est pertinente, qu’elle ne concerne pas la délégation de pouvoirs en faveur du secteur juridique de HBC ni le rôle élargi que pourrait avoir le comité de vérification de HBC.

[23]  HBC répondra à la question 4.

D.  Demande 11 : Rapports au conseil d’administration

[24]  On a demandé à Mme Jelley d’aviser si des rapports ont été présentés au conseil d’administration en ce qui concerne la conformité de la publicité et, le cas échéant, quel en était le contenu.

[25]  Comme elle l’a fait pour la demande 3, HBC soutient qu’à première vue, cette question (i) viserait tout produit offert à la vente par HBC et (ii) viserait des questions relatives à la conformité de la publicité qui ne sont pas liées au comportement susceptible d’examen allégué en vertu de l’article 74.01 de la Loi dans la présente instance. La décision sur les DAPD du Tribunal a limité la portée des éléments de preuve pertinents à ceux concernant les ensembles de matelas de HBC.

[26]  Comme je l’ai conclu pour la demande 3, HBC n’a pas à répondre à la question 11, telle qu’elle a été formulée.

E.  Demande 14 : Dépenses de commercialisation de HBC

[27]  Enfin, on a demandé à Mme Jelley quel était le total des dépenses de commercialisation de HBC pour chaque année de 2013 à 2017.

[28]  Le commissaire soutient que ces renseignements sont pertinents aux circonstances aggravantes que le tribunal prend en considération pour imposer une sanction administrative pécuniaire en vertu de l’alinéa 74.1(5)l) de la Loi, qui indique que le Tribunal tient aussi compte de « tout autre élément pertinent ».

[29]  Tout d’abord, le Tribunal comprend mal de quelle façon le total des dépenses de commercialisation de HBC serait pertinent à l’imposition d’une sanction.

[30]  Ensuite, le commissaire suggère qu’il pourrait calculer les dépenses approximatives de HBC consacrées à la publicité des ensembles de matelas en multipliant son total des dépenses de commercialisation par la proportion du total des recettes et des profits provenant de la vente des ensembles de matelas. À mon avis, il serait risqué d’utiliser des calculs mathématiques hypothétiques pour évaluer les dépenses de commercialisation de HBC en ce qui concerne les ensembles de matelas. Les résultats présumés et hypothétiques ne pourraient pas raisonnablement avoir une incidence sur le montant approprié d’une sanction administrative pécuniaire.

[31]  HBC n’a pas à répondre à la question 14.

III.  REQUÊTE DE HBC

[32]  Les 30 refus de répondre aux questions de l’interrogatoire préalable de M. Zimmerman étaient toujours en litige à l’audience. HBC les a regroupés en trois catégories : (1) les documents et les renseignements produits par Sears en réponse aux ordonnances en vertu de l’article 11 et aux mesures prises par le commissaire en ce qui concerne Sears, [CONFIDENTIEL – NIVEAU C]; (2) tout renseignement que le commissaire pourrait avoir en ce qui concerne le volume des ventes de matelas aux prix réguliers fixés par les concurrents indiqués dans la réponse modifiée de HBC, ainsi que toute reconnaissance de la part du commissaire que HBC est un acteur relativement petit dans le marché et qu’il n’a aucun pouvoir d’établir ou de modifier les prix sur le marché des matelas; (3) et tout renseignement que le commissaire pourrait avoir en ce qui concerne les pratiques des concurrents de HBC sur les ventes de « liquidation » [TRADUCTION], les promotions de « fin de série » [TRADUCTION] ou les promotions combinées.

[33]  À mon avis, toutes ces questions peuvent être regroupées en une seule catégorie puisqu’elles concernent des renseignements de tiers obtenus par le commissaire dans l’exercice du mandat élargi qui lui est conféré par la Loi.

[34]  HBC soutient que tous les renseignements demandés sont hautement pertinents puisque le Tribunal devra examiner le « paysage » [TRADUCTION] et la concurrence du marché pertinent pour évaluer la bonne foi de HBC (alinéa 74.01(3)b) de la Loi), évaluer l’« impression générale » [TRADUCTION] laissée par les indications sur la « liquidation » [TRADUCTION] et la « fin de série » [TRADUCTION] (alinéa 74.01(1)a) de la Loi) et déterminer la mesure corrective appropriée s’il conclut qu’il y a eu un comportement susceptible d’examen (article 74.1 de la Loi).

[35]  Tout d’abord, le commissaire répond que, puisque la bonne foi de HBC doit être déterminée de façon subjective (La commissaire de la concurrence c Sears Canada Inc, 2005 Trib conc 2), tout renseignement concernant le paysage ou la concurrence du marché qui était inconnu de HBC au moment du comportement allégué n’est pas pertinent.

[36]  Ensuite, le commissaire déclare que le comportement d’un concurrent n’a aucune incidence sur l’impression générale laissée par toute indication donnée. La Loi oblige le Tribunal à tenir compte de la question à savoir si l’impression générale véhiculée par l’indication ainsi que son sens littéral représente des indications fausses ou trompeuses sur un point important. Un élément qui ne correspond pas à l’énoncé « qui est de conséquence, qui est de grand intérêt, qui est pertinent, qui est essentiel à l’affaire », comme le comportement d’un concurrent, ne peut être considéré comme important (Sears, supra, aux paras 333 à 336).

[37]  Enfin, le commissaire fait remarquer que « la question de savoir si un concurrent a également eu un comportement susceptible d’examen semblable » [TRADUCTION] n’est pas l’un des facteurs pertinents choisis par le législateur au paragraphe 74.1(5) de la Loi pour aider les décideurs à imposer une sanction administrative pécuniaire appropriée.

[38]  Je suis d’accord avec le commissaire. HBC n’a fait aucune référence à une jurisprudence qui appuie sa proposition selon laquelle les renseignements de tiers, inconnus d’une partie au moment du comportement reproché, qui sont recueillis par le commissaire dans l’exercice de ses vastes pouvoirs d’enquête, seraient pertinents à la défense de cette partie dans les cas comme celui dont je suis saisie.

[39]  Je ne suis pas d’accord avec HBC pour dire qu’en conséquence d’une conclusion défavorable sur cette question, elle aura à défendre sa cause dans un vide factuel et contextuel. Le « paysage » [TRADUCTION] et le niveau de concurrence du marché peuvent être établis grâce aux renseignements à la disposition de HBC au moment du comportement allégué.

[40]  À mon avis, la demande de HBC pour avoir accès aux renseignements et aux documents de tiers obtenus dans le cadre d’une enquête [CONFIDENTIEL – NIVEAU C] est tellement générale qu’elle correspondrait à une recherche à l’aveuglette.

[41]  Étant donné que je suis d’avis qu’aucun des renseignements de tiers inconnus de HBC au moment du comportement susceptible d’examen allégué n’est pertinent, je n’ai pas à examiner les refus du commissaire fondés sur le privilège relatif au litige.

[42]  Enfin, je me dois de formuler des commentaires sur deux demandes précises.

[43]  On a demandé à M. Zimmermann (i) si le commissaire accepte le fait que HBC n’avait et n’a aucune puissance commerciale en ce qui concerne la vente de matelas et (ii) si le commissaire souscrit à la déclaration selon laquelle HBC est un preneur plutôt qu’un suiveur de prix pour ce qui est des matelas.

[44]  Je suis d’accord avec le commissaire pour dire que, telles qu’elles ont été formulées, ces questions visent l’obtention d’une preuve sous forme d’opinion. Mon opinion aurait pu être différente si la question avait été celle à savoir si HBC était considérée en tant que telle pendant l’enquête du commissaire et si cela avait eu une incidence sur les mesures ou les décisions du commissaire.

[45]  Pour les motifs qui précèdent, le commissaire n’a pas à répondre aux demandes de HBC.

POUR LES MOTIFS MENTIONNÉS CI-DESSUS, LE TRIBUNAL ORDONNE CE QUI SUIT :

[46]  La requête du commissaire est accueillie en partie.

[47]  La demande 4 du commissaire obtiendra une réponse.

[48]  La requête de HBC est rejetée.

[49]  Étant donné que les résultats de ces requêtes se sont avérés principalement infructueux pour les deux parties, les frais suivront l’issue de la cause.

FAIT à Ottawa, ce 28e jour de novembre 2018.

SIGNÉ au nom du Tribunal par la membre judiciaire présidant l’audience.

(s) Jocelyne Gagné


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Pour le demandeur :

Le commissaire de la concurrence

Derek Leschinsky

Alexander Gay

Katherine Rydel

Pour la défenderesse :

Compagnie de la Baie d’Hudson

Eliot Kolers

Mark Walli

Patricia Joseph

 

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