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Tribunal de la Concurrence

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Competition Tribunal

TRADUCTION OFFICIELLE

Référence: Coretti c Bureau de la sécurité privée et Garda World Security Corporation, 2019 Trib conc 4

N° de dossier: CT-2019-001

N° de document du greffe: 12

DANS L’AFFAIRE d’une demande de Luigi Coretti en vue d’obtenir une ordonnance, fondée sur l’article 103.1 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, et ses modifications [Loi], lui permettant de présenter une demande en vertu du paragraphe 77(3) de la Loi;

ENTRE:

Luigi Coretti

(demandeur)

et

Bureau de la sécurité privée, Security Corporation, Garda World International Corporation, Garda Canada Security Corporation, The Garda Security Group, Société en Commandite Transport de Valeurs Garda, Garda Alarm Services Corporation

(défendeurs)

Competition Tribunal Seal / Sceau Tribunal de la Concurrence

Rendue en fonction du dossier de l’affaire.

Membre : Mme la juge J. Gagné

Date des motifs et de l’ordonnance : le 31 juillet 2019

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE REJETANT UNE DEMANDE DE PERMISSION


I.  CONTEXTE

[1]  M. Luigi Coretti demande au Tribunal de lui permettre, au titre de l’article 103.1 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, et ses modifications, de présenter une demande en vertu du paragraphe 77(3) de la Loi contre, d’une part, le Bureau de la sécurité privée (« Bureau ») et, d’autre part, Garda World Security Corporation, Garda World International Corporation, Garda Canada Security Corporation, The Garda Security Group, Société en Commandite Transport de Valeurs Garda et Garda Alarm Services Corporation (collectivement « Garda »).

[2]  M. Coretti affirme essentiellement que le Bureau et Garda ont agi de concert pour limiter le marché des services de sécurité privée dans la province de Québec, en obligeant les clients à faire affaire exclusivement avec Garda.

[3]  Il affirme que Garda lui a fait perdre ses éléments d’actif et son entreprise de prestation de services de sécurité personnels, le Bureau canadien d’investigation et ajustements – le BCIA, en intentant une poursuite abusive contre lui. En fait, il affirme que des employés actuels ou anciens de Garda étaient aussi des dirigeants et administrateurs de la Caisse des policiers et policières de Montréal, un créancier dans la faillite de son entreprise, qui a également formulé des allégations de fraude contre lui. Enfin, il affirme qu’en utilisant une multitude d’entités, Garda a pris le contrôle du Bureau [TRADUCTION] « en agissant comme des personnes indépendantes et en semblant représenter la majorité des acteurs du marché ».

[4]  Quant au Bureau, un organisme d’autoréglementation régissant l’industrie de la sécurité privée au Québec, M. Coretti soutient qu’il a refusé illégalement de lui accorder le permis dont il a besoin afin de fournir des services de sécurité privée au Québec. Il a été titulaire d’un tel permis de 1985 à 2010, mais le Bureau a refusé de lui en accorder un nouveau en 2017 après que les accusations de fraude portées contre lui eurent été suspendues en 2016, au motif que sa formation et ses qualifications n’étaient plus à jour. Il a contesté cette décision devant le Tribunal administratif du Québec et la Cour supérieure du Québec. Ces instances sont toutes deux en cours.

II.  QUESTIONS EN LITIGE

[5]  Dans sa demande de permission, M. Coretti soulève les questions suivantes :

  1. Le demandeur est-il directement et sensiblement gêné par la conduite des défendeurs?
  2. Le demandeur est-il directement et sensiblement empêché, par une limitation du marché, d’intégrer le marché québécois afin d’effectuer de la protection d’actifs financiers (notamment des véhicules blindés, du transport et de la sécurité)?
  3. Dans l’affirmative, la limitation du marché est-elle causée par les défendeurs?

[6]  Or, la principale question que soulève la présente demande est plutôt la suivante :

La demande de M. Coretti satisfait-elle au critère applicable pour accorder une permission?

III.  ANALYSE

[7]  Dans l’arrêt Symbol Technologies Canada ULC c Barcode Systems Inc, 2004 CAF 339, le juge Marshall Rothstein a adopté le critère applicable à l’octroi d’une permission, qui est généralement repris depuis. Il a énoncé ce qui suit :

[16] Dans la décision National Capital News Canada c. Canada (Président de la Chambre des communes) (2002), 23 C.P.R. (4th) 77 (Trib. conc.), la juge Dawson, à titre de membre du Tribunal de la concurrence, a examiné le critère applicable à l’octroi d’une demande de permission en application du paragraphe 103.1(7). Après avoir cité des précédents portant sur l’interprétation de l’expression « motifs raisonnables de croire », elle a déclaré au paragraphe 14 de ses motifs :

Par conséquent, me fondant sur le sens ordinaire des termes utilisés au paragraphe 103.1(7) de la Loi et sur la jurisprudence à laquelle je me suis reportée, je conclus que la norme appropriée en vertu du paragraphe 103.1(7) consiste à se demander si la demande de permission est appuyée par des éléments de preuve crédibles suffisants pour qu’on puisse croire de bonne foi que le demandeur a pu être directement et sensiblement gêné dans son entreprise à cause d’une pratique susceptible d’examen et que cette pratique pourrait faire l’objet d’une ordonnance.

Je suis du même avis que la juge Dawson, et j’endosse son analyse et sa conclusion quant au critère applicable pour faire droit à la demande de permission en vertu du paragraphe 103.1(7).

[17] La charge qui incombe à l’auteur de la demande de permission n’est pas très lourde. Il n’a qu’à fournir une preuve crédible suffisante de ce qui est allégué pour faire naître une croyance légitime dans l’esprit du Tribunal. Il s’agit là d’une norme de preuve moins élevée que la norme de la prépondérance de la preuve, laquelle s’appliquera à la décision sur le fond.

[8]  Le juge Rothstein a également souligné l’importance de la déclaration sous serment déposée au soutien de la demande de permission :

[20] [...] Le paragraphe 103.1(1) exige que la demande de permission soit accompagnée d’une déclaration sous serment faisant état des faits. Cette déclaration sous serment doit donc contenir les faits pertinents par rapport aux éléments de la pratique commerciale susceptible d’examen que constitue le refus de vendre, énoncés au paragraphe 75(1) [dans la présente affaire, il s’agirait des éléments de la pratique commerciale susceptible d’examen que constitue la limitation du marché, énoncés au paragraphe 77(3)]. C’est cette déclaration qu’examinera le Tribunal pour trancher une demande de permission en vertu du paragraphe 103.1(7). Bien que la norme de preuve soit moins élevée au stade de la demande de permission qu’à celui de l’examen au fond, il demeure que les mêmes considérations sont pertinentes et doivent être examinées aux deux stades.

[9]  En appliquant le critère susmentionné à l’affaire dont je suis saisie, je dois être convaincue qu’il existe des éléments de preuve crédibles suffisants pour qu’on puisse croire de bonne foi : (1) que le demandeur a pu être directement et sensiblement gêné dans son entreprise à cause de la pratique alléguée; et (2) que cette pratique pourrait faire l’objet d’une ordonnance en vertu du paragraphe 77(3) de la Loi.

[10]  À mon avis, le défaut de M. Coretti de satisfaire au second élément du critère est déterminant quant à l’issue de sa demande de permission.

[11]  En vertu du paragraphe 77(3) de la Loi, trois éléments doivent être établis pour que le Tribunal puisse rendre une ordonnance : (1) il y a « limitation du marché »; (2) cette limitation du marché est pratiquée par un important fournisseur d’un produit ou très répandue à l’égard d’un produit; et (3) cette limitation du marché réduira vraisemblablement et sensiblement la concurrence à l’égard de ce produit (parce qu’elle est très répandue ou pratiquée par un important fournisseur).

[12]  M. Coretti ne présente aucun élément de preuve permettant de croire de bonne foi qu’il y a eu limitation du marché. Une « limitation du marché » est définie au paragraphe 77(1) de la Loi comme « la pratique qui consiste, pour le fournisseur d’un produit, à exiger d’un client, comme condition à ce qu’il lui fournisse ce produit, que ce client fournisse lui-même un produit quelconque uniquement sur un marché déterminé ou encore à exiger une pénalité de quelque sorte de ce client si ce dernier fournit un produit quelconque hors d’un marché déterminé ».

[13]  Or, la déclaration sous serment que M. Coretti a déposée au soutien de la demande est muette quant à la condition ou à la pénalité qui aurait été exigée. Il affirme que les défendeurs [TRADUCTION] « ont limité le marché en obligeant les clients à acheter uniquement d’eux et en anéantissant, de fait, les concurrents ». Il affirme essentiellement qu’il ne peut fournir des services de sécurité que s’il se joint à Garda. Toutefois, sa demande ne contient aucune explication quant à la façon dont la définition de limitation du marché est rencontrée, et je ne vois pas comment on pourrait tirer de sa déclaration sous serment ou de sa demande une inférence raisonnable selon laquelle il est permis de croire de bonne foi que la pratique en question pourrait faire l’objet d’une ordonnance en vertu du paragraphe 77(3).

[14]  Cette conclusion est suffisante en soi pour rejeter la présente demande de permission.

[15]  Cependant, en ce qui concerne le Bureau, j’ajouterais que l’article 17 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21, prévoit que, sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté. L’article 17 de la Loi d’interprétation ne s’applique pas seulement à la Couronne du chef du Canada, mais s’applique aussi à la Couronne du chef d’une province ainsi qu’aux mandataires de la Couronne.

[16]  L’article 2.1 de la Loi prévoit que les personnes morales mandataires de Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province ne sont liées par la loi et assujetties à son application qu’à l’égard des activités commerciales qu’elles exercent en concurrence avec d’autres personnes.

[17]  À mon avis, la Loi ne lie pas le Bureau parce que la conduite alléguée en cause (la délivrance d’un permis en vertu de la Loi sur la sécurité privée, RLRQ c S-3.5, du Québec) ne constitue pas une activité commerciale exercée par le Bureau en concurrence avec d’autres personnes. Le fait que des personnes liées à des concurrents potentiels de M. Coretti siègent au conseil d’administration du Bureau, conformément aux exigences de la loi (paragraphe 44(2) de la Loi sur la sécurité privée), ne transforme pas la délivrance de permis en activité commerciale au sens de l’article 2.1 de la Loi.

[18]  Le Bureau jouit de l’immunité de la Couronne conformément à l’article 17 de la Loi d’interprétation, et la demande de permission présentée contre le Bureau est également rejetée pour ce motif.

IV.  CONCLUSION

[19]  La preuve contenue dans la déclaration sous serment de M. Coretti est loin de satisfaire au critère applicable à l’octroi d’une permission, et sa demande est par conséquent rejetée.

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS PRÉCÉDEMMENT, LE TRIBUNAL ORDONNE :

[20]  La demande de permission est rejetée.

[21]  Des dépens de 1 000 $ chacun sont adjugés aux défendeurs.

FAIT à Ottawa, ce 31e jour de juillet 2019.

SIGNÉ au nom du Tribunal par la juge présidant.

(s) Jocelyne Gagné

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour le demandeur :

Luigi Coretti

Felipe Morales

Pour les défendeurs :

Bureau de la sécurité privée

Stéphane Gauthier

Élise Veillette

Garda World Security Corporation

Garda World International Corporation

Garda Canada Security Corporation

The Garda Security Group

Société en Commandite Transport de Valeurs Garda et

Garda Alarm Services Corporation

Gabriel Séguin

 

 

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