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Tribunal de la concurrence

Competition Tribunal

TRADUCTION OFFICIELLE

VERSION CONFIDENTIELLE

Référence : Canada (Commissaire de la concurrence) c Parrish & Heimbecker, Limited, 2020 Trib Conc 15

No de dossier : CT‑20 19-005

No de document du greffe : 281

DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par le commissaire de la concurrence en vue d’obtenir une ou plusieurs ordonnances en vertu de l’article 92 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C‑34, et ses modifications.

ENTRE :

Le commissaire de la concurrence

(demandeur)

et

Parrish & Heimbecker, Limited

(défenderesse)

Date de l’audience : 4 décembre 2020

En présence de : Monsieur le juge D. Gascon (président)

Date de l’ordonnance : 15 décembre 2020

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE SUR LA REQUÊTE DU COMMISSAIRE EN OPPOSITION À LA RECEVABILITÉ DE LA PREUVE PROPOSÉE


I. INTRODUCTION

[1] Le 27 novembre 2020, le commissaire de la concurrence (le « commissaire ») a déposé une requête devant le Tribunal en vue de faire radier certains paragraphes du projet de déclaration de témoin signé par M. John Heimbecker (la « déclaration de témoin »), chef de la direction chez Parrish & Heimbecker, Limited (« P&H »). Le commissaire affirme que certains des paragraphes contestés constituent un témoignage d’opinion de profane irrecevable et que d’autres contiennent une preuve par ouï‑dire inadmissible (les « éléments de preuve contestés »). Le commissaire a déposé la présente requête dans le contexte d’une demande qu’il a déposée contre P&H au titre de l’article 92 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C‑34 (la « Loi »), concernant l’acquisition par cette dernière d’un silo à grains primaire situé à Virden, au Manitoba (la « demande »). L’achat du silo à grains s’inscrivait dans le cadre d’une opération plus importante à l’issue de laquelle P&H a acquis dix silos à grains que possédait Louis Dreyfus Company Canada ULC (« LDC ») dans l’Ouest canadien (l’« acquisition en cause »).

[2] Dans sa requête, le commissaire fait valoir que les éléments suivants de la déclaration de témoin constituent un témoignage d’opinion de profane irrecevable :

1. Les déclarations de M. Heimbecker au sujet de la position de P&H sur le marché de l’industrie canadienne des grains et au sujet des parts de marché (paragraphes 27 à 29);

2. Les déclarations de M. Heimbecker sur l’accroissement des intrants de culture (paragraphes 55 et 59);

3. Les déclarations de M. Heimbecker sur la capacité excédentaire des silos à grains et sur une possible expansion (paragraphes 141 à 147 et 152);

4. Les déclarations de M. Heimbecker sur la quantification des « gains en efficience » que P&H réaliserait grâce à l’acquisition en cause (paragraphes 178 et 179).

[3] Le commissaire soutient également que les éléments suivants constituent une preuve par ouï‑dire inadmissible :

1. Le témoignage de M. Heimbecker reposant sur des renseignements fournis par M. Klippenstein, un ancien employé de LDC qui travaille maintenant pour P&H, au sujet des pratiques et des politiques de LDC en ce qui concerne l’achat de types particuliers de grains et leur classement (paragraphes 166, 167 et 170);

2. Le témoignage de M. Heimbecker au sujet de la relation entre un représentant du service à la clientèle de P&H au silo de Moosomin et l’un des témoins agriculteurs du commissaire (paragraphe 174).

[4] Le commissaire demande au Tribunal de déclarer immédiatement, avant l’audition de la demande sur le fond, que les éléments de preuve contestés sont irrecevables et d’ordonner qu’ils soient radiés de la déclaration de témoin de M. Heimbecker.

[5] Dans la présente requête, le Tribunal doit décider si, à ce stade préliminaire, le commissaire a établi, selon la prépondérance des probabilités, que les paragraphes contenant les éléments de preuve contestés, placés dans le contexte de la déclaration de témoin, constituent un témoignage d’opinion de profane irrecevable ou une preuve par ouï-dire inadmissible. Pour les motifs énoncés ci‑dessous, j’accueille en partie la requête du commissaire. Je conclus que certains passages de la déclaration de témoin de M. Heimbecker peuvent dès maintenant être déclarés irrecevables, car ils constituent clairement un témoignage d’opinion de profane irrecevable ou comprennent manifestement une preuve par ouï-dire inadmissible.

II. TÉMOIGNAGE D’OPINION DE PROFANE

[6] Il est bien établi que la déposition d’un témoin profane doit généralement se limiter aux faits dont celui-ci a connaissance et que le témoignage d’opinion de profane n’est acceptable que dans des circonstances limitées (White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23 (« White Burgess »), au par. 14; Toronto Real Estate Board c Commissaire de la concurrence, 2017 CAF 236 (« TREB CAF »), aux par. 78 et 79, autorisation d’appel à la CSC refusée, 37932 (23 août 2018); David Paciocco et Lee Stuesser, The Law of Evidence, 7e éd. (Toronto : Irwin Law, 2015), aux p. 189 et 195). En droit de la preuve, une opinion est une inférence tirée des faits observés. La principale raison pour laquelle on exclut les témoignages d’opinion de profanes est que ceux-ci ne sont généralement pas utiles au juge des faits et qu’ils peuvent l’induire en erreur (White Burgess, au par. 14).

[7] Se fondant sur les opinions incidentes formulées par la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») dans les arrêts TREB CAF, aux par. 79 à 81, et Pfizer Canada Inc. c Teva Canada Ltd., 2016 CAF 161 (« Pfizer Canada »), aux par. 105 à 108, le Tribunal a récemment résumé l’état du droit concernant le témoignage d’opinion de profane dans la décision Le commissaire de la concurrence c Autorité aéroportuaire de Vancouver, 2019 Trib Comp 6 (« AAV »), aux par. 145 à 148 :

[145] […] la règle générale est la suivante : un témoin profane ne peut pas fournir un témoignage d’opinion; il peut uniquement témoigner sur les faits qui relèvent de ses connaissances, de ses observations et de son expérience (arrêt White Burgess, au par. 14; TREB CAF, au par. 78). La principale raison pour laquelle on exclut les témoignages d’opinion de témoins profanes est que ceux-ci ne sont pas utiles au décideur et qu’ils peuvent l’induire en erreur (White Burgess, au par. 14). Ce principe se reflète dans les paragraphes 68(2) et 69(2) des Règles du TC, qui indiquent tous deux que « [s]auf entente contraire entre les parties, la déclaration d’un témoin se limite aux faits dont il pourrait témoigner oralement ainsi qu’aux documents admissibles comme pièces jointes ou aux renvois à ceux‑ci ».

 

[146] La CSC a toutefois reconnu que « [l]a distinction entre un “fait” et une “opinion” n’est pas nette » (Graat c La Reine, [1982] 2 RCS 819, 144 DLR (3d) 267, à la p. 835). Les tribunaux ont donc acquis plus de latitude pour recevoir les opinions d’un témoin profane si ce dernier a une connaissance personnelle des faits observés et s’il témoigne sur des faits qui relèvent de ses observations, de son expérience et de sa compréhension d’un événement, d’une conduite ou d’une action. À cet égard, la CAF a récemment décrété, là encore dans le contexte d’une instance du Tribunal, que l’opinion d’un témoin profane est acceptable « lorsque le témoin est mieux placé que le juge des faits pour former les conclusions; que les conclusions sont celles qu’une personne possédant une expérience ordinaire peut tirer; que les témoins ont l’expérience leur permettant de tirer les conclusions ou que donner des opinions est une méthode pratique pour déclarer des faits trop fugaces ou compliqués pour être énoncés autrement » (arrêt TREB CAF, au par. 79). Dans ce contexte, quand un témoin a une connaissance personnelle de faits observés, comme les activités réelles et pertinentes d’une entreprise, son témoignage peut être admis par un tribunal judiciaire ou le Tribunal, même s’il s’agit d’un témoignage d’opinion (arrêt TREB CAF, au par. 80; arrêt Pfizer Canada, aux par. 105 à 108).

 

[147] En outre, il a été reconnu que les témoins profanes peuvent faire part d’opinions au sujet de leur propre conduite et de leur propre entreprise (arrêt TREB CAF, aux par. 80 et 81). La CAF a toutefois précisé qu’il y a des limites à un tel témoignage : « des témoins profanes ne peuvent pas témoigner sur des questions allant au-delà de leur propre conduite et de celle de leur entreprise dans le monde hypothétique. Les témoins profanes ne sont pas mieux placés que le juge des faits pour tirer des conclusions au sujet des conséquences économiques globales, n’eût été de la pratique en question; ils ne possèdent pas non plus l’expérience pour le faire » [non souligné dans l’original] (arrêt TREB CAF, au par. 81).

 

[148] Autrement dit, lorsqu’un témoin a eu une « possibilité d’observation personnelle » et est « en mesure d’apporter une aide réelle à la Cour », le témoignage peut être admissible et le réel enjeu sera d’évaluer le poids du témoignage (décision Imperial Brush, au par. 11). […]

[8] Ce résumé du droit demeure applicable aujourd’hui. La CAF et le Tribunal ont donc clairement établi que, à titre de témoins profanes, les dirigeants d’entreprise peuvent témoigner « sur les actes potentiels de celle‑ci dans un monde hypothétique, dans la situation où le témoin avait connaissance des opérations pertinentes, dans le monde réel, de la société », mais ils « ne peuvent pas témoigner sur des questions allant au-delà de leur propre conduite et de celle de leur entreprise dans le monde hypothétique » (TREB CAF, aux par. 80 et 81; Pfizer Canada, aux par. 105 à 108, 112 et 121). Dans le même ordre d’idées, les témoins profanes ne sont pas mieux placés que le juge des faits pour tirer des conclusions au sujet des conséquences économiques globales n’eût été la pratique en question ou l’incidence d’une conduite prétendument anticoncurrentielle sur la concurrence en général, et tout témoignage à cet effet constitue un témoignage d’opinion irrecevable (TREB CAF, au par. 81).

[9] Par conséquent, devant le Tribunal, le témoignage d’opinion d’un témoin profane qui dirige une entreprise, comme M. Heimbecker, est généralement recevable si les conditions suivantes sont remplies :

1. Le témoin profane tire des conclusions sur des faits qui relèvent de ses connaissances personnelles, de ses observations, de son expérience et de sa compréhension d’un événement, d’une conduite ou d’une action;

2. Le témoin profane est en mesure d’apporter une aide réelle au juge des faits;

3. Le témoin profane donne des opinions sur des questions concernant la conduite de son entreprise dans le cadre des activités de l’entreprise dans le monde réel ou dans le monde hypothétique, par opposition à des opinions au sujet de l’incidence d’une conduite prétendument anticoncurrentielle sur la concurrence en général ou de ses conséquences économiques globales pour une industrie, un marché ou d’autres entités.

[10] Je m’arrête pour préciser que le paragraphe 68(2) des Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/2008‑141, dispose qu’un témoin profane ne peut pas, dans une déclaration écrite, faire des affirmations qui auraient été irrecevables si elles avaient été faites de vive voix à l’audience.

[11] Dans sa requête en radiation, le commissaire affirme que M. Heimbecker présente un témoignage d’opinion de profane irrecevable dans quatre contextes différents. J’examinerai chacune de ses objections à tour de rôle.

A. Position de P&H sur le marché

[12] Aux paragraphes 27 à 29 de sa déclaration de témoin, sous la rubrique [traduction] « Position de P&H sur le marché », M. Heimbecker se sert de données provenant de la Commission canadienne des grains (la « CCG »), d’estimations internes de P&H et de renseignements accessibles au public pour calculer la capacité d’entreposage de grains et [traduction] « les chiffres primaires annuels » ainsi que pour estimer la position sur le marché de P&H et de ses rivales. Le commissaire fait valoir que, ce faisant, M. Heimbecker donne une opinion sur les parts de marché et formule des observations sur ce qui constitue un marché approprié et sur la façon dont les parts de marché devraient être calculées. Selon le commissaire, cela constitue un témoignage d’opinion qui peut uniquement être présenté par des experts économistes.

[13] Je ne suis pas de cet avis.

[14] Je reconnais que les déclarations faites par M. Heimbecker à cet égard contiennent un témoignage d’opinion de profane, mais je suis convaincu qu’il s’agit d’un témoignage d’opinion de profane recevable. À mon avis, M. Heimbecker peut témoigner au sujet de sa façon de voir l’industrie des grains dans laquelle P&H évolue ainsi que de la place qu’occupe P&H dans ce secteur d’activités (y compris sa part de la capacité d’entreposage et sa position relative sur le marché). Je conviens avec P&H que les tableaux figurant aux paragraphes en question énoncent des faits arithmétiques fondés sur des données et des renseignements qui relèvent des observations de M. Heimbecker, sur des données et des renseignements tirés d’estimations internes, ainsi que sur des données accessibles au public provenant de la CCG et d’autres sources. Évaluer sa position sur le marché est un exercice auquel les hauts dirigeants comme M. Heimbecker se livrent régulièrement dans le cours normal des activités de leur entreprise. Comme cet exercice est toujours relatif, pour y arriver, il faut naturellement évaluer l’ensemble du secteur d’activités et la position sur le marché estimée de ses concurrents.

[15] Dans sa déclaration de témoin, M. Heimbecker indique expressément qu’il a une connaissance personnelle des activités de P&H et explique son rôle au sein de l’entreprise ainsi que son expérience dans l’industrie canadienne des grains. Dans les paragraphes contestés de sa déclaration de témoin, M. Heimbecker fait le point sur les données à sa disposition et témoigne de faits qui relèvent de ses observations, de son expérience et de sa compréhension d’un fait, d’une conduite ou d’une action. Comme il le décrit ailleurs dans sa déclaration de témoin, M. Heimbecker a plus de 30 années d’expérience dans l’industrie canadienne des grains. Il travaille chez P&H et œuvre dans le secteur des grains depuis le tout début de sa carrière, en mai 1987. Il a été nommé chef de la direction chez P&H en septembre 2019 et il occupe le poste de président de la Division des grains du Canada depuis avril 2017. À titre de président de la Division des grains du Canada, il est responsable des activités de P&H dans le secteur des grains pour tout le Canada (y compris tous ses silos). Par ailleurs, les renseignements fournis sont pertinents dans le contexte de la demande et aideront le Tribunal dans le présent litige. De plus, dans son explication au sujet de la position sur le marché, M. Heimbecker ne parle pas des marchés pertinents ni de questions qui ne relèvent pas de la conduite et des activités de P&H. Pour tous ces motifs, je ne vois aucune raison de conclure que ce témoignage d’opinion de profane est irrecevable.

[16] Les doutes soulevés par le commissaire à l’égard de cette preuve proposée sont fondés sur la valeur probante et le poids que le Tribunal devrait lui accorder, et non sur sa recevabilité. Le Tribunal se penchera sur ces questions de fiabilité et de poids au cours de l’audience sur le fond. La déclaration de M. Heimbecker et ses estimations des parts de marché pourront bien sûr faire l’objet d’un contre‑interrogatoire par le commissaire et de questions du Tribunal, mais il reviendra au Tribunal, à la suite de son appréciation de la preuve, de déterminer le poids qui doit être accordé aux calculs de M. Heimbecker à la lumière du reste de la preuve au dossier.

B. Accroissement des intrants de culture

[17] Les paragraphes 55 et 59 de la déclaration de témoin de M. Heimbecker portent sur l’accroissement des intrants de culture. Au paragraphe 55, M. Heimbecker affirme que [traduction] « l’emploi d’engrais additionnels et l’application de mesures de protection des récoltes additionnelles devraient faire augmenter la production de grains dans la région de Virden, ce qui devrait accroître les exportations canadiennes ». Au paragraphe 59, M. Heimbecker donne son avis sur la provenance des futures ventes d’intrants de culture par P&H et sur les conséquences de celles‑ci dans la région.

[18] Le commissaire fait valoir que M. Heimbecker peut témoigner sur les projets de P&H, mais qu’il ne peut pas tirer d’inférences au sujet de la planification des intrants de culture sur le marché en général ou sur la conduite des silos à grains concurrents. P&H répond que, dans ces paragraphes, M. Heimbecker énonce simplement ses attentes (par opposition à ses opinions) fondées sur l’expérience de P&H dans le contexte de l’exploitation de sa propre entreprise d’intrants de culture.

[19] Je suis d’accord avec le commissaire pour dire que certaines des déclarations formulées par M. Heimbecker dans ces paragraphes constituent un témoignage d’opinion de profane irrecevable, dans la mesure où elles ne se limitent pas à la conduite et à l’entreprise de P&H. La déclaration contestée au paragraphe 55 se rapporte clairement à l’incidence possible de l’emploi d’engrais additionnels sur la production de grains dans la région de Virden et à son effet sur les exportations canadiennes. Elle ne se limite manifestement pas à P&H. Il s’agit d’un témoignage d’opinion de profane irrecevable. À titre de témoin profane, M. Heimbecker peut témoigner du fait que P&H prévoit ajouter des installations d’intrants de culture à Virden, mais il ne peut pas aller au‑delà des projets de P&H. Sauf en ce qui concerne le tout début du paragraphe, le paragraphe 59 présente le même défaut et énonce lui aussi les convictions de M. Heimbecker à propos de l’augmentation des ventes d’intrants de culture [traduction] « dans la région » et, de façon générale, des mesures que pourraient prendre les fermes. Ce faisant, M. Heimbecker témoigne de la conduite attendue de ses concurrents et formule des conclusions sur les conséquences de l’acquisition en cause par P&H sur la concurrence en général, d’une manière qui ne respecte pas les directives énoncées par la CAF dans l’arrêt TREB CAF. Même s’il l’exprime en termes de ses attentes, il donne en fait son opinion sur ce que d’autres acteurs sont susceptibles de faire et sur ce qui va se produire dans l’industrie des grains en général.

[20] La dernière phrase du paragraphe 55 et du paragraphe 59, qui commence par les mots « I do » à la deuxième ligne, sera donc radiée de la déclaration de témoin de M. Heimbecker.

[21] Je m’arrête pour formuler un commentaire au sujet de la décision AAV du Tribunal, étant donné que P&H s’est largement appuyée sur ce précédent dans ses observations et qu’elle a tenté à maintes reprises d’établir des parallèles entre la présente requête et une requête similaire, qui a été rejetée par le Tribunal dans AAV. Avec égards, les faits dans les deux affaires sont fondamentalement différents.

[22] Dans la décision AAV, la défenderesse a contesté la recevabilité du témoignage que devaient donner deux des témoins du commissaire, Mme Stewart d’Air Transat et Mme Bishop de Jazz, au motif qu’il s’agissait d’un témoignage d’opinion de profane irrecevable ou d’une preuve par ouï-dire inadmissible. Dans cette affaire, le Tribunal a reporté sa décision sur la recevabilité de la preuve proposée jusqu’à ce que Mme Stewart et Mme Bishop aient témoigné à l’audience, en faisant remarquer que leurs témoignages donneraient un meilleur contexte factuel pour aider le Tribunal à apprécier la preuve contestée.

[23] Toutefois, la question en litige devant le Tribunal dans AAV consistait à déterminer si les conclusions que Mme Stewart et Mme Bishop avaient tirées, relativement à leurs allégations d’économies non réalisées et de dépenses accrues en raison de la conduite alléguée de la défenderesse, relevaient de leur connaissance personnelle, étant donné qu’elles n’avaient pas elles‑mêmes effectué les calculs qui sous‑tendaient leurs témoignages. Après avoir pris connaissance des témoignages de Mme Stewart et de Mme Bishop à l’audience, le Tribunal a conclu que leur preuve était recevable et que les réserves exprimées par la défenderesse portaient sur la valeur probante de la preuve et sur l’importance que le Tribunal devrait lui accorder, et non sur sa recevabilité. Dans cette affaire, le Tribunal s’est dit convaincu, en fin de compte, que Mme Stewart et Mme Bishop pouvaient, compte tenu de leurs connaissances personnelles, de leurs observations et de leur expérience, témoigner au sujet des questions contestées par la défenderesse.

[24] La preuve contestée dans AAV portait clairement sur les entreprises des deux témoins, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Ici, le débat sur le témoignage d’opinion de profane ne concerne pas la portée des connaissances réelles de M. Heimbecker, de ses observations, de son expérience ou de sa compréhension d’un fait, d’une conduite ou d’une action au sein de P&H. En l’espèce, les déclarations de M. Heimbecker sur l’accroissement des intrants de culture sont problématiques, en ce sens qu’elles ne se limitent pas à la conduite et aux activités de P&H.

C. Capacité excédentaire et expansion

[25] Je me pencherai maintenant sur les paragraphes 141 à 147 et 152 de la déclaration de témoin de M. Heimbecker, dans lesquels celui‑ci discute de la production maximale observée et de la production réelle de P&H et d’autres silos dans l’industrie des grains. Le commissaire fait valoir que M. Heimbecker peut donner son avis sur la question de savoir si les silos de P&H à Moosomin et Virden ont une capacité excédentaire – des faits qu’il peut observer – mais qu’il ne peut pas donner son opinion sur la capacité des silos rivaux. Plus précisément, le commissaire s’oppose aux déclarations de M. Heimbecker selon lesquelles les rivaux de P&H [traduction] « pourraient facilement accroître leurs achats de blé et de canola auprès des fermes de la région de Virden/Moosomin » ou [traduction] « accroître significativement leur capacité d’acquisition de grains », formulées respectivement aux paragraphes 141 et 152.

[26] P&H répond que les affirmations formulées par M. Heimbecker dans les paragraphes soulevés par le commissaire énoncent simplement des faits mathématiques et des calculs concernant la capacité et la production ou qu’elles constituent par ailleurs un témoignage d’opinion de profane recevable.

[27] Je conviens avec P&H que, de façon générale, ces paragraphes sur la production et la capacité moyennes décrivent simplement les observations et les perceptions de M. Heimbecker découlant des données publiées par la CCG, qui font état du volume de grains que P&H et ses rivaux ont acheté et expédié (c.‑à‑d. leur production réelle et maximale) au cours de la période de cinq ans allant de 2014‑2015 à 2018‑2019. Comme c’était le cas pour les statistiques sur les parts de marché aux paragraphes 27 à 29, je suis convaincu que les déclarations de M. Heimbecker sur les mesures réelles de la capacité et de la production sont généralement fondées sur ses observations personnelles concernant les données et représentent simplement les calculs arithmétiques qu’il faut effectuer pour établir les moyennes, les totaux et les différences en ce qui concerne la capacité de production. Je ne suis pas persuadé que M. Heimbecker ne puisse pas, compte tenu de ses connaissances réelles, de ses observations, de son expérience ou de sa compréhension des faits, témoigner de ces mesures de la capacité à l’aide de données accessibles au public à la disposition de P&H dans le cadre de ses activités habituelles. Compte tenu de sa longue expérience dans l’industrie des grains, M. Heimbecker est bien placé pour aider le Tribunal à cet égard. Pour les raisons que j’ai déjà données en ce qui concerne la position sur le marché de P&H, je suis convaincu que les déclarations faites par M. Heimbecker aux paragraphes 141 à 147 et 152 constituent une preuve recevable, à quelques exceptions près, que voici.

[28] M. Heimbecker ne peut pas témoigner ni tirer de conclusions sur ce que les silos rivaux feront de leur capacité prétendument excédentaire. En tant que témoin profane, M. Heimbecker ne peut pas extrapoler et utiliser ses propres observations sur les données concernant la production pour donner son opinion sur ce que les silos rivaux pourraient faire dans le contexte de leurs activités ni sur leur conduite future en termes d’achat de blé et de canola. Il s’agirait d’inférences ou de conclusions qui peuvent être tirées par des experts ou plaidées par les avocats, mais qu’il appartiendra en dernier ressort au Tribunal d’établir. Je suis donc d’accord avec le commissaire sur le fait que dans certains passages des paragraphes 141, 146, 147 et 152, M. Heimbecker va au-delà des limites reconnues du témoignage d’opinion de profane et formule en fait des déclarations au sujet des conséquences économiques générales de la conduite prétendument anticoncurrentielle ou des incidences de l’acquisition du silo à grain en cause par P&H sur la concurrence en général et les concurrents. Il s’agit d’un témoignage d’opinion de profane irrecevable.

[29] Pour cette raison, les déclarations formulées par M. Heimbecker dans la deuxième moitié du paragraphe 141 (à partir du mot « such »), dans la dernière phrase du paragraphe 146, à la fin de la première phrase du paragraphe 147 (à partir des mots « -- or their ») et dans la première phrase du paragraphe 152 seront radiées de sa déclaration de témoin.

[30] Encore une fois, cela ne signifie pas que le Tribunal admettra les calculs de M. Heimbecker concernant la production et la capacité excédentaire. Il reviendra au Tribunal, lors de l’audience sur le fond, de déterminer le poids à accorder à cette preuve et d’établir ce que cela signifie en termes de la capacité de production des silos à grains qui n’appartiennent pas à P&H et des conséquences sur leur achat de blé et de canola.

D. Évaluation quantitative des gains en efficience

[31] En dernier lieu, le commissaire conteste deux paragraphes de la déclaration de témoin de M. Heimbecker qui concernent les gains en efficience. Au paragraphe 178, M. Heimbecker explique que [traduction] « l’accroissement de la production à Virden est un gain en efficience pour l’économie canadienne » et, au paragraphe 179, il quantifie ce qu’il appelle les [traduction] « gains en efficience annuels » prévus par P&H par suite de l’acquisition en cause.

[32] Le commissaire fait valoir que ces affirmations constituent un témoignage d’opinion de profane irrecevable et que M. Heimbecker ne peut pas donner son avis sur ce qui constitue un gain en efficience reconnu aux termes de la Loi. P&H soutient que M. Heimbecker n’emploie pas les mots [traduction] « gain en efficience reconnu » dans sa déclaration de témoin et qu’il peut à bon droit quantifier la valeur de la production accrue au silo de Virden.

[33] À l’exception de la dernière phrase du paragraphe 178, je suis du même avis que P&H et je conclus que les affirmations de M. Heimbecker au sujet des gains en efficience ne constituent pas un témoignage d’opinion de profane irrecevable.

[34] Je reconnais que ce qui constitue un gain en efficience reconnu au sens de l’article 96 de la Loi est une question de droit et qu’aucun témoin, profane ou expert, n’est compétent pour donner une opinion sur la question de savoir si les économies, les synergies, les économies d’échelle ou les gains en efficience – quel que soit le nom qu’on leur donne – qui découleraient d’une transaction constituent des gains en efficience reconnus liés à la production, aux progrès dynamiques et à l’allocation des ressources. Il incombe au Tribunal de le déterminer à l’issue de l’audience sur le fond. Comme l’a fait remarquer à juste titre P&H, les mots [traduction] « gain en efficience reconnu » ne figurent pas aux paragraphes 178 et 179 de la déclaration de témoin de M. Heimbecker, et M. Heimbecker n’affirme nulle part que P&H a réalisé des gains en efficience reconnus au sens de l’article 96 de la Loi. Au paragraphe 179, M. Heimbecker se contente de quantifier ce qu’il estime être la valeur de la production accrue de P&H à Virden pour 2020. Compte tenu de ses connaissances réelles, de ses observations, de son expérience et de sa compréhension des faits, de la conduite et des actions de P&H dans le contexte de ses activités, je suis convaincu que M. Heimbecker peut témoigner au sujet de la production accrue à Virden et de ses effets sur les marges des grains de P&H. La valeur annuelle de cette capacité de production additionnelle, telle qu’elle est perçue et mesurée par M. Heimbecker et P&H, est le résultat d’un calcul mathématique réalisé à l’aide de données relatives aux activités de P&H et (je présume) de certaines hypothèses pour ce qui est des mois dont les données sont fondées sur des prévisions. En sa qualité de chef de la direction chez P&H, M. Heimbecker est bien placé pour présenter cette preuve au nom de P&H. Le calcul, y compris les données et les hypothèses relatives aux mois dont les données sont fondées sur des prévisions, pourra être mis à l’épreuve pendant le contre‑interrogatoire. Bien que je sois d’accord pour dire que M. Heimbecker ne peut pas témoigner ni formuler une opinion sur ce que signifient ces économies perçues en termes de gains en efficience acceptables aux fins de l’application de l’article 96 de la Loi, je suis d’avis que l’emploi par lui du terme [traduction] « gain en efficience » (efficiency) au paragraphe 179 ne doit pas être interprété comme signifiant nécessairement qu’il s’agit de « gains en efficience » acceptables au sens de l’article 96. Il aurait peut‑être été préférable pour un témoin profane comme M. Heimbecker d’employer des mots comme « économies » ou « synergies », au lieu que la notion légale de « gains en efficience », mais cela ne suffit pas en soi pour conclure que la déclaration est irrecevable.

[35] Il appartiendra encore une fois au Tribunal d’établir le poids qui doit être accordé à cette déclaration et de répondre à la question de savoir si, compte tenu de l’ensemble de la preuve au dossier, ce que M. Heimbecker appelle des [traduction] « gains en efficience annuels » constitue en fait des gains en efficience liés à la production, aux progrès dynamiques ou à l’allocation des ressources qui sont reconnus aux fins de l’application de l’article 96 de la Loi. Néanmoins, la preuve est recevable.

[36] On ne peut toutefois pas en dire autant de la dernière phrase du paragraphe 178, où M. Heimbecker affirme que [traduction] « l’accroissement de la production à Virden est un gain en efficience pour l’économie canadienne ». Comme c’était le cas de certains autres commentaires formulés par M. Heimbecker dans sa déclaration de témoin, ce commentaire dépasse la portée de ce dont il peut témoigner en tant que témoin profane. Il s’agit d’une inférence fondée sur des faits observés qui va bien au‑delà des limites reconnues du témoignage d’opinion de profane, car il ne concerne pas la conduite ni les activités de P&H; il allègue plutôt un effet sur l’économie canadienne en général. Il s’agit d’un témoignage d’opinion de profane irrecevable, et la dernière phrase du paragraphe 178 sera donc radiée.

III. PREUVE PAR OUÏ‑DIRE

[37] La preuve par ouï-dire est définie comme étant une déclaration extrajudiciaire présentée pour établir la véracité de son contenu. Les caractéristiques déterminantes essentielles du ouï‑dire sont les suivantes : « (1) le fait que la déclaration soit présentée pour établir la véracité de son contenu et (2) l’impossibilité de contre‑interroger le déclarant au moment précis où il fait cette déclaration » (R c Khelawon, 2006 CSC 57 (« Khelawon »), au par. 35). Ainsi, les déclarations qui ne relèvent pas de la connaissance personnelle du témoin sont du ouï‑dire (Canadian Tire Corp Ltd c PS Partsource Inc., 2001 CAF 8, au par. 6; AAV, au par. 156). Il est bien établi que la preuve par ouï‑dire est présumée inadmissible, parce qu’il est souvent difficile pour le juge des faits d’en apprécier la véracité et parce qu’elle peut menacer l’intégrité du processus de recherche de la vérité et l’équité du procès (R c Bradshaw, 2017 CSC 35 (« Bradshaw »), au par. 1).

[38] Toutefois, comme le Tribunal l’a rappelé dans la décision AAV, la preuve par ouï‑dire peut exceptionnellement être admissible si elle satisfait au double critère de la « nécessité » et de la « fiabilité », selon l’approche raisonnée qu’ont mise au point les tribunaux (Bradshaw, au par. 23; AAV, au par. 157).

[39] Dans la présente requête, le commissaire soutient que certaines des déclarations de M. Heimbecker en réponse aux déclarations des témoins agriculteurs du commissaire contiennent de la preuve par ouï-dire inadmissible. Plus particulièrement, il conteste les paragraphes 166, 167 et 170 de la déclaration de témoin, où M. Heimbecker parle des déclarations faites par M. Klippenstein, maintenant directeur général du silo de Virden chez P&H, au sujet des pratiques et des politiques de LDC relativement à l’achat par LDC de certains types et grades de grains avant l’acquisition en cause, alors que LDC était propriétaire du silo de Virden et que M. Klippenstein était à l’emploi de LDC. De plus, au paragraphe 174, M. Heimbecker parle des déclarations faites par un représentant des ventes de P&H du silo de Moosomin (dont le nom est confidentiel) concernant l’entreprise d’un des témoins agriculteurs du commissaire et une demande particulière qu’il aurait reçue de sa part. Le commissaire soutient que toutes ces déclarations rapportées par M. Heimbecker constituent une preuve par ouï-dire inadmissible.

[40] En réponse, P&H fait valoir que ces déclarations sont admissibles, parce qu’elles sont visées par une exception à la règle d’exclusion de la preuve par ouï-dire que les avocats de P&H ont appelé l’exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne. P&H soutient que cette exception a été reconnue par la CAF dans l’arrêt O’Grady c Canada (Procureur général), 2016 CAF 221 (« O’Grady »). Elle affirme qu’en vertu de cette exception un témoin [traduction] « a le droit de présenter une preuve relative à l’entreprise sur la foi de renseignements obtenus d’un subalterne dont il est responsable ». D’après P&H, c’est précisément ce que fait M. Heimbecker dans les quatre paragraphes contestés.

[41] Je ne suis pas d’accord. À mon avis, les déclarations contestées ne sont pas visées par l’exception restreinte invoquée par P&H pour justifier leur admissibilité. Au contraire, elles comportent toutes les caractéristiques de la preuve par ouï-dire inadmissible.

[42] À mon avis, il ne fait pas de doute que les déclarations contestées sont, à une exception près, des cas manifestes de ouï‑dire et devraient être radiées. Elles répètent les déclarations et les observations extrajudiciaires de deux déclarants qui ne seront pas à l’audience et donc ne pourront pas être contre‑interrogés. Il n’est pas non plus contesté que P&H ne produit pas ces déclarations simplement pour établir qu’elles ont été faites; elles visent plutôt à établir la véracité de leur contenu. Qui plus est, bien que je reconnaisse l’existence d’une exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne, il est évident que les déclarations contestées de M. Heimbecker ne satisfont pas aux critères d’application de cette exception tels qu’ils ont été élaborés par la CAF. Enfin, on ne peut pas dire que les observations formulées par M. Heimbecker relèvent de l’exception raisonnée à la règle du ouï‑dire, étant donné qu’elles ne possèdent pas les qualités requises en matière de fiabilité ou de nécessité.

A. M. Klippenstein

[43] Je me pencherai d’abord sur les trois paragraphes qui comprennent les déclarations faites par M. Klippenstein. Dans ces paragraphes, M. Heimbecker ne présente aucune preuve relative à P&H (écrite ou autre), ce que P&H ne conteste pas. Il tente plutôt de présenter comme sa propre preuve des déclarations faites par un employé actuel de P&H au sujet d’une autre société (c.‑à‑d. LDC) relativement à des événements que cet employé a observés pendant qu’il était à l’emploi de LDC, à une époque où il n’était pas le subalterne de M. Heimbecker. Toutes les déclarations attribuées à M. Klippenstein sont rédigées au passé et se rapportent incontestablement à la conduite de LDC avant l’acquisition en cause.

[44] P&H prétend que l’exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne s’applique ici. Avec égards, P&H comprend et interprète mal cette exception. En fait, il existe une disjonction fondamentale entre la portée que P&H veut donner à l’exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne et l’essence même de cette exception. Ironiquement, l’argument de P&H se résume à dire que l’exception à la règle du ouï‑dire qui concerne la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne pourrait s’appliquer même en l’absence de ses deux caractéristiques essentielles, soit une preuve relative à l’entreprise et une relation de subordination. Cela aboutirait à un renversement de l’exception qui l’amputerait de ses caractéristiques déterminantes (telles qu’elles ont été décrites par P&H elle‑même dans ses observations).

[45] La plus récente décision de la CAF sur la question – et la plus pertinente – est la décision Bande indienne Coldwater c Canada (Procureur général), 2019 CAF 292 (« Coldwater »), où le juge Stratas a cité l’arrêt O’Grady invoqué par P&H en l’espèce, ainsi que l’arrêt Pfizer Canada. Je fais une parenthèse pour souligner que cette décision, comme d’autres décisions citées par les parties, porte sur la notion du ouï‑dire dans le contexte d’une preuve par affidavit et non de déclarations de témoins. Pour les besoins de la présente requête, ces précédents seront appliqués aux déclarations de témoins utilisées à l’audience. Il est utile de reprendre les paragraphes 42 et 46 de la décision Coldwater, où la CAF a résumé l’essence de l’exception que P&H a appelé l’exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne :

[42] Cette conclusion de l’arrêt Tsleil-Waututh no 2 est conforme à celle qui a été rendue dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2016 CAF 161, 400 D.L.R. (4th) 723, aux paragraphes 105 [à] 116. Dans cette affaire, la Cour a conclu que le témoignage de superviseurs de services ou de personnes occupant des postes semblables relativement aux activités de leurs services, à la conduite de leurs employés et aux événements ayant lieu en lien avec leurs services était admissible lorsqu’il avait une connaissance suffisamment directe et personnelle des faits allégués. Ils n’ont pas besoin, pour rendre ce témoignage, d’être directement impliqués dans l’ensemble des conduites, des activités et des événements au sein du service ou en périphérie. Toutefois, le superviseur d’un service ne peut pas produire en preuve des déclarations particulières formulées par des membres du personnel de son service pour la véracité de leur contenu. Comme l’a observé notre Cour dans l’arrêt Pfizer, au paragraphe 115, il n’existe aucune exception générale de « chef de service » à la règle sur le ouï-dire.

[…]

[46] À mon avis, la jurisprudence suivante, Tsleil-Waututh no 2, Pfizer, O’Grady, Twentieth Century Fox, Kon Construction et Advance Rumely[,] enseigne que les déposants qui sont des chefs de service ou des superviseurs ayant des responsabilités importantes relativement à leur service et à sa supervision ont une connaissance personnelle suffisante pour témoigner directement de la conduite du personnel, des activités et des événements au sein du service.

[Non souligné dans l’original.]

[46] Dans la décision Coldwater, la CAF a donc reconnu qu’une personne jouant un rôle de supervision dans un service est réputée avoir une connaissance personnelle suffisante pour témoigner directement de la conduite du personnel, des activités et des événements au sein du service. Dans ses motifs, le juge Stratas a cité l’arrêt Pfizer Canada, dans lequel il avait déjà fait remarquer que le témoignage de superviseurs ou de personnes occupant des postes semblables était admissible relativement aux activités de leurs services, à la conduite de leurs employés et aux événements ayant lieu en lien avec leurs services, étant donné que leur connaissance de ces activités est suffisamment directe et personnelle, compte tenu des fonctions qu’ils occupent et de l’autorité qu’ils exercent sur leurs employés.

[47] Autrement dit, ces précédents ne laissent planer absolument aucun doute : l’exception a une portée limitée. Elle s’applique seulement lorsqu’une personne exerce un rôle de supervision relativement à certaines actions précises au sein de son entreprise, lorsque ces actions sont accomplies par des subalternes qui relèvent de sa supervision. Dans ces situations, le superviseur n’a pas besoin d’être directement impliqué dans l’ensemble des conduites, des activités et des événements au sein de son service pour pouvoir en témoigner dans une déclaration. On peut considérer que le superviseur a une connaissance directe suffisante de ces actions pour en témoigner.

[48] L’exception de la preuve sur l’entreprise provenant d’un subalterne permet seulement au juge des faits de tenir compte de la preuve par ouï‑dire produite par un témoin quand celle-ci concerne la conduite du personnel, les activités et les événements au sein de l’entreprise ou du service où le témoin exerce un rôle de supervision. C’est en raison de ses responsabilités au sein de l’entreprise ou du service et du fait qu’il exerce des fonctions de supervision que le témoin est bien placé pour témoigner à propos du travail ou des actes des membres de son équipe sans nécessairement en avoir une connaissance directe. C’est parce que le témoin agit dans un rôle de supervision et qu’il surveille étroitement les activités de l’entreprise qu’il est bien placé pour savoir que les faits contenus dans les déclarations de ses subalternes sont vrais.

[49] Contrairement à ce que P&H semble faire valoir, l’exception à la règle du ouï-dire qui concerne la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne n’est pas une exception générique, désincarnée et intemporelle. Elle est plutôt fermement ancrée dans deux caractéristiques : elle est circonscrite par l’entreprise ou le service où le superviseur exerce son autorité (c.‑à‑d. la dimension « entreprise ») et par la relation de subordination entre l’employé et le superviseur (c.-à-d. la dimension « subalterne »).

[50] En l’espèce les déclarations contestées faites par M. Heimbecker aux paragraphes 166, 167 et 170 de sa déclaration de témoin ne contiennent aucune des caractéristiques essentielles de l’exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne qui ont été énoncées par P&H elle‑même. En premier lieu, les déclarations ne donnent pas de renseignements sur l’entreprise, car elles ne concernent pas le cours ordinaire des activités de P&H au silo de Virden au moment où P&H en a fait l’acquisition. Elles portent plutôt sur des situations qui se sont produites au sein d’une autre société avant l’acquisition en cause. Autrement dit, elles ne concernent pas P&H en tant que société. En deuxième lieu, M. Klippenstein est le subalterne de M. Heimbecker maintenant, mais il ne l’était pas au moment des activités décrites dans les déclarations qui ont été importées dans la déclaration de témoin de M. Heimbecker. Il est vrai que M. Heimbecker a participé de près à la transaction visant l’acquisition des anciens silos de LDC et qu’il s’occupe actuellement de la gestion permanente de la relation entre P&H et les agriculteurs qui vendent leurs produits aux silos de Virden ou de Moosomin. Toutefois, M. Heimbecker ne s’occupait pas des activités de LDC avant l’acquisition en cause, au moment où M. Klippenstein travaillait pour LDC. À titre de président de la Division des grains du Canada de P&H, M. Heimbecker n’était en fin de compte pas responsable de M. Klippenstein lorsque celui‑ci travaillait pour LDC. Ainsi, la preuve contestée ne découle pas de renseignements provenant d’un « subalterne ».

[51] Je n’ai trouvé aucun précédent – et les avocats de P&H n’ont pas été en mesure de m’en fournir un – qui appuie la proposition selon laquelle l’exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne pourrait s’appliquer à une conduite ou à des déclarations faites alors que ni l’élément « entreprise » ni l’élément « subalternes » n’étaient présents. Au contraire, je conclus que la démarche adoptée par la CAF dans les arrêts Pfizer Canada, O’Grady et Coldwater quant à la portée limitée de l’exception est cohérente. Dans l’arrêt O’Grady, notamment, le déposant agissait clairement dans un rôle de supervision et il avait parlé du travail effectué par un de ses subalternes au moment où il supervisait le travail en question.

[52] Non seulement l’interprétation proposée par P&H ne trouve aucun écho dans la jurisprudence et fait abstraction des enseignements de la CAF, mais elle porte aussi atteinte au bon sens et défie la logique fondamentale qui sous‑tend l’exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne. Selon cette interprétation, l’acquisition d’une société conférerait par magie aux dirigeants de la société acquéreuse une connaissance personnelle imputée des actions ou des événements survenus au sein de la société acquise et sur lesquels ils n’exerçaient aucune supervision, dont ils n’étaient pas au courant et sur lesquels ils n’exerçaient aucune autorité. Cela reviendrait à élargir l’exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne et à lui donner l’effet contraire de celui qu’elle est censée avoir.

[53] Pour ces motifs, les passages cernés par le commissaire aux paragraphes 166, 167 et 170 seront radiés puisqu’il s’agit d’une preuve par ouï-dire inadmissible.

B. Le représentant des ventes de P&H

[54] Je me pencherai maintenant sur le paragraphe 174 de la déclaration de témoin. Vers le milieu de ce paragraphe, M. Heimbecker parle de ce qu’un des témoins agriculteurs du commissaire aurait dit à un représentant des ventes de P&H. Dans un cas comme celui-là, les arrêts Coldwater et Pfizer Canada sont clairs : l’exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne ne s’applique pas. « [L]e superviseur d’un service ne peut pas produire en preuve des déclarations particulières formulées par des membres du personnel de son service pour la véracité de leur contenu. Comme l’a observé notre Cour dans l’arrêt Pfizer, au paragraphe 115, il n’existe aucune exception générale de “chef de service” à la règle sur le ouï‑dire » (Coldwater, au par. 42).

[55] Là encore, il n’y a aucun doute que la déclaration de M. Heimbecker portant sur les renseignements fournis par l’employé de P&H au sujet de ses interactions particulières avec un des témoins agriculteurs du commissaire est une preuve par ouï‑dire irrecevable et ne peut pas être produite en preuve pour la véracité de son contenu. Autrement dit, l’exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne ne peut pas être invoquée pour imputer à un superviseur une connaissance directe par rapport à la véracité de certaines déclarations faites par des employés dans le cadre de leurs fonctions ou d’échanges particuliers que ces employés ont pu avoir.

[56] À l’audience, les avocats de P&H ont fait valoir que dans les décisions O’Grady et Lukács c Canada (Office des transports), 2019 CF 1256 (« Lukács »), les tribunaux avaient admis des déclarations directes par ouï‑dire comme celle du représentant des ventes de P&H qui est contestée. Je ne suis pas de cet avis et, après examen, je n’ai rien trouvé dans l’une ou l’autre de ces décisions qui étayerait la proposition de P&H selon laquelle on peut faire une distinction entre ces décisions et ce que la CAF a affirmé dans les arrêts Coldwater et Pfizer Canada. En fait, ni l’arrêt O’Grady ni la décision Lukács ne traitent d’une situation dans laquelle un superviseur a témoigné au sujet d’une déclaration particulière faite par un subalterne. Dans les deux cas, un superviseur avait témoigné au sujet des actes d’un subalterne dans le cadre de ses fonctions, et le superviseur était bien placé pour affirmer que les faits déclarés sous serment sur la foi de renseignements étaient vrais. En fait, les avocats de P&H n’ont pu trouver aucun passage dans ces décisions qui contredirait ce que la CAF a affirmé dans les arrêts Coldwater et Pfizer Canada ou qui exprimerait une réserve à cet égard.

[57] Encore une fois, on peut comprendre que l’exception à la règle du ouï-dire qui concerne la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne ne peut pas s’appliquer à des déclarations particulières faites par des employés subalternes qui se trouvent plusieurs échelons sous le superviseur. Bien que M. Heimbecker fût responsable du représentant des ventes de P&H au moment de la déclaration contestée, il n’est pas bien placé pour témoigner au sujet des conversations ou des échanges particuliers entre cet employé et un agriculteur. La phrase au milieu du paragraphe 174 est donc radiée puisqu’il s’agit d’une preuve par ouï‑dire irrecevable. Toutefois, M. Heimbecker pourrait certes témoigner au sujet des éléments mentionnés dans la dernière partie du paragraphe 174 de sa déclaration de témoin, étant donné que ceux‑ci concernent les activités actuelles de P&H et constituent donc une preuve recevable qui répond aux critères de l’exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne.

[58] J’ajouterais que la conclusion à laquelle je suis arrivé en ce qui concerne l’irrecevabilité des déclarations contenues aux paragraphes 166, 167, 170 et 174 de la déclaration de témoin de M. Heimbecker concorde avec l’exception raisonnée à la règle du ouï‑dire et qu’elle est étayée par celle‑ci. Le juge des faits a pour rôle de déterminer si une déclaration fondée sur le ouï‑dire contient suffisamment d’indices de nécessité et de fiabilité pour lui procurer un fondement satisfaisant afin d’apprécier la véracité et la fiabilité de la déclaration. En vertu de l’exception raisonnée à la règle du ouï‑dire, une preuve par ouï‑dire ne peut être admise que si elle satisfait aux exigences fondamentales de la nécessité et de la fiabilité. En l’espèce, la preuve contestée se rapportant aux déclarations faites par M. Klippenstein et par le représentant des ventes de P&H n’est ni nécessaire ni fiable. Le critère de la nécessité n’est pas rempli, puisque P&H n’a pas expliqué pourquoi elle n’aurait pas pu présenter des déclarations de témoins signées par les deux personnes en question et appeler celles-ci à témoigner à ce sujet. Je constate qu’il s’agit d’un cas où la preuve par ouï‑dire aurait simplement exigé de P&H qu’elle prépare et dépose deux autres déclarations de témoins, pas des dizaines. En outre, la preuve par ouï‑dire n’est pas fiable, car elle ne présente pas de garantie circonstancielle de fiabilité, et la nature du témoignage en cause le mettrait virtuellement à l’abri du contre‑interrogatoire par l’avocat du commissaire. Bref, tous les problèmes liés à l’admission de la preuve par ouï‑dire sont présents en l’espèce.

IV. MOMENT DE LA PRÉSENTE DÉCISION SUR REQUÊTE ET RECOURS

[59] Dans leurs observations écrites et orales, les avocats de P&H ont fait valoir qu’il serait prématuré de la part du Tribunal, comme c’était le cas dans la décision AAV, de se prononcer sur la requête du commissaire et sur la recevabilité des éléments de preuve contestés et que je devrais reporter ma décision jusqu’à l’audience sur le fond. Je ne suis pas d’accord.

[60] Comme le Tribunal l’a statué dans sa décision Le commissaire de la concurrence c Administration aéroportuaire de Vancouver, 2018 Trib Comp 15 (« Requête de l’AAV »), il est vrai que ce ne sera que dans des cas manifestes que le Tribunal sera disposé à déclarer un témoignage inadmissible dans le cadre d’une requête préliminaire présentée avant l’interrogatoire et le contre-interrogatoire du témoin (Requête de l’AAV, au par. 12). Nous sommes en présence d’un tel cas en l’espèce. Je suis d’avis qu’il y a une partie de la preuve contestée qui n’est manifestement pas irrecevable et dont la valeur probante devra être examinée, mais qu’il y a aussi une partie de la preuve contestée qui est manifestement irrecevable et qui peut être radiée dès maintenant.

[61] Comme le Tribunal l’a statué dans la décision Requête de l’AAV, le Tribunal peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire et selon les faits qui lui ont été présentés, reporter sa décision sur la recevabilité de la preuve, pourvu que les principes d’équité soient respectés. Inversement, il a également le pouvoir discrétionnaire de faire le contraire. Selon un principe général fondamental qui s’applique à toutes les demandes devant les tribunaux administratifs et judiciaires, dont le Tribunal, les faits doivent être établis par une preuve recevable (Pfizer Canada, au par. 79). De plus, la détermination de la recevabilité de la preuve est une étape analytique qui est distincte de la pondération de la preuve (Pfizer Canada, au par. 83). À la suite de mon examen de la requête du commissaire et après avoir tenu compte des observations écrites et orales des parties, j’estime que dans le cas précis qui nous occupe et compte tenu du langage employé par M. Heimbecker dans sa déclaration de témoin, je n’ai pas à attendre à l’audience pour décider si, oui ou non, les paragraphes contestés constituent un témoignage d’opinion de profane irrecevable ou une preuve par ouï-dire inadmissible, et que je dispose de tous les éléments qui me permettent de me prononcer dès maintenant sur la question de la recevabilité.

[62] Il faut, encore une fois, établir une distinction entre la présente requête et la situation dans l’affaire AAV. Dans cette affaire, étant donné que la réserve concernait l’étendue et la portée de la connaissance directe de Mme Stewart et de Mme Bishop à l’égard de la preuve contestée, le Tribunal était d’avis que le fait de soumettre les témoins à l’interrogatoire de l’avocat du commissaire, au contre‑interrogatoire de l’avocat de la défenderesse et aux questions du tribunal jetterait un éclairage sur la question de la recevabilité. En l’espèce, je suis convaincu que les paragraphes contestés ne soulèvent aucune question qui doit être tirée au clair par le témoignage de M. Heimbecker à l’audience sur le fond et que le témoignage de M. Heimbecker ne donnerait pas un meilleur contexte factuel pour aider le Tribunal à statuer sur la recevabilité de la preuve.

[63] Il reste un dernier point à aborder. À la toute fin de ses observations à l’audience, l’avocat de P&H a demandé au Tribunal l’autorisation de déposer une version modifiée de la déclaration de témoin si certains passages de la déclaration de témoin de M. Heimbecker étaient jugés irrecevables, ainsi que l’autorisation de déposer des déclarations de témoins supplémentaires signés par les deux employés subalternes si une partie de la preuve proposée était jugée constituer une preuve par ouï-dire inadmissible. Le commissaire s’est opposé à ces demandes.

[64] Pour les motifs qui suivent, je rejette les demandes de P&H et je m’abstiens d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’autoriser P&H à modifier la déclaration de témoin de M. Heimbecker et à signifier et à déposer de nouvelles déclarations de témoins à cette étape-ci.

[65] Premièrement, en ce qui concerne les paragraphes jugés constituer un témoignage d’opinion de profane irrecevable, il n’y a rien à modifier ou à corriger. Il s’agit simplement de déclarations qui vont au‑delà des limites de ce dont peut témoigner M. Heimbecker en tant que témoin profane. M. Heimbecker ne peut tout simplement pas faire ces déclarations.

[66] Deuxièmement, en ce qui concerne les paragraphes jugés constituer une preuve par ouï-dire inadmissible, je constate que, dans le dossier de requête en réponse de P&H, la principale réparation demandée au Tribunal était le rejet de la requête du commissaire avec dépens. Subsidiairement, P&H demandait au Tribunal de reporter sa décision sur la recevabilité, parce qu’il ne s’agissait pas d’un cas clair dans lequel le Tribunal pourrait se prononcer sur la question sans bénéficier du témoignage de M. Heimbecker. Mais nulle part dans son dossier en réponse P&H a‑t‑elle demandé l’autorisation de préparer et de signifier une déclaration de témoin révisée ou de nouvelles déclarations de témoins advenant que le commissaire ait gain de cause dans le cadre de sa requête, et P&H n’a pas non plus présenté les déclarations de témoins supplémentaires qui auraient pu être déposées pour corriger toutes les déclarations irrecevables pour cause de ouï‑dire. Les avocats de P&H ont seulement invoqué cette solution de rechange lors de l’audition de la requête, là encore sans fournir les déclarations de témoins additionnelles.

[67] Je fais aussi remarquer que les multiples versions des ordonnances d’établissement du calendrier rendues par le Tribunal dans le cadre de la présente demande, chaque fois après de longues consultations avec les parties, n’ont jamais prévu la possibilité de présenter des déclarations de témoins additionnelles après l’audition de toute requête concernant la preuve proposée. Comme l’a admis P&H, avant d’autoriser le dépôt de déclarations de témoins additionnelles par P&H, il faudrait accorder au commissaire le droit de déposer des déclarations de témoins en réplique et apporter de nouvelles modifications pour permettre la présentation de requêtes contestant ces nouvelles déclarations. Aucune de ces étapes supplémentaires n’a été prévue dans les ordonnances d’établissement du calendrier qui ont été rendues dans le cadre de la présente demande.

[68] Qui plus est, le processus par lequel le Tribunal prévoit que les déclarations de témoins doivent être signifiées à l’avance et que les parties doivent déposer des requêtes contestant la preuve proposée avant l’audience sur le fond vise à simplifier le déroulement de l’audience et à rendre plus efficace la gestion des demandes dont il est saisi. Ce processus n’existe pas pour donner aux parties la possibilité de corriger les lacunes de leur preuve proposée qui pourraient être découvertes dans le cadre d’une contestation préliminaire de la preuve. En fait, les ordonnances d’établissement du calendrier du Tribunal prévoient en général que les requêtes concernant la preuve doivent être instruites peu avant l’audience sur le fond et ne prévoient pas par la suite une nouvelle ronde de déclarations de témoins.

[69] Ce qui est le plus important, par contre, c’est qu’il y a une question d’équité qui entre aussi en jeu en l’espèce. Il reste environ trois semaines avant l’audience sur le fond, qui doit commencer le 6 janvier 2021. Le commissaire a produit sa contre‑preuve. P&H n’a pas produit les projets de déclarations de témoins de M. Klippenstein et du représentant des ventes de P&H aux fins de leur examen par le commissaire et le Tribunal, et elle n’a pas non plus indiqué à quelle date ils seraient produits. Ces facteurs, ainsi que l’approche du temps des Fêtes, ont soulevé la question de savoir s’il serait injuste, pour le commissaire, qu’une nouvelle étape dans le contexte de la présentation de la preuve soit ajoutée à ce point-ci pour permettre le dépôt des nouvelles déclarations de témoins et leur éventuelle contestation. Réalistement, il ne reste pas suffisamment de temps avant l’audience pour examiner cette preuve additionnelle d’une manière qui serait équitable pour les deux parties et conforme aux pratiques du Tribunal en matière d’ordonnances d’établissement du calendrier. Je fais également remarquer que la preuve par ouï‑dire que contient la déclaration de témoin de M. Heimbecker a vraisemblablement été produite pour contester la preuve des témoins agriculteurs du commissaire et que les avocats de P&H auront la possibilité, à l’audience sur le fond, de vérifier cette preuve lors du contre‑interrogatoire de ces témoins.

[70] En dernier lieu, je fais remarquer que si le Tribunal avait accepté les observations subsidiaires de P&H et qu’il avait décidé d’attendre et de trancher la question du ouï-dire allégué à l’audience sur le fond, en janvier 2021, P&H n’aurait pas eu la possibilité de produire de nouvelles déclarations de témoins pour remplacer la preuve par ouï-dire inadmissible. Il serait étrange que P&H, n’ayant pas eu gain de cause à l’issue d’une requête présentée par le commissaire conformément à l’ordonnance d’établissement du calendrier, soit en mesure d’obtenir un avantage dont elle n’aurait pas bénéficié si le Tribunal avait fait droit à son recours subsidiaire et avait examiné la question seulement à l’audience.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ORDONNE CE QUI SUIT :

[71] La requête du commissaire est accueillie en partie.

[72] Les passages suivants de la déclaration de témoin de M. Heimbecker constituent un témoignage d’opinion de profane irrecevable et sont par les présentes radiés :

1. la dernière phrase du paragraphe 55;

2. le paragraphe 59 à partir des mots « I do » à la deuxième ligne;

3. la deuxième moitié du paragraphe 141 à partir du mot « such » à la deuxième ligne;

4. la dernière phrase du paragraphe 146;

5. la fin de la première phrase du paragraphe 147 à partir des mots « -- or their »;

6. la première phrase du paragraphe 152;

7. la dernière phrase du paragraphe 178.

[73] Les passages suivants de la déclaration de témoin de M. Heimbecker constituent une preuve par ouï‑dire inadmissible et sont par les présentes radiés :

1. les trois dernières phrases du paragraphe 166;

2. les cinquième et sixième phrases du paragraphe 167;

3. la deuxième phrase du paragraphe 170;

4. la deuxième phrase du paragraphe 174.

[74] Une version révisée publique et une version révisée confidentielle de la déclaration de témoin de M. Heimbecker qui tiennent compte de la présente ordonnance doivent être présentées au Tribunal et signifiées par P&H au plus tard à la fin de la journée le 18 décembre 2020.

[75] La demande verbale présentée par P&H en vue d’obtenir l’autorisation de signifier et de déposer des déclarations de témoins additionnelles est rejetée.

[76] Étant donné le succès partagé des parties dans la présente requête, les dépens suivront l’issue de la cause.

FAIT à Ottawa, ce 15e jour de décembre 2020

SIGNÉ au nom du Tribunal par le président.

(s) Denis Gascon

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour le demandeur :

Le commissaire de la concurrence

Jonathan Hood

Ellé Nekiar

Pour la défenderesse :

Parrish & Heimbecker, Limited

Moshe Grunfeld

Davit Akman

 

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