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Tribunal de la concurrence

Competition Tribunal

TRADUCTION OFFICIELLE Référence : Canada (Commissaire de la concurrence) c Secure Energy Services Inc. et Tervita Corporation, 2021 Trib conc 4 N o de dossier : CT-2021-002 N o de document du greffe : 329

DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par le commissaire de la concurrence en vue d’obtenir une ordonnance provisoire en attendant l’instruction d’une demande présentée au titre de l’article 104 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, dans sa forme modifiée;

ENTRE :

Commissaire de la concurrence (demandeur)

et Secure Energy Services Inc. Tervita Corporation (défenderesses)

Date de l’audience : le 30 juin 2021 En présence de : Monsieur le juge en chef Paul Crampton Date des motifs et de l’ordonnance : le 1 er juillet 2021

MOTIFS D’ORDONNANCE ET ORDONNANCE CONCERNANT LA DEMANDE D’ORDONNANCE PROVISOIRE DU COMMISSAIRE

I.

INTRODUCTION

[1] Dans l’après-midi du 29 juin 2021, le commissaire de la concurrence (le « commissaire ») a déposé un dossier de demande de 2 795 pages au titre de l’article 104 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34 (la « Loi »), relativement à une transaction proposée entre les défenderesses (la « transaction proposée »).

[2] Dans cette demande (la « demande présentée au titre de l’article 104 »), le commissaire sollicite une ordonnance provisoire enjoignant à la défenderesse Secure Energy Services Inc. (« Secure ») de ne pas procéder à l’acquisition proposée de la défenderesse Tervita Corporation (« Tervita ») avant qu’une décision définitive soit rendue à l’égard d’une autre demande qu’il a présentée le même jour au titre de l’article 92 de la Loi (la « demande présentée au titre de l’article 92 »).

[3] soir.

Les défenderesses ont l’intention de conclure la transaction proposée peu après minuit ce

[4] Vu l’urgence de la situation, le commissaire a demandé, dans un courriel envoyé peu après le dépôt de la demande présentée au titre de l’article 104, la tenue d’une conférence de gestion d’instance d’urgence le lendemain, en vue de solliciter une ordonnance provisoire empêchant les défenderesses de conclure la transaction avant l’instruction de la demande présentée au titre de l’article 104. Le commissaire n’a fourni aucun autre renseignement au Tribunal quant à la réparation provisoire qu’il souhaite obtenir en attendant l’instruction de la demande présentée au titre de l’article 104.

[5] La conférence de gestion d’instance a eu lieu hier après-midi. [6] À cette audience, le commissaire a reconnu que la réparation que prévoit l’article 104 est en soi de nature provisoire. Il a donc qualifié de réparation [TRADUCTION] « provisoire provisoire » la réparation qu’il souhaite présentement obtenir en attendant l’instruction de la demande présentée au titre de l’article 104.

[7] Le Tribunal est parfaitement conscient de la situation difficile dans laquelle se trouvent le commissaire et l’équipe du Bureau de la concurrence qui est chargée de l’affaire. Il saisit pleinement aussi la gravité du préjudice qui pourrait être vraisemblablement causé, selon le commissaire, à la concurrence et à certains des clients des défenderesses si la transaction proposée était conclue.

[8] Cependant, comme il est expliqué plus en détail ci-après, le Tribunal n’a pas compétence pour rendre la réparation provisoire et sans précédent que demande le commissaire. En conséquence, la réparation demandée sera refusée.

II.

LES PARTIES

[9] Le commissaire est le fonctionnaire nommé par le gouverneur en conseil en application de l’article 7 de la Loi en vue d’assurer et de contrôler l’application de la Loi.

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[10] Secure est une société cotée en bourse dont le siège se trouve à Calgary (Alberta), et elle est inscrite à la Bourse de Toronto. Selon le commissaire, Secure possède et exploite dans le bassin sédimentaire de l’Ouest canadien (« BSOC ») 18 installations de traitement, de récupération et d’élimination (« TRE »), 6 sites d’enfouissement industriels et 15 puits de rejet d’eau autonomes, qui fournissent certains services d’élimination de déchets. Secure fournit également un large éventail de services environnementaux associés aux activités de forage pétrolières et gazières, dont les suivants : la vente de liquides de forage, de substances chimiques utilisées dans le cadre des activités de production ainsi que de services d’approvisionnement en eau, de même que la démolition, la mise hors service, la remise en état et la réhabilitation de puits de gaz et de pétrole.

[11] Tervita est une société cotée en bourse qui est située à Calgary (Alberta). Ses actions ordinaires sont inscrites à la Bourse de Toronto. Selon le commissaire, Tervita possède et exploite dans le BSOC 44 installations de TRE, 22 sites d’enfouissement industriels, 3 installations en caverne et 8 puits de rejet d’eau autonomes. À l’instar de Secure, Tervita fournit une gamme de services environnementaux, dont la démolition, la mise hors service, la remise en état et la réhabilitation de puits de gaz et de pétrole.

III.

LA TRANSACTION PROPOSÉE

[12] Dans la demande présentée au titre de l’article 104, le commissaire a décrit la transaction proposée comme un arrangement, daté du 8 mars 2021, dans le cadre duquel :

[TRADUCTION]

Secure et Tervita procéderont à une acquisition par échange d’actions. Selon le plan d’arrangement, Secure fera l’acquisition de la totalité des actions émises et en circulation de Tervita. À l’issue de la transaction proposée, les actionnaires de Secure et de Tervita posséderont environ 52 % et 48 %, respectivement, de l’entité fusionnée.

IV.

LE CONTEXTE

[13] Le 12 mars 2021, les défenderesses ont déposé un avis préalable au fusionnement aux termes du paragraphe 114(1) de la Loi, en plus d’une demande de certificat de décision préalable au titre de l’article 102 de la Loi, relativement à la transaction proposée.

[14] Le 9 avril 2021, le commissaire a transmis à chaque défenderesse une demande de renseignements supplémentaires (« DRS »), conformément au paragraphe 114(2) de la Loi.

[15] Aux termes de l’alinéa 123(1)b) de la Loi, une transaction proposée ne peut être complétée avant l’expiration d’un délai de trente jours à compter de la réception, par le commissaire, des renseignements exigés en vertu du paragraphe 114(2).

[16]

Le 28 mai 2021, le commissaire a débuté une enquête en vertu de l’article 10 de la Loi.

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[17] Le 31 mai 2021, les défenderesses ont attesté des réponses données à leurs DRS respectives après avoir fourni au Bureau environ 396 000 documents.

[18] Elles auraient donc été en mesure de conclure légalement leur transaction plus tôt aujourd’hui, sans la délivrance d’une ordonnance provisoire de la part du Tribunal ou un engagement à reporter à plus tard leur transaction.

[19] Cependant, le 25 juin 2021, les avocats ont confirmé par écrit au commissaire que, avant de conclure la transaction proposée, les parties donneraient un préavis de 72 heures de leur intention de le faire.

[20] À 23 h 15, le 28 juin 2021, les défenderesses ont donné cet avis. C’est donc dire qu’en l’absence d’une ordonnance du Tribunal elles auront le droit de conclure la transaction proposée à 23 h 15 ce soir.

[21] Le 29 juin 2021, et comme il a été indiqué dans l’introduction qui précède, le commissaire a déposé une demande au titre de l’article 104 ainsi qu’une demande au titre de l’article 92. Cette dernière vise notamment à obtenir une ordonnance interdisant de façon permanente aux défenderesses de procéder à la transaction proposée.

[22] À l’appui de la réparation qu’il sollicite, le commissaire décrit les défenderesses comme des entités qui se livrent une vive concurrence sur le plan de la fourniture de services d’élimination de déchets dans le secteur pétrolier et gazier au sein du BSOC (les « services d’élimination de déchets »). Il allègue que, si la transaction proposée va de l’avant :

[TRADUCTION]

[…] l’entité fusionnée jouira d’un pouvoir de marché nettement accru, qui ne sera probablement pas restreint. Les producteurs de pétrole et de gaz paieront vraisemblablement des prix nettement supérieurs et subiront une dégradation de la qualité des services d’élimination de déchets, et ce, à un moment l’industrie pétrolière et gazière, un important secteur de l’économie canadienne, est en difficulté.

[23] Le commissaire affirme également que la transaction proposée entraînera probablement une hausse des prix ainsi qu’une dégradation de certains services supplémentaires, qualifiés de [TRADUCTION] « services environnementaux », par suite de l’élimination de la concurrence entre les défenderesses. De plus, il est d’avis que la transaction proposée est susceptible d’empêcher sensiblement la concurrence dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique (« NECB »), où, allègue-t-il, Secure a prévu d’ouvrir un site d’enfouissement industriel, à Wonowon (Colombie-Britannique). Il indique que, n’eût été la transaction proposée, le site d’enfouissement de Wonowon aurait fait concurrence à deux des sites d’enfouissement de Tervita, utilisés dans le cadre de services d’élimination de déchets, et que les clients du NECB auraient vraisemblablement bénéficié d’un prix réduit et d’un service de meilleure qualité.

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[24] Plus tôt aujourd’hui, les avocats de Secure ont confirmé dans un courriel envoyé au greffe du Tribunal que les défenderesses avaient [TRADUCTION] « l’intention de conclure [la transaction proposée] à 2 h 01 HE (12 h 01 HR) le vendredi 2 juillet ».

V.

[25]

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

L’article 104 de la Loi est libellé ainsi :

Ordonnance provisoire

104 (1) Lorsqu’une demande d’ordonnance a été faite en application de la présente partie, sauf en ce qui concerne les ordonnances provisoires en vertu des articles 100 ou 103.3, le Tribunal peut, à la demande du commissaire ou d’une personne qui a présenté une demande en vertu des articles 75, 76 ou 77, rendre toute ordonnance provisoire qu’il considère justifiée conformément aux principes normalement pris en considération par les cours supérieures en matières interlocutoires et d’injonction.

Conditions des ordonnances provisoires

(2) Une ordonnance provisoire rendue aux termes du paragraphe (1) contient les conditions et a effet pour la durée que le Tribunal estime nécessaires et suffisantes pour parer aux circonstances de l’affaire.

Obligation du commissaire

(3) Si une ordonnance provisoire est rendue en vertu du paragraphe (1) à la suite d’une demande du commissaire et est en vigueur, le commissaire est tenu d’agir dans les meilleurs délais possible pour terminer les procédures qui, sous le régime de la présente partie, découlent du comportement qui fait l’objet de l’ordonnance.

[26] L’article 100 prévoit un autre type d’ordonnance provisoire qu’il est possible de rendre à l’égard d’une transaction proposée.

[27] La nature de l’ordonnance qu’il est possible de rendre aux termes de l’article 100, ainsi que le critère auquel il est nécessaire de satisfaire, sont énoncés au paragraphe 100(1), dont le texte est le suivant :

100 (1) Le Tribunal peut rendre une ordonnance provisoire interdisant à toute personne nommée dans la demande de poser tout geste qui, de l’avis du Tribunal, pourrait constituer la réalisation ou la mise en œuvre du fusionnement proposé, ou y tendre, relativement auquel il n’y a pas eu de demande aux termes de l’article 92 ou antérieurement aux termes du présent article, si :

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a) à la demande du commissaire comportant une attestation de la tenue de l’enquête prévue à l’alinéa 10(1)b) et de la nécessité, selon celui-ci, d’un délai supplémentaire pour l’achever, il conclut qu’une personne, partie ou non au fusionnement proposé, posera vraisemblablement, en l’absence d’une ordonnance provisoire, des gestes qui, parce qu’ils seraient alors difficiles à contrer, auraient pour effet de réduire sensiblement l’aptitude du Tribunal à remédier à l’influence du fusionnement proposé sur la concurrence, si celui-ci devait éventuellement appliquer cet article à l’égard de ce fusionnement;

b) à la demande du commissaire, il conclut qu’il y a eu contravention de l’article 114 à l’égard du fusionnement proposé.

[28] Aux termes de l’article 92 de la Loi, le Tribunal peut accorder un éventail de mesures de réparation à l’égard d’un fusionnement proposé ou réalisé.

VI.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[29] Aux fins des présentes, il existe deux questions en litige : 1. Le Tribunal a-t-il compétence pour accorder la réparation provisoire que sollicite le commissaire en attendant l’instruction de la demande présentée au titre de l’article 104?

2. Dans l’affirmative, y a-t-il lieu d’accorder cette réparation?

VII.

A.

ANALYSE

Le Tribunal a-t-il compétence pour accorder la réparation provisoire que sollicite le commissaire en attendant l’instruction de la demande présentée au titre de l’article 104?

1)

La position du commissaire

[30] Le commissaire est d’avis que le Tribunal a compétence pour accorder la réparation provisoire qu’il sollicite en attendant l’instruction de la demande présentée au titre de l’article 104. Il se fonde à cet égard sur la décision qu’a rendue le Tribunal dans l’affaire Canadian Standard Travel Agent Registry c Association du transport aérien international, 2008 Trib conc 12, aux paragraphes 12 et 13 (« CSTAR »). La question qui se posait dans cette affaire consistait à savoir si le Tribunal avait compétence pour rendre une ordonnance provisoire en vertu de l’article 104 en faveur d’une partie privée avant que l’autorisation de déposer une demande en vertu de l’article 75 ait été accordée. Considérant que l’article 104 ne s’appliquait pas avant l’octroi d’une telle autorisation, la juge Simpson s’est fondée sur le paragraphe 34(1) des Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/2008-141 (les « Règles »), que l’on appelle parfois la « règle des lacunes ». Cette disposition est rédigée en ces termes :

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34 (1) Les Règles des Cours fédérales peuvent s’appliquer aux questions qui se posent au cours de l’instance quant à la pratique ou à la procédure à suivre dans les cas non prévus par les présentes règles.

[31] La disposition précise des Règles des Cours fédérales sur laquelle la juge Simpson s’est fondée est le paragraphe 372(1), qui est ainsi libellé :

372 (1) Une requête ne peut être présentée en vertu de la présente partie avant l’introduction de l’instance, sauf en cas d’urgence.

[32] Après avoir qualifié la demande de réparation de « requête dans une procédure pendante » fondée sur l’article 75, la juge Simpson a décidé que l’effet combiné des dispositions des Règles susmentionnées permettait à une partie de solliciter une réparation provisoire en attendant l’octroi de l’autorisation requise.

[33] Toujours à l’appui de sa position, le commissaire se fonde sur l’article 2 des Règles, qui est ainsi rédigé :

Dérogation

2 (1) Le Tribunal peut, dans des cas particuliers, modifier ou compléter les présentes règles ou dispenser de l’observation de tout ou partie de celles-ci en vue d’agir sans formalisme et en procédure expéditive dans la mesure les circonstances et l’équité le permettent.

Demandes urgentes

(2) La partie qui est d’avis que les circonstances exigent qu’une demande soit entendue sans délai ou dans un délai précis peut demander au Tribunal de lui donner des directives sur la façon de procéder.

[34] Le commissaire invoque une disposition semblable, énoncée au paragraphe 9(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, LRC 1985, c 19, qui prévoit que, dans la mesure les circonstances et l’équité le permettent, il appartient au Tribunal d’agir sans formalisme, en procédure expéditive.

[35] Le commissaire soutient de plus que le refus d’accorder la réparation provisoire qu’il sollicite en attendant l’instruction de la demande présentée au titre de l’article 104 entraînerait un préjudice irréparable parce que la concurrence dans les marchés pertinents sera sensiblement empêchée ou diminuée et qu’un grand nombre des clients des défenderesses subiront de sérieux effets défavorables liés ou non aux prix.

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2)

La position des défenderesses

[36] Les défenderesses soutiennent tout d’abord que la Loi et les Règles contiennent des dispositions précises et détaillées pour l’octroi d’une réparation provisoire dans le cas d’une transaction proposée. Au nombre de ces dispositions figurent celles qu’énoncent les articles 100 et 104 de la Loi, lesquelles ont été décrites plus tôt, de même que les dispositions des Règles, dont celles de la partie 4, qui se rapportent aux « ordonnances provisoires ou temporaires ». Il n’y a donc aucune « lacune » à combler en recourant aux Règles des Cours fédérales. À leur avis, le régime législatif existant constitue un [TRADUCTION] « code exhaustif » et il est possible d’inférer que le législateur n’entendait pas conférer au Tribunal la compétence requise pour accorder le genre de réparation provisoire que sollicite le commissaire en attendant l’instruction de la demande présentée au titre de l’article 104.

[37] Les défenderesses font une distinction entre la présente affaire et l’affaire CSTAR, précitée, au motif que cette dernière avait trait à une situation que la Loi n’avait pas envisagée, à savoir si une partie pouvait bénéficier d’une réparation provisoire avant d’avoir obtenu l’autorisation de déposer une demande en vertu de l’article 75 de la Loi. Par contraste, elles soulignent que la Loi traite précisément, aux articles 100 et 104, de la réparation provisoire dont dispose le commissaire en lien avec les transactions proposées. Elles ajoutent que l’affaire CSTAR ne mettait pas en cause une demande d’ordonnance [TRADUCTION] « provisoire provisoire » comme celle que le commissaire demande maintenant au Tribunal de rendre.

[38] Les défenderesses soutiennent en outre que si le commissaire avait besoin de temps supplémentaire pour effectuer son examen, il aurait pu demander une réparation provisoire au titre de l’article 100. En ne le faisant pas, il a créé l’« urgence » qui existe maintenant selon lui. De plus, s’il préférait obtenir la réparation visée à l’article 104, il aurait pu présenter la demande au titre de cet article dans un délai suffisant avant la conclusion prévue de la transaction afin que la demande soit entendue et tranchée préalablement, comme il l’a fait antérieurement à au moins une reprise.

[39] Cependant, les défenderesses déclarent qu’en procédant comme il l’a fait en l’espèce le commissaire tente essentiellement de [TRADUCTION] « contourner l’article 100 ». Elles ont de ce fait été privées de leur droit à une audience équitable. À cet égard, elles formulent deux arguments principaux. Premièrement, étant donné que le commissaire n’a rien déposé à l’appui de sa demande de réparation [TRADUCTION] « provisoire provisoire », il n’y avait rien à quoi elles pouvaient répondre. Deuxièmement, elles n’ont pas pu, avant l’audience d’hier, examiner le dossier de demande de 2 795 pages qui a été déposé en rapport avec la demande présentée au titre de l’article 104 et elles n’ont donc pas eu la possibilité de se préparer et d’obtenir des instructions à l’égard des questions de fond dont le commissaire a traité à l’audience.

[40] Enfin, les défenderesses soutiennent qu’après avoir attendu l’expiration du délai initial que prévoit le paragraphe 114(1) de la Loi, et après avoir fourni ensuite des renseignements exhaustifs en réponse à la DRS et attendu l’expiration du délai supplémentaire de 30 jours que prévoit le paragraphe 114(2) de la Loi, elles ont le droit légal de conclure la transaction proposée.

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3)

Analyse

[41] Je souscris à l’essentiel des observations des défenderesses. Vu l’urgence de la situation, mes motifs pour le faire seront forcément succincts.

[42] À titre de cour d’archives créée par une loi, le Tribunal n’a que la compétence que lui confère le législateur, ainsi que les pleins pouvoirs pour régler toutes les « questions relevant de sa compétence » : Loi sur le Tribunal de la concurrence, paragraphe 8(2). Ces pleins pouvoirs sont éclairés et, à vrai dire, circonscrits par le régime législatif qui est exposé dans la Loi et dans la Loi sur le Tribunal de la concurrence.

[43] Ce régime législatif confère au Tribunal la capacité d’accorder des mesures de réparation d’urgence, dont certains types trouvent leur source dans les pleins pouvoirs du Tribunal : CSTAR, précitée, aux paragraphes 12 et 13. Cependant, pour ce qui est des réparations provisoires qui se rapportent aux transactions proposées, le régime législatif est suffisamment détaillé et précis pour que l’on considère qu’il constitue un [TRADUCTION] « code exhaustif ».

[44] Essentiellement, ce code est formé des deux types d’ordonnance provisoire que prévoient les articles 100 et 104 de la Loi.

[45] La réparation qu’envisage l’article 100 peut être invoquée dans les cas où, notamment, le commissaire est encore en voie de tenir une enquête et aucune demande n’a été présentée aux termes de l’article 92 ou, antérieurement, aux termes de l’article 100.

[46] Aux paragraphes 100(2) à (8), la Loi présente une série de dispositions détaillées concernant le préavis que le commissaire doit donner à chaque personne visée par la demande d’ordonnance, les circonstances dans lesquelles une demande d’audience ex parte peut être présentée, les conditions à inclure dans l’ordonnance, sa durée, les prorogations de délai, de même que l’obligation qu’a le commissaire de conclure l’enquête avec toute la diligence possible.

[47] Pour ce qui est de la réparation qu’envisage l’article 104, celle-ci peut être accordée en tout temps après le dépôt d’une demande aux termes de l’article 92.

[48] Compte tenu de ce qui précède, il est évident que le législateur s’est penché sur les circonstances dans lesquelles une réparation provisoire pourrait être nécessaire dans le cas d’un fusionnement proposé. Il a adopté l’article 100 pour traiter des circonstances dans lesquelles une demande n’a pas encore été présentée aux termes de l’article 92 ou, antérieurement, aux termes de l’article 100. Il a également adopté l’article 104 pour traiter des circonstances dans lesquelles une demande a déjà été présentée sous le régime de la partie VIII, qui inclut l’article 92, mais excluant les articles 100 et 103.3.

[49] Ces dispositions concernant l’octroi d’une réparation provisoire s’inscrivent dans le cadre d’un régime plus vaste et plus détaillé qui se rapporte (i) à l’examen, par le commissaire, des transactions proposées, (ii) au temps pendant lequel ces examens doivent avoir lieu, (iii) aux ordonnances définitives que le Tribunal peut rendre en lien avec ces transactions et les

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transactions réalisées, et (iv) aux règles qui régissent les procédures du Tribunal, dont celles qui visent les ordonnances provisoires et temporaires : Règles, à la partie 4.

[50] Vu la nature détaillée du régime d’examen des fusionnements que prévoient la Loi et les Règles, il est possible de tenir pour acquis que le législateur s’est penché sur les types particuliers de réparations qu’il souhaitait mettre à la disposition du commissaire ainsi que sur les différents moments il est possible d’accorder ces réparations en vertu des articles 100, 104 et 92, respectivement. Le type de réparation que sollicite maintenant le commissaire n’étant pas prévu, il est possible d’inférer que le législateur a décidé de ne pas accorder au Tribunal le pouvoir de l’accorder.

[51] Cette réparation constituerait un troisième et nouveau type de réparation provisoire qui restreindrait sérieusement les droits à l’équité procédurale des défenderesses. En fait, cela a été démontré à l’audience d’hier, quand les défenderesses ont déclaré qu’il leur était impossible de satisfaire au critère à trois volets qui s’applique à une injonction parce qu’elles n’avaient reçu que la veille le dossier de demande fort long du commissaire.

[52] Il est loisible au législateur de restreindre les droits à l’équité procédurale des parties qui comparaissent devant le Tribunal, mais on ne peut pas considérer qu’il l’a fait en l’absence d’un texte de loi exprès ou nettement implicite en ce sens : Kane c Cons. d’administration de l’U.C.B., [1980] 1 RCS 1105, à la page 1113; P. & S. Holdings Ltd. c Canada, 2017 CAF 41, au paragraphe 39. Aucun libellé exprès de ce genre ne figure dans la Loi, pas plus qu’on ne peut dire que la réparation [TRADUCTION] « provisoire provisoire » que sollicite le commissaire est envisagée par déduction nécessaire.

[53] Cette réparation minerait également la prévisibilité, la certitude et la transparence que permet d’obtenir le régime actuel de la Loi. Notamment, ce régime informe clairement les parties fusionnantes de leurs obligations dans le cadre du processus d’examen du fusionnement, du temps pendant lequel elles doivent attendre avant de pouvoir conclure leur fusionnement, ainsi que des recours dont dispose le commissaire pour les empêcher de le faire.

[54] Bien que l’article 2 des Règles et le paragraphe 9(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence procurent au Tribunal une latitude considérable pour ce qui est de traiter de diverses questions, dont des questions urgentes, de la manière la plus informelle et expéditive que le permettent les circonstances et les principes d’équité, ces deux dispositions n’aident pas le commissaire dans la mesure il le voudrait dans les circonstances actuelles. Cela s’explique par le fait que ces dispositions n’envisagent pas le genre de restriction importante des droits à l’équité procédurale que sa manière de procéder a causée. Quoi qu’il en soit, l’article 2 des Règles et le paragraphe 9(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence sont des dispositions de nature procédurale, et elles ne peuvent pas être invoquées pour justifier une réparation au fond que la Loi n’envisage pas.

[55] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le Tribunal n’a pas compétence pour accorder la réparation provisoire que sollicite le commissaire en attendant l’instruction de la demande présentée au titre de l’article 104.

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[56] Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire que je traite de la seconde question qui a été formulée à la partie VI qui précède, relativement au bien-fondé de la demande d’injonction du commissaire. Les défenderesses n’ayant pas eu la possibilité de se préparer à traiter de la question du bien-fondé, je me serais retrouvé dans une position difficile si j’avais été obligé de me prononcer sur celle-ci, d’autant plus que je n’ai eu le temps d’examiner ce dossier que superficiellement avant l’audience.

VIII. CONCLUSION

[57] Pour les motifs énoncés à la partie VII qui précède, la demande du commissaire en vue d’obtenir une ordonnance provisoire en attendant l’instruction de la demande présentée au titre de l’article 104 est rejetée.

[58] Je suis conscient que, dans certains cas, il peut être extrêmement difficile pour le commissaire de préparer convenablement des demandes au titre des articles 92 et 104 dans le délai de 30 jours qui est prescrit au paragraphe 114(2) de la Loi. Cependant, la solution à ce problème n’est pas de demander une réparation sans précédent qui ne trouve aucun fondement dans le régime législatif et de priver ainsi les parties fusionnantes d’une possibilité quelconque de fournir une réponse utile.

[59] La solution, en partie du moins, consiste plutôt à déposer une demande aux termes de l’article 100. À tout le moins, cela fournirait du temps supplémentaire pour examiner les renseignements détaillés habituellement fournis en réponse à une DRS, ainsi que pour préparer des demandes visées aux articles 92 et 104. Une autre partie de la solution serait de réduire la quantité de renseignements demandés dans une DRS et qu’il est ensuite nécessaire d’évaluer dans un délai très restreint.

[60] Je reconnais en outre que même si le commissaire dépose une demande au titre de l’article 100, il peut tout de même se heurter à des difficultés semblables à celles qui se présentent en l’espèce, lorsqu’il est question d’empêcher les parties fusionnantes de réaliser le fusionnement proposé à l’expiration de l’ordonnance rendue en vertu de l’article 100 et au moment du dépôt des demandes visées aux articles 92 et 104. Cependant, il lui serait loisible de faire valoir que le régime que prévoient ces dispositions permet qu’une ordonnance rendue en vertu de l’article 100 s’étende jusqu’au moment une demande présentée au titre de l’article 104 peut être instruite et tranchée, en présumant que ce moment se situe dans le délai de 30 jours qu’envisage le paragraphe 100(5).

[61] Il va sans dire qu’il est possible de demander au législateur plus de certitude à cet égard et, à vrai dire, un cadre plus solide pour éviter le genre de préjudice décrit à l’alinéa 100(1)a) de la Loi.

[62] En terminant, j’ajouterai simplement qu’au cours de l’audience d’hier les défenderesses ont déclaré qu’elles collaboreront avec le commissaire pour s’assurer que la demande présentée au titre de l’article 104 soit instruite dans un délai raisonnable. Elles ont également déclaré que,

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si le commissaire en fait la demande, elles maintiendront le statu quo en ce qui a trait à leurs activités pendant 30 jours. Cela inclut le fait de ne licencier aucun employé.

FAIT à Ottawa, ce 1 er jour de juillet 2021. SIGNÉ au nom du Tribunal par : « Paul Crampton » (s) Paul Crampton, juge en chef

Traduction certifiée conforme Julie Blain McIntosh

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Canada (Commissaire de la concurrence) c Secure Energy Services Inc. et Tervita Corporation, 2021 Trib conc 4

ORDONNANCE

1. Pour les raisons exposées dans les motifs d’ordonnance ci-joints, la demande du commissaire en vue d’obtenir une réparation provisoire en attendant l’instruction de la demande présentée au titre de l’article 104 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, est rejetée.

2. Les défenderesses n’ayant pas demandé de dépens dans le cadre de la présente requête, aucuns ne seront adjugés.

SIGNÉ au nom du Tribunal par : « Paul Crampton » (s) Paul Crampton, juge en chef

Traduction certifiée conforme Julie Blain McIntosh

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AVOCATS : Pour le demandeur : Le commissaire de la concurrence Jonathan Hood Paul Klippenstein

Pour les défenderesses : Secure Energy Services Inc. Brian Facey Robert Kwinter Nicole Henderson

Tervita Corporation Melanie Aitken

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