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Competition Tribunal

Tribunal de la concurrence

TRADUCTION OFFICIELLE
VERSION PUBLIQUE

Référence : Canada (Commissaire de la concurrence) c Secure Energy Services Inc, 2021 Trib conc 7

No de dossier : CT-2021-002

No de document du greffe : 363

 

 

DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par le commissaire de la concurrence en vertu de l’article 104 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34 en vue d’obtenir une ordonnance provisoire en attendant l’audition d’une demande de réparation permanente présentée en vertu de l’article 92 de la Loi sur la concurrence;

 

 

ENTRE :

Commissaire de la concurrence

(demandeur)

et

SECURE Energy Services Inc.

(défenderesse)

 

 

Date de l’audience : le 4 août 2021

En présence de : M. le juge en chef Paul Crampton

Date des motifs et de l’ordonnance : le 16 août 2021

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE CONCERNANT LA DEMANDE D’UNE ORDONNANCE PROVISOIRE DU COMMISSAIRE


 

I. introduction

[1] La présente demande porte sur une demande du commissaire de la concurrence (le « commissaire ») en vue d’obtenir une réparation provisoire en vertu de l’article 104 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34 (la « Loi »). Étant donné qu’il ne s’agit que de la deuxième procédure pleinement contestée concernant un fusionnement en vertu de cette disposition[1], elle soulève des questions importantes concernant chacun des trois volets du critère tripartite relatif à une injonction qui n’ont pas été abordées auparavant dans ce contexte.

[2] Lorsque cette demande (la « demande fondée sur l’article 104 ») a été déposée initialement, le commissaire a demandé une ordonnance provisoire enjoignant aux défenderesses à ce moment-là, SECURE Energy Services Inc. (« Secure ») et Tervita Corporation (« Tervita ») de ne pas procéder au fusionnement proposé avant la décision finale relative à une deuxième demande, déposée simultanément par le commissaire. Cette deuxième demande, fondée sur l’article 92 de la Loi (la « demande fondée sur l’article 92 »), visait à obtenir une ordonnance interdisant de façon permanente la réalisation de la transaction, ainsi que certaines réparations accessoires. À titre de solution de rechange, le commissaire a sollicité une ordonnance exigeant que Secure ne procède pas à l’acquisition de tels biens, comme l’exigerait une réparation efficace.

[3] Toutefois, pour les raisons expliquées ci-dessous, Secure et Tervita (les « parties au fusionnement ») ont réalisé leur transaction (le « fusionnement ») peu après 0 h, HNR, le 2 juillet 2021. Par conséquent, le commissaire a modifié verbalement la réparation demandée dans la demande fondée sur l’article 104 pendant l’audience de cette demande. La réparation actuellement demandée est une ordonnance exigeant que certaines installations identifiées qui appartenaient auparavant à Tervita soient [traduction] « détenues séparément et exploitées indépendamment » de Secure : Transcription de l’audience de Canada (commissaire de la concurrence) c Secure Energy Services Inc et Tervita Corporation en date du 4 août 2021, à la p 25.

[4] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

II. Les parties

[5] Le commissaire est nommé en vertu de l’article 7 de la Loi et est responsable de la mise en application et de l’administration de la Loi.

[6] Secure est une société cotée en bourse dont le siège social est situé à Calgary, Alberta, et inscrite à la Bourse de Toronto. Selon le commissaire, Secure possède et exploite 18 installations de traitement, de récupération et d’élimination (« TRE »), six sites d’enfouissement industriels et 15 puits de rejet autonomes dans le bassin sédimentaire de l’Ouest canadien (« BSOC ») qui fournissent certains services de gestion des déchets. Secure offre également une vaste gamme de services environnementaux associés au forage pétrolier et gazier, y compris la vente de fluides de forage, de produits chimiques de production et des services d’eau. Les autres services qu’elle fournit comprennent la démolition, la désaffectation, l’assainissement et la remise en état de puits de pétrole et de gaz.

[7] Tervita, qui n’existe plus, était une société cotée en bourse basée à Calgary, en Alberta. Ses actions ordinaires étaient inscrites à la Bourse de Toronto. Selon le commissaire, Tervita possédait et exploitait 44 installations TRE, 22 sites d’enfouissement industriels, trois installations de stockage en caverne et huit puits de rejet autonomes dans le BSOC. Comme pour Secure, Tervita offrait une gamme de services environnementaux, dont la démolition, la désaffectation, l’assainissement et la remise en état de puits de pétrole et de gaz.

III. LE FUSIONNEMENT

[8] Dans la demande fondée sur l’article 104, le commissaire a décrit le fusionnement comme un arrangement en date du 8 mars 2021, aux termes duquel, entre autres :

[traduction]

« […] Secure et Tervita réaliseront un échange d’actions. En vertu du plan d’arrangement, Secure acquerra toutes les actions émises et en circulation de Tervita. Une fois la transaction proposée réalisée, les actionnaires de Secure et Tervita détiennent environ 52 % et 48 % respectivement de l’entité combinée. »

IV. Contexte

A. Historique de la procédure

[9] Le 12 mars 2021, les parties au fusionnement ont déposé un préavis de fusionnement en vertu du paragraphe 114(1) de la Loi, ainsi qu’une demande de certificat de décision préalable en vertu de l’article 102 de la Loi.

[10] Le 9 avril 2021, le commissaire a adressé une demande de renseignements supplémentaires (« DRS ») à chacune des parties au fusionnement en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi.

[11] Selon l’alinéa 123(1)b) de la Loi, la transaction proposée ne doit pas être conclue avant la fin des 30 jours suivant la date à laquelle le commissaire a reçu les renseignements exigés en vertu du paragraphe 114(2).

[12] Le 28 mai 2021, la commissaire a ouvert une enquête en vertu de l’article 10 de la Loi.

[13] Le 31 mai 2021, les parties au fusionnement ont certifié les réponses à leurs DRS respectives, après avoir fourni au Bureau environ 396 000 documents. Par conséquent, elles auraient été en mesure de conclure légalement le fusionnement 30 jours plus tard, sans la délivrance d’une ordonnance provisoire par le Tribunal ou un engagement à reporter cette transaction.

[14] Le 25 juin 2021, l’avocat des parties au fusionnement a confirmé par écrit au commissaire qu’avant de conclure la transaction proposée, celles-ci fourniraient un préavis de 72 heures de leur intention de le faire.

[15] Le 28 juin 2021, à 23 h 15, un tel avis a été donné. Cela signifiait que les parties au fusionnement étaient libres de conclure leur transaction à 23 h 15 le 1er juillet 2021, en l’absence d’une ordonnance du Tribunal.

[16] Le 29 juin 2021, le commissaire a déposé la demande fondée sur l’article 104 ainsi que la demande fondée sur l’article 92.

[17] Plus tard ce jour-là, n’ayant pas obtenu un accord des parties au fusionnement pour ne pas conclure leur transaction proposée « avant que le Tribunal ne se prononce sur la demande fondée sur l’article 104 », le commissaire a demandé une « conférence d’instance d’urgence ». Cette conférence d’instance avait pour but d’obtenir une ordonnance visant à empêcher la conclusion du fusionnement avant que la demande présentée en vertu de l’article 104 ne puisse être entendue et tranchée.

[18] Après avoir entendu les observations des parties au fusionnement dans l’après-midi du 30 juin 2021, j’ai rendu une décision le soir suivant. En résumé, j’ai rejeté la réparation « provisoire provisoire » demandée par le commissaire au motif que le Tribunal n’a pas compétence pour accorder une telle réparation : Canada (Commissaire de la concurrence) c Secure Energy Services Inc et Tervita Corporation, 2021 Trib conc 4 (« Secure Energy 1 »).

[19] Quelques heures plus tard, et quelques minutes avant l’heure à laquelle les parties avaient prévu de conclure le fusionnement (0 h 01 HNR, le 2 juillet 2021), la Cour d’appel fédérale a rejeté une demande du commissaire en vue d’obtenir une ordonnance « provisoire provisoire » empêchant l’exécution du fusionnement jusqu’à ce qu’un appel de la décision que j’ai rendue plus tôt ce soir‑là puisse être entendu : Canada (Commissaire de la concurrence) c Secure Energy Services Inc et Tervita Corporation (2 juillet 2021), Cour d’appel fédérale, dossier A-185-21.

[20] Le fusionnement a ensuite été conclu en quelques minutes, à l’heure prévue de 0 h 01, HNR, le 2 juillet 2021. Secure a depuis commencé à mettre en œuvre un ||||||| ||||||| plan d’intégration, « avec la majeure partie de l’intégration réalisée d’ici ||||||||| ||||||||| après la conclusion. »

B. Résumé des allégations du commissaire

[21] Le commissaire décrit les parties au fusionnement comme ayant été des concurrentes vigoureuses dans la prestation de services de gestion des déchets de pétrole et de gaz (« services de gestion des déchets ») dans le BSOC. Dans la demande fondée sur l’article 92, il allègue que :

[traduction]

« [...] l’entité fusionnée aura un pouvoir de marché considérablement accru qui ne sera vraisemblablement pas limité. Les producteurs de pétrole et de gaz paieront vraisemblablement des prix matériellement plus élevés et subiront une détérioration de la qualité du service pour éliminer les déchets, et ce, à un moment où l’industrie pétrolière et gazière, un secteur important de l’économie canadienne, est en difficulté. »

[22] Plus précisément, le commissaire allègue que la concurrence est susceptible d’être sensiblement réduite au sein d’un grand nombre de marchés géographiques locaux en ce qui concerne (i) la fourniture de services de transformation et de traitement des déchets par les installations de TRE; (ii) l’élimination des déchets solides de pétrole et de gaz dans les sites d’enfouissement industriels; et (iii) l’élimination de l’eau produite et des eaux usées dans les puits de rejet appartenant à de tiers fournisseurs de services de gestion des déchets.

[23] À cet égard, le commissaire met particulièrement l’accent sur deux groupes de clients du pétrole et du gaz qui, selon lui, sont les plus touchés par le fusionnement, à savoir : (1) les clients pétroliers et gaziers dont l’emplacement est tel que le fusionnement entraîne effectivement un fusionnement menant à un monopole; et (2) les clients pétroliers et gaziers dont l’emplacement est tel que le fusionnement réduira leurs options concurrentielles de 3 à 2.

[24] Le commissaire identifie environ 7 700 clients qui tomberaient dans la première catégorie et plus de 30 000 dans la seconde[2].

[25] Le commissaire affirme également que la fusion risque d’entraîner une hausse des prix et une dégradation des services pour certains services supplémentaires, appelés « services environnementaux ». Il affirme que cela se produira vraisemblablement en raison de l’élimination de la concurrence entre Secure et Tervita et de leur capacité à exclure des rivaux en regroupant les services relatifs aux déchets et les services environnementaux. De plus, il soutient que le fusionnement risque d’empêcher sensiblement la concurrence dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique (« NECB »), où Secure avait prévu ouvrir un site d’enfouissement industriel à Wonowon. Le commissaire affirme que, sans le fusionnement, le site d’enfouissement de Secure à Wonowon aurait été en concurrence avec deux des sites d’enfouissement de Tervita pour les services de gestion des déchets. En raison d’une telle nouvelle concurrence, les clients du NECB auraient vraisemblablement bénéficié d’une baisse des prix et d’une meilleure qualité de service.

[26] Maintenant que le fusionnement a eu lieu et que Tervita n’existe plus en tant qu’entité distincte, le commissaire soutient que le préjudice irréparable causé au processus concurrentiel et aux acheteurs des services décrits ci-dessus a commencé à se produire.

C. Résumé de la réponse de Secure

[27] Secure soutient que le fusionnement lui permettra d’atteindre une plus grande stabilité financière et une plus grande échelle afin de demeurer viable et de répondre aux besoins de plus en plus exigeants des clients dans l’industrie pétrolière et gazière en difficulté.

[28] Contrairement aux allégations du commissaire, Secure affirme qu’elle continue de faire face à une concurrence efficace importante de la part d’autres entreprises tierces d’élimination des déchets. Elle ajoute que la majorité de ses clients sont de grandes sociétés pétrolières et gazières sophistiquées qui ont une puissance d’achat compensatrice importante et la capacité d’auto-approvisionner les services pertinents. En outre, elle indique qu’il n’y a pas d’obstacles significatifs à l’expansion sur les marchés pertinents et que le fusionnement ne soulève aucun problème particulier de forclusion en ce qui concerne les services environnementaux.

[29] Secure soutient également que le fusionnement produira des gains en efficience « à un rythme annualisé » d’au moins [des dizaines de millions de dollars] annuellement, ou [des centaines de millions de dollars]| sur une base actualisée sur 10 ans.

V. Dispositions législatives pertinentes

[30] L’article 104 de la Loi énonce ce qui suit :

Ordonnance provisoire

Interim Order

104 (1) Lorsqu’une demande d’ordonnance a été faite en application de la présente partie, sauf en ce qui concerne les ordonnances provisoires en vertu des articles 100 ou 103.3, le Tribunal peut, à la demande du commissaire […], rendre toute ordonnance provisoire qu’il considère justifiée conformément aux principes normalement pris en considération par les cours supérieures en matières interlocutoires et d’injonction.

104 (1) If an application has been made for an order under this Part, other than an interim order under section 100 or 103.3, the Tribunal, on application by the Commissioner …, may issue any interim order that it considers appropriate, having regard to the principles ordinarily considered by superior courts when granting interlocutory or injunctive relief.

Conditions des ordonnances provisoires

Terms of Interim Order

(2) Une ordonnance provisoire rendue aux termes du paragraphe (1) contient les conditions et a effet pour la durée que le Tribunal estime nécessaires et suffisantes pour parer aux circonstances de l’affaire.

(2) An interim order issued under subsection (1) shall be on such terms, and shall have effect for such period of time, as the Tribunal considers necessary and sufficient to meet the circumstances of the case.

Obligation du commissaire

Duty of Commissioner

(3) Si une ordonnance provisoire est rendue en vertu du paragraphe (1) à la suite d’une demande du commissaire et est en vigueur, le commissaire est tenu d’agir dans les meilleurs délais possibles pour terminer les procédures qui, sous le régime de la présente partie, découlent du comportement qui fait l’objet de l’ordonnance.

(3) Where an interim order issued under subsection (1) on application by the Commissioner is in effect, the Commissioner shall proceed as expeditiously as possible to complete proceedings under this Part arising out of the conduct in respect of which the order was issued.

 

[31] L’article 100 de la Loi prévoit un deuxième type d’ordonnance provisoire qui peut être rendue relativement à une transaction proposée. La nature de l’ordonnance qui peut être rendue en vertu du présent article et le critère qui doit être satisfait sont énoncés au paragraphe 100(1), qui stipule ce qui suit :

Ordonnance provisoire en l’absence d’une demande en vertu de l’article 92

Interim order where no application under section 92

100 (1) Le Tribunal peut rendre une ordonnance provisoire interdisant à toute personne nommée dans la demande de poser tout geste qui, de l’avis du Tribunal, pourrait constituer la réalisation ou la mise en œuvre du fusionnement proposé, ou y tendre, relativement auquel il n’y a pas eu de demande aux termes de l’article 92 ou antérieurement aux termes du présent article, si :

100 (1) The Tribunal may issue an interim order forbidding any person named in the application from doing any act or thing that it appears to the Tribunal may constitute or be directed toward the completion or implementation of a proposed merger in respect of which an application has not been made under section 92 or previously under this section, where

a) à la demande du commissaire comportant une attestation de la tenue de l’enquête prévue à l’alinéa 10(1)b) et de la nécessité, selon celui-ci, d’un délai supplémentaire pour l’achever, il conclut qu’une personne, partie ou non au fusionnement proposé, posera vraisemblablement, en l’absence d’une ordonnance provisoire, des gestes qui, parce qu’ils seraient alors difficiles à contrer, auraient pour effet de réduire sensiblement l’aptitude du Tribunal à remédier à l’influence du fusionnement proposé sur la concurrence, si celui-ci devait éventuellement appliquer cet article à l’égard de ce fusionnement;

(a) on application by the Commissioner, certifying that an inquiry is being made under paragraph 10(1)(b) and that, in the Commissioner’s opinion, more time is required to complete the inquiry, the Tribunal finds that in the absence of an interim order a party to the proposed merger or any other person is likely to take an action that would substantially impair the ability of the Tribunal to remedy the effect of the proposed merger on competition under that section because that action would be difficult to reverse; or

b) à la demande du commissaire, il conclut qu’il y a eu contravention de l’article 114 à l’égard du fusionnement proposé

(b) the Tribunal finds, on application by the Commissioner, that there has been a contravention of section 114 in respect of the proposed merger.

 

[32] Selon l’article 92 de la Loi, le Tribunal peut accorder une gamme de réparations permanentes spécifiques à l’égard des fusionnements proposés et réalisés.

[33] L’article 1.1 décrit l’objet de la Loi comme suit :

Objet

Purpose of Act

1.1 La présente loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans le but de stimuler l’adaptabilité et l’efficience de l’économie canadienne, d’améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada, d’assurer à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l’économie canadienne, de même que dans le but d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits.

1.1 The purpose of this Act is to maintain and encourage competition in Canada in order to promote the efficiency and adaptability of the Canadian economy, in order to expand opportunities for Canadian participation in world markets while at the same time recognizing the role of foreign competition in Canada, in order to ensure that small and medium-sized enterprises have an equitable opportunity to participate in the Canadian economy and in order to provide consumers with competitive prices and product choices.

 

VI. Questions en litige

[34] Aux présentes fins, la présente demande soulève deux grandes questions. Les voici :

1. Le commissaire a-t-il satisfait au critère exigé pour que l’injonction demandée soit accordée?

2. Dans l’affirmative, une telle réparation devrait-elle être accordée?

VII. Analyse

A. Le commissaire a-t-il satisfait au critère exigé pour que l’injonction demandée soit accordée?

(1) Le critère applicable

[35] Le commissaire soutient que le critère à appliquer par le Tribunal dans la présente instance est le critère tripartite classique applicable aux demandes de réparation sous forme d’injonction. Ce critère exige que le Tribunal soit convaincu que (i) il y a une question sérieuse à juger; ii) le demandeur subirait un préjudice irréparable si la demande était refusée; (iii) la prépondérance des inconvénients penche en faveur du demandeur : RJR-Macdonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, à la p 334 (« RJR »); Parkland, au para 26.

[36] Même si le Tribunal conclut que les trois volets du critère sont respectés, il n’est pas obligé de rendre une ordonnance. Le paragraphe 104(1) de la Loi précise que le Tribunal « peut » rendre toute ordonnance provisoire qu’il considère justifiée, compte tenu des principes normalement pris en considération par les cours supérieures en matières interlocutoires et d’injonction. Par conséquent, même si le critère tripartite est satisfait, le Tribunal examinera habituellement s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder la réparation demandée : voir par exemple Parkland, à la p 113 et suivantes.

[37] Secure soutient que le critère qu’il convient d’appliquer dans le cadre de la présente instance est le critère le plus strict applicable aux demandes de réparation impérative. Plus précisément, Secure affirme que maintenant que le fusionnement a eu lieu et que certaines mesures ont été prises pour intégrer ses activités à l’ancienne entreprise de Tervita, la réparation demandée par le commissaire nécessiterait l’application de diverses mesures positives qui sont de nature obligatoire. En conséquence, elle soutient que le commissaire doit démontrer qu’il y a une « forte apparence de droit », plutôt qu’une simple « question sérieuse à juger » : R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5, au para 15 (« SRC »).

[38] Je conviens que ce critère s’appliquerait normalement aux situations où le commissaire demande réparation en vertu de l’article 104, qui est en grande partie obligatoire par nature. Toutefois, dans les circonstances très particulières de la présente affaire, je ne considère pas que ce critère soit le critère qu’il convient d’appliquer.

[39] Afin de démontrer qu’il y a une forte apparence de droit, le commissaire doit démontrer une forte probabilité de succès au procès : SRC, au para 17. En l’espèce, cela signifie qu’il existe une forte probabilité qu’il ait gain de cause en ce qui concerne les deux questions primordiales en litige dans la procédure sous-jacente, à savoir : (i) son allégation selon laquelle le fusionnement est susceptible d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence, et (ii) la défense de Secure fondée sur l’article 96 de la Loi.

[40] Le fait que le commissaire n’a pas traité de la défense fondée sur l’article 96 dans sa demande fondée sur l’article 104 empêcherait le Tribunal de conclure, sur la base des éléments de preuve tels qu’ils sont établis, qu’il a une forte probabilité d’obtenir gain de cause sur ce moyen de défense. Entre autres choses, pour réfuter ce moyen de défense, le commissaire devra prouver l’ampleur des effets anticoncurrentiels qui, selon lui, résulteraient du fusionnement : Tervita Corp c Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, aux paras 122 à 126, 128 et 136 (« Tervita »). À son tour, le commissaire devra fournir des preuves concernant les élasticités de la demande par rapport au prix et des estimations de la perte sèche qui résultera vraisemblablement du fusionnement : Tervita, aux paras 132, 134 et 139. Comme aucune preuve de ce genre n’a été fournie dans la demande fondée sur l’article 104, je ne peux conclure « qu’il y a une forte chance » que le commissaire obtienne gain de cause au procès : SRC, au para 17.

[41] Le commissaire soutient qu’on n’aurait pas dû s’attendre à ce qu’il fournisse ce type de preuve dans la demande fondée sur l’article 104, car Secure n’a pas encore fourni sa réponse à la demande fondée sur l’article 92. Par conséquent, Secure n’a pas encore invoqué la défense des gains en efficience fondée sur l’article 96 et il n’a aucune obligation de fournir des preuves quant à l’ampleur des effets anticoncurrentiels qui, selon lui, résulteraient du fusionnement : Tervita, au para 166. Je ne suis pas de cet avis.

[42] Le commissaire a été informé le 12 mars 2021, date à laquelle Secure a présenté sa demande de certificat de décision préalable, que Secure avait l’intention de prendre la position selon laquelle le fusionnement générera des gains en efficience substantiels. Le commissaire a été informé de l’intention de Secure de s’appuyer sur l’article 96, au plus tard le 3 juin 2021, lorsqu’elle a informé le commissaire par écrit que les gains en efficience générés par le fusionnement seraient importants, vraisemblables et admissibles en vertu de l’article 96. Dans le rapport de M. Harington daté du même jour, joint à la lettre de Secure, de nombreuses références à l’article 96 ont été faites. Secure a également invoqué explicitement l’article 96 dans une lettre au commissaire datée du 25 juin 2021.

[43] En dépit de ce qui précède, je considère qu’il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de permettre à Secure de bénéficier du critère plus strict de la « forte apparence de droit » dans les circonstances particulières de la présente affaire.

[44] Je reconnais que le commissaire aurait pu s’assurer qu’il obtiendrait l’avantage du critère moins strict de la « question sérieuse à juger » en déposant la demande fondée sur l’article 104 plus tôt. À titre de solution de rechange, il aurait également pu déposer une demande en vertu de l’article 100 afin d’obtenir un délai supplémentaire pour compléter son enquête et préparer simultanément une demande fondée sur l’article 104. Entre autres choses, cela lui aurait donné le temps de préparer au moins une estimation approximative d’une gamme plausible d’effets anticoncurrentiels. Même si le commissaire était encore en pourparlers avec les parties dans la semaine qui a précédé le dépôt de la demande fondée sur l’article 104, il aurait été prudent qu’il protège mieux sa position avant de déposer cette demande le 29 juin 2021.

[45] Je reconnais également que Secure avait le droit légal de conclure sa transaction après avoir fait échouer les tentatives du commissaire d’obtenir une réparation « provisoire provisoire » du Tribunal, puis de la Cour d’appel fédérale. De plus, je reconnais que Secure semble avoir souligné au commissaire, à plusieurs reprises au cours de son examen du fusionnement, que le temps pressait pour effectuer le fusionnement.

[46] Toutefois, en se précipitant pour conclure le fusionnement en dépit de la demande fondée sur l’article 104 et dans les minutes qui ont suivi le rejet de la demande d’injonction « provisoire provisoire » du commissaire devant la Cour d’appel fédérale, Secure a délibérément agi de manière autoritaire, sans tenir compte des intérêts du commissaire ni même de l’intérêt public. Ce faisant, elle a effectivement « pris un temps d’avance » sur le commissaire : Morris c Redland Bricks Ltd., [1970] AC 652, à la p 666 (HL); Burnside Industrial Packaging Ltd, Re, 1994 CarswellNS 376, au para 31 (NSSC); International Steel Services Inc v Dynatec Madagasgar SA, 2016 ONSC 2810, aux paras 58 et 65; Ruskin v Canada All-News Radio Ltd, 1979 CarswellOnt 158, au para 5 (Ont HCJ); Clerke v Fougère, 2002 CarswellNB 488, au para 21 (QB); Kraft Jacobs Suchard (Schweiz) AG v Hagemeyer Canada Inc, 1998 CanLII 14780, au para 62 (OCJ); Robert Sharpe, Injunctions and Specific Performance, Looseleaf Edition (Toronto : Carswell, 2018), à la p 1.600 (« Sharpe »). Voir aussi 1338121 Ontario Inc v FDV Inc, 2011 ONSC 3816, au para 49.

[47] Bien que la conduite de Secure ne puisse être qualifiée de fautive, dans ces circonstances, il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de permettre à Secure de se prévaloir du critère plus strict de la « forte apparence de droit ». Cette façon de faire irait complètement à l’encontre des efforts du commissaire visant à préserver le statu quo et à prévenir les dommages causés au public en attendant une audience complète sur la demande qu’il a présentée en vertu de l’article 92.

[48] Je reconnais que cette conduite est souvent prise en compte comme contrepartie équitable à un stade ultérieur du critère tripartite applicable aux demandes d’injonction. Toutefois, j’estime qu’elle peut aussi être examinée à la première étape lorsque l’omission de le faire trancherait effectivement la demande avant qu’un examen du préjudice irréparable et de la prépondérance des inconvénients puisse être entrepris.

[49] À mon avis, cela est tout à fait compatible avec i) la nécessité d’appliquer une approche souple dans l’examen de telles demandes; ii) le principe selon lequel l’évaluation doit porter en dernier ressort sur la question de savoir s’il serait « juste et équitable d’accorder l’injonction eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire »; iii) la reconnaissance générale que les trois volets du critère de RJR ne sont pas des compartiments étanches : Google Inc c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34, aux paras 1, 23, et 25 (« Google »); Vancouver Aquarium Marine Science Centre v Charbonneau, 2017 BCCA 395, au para 38; Sharpe, à la p 2.600.

[50] Tout comme les personnes dans d’autres contextes sont empêchées de réclamer des dommages-intérêts qui auraient pu être évités en prenant des mesures raisonnables après la survenance d’une cause d’action (par exemple, Michaels v Red Deer College, [1976] 2 SCR 324), Secure ne devrait pas pouvoir s’appuyer sur sa conduite délibérée et autoritaire pour bénéficier du critère de la « forte apparence de droit ».

[51] Les principaux fondements de ce critère sont i) l’obligation de « restaurer la situation », ce qui est souvent coûteux ou pénible pour un défendeur; (ii) une telle réparation peut généralement être obtenue au procès; (iii) une telle réparation peut constituer la décision définitive de l’action en faveur du demandeur : SRC, au para 15.

[52] Dans le contexte actuel, seul le premier fondement s’applique. En effet, la réparation demandée par le commissaire (qui empêche un préjudice irréparable provisoire au processus concurrentiel et aux clients de Secure) ne peut être obtenue au procès et cette réparation ne constituerait pas une décision définitive de l’action en faveur du commissaire.

[53] Lorsque les coûts nécessaires pour « restaurer la situation » auraient pu être évités en maintenant le statu quo jusqu’à ce que la demande qui avait déjà été signifiée et déposée puisse être entendue, il ne serait ni approprié, ni dans l’intérêt de la justice, de permettre à un défendeur de s’appuyer efficacement sur ces mêmes coûts pour se prévaloir d’un critère juridique beaucoup plus favorable. C’est particulièrement le cas dans les circonstances particulières de la présente affaire, décrites ci-dessus.

[54] Secure laisse entendre qu’elle ne devrait pas subir de conséquences négatives parce qu’elle exerce son droit légal de conclure la transaction. À cet égard, elle s’appuie sur La commissaire de la concurrence c CCS Corporation et al, 2012 Trib conc 14 CCS »), qui n’a pas fait l’objet d’une demande fondée sur l’article 104 de la Loi. Lorsqu’il a examiné la demande de dissolution présentée par la commissaire en vertu de l’article 92 de la Loi, le Tribunal a conclu que les vendeurs qui avaient vendu leurs actions après avoir été avertis par la commissaire qu’elle demanderait la dissolution n’avaient pas été empêchés de soulever des questions de préjudice à l’égard de cette réparation. Toutefois, ce type de situation, ainsi que les situations dans lesquelles les parties concluent une transaction proposée avant la fin de l’examen du commissaire et après avoir été averties qu’une telle transaction serait « à leurs propres risques », sont distinctes. En effet, le dépôt d’une demande fondée sur l’article 104 de la Loi sert à cristalliser un litige porté par une autorité publique pour protéger l’intérêt public.

[55] En plus de ce qui précède, je ne peux ignorer que, après avoir assuré le Tribunal le 30 juin 2021 qu’elle collaborerait avec le commissaire pour s’assurer que la demande fondée sur l’article 104 serait entendue en temps opportun (Secure Energy 1, au para 62), Secure s’est battue pour que l’audience ait lieu « le ou après le 30 août » ou, en tout état de cause, « la dernière semaine d’août » : Transcription de la conférence de gestion de l’instance de Canada (Commissaire de la concurrence) c Secure Energy Services Inc et Tervita Corporation datée du 6 juillet 2021, aux pp 6 à 11, 16 et 23. Pendant ce temps, Secure procédait à l’intégration de l’entreprise de Tervita dans la sienne et à l’augmentation des coûts qui seraient associés à la restauration de la situation que la demande fondée sur l’article 104 était censée maintenir.

[56] À mon avis, les demandes fondées sur l’article 104 devraient être entendues dans un délai d’environ une semaine après leur dépôt dans les circonstances où les parties au fusionnement semblent avoir l’intention de clore une transaction de fusionnement immédiatement après l’expiration du délai de 30 jours prévu à l’alinéa 123(1)b), ou n’ont pas confirmé qu’elles attendront que la demande soit tranchée avant de le faire. Même si cela peut paraître court, une période plus longue pourrait très bien empêcher le commissaire de pouvoir évaluer les réponses fournies à une demande de renseignements supplémentaires émise en vertu du paragraphe 114(2), puis de préparer la demande fondée sur l’article 104, puisqu’il disposerait de moins de trois semaines pour le faire.

[57] En résumé, pour les raisons exposées ci-dessus, je considère que le critère qu’il convient d’appliquer pour évaluer la présente demande est le critère classique tel qu’énoncé dans RJR et exposé au paragraphe 35 ci-dessus. Il ne s’agit pas du critère modifié énoncé dans SRC, qui exige que le demandeur établisse une « forte apparence de droit » à la première étape de l’analyse tripartite.

[58] Je suis d’accord avec le commissaire pour dire que le fait d’accorder à Secure le bénéfice du critère de la « forte apparence de droit » dans des circonstances comme celles dont le Tribunal est saisi dans la présente demande inciterait d’autres à faire de même à l’avenir et, par conséquent, rendrait beaucoup plus difficile pour le commissaire l’accomplissement de son mandat statutaire.

[59] J’ajouterai au passage que je reconnais que Secure était motivée, du moins en partie, par le désir de commencer à réaliser certaines économies associées à l’intégration de ses opérations avec celles de Tervita. Toutefois, il s’agit là d’une question qui est plus judicieusement examinée à la troisième étape de l’évaluation de la réparation sous forme d’injonction.

(2) Question sérieuse à juger

[60] Le seuil pour déterminer s’il y a une question sérieuse à juger est bas. En résumé, le Tribunal doit simplement être convaincu que les questions soulevées ne sont ni vexatoires ni frivoles : RJR, à la p 335.

[61] Les éléments de preuve dont le Tribunal est saisi démontrent amplement que ce critère est satisfait en ce qui concerne la question primordiale de savoir si le fusionnement est susceptible d’empêcher ou de diminuer la concurrence. Cette preuve est importante et se rapporte à bon nombre des considérations quantitatives et qualitatives qui sont pertinentes pour trancher cette question primordiale.

[62] Entre autres choses, les données quantitatives indiquent qu’il y a un grand nombre d’emplacements où les choix concurrentiels offerts aux clients de Secure peuvent avoir été réduits de deux à un, ou de trois à deux, à la suite du fusionnement. En outre, les documents internes des parties au fusionnement indiquent que Secure et Tervita avaient des parts de marché très élevées avant le fusionnement et appuient la position du commissaire selon laquelle elles étaient les rivales les plus proches au sein des marchés concernés. En ce qui concerne les facteurs qualitatifs, les parties ont produit une preuve considérable qui obligera le Tribunal à prendre des décisions concernant des questions importantes et complexes telles que :

i. le produit et les dimensions géographiques des marchés concernés;

ii. l’efficacité de la concurrence restante;

iii. la nature et l’ampleur des obstacles à l’entrée sur les marchés pertinents;

iv. la mesure dans laquelle des substituts acceptables pour les produits concernés sont vraisemblablement disponibles;

v. la mesure dans laquelle l’option d’autoapprovisionnement est susceptible de restreindre l’exercice de la puissance commerciale par Secure; et

vi. la mesure dans laquelle les clients de Secure ont un pouvoir compensateur.

[63] De plus, si Secure invoque la défense de gains en efficience fondée sur l’article 96 de la Loi, comme elle a déclaré avoir l’intention de le faire, ce sera une autre question sérieuse à juger. Entre autres, le Tribunal devra évaluer les positions respectives des parties sur des questions importantes telles que :

i. l’élasticité de la demande par rapport au prix de l’entité fusionnée;

ii. la perte sèche qui résultera vraisemblablement du fusionnement;

iii. la question de savoir si les divers gains en efficience relevés par Secure sont admissibles; et

iv. la question de savoir si ces gains en efficience sont susceptibles d’être supérieurs aux effets anticoncurrentiels qui, selon le Tribunal, sont susceptibles de résulter du fusionnement et de les compenser.

[64] Compte tenu de ce qui précède, il ne fait aucun doute que le commissaire a démontré qu’il y a une question sérieuse à juger.

(3) Préjudice irréparable

a) Principes juridiques généraux

[65] Le terme irréparable désigne la nature du préjudice subi, plutôt que l’ampleur de ce préjudice. « C’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre » : RJR, à la p 341.

[66] Étant donné qu’une demande fondée sur l’article 104 de la Loi est semblable à une injonction préventive, un préjudice irréparable ne s’est généralement pas encore produit et peut donc être inféré sur la base d’une preuve « catégorique et non conjecturale » : Parkland, aux paras 50 à 53.

[67] Cette exigence en matière de preuve doit respecter la norme de la prépondérance des probabilités qui s’applique généralement dans les affaires civiles. En résumé :

« […] [P]our s’acquitter de son fardeau relativement à la présente demande fondée sur l’article 104, lorsqu’il s’agit d’un préjudice appréhendé, le commissaire doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe une preuve catégorique et non conjecturale qui permet de démontrer de quelle manière se produira le préjudice, de sorte qu’il sera possible de tirer raisonnablement et logiquement des conclusions de préjudice irréparable. »

(Parkland, au para 58)

[68] Bien que le préjudice causé à des tiers soit généralement évalué à la troisième étape du critère tripartite applicable en matière d’injonction, le préjudice causé à l’intérêt public est considéré aux deuxième et troisième étapes lorsqu’une autorité gouvernementale est le demandeur d’une requête en injonction : RJR, à la p 349.

[69] En outre, lorsque le demandeur est une autorité publique :

« […] On pourra presque toujours satisfaire au critère en établissant simplement que l’organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l’intérêt public et en indiquant que c’est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l’activité contestés. Si l’on a satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l’interdiction de l’action causera un préjudice irréparable à l’intérêt public. »

(RJR, au para 346)

b) La position du commissaire

[70] Les observations du commissaire au sujet du préjudice irréparable portent uniquement sur le préjudice qui prétendument se produit et continue de se produire quant à la concurrence et aux clients au sein des marchés pertinents en attendant la décision sur la demande fondée sur l’article 92, à moins que la réparation qu’il a demandée dans la présente demande ne soit accordée. Comme dans Parkland, le commissaire n’a pas allégué explicitement qu’en l’absence d’une mesure d’injonction, il n’y aura pas de réparation efficace pour rétablir la concurrence au niveau requis : Parkland, aux paras 16 et 22. Par conséquent, il n’a présenté aucun des types habituels de preuves qui pourraient être pertinents à cet égard, comme des éléments de preuve concernant l’accès de Secure aux stratégies de tarification de Tervita ou à d’autres renseignements sensibles sur le plan de la concurrence, la perte d’employés clés ou la probabilité qu’un acheteur d’actifs dont la cession pourrait être ordonnée ne sera pas en mesure de rétablir la concurrence au niveau requis.

[71] Le commissaire soutient que le fusionnement cause présentement un préjudice irréparable à la concurrence, principalement parce qu’il a éliminé toute rivalité dans un grand nombre de régions locales et qu’il a éliminé la concurrence entre les deux principales rivales dans de nombreuses autres régions où Secure et Tervita étaient chacune la principale concurrente de l’autre, et où il ne reste maintenant plus qu’un seul autre concurrent. Par conséquent, le commissaire allègue qu’il peut être raisonnablement et logiquement déduit que les clients qui se trouvent maintenant face à une « situation de monopole » ne pourront plus négocier des diminutions de prix, lesquelles étaient un aspect courant de la concurrence avant le fusionnement. Il ajoute que les clients de nombreux autres marchés géographiques obtiendront des rabais moins importants que ceux qu’ils auraient reçus si le fusionnement n’avait pas eu lieu. En outre, il affirme que les avantages de la concurrence autre que par les prix, y compris la réduction des temps d’attente, le service, l’innovation et la concurrence pour de nouveaux sites d’enfouissement, ont été éliminés ou sensiblement réduits.

[72] S’appuyant sur Parkland, le commissaire allègue que ce préjudice à la concurrence est irréparable parce que le Tribunal n’a pas le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts en vertu des dispositions de la Loi relatives aux fusionnements si la demande fondée sur l’article 92 est accueillie : Parkland, au para 48.

[73] Dans un exemple fourni par le commissaire, Tervita a offert à un client une remise de||[dizaines de milliers de dollars en relation avec l’élimination de plusieurs milliers de tonnes de déchets]|, pour égaliser ou légèrement supplanter une offre rivale de Secure.

[74] Le commissaire souligne qu’étant donné que le fusionnement a éliminé ou diminué sensiblement la concurrence entre Secure et Tervita, l’entité fusionnée a la capacité de facturer des prix plus élevés qu’ils ne l’auraient été en l’absence du fusionnement. De même, il allègue que Secure a maintenant la capacité de réduire les avantages non liés aux prix de la concurrence. Le commissaire ajoute que l’engagement de Secure de ne pas augmenter les prix ne tient pas compte du fait qu’il n’y a pas de « prix » unique pour les transactions et qu’il serait impossible de surveiller ou d’appliquer cet engagement auprès de centaines de clients et d’installations. Il en est ainsi en raison de la prévalence des rabais au sein des marchés pertinents avant le fusionnement. Plus fondamentalement, le commissaire souligne qu’une réparation de type comportemental à l’égard des prix ne permet pas au processus concurrentiel de faire son travail.

c) Position de Secure

[75] Secure soutient que les effets provisoires sur la concurrence qui sont au centre des observations du commissaire ne sont pas pertinents en droit dans une demande fondée sur l’article 104. Deux raisons justifient cette affirmation. Premièrement, l’article 104 exige que le Tribunal tienne compte des « principes normalement pris en considération par les cours supérieures en matières interlocutoires et d’injonction ». Secure insiste sur le fait qu’à la deuxième étape du critère tripartite d’octroi d’une telle réparation, ces principes exigent que l’évaluation du Tribunal se concentre exclusivement sur la question de savoir si sa capacité d’accorder une réparation efficace dans la demande sous-jacente fondée sur l’article 92 sera préservée. À cet égard, Secure affirme que les éléments de preuve non contestés de cette demande établissent qu’il n’est pas nécessaire de rendre une ordonnance en vertu de l’article 104, en tant que réparation efficace, pour préserver les biens de Tervita (et en fait ceux de Secure). Par conséquent, si le commissaire obtient gain de cause au titre de la demande fondée sur l’article 92, un concurrent viable peut être créé par dessaisissement pour rétablir la concurrence au sein du ou des marchés pertinents. Deuxièmement, Secure affirme que l’esprit de la Loi ne vise pas à empêcher les effets provisoires sur les prix.

[76] En tout état de cause, Secure fait valoir que, même si le Tribunal est en mesure d’examiner les effets provisoires sur la concurrence à ce stade de son analyse, aucun effet de ce genre ne se produira. Il en est ainsi parce qu’elle a publié des « Directives d’intégration » internes à son équipe de direction indiquant qu’il ne doit y avoir aucune augmentation de prix pour les clients. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||

[77] Secure affirme également qu’elle n’aura aucune incitation à augmenter les prix et que M. Miller a reconnu cela lors du contre-interrogatoire.

[78] De plus, Secure affirme que les effets provisoires sur les prix ne peuvent constituer un préjudice irréparable dans le contexte actuel parce que le commissaire a concédé dans une autre affaire impliquant cette même industrie que le transfert de richesse présumé devrait être traité comme neutre : CCS, au para 284. Par conséquent, le seul type de préjudice irréparable possible, en l’espèce, serait la perte sèche pour l’économie canadienne, à l’égard de laquelle le commissaire n’a pas présenté de preuve.

[79] Enfin, Secure affirme que le commissaire n’a pas droit au bénéfice de l’hypothèse habituelle selon laquelle un préjudice irréparable à l’intérêt public résultera si la réparation qu’il demande, en sa qualité d’autorité publique chargée de promouvoir ou de protéger l’intérêt public, n’est pas accordée : RJR, à la p 346. Cette position est fondée sur le fait que le commissaire n’a pas abordé l’aspect de son mandat qui l’oblige à examiner les gains en efficience qui, selon Secure, sont susceptibles d’être réalisés à la suite du fusionnement.

d) Évaluation

[80] Je suis d’accord avec le commissaire pour dire que les effets provisoires défavorables sur les prix et non liés aux prix pour les clients peuvent constituer un préjudice irréparable aux fins d’une demande fondée sur l’article 104. Je conviens également que la preuve qu’il a présentée est catégorique et non conjecturale, et qu’on peut raisonnablement et logiquement en déduire, selon la prépondérance des probabilités, qu’un tel préjudice irréparable se produira. Pour en arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte du fait que le fardeau d’établir un préjudice irréparable à l’intérêt public est moins exigeant pour une autorité publique telle que le commissaire que pour un particulier : RJR, à la p 346. Je n’accepte pas la position de Secure selon laquelle le commissaire n’a pas droit à l’hypothèse décrite au paragraphe précédent simplement parce qu’il n’a pas traité les allégations de gains en efficience de Secure dans la demande fondée sur l’article 104. À mon avis, il s’agit d’une question qui est mieux prise en considération dans l’évaluation de la prépondérance des inconvénients.

[81] À l’appui de sa position selon laquelle les effets provisoires sur la concurrence ne sont pas pertinents en droit dans une demande fondée sur l’article 104 de la Loi, Secure invoque des décisions selon lesquelles l’objet de l’injonction est de veiller à ce que l’objet du litige soit préservé de façon à ce qu’une réparation efficace soit possible lorsque l’affaire est finalement entendue sur le fond : voir par exemple Google, au para 24; et Sharpe, à la p 2.550. Toutefois, cet argument soulève la question de savoir ce qui constitue une « réparation efficace ».

[82] Dans la présente demande, la réparation demandée par le commissaire est une mesure qui rétablirait la discipline concurrentielle de Secure qui était fournie par Tervita avant le fusionnement, en attendant une décision sur le bien-fondé de la demande fondée sur l’article 92. Le commissaire soutient que cette mesure corrective est nécessaire pour éviter le préjudice irréparable à la concurrence qui s’est déjà produit et continuera de se produire jusqu’à ce moment‑là. Le commissaire ajoute que cette mesure est également nécessaire pour éviter le préjudice irréparable qui en résulte pour les clients sur les marchés concernés, sous la forme de prix nets plus élevés qu’ils ne l’ont été avant le fusionnement, et d’avantages de la concurrence non liés aux prix qui seront inférieurs à ce qu’ils ont été par ailleurs.

[83] Je suis d’accord avec le juge Gascon pour dire que ces préjudices sont admissibles dans une demande fondée sur l’article 104 de la Loi et constituent un préjudice irréparable parce que le Tribunal n’a pas le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts en vertu des dispositions de la Loi concernant les fusionnements ou de remédier de toute autre façon aux effets provisoires défavorables d’un fusionnement sur les prix ou non liés aux prix : Parkland, au para 48.

[84] La position de Secure selon laquelle l’esprit de la Loi interdit la reconnaissance des préjudices provisoires allégués à la concurrence et aux clients dans la présente demande est fondée sur sa lecture des articles 74.101, 92, 96 et 100 de la Loi.

[85] Le paragraphe 74.101(2) donne à un tribunal la possibilité d’ordonner le paiement de l’indemnisation jusqu’à une limite déterminée dans certaines circonstances, relativement à des indications au public qui sont fausses ou trompeuses sur un point important. Secure laisse entendre qu’il peut être déduit de l’absence d’un pouvoir de réparation semblable dans les dispositions de la Loi relatives aux fusionnements que le Parlement a décidé que l’indemnisation ne devrait pas être un recours possible dans le contexte du fusionnement. Toutefois, en tout respect, j’estime que telle n’est pas la question. Il est évident que le Parlement a décidé de ne pas rendre l’indemnisation possible dans le contexte du fusionnement. Pourtant, on ne peut en déduire que le législateur n’a pas voulu que le pouvoir conféré à l’article 104 comprenne une ordonnance visant à préserver la concurrence et les avantages connexes liés ou non aux prix qu’elle produit généralement.

[86] Pour ce qui est de l’article 92, Secure note que les réparations qu’il permet après la clôture de la transaction visent à rétablir la concurrence au point où on ne peut plus dire qu’elle est diminuée ou empêchée « sensiblement ». Il en ressort que la Loi ne démontre aucune intention du Parlement d’éliminer absolument les effets anticoncurrentiels allégués qui pourraient survenir entre la clôture et le règlement d’une demande fondée sur l’article 92.

[87] Ce n’est pas la bonne question à poser. La question est plutôt de savoir si la Loi exprime l’intention d’empêcher des effets négatifs importants sur les prix ou d’autres effets négatifs importants sur les clients des parties au fusionnement. On a répondu à cette question par l’affirmative : voir, par exemple, Tervita, aux paras 80 à 83.

[88] En ce qui a trait à l’article 96, Secure fait valoir qu’il reflète une conception selon laquelle les effets anticoncurrentiels d’un fusionnement sont tolérés s’ils sont compensés par des gains en efficience. Secure affirme que cela va à l’encontre de la position du commissaire selon laquelle l’article 104 confère au Tribunal le pouvoir de traiter des effets anticoncurrentiels temporaires qui peuvent survenir avant la décision sur une demande fondée sur l’article 92.

[89] Je ne suis pas de cet avis. Le fait que l’article 96 puisse fournir un moyen de défense lorsque le ou les défendeurs dans une demande fondée sur l’article 92 peuvent être en mesure d’établir les exigences de ce moyen de défense ne permet pas de déduire quelle a été l’intention du législateur à l’égard de tout effet anticoncurrentiel provisoire qui résulte ou qui résulterait vraisemblablement d’un fusionnement avant de statuer sur le fond de la défense du défendeur.

[90] À mon avis, la meilleure analyse de l’esprit de la Loi repose sur la lecture de l’article 104 ainsi que des articles 1.1, 92, 100 et 123.

[91] L’article 1.1 énonce l’objet de la Loi. Comme il est indiqué dans le texte intégral reproduit au paragraphe 33 ci-dessus, l’un de ces objets est « de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans le but [...] d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits » (je souligne). Les mots « dans le but de » indiquent clairement que la concurrence n’est pas une fin en soi, mais qu’elle est désirée pour atteindre d’autres objectifs, y compris assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits.

[92] Pour atteindre cet objectif (et les autres objectifs énoncés à l’article 1.1), l’article 92 donne au Tribunal la capacité de rendre des ordonnances réparatrices à l’égard des fusionnements proposés et réalisés. En ce qui concerne les fusionnements proposés, la division 92(1)f)(iii)(A) confère au Tribunal le pouvoir d’interdire à toute personne « de faire quoi que ce soit dont l’interdiction est, selon ce que conclut le Tribunal, nécessaire pour que le fusionnement, même partiel, n’empêche ni ne diminue sensiblement la concurrence ». Comme je l’ai mentionné plus haut, il s’agit là d’une interdiction de tout fusionnement susceptible d’entraîner des prix sensiblement plus élevés ou des avantages hors prix de la concurrence sensiblement plus faibles qu’ils ne le seraient en l’absence du fusionnement : Tervita, aux paras 80 à 83.

[93] Afin de s’assurer que les fusionnements potentiellement anticoncurrentiels soient examinés avant qu’ils ne soient réalisés, l’article 123 impose deux périodes d’attente. La première est une période d’attente initiale de 30 jours après le dépôt d’un préavis de fusionnement. La deuxième est un délai d’attente de 30 jours qui commence le lendemain de la réception par le commissaire des réponses à toute DRS émise en vertu du paragraphe 114(2).

[94] Afin de renforcer davantage les objectifs de la Loi, y compris l’objectif d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits, les articles 100 et 104 donnent au Tribunal le pouvoir d’accorder une injonction avant la fin de l’enquête du commissaire et après le dépôt d’une demande fondée sur l’article 92, respectivement.

[95] Secure affirme que l’article 100 vise uniquement à préserver la capacité du Tribunal d’accorder une réparation. Elle affirme que cela ressort clairement de l’exigence que le Tribunal :

[traduction]

« [...] conclut qu’une personne, partie ou non au fusionnement proposé, posera vraisemblablement, en l’absence d’une ordonnance provisoire, des gestes qui, parce qu’ils seraient alors difficiles à contrer, auraient pour effet de réduire sensiblement l’aptitude du Tribunal à remédier à l’influence du fusionnement proposé sur la concurrence, si celui-ci devait éventuellement appliquer [l’article 92] à l’égard de ce fusionnement. »

[96] Je suis d’accord avec Secure pour dire que l’article 100 ne semble pas refléter une préoccupation quant aux types d’effets provisoires qui sont au centre de la présente demande. Il en est ainsi parce que cette disposition porte essentiellement sur les gestes qui sont posés et qui seraient difficiles à contrer. Parmi les gestes qui peuvent éventuellement entrer dans cette catégorie, mentionnons la conclusion d’une transaction, l’accès à des plans stratégiques ou à d’autres renseignements sensibles sur le plan de la concurrence concernant l’autre partie au fusionnement, la cessation d’emploi d’employés clés et l’intégration des activités des parties au fusionnement d’une manière qui serait difficile à contrer. Toutefois, l’article 100 ne semble pas tenir compte de l’augmentation des prix ou de la réduction du niveau de service, de la qualité ou d’autres avantages de la concurrence non liés aux prix. L’article semble plutôt se concentrer sur la préservation de la capacité du Tribunal de remédier aux effets des fusionnements proposés sur la concurrence en contrant les gestes qui ont de tels effets, plutôt qu’en empêchant que de tels effets se produisent.

[97] Toutefois, le fait que l’article 100 ne reflète pas une préoccupation quant aux types d’effets provisoires qui sont au centre de la présente demande est loin d’être déterminant. Cela est particulièrement vrai si l’on tient compte de la formulation de l’article 1.1 (examiné ci-dessus) et du fait que le Parlement n’a pas inclus une formulation semblable à cette disposition à l’article 104 : Parkland, aux paras 34 et 35. Au lieu de cela, le Parlement a donné au Tribunal un pouvoir plus large de « rendre toute ordonnance provisoire qu’il considère justifiée conformément aux principes normalement pris en considération par les cours supérieures en matières interlocutoires et d’injonction ». Ces principes comprennent la prévention d’un préjudice irréparable tel que défini au paragraphe 65 ci-dessus, lorsque les deux autres composantes du critère tripartite sont satisfaites.

[98] L’interprétation de l’article 104 d’une manière qui permet au Tribunal d’empêcher des effets anticoncurrentiels provisoires est conforme à l’esprit global énoncé aux articles 1.1, 92, 100 et 123 de la Loi. Cette interprétation est également conforme à l’idée de donner à la Loi une interprétation « de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » : Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21, article 12.

[99] Secure soutient qu’une telle interprétation de l’article 104 est contraire à l’interprétation adoptée dans Canada (Commissaire de la concurrence) c Supérieur Propane Inc, [2001] 3 CF 175 (CAF) (« Superior Propane »). Je ne suis pas de cet avis.

[100] Le passage de cette décision invoqué par Secure est le suivant :

[12] Dans le rapport [que l’expert] a préparé à l’intention du commissaire... [il] a conclu que [traduction] « l’intégration de Supérieur Propane Inc. et d’ICG aurait pour effet, au mieux, de gêner et, au pire, de mettre en péril un dessaisissement », c’est-à-dire le « rétablissement relativement rapide d’une concurrence vigoureuse dans l’industrie ». Cette opinion ne prouve guère qu’il s’agit d’un préjudice « auquel il ne peut être remédié ». (Voir l’arrêt RJR-Macdonald, à la page 341.) L’avocat du commissaire fait valoir que, étant donné que l’intégration provisoire « réduira ou détruira à toutes fins utiles ICG comme entité pouvant être aliénée », « l’intérêt public » sera « lésé de façon irréparable » si la demande de sursis est refusée. En d’autres termes, les consommateurs subiront les conséquences négatives de ce fusionnement sur la concurrence au cours de la période précédant la décision qui sera rendue en appel. Il est indubitable que le dessaisissement serait difficile et coûteux en cas de fusionnement, mais les intimées sont conscientes de ces obstacles et disposées à en supporter les frais, au besoin. D’après l’expertise qui a été faite à ce sujet, il est indéniable que les économies réalisées compenseront plus que largement ces frais.

[13] À mon avis, la métaphore des œufs brouillés est dramatique, mais ne convient pas tout à fait. Lorsque des œufs sont brouillés, il est effectivement impossible de les remettre dans leur état initial, mais la situation d’une société fusionnée n’est pas tout à fait la même que celle des œufs brouillés. L’entité peut en effet être séparée de nouveau, malgré les difficultés liées à cette démarche, et la concurrence peut être rétablie. Il ne suffit pas que cette démarche soit difficile ou qu’elle occasionne des inconvénients. Pour obtenir un sursis, il faut prouver que le préjudice est vraiment irréparable. (Je souligne).

[101] Ce passage faisait suite à la référence de la Cour à la position du commissaire concernant le préjudice irréparable, qui était que « une fois les œufs brouillés, il est impossible de les remettre dans leur état initial » : Superior Propane, au para 11. Ce passage, ainsi que tous les segments en italique du passage cité au paragraphe précédent, à l’exception d’un seul, montrent clairement que la Cour s’est concentrée sur l’efficacité de la réparation ultime, et non sur les types d’effets provisoires allégués par le commissaire dans la présente demande. Bien que la phrase entièrement en italique du paragraphe 12 semble traiter de ces effets provisoires, la Cour n’y est jamais revenue dans le reste de sa décision. Au lieu de cela, l’accent de cette décision est resté sur l’efficacité d’un dessaisissement en tant que réparation après que la Cour eut tranché l’appel du commissaire sur le fond. Après s’être concentrée uniquement sur l’efficacité d’une telle réparation aux paragraphes 14 et 15, la Cour a conclu par la phrase suivante : « Par conséquent, la preuve indique de façon plus qu’évidente que le requérant n’a pu prouver, comme il doit le faire, qu’un préjudice irréparable sera causé si le sursis n’est pas accordé » (je souligne) : Superior Propane, au para 16.

[102] J’examinerai maintenant brièvement l’argument de Secure selon lequel il n’y aura pas de préjudice irréparable en raison des « Directives d’intégration » internes qu’elle a données à son équipe de direction pour s’abstenir d’initier toute augmentation de prix ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. À mon avis, on peut difficilement s’appuyer sur cela pour conclure qu’il est peu probable que le préjudice irréparable à la concurrence et aux clients allégué par le commissaire se produise. Pour commencer, le commissaire a fourni une preuve catégorique et non conjecturale selon laquelle la plupart des transactions effectuées sur les marchés pertinents avant le fusionnement étaient effectuées à des prix inférieurs au prix catalogue ou seuil. Cette preuve démontre également que de tels rabais ont été accordés parce que les clients avaient la possibilité de mettre en rivalité Secure et Tervita. Par conséquent, même si le prix catalogue n’est pas augmenté, et même si ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||, il existe une preuve catégorique et non conjecturale que d’autres opérations d’escompte seront probablement éliminées dans un grand nombre de régions où il semble que Secure ne sera plus confrontée à une concurrence. Il en est de même dans les régions où Secure et Tervita étaient chacune la principale concurrente de l’autre et où le nombre de rivaux est passé de trois à deux. Il en est ainsi parce que le degré de discipline concurrentielle imposé sur Secure a été réduit ou éliminé.

[103] Plus fondamentalement, le Tribunal ne peut pas compter sur une entité fusionnée pour qu’elle s’abstienne volontairement d’exercer une puissance commerciale accrue résultant d’un fusionnement. C’est la capacité d’exercer une puissance commerciale accrue qui doit être abordée dans les demandes fondées sur l’article 104 (ainsi que dans les demandes fondées sur l’article 92) : Tervita, aux paras 44, 51 et 80 à 83. En ce qui concerne les prix, cette capacité peut se manifester soit en augmentant ou en maintenant des prix au-dessus des niveaux qui prévaudraient autrement en l’absence d’un fusionnement : Tervita, aux paras 44, 154, 55 et 80; Parkland, au para 101.

[104] La discussion qui précède s’applique également à la position de Secure selon laquelle elle n’aura aucune incitation à augmenter les prix ou à réduire les niveaux de service ou d’autres avantages de la concurrence non liés aux prix avant l’audience de la demande fondée sur l’article 92, parce que cela créerait des éléments de preuve qui seraient utilisés contre elle dans cette demande. Je reconnais que l’expert du commissaire, M. Miller, a reconnu au cours du contre-interrogatoire qu’il avait déclaré dans une affaire antérieure qu’une entité fusionnée n’aurait aucune incitation à augmenter les prix dans de telles circonstances. M. Miller a également été amené à admettre que les incitations peuvent parfois être déterminantes, bien qu’il ait exprimé son inconfort à l’égard du mot « déterminant ». Cela s’explique en partie par le fait que les incitations d’une entité fusionnée pourraient également consister à augmenter les prix, sur la base des faits d’un cas particulier.

[105] Je reconnais que les éléments de preuve relatifs aux incitations d’une entité fusionnée peuvent, dans certains cas, être pertinents pour évaluer si un préjudice irréparable se produira en l’absence d’une injonction. Toutefois, ces preuves ne sont généralement pas déterminantes. Entre autres choses, il faudrait les examiner avec toutes les autres preuves. De plus, le Tribunal gardera toujours à l’esprit qu’il existe de nombreuses façons d’exercer une puissance commerciale d’une manière qui ne donne pas lieu à de « mauvaises preuves ». Il gardera également à l’esprit que les clients peuvent ne pas être incités à porter l’exercice d’une puissance commerciale à l’attention du commissaire. De plus, il peut être extrêmement difficile de surveiller le comportement d’une entreprise. Voilà toutes les raisons pour lesquelles le Tribunal et les tribunaux se sont généralement concentrés sur la capacité d’exercer une puissance commerciale accrue : voir, par exemple, Tervita, ci‑dessus, aux paras 44, 51 et 80 à 83.

[106] Enfin, je n’accepte pas l’argument de Secure selon lequel il n’y aura pas de préjudice irréparable dans cette affaire, parce que tout transfert de richesse des clients vers Secure sera « neutre » du point de vue de l’économie dans son ensemble, et parce que le commissaire n’a pas apporté de preuve quant à toute perte sèche pour l’économie qui pourrait résulter du fusionnement. À l’heure actuelle, le Tribunal n’a devant lui aucune preuve selon laquelle tout transfert de richesse entre Secure et son très grand nombre de clients devrait être traité comme neutre. Le Tribunal ne peut pas invoquer une concession faite par l’un des prédécesseurs du commissaire dans une autre affaire, concernant un marché géographique unique, même si cette affaire concernait la même industrie. En outre, aux fins de l’évaluation de la composante du préjudice irréparable du critère tripartite relatif à l’émission d’une injonction, le préjudice causé au public ne peut se limiter à la question de savoir s’il y a préjudice pour l’économie dans son ensemble. Le préjudice irréparable est un concept beaucoup plus large qui s’étend à tout « préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre » : RJR, à la p 341.

[107] Pour tous les motifs susmentionnés, je conclus que les effets provisoires défavorables liés aux prix ou non pour les clients peuvent constituer un préjudice irréparable aux fins d’une demande fondée sur l’article 104. Je conclus également que la preuve présentée par le commissaire est catégorique et non conjecturale, et qu’on peut raisonnablement et logiquement en déduire, selon la prépondérance des probabilités, qu’un tel préjudice irréparable se produira.

(4) La prépondérance des inconvénients

[108] À cette étape de l’évaluation, le Tribunal doit déterminer « [...] laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond »: RJR à la p 342. Au cours de son examen, le Tribunal doit « tenir compte de l’intérêt public » et celui-ci peut être invoqué par l’une ou l’autre des parties : RJR, à la p 348. Pour évaluer cet intérêt, la « présomption que l’intérêt public demande l’application de la loi joue un grand rôle » : Harper c Canada (Procureur général), 2000 CSC 57, au para 9; Parkland, aux paras 59 et 108.

[109] Le commissaire soutient que le préjudice irréparable qu’il a allégué l’emporte sur le préjudice financier que pourrait subir Secure, qui, selon lui, est fondé sur des preuves peu fiables et conjecturales.

[110] Secure présente de nombreuses observations à l’appui de sa position selon laquelle elle subira le préjudice le plus grave si la réparation demandée par le commissaire est accordée. Aux fins de l’espèce, il suffira d’examiner l’une de ces observations.

[111] Secure affirme que le commissaire n’a pas donné au Tribunal une idée de l’ampleur du préjudice que le public subira si la réparation qu’il demande n’est pas accordée. Elle affirme que lorsqu’une partie à un fusionnement a présenté des éléments de preuve de gains en efficience substantiels et probables résultant de son fusionnement, le commissaire a l’obligation de fournir au moins une indication ou une estimation initiale de l’ampleur du préjudice irréparable qu’il allègue. Sans une telle indication ou une telle estimation préliminaire, le Tribunal ne peut effectuer la mise en balance requise à la troisième étape du critère tripartite pour l’injonction.

[112] Je souscris à cette affirmation.

[113] Le commissaire a fourni au Tribunal une preuve abondante. Ces éléments de preuve comprennent notamment des centaines de pages d’enregistrements d’échanges avec un grand nombre de clients sur les marchés pertinents et d’autres tiers. Ils comprennent également d’autres documents de l’industrie, des documents internes de Tervita et de Secure, des éléments de preuve provenant de litiges en instance qui les opposaient avant le fusionnement et des documents qu’elles et d’autres ont fournis au Bureau de la concurrence relativement à des opérations de fusionnement antérieures dans cette industrie. De plus, le commissaire a déposé les rapports d’experts de M. Miller et de M. Eastman et a fourni au Tribunal des éléments de preuve présentés dans une instance antérieure devant le Tribunal.

[114] Toutefois, le commissaire n’a fait aucun effort pour donner au Tribunal un aperçu même très préliminaire ou rudimentaire de la façon dont toutes ces preuves se regroupent, afin que le Tribunal puisse avoir au moins une certaine appréciation de la façon dont le préjudice provisoire qu’il allègue se compare au préjudice que Secure a relevé de son côté.

[115] Ce dernier préjudice est fondé en grande partie sur les estimations des gains en efficience opérationnelle qui seront définitivement perdus par Secure dans divers cas de figure, y compris ceux dans lesquels le type général de réparation présentement recherché par le commissaire est obtenu et maintenu en place pour des périodes de 6, 12 et 18 mois. M. Harington a estimé que ces gains en efficience perdus [allaient de dizaines de millions de dollars à un multiple de ce chiffre]|, respectivement. Il est entendu que ces estimations n’incluent pas les autres préjudices de nature financière ou autre que Secure subira, selon elle, si la réparation demandée par le commissaire est accordée.

[116] Même si j’accepte certaines des observations du commissaire concernant les lacunes des estimations de Secure, j’aurai toujours une bonne idée générale de l’étendue du préjudice à prendre en considération du côté de Secure, aux fins de l’évaluation de la prépondérance des inconvénients. En d’autres mots, Secure a fourni une preuve catégorique et non conjecturale concernant l’étendue générale du préjudice qu’elle subira si la réparation demandée par le commissaire est accordée.

[117] Toutefois, on ne m’a pas donné une idée générale de l’ampleur du préjudice à considérer du côté du commissaire.

[118] Je reconnais que [traduction] « [s]ans l’avantage des plaidoiries et de la divulgation complète, les questions factuelles et juridiques peuvent très bien n’être que grossièrement définies et, peut-être, même pas complètement étudiées par les parties elles-mêmes » : Sharpe, à la p 2.70. Ce sera particulièrement le cas dans des circonstances telles que celles dont est présentement saisi le Tribunal, où une partie au fusionnement procède à la clôture immédiatement après la période d’attente de 30 jours applicable. Dans de telles circonstances, on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que le commissaire ait entièrement synthétisé, dans un délai très court, les renseignements détaillés généralement fournis par les parties au fusionnement dans leur réponse à une DRS. Une telle tâche serait compliquée davantage par la nécessité d’intégrer ces renseignements à l’information obtenue d’acteurs du marché et d’autres tierces parties au cours de l’examen du fusionnement par le Bureau, ainsi qu’à d’autres renseignements que le Bureau peut déjà avoir dans ses dossiers. Le défi du commissaire est accentué par la nécessité de déposer sa demande à temps pour qu’elle soit entendue avant l’expiration du délai d’attente de 30 jours, ou tout autre délai serré qui pourrait s’appliquer.

[119] Néanmoins, dans le cas d’un fusionnement où la défenderesse fournit une preuve catégorique et non conjecturale de l’ampleur du préjudice qu’elle subirait si la réparation demandée par le commissaire était accordée, le commissaire doit fournir au moins une idée générale ou initiale du préjudice irréparable qui, selon lui, résulterait si cette réparation n’était pas accordée.

[120] Je n’accepte pas l’argument du commissaire selon lequel le fait d’exiger de tels éléments de preuve transformerait essentiellement une demande fondée sur l’article 104 en une demande fondée sur les articles 92 et 96 de la Loi complètement contestée, ou ferait en sorte qu’il serait par ailleurs excessivement difficile pour lui d’obtenir gain de cause dans une procédure fondée sur l’article 104.

[121] Avec l’aide du personnel du Bureau de la concurrence et d’experts externes, le commissaire devrait être en mesure de fournir au moins des estimations approximatives, étayées par des éléments de preuve, quant aux éléments suivants : (i) l’éventail des effets sur les prix susceptibles de résulter du fusionnement; (ii) une gamme d’élasticités plausibles; (iii) une estimation « approximative » de la perte sèche; et (iv), le cas échéant, une idée rudimentaire de la mesure dans laquelle des effets liés aux prix ou non liés aux prix sont susceptibles de résulter du fusionnement. C’est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, le Bureau dispose de renseignements détaillés provenant d’affaires antérieures sur lesquels il peut s’appuyer. Lorsque le commissaire a besoin de plus de temps pour préparer ces estimations approximatives, il peut avoir recours à la réparation provisoire prévue à l’article 100 de la Loi.

[122] En ce qui concerne les prix, une estimation préliminaire de l’ampleur des effets négatifs sur les prix (habituellement exprimée en pourcentage du prix en vigueur) n’est pas suffisante parce que cela « n’est pas suffisant pour déterminer la mesure des effets anticoncurrentiels, si tant est qu’il y en ait » : Tervita, au para 132. Par conséquent, des estimations approximatives des élasticités de prix et de la perte sèche sont également requises pour permettre au Tribunal d’évaluer la prépondérance des inconvénients, lorsque la défenderesse dans une affaire de fusionnement fournit une preuve catégorique et non conjecturale du préjudice aux fins de l’exercice de mise en balance.

[123] À mon avis, l’enseignement de la Cour suprême du Canada selon lequel « [l]es effets qui peuvent être quantifiés devraient l’être, ou à tout le moins être estimés » s’applique également aux demandes fondées sur l’article 104 et l’article 92 de la Loi, lorsque la défense que prévoit l’article 96 a été soulevée : Tervita, au para 100. Une telle approche « réduit au minimum le jugement subjectif nécessaire dans l’analyse et permet au Tribunal d’effectuer l’évaluation la plus objective possible dans les circonstances » : Tervita, au para 124. De plus :

[u]ne approche selon laquelle la commissaire pourrait s’acquitter de son obligation sans avoir donné au moins une estimation des effets anticoncurrentiels quantifiables ne permettrait pas aux parties au fusionnement de connaître la preuve qui leur est opposée.

(Tervita, au para 124)

[124] Au cours de l’audience, le commissaire a soutenu que les estimations du volume du commerce que M. Miller avait fournies dans les pièces 25 à 27 de son rapport du 29 juin 2021 sont suffisantes pour fournir au Tribunal ce dont il a besoin aux fins de l’évaluation de la prépondérance des inconvénients. Le commissaire a qualifié ces estimations d’un total de « centaines de millions de dollars ». Toutefois, sans une idée approximative de l’ampleur des effets négatifs sur les prix, des élasticités de prix et de la perte sèche, les estimations du volume du commerce touché sont peu utiles : Tervita, au para 132. De plus, Secure n’avait pas été informée à l’avance de cette position avant l’audience.

[125] En résumé, pour les motifs exposés ci-dessus, le commissaire n’a pas établi que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur.

[126] Avant de conclure le débat sur le troisième volet du critère tripartite, je ferai deux observations supplémentaires.

[127] Tout d’abord, Secure a d’abord semblé suggérer que le commissaire devrait être tenu de fournir un engagement d’indemnisation en faveur de Secure pour tout dommage subi par suite de l’octroi de la réparation demandée dans la présente demande. Je ne suis pas de cet avis. Étant donné que le commissaire est une autorité publique agissant dans le cadre de son mandat légal, il n’est pas tenu de fournir un tel engagement : Financial Services Authority v Sinaloa Gold plc, [2013] UKSC 11, aux paragraphes 1 et 31; British Columbia (Attorney General) v Wale, 1986 CarswellBC 413, au para 62 (CA). Bien que le juge Linden, dans Superior Propane, ait souligné le fait qu’aucun engagement de ce genre n’avait été pris par le commissaire, il l’a fait dans des remarques incidentes dans lesquelles il semblait simplement donner à penser que cela signifiait que le préjudice relevé par la défenderesse serait irréparable : Superior Propane, au para 17.

[128] Deuxièmement, le commissaire a compliqué davantage la tâche du Tribunal en omettant de donner au Tribunal une idée des modalités de l’ordonnance demandée. Bien que l’avocat du commissaire ait demandé, au cours de l’audience, que l’ordonnance soit rendue « selon des modalités semblables » à celles demandées dans Parkland, cela n’a pas constitué un avertissement raisonnable à Secure et a laissé de nombreuses questions sans réponse.

VIII. Conclusion

[129] Pour les motifs susmentionnés, le commissaire a satisfait aux premier et deuxième volets du critère tripartite applicable aux demandes d’injonction. Toutefois, il n’a pas satisfait au troisième volet de ce critère.

[130] Étant donné que le critère tripartite exige qu’un demandeur d’injonction l’emporte sur chacun des trois volets du critère, cette demande sera rejetée et il n’est pas nécessaire d’examiner la deuxième question générale soulevée dans la demande.

IX. Dépens

[131] Compte tenu du caractère d’intérêt public de la présente demande, ainsi que de la nature nouvelle des questions soulevées par Secure et des résultats mitigés qu’elle a obtenus à l’égard de ces questions, je considère qu’il convient de rejeter la demande de dépens de Secure.

 

 

 

 

FAIT à Ottawa, ce 16e jour d’août 2021.

 

SIGNÉ au nom du Tribunal par :

 

« Paul Crampton »

(s) Juge en chef Paul Crampton


 

Canada (Commissaire de la concurrence) c Secure Energy Services Inc, 2021 Trib conc 7

 

 

ORDONNANCE

 

Pour les motifs énoncés dans les motifs de l’ordonnance ci-joints, la demande de réparation provisoire présentée par le commissaire en vertu de l’article 104 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34 est rejetée sans dépens.

 

 

 

SIGNÉ au nom du Tribunal par :

 

« Paul Crampton »

(s) Juge en chef Paul Crampton

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour le demandeur :

 

Commissaire de la concurrence

 

Jonathan Hood
Paul Klippenstein

Ellé Nekiar

 

Pour la défenderesse :

 

SECURE Energy Services Inc.

 

Brian Facey

Robert Kwinter

Nicole Henderson

Joe McGrade

 

 



[1] La première était Le commissaire de la concurrence c Parkland Industries Ltd, 2015 Trib conc 4 (« Parkland »).

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