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Tribunal de la concurrence

Competition Tribunal

TRADUCTION OFFICIELLE

Référence : Canada (Commissaire de la concurrence) c Secure Energy Services Inc., 2022 Trib conc 3

No de dossier : CT-2021-002

No de document du greffe : 358

DANS L’AFFAIRE d’une demande présentée par le commissaire de la concurrence en vue d’obtenir une ou plusieurs ordonnances en vertu de l’article 92 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, et ses modifications.

ENTRE :

Commissaire de la concurrence

(demandeur)

et

Secure Energy Services Inc.

(défenderesse)

Date de l’audience tenue par vidéoconférence : le 28 janvier 2022

Devant : M. le juge Michael Phelan

Date de l’ordonnance : le 15 février 2022

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE CONCERNANT LA REQUÊTE DE LA DÉFENDERESSE VISANT À OBLIGER LE COMMISSAIRE À FOURNIR DES RÉPONSES ADÉQUATES ET COMPLÈTES AUX QUESTIONS AUXQUELLES IL A REFUSÉ DE RÉPONDRE LORS DE L’INTERROGATOIRE PRÉALABLE


 

I. NATURE DE L’AFFAIRE

[1] Il s’agit d’une requête présentée par Secure Energy Services Inc. [Secure/défenderesse] [la requête de Secure] à la suite de l’interrogatoire préalable du représentant du commissaire. Elle a été entendue en même temps que la requête du commissaire visant à obliger Secure à répondre à certaines questions. Le Tribunal s’est prononcé sur la requête du commissaire. En définitive, la requête de Secure se résume à la question de savoir si le commissaire doit répondre à une partie ou à l’ensemble des questions mentionnées à l’annexe A qui y est jointe. La présente ordonnance traite des questions précises auxquelles il y a lieu de répondre ainsi que des principes applicables à ces types de questions. Bon nombre des questions contestées se rapportent aux renseignements recueillis lors de l’enquête menée par le commissaire sur le fusionnement Tervita/Newalta déjà décrit dans la décision du Tribunal portant sur la requête du commissaire concernant l’interrogatoire préalable.

[2] Le commissaire fait valoir qu’il n’est tenu de répondre qu’aux questions portant sur les faits appris relativement au fusionnement de Tervita‑Newalta, tandis que Secure soutient que le commissaire est tenu à une obligation plus générale de répondre aux questions [traduction] « au mieux de sa connaissance et de sa croyance » – la norme habituelle en matière d’interrogatoire préalable.

[3] Secure reconnaît, à juste titre à mon avis, qu’il ne convient pas de poser certains types de questions au commissaire, notamment celles visant à obtenir un avis d’expert et une analyse – une distinction parfois difficile à faire. Secure ne demande pas de nouvelles analyses, mais affirme que les questions auxquelles le commissaire refuse de répondre se rapportent à la connaissance et à la croyance actuelles du commissaire au sujet d’une transaction réalisée visant l’une des parties au fusionnement et concernant (vraisemblablement) les mêmes marchés de produit et géographique.

[4] La pertinence ou la pertinence potentielle du fusionnement Tervita/Newalta quant à la fusion Secure/Tervita [la fusion] ressortent clairement des faits en cause et des actes de procédure présentés dans le cadre du litige. Le commissaire ne conteste pas sérieusement la pertinence du fusionnement Tervita/Newalta quant aux questions en litige en l’espèce. Il cherche simplement à éviter d’avoir à divulguer certains des éléments qu’il a appris dans le cadre de l’examen de celui-ci.

II. considÉrations

[5] D’une manière générale, la position de Secure reflète mieux les obligations des parties en matière de communication préalable dans les affaires portées devant le Tribunal – y compris celles du commissaire. Le Tribunal a adopté une interprétation large de l’obligation en matière de communication préalable et a donné des lignes directrices, auxquelles je souscris, dans la décision Le commissaire de la concurrence c Live Nation Entertainment, Inc et al, 2019 Trib conc 3 [Live Nation] et la décision Le commissaire de la concurrence c Administration aéroportuaire de Vancouver, 2017 Trib conc 16 [AAV].

[6] Les passages suivants de la décision Live Nation reflètent l’approche du Tribunal en ce qui concerne l’obligation en matière de communication préalable :

[6] […] Il est aujourd’hui bien reconnu qu’il y a lieu d’adopter une démarche libérale face à l’étendue des questions qui peuvent être posées lors d’un interrogatoire préalable (Lehigh, au par. 30). Ce que les parties et le Tribunal tentent tous deux d’obtenir dans le cadre d’un interrogatoire préalable est de parvenir à un niveau de divulgation suffisant pour permettre à chaque partie de progresser de manière juste, efficace, efficiente et rapide vers une audience, en ayant une connaissance suffisante de ce que chaque partie doit prouver (Le commissaire de la concurrence c Administration aéroportuaire de Vancouver, 2017 Trib conc 16 (« AAV »), au par. 46). Si une partie ne communique pas avant l’instruction les faits ou les renseignements pertinents dont elle a connaissance, la partie adverse sera injustement défavorisée.

[7] […] L’article 240 des Règles des CF prévoit que la personne soumise à un interrogatoire préalable doit répondre, au mieux de sa connaissance et de sa croyance, à toute question qui se rapporte à un fait non admis dans un acte de procédure […]

[8] […] Au stade de l’interrogatoire préalable, la pertinence est une norme souple et adaptative (Apotex Inc. c Sanofi-Aventis, 2011 CF 52, au par. 19). Tout doute quant à la question de la pertinence doit être résolu en faveur de la divulgation, et il est habituellement nécessaire de répondre aux questions sauf si ces dernières sont clairement inappropriées […]

[…]

[10] Cela dit, même dans les cas où une question satisfait bel et bien à la norme de la pertinence, les tribunaux ont néanmoins fixé des limites au genre de questions qu’il est possible de poser lors d’un interrogatoire préalable. Une partie peut demander avec raison le fondement factuel des allégations formulées par la partie adverse ainsi que les faits que cette dernière connaît, mais elle ne peut pas demander les faits ou les éléments de preuve sur lesquels la partie se fonde à l’appui d’une allégation (VAA, aux par. 20 et 27; Bande de Montana c Canada, [2000] 1 CF 267 (C.F. 1re inst.) (« Bande de Montana »), au par. 27; Can-Air Services Ltd v British Aviation Insurance Company Limited, 1988 ABCA 341, au par. 19). Dans la décision Apotex Inc. c Pharmascience Inc., 2004 CF 1198, conf. par 2005 CAF 144 (« Apotex »), la Cour fédérale a de plus établi que des témoins n’ont pas à témoigner sur de pures questions de droit. Une règle fondamentale est qu’un interrogatoire préalable ne peut porter que sur des faits, et non sur des points de droit. C’est donc dire qu’il est habituellement entendu que les types de questions qui suivent sont généralement inappropriés dans le cadre d’un interrogatoire préalable : i) celles qui visent à obtenir un avis d’expert, ii) celles qui visent à faire témoigner la personne sur des questions de droit, iii) celles qui concernent le droit ou les arguments, par opposition aux faits, et iv) celles qui demandent au témoin « sur quels faits vous appuyez-vous à l’alinéa X de votre acte de procédure? » (Bard Peripheral Vascular, Inc. c W.L. Gore & Associates, Inc., 2015 CF 1176, au par. 20).

[11] […] L’étendue d’un interrogatoire admissible dépend en fin de compte du « contexte factuel et procédural de l’affaire, en tenant compte des principes juridiques applicables » (Lehigh, aux par. 24 et 25; voir aussi AAV, aux par. 41 à 46).

[7] Lorsqu’il s’agit de déterminer la portée générale de la communication préalable applicable aux parties, il importe de reconnaître le statut quelque peu particulier du commissaire. Il en a été question dans la décision AAV, aux paragraphes 43‑44 :

[43] D’autres facteurs ont une incidence sur l’interrogatoire préalable dans les affaires devant le Tribunal. Premièrement, le commissaire est l’unique plaideur dans ces instances. Le commissaire n’est pas un intervenant sur le marché et ses représentants ne possèdent aucune connaissance indépendante sur les faits concernant le marché et les comportements en litige. Tous les faits ou renseignements qui sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde du commissaire découlent plutôt de l’information qu’il a recueillie auprès des intervenants sur le marché dans le cadre de son enquête sur la question en litige. Le commissaire et ses représentants n’ont pas une connaissance directe et importante des faits à l’appui de la demande. Cela signifie qu’il pourrait habituellement être plus difficile pour un représentant du commissaire de décrire de manière exhaustive « tous les faits connus » [traduction] du commissaire.

[44] Deuxièmement, les critères de célérité et d’équité sont deux éléments fondamentaux de l’approche et des instances du Tribunal. Le paragraphe 9(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, LRC 1985, c 19 (2suppl) prévoit que « [d]ans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, il appartient au Tribunal d’agir sans formalisme, en procédure expéditive ». L’instruction expéditive de l’instance et la protection adéquate de l’équité procédurale sont donc des exigences de la loi qui sont au coeur [sic] des fonctions du Tribunal. Le Tribunal s’efforce de traiter les affaires dont il est saisi de manière rapide et efficace, mais il ne prend jamais à la légère les préoccupations soulevées quant à l’équité procédurale de ses instances. De plus, comme je l’ai indiqué dans la décision relative au privilège contesté par l’AAV, les instances devant le Tribunal sont hautement « judiciarisées » et requièrent par conséquent un niveau élevé d’équité procédurale (Décision relative au privilège contesté par l’AAV, au paragraphe 159). Il est également bien établi que la nature et l’étendue de l’obligation d’équité procédurale varient en fonction du contexte particulier et des différentes situations de fait avec lesquels le Tribunal doit composer, ainsi que de la nature des litiges qu’il doit régler (Baker c Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration], [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 25 et 26; Décision relative au privilège contesté par l’AAV, aux paragraphes 165 à 170).

[Caractères gras ajoutés par le Tribunal.]

[8] Les principes directeurs régissant l’obligation en matière de communication préalable sont la pertinence et l’équité, comme l’indique le paragraphe 46 de la décision AAV.

[9] S’il est vrai que le Tribunal a reconnu les limites de la source de la connaissance et de la croyance du commissaire, le commissaire n’en est pas moins tenu de satisfaire à la norme en matière de communication préalable et de divulgation, sous réserve des questions habituelles de pertinence, de privilège et de proportionnalité, pour n’en nommer que quelques‑unes.

[10] En ce qui concerne la pertinence, la communication préalable ne doit pas être utilisée comme moyen d’examiner la conduite du commissaire dans le cadre d’une enquête portant sur un autre fusionnement. La question que doit trancher le Tribunal ne concerne pas le [traduction] « caractère raisonnable » de la décision du commissaire de contester la présente fusion – il ne s’agit ni d’un contrôle judiciaire ni d’un examen de la décision du commissaire de ne pas contester le fusionnement connexe ou tout autre fusionnement. Il ne s’agit pas de savoir comment le commissaire a mené ses enquêtes ou quelles techniques ont été utilisées lors de ces enquêtes. La question de savoir si les enquêtes étaient adéquates et si elles ont été bien menées ou bâclées n’a aucune pertinence quant à l’examen par le Tribunal de la diminution sensible de la concurrence alléguée par la présente fusion.

[11] Cela dit, la reconnaissance du fait que le commissaire n’est pas le plaideur type ne permet pas d’affirmer que le commissaire peut se soustraire aux principes fondamentaux de la communication préalable ou au processus de l’interrogatoire préalable (voir Canada (Director of Investigation and Research) v NutraSweet, [1989] CCTD no 54, au para 35 [NutraSweet]).

[12] Un aspect important de l’interrogatoire préalable est l’obtention de la reconnaissance de faits par la partie adverse. Ce processus peut comporter une recherche approfondie de renseignements sur différentes questions (AAV, au para 41).

[13] Comme il est expliqué dans les décisions NutraSweet et Le commissaire de la concurrence c Direct Energy Marketing Limited, 2014 Trib conc 17, Secure a le droit de demander qu’on lui présente les renseignements factuels pertinents sur lesquels reposent la demande du commissaire et les allégations qui y sont formulées, d’être informée des arguments qu’elle doit réfuter et d’obtenir suffisamment de renseignements sur les faits précis en litige.

[14] Comme c’est le cas pour l’ensemble des requêtes concernant des refus de répondre, il faut examiner les questions en litige, le contexte, et leur vraie nature. Le Tribunal doit déterminer la vraie nature de la question posée et s’assurer que les questions ne constituent pas un moyen déguisé d’obtenir une chose qu’il n’est pas permis d’obtenir. Comme il a été reconnu au paragraphe 63 de la décision AAV, exiger du commissaire qu’il indique les faits et les sources ne doit pas constituer un moyen déguisé d’exiger la divulgation des « faits invoqués à l’appui » par le commissaire.

[15] Il n’existe pas de formule magique pour déterminer s’il y a lieu de répondre à une question. Il faut procéder à un examen de la question posée, de l’objet et du contexte.

[16] Conformément aux principes sous‑jacents de la communication préalable, y compris celui voulant que la pertinence et l’importance ultimes soient déterminées par le tribunal qui tiendra l’audience, cette étape du litige favorise la communication.

[17] Il n’est pas réaliste de partir du principe que, si une véritable surprise est causée par quelque chose qui aurait dû être communiqué, un ajournement pourra être accordé pour permettre à la partie surprise de revoir sa position. Cette solution existe, certes, mais dans ce type d’instances organisées d’avance et faisant l’objet d’une gestion du temps, le processus consistant à suspendre et à reprendre l’audience est inefficace, a des effets perturbateurs et cause des difficultés aux parties et au Tribunal lui‑même. L’ajournement est une solution de dernier recours, et ne constitue pas un postulat [traduction] « de départ ».

III. questions En LITIGE

A. Approche fondée sur le client

[18] La question Q 156 pose la question de savoir si le commissaire a utilisé l’approche [traduction] « fondée sur le client » et, si la question est formulée d’une manière plus directe, Secure cherche à obtenir une reconnaissance de fait quant à la connaissance du commissaire, ce qui constitue une question qu’il convient de poser.

[19] La question Q 157, par contre, vise à mettre en doute les décisions prises par le commissaire au cours du processus d’enquête, ce qui n’est pas pertinent; il n’est pas nécessaire d’y répondre.

B. Marchés de produit/géographique

[20] La question Q 332 vise à obtenir une reconnaissance du fait que la fusion Tervita/Newalta concerne les mêmes produits et marché que le fusionnement Secure/Tervita. La question aurait pu être abordée en étapes, commençant par la description des produits de chaque fusion, pour ensuite comparer les réponses. La question posée constitue un moyen plus efficace d’obtenir une reconnaissance d’un fait à l’égard d’une question pertinente.

[21] La question Q 332 comporte une question complémentaire visant à vérifier s’il y a des différences. Il y a lieu de répondre à ces deux aspects de la question au mieux de la connaissance et de la croyance du commissaire.

[22] La question Q 332 comporte des questions visant à savoir comment le commissaire a traité les marchés de produit à l’interne. Il s’agit donc d’obtenir des renseignements sur la façon dont le commissaire a effectué l’examen du fusionnement Tervita/Newalta. La conduite du commissaire n’est pas en cause dans le présent litige, et il n’est pas nécessaire de répondre à la question.

[23] La question Q 333 : pour les mêmes motifs que ceux énoncés à l’égard de la question Q 332, il n’est pas nécessaire d’y répondre.

[24] La question Q 334 : étant donné qu’elle traite des marchés géographiques de la même façon que la question Q 332 traite des marchés de produit, il faut y répondre.

[25] La question Q 335 porte sur les rouages internes du bureau du commissaire et n’est pas pertinente.

C. Fusionnement Tervita/Newalta

[26] La question Q 339 concerne la conduite du commissaire postérieure à la clôture de la transaction Tervita/Newalta et n’est pas pertinente.

[27] Les questions Q 350 à 354 concernent la façon dont le commissaire a effectué son analyse de certains aspects du fusionnement Tervita/Newalta. Ce n’est pas pertinent. Le présent litige ne constitue pas un processus visant à comparer les activités d’enquête menées dans le cadre de l’examen de chaque fusionnement.

D. Perte sèche

[28] Les questions Q 355 à 358 : cette série de questions porte sur l’analyse de la perte sèche. La perte sèche constitue un important moyen de défense dans le présent litige. Il semble que le commissaire ait une connaissance et une croyance à l’égard de certains aspects de la perte sèche quant à ce qui constitue vraisemblablement les mêmes marchés de produit et marchés géographiques. Dans la mesure où les questions ne nécessitent pas la production d’une opinion d’expert et ne mettent pas en jeu une communication protégée, les renseignements peuvent être produits.

E. Autres questions

[29] Les questions Q 359 à 361 soulèvent des questions similaires quant à l’élasticité de la demande, et pour les mêmes motifs et sous réserve des mêmes mises en garde que ceux mentionnés précédemment, il faut y répondre.

[30] La question Q 362 concerne la façon dont le commissaire a effectué l’examen du fusionnement Tervita/Newalta et n’est pas pertinente.

[31] La question Q 363 porte sur les gains en efficience examinés dans le fusionnement Tervita/Newalta et, dans la mesure où le commissaire a une connaissance et une croyance à l’égard de ce sujet et où Secure cherche à obtenir une reconnaissance d’un fait, le commissaire doit répondre. Le fait qu’il puisse exister une opinion d’expert sur le sujet ne constitue pas en soi un motif de refus valable.

ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT, le Tribunal ordonne de répondre aux questions suivantes :

Les questions Q 156, 332, 334, 355 à 358, 359 à 361 et 363.

FAIT à Ottawa , ce 15e jour de février 2022.

SIGNÉ au nom du Tribunal par le membre judiciaire présidant l’audience .

(s) Michael Phelan

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour le demandeur :

Commissaire de la concurrence

Jonathan Hood

Paul Klippenstein

Ellé Nekiar

Pour la défenderesse :

Secure Energy Services Inc.

Robert Kwinter

Nicole Henderson

Brian Facey

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